|     |  |   VRP : Vie 
Rarement Photographiée Du 22 juin au 3 juillet, 
Compiègne, Creil, Beauvais, Lille, Saint-Quentin. On écrit rarement sur son 
métier. On en parle plus volontiers entre amis et ce sont parfois 
d'interminables discussions sur la conjoncture générale ou mille anecdotes 
décrites sur la teneur de son travail. Récemment, j'ai passé tout un repas de 
famille à discuter au sujet d'une entreprise de pelles mécaniques : état des 
stocks, impact de la crise, chômage partiel... C'est un paradoxe  : jamais 
l'actualité n'a autant défrayé la chronique et pénétré ainsi à l'intérieur des 
entreprises, mais c'est malheureusement souvent pour l'annonce un plan social. 
Zoom de la caméra sur le Logo de l'entreprise, le feu de palette, interview d'un 
cadre cravaté qui répond qu'il n'y peut rien et d'un syndicaliste à casquette 
qui affirme qu'on se laissera pas faire.
 Mais le quotidien du travail est rarement décrit. Encore 
moins photographié et commenté. Je viens de passer deux semaines de VRP. VRP, ce 
n'est pas mon travail. D'ailleurs ce n'est pas un boulot. Le travail ce serait 
l'ancienne appellation de représentant de commerce. Mon travail à moi, c'est 
Conseiller en mobilité comme il est écrit sur la quatrième de couverture de 
CV roman. Cela impose 
des réunions, des rendez-vous, des rencontres et quelque fois un gros projet 
comme celui qui m'a fait passer à Compiègne, Creil, 
Beauvais, Villeneuve d'Ascq, Saint-Quentin, la Picardie sillonnée de long en 
large. Les photographies permettent de conserver tout ce qui semblait banal, 
tout ce qu'on oublie très vite dans la fuite des semaines qui suivront, toutes 
aussi bousculées. Les photographies gardent tout, la route, les hôtels, la 
périphérie des villes. Il faisait beau et lourd, on avait oublié. Après, il 
suffit juste de reprendre les clichés et de commenter l'album.
 
  
       ça a du commencé comme cela : une 
route bordée d'arbres ce lundi 22 juin, un soleil magnifique. Dans le coffre, 
des affaires pour trois jours et les sacoches pour le travail, avec les dossiers 
en cours, l'ordinateur portable, l'agenda, les itinéraires. La route, on la 
connaît : direction Compiègne en passant par Reims, Fismes, gros bourg laid et 
tortueux, et le village de Cuise la Motte au nom carabin avec son magasin de 
fringues Cuise Mode.   
  
     Ce qu'il y a d'étrange c'est que 
les photos suivantes montrent l'arrivée à l'Hôtel de Beauvais (la même chaîne B 
& B pour les cinq nuits en deux semaines que j'aurais à passé dans différentes 
villes de Picardie, pratique de réserver). Il n'y a rien sur ce qui s'est passé 
entre, c'est à dire le motif de ma venue. Il y a juste l'agenda qui témoigne de 
la première journée, ouvert à la page du 22 juin et ou je peux encore lire que 
je suis passé à Compiègne à 10h30 pour rencontrer un salarié de mon entreprise 
avec un collègue retrouvé sur place. J'ai animé une réunion téléphonique à 11h30 
et nous avons filé direction Creil pour manger en vitesse tout en mettant au 
point nos quatre interventions prévues l'après-midi dans la même ville. Après c'est encore la route 
solitaire pour Beauvais et l'arrivée à l'hôtel dans le tremblement de la chaleur du soir : 
zone commerciale et pylône par la fenêtre, chambre monacale et La route de Cormac Mc Carthy, histoire de ne pas oublier toute celle que j'ai 
avalée.   
   
 Encore plus 
étrange est cette absence de photographie sur le second B & B, celui de 
Lezennes, rejoint le soir suivant, ni sur la journée identique à celle de Creil 
mais passée à Beauvais, réunions, rencontres encore. A Lezennes, j'ai 
retrouvé un collègue, nous avons dîné ensemble dans un Buffalo et parlé boulot 
inévitablement autour d'une bière avant de rejoindre chacun sa chambre. Je garde 
aussi des souvenirs précis de la journée du lendemain à Villeneuve 
d'Ascq, grosse réunion avec l'ensemble de notre direction qui couvre trois 
régions, Nord, Picardie et Champagne-Ardenne, vingt personnes réunies dans une chaleur étouffante, 
bonne ambiance, on est rarement tous réunis. Les photos sont celles du 
retour, je reviens par l'autoroute en direction de Reims. Il y a sans doute 
l'ennui de la route, la chaleur et la fatigue des parlottes de la journée. Mais 
la photographie suivante (la maison au mur décrépi à Fismes) , je suis certain 
que c'était huit jours après, le mercredi 1er juillet, je repartais pour Creil, 
toujours pour le même projet important et reprise de quelques jours d'une vie de VRP.
 Entre, dans l'interstice infime de pixels qui sépare la barrière de sécurité 
d'autoroute et le vieux mur de Fismes, il y a eu une semaine. D'abord deux jours de boulot, une 
réunion le jeudi 25 juin, une conférence téléphonique le vendredi 
26 juin, c'est marqué sur l'agenda. De même que le week-end a commencé par 
l'inauguration du nouvel hôpital de ma ville à laquelle j'étais convié. J'avais 
noté aussi  sur l'agenda, page du dimanche pour ne pas oublier de le faire, qu'il fallait démonter le mitigeur 
défectueux de la salle de bain : c'est fait mais il débloque toujours autant. 
Lundi 29 et mardi 30, travail et sans doute ais-je trouvé des offres d'emploi à 
proposer au salariés de mon entreprise puisque tel est la vocation de mon travail 
de Conseiller mobilité.
   
  
     Mobilité donc 
le mercredi 1er juillet. Pensé à 
photographié un des nombreux cimetières de la Grande guerre dans l'Aisne et 
l'Oise. Hangar, pont et même un moulin aperçu depuis la route. Les distractions 
des heures à rouler ne sont rythmées que par la géométrie clairsemée dans le 
paysage et distillée à travers la télévision du pare-brise. On aimerait parfois 
s'arrêter pour toucher ces édifices, s'assurer que le monde hypnotique de la 
vitesse débouche sur une réalité, possède un but.   
   
 Mais les villages traversés existent bien et les hésitations 
sont concrètes : prend-on  gauche ou à droite ? Beauté des 
arbres, laideur des camions et élégance du hérisson à ne pas écraser en 
traversant le petit village de Barbery dans l'Oise, à la croisée de routes 
improbables et toujours dans la chaleur étouffante et la poussière tremblotante.
   
   
 De la journée, rien photographié du travail : l'agenda m'apprend 
que j'ai rencontré une personne à Creil, trois autres à Beauvais, visites 
entrecoupées d'une réunion pour faire le point hebdomadaire avec l'équipe qui m'accompagne. 
La chambre du B & B de Saint-Quentin m'accueille dans la tranquillité 
retrouvée  du soir : j'aurai une réunion 
le lendemain dans cette ville. L'hôtel est au coeur d'une zone commerciale, 
succession de ronds points, la ville a poussé ses murs comme partout à grand 
coups de consumérisme pour faire croire que la vie c'est cela, une suite 
d'anniversaires de supermarchés à prix imbattables. Mais la mort aussi c'est cela 
: ce cimetière militaire, encore un, placé au bon milieu de la zone commerciale 
et du trafic routier. La ville a rattrapé cet endroit qui devait être pour 
toujours un lieu de recueillement pour les descendants anglais ou américains de 
ces soldats glorieux. Maintenant on aperçoit le toit avec l'enseigne du Buffalo 
derrière les croix blanches. On les a cernées d'un grillage comme si les 
victimes de la Grande guerre allaient s'échapper. On parque ainsi les morts et 
on oublie l'histoire comme on conduit ici les vivants et leurs besoins 
insatiables de consommation.
   
  
     En direction 
de la ville, il faut alors inévitablement longer les pancartes et les entrepôts, 
lisière de la ville, misère d'une voiture carbonisée, symboles de tout un enfer 
où l'homme a vendu son âme au diables marchands pour la faible joie factice 
d'acheter C'est au soir seulement que je rejoindrai le B & B de Beauvais, comme 
au lundi soir de la semaine passée. Pourquoi garde-t-on cette impression que la 
vie est une boucle, que l'on manque d'imagination dans ces villes toutes 
semblables, du nord au sud, de l'est à l'ouest de ce pays ? Aucune surprise, une 
grise uniformité même sous le soleil, l'eau et les routes canalisées, les ronds 
points en guise de choix pour nos vies. VRP comme Voyez ces Ronds Points.   
  
     Je ne sais 
plus si j'ai écrit quelque chose pendant ces jours. Je me suis photographié au 
retardateur, c'est le dernier matin et je suis devant l'écran de mon micro 
portable qu'on voyait déjà allumé sur la photo d'hier, premier réflexe en 
débarquant dans les chambres semblables. Cette photo, c'est histoire de dire que 
j'existe aussi, VRP comme une Vie en Route Professionnelle. Conjuration du sort 
également :  c'est aussi seulement dans ce dernier matin que j'apercevrai 
un cimetière derrière le B & B, sous la cheminée de brique d'un atelier 
improbable. Repos éternel. Un type comme moi, CV comme commis voyageur, remonte 
dans sa voiture bariolée pour une pancarte publicitaire. Fin temporaire de nos 
périples. (24/07/2009) |