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Ajoût
du 28/02/2006 :
merci à Claire, Elise, Anne-Lise, Mathilde et Sophie pour m'avoir envoyé leurs textes.
petite fabrique de temps
atelier décriture du 25/01/2006, Clermont-Ferrand
Introduction :
Ecrire contre loubli est le thème retenu pour ces séances collectives dans
lesquelles je minsère.
Est-ce un thème ? Plutôt une constante, contenue dans lessence même de
lécriture : bien sûr, on écrit toujours contre loubli, ce qui
nempêche pas de balayer quelques idées :
- Contre loubli, la résonance historique :
peut-on par exemple écrire encore après Auschwitz ? La polémique ouverte par Adorno
na pas tué la littérature: oui, on écrit contre loubli.
- contre loubli, la structure même de la langue et de lécrit :
La "langue" se contient par essence dans la "linéarité" du temps
(Saussure, Cours de Linguistique Générale) : chaque mot doit être dit/lu/écrit
dans un certain ordre temporel, mais la possibilité est offerte de revenir en arrière
(remonter le temps) pour lécrit. La langue est fabrique de temps, lécrit est
atelier de mémoire.
- Contre loubli entraine vers "écrire avec loubli".
Etre conscient que cette linéarité de la langue permet à lécriture des
distensions infinies : se focaliser sur un événement, le redire indéfiniment (Proust,
Simon), passer des siècles sous silence, fuir en avant (la SF), écrire sur un instant
infime (19 secondes, Pierre Charras Vers Aubervilliers), ignorer le reste (temps,
lieux
), sinsérer dans un monde fictionnel, sassocier au temps qui passe
(journal de Kafka
)
Bref du temps, des mots
Or, si le thème décrire contre loubli apparaît universel, il me semble
quil faille dans un atelier justement voué à lécriture, peut-être remonter
à la structure de la phrase et distinguer "ce" qui fabrique du temps, de la
dimension temporelle, donc "de loubli"
Jai une phrase type, source à laquelle je reviens toujours : Le chat mange la
souris. Tout est dit
On voit laction, on voit le saut du chat, on connaît
laboutissement, toute cette scène semble se dérouler, comment dire, de façon
"plate", sans relief, dans un espace de gazon délimité. Si je dis "le
chat mange", cest un pré qui souvre devant moi, cest la chasse qui
commence, le temps sen trouve changé. Si je dis "le chat, la souris",
laction entre dans une attente interminable, lunivers des possibles
souvre : la fuite, la chasse
Ainsi, 1°) lécriture nest pas dans les phrases où tout est dit. Elle est
contenue dans les "marges", dans les manques. 2°) le verbe emporte
laction et le temps avec
"Le Fleuve de laction
mapporte les larmes, le sang et la sueur que je ne trouve jamais dans le fleuve de
lécriture. Dans ce nouveau fleuve, jai des rencontres dâme à âme
sans avoir à me soucier des mots. Cest aussi le plus destructeur des fleuves et je
comprends sans peine pourquoi peu de gens sen approchent " Mishima.
1°) Les marges :
La structure même du texte fabrique encore du temps de la dimension temporelle : des
"marges"
Peu de mots peuvent dire beaucoup de choses (haikus, certains poèmes)
Respirations, les marges sont étendues, des plages, une sorte dhorizontalité
De grandes phrases (ou ensembles de phrases) embrassent parfois la terre entière (Proust,
Simon, Sarraute) saturations, à bout de souffle, les marges sont poussées devant:
ouverture, verticalité, vertige (celui que je ressent toujours en lisant Claude
Simon)
Des mise en scène (Duras, Fallet), de la mathématique (Queneau), du catalogue (Perec),
association image-texte, interactivité internet (Tumulte, FBon) contournements,
les marges sont labyrintiques, ouvrent des dimensions.
2°) Les verbes :
Le verbe conduit laction, choisit le repère du temps, décide : lenjeu des
verbes est politique (Central).
La présence de verbes (GV) "forts dans laction" (ou tout serait dit)
réduit les marges : "il avance le long de la promenade (La Réserve)
La présence de verbe "faibles dans laction" augmente la latitude de
pensée :
"Ils sont sans parole
Lhote linvité
et le chysanthème blanc" (Ryôta)
Remarque : la suppression du verbe ne signifie pas la disparition de laction, ni
du temps
"Pauvre gîte
Les gémissements du chien
dans la pluie nocturne" (Bashô)
Autre remarque : un verbe se nourrit de sujets et de conjugaison : bouleverser cela
donne une autre vision
(Central)
Le temps de la lecture :
A la lecture : exercice proposé
sentir les "marges", quels voyages elles offrent, quelles dimensions
"contre loubli".
reperer les verbes, ce quils apportent, leur faiblesse, leurs blessures ouvertes au
temps
"Ils sont sans parole
Lhote linvité
et le chysanthème blanc"
(Ryôta)
"Pauvre gîte
Les gémissements du chien
dans la pluie nocturne"
(Bashô)
"Rien nul
naura été
Pour rien
Tant été
Rien nul"
(Beckett Poèmes)
"Encore le dernier reflux
Le galet mort
Le demi tour puis les pas
vers les vieilles lumières"
(Beckett Poèmes)
"Il tenait une lettre à la main, il leva les yeux me
regarda puis de nouveau la lettre puis de nouveau moi, derrière lui je pouvais voir aller
et venir passer les tâches rouge acajou ocre des chevaux quon menait à
labreuvoir, la boue était si profonde quon enfonçait dedans jusquaux
chevilles maisje me rappelle que pendant la nuit il avait brusquement gelé et Wack entra
dans la chambre portantle café disant Les chiens ont mangé la boue, je navais
jamais entendu lexpression, il me semblait voir les chiens, sortes de créatures
infernales mythiques leurs gueules bordées de rose leurs dents froides et blanches de
loup mâchant la boue noire dans les ténèbres de la nuit, peut-être un souvenir les
chiens dévorant nettoyant faisant place nette : maintenant elle était grise et nous nous
tordions les pieds en courant, en retard comme toujours pour lappel du matin,
manquant de nous fouler les chevilles dans les profondes empreintes laissées par les
sabots et devenues aussi dures que de la pierre, et au bout dun moment il dit Votre
mère ma écrit."
(Claude Simon La route des Flandres)
"Dun rythme lent, elle le dirigeait ici
dabord, puis là, puis ailleurs, vers un bonheur noble, inintelligible et précis.
Tout à coup, au point où elle était arrivée et doù il se préparait à la
suivre, après une pause dun instant, brusquement elle changeait de direction et,
dun mouvement nouveau, plus rapide, menu, mélancolique, incessant et doux, elle
lentraînait avec elle vers des perspectives inconnues. Puis elle disparut. Il
souhaita passionnément la revoir une troisième fois. Et elle reparu en effet, mais sans
lui parler plus clairement, en lui causant même une volupté moins profonde. Mais rentré
chez lui il eut besoin delle, il était comme un homme dans la vie de qui une
passante quil a aperçue un moment vient de faire entrer limage dune
beauté nouvelle qui donne à sa propre sensibilité une valeur plus grande, sans
quil sache seulement sil pourra revoir jamais celle quil aime déjà et
dont il ignore jusquau nom."
(Marcel Proust, Un amour de Swann)
"Lui : Rien. Tu nas rien vu à Hiroshima.
Elle : Jai tout vu. Tout
Ainsi lhôpital je lai vu. Jen suis
sûre. Lhôpital existe à Hiroshima. Comment aurais-je pu éviter de le voir ?
Lui : Tu nas pas vu dhôpital à Hiroshima. Tu nas rien vu à
Hiroshima
Elle : Je nai rien inventé.
Lui : Tu as tout inventé.
Elle : Rien. De même que dans lamour cette illusion existe, cette illusion de ne
jamais pouvoir oublier, de même jai eu lillusion devant Hiroshima que jamais
je noublierai. De même que dans lamour."
(Marguerite Duras, Hiroshima, mon amour)
"Déménager.
Quitter un apprtement. Vider les lieux. Décamper. Faire place nette. Débarasser le
plancher.
Inventorier ranger trier classer
Eliminer jeter fourguer
Casser
Brûler
Descendre desceller déclouer décoller dévisser décrocher
Débrancher détacher couper tirer démonter plier couper
Rouler
Empaqueter emballer sangler nouer empiler rassembler entasser ficeler envelopper protéger
recouvrir entourer serrer
Enlever porter soulever
Balayer
Fermer
Partir"
(Georges Perec, Espèces despaces)
"Le roi de la pampa retourne sa chemise
pour la mettre à sécher aux cornes des taureaux
le cornédbîf en boîte empeste la remise
et fermentent de même et les cuirs et les peaux
Je me souviens encor de cette heure exeuquise
les gauchos dans la plaine agitaient leurs drapeaux
nous avions aussi froid que nus sur la banquise
lorsque pour nous distraire y plantions nos tréteaux
Du pôle à Rosarios fait une belle trotte
aventures on eut qui s'y pique s'y frotte
lorsqu'on boit du maté l'on devient argentin
L'Amérique du Sud séduit les équivoques
exaltent l'espagnol les oreilles baroques
si la cloche se tait et son terlintintin
______
Le vieux marin breton de tabac prit sa prise
pour la mettre à sécher aux cornes des taureaux
le chauffeur indigène attendait dans la brise
il chantait tout de même oui mais il chantait faux
Je me souviens encor de cette heure exeuquise
où venaient par milliers s'échouer les harenceaux
il grelottait le pauvre aux bords de la Tamise
lorsqu'on voyait au loin flamber les arbrisseaux
L'Amérique du Sud séduit les équivoques
exaltent l'espagnol les oreilles baroques
si l'Europe le veut l'Europe ou son destin
Enfin on vend le tout homards et salicoques
les Indes ont assez sans ça de pendeloques
l'écu de vair ou d'or ne dure qu'un matin"
(Raymond Queneau, Cent mille milliards de poêmes)
"Ils semblaient sourdre de partout, éclos dans la
tièdeur un peu moins moite de lair, ils sécoulaient doucement comme
sils suintaient des murs des arbres grillagés, des bancs, des trottoirs sales, des
squares.
Ils sétiraient en longues grappes sombres entre les facades mortes des maisons. De
loin en loin, devant les devantures des magasins, il formaient des noyaux plus compacts,
immobiles, occasionnant quelques remous, comme de legers engorgements.
Une quiétude étrange, une sorte de satisfaction désespérée émanaitdeux. Ils
regardaient attentivement les piles de linge de dExposition du Blanc imitant
habilement des montagnes de neige, ou bien une poupeé dont les dents et les yeus à
intervalles réguliers, sallumaient, séteignaient, sallumaient,
séteignaient, sallumaient, séteignaient toujours à intervalles
identiques, sallumaient de nouveau et de nouveau séteignaient.
Ils regardaient longtemps, sans bouger, ils restaient là, offerts, devant les vitrines,
ils reportaient toujours à lintervalle suivant le moment de séloigner. Et
les petits enfants tranquilles qui leur donnaient la main, fatigués de regarder,
distraits, patiemment, auprès deux, regardaient."
(Nathalie Sarraute, Tropismes)
Le temps de lécriture :
A laide des exemples ci dessus, construisez un, plusieurs textes en essayant de
sentir les "marges" (vos marges de manuvres) :
- rédaction dun haiku (scène de votre vie, du quotidien par exemple) ou
dun poème court donnant lillusion de peu de choses racontées
remarque : faire un haiku chaque matin (dans sa tête ou lieux sur le papier, avant
de se lever ou après) sur des sensations éprouvées cest un exercice doux, un
étirement un peu comme le Tai chi chuan de lesprit
rédaction de cette même historiette ou dune autre en
jouant sur les verbes (liste des verbes que jutilise pour venir ici par
exemple
)
- Redaction dune phrase longue ou dun ensemble de phrase donnant un effet de
saturation
- Une mise en scène, vision particulière, procédé destiné à entraîner le lecteur
dans une vision "labyrintique"
Retour au temps de la lecture, mais de vos textes !
Ajoût du 28/02/2006 :
merci à Claire, Elise, Anne-Lise et Mathilde pour m'avoir envoyé leurs textes.
Claire Bonneton
Une croix,
Chaque jour.
Tu crois qu'il reviendra un jour?
Encore une fois,
Désolée.
Avec toute mon amitié.
Développée
Encadrée
Finira rageusement déchirée.
S'effondrer, puis briser arracher frapper hurler
Supplier promettre accuser défier maudir
Argumenter charmer caresser toucher rester
Abandonner accepter essayer dépasser pardonner oublier
Décider avancer sortir rencontrer
recommencer
Elise Canaple
Un pot
Limage à lintérieur
Pour faire venir loubli
Il parade, il sagite, ne boit pas son café,
il sautille, il minaude, le café sera froid,
il donne du coude, de lillade, il allusionne, il sillusionne,
cest lours de la foire, le lion du pauvre cirque.
Il a les jambes en lair, jouant au bon acteur, en faisant les cents pas,
il pose son gobelet ;
dans un instant, il montera, il sautera, refera cent un pas,
il trace, retrace, écrit, récrit, couvre, recouvre,
mais neffacera pas,
il reprend son gobelet ;
cest le montreur de puces, le chalant de braderie.
Mais la foire est finie, le cirque démonté, les puces sont rangées, la braderie
terminée.
Il écrase son gobelet, séclabousse de café.
Anne-lise Dupuy
Prendre le sac
Mettre toutes mes affaires en boule
Et cest parti.
Le miaulement du chat
Et la sonnerie du téléphone
Que personne nentend.
Choisir la destination.
Le voyage va durer trois semaines.
Sélectionner.
Faire des tas.
Laver, repasser puis classer.
Garder ou remettre dans le placard.
Réfléchir, chercher, trouver et le ramener à côté du lit.
Ranger, démonter, reranger.
Pousser, tasser, forcer, serrer.
Fermer et attacher le tout.
Soulever, poser, fermer.
Démarrer.
Rouler, retrouver les autres.
Monter dans le train.
Décoller.
Décharger.
Chercher.
Profiter.
Mathilde Taconnet
Leau partout
En dessous autour
Levant les yeux, le ciel
Marcher arriver
Enlever ses chaussures
Se brûler les pieds
Se poser
Déplier faire tomber enlever
Ajuster le maillot étaler la crème
Avancer sentir le sable
Risquer un pied
Etre mouillé grelotter
Respirer se lancer
Sélancer courir éclabousser
Etre immergé nager
Sarrêter continuer aller plus loin
Ne plus voir personne souffler
Faire la planche
Rien
Planer profiter ne plus bouger
Se concentrer éprouver leau
Lever les yeux voir le ciel.
Sophie Prevost
Un regard, un sourire,
Un instant, puis plus rien
Que le souvenir, et loubli,
Déjà.
Paroles en lair, ça doit faire des heures, regard à ma montre -35 minutes à
peine- de quoi parle-t-il déjà, rien dintéressant visiblement, un regard au
tableau : rien, un regard alentour : visages fermés, bâillements étouffés, bribes de
conversations, rien sur la physique, pas de circuits ampères résistances ou autres mots
barbares inventés je pense que pour nous inspirer la souffrance et langoisse.
Retour à ma feuille blanche, hésitation, puis un dessin, puis deux, puis tant que la
feuille se noircit, se colore plutôt, un hérisson, une grenouille, une sonnerie, un
sourire, un soupir, personne ne bouge, encore une heure.
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