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Bestiaire domestique
14/01/2011
: chez l'incontournable Brigetoun, ce bel article
03/07/2009_:_Le_Magazine_des_livres_n°_18,_la_sélection_dAnnick_Geille
18/05/2009_:_Article_de_Philippe_Annocque,_Hublots_
10/05/2009_:_BRUITS_DE_PLUME,_François,_Patrick_et_les_autres..._par_le_Dauphiné_Libéré_
O2/05/2009_:_Ces_drôles_de_bêtes,_article_de_Jocelyne_Rémy,_du_Bien_public
27/03/2009 : Article_du_Magazine_littéraire
15/03/2009 : article_du_Magazine_du_Dimanche,_Journal_de_la_Haute-Marne
13/03/2009 : article_de_Bertrand_Puysségur,_La_Croix_Haute-Marne_
06/03/2008 : L'attente-l'oubli,_librairie_Larcelet_à_Saint-Dizier
05/03/2009 : Ouest_France
24/02/2008 : Liste_des_animaux_du_bestiaire_et_pourquoi
22/02/2009 : Explications_sur_le_titre
20/02/2009 : découvrez
la couverture !
15/01/2009 : Quatrième_de_couverture_de_Bestiaire_domestique
06/01/2009 : Argumentaire_pour_Bestiaire_domestique
Mai 2008 - janv 2009 : Notes_et_allusions_à_Bestiaire_domestique_dans_Feuilles_de_route
03/07/2009
: Le Magazine des livres n° 18, la sélection dAnnick Geille, choix de livres
pour lété et reproduction de la nouvelle Merle-pie.
Thierry Beinstingel, auteur de Bestiaire (Fayard) ne fait que de bonnes
rencontres : des animaux. Léthologie nourrit en effet son septième livre. Cette
cosmogonie poétique met en scène chats, lapins, taupes, grues cendrées, en quarante et
une séquences dévolues aux acteurs imprévisibles de nos existences, les vivants non
humains. « Animal, mon prochain », disait en 1998 et avant tout le monde Philippe
Descola, grand maître de lanthropologie au Collège de France. Fils spirituel de
Claude Levy-Strauss et écrivain, il déclara, dans sa leçon inaugurale historique
: « Notre singularité par rapport au reste des existants est relative, tout comme est
relative aussi la conscience que les hommes sen font. » Malcom de Chazal avait
raison. Et Thierry Beinstingel aussi, qui comprend la profondeur des cervelles
doiseaux.
18/05/2009 : Article de Philippe Annocque, Hublots
la vie, détails dans le décor, article de Philippe Annocque dans ses hublots. Très fier de cette note de lecture de
l'auteur de Liquide, tout juste paru.
Au fond, la vie est ce qui nous intéresse. On ne parle guère que de ça.
Le travail lui donne une forme : rectangulaire, et même une épaisseur : celle infime de
la page. Cette réduction de la vie réduite au CV, cétait le sujet du précédent
livre de Thierry Beinstingel au titre oxymorique, CV roman. Avec Bestiaire domestique, le
fond du sujet reste le même la vie de quoi parler dautre ?
cest langle dapproche qui diffère. Car la vie est aussi dans le décor,
un décor toujours façonné par lhomme, celui de la ferme de lenfance
(lapins) enfance éphémère (vaches, poules) ; un décor humain où plus tard à
loccasion surgit la vie encore qui souvent échappe à lattention de
lhomme : chevreuils aux abords des champs, sanglier sur la route du VRP, pigeons
nouveaux venus avec la grande entreprise qui sérige en voisine imposante, pigeons
toujours aux fenêtres de la même où maintenant lon travaille, pigeons encore sur
les toits de ses bâtiments désaffectés, en attente dun rachat la vie du
travail aussi est une vie éphémère. Et cest donc bien une vie qui se dessine :
enfance, adolescence amoureuse, baccalauréat quon rate ou pas, entrée dans la vie
active, enfance dune nouvelle génération avec forcément les poissons rouges, les
chats qui se succèdent. La vie dun « on » qui nest pas celui de la
connivence, mais plutôt celui dune singularité discrète, comme effacée au profit
du décor quotidien que trop souvent on néglige de voir, une singularité qui avec le
temps saffirme parfois dun « je » fugitif. La même chose encore que dans le
livre précédent, seul que jai lu mais à en croire les Feuilles de route de
lauteur cest vrai aussi des précédents, avec un auteur qui sest comme
déplacé par rapport à son objet, histoire den montrer dautres faces,
lesquelles en effet échapperaient trop facilement à un regard distrait.
10/05/2009 : BRUITS DE PLUME, François,
Patrick et les autres... par le Dauphiné Libéré
Dans une des nouvelles du recueil intitulé "1974", Patrick Besson se flatte de
n'avoir pas cédé aux sirènes de la modernité : il rédige ses articles au stylo ; un
coursier du journal vient ensuite les récupérer. « C'est comme ça que François
Mauriac travaillait pour « Le Figaro » en 1965 », rappelle-t-il fièrement.Mauriac,
Besson... De prime abord le rapprochement semble surréaliste. À la réflexion, quelques
liens de parenté s'esquissent. Voilà en effet deux critiques de télévision. Deux
"grands blablateurs" toujours prêts à « attraper avec des mots tout ce qui
passe à la portée de leur long nez de rusés des lettres ». Qu'espérer de leurs
"plateaux télé" ? Des idées ? Non. Seulement « des considérations vagues,
des réminiscences incongrues, des curiosités malsaines ».Mais revenons-en au
nouvelliste Besson. Avec "Ce dimanche las" dont il a déjà été question, il
propose une variation sur le thème du retour au domicile depuis longtemps déserté. Il
se trouve que sur le même sujet Paul Andreu vient de bâtir "La maison" : un
roman d'une finesse et d'une pudeur bouleversantes. Qui n'a pas encore eu le bonheur de
découvrir cette merveille viendra sans peine à bout de "Ce dimanche las".Les
autres nouvelles du recueil de Patrick Besson entraînent le lecteur de la Grèce aux
Etats-Unis et de Nice à l'Europe de l'Est, dans un patchwork qui dissimule précieusement
sa logique interne. Thierry Beinstingel a pour sa part adopté le parti pris opposé : son
"Bestiaire domestique" rassemble, comme on s'y attend, des histoires d'animaux.
Pas n'importe lesquelles cependant. Des histoires capables de faire renaître des
"mondes disparus". Des histoires qui disent les failles dans la tête des hommes
d'aujourd'hui. Avec en prime un clin d'il à Maurice Genevoix.
02/05/2009 : "Ces drôles de bêtes", article de Jocelyne Rémy, du Bien public
Suivez le guide et savourez sans modération ce bestiaire tendre et
poétique. Thierry Beinstingel parle des animaux que nous croisons. Il parle, en fait,
surtout de nous, encore de nous, toujours de nous, pauvres humains. Voleur de poule ou
tueur de lapin, nous le sommes tous un peu, et parfois même chasseur de chat ou gardiens
de poisson rouge. Quant à fêter son bac au milieu des vaches, pourquoi pas ? A chaque
fois, loccasion est prétexte à une courte scène de vie, dune saynète au
goût denfance et dherbe tendre : « On arriverait dans ce coin perdu. Le
moyen na pas dimportance, accroché aux beaux jours et au guidon-bracelet de
la Honda 125 K3 ou roulant vitres ouvertes au volant dune R5 à deux portières. ».
Lanimal devient secondaire, loccasion dun souvenir. Lessentiel est
ailleurs. Et pourtant, cest par ce biais animal que limprévu se déclenche,
la poésie sintercale : « Mais demain, demain au grand jour, les protubérances
terreuses seront mouillées de rosée, rafraîchies, comme neuves. ». Le monde
sinstalle doucement et le lecteur avec ! Né à Langres en 1958, Thierry Beinstingel
signe avec ce Bestiaire domestique son septième ouvrage.
Article du
Magazine littéraire, avril 2009, dossier « Lesprit des bêtes », récentes
histoires naturelles :
Quarante et un textes minuscules récits ou poèmes-
traversés çà et là par les animaux familiers les plus divers qui passent et repassent
: 10 pigeons, 3 chats, 2 chiens, 2 poissons rouges, des cochons, des lapins, des crabes,
etc. Au total, si le compte est bon, 23 espèces, de la larve au sanglier ; des bêtes
discrètes dans tous les sens du terme, qui ne jouent pas toujours les stars, mais qui
perturbent souvent la causalité narrative. Bref, la revanche de lindompté sur le
prévisible.
Article du Magazine du Dimanche, Journal de la Haute-Marne, 15 mars 2009 :
Thierry Beinstingel, né à Langres en 1958, continue de construire une
uvre. Avec ces quarante et un textes réunis en un seul volume, les animaux
noccupent pas de place centrale, contrairement à ce que pourrait évoquer le titre,
mais ils sont présents, et même parfois très présents. Cochons, lapins, pigeons,
poules, poisson rouge (une scène denterrement hallucinante) et même larves et
mites défilent dans cet étonnant recueil qui parle surtout des hommes.
Vendredi 13 mars 2009,
article de Bertrand
Puysségur, La Croix Haute-Marne :
(Bertrand Puysségur
est l'auteur du blog le bragard primitif )
Bête décriture.
Thierry Beinstingel sort un nouveau roman. Bestiaire domestique est une rencontre avec nos
animaux de compagnie qui ne cesse détonner lauteur par leur comportement
imprévisible. Mais ces animaux sont-ils différents de nous ?
Thierry Beinstingel a la mine enjouée. Il est devant son public devant le petit bar de la
librairie Larcelet. Cet écrivain haut-marnais de 50 ans né à Langres mais
aujourdhui bragard vient présenter les nouvelles pages de son bestiaire. Edité
chez Fayard le Bestiaire domestique sinscrit dans une longue tradition littéraire.
Lécrivain explique que cest Maurice Genevoix, une référence commune
quil a avec Miche Bernard, qui lui a donné envie de sattaquer au genre.
Cest sous la forme de quarante et une nouvelles que lauteur pose son regard
sur ces animaux qui « font partie du décor ». Pourtant leur présence nest pas
aussi envahissante que cela. Thierry Beinstingel naccorde pas une place
nécessairement centrale aux bêtes. Ils sont là et traversent « seulement notre
quotidien ». Ce sont des moments quil qualifie « dimprévisibles », qui
nous rappellent leur présence et leur différence. Cette différence tient à ce que
précisément le sauvage ne se réduit pas à une règle de la sociabilité humaine. «
Les animaux nous surprennent parce quil ne sont pas nous », répond lauteur.
Il y a quelque chose qui nous déstabilise car un élément résiste à lhumanité
dans lanimalité. « Les animaux, soit on les domestique, soit ce sont eux qui nous
domestiquent », reprend-il. Chien, chat, oiseau
sont les témoins de notre
environnement. Que va faire le chevreuil au bord de la route au moment où je le croise.
Ce chien qui aboie en pleine nuit nous fait-il peur ou nous rassure-t-il ? « Dans ce que
nous croyons maîtriser, ils apportent de limprévu », insiste Thierry Beinstingel.
Son animal préféré reste le chat parce quil est à la fois imprévisible,
indépendant et domestique. Au contraire, il ne supporte pas les chiens, « trop proches
de lêtre humain ». Son livre, il laura écrit très rapidement en quelques
semaines lannée dernière et en se souvenant quil vient de la campagne et que
son grand-père fut porcher. « On a perdu notre animalité », assure-t-il sans regret.
Sa relation avec les animaux semble pourtant parfois presque fusionnelle. En lisant les
bestiaires de Maurice Genevoix il a eu « limpression de partager lexistence
de chaque poisson, mammifère ou insecte. ». Comme si le langage de lécrivain
était capable de parler le chien ou le chat.
Vendredi
6 mars 2009, L'attente-l'oubli, librairie Larcelet à Saint-Dizier :
Rencontre, lecture : lire et voir sous toutes les
coutures.
(Photos également en page webcam du
13/03/2003)
Ouest
France, jeudi 05 mars 2009
Animaux
"Petit livre curieux à glisser dans sa poche pour méditer en
voyage : il s'agit d'une quarantaine de textes plus ou moins animés par une présence
animale. L'homme a beau s'être installé au sommet du règne animal, sa vie reste
rythmée par toutes sortes de petites bêtes..."
Bestiaire domestique, par Thierry Beinstingel. 200 pages. 15 .
Liste des
animaux du bestiaire et pourquoi
Des cochons, des lapins, des poules, des vaches, un âne, des chiens, des
chats, des poissons rouges, des pigeons, deux chauve-souris, des oiseaux, des têtards,
des taupes, une carpe invisible et un crabe symbolique, des mites et des larves, des grues
cendrées et des chevreuils, un sanglier solitaire, un tatou mais toujours pas de
raton-laveur, aurait dit Prévert. Tous domestiques, y compris le tatou exotique, les
chevreuils dans nos verts pâturages, le hasard du sanglier au ras du capot de la voiture.
Les animaux de la ferme ramènent à lenfance : sans doute sommes-nous la dernière
génération à avoir eu des grands-parents proches de la terre avec tout ce qui
colonisait les jardins : taupes souterraines, têtards en sous-marins dans les fontaines.
Cela forme des cercles dans nos mémoires et dans lespace : au premier cercle, ceux
qui vivent chez nous, chats, chiens ou poissons rouges, les effrontés qui aimeraient y
rentrer et qui frappent au carreau comme les pigeons insolents de nos lieux de travail.
Tous sinvitent dans nos vies, le temps dune vie déphémère ou le choix
délibéré dun compagnonnage de quinze ans avec un chat, à portée de caresse ou
dans lextrême champ de vision comme ces grues cendrées devinées dans le
crépuscule : dernier cercle. Cest le hasard sans doute qui limite la liste
animalière : on pourrait dresser une liste à la Buffon, cent fois plus complète.
Cest le hasard donc qui a composé ces 41 histoires, certaines se répètent à
linfini du quotidien, selon des cycles secrets que nous ne pouvons maîtriser : un
merle chante au cur de lhiver. Les animaux sont comme nous : impatients de
lavenir, vivants.
Quatrième de couverture de Bestiaire domestique
Dans ces quarante et une histoires, les animaux
noccupent pas nécessairement une place centrale. Pourtant, quils traversent
seulement le récit ou sy complaisent longuement, ils nous sont familiers. Nous les
croisons tous les jours sans y prendre garde, ils font partie du décor, rythment notre
vie. Un poisson meurt, un chat nous attend, un pigeon passe au milieu dune journée
de travail, un
chevreuil simmobilise au bord dune route et ce chien qui aboie en pleine nuit
nous replonge en enfance. Dans ce que nous croyons
maîtriser, ils nous apportent limprévu. Ils sont la revanche de lindompté
sur le prévisible, de Vendredi sur Robinson. Lapprivoisé se rebiffe,
lombrageux sort de lombre.
Tendre et drôle, lauteur renouvelle avec bonheur le genre du bestiaire pour mieux
parler de lhomme.
Argumentaire
pour Bestiaire domestique, remis aux représentants de Fayard le 6 janvier
2009.
« J'ai des chats sauvages plein la bouche »
Blaise Cendrars
On dit que le genre du bestiaire au Moyen-âge était dattester de la présence
divine à travers les animaux. Maintes fois utilisée par de nombreux auteurs et à toutes
époques, cette caractéristique angélique a fini par tomber en désuétude. Darwin est
passé par là et cest tant mieux pour la vérité scientifique : lhomme a
classifié lévolution ; il sest ainsi couronné au sommet du règne animal.
Lorsque jai lu il y a longtemps sur une plage de Corse les Bestiaires de Maurice
Genevoix, jai découvert un monde moins doctoral et plus harmonieux : javais
lexacte impression de partager lexistence de chaque poisson, mammifère ou
insecte. A cette époque, je nécrivais pas encore mais jai été conscient du
choc de cette lecture. Cétait exactement cette écriture que je voulais produire,
quelque chose de précis qui vienne me capturer, me ravir comme un lecteur-oiseau enfermé
un bref instant dans une cage. Et puis menvoler : juste sentir le goût de la vie
farouche et de la liberté retrouvée.
Contrairement aux Bestiaires de Maurice Genevoix, dans les quarante et un textes que je
propose, les animaux noccupent pas de place centrale. Ils sont indomptables : ils
traversent parfois juste le récit ou sy complaisent longuement ; ils peuvent être
minuscules ou exotiques mais ils rythment tous les événements de la vie et font toujours
partie du décor parmi les hommes.
En cela, ce Bestiaire domestique est dans la continuité de ce que jai publié :
nous évoluons dans un univers qui se déduit de notre environnement. Comme dans Paysage
et portrait en pied de poule, nous pouvons être délaissé au milieu une campagne
primitive ou comme dans Central, Composants ou CV roman, la société du travail nous
façonne. Mais ces milieux que nous maîtrisons se dérobent souvent : les animaux, par
excellence, nous apportent limprévu. Un pigeon passe au milieu dune journée
de travail, vous apercevez un chevreuil au bord dune route et ce chien qui aboie au
milieu de la nuit rappelle votre enfance.
Après tout, écrire un bestiaire aujourdhui nest pas si éloigné que la
démarche ancienne : la présence divine est remplacée par une absence magique dans ce
partage universel que lon croyait ordonné.
Explications sur
le titre
Bestiaire domestique : quelqu'un à
qui j'expliquais mon livre me rétorqua : "je n'aime pas trop les histoires
d'animaux". Le bestiaire est un repoussoir, qui plus est, la platitude écourtée de
l'adjectif apparaît banale avec un côté "popote". On imagine quelque ennui
ménager. Pourtant dés que j'ai choisi ce titre, je n'en ai voulu aucun autre. Oui,
bestiaire et un adjectif en réponse à Tendre bestiaire de Maurice Genevoix. Oui
l'adjectif domestique et qui m'a fait immédiatement penser à Marguerite Duras, la vie
matérielle, sans faconde, sans élan, sans esbroufe. Non pas une simplicité mais au
contraire le désir de glisser ces histoires devant le lecteur comme dire, voilà ce que
j'écris, voilà le monde comment je le vois, il n'est pas différent du tien, nous le
regardons de la même façon. C'est aussi un Portrait de l'écrivain en animal
domestique cher à Lydie Salvayre et c'est toute l'ambiguïté que construit
l'adjectif domestique. Que domos en soit la racine et qu'elle véhicule avec toute
l'antiquité grégaire : l'homme, les champs, l'élevage, la ferme. Il ne me gène pas que
le nom associé à l'adjectif représente le serviteur. Domestique : être attaché à une
maison, avoir un lieu qui fournit vie et subsistance. Un mouvement donc : ramener à la
maison et bonjour veau, vache, cochon, couvée. Domestique est
d'abord un lieu avant d'être un état : quatre murs au sein desquels la vie s'astreint à
demeurer, se perpétrer, celui qui s'en rapproche, de quelle espèce animal soit-il, le
sait par instinct. C'est cette dualité qui m'intéresse. Humain, nous ne possédons qu'un
seul regard vainqueur : celui qui juge et reconnaît l'animal. Pourtant, même domestiqué
à fond, il nous échappe, même suspendu et à deux doigts d'être occis, le lapin tire
sa révérence : nous ne sommes pas de la même espèce, on ne pourra jamais savoir. La
sauvagerie reprend ses droit et dans ce sauvage est contenu tout ce qui n'est pas nous,
qui vit et qui demeure à jamais libre indépendamment de nous. Le sauvage de l'animal
devient domestique de son plein gré : il suffit de bâtir une maison et, sans votre
permission, des pigeons s'y installent, une souris grignote dans votre garde manger.
Domestique est réversible et égalitaire : chacun chez soi. C'est un état sans
contrainte, contrairement à l'apprivoisement qui suppose une relation. Le renard et le
Petit prince de Saint Exupéry représentent un apprivoisement mutuel et utopique : ça ne
se passe jamais comme cela dans la vraie vie. Créer une relation c'est déjà subordonner
un autre à soi. Je préfère le lieu domos au privatus de l'apprivoisé qui a déjà
presque un goût de chemin privé et de voie sans issue.
Notes et allusions à Bestiaire domestique dans Feuilles de
route
Avant la publication, j'aime à me souvenir des allusions
à l'écriture en cours, inévitablement évoquée dans Feuilles de route. Voici
quelques morceaux choisis :
02/05/2008 (Notes d'écriture): "le refus en janvier d'un nouveau manuscrit est déjà un vieux souvenir
(pas même mauvais en plus). J'ai remis le couvert sous la forme d'un Bestiaire. On verra
ce que ça donne, ces histoires où les pigeons voisinent avec des lapins et des poules.
J'ai déjà la somme de soixante pages. Je pense fournir un bon début pour mon éditrice
en juin. C'est étonnant, pas forcément bucolique, ça se tient plutôt bien."
21/06/2008(Notes d'écriture) : article de
Blaise Cendrars, paru dans Der Sturm à propos de La Prose du Transsibérien et
de la Petite Jehanne de France : c'est dans cet aricle que j'ai puisé l'épigraphe de
Bestiaire domestique (en souligné).
" Je ne suis pas poète. Je suis libertin. Je n'ai aucune méthode de travail.
J'ai un sexe. Je suis par trop sensible. Je ne sais pas parler objectivement de moi-même.
Tout être vivant est une physiologie. Et si j'écris, c'est peut-être par besoin, par
hygiène, comme on mange, comme on respire, comme on chante. C'est peut-être par instinct
: peut-être par spiritualité. Pangue lingua. Les animaux ont tant des manies !
C'est peut-être aussi pour m'entraîner, pour m'exister - pour m'exister à vivre, mieux,
tant et plus !
La littérature fait partie de la vie. Ce n'est pas quelque chose "à part". Je
n'écris pas par métier. Vivre n'est pas un métier. Il n'y a donc pas d'artistes. Les
organismes vivants ne travaillent pas. Je n'aime pas la sueur de mon front malgré les
avis salutaires d'un livre par trop fameux. Il n'y a pas de spécialisations. Je ne suis
pas hommes de lettres. Je dénonce les bûcheurs et les arrivistes. Il n'y a pas
d'écoles. En Grèce ou dans les geôles de Sing-Sing, j'écrirais tout autrement. J'ai
fait mes plus beaux poèmes dans les grandes villes parmi cinq millions d'hommes - ou à
cinq mille lieues sous les mers en compagnie de Jules Verne, pour ne pas oublier les plus
beaux jeux de mon enfance. Toute vie n'est qu'un poème, un mouvement. Je ne suis qu'un
mot, un verbe, une profondeur, dans le sens le plus sauvage, le plus mystique, le plus
vivant.
La Prose du Transsibérien est donc bien un poème, puisque c'est l'oeuvre d'un
libertin. Mettons que c'est son amour, sa passion, son vice, sa grandeur, son vomissement.
C'est une partie de lui-même. Son Eve. La côte qu'il s'est arrachée. Une oeuvre
mortelle, blessée d'amour, enceinte.
Un rire effroyable. De la vie, de la vie. Du rouge et du bleu, du rêve et du sang, comme
dans les contes. J'aime les légendes, les dialectes, les fautes de langage, les romans
policiers, la chair des filles, le soleil, la tour Eiffel, les Apaches, les bons nègres
et ce rusé d'Européen qui jouit goguenard de la modernité. Où je vais ? Je n'en sais
rien puisque j'entre même dans les musées. Quant à mes moyens, ils sont inépuisables :
je suis né prodigue.
Le chat domestique a le pelage soyeux ; son échine est souple, électrique ; ses
pattes sont bien armées, ses griffes fortes ; il saute sur la proie qu'il convoite. Mais
le chat sauvage saute bien mieux : il ne manque jamais son coup. J'ai des chats sauvages
plein la bouche.
Voilà ce que je tenais à dire : j'ai la fièvre. Et c'est pourquoi j'aime la
peinture des Delaunay, pleine de soleil, de ruts, de violences. Mme Delaunay a fait un si
beau livre de couleurs que mon poème est plus trempé de lumière que la vie. Voilà ce
qui me rend heureux. Puis encore, que ce livre ait deux mètres de long ! - et encore, que
l'édition atteigne la hauteur de la tour Eiffel !
... Maintenant il se trouvera bien des grincheux pour dire que le soleil a peut-être des
fenêtres et que je n'ai pas fait mon voyage..."
28/06/2008 (Notes d'écriture) :
"Cette semaine je me létais promis comme la semaine précédente
dailleurs et jai fait le compte du temps passé pour le boulot : 48
heures en 5 jours avec un pic mercredi, allez va, à peine 15 heures ce jour là, mais
jai pris trois quart dheure aussi pour manger le midi et jai juste
parcouru 650 km. Quel rapport avec lécriture ? Tout : le temps qui file, les
fichiers ouverts pour glaner ça et là une phrase que jaurais lidée
décrire mais non, rien ne vient car on passe du coq à lâne, ce qui pourrait
être une bonne chose pour qui tente en ce moment décrire un bestiaire. Mais
jai aussi dautres chats à fouetter : mémoire de Master à terminer dans une
semaine.[...] Je ne remets pas en cause ces choix que jai fait, vivre de tout et
tout vivre, oui cest bien mais cest harassant, arasant, arroseur arrosé que
je suis, vivre de tout et limpression parfois de ne rien retenir, se retourner
hagard au milieu dun couloir : quest-ce que jétais parti chercher ? se
perdre au milieu dune réplique : quest-ce que je voulais te dire ? réagir
dans les oublis : il faudra penser à, (il faut absolument
est la phrase qui me fait
le plus peur : ça veut dire pas le droit à lerreur, se souvenir
obligatoirement
). Jai mes méthodes : agenda pour tout noter, un micro
portable toujours ouvert, une connexion au monde en permanence, le téléphone portable
dans la poche. Wififil à la papatte. Bon chien, bon chien : la semaine prochaine, ce sera
combien dheures avant de rentrer dans ta niche ? Pendant ce temps-là, ton bestiaire
ne sécrit pas
Quoique
"
22/08/2008 (Notes d'écriture) : " L'imposture dans le domaine
universitaire fait l'objet d'une traque permanente. Domaine de l'inquisition, cet aspect
se révèle vite étouffant. Mais il a aussi ses qualités : ne pas parler de tout et de
n'importe quoi, ne pas parler sans savoir. Ce qui provoque aussi le culte du secret : ne
pas tout dire, garder aussi quelques découvertes et réflexions pour soi : savoir sans
parler. Monde énervant donc, clos et qui se mord la queue. Mais qui avance tout de même,
qui réfléchit et pas seulement comme synonyme de miroiter, qui recherche aussi.
Peut-être alors ce qui me gêne dans la perte de ma "propre écriture", c'est
de perdre un statut d'écrivain, au sens de romancier, de fabriquant de texte de fiction,
ne plus pouvoir me citer dans cette acception. Plus j'en prends conscience et moins ça me
freine pour continuer les deux, verser vers le travail de recherche universitaire mais
aussi poursuivre ces élans de créativité d'écriture comme par exemple ces histoires de
bestiaires qui traînent depuis quelques mois mais qui ressortent régulièrement de leurs
terriers."
03/10/2008 (Notes d'écriture) :" L'errance dans une de ces antichambres qui suivent
la rentrée est forcément incomplète et mouvante (et le sera toujours car l'antichambre
marque par son étymologie l'inverse du repos et de la stabilité) et il me faut toucher
d'autres objets, caresser par exemple d'un geste négligeant mais sensuel tel bibelot
posé sur un guéridon et qui, pour la circonstance, pourrait revêtir l'apparence d'un
animal empaillé, comme un renard portant une caille dans sa gueule, où une belette
hissée de façon incongrue sur une branche, voire encore un de ces grand oiseau comme une
outarde qui, posée par terre, vous arrive presque jusqu'au menton (la outarde me monte au
nez...). Tout cela pour dire qu'en ce moment je reprends ces fameux bestiaires, en
essayant de réserver dans un emploi du temps où parcourir chaque latte de plancher de
cette antichambre prend un temps infini, réserver donc chaque jour une poignée de
minutes souvent matinale pour l'alliance de mes carpes et de mes lapins."
28/11/2008 (Notes d'écriture) : "Jai remis hier
par mail à 19h22 à mon éditeur un recueil de quarante et une nouvelles sous forme
dun bestiaire. Le manuscrit compte 166 426 signes, ce qui formerait, en cas
dacceptation, un bouquin denviron 140-160
pages dans un format habituel. Comme jen ai pris lhabitude, jai noté
les lieux de lécriture, les dates de début et de fin : « Saint-Dizier, 1°
février 2008 26 novembre 2008 ». En réalité, la première date est celle du
dernier enregistrement de ma première version qui comptait déjà trois textes. Jai
donc commencé la rédaction de ceux-ci dans la dernière semaine de janvier, soit juste
après le jour même où javais appris que le précédent manuscrit avait été
refusé (notes décriture du 20/01/2008). Que cette nouvelle ait été positive ou
négative na pas influencé cette écriture à venir. Jai cette manie depuis
les premières publications : je ne peux rester plusieurs jours sans écrire, du moins me
projeter dans un nouveau récit. Dailleurs, jai déjà réfléchi à autre
chose depuis quelques jours dans lachèvement de ce bestiaire. Je nai pas eu
le temps de formaliser cette idée dans un début, je ne sais pas dailleurs si le
ferai mais lesprit sest mis en route comme une mécanique étrange et bien
huilée.
Parler du contenu de ce bestiaire me paraît prématuré. Je nen ai pas envie, de la
même manière que le précédent navait pas été davantage évoqué, ne le sera
pas à moins dun revirement de publication et qui ne me traverse même pas
lesprit. Cest ainsi. Je suis né pour écrire en ininterrompu et publier en
pointillé. Le continuum de lécriture se manifeste de cette manière curieuse et
précise : savoir quand et à quelle heure je remets un manuscrit, savoir où et quand je
lai écrit, le baliser par dautres éléments, nombre de caractères,
projection en nombre de pages
etc. De celui-ci par rapport aux précédents, que
peut-on en dire ? Quest-ce qui change ? Il a été écrit en un seul endroit, à mon
domicile et dans mon bureau, ce qui est plutôt rare car je profite souvent de mes lieux
de vacances pour compléter un texte en cours. Mais cet été, celles-ci ont été
dévolues exclusivement à la préparation dun mémoire de Master que je défendais
en septembre. Bien entendu, les deux cents jours décriture ont été discontinus.
Les premières pages démarrent généralement très rapidement mais la vie qui mange tout
se charge rapidement de diluer les bonnes résolutions de régularité dans un emploi du
temps débridé. Jai particulièrement été gâté cette année, de février à
juin, mes Feuilles de route ont dailleurs pas mal pâti à cette époque de
mises à jour irrégulières : six au total jusquen mai, du jamais vu, alors que
lhabitude hebdomadaire, reprise depuis, demeure une règle à peu près suivie
depuis huit ans. Bref, cette irrégularité ma pesé et cette difficulté
davancer sur ce bestiaire jalonne dailleurs les notes de cette rubrique cette
année (les 02/05, 28/06, 22/08, 03/10). Enfin, voilà qui est fait, tant je considère
quenvoyer un récit terminé ou plutôt ici une série de textes cohérents
participe à cet équilibre incroyable et ce constat inouï qui se vérifie à chaque fois
: lécriture repousse comme une plante en pot."
28/11/2008 (Etonnements) : " Il est évidement drôle de visiter un festival consacré à la photo animalière
quand on vient tout juste de terminer une série de nouvelles sous forme dun
bestiaire (voir en Notes décriture). Je ne fais pas le lien tout de suite.
Dabord, trouver une place pour se garer dans ce dimanche matin glacial, se repérer
dans la multiplicité des lieux dévolus à la manifestation. Le festival de Montier
existe depuis douze ans. Idéalement situé à proximité des grands lacs du Der et de la
forêt dOrient, il sinscrit avec naturel dans un lieu fréquenté par nombre
damateurs venus admirer les grues cendrées et les nombreuses espèces
doiseaux migrateurs qui font escale ici entre Scandinavie et Andalousie. Au fil des
éditions, il a assis sa réputation internationale et accueille plusieurs dizaines de
milliers de visiteurs. Le gros bourg pousse ses murs, réquisitionne la moindre salle
communale, des entreprises prêtent leurs hangars, on installe des chapiteaux pour
répondre au nombre toujours plus croissant dexposants. Il faut un week-end entier
pour faire le tour de la quarantaine dexpositions réparties sur une dizaine de
sites, regarder les milliers de clichés, tous magnifiques, participer aux débats, aux
conférences, aux présentations.
Je ne fais pas le lien toute de suite, donc, entre lécriture à peine achevée de
mes histoires danimaux et les premières photographies que je regarde. Que ce soit
les bois enchevêtrés dun troupeau de rennes comme une forêt vivante ou larc
gracieux et coloré dune fragile libellule isolée, tout ici nous surprend dans un
esthétisme souvent patient. On sait que certains clichés sont le fruit parfois de
plusieurs jours dattente, plusieurs mois de préparation. On se laisse glisser dans
ce compagnonnage de mammifères, doiseaux, poissons ou crustacés, parfois si
proches de ce quon connaît. Là, cest un chevreuil aperçu dans un champ lors
dun trajet en voiture et cest exactement cette image quon aurait voulu
se fixer en mémoire. Ici, cette coccinelle si insignifiante sur un brin dherbe
apparaît douée dune vie minuscule que naurait pas renié Pierre Michon.
Voilà, le lien est fait entre photographie et écriture. On retrouve ici, exactement ce
quon a voulu y mettre dans les nouvelles tout juste terminées. Notre façon de
regarder ce monde sauvage, inconnu, dans lequel on ne pourra jamais pénétrer, qui nous
heurte dans notre manière de tout nous approprier. Chaque animal, si domestique soit-il,
possède cette part de mystère, ce glissement vers la fiction en miroir de notre propre
existence et cest sans doute cela que jai tenté dévoquer par écrit.
Les affûts patients des photographes animaliers, les préparations longues et minutieuses
participent du même élan, se projeter et, à travers la petite seconde déternité
chère à Prévert et à Doisneau, raconter sa vie finalement dans linstantané
dun cliché. Vincent Munier et son voyage au Kamtchatka ou Michel Loup (un nom
prédestiné) en photographiant la vie à fleur deau dans nos étangs en racontent
autant quun poète."
12/12/2008 (Notes d'écriture) : " Est-ce leffet du
bestiaire récemment proposé à mon éditeur ? Je me pose parfois la question de
lanimal le plus adapté à lécrivain. Parmi nos compagnons domestiques, le
chat se taille la part du lion, si je puis dire. Que ce soit Rroû
de Maurice Genevoix, Bonnot celui de René Fallet
ou ceux de Brassens et de Prévert aussi, les matous sont
souvent plus présents dans la vie réelle ou imaginaire des
écrivains et des poètes. Il ny a quà voir celui qui sallonge
négligemment sur le bureau de Lemployée aux écritures, Martine Sonnet, auteur du
très beau livre Atelier 62 (note de lecture du 25/07/2008).
Donc, « Jai des chats sauvages plein la bouche » comme disait
Blaise Cendrars. Les chiens sont ainsi les parents pauvres dans la grande animalerie de
lécriture. Pourquoi le chat mieux que le chien ? On peut supposer que son esprit
dindépendance, sa façon dêtre présent en faisant
semblant ne rien faire, son don pour la contemplation ressemble évidemment plus à
lactivité artistique et à la recherche de l'inspiration,
tandis que le chien, son côté lèche-bottes, bon toutou à sa mémère,
plaisir immédiat et satisfaction basique est plus éloigné. Quoique, dans le
monde commercial du livre où on évolue, bien quon sen défende, ce type de
comportement est sans doute assez similaire avec lattitude du chien : parfois
lédition ressemble à « va chercher la baballe » quand il sagit de
sacrifier à la mode en cours.
Va pourtant pour le chat, mettons quil soit plus courant chez
les écrivains. Que faire de son chien mort, alors, comme dirait lami François Bon
? Il est vrai quil na pas de chance, lanimal.
Domestique, le voici paré dun caractère servile. Sauvage, le chien rappelle notre
peur du loup et il na pas le beau rôle dans le monde de la fiction : Combat de
nègres et de chiens fut le titre dune pièce de Bernard-Marie Koltes et Céline était bien inquiétant quand il vivait à Meudon au milieu
de ses chiens. Pourquoi imagine-t-on plus Hemingway avec des chiens
plutôt quavec des chats ? Voilà une
question intéressante. Je connais un écrivain qui na pas su choisir et qui
possédait chat et chien, les deux vivant ensemble dans une
parfaite harmonie philosophique. Jai même proposé dadopter un jour ce beau
dalmatien lorsque cet auteur partit sinstaller à létranger. Il a trouvé un
autre foyer et mon chat na pas eu à partager sa gamelle avec cet encombrant
voisinage. Sans doute est-ce mieux ainsi, je suis vraiment plus chat que chien. Jai
prononcé le mot de philosophie et je crois que le nud du problème est là. Il faut
une sacrée philosophie pour pouvoir sadapter à deux animaux aussi contraires.
Après tout, ce serait peut-être cela le secret du bien-écrire.
Laissons le principe de réalité aux chiens, toujours près à rester prosaïque et terre
à terre et lavancée fictionnelle à ces aventuriers de chats : au final on obtient
peut-être un roman complet. Mais tout cela n'est que comparaison
qui nest pas raison, on le sait bien, et imitation réciproque : on se nourrit à la
fois de lair dindépendance de nos chats et nos chiens nous renvoient à nos
propres aboiements. Ainsi l'imitation, la mimesis
au sens de Platon et dAristote avait déjà planté le décor. Platon se
méfiait comme de la peste de la mimesis, cette
représentation erronée de la réalité mais Aristote y trouvait lélan dun
nouvel art poétique. Platon était ainsi, plus dans le dressage du chien et dans son
utilité sans fantaisie : chacun chez soi et les vaches seront bien gardées en quelque
sorte. Aristote est plus tenté par lexpérience : il jette un chat au milieu de la
pièce et regarde le désordre qui sen suit.
Décidément, je me sens quand même plus proche dAristote."
19/12/2008 (Notes d'écriture) : " Allez, je le
dis ! Je suis heureux, heureux parce que mon septième (huitième ?) livre va paraître.
Cest le cinquième chez Fayard et cest pour le printemps prochain. On en
reparlera et je ferai un dossier prochainement sur ces nouvelles en forme de bestiaire.
Le premier réflexe est de constater « un de plus », comme si une sorte de logique
comptable semblait prendre le pas sur la réalisation. En réalité, cest sans doute
une manière de marquer lavancement de lécriture dans le doute permanent
quelle suscite. Au bout du cinquième chez le même éditeur, on a lespoir
ténu de représenter, sinon une valeur marchande, a minima une estime de principe
qui aide à répondre à la sempiternelle question : au bout de combien de livres
devient-on écrivain ? "
09/01/2009 (Notes d'écriture) : "
Notes décriture expéditive car la tendance est à la rapidité. Cest ce que
déclare mon éditrice ce mercredi 7 janvier : de toute ma carrière, je nai jamais
publié un livre aussi vite... En effet : manuscrit terminé le mercredi 26 novembre et
envoyé par mail le jour même, message (enthousiaste !) reçu lundi 8 décembre,
acceptation définitive jeudi 11, argumentaire pour les représentants élaboré le
vendredi 12, réception et retour pour signature des contrats la semaine suivante,
proposition et choix des mises en page le 18 décembre, proposition et choix de la
couverture (magnifique !) le 6 janvier, participation à la réunion des représentants
mercredi 7 pour préparer la parution en mars. Je suis ressorti également le même jour
avec les premières épreuves, donc exactement 42 jours après avoir fini ce manuscrit
agencé en 41 nouvelles.
Retour des premières épreuves corrigées dans huit jours. Lenfant se présente
bien, ce n'est pas un prématuré malgré sa précipitation, il est dodu à souhait, pèse
190 pages, ce sera un petit trapu, format 120 x 185. A suivre..."
30/01/2009 (Etonnements) : "Au boulot, je partage un bureau avec une
collègue. Situé sous les combles dun vaste bâtiment, dans une aile quasi vide, on a parfois le sentiment dune île déserte, dun havre
de paix ou dun exil ennuyeux selon lhumeur. Bureau de passage pour les nomades
que nous sommes, nous y restons peu de temps. Un jour où jy travaillais tout seul,
jai entendu dans le grand silence juste rythmé par le cliquetis du clavier de mon
ordinateur portable, un petit bruit ténu qui semblait venir de larmoire derrière
moi, un frottement, un froissement de papier. Jai tout de suite pensé à une souris
installée dans la tranquillité de notre grenier. Jai remué quelques dossiers, je
mattendais à voir une petite boule grise filer à travers la pièce mais il ne
sest rien passé. Et le bruit na plus recommencé. Quelques jours plus tard,
jai évoqué cette anecdote à ma colocataire qui a fait le rapprochement avec une
pomme quelle avait retrouvé grignotée (celles délicieuses de mon verger,
jen apporte toujours quelques unes). Bref, en fouillant plus dans nos armoires, nous
avons aperçu quelques traces de notre hôte. Nous
avons aussi retrouvé les gestes et la mémoire collective
de chasse à la souris : on garde toujours une tapette, inusitée depuis
des lustres mais qu'on sait toujours retrouver, va savoir pourquoi, le genre d'objet qu'on
se transmet au gré des occasions similaires dans l'entourage familial, petit piège à
ressort qu'on essaie enfant en y introduisant un crayon à papier, histoire de voir.
Je me souviens dailleurs de deux amis à Toulouse (il y a trente ans) qui avaient
pris loption dapprivoiser la souris domiciliée dans leur buffet parmi les
pâtes et les biscottes, plutôt que de la décapiter ainsi.
Lépilogue de lanecdote est original : la tapette est
restée amorcée avec son petit morceau de fromage mais nous avons
retrouvé la souris allongée au pied dune troisième armoire, morte de faim
probablement.
Jaurais pu intégrer cette historiette à mon Bestiaire domestique. Les
développements peuvent être multiples et source dune belle inspiration.
Lendroit isolé de ce bureau au grenier comme révélateur de la course et de
lévolution incessante de nos métiers, limmuabilité de ce combat pour vivre
une telle île déserte entre les Robinsons que nous sommes et la petite souris-Vendredi,
confrontée au même problème. On peut aussi errer vers dautres contrées, vers les
archives grignotées dans les armoires, tout ce que lon a entassé et qui semblait
si important et stratégique pour lentreprise quelques années auparavant. On peut
dériver vers lanalogie entre la souris informatique et celle faites
de vrais poils, chemins aléatoires de petits pas contre trajets numérique sur les
pixels de nos écrans, même quête de vie dans lépaisseur dInternet ou dans
lespace bien réel. On peut aussi partir vers la nostalgie, mes vingt ans à
Toulouse et ces deux compères qui métaient sorti de lesprit et qui
reviennent dans ce souvenir intact et précis du rongeur quils tentaient
dapprivoiser.
Qui sait, je ferai peut-être une nouvelle de tout cela, tant limaginaire semble
riche et simplement par le truchement dune petite souris
grise. De la même manière, cest dailleurs cet impromptu sauvage de la vie
qui a guidé lensemble de ce Bestiaire domestique. Le lieu de mon bureau au
quatrième étage y est dailleurs présent en filigrane à travers dix histoires sur
les quarante et une mais le lien animal y est représenté par des pigeons (dont on
imagine aussi les prolongements ambigus entre ces lieux du travail, pigeons et salariés
interchangeables
).
« Les animaux, par excellence, nous apportent limprévu », ai-je écrit dans un
argumentaire destiné aux représentants de ma maison dédition. Je ne savais pas en
rédigeant cela, combien ce petit imprévu
continuerait de travailler les mêmes lieux comme une mise en abyme permanente du texte."
Exactement 98 jours après avoir déposé le manuscrit...
... parution le 4 mars 2009
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