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Par tradition et avec plaisir, j'inaugure à
chaque livre une page Internet, sorte de dossier relatif à la publication
actuelle. Selon l'inspiration, je peux reprendre les notes afférentes à
l'avancement du projet, déjà publiées dans Feuilles de route, mais pour
ce texte en élaboration depuis 2004, fort de 22 versions, les allusions sont
diffuses... Je préfère ajouter quelques éléments neufs, comme ce bréviaire des
cinquante_variations_sur_les_initiales_CV qui figure dans le roman...
Articles, presse :
Article_de_Marianne_25_au_31_août_2007_:_Ces_romanciers_qui_démasque_le_néolibéralisme
Article_de_Jean-Philippe_Dubosc,_Courrier_Cadres_du_21_juin_2007_:_
Article_des_Inrockuptibles_du_21_au_27_août_2007_:_Tendance_07,_le_boulot..._
Article_d'Hubert_Arthus,_Rue89_du_23/08/2007_:
Article_de_Page,_N°_de_septembre_2007,_de_Jean-Philippe_Bailey
Article_de_La_Croix_de_la_Haute-Marne,_07/09/2007,_par_Gil_Melison-Lepage.__
Article_d'Hubert_Artus,_La_NVO_(Nouvelle_Vie_Ouvrière)_du_5_octobre_2007_:
Article_du_13/10/2007,__blog_Bibliocake_:
Article_de_Marie_Signoret,_L'Humanité_du_18_octobre_2007_:
Article_du_Blog_de_Nicolas_Morin,_le_20/10/2007
Article_et_interview_du_Matricule_des_Anges,_par_Jérôme_Goude,_Septembre_2007
Article_de_Regards,_Novembre_2007
Article_dans_Le_Monde,_22/11/2007,_Christine_Rousseau_:
cinquante variations sur les
initiales CV
Le CV est une chose vue.
Curriculum Vitae abrégé dun CV, dun commun vulgaire.
CV comme crier dans le vent, cambouis et vanité, conseiller et
visionnaire, casquettes et visières
etc, etc
CV comme colportages vigilants
CV consultable à vue
CV comme connaître sa voie
CV, comme commence ta vie à lendroit ou subit la vaste comédie à
lenvers,
oui, nos CV devenaient des creux visibles
CV, Cest ma Vie dont je parle,
CV comme courber les verbes.
CV comme on converse
CV comme carré véritable.
Le CV devient inutile, remplacé par cette coutume vieillotte de la
connaissance vitale.
CV comme canular vilain.
CV comme Conserver ta Vanité.
CV comme courte vie
comme convenu, voici votre CV
CV comme Cest Vrai.
les mots ça se retourne contre vous.
CV comme collègues variés, corps vivants,
CV comme convaincre et végéter encore ici pour une peine indéterminée.
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CV comme une coquille vide.
CV comme cramer une voiture.
CV comme courir en vain.
CV comme conserver valeur de représentation.
jeter dans la fosse aux CV de communes valeurs.
CV comme conscience dêtre VIP.
CV comme courage et volonté.
CV comme conversation vaine.
CV comme cauchemars, chimères véritables.
Mon CV ? Mais il est comme le vôtre
CV, caché, vide.
CV comme chaises visiteurs :
CV, compactage de valeurs, chute de vies,
CV comme se convaincre du vrai.
CV comme avoir trop cadré nos vies
CV comme cogner son visage
CV comme côté verso
CV comme crever et végéter.
CV comme carton vide
CV comme un crawl sans vagues
CV comme crayons variés.
CV comme cours-y vite.
CV comme croisières et voyages, cargo ventrus, candides voiliers.
CV. Continuer. Voguer. |
Article de Jean-Philippe Dubosc, Courrier
Cadres du 21 juin 2007 :
Le jugement premier, roman. Comment une banale
feuille A4 peut-elle résumer une vie professionnelle ? Cette question constitue
l'idée de départ du sixième et dernier livre de Thierry Beinstingel. Il est bien
placé pour y répondre : à côté de son travail d'écrivain, il exerce le métier de
Conseiller en mobilité à la DRH d'un opérateur Telecom. Alors des Cv, il en lit
toute la journée. A ces yeux, ce document relève d'un exercice périlleux
puisqu'il doit refléter le parcours, par définition, unique du candidat tout en
s'intégrant dans un cadre hyper normé. A défaut de divulguer des astuces sur la
rédaction de CV, l'ouvrage nous plonge dans l'univers du Conseillee en mobilité,
sa satisfaction lorsqu'un candidat trouve un job et sa colère quand il décèle
les subterfuges utilisés pour masquer les trous et autres accidents de carrière.
D'où l'interrogation de l'auteur : les conseillers en mobilité se
prendraient-ils pour Dieu ?
Article d'Hubert Arthus,
Rue89 du 23/08/2007 :
http://www.rue89.com/2007/08/23/rentree-litteraire-le-roman-francais-se-remet-au-travail
La semaine dernière, nous
signalions la présence de plus en plus grande du
réel dans la fiction littéraire française. Cette rentrée
en est le témoin. Le phénomène saccompagne fort
logiquement du retour dun thème que seule la
littérature policière continuait de traiter (bien que
moins souvent quelle ne le fit par le passé): le milieu
du travail.
Dans une France où le chômage et la précarité
deviennent une peur, voire une norme pour toute une
génération, traiter adroitement du travail, sans pour
autant être en retard sur la société, voilà qui pourrait
presque paraître osé.
Mais qui convient parfaitement pour, aussi, mettre en
perspective les dégâts du libéralisme actuel (on lira à
ce sujet "Portrait de lécrivain en animal domestique",
le nouveau roman de Lydie Salvayre, sur lequel on
reviendra). Nous sommes dans une France où l'un des
fantasmes est de "travailler plus pour gagner plus", ne
loublions pas.
Ainsi, plus de dix ans après "Extension du domaine de
la lutte", de Houellebecq, et alors que des auteurs
comme François Bon, Frédéric Fajardie, François Salvaing
continuaient à parler de leurs ateliers décriture en
milieux défavorisés dans leurs livres, le travail
revient en France. Dans la fiction.
Un roman construit comme un curriculum vitæ :
expérience, formation, loisirs...
Ainsi, "CV roman", de Thierry
Beinstingel. La voix principale du roman est celle dun
"conseiller en mobilité", cest-à-dire "vendeur de
candidats, acheteur demplois, mais là encore la
terminologie marchande pouvait choquer". Lauteur
pratique le même métier que son personnage, pour France
Télécom, à Saint-Dizier.
Thierry Beinstingel, dont cest le sixième ouvrage,
avait par deux fois mené ses fictions dans le milieu de
travail en France: "Central" et "Composants", tous deux
parus chez Fayard. Les deux montraient une dimension que
lon retrouve ici: une littérature sous contrainte,
péréquienne. "CV roman" est construit comme un
curriculum vitæ: expérience, formation, loisirs,
situation sont des chapitres thématiques qui
senchaînent et se relaient.
Ce qui permet de rendre les angles précis,
tranchants, tout en nous faisant découvrir à chaque fois
une autre facette de son personnage. Et surtout, chaque
chapitre renouvelle lapproche que Beinstingel propose
sur son propre thème. Par exemple, se tenir et se
présenter aux entretiens dembauche.
Notre narrateur travaille dans une multinationale, et
son rôle de chasseur de têtes et de formateur lui est
dautant moins facile quil doit composer avec le
contexte de "flexisécurité" à luvre dans sa société.
Cette "flexisécurité", "sorte dalliance secrète entre
la précarité des nouveaux emplois qui se profilaient
maintenant et le mot de 'sécurité' quasi antinomique
avec cette instabilité" est érigée en dogme menaçant.
Notre monde, rendu dans sa dimension la plus
sèche
Cela ne vous rappelle rien? Entre les SDF, le piston,
le rôle positif de la colonisation française, les
chantages patronaux divers (délocalisation,
flexisécurité donc), le roman baigne dans un réalisme
qui paraît apocalyptique. Mais qui nest que notre
monde, rendu dans sa dimension la plus sèche par un
langage ciblé, aux antipodes de toute écriture trop
"tertiaire" (domaine où travaillent lauteur et son
narrateur).
Par exemple encore, écrire un CV. Etre très précis
sur soi-même, et très vite. Mais, en allant à
lessentiel de "ce qui peut servir" (expérience), dit-on
exactement ce quon sait faire (formation)? Qui on est
(situation)? "CV roman", cest aussi le roman dune
époque où la part des ménages sans emplois a doublé, où
"lexpérience professionnelle ne constitue plus
lélément fédérateur dun CV".
Dans une France où le CV anonyme fait débat, un roman
(cest-à-dire un monde, des personnages qui sont des
métaphores de ce monde, et un monde qui est la métaphore
de la réalité), un roman sur les curriculum vitæ vaut
son pesant dintérêt.
Dans un monde où le texte doit être toujours plus
court, efficace, et aller à lessentiel (comme
dailleurs, ici même, sur Rue89), le romancier ne
doit-il pas lui-même se poser la question de la
métaphore, de la digression, du rythme syncopé
et de
leur utilisation?
"CV comme Courber les Verbes"
Ce qui se déroule sous nos yeux ici, cest aussi
cette question que se pose le romancier du XXIe siècle.
Romancier, notre narrateur lest aussi, et essaie de sy
astreindre le plus possible en dehors de son travail. De
son emploi. Ainsi, les chapitres intitulés "Loisirs"
sont narrés par "Je est un autre". Qui, donc, est
écrivain. Publie des romans. Vit en ménage. Et va
travailler comme tous ceux qui ont un travail.
Pour lui, un CV résume moins un homme dans la vie
quun personnage dans un roman. Car mine de rien, ce à
quoi Beinstingel nous invite est une réflexion sur la
construction et la psychologisation dun personnage. Et
la naissance dun roman: "CV comme Courber les Verbes",
dit-il.
Roman puissamment ancré dans le réel (le travail dans
la "France daprès") et récit de réflexions sur lordre
du discours et sur lidentité, ce "CV roman" a toute sa
place dans la rentrée littéraire. Et dans les étagères
de la bonne fiction française daujourdhui. Il se lira
idéalement avec un étonnant premier roman américain sur
lequel nous reviendrons ici: "Open Space" de Joshua
Ferris (Denoël)
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Article des Inrockuptibles du 21 au 27 août 2007 : Tendance 07, le boulot...
.Une brochette de roman explorent la vie de
bureau et les questions d'embauche : un symptôme ? La tendance pointait son nez
l'an dernier. La voilà confirmée : cette rentrée signe le retour du travail dans
la littérature, une grosse dizaine d'années après Extension du domaine de la
lutte, de Michel Houellbecq et les exprimentations de la revue
Perpendiculaire (dont l'écrivain fut membre et dont l'un des fondateurs
Laurent Quinteau a amorcé le renouveau du thème lors de la rentrée 2006 avec son
roman Marge brute). Signalons quatre romans qui sortent ces jours-ci :
Au bureau de la belge Nicole Malinconi (éditions de l'Aube), CV de
Thierry Beinstingel, Tribulations d'un précaire de l'écossais Liain
Levison et Open Space de l'américain Joshua Ferris. Si différents soient
ces romans et quelque soit la nationalité de leur auteur, on retrouve
quelque-uns des sujets abordés par Houellebecq and Co, comme le rapport au
langage ou la manière dont toute entreprise semble se donner pour but de laminer
la subjectivité de l'individu. Thierry Beinstingel, qui construit son roman
comme un CV (formation, expérience, loisirs, situation) et Joshua Ferris, dont
tout le livre 'est écrit à la première personne du pluriel, sont ceux qui
fouillent le mieux ces questions, en leur donnant une place centrale dans leurs
dispositifs formels. Mais il y a au moins un lien frappant entre ces quatre
livres : tous ont pour arrière-plan, la précarité et la peur des
restructurations qui, ces dernières années, ont tenu lieu, partout dans le monde
occidental, de management. R.L.
Article de Marianne 25 au 31 août 2007 : Ces
romanciers qui démasque le néolibéralisme (extrait)
Profession Outplacer : Lorsque la brutalité du
monde du travail est affrontée en face, des TEC (tics d'écrivain compulsionnel)
de considérations socio-économiques viennent grever le récit. Les sentiment se
réifient, le style se raréfie. Thierry Beinstingel, pour son premier ouvrage, CV
roman, tenait pourtant un beau sujet. Ce jeune auteur est conseiller en mobilité
de formation, titre ronflant qui cache une réalité plus triviale :
officiellement, il est chargé d'aider les futurs licenciés à retrouver du
travail. Officieusement, il incarne la bonne conscience des entreprises et vend
un peu d'espoir aux salariés plus résignés que révoltés : nous nous sentions
creux, confie le narrateur, tout juste avions-nous pu glaner les mot
d'outplacement, outplacers, des metteurs en dehors, voilà ce que nous aurions pu
être le temps de quelques mois, avant qu'une nouvelle mode linguistique ne
vienne renouveler la formulation de notre nouveau métier(...) Bref, nous étions
ici pour apprendre à mettre dehors nos collègues - nous préferions dire plus
modestement : aider à chercher du boulot ailleurs, donner un nouvel élan à leur
vie professionnelle. De cette expérience, il a tiré un roman dont la trame
se nourrit d'une idée singulière, notre Curriculum Vitae est le roman troqué de
notre vie. Le narrateur est chargé d'aider un salarié non qualifié à retrouver
du travail. Mais le récit s'enlise trop souvent dans des variations
sociologiques sur nos Curriculum Vitae. C'est ce qui fait la force d'un CV :
voir d'avance ce qui fut fait, en un seul regard, sur une seule page. CV comme
connaître sa voie, retour à l'expérience. Ou encore, Cv comme Conserver
valeur de représentation. CV roman est un genre hybride dont le titre
résonne comme une dénégation : l'auteur se rassure en y mêlant fiction et leçons
de choses, petites annonces, chiffres. Un collage de la réalité sociale sur la
fiction alors que la force de son récit suffirait amplement.
Article de Page, N° de septembre 2007,
de Jean-Philippe Bailey
Nous avons tous un CV. On est (naît) tous
demandeur demploi. Pour les employeurs et leurs recruteurs, nos vies sont
résumées sur une page de 21x29,7 cm, normée, codifiée : état civil, formation,
expérience professionnelle, loisirs
Dits et non-dits voisinent sur ce petit
rectangle ; nous sommes figées dans cette pseudo-objectivité de papier dans le
but de décrocher un travail (un métier ?), garant de la cohésion sociale, de la
sécurité, servitude volontaire, condition dite nécessaire à notre
épanouissement, essentielle à notre survie, valeurs (toujours ?) fédératrice
dans une société om les maîtres mots sont flexibilité, mobilité, reconversion,
reclassement, plan social, chômage, précarité. Trop longues litanies,
souffrances, errances. Cv roman redonne du corps à nos histoires individuelles
et collectives. Il répond par lonctuosité et la malice des mots et du texte à
la sécheresse du CV. Il raconte pour ne pas laisser le terrain à la vétusté
constitutive dun CV, Chemin de Vie au singulier pour nos vies multiples. Les
chapitres sont vifs, courts, CV roman est une suite à plusieurs voies (voix) qui
fait écho à la gravité de nos vies et qui stigmatise nos petites lâchetés
quotidiennes et nos concessions spontanées au discours dominant des profiteurs.
Roman réaliste dans la mesure où il nous ramène dans le réel, tentative de
reprise de conscience. Derrière lapparente légèreté de la prouesse Oulipienne
pointe labsurdité du travail servant la logique du marché, du contrat social et
de ses clivages patron/ouvrier, pauvre/riche, travailleur/chômeur, entretenus
par le cynisme des entreprises et des dirigeants. Thierry Beinstingel travaille
« dans les télécommunications » et exerce actuellement de métier de conseiller
en mobilité dans un service de ressources humaines.
Article de La Croix de la Haute-Marne, 07/09/2007, par
Gil Melison-Lepage.
RENTREE LITTERAIRE : CV Roman
Avec ce troisième volet dune trilogie débutée avec « Central » en 2000, Thierry
Beinstingel renoue avec la littérature dentreprise quil affectionne tant et
dont il sest fait le porte-parole talentueux. Regard acerbe et tendre,
décortiquant la réalité en la saupoudrant de fiction, utilisant différents
moyens narratifs, tour à tour Je ou un Autre - lauteur, conseiller de carrières
depuis 2003 dans un service de ressources humaines - met en scène lexistence
dune foule de personnages qui, à travers leur propre CV, sont les véritables
conteurs de ces destins croisés. Par approches scénographiques brutes, par
envolées poétiques, par touches discrètes comme il en a le secret, imposant ce
rythme lent quil a, au fil des ouvrages, développé, Thierry Beinstingel fait
pénétrer le lecteur dans ces vies laborieuses, parfois brisées, casées, souvent
plus riches denseignement quil ny paraît. Absurdité dune société décomposée,
recomposée, à la fois déshumanisée et pourtant bienheureuse.
Mais comment construit-on les 350 pages dun roman en partant de la brièveté de
la page 21X29.7 dun C.V. ordinaire ? Comme le concède lauteur : « en écrivant
20 versions différentes au cours de deux années décriture. Architecturé autour
des quatre rubriques dun CV (expérience professionnelle, formation, loisirs,
situation) qui se succèdent 13 fois, cest un large roman baroque qui se veut
une vision optimiste du monde du travail et, par extension de notre vie
actuelle, quotidienne » Quelques clins dil à la Haute-Marne, quelques jeux de
mots émanant de ces deux lettres : CV (comme carton vide ou comme courrier en
vain), invitent le lecteur, curieux-voyeur, à Continuer, Voguer
(rentrée
littéraire Fayard 350 pages, 20 )
Article d'Hubert Artus, La NVO (Nouvelle Vie Ouvrière) du 5 octobre 2007 :
La fiction française en plein travail (extrait)
"Histoire et réel sont les deux grands vainqueurs de la rentrée littéraire
française de 2007. C'est un bon signal politique, au moment où la France entre
dans une période où le libéralisme se voit proposer plus de facilités encore.
C'est surtout un signe social et culturel fort : le roman français vient donner
son avis. ça n'est pas encore un mouvement dominant, mais il gagne du terrain.
Ainsi on constate un nombre grandissant de romans qui dissèquent le libéralisme
"visible" : travail, chômage, précarité, peurs quotidienne. Comme si, dans une
France où l'un des fantasmes est de "travailler plus pour gagner plus", la
fiction voulait prendre l'impossible slogan au pied de la lettre. Afin d'y
gagner plus.
.../... Lydie Salvayre et Thierry Beinstingel, quant à eux, visent le coeur du
Moloch libéral. Portrait de l'écrivain en animal domestique montre une
Lydie Salvayre provocante, farceuse, mais aussi très immergée dans son
sujet.../... Ce travail de miroir entre dissection du réel social et réflexion
littéraire se retrouve dans CV roman, de Thierry Beinstingel. La voix
principale du roman est celle d'un "conseiller en mobilité", c'est à dire "vendeur
de candidats, acheteurs d'emplois". L'auteur pratique le même métier que son
personnage, à Saint-Dizier. Si Lydie Salvayre ausculte le patronat global,
Beinstingel dissèque l'emploi local. CV roman est construit comme un
curriculum vitae : expérience, formation, loisirs, situation sont des chapitres
thématiques qui s'enchaînent et se relaient. Beinstingel construit devant nous
ses propres personnages, en même temps que la métaphore qu'ils sont destinés à
devenir pour le lecteur. In fine, après avoir atteint le nerf de la fFr(ance
au travail - et surtout en recherche de travail - Beinstingel, loin d'oublier
que le fantasme est au coeur du CV anonyme, offre une puissante réflexion
d'écrivain sur la construction d'un personnage. D'une identité banale (un CV),
Beinstingel tire une fiction ultraciblée."
Article
du 13/10/2007, blog Bibliocake :
" Cv Roman : J'ai tenté les 50 premières
pages... Alors le gars il sait écrire, du style faire de belles phrases bien
profondes, bien creusées, bien réfléchies...Tout ça sur un cv. 300 pages ? ouais
pas loin. La forme est trop parfaite. Rien ne colle avec. De l'effet de style
pour de l'effet de style. Peut-être que je me trompe. Peut-être que l'auteur
avec rellement quelque chose à dire. Peut-être que la laannnngueur et le
tarabiscotage étaient justifiés par rapport au fond, finalement... Mais au bout
de 6035 pages, désolée. Je décroche. " (bibliocake)
Article de Marie Signoret,
L'Humanité
du 18 octobre 2007 :
Le cuivre
séveille clairon, le travailleur chômeur.
Réalisme . Un conseiller en mobilité
qui écrit des CV et un roman.
"Une entreprise sur le point de
fermer ses portes, une équipe de conseillers en mobilité
chargés de replacer tous ces employés quasi-chômeurs, de les
aider à forger leur CV. Et un homme, à la fois CMR
(conseiller en mobilité référent) et écrivain - à limage de
Thierry Beinstingel, lauteur de CV roman, qui travaille
dans un service de ressources humaines - qui voit en tous
ces CV de la matière romanesque. Comme Balzac voulait faire
« concurrence à létat civil » avec sa Comédie humaine,
Beinstingel semble vouloir faire concurrence aux piles de CV
entassés sur les bureaux des RH avec CV roman. À chacun son
époque.
Après Central et Composants, CV roman est le troisième volet
dune série sur le milieu du travail pour Beinstingel. CV
roman, roman extension du CV (auquel on donne aujourdhui
une dimension mystique, vrai sésame pour trouver du
travail), mais qui tente de dire ce qui nest pas dans le
CV : les émotions, la vraie vie. Comme ce jeune homme mort
dun accident de la route alors quil entamait sa première
année de BTS. Sur son CV, il ny aura jamais d« expérience
professionnelle », ironie tragique.
Que dit un CV ? Le parcours dune vie ? Alors Beinstingel
esquisse le CV dArthur Rimbaud : « Expérience
professionnelle : été-automne 1874, poète à Roche,
publication dUne saison en enfer. Compétences : capacité à
gérer un projet, qualités rédactionnelles, culture générale
et orthographe, résistance au stress et à la solitude. »
Retournement des valeurs, absurdité : le marginal Rimbaud
doté dun CV terre à terre
Cest pourtant la posture du
narrateur, à la fois écrivain et CMR, mais les frontières
sont poreuses : quand le CMR retouche le CV dun candidat,
ajoutant du sport ici, du cinéma là, nest-ce pas un travail
de romancier ? « Pâte à modeler, reformation », explique le
narrateur. « Ce nest plus de la formation que lon propose
aux candidats mais de la reformation, les candidats
deviennent des personnages. Parallèlement, la littérature
elle-même est envahie par la rhétorique CMR : Central,
Composants, CV roman. Trois est un chiffre explicatif,
lumineux, pédagogique. » Car il y a une dimension
pédagogique dans ce roman, comme dans les deux autres :
description dune époque, du monde du travail dans toute sa
violence, dans toute son absurdité, dans tout son malaise ;
irruption du réalisme.
Crise de lidentité : que devient lindividu fictionnalisé
par son CV ? Formation, expérience professionnelle, loisirs,
divers : lindividu ne peut sappréhender que facette par
facette, selon des critères normés. Lindividu nexiste
plus. Beinstingel fait du « Je est un autre » rimbaldien un
personnage à part entière
Lindividu nexiste plus que par
son statut social, il na plus de nom - aucun nom dans ce
roman sauf celui de Sylvain Schiltz, SDF mort de froid dont
le nom est rétabli dans les colonnes de lHuma dailleurs -
il nest plus quun métier : au sein de lentreprise,
« linformaticien » est appelé ainsi parce quil répare tout
mais na aucune formation en informatique, hors de
lentreprise il nest rien.
Paradoxalement, crise sociale oblige, le retour à lindividu
est forcé. Le « je » doit se désolidariser du « nous », ce
« nous » aliénant, « moutonnier » imposé par la culture
dentreprise : le chômage isole mais « léloigné » nest
plus adapté à cet isolement.
Le politiquement correct gangrène le système. Un chapitre
relève de la farce : tandis que le délégué réclame « argent,
sous, pèze, pognon
», le ministre vend au maire le CFVA
(contrat fin de vie active). Décalage, incompréhension,
grand mépris. Ainsi, un chapitre évoque à demi-mot Sarkozy
parlant de « racailles » et de travail, le discours étant
pris en charge par un comédien : « Jai mes critères, mais
bon je les dis pas, parce que les mots ça se retourne contre
vous. » Dailleurs la vérité, ironique, nest-elle pas
ailleurs que dans le CV ? Dans le piston par exemple
(coutume vieillotte de la connaissance vitale) ?
Crise linguistique, crise des signes : tous ces sigles vides
de sens à force de se multiplier (les CMR, les DRH, les
SARL, les CFVA). On tend à rationaliser une situation
maussade par des statistiques, des schémas, des sigles,
niant lactualité, les licenciements, les délocalisations.
Ainsi, comme pour déjouer le système, machine infernale,
Beinstingel joue avec le CV : « Commun vulgaire, crier dans
le vent, continuer, voguer
» et surtout « Courber les
verbes », travail de lécrivain, naissance du roman. "
Article du
Blog_de_Nicolas_Morin,_le_20/10/2007
"Jai trouvé un air
de famille entre ce roman et une nouvelle de David Foster
Wallace: Mister Squishy (dans le recueil Oblivion). Mister
Squishy parle de management, de Focus Groups, ne vous
épargne pas les acronymes du métier, les MROP pour Market
Research Oversight and Planning et les IRP pour Individual
Response Profile. De même, CV Roman est au contact du monde
du travail, de la Gestion des Ressources Humaines, des Power
Points et du langage constructif avec lequel est fait le
monde.
Les différences entre les deux textes sont cependant
énormes. En particulier, je ne suis pas certain quon puisse
réellement parler dune fiction à propos de CV Roman. Un
témoignage dun genre extrêmement littéraire, peut-être? Ca
ma fait penser aussi, dune certaine façon, à One Million
Little Pieces, un texte que lauteur, James Frey, avait
essayé de placer comme roman, en vain, avant de parvenir à
le faire publier comme témoignage. Ici, cest linverse: un
témoignage sur le monde du travail, quon aurait novellisé.
Mais il ny a de facto aucun personnage: les caractères
individuants des personnages sont incroyablement peu
nombreux; le temps est écrasé.
Le ton, globalement, est celui de la compassion, et aussi
une certain mélancolie. De ce point de vue, cest assez
homogène, même si ce nest pas parfaitement constant: une
fois où deux, on trouve des traces de satire (dans une
scenette entre un syndicaliste, un élu local et un ministre,
par exemple), mais dans la mesure où cest entièrement
isolé, ça tombe un peu comme un cheveux sur la soupe.
Cest un livre intéressant, qui a sa cohérence: sans âme,
aussi dépersonnalisé que les CV dont il parle; mais je ne
suis pas entièrement convaincu que lexpérience soit
réussie: on a parfois limpression de lire, le soir dans son
lit, le mémo sur le changement quon a lu laprès-midi au
bureau. Sans que la forme fiction ne mait, pour ma part,
permit de comprendre plus que le mémo en question."
(Blog de Nicolas
Morin)
Article et Interview du Matricule des Anges, par Jérôme
Goude, Septembre 2007
A partir d'un curriculum vitae,
" chemin de vie " aléatoire, Thierry Beinstingel compose un
roman sur la scène duquel chacun employé, conseiller ou
recruteur doit sacrifier au diktat du marché.
Qui n'a pas une fois seulement, l'oeil vide et l'air
dubitatif, achoppé sur ce bout de papier récalcitrant qu'est
le CV ? C'est que ramasser le minimum syndical dans une "
feuille 21 x 29,7 " relève de la gageure. À moins que cet
exercice pratique ne réveille le démon de l'inspiration dans
quelque esprit littéraire. Thierry Beinstingel s'empare de
cet objet usuel afin de mieux pénétrer l'organisation d'un
service des ressources humaines. Chaque chapitre de CV roman
correspond à l'une des quatre catégories que comprend un
curriculum vitae. À savoir, l'expérience professionnelle, la
formation, les loisirs et la situation (état civil et, par
extension, contexte sociopolitique). Cet agencement permet à
l'auteur d'alterner des développements qui, bien
qu'hétérogènes, interagissent : description de
l'organisation d'un " Service de la mobilité ", entretiens
en vue d'un éventuel recrutement, scènes de la vie privée,
pastiche de petites annonces, forum de discussion autour de
l'improbable vertu du CV anonyme, etc. Formellement
audacieux, CV roman puise dans la matière même du quotidien.
Celui d'un ex-conducteur d'engin qui, suite à un accident,
est négligemment relégué devant un poste d'ordinateur. Ou
bien celui d'un homme qui, tantôt l'" un " tantôt l'" autre
", tente de concilier deux activités a priori antithétiques
: " Conseiller ou écrivain, choisir était impossible ". Tel
un sismographe, la prose de Beinstingel enregistre les
fissures imperceptibles d'une société déficiente obnubilée
par la gestion de l'emploi et la hantise du chômage. De même
qu'elle épingle les autocrates liberticides du
néolibéralisme, ces " formes informes d'un patronat qui
guette dans l'ombre la proie affaiblie, le chômeur, et lui
offre un contrat de travail précaire ". Tel " le ministre en
son premier rôle ", la classe dirigeante, affairée à redorer
son image publique, semble totalement coupée de la réalité
sociale. En sorte que la " res publicae ressemble plus à un
gruyère dont chacun des trous représente l'un des vides
juridiques ou politiques exposés. " CV roman oppose en effet
deux mondes qui ne peuvent pas s'entendre. D'un côté, un
ministre qui, pantin méprisant, se paye le luxe de bons mots
claironnants et creux ; de l'autre, un homme, Sylvain
Schiltz, qui, pour avoir perdu travail et logement, est
condamné à dormir dans sa voiture et à y périr. Pour
contrebalancer le poids de cette incommunicabilité, Thierry
Beinstingel s'autorise quelques percées d'air en décrivant
le déroulement d'ateliers d'écriture auprès d'élèves
bûcherons ou d'internés, entre autres. À la périphérie de
Châlons-en-Champagne, dans une société de télécommunications
où il est employé, l'auteur de Central et de Composants
avoue volontiers que la question du travail constitue l'une
de ses plus grandes obsessions.
Pour quelles raisons le thème du travail occupe-t-il
une telle place dans vos textes ? En général, on
considère que ça ne fait pas partie de la littérature. On a
vite fait d'évacuer le sujet. C'est pourtant un objet
littéraire intéressant : il y a tout un langage, des
situations, des fictions. On se comporte dans le travail
comme partout : on y éprouve des sentiments. J'ai toujours
été étonné du fait que de nombreux écrivains ont un métier
et ne se servent jamais de ce matériel. Le travail est
traité comme objet d'essais et non comme objet romanesque.
Je trouve que c'est un thème essentiel parce que ça a un
côté extrêmement normé. Parler du travail m'aide à expliquer
le monde. Et puis, quand on est soi-même huit heures par
jour dans une entreprise, pourquoi ne pas en faire un objet
romanesque à part entière. C'est ce que j'ai cherché à faire
avec Composants : toute l'architecture du roman repose sur
le rythme du travail, sa scansion. Dans CV roman, je voulais
parler du moment où on s'aperçoit que sa vie professionnelle
bascule. Depuis Central, j'ai moi-même travaillé dans le
domaine technique, puis le marketing. Maintenant, je suis
dans les ressources humaines. Mais je ne me considère pas
comme un professionnel. Peut-être parce que j'écris. Je suis
conseiller en mobilité, un peu en touriste. Une sorte
d'intermittent du travail (rires).
À votre avis, à quoi est liée cette désaffection
littéraire ? Historiquement, il y a Zola. Après, on a
continué à en parler bien sûr, sous l'appellation "
littérature prolétarienne ". Certains se sont emparés de ce
sujet à des fins humanistes et syndicalistes. Pendant vingt
ans, des années 80 à 2000, il y a eu comme un blanc. Avec la
venue de la gauche, on entre de plain-pied sur le terrain
des revendications. Le travail est donc devenu un sujet
strictement social. On a occulté l'aspect romanesque alors
que des écrivains comme François Bon et Leslie Kaplan
excellaient. En 2000, j'ai publié Central, puis il y a eu
d'autres expériences : La Question humaine de François
Emmanuel, Les Derniers Jours de la classe ouvrière d'Aurélie
Filippetti, etc. Aujourd'hui, ce qu'on nomme le roman
d'entreprise s'insère dans un contexte social global. CV
roman s'inscrit tout à fait dans ce cadre-là.
Quel est le rôle effectif du CV dans la genèse de
votre roman ? Ça a vraiment été le point de départ. Le
CV, c'est une feuille qui est limitée, horizontalement et
verticalement, et dans laquelle l'individu doit parvenir à
se caler. En tant que conseiller, j'ai eu le plus beau rôle
dont un écrivain puisse rêver. En face de moi, j'avais des
personnes en chair et en os qui me parlaient de leur vie et
de leur volonté de changement. C'était comme si on
m'octroyait le pouvoir de les projeter dans un roman. Je
reprenais leur vie, la réécrivais avec eux. C'était
tellement beau, tellement rêvé... Ça m'a donné envie de voir
où partir d'un CV pouvait me mener. J'ai été rapidement
débordé, au point d'en faire une vingtaine de versions. Dans
la réalité, le CV évolue toujours : on a toujours envie de
changer des éléments dedans. C'est exactement comme un
livre. L'histoire qu'on a racontée n'est déjà plus la nôtre.
Et quand on adresse un CV, c'est comme si on cherchait un
lecteur. Un lecteur qui est le recruteur en face de soi.
Ce pouvoir conféré au conseiller en mobilité n'est-il
pas ambivalent, voire insidieux ? Oui, mais le pouvoir,
c'est humain... On fait partie d'un processus qui est
tellement entré dans les moeurs qu'on est obligé d'y
participer. Et puis CV roman est une mise en abyme. C'est
l'histoire d'un type qui écrit un roman et qui intègre son
propre roman au roman. Il y a tout de même une volonté de
distanciation.
Une mise à distance qui est très perceptible dans
votre approche du maniement stéréotypé de la langue... Y
a-t-il un statut particulier du langage dans l'entreprise ?
L'entreprise n'a aucun intérêt à ce que le langage soit
facile. Il faut que son langage puisse dériver vers quelque
chose d'abstrait, d'incompris ou compris seulement par une
élite. C'est pour cela qu'on voit apparaître des mots, des
modes linguistiques. Le monde économique exprime sa
puissance à travers cette néolangue qui instaure un rapport
de pouvoir qui est descendant. Mais Central avait une visée
plus linguistique que CV roman. Je voulais vraiment utiliser
les mots de l'entreprise. C'est un livre sans sujets
grammaticaux. Parce que, dans son rapport au langage,
l'entreprise dénie le sujet. Elle emploie beaucoup
d'infinitifs du type " Dynamiser son parcours " ou "
Préparer son engagement ". Notre pouvoir en tant
qu'individu, c'est l'ironie. C'est le pouvoir de prendre au
deuxième degré les mots que l'entreprise nous impose. Parce
qu'en définitive, ces mots sont vides comme des asticots
dont il ne resterait que l'enveloppe charnelle.
À cette langue exsangue s'ajoute une certaine saturation des
espaces. Dans CV roman, une employée, son visage, ses
traits, vont même jusqu'à s'agréger au décor... Si on
regarde l'ensemble de mes romans, il y a toujours une
histoire entre l'individu et l'extériorité. Le décor, dans
Central et Composants, est plutôt vertical : murs verticaux,
ambiances géométriques et organigrammes. Paysage et portrait
en pied-de-poule, c'est une organisation différente : le
monde des champs. L'individu s'intègre au paysage et y est
toujours seul. Ce qui m'a inspiré, à l'époque, ce sont les
tableaux d'Henry Hayden. Il peint les paysages d'une façon
quasi verticale. Ça manque de profondeur. Il met tout sur le
même plan de sorte qu'on a l'impression qu'on ne pourrait
pas y projeter un personnage.
Certains chapitres, flanqués de didascalies, sont
théâtralisés. Le monde de l'emploi relèverait-t-il de la
mascarade ? En ce qui me concerne, j'ai du mal à y
croire. Face à toutes ces histoires de demandes d'emploi,
j'ai souvent l'impression d'être devant une représentation.
C'est comme si j'étais spectateur. J'ai placé volontairement
ces saynètes dans la catégorie " Situation " car la scène
nationale est théâtrale. On est dans une vaste farce. Une
entreprise qui crée un service de la mobilité le fait pour
elle. C'est une façon déguisée de mettre les gens dehors.
C'est forcément gagnant gagnant. La boîte se débarrasse de
quelqu'un dont le désir est de partir. L'entreprise y trouve
gain de cause, mais ne l'avoue jamais. Et puis quelle
différence entre ceux qui vendent des produits pour
accroître les bénéfices d'une entreprise et nous qui vendons
les compétences d'un employé à d'éventuels recruteurs ?
L'employé est devenu une valeur marchande.
De la valeur marchande à l'objet excédentaire, voilà
tout le drame de Sylvain Schiltz. Pourquoi avoir inclus ce
qui, pour beaucoup, n'est qu'un énième fait divers ? Je
n'aime pas nommer les personnages. Nommer un personnage,
faire un dialogue intérieur, utiliser le " je ", je trouve
ça trop restrictif. Et je tiens à préciser que l'écriture de
soi ne m'intéresse absolument pas. Je parle de choses vécues
bien sûr ; mais, quand je relis le livre, j'ai l'impression
qu'elles sont arrivées à quelqu'un d'autre. Quant à Sylvain
Schiltz, il a existé et tout perdu. J'ai été extrêmement
sensible à son histoire. Je connais l'endroit où on l'a
retrouvé mort, à cause du froid, dans sa voiture. Ça aurait
pu être n'importe qui... J'avais envie que son nom
apparaisse autre part que sur une pierre tombale. Je l'ai
mis pour qu'il continue à vivre et non pour qu'il devienne
le symbole de. Que ce soit juste un nom perdu parmi les
pages d'un roman. C'est pour moi, pour me souvenir que ce
type-là a existé, à un moment donné.
Votre écriture présente ceci de particulier qu'elle
oscille entre l'abstraction, la vue d'ensemble, et un
rapport microscopique aux êtres, aux choses... Quand
j'écris, il y a en effet deux aspects. Il y a la trame
globale que je déroule : les moments de respiration. Et
puis, à d'autres moments, j'ai envie de creuser beaucoup
plus dans le détail pour y trouver une certaine
justification. Claude Simon travaille dans cette
profondeur-là. Je suis persuadé que plus je vais mettre de
mots plus je vais réussir à trouver un sens, même si les
choses sont insignifiantes. Par exemple, cette table-là, je
m'imagine très bien, avec l'ensemble des veines du bois, en
faire quinze pages. Tout cela va me projeter au-delà de ce
que je décris. Ma pratique de l'écriture s'apparente à
l'apnée.
Article de
Regards, Novembre 2007
Nous vivons une époque où les demandeurs
d'emploi se réjouissent... quand on leur répond, même si
c'est négatif. On a tous envoyé un CV un jour. Qu'il soit
brillant ou terne, modeste ou ronflant, il reflète forcément
une part de nous-même. Ceux qui changent souvent d'emploi le
mettent à jour régulièrement, comme les grands voyageurs
renouvellent leurs passeport. Nous passons en moyenne huit
mille jours de notre vie au travail. Et tout cela tiendrait
sur une page, banal rectangle de 21 par 29,7 centimètres. Il
était urgent d'en faire un roman. Thierry Beinstingel l'a
fait et c'est une réussite. C'est drôle sans être cynique,
réaliste sans être misérabiliste.
Article dans Le Monde, 22/11/2007, Christine
Rousseau :
Thierry Beinstingel, Charly Delwart, Nicole Malinconi
: écrivains entreprenants
Délocalisation, plan social, restructuration,
licenciement... Il ne se passe pas de jour sans que les
journaux égrènent cette litanie de maux. De même ne se
passe-t-il plus une rentrée littéraire sans que l'entreprise
et le travail ne soit source d'inspiration. Ce mouvement,
esquissé il y a une dizaine d'années par des auteurs comme
François Bon, Aurélie Filippetti, Franck Magloire, Philippe
Laffitte ou Laurent Quintreau, a pris cette rentrée une
nouvelle ampleur, tant du côté d'écrivains français - Gisèle
Fournier, Thierry du Sorbier ou Eric Reinhardt... -
qu'étrangers tels Ian Levinson ou Joshua Ferris. Preuve
encore de la vitalité de ce courant "réaliste", le livre de
Thierry Beinstingel qui, après Central (Fayard, 2000) et
Composants (Fayard, 2000), conclut brillamment une trilogie
sur l'univers du travail, avec l'étonnant et très oulipien
CV roman. Pour structurer son récit, le romancier a choisi
les quatre parties (Situation, Formation, Expérience,
Loisirs) qui composent ce "certificat de vie" professionnel,
normé, codifié où "le je est un autre". Usant de la formule
rimbaldienne et de "sa double casquette" - celle d'agent de
mobilité et d'écrivain -, Thierry Beinstingel s'est glissé
dans les blancs et les marges de ces "chemins de vie" pour
leur redonner chair et corps. Au fil de ce roman baroque,
vif et mordant, où la fiction et le langage (poétique
notamment) ont partie liée pour dynamiter un réel empli de
sigles, de statistiques et falsifié par des discours vides
de sens, Beinstingel, tel un Balzac qui aurait croisé Perec,
dissèque notre humaine condition. Avec ses leurres, ses
lâchetés, ses compromissions, ses mensonges, ses non-dits,
mais aussi ses rêves et ses espoirs. Car CV roman, c'est
aussi cela : "Crier dans le vent (...) Continuer. Voguer"
sur la courbe des verbes, d'une poétique du réel...
Voguer, loin de l'atmosphère glaçante de Baltimore,
Darius, le héros du premier roman de Charly Delwart,
Circuit, en rêve. Mais voilà, à la suite d'un incident
technique qui retarde son licenciement, le jeune homme est
remisé, comme d'autres, au deuxième étage de l'entreprise.
Pour ne pas sombrer dans une lente dépression, il s'agite,
s'organise des pauses et tente de se faire inviter à
n'importe quelle réunion afin de sortir de ce "couloir de la
mort salariale". Après une longue hibernation, la délivrance
arrive. Et le temps de l'errance pour ce doux rêveur, bien
décidé à rompre avec la "fourmilière salariale" et à se
laisser porter par une vie de farniente d'où surgiraient,
pense-t-il, une idée, un projet. Mais voilà, rien ne vient,
si ce n'est le vide et l'ennui. Un jour pourtant, alors
qu'il assiste à une conférence, Darius reçoit un appel de sa
compagne. Il sort de la salle et se pose dans un bureau
inoccupé. Avisant cette présence, l'hôtesse d'accueil
s'empresse de venir le saluer d'un : "Ah, c'est vous, la
personne qu'ils ont donc engagé !" Darius, profitant de
cette méprise, va occuper le terrain - le bureau 144 -,
intégrer le circuit de cette chaîne d'information en continu
qui l'emploie (sans le savoir), et se tailler peu à peu une
réputation de journaliste plein d'avenir en créant de toutes
pièces ses propres faits divers. Jusqu'au moment où la
"petite peur" qu'il tenait en lisière va se réveiller.
Derrière l'apparente loufoquerie du propos, Charly Delwart
joue de la fable pour dépeindre, avec un sens aigu de
l'observation et un art du détail, le monde du travail avec
ses rites et codes, mais aussi son absurdité et ses
impostures.
Un art subtil du détail que l'on retrouve également dans
l'émouvant Au bureau, de Nicole Malinconi. Détail d'une vie
de peu, de rien, d'un quotidien banal que le regard ne voit
plus depuis longtemps. Pourtant, à l'annonce d'un plan de
départs volontaires, Jean, qui travaille au Bloc B depuis
des années ("des années sans les voir passer"), décide
d'ouvrir un cahier pour ne rien perdre de ce qui arrive, et
éclairer ceux que la force de l'habitude a rendus
transparents à ses yeux. Telle Margot, porteuse d'un lourd
secret ; Suzanne, inadaptée à tout, sujette à des crises et
à des absences ; Jeanne et "sa voix de village" ; ou encore
Joël, rongé de l'intérieur par l'inaction, ou Robert, isolé
aux archives et dans sa vie de vieux garçon "mangé par sa
mère"... Ainsi, dans ce temps de l'attente qui attise
l'angoisse et le repli sur soi, Nicole Malinconi
dessine-t-elle à mots comptés, chuchotés, cette "vie du
dedans" qui aspire, épuise, aliène tout sentiment humain, ou
presque.
Christine Rousseau
- à propos de
CV ROMAN de Thierry Beinstingel.
Fayard, 352 p., 20 . CIRCUIT de Charly Delwart.
Seuil, "Fiction & Cie", 346 p., 19,90 . AU BUREAU de
Nicole Malinconi. Aube, 136 p., 12,80 . -
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