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Faux nègres : historique
Je lai à peine senti venir : jétais
dans ce mouvement incessant de lautomne quand lécriture a gratté ma peau. Au
départ, juste une anecdote, un fait insignifiant comme toujours. Et la démangeaison
sest installée, la furieuse envie de se frotter aux mots, de lustrer des phrases,
de sembarquer dans un voyage inédit, et que les fleuves me laissent descendre où
je voudrais. Je lai dit, jen ai parlé à qui de droit, ça a plu : je me
retrouve, en cette fin dannée avec plus quune simple idée, un livre va
venir, il est déjà marqué dun sceau éditorial. Ce qui ne veut rien dire. Tout
reste à faire, défricher, déchiffrer, à nouveau se poser les questions, se laisser
surprendre, en perdre son latin, oublier où on a garé la voiture, tout ce qui accompagne
lécriture habituelle est à ressortir, à ressentir. A nouveau, me voilà penché
sur la « table de peine », comme dirait Pierre Bergounioux, qui est pour moi
un ravissement de joie. La vague idée éparse dans un fichier daté du 29 août (Ils désertent était sorti une semaine
auparavant) nétait même pas un début, il faut attendre les environs de
larmistice de novembre (déjà en 2011, cette date avait été bénéfique) pour que
sélabore une entrée en matière et la joie incongrue den parler à 1 heure
du matin dans un lieu improbable autant quinattendu : adhésion immédiate. Me
voici avec ce cadeau de Noël et déjà se dessine des impatiences, des envies :
écrire un long livre, écrire comme les pages dun carnet quon pourrait
arracher une par une, écrire la multitude, le resserrement, sortir Don Quichotte de ma
manche, extirper Arthur Rimbaud, caresser Emma Bovary et surprendre ces murs de
province. Tout cela dans un seul livre quon nommera
quon appellera
Peu importe, manuscrit 614, autres faux noms,
limportant est cette écriture qui sest présentée en désordre à un moment
étonnamment occupé. Et quelle tienne, quelle prenne, quelle se cimente
et quelle souvre à la fois. Je navais pas eu vraiment conscience davoir
abordé un virage dans mon écriture. Lorsquon a le nez dans le guidon et les mains
dans le cambouis, pour reprendre un très beau titre dAntoine Emaz, on ne se rend
pas toujours compte de la sinuosité du parcours. Le tournant a eu lieu vers 2004,
probablement au moment de lécriture de CV
roman. Dailleurs CV roman demeure
pour moi un livre complexe, pour ne pas dire compliqué. Je ne le renie pas le moins du
monde, il a son intérêt, je peux même le trouver génial lorsque mon optimisme est au
maxi, ce qui marrive souvent. Mais je ny peux rien, reste en moi la
difficulté que jai eu à lécrire, 21 versions dune écriture étalée
sur un an et demi, avec la sensation de faire du sur place. Je me braquais. Et pourtant
javançais. Mieux, je braquais tout court, jobliquais, je virais.
Dabord, CV roman, mon CV, mon roman, le genre du roman inclus dans le titre
et probablement que cette dénomination, somme toute bien réfléchie, a été le pivot de
mon écriture. Jai la sensation quil y a eu un avant et un après. Avant,
léchappatoire vers les grands maîtres, Claude Simon notamment, le refus dun
romanesque sans contrainte, une ère du soupçon chevillée au corps. Après, la même
admiration pour Sarraute, Simon rejoint par Faulkner et beaucoup dautres mais
justement désirés dans leur capacité romanesque, et je nai probablement pas
cessé de glisser en sortie de virage vers une écriture dinvention plus libérée,
moins sujette à lartifice. Bien sûr, comme à chaque tournant, la vie accumule les
chausses trappes, les nids de poule qui secouent les suspensions et les changements qui
narrivent jamais seuls. Résultats, six mois déboussolés. Et puis comme par magie,
tout rentre dans lordre avec une facilité surprenante, nouveaux sourires, la vie,
les livres toujours et lair de nouveaux visages au milieu du S de ce virage. Situé
maintenant à mi chemin entre le début de mon écriture et aujourdhui, jen
réalise la courbure, la profondeur, le risque de chute aussi. En moto, on dit quil
faut se pencher pour tourner. Adolescent, jai aimé cette sensation, avec parfois
quelques frayeurs (souvenir davoir dérapé en Mobylette à la sortie de
lhôpital de Langres où jétais allé rendre visite une copine qui avait eu
un accident de deux-roues
). Cétait lépoque où sorganisaient des
courses de côtes auxquelles jassistais en spectateur. Les béquilles des gros cubes
envoyaient des gerbes détincelles, des genoux gainés de cuir râpaient
lasphalte, on entendait le miaulement des moteurs poussés hors des tours, ça
sentait lhuile chaude. Jaimais. Je raconte cela parce que je crains
dêtre à nouveau à un tournant. Rien de précis, juste la trouille de ne pas
arriver à faire tout ce à quoi je me suis engagé. Se mettre la pression, comme on dit.
Il faut juste que je naie pas peur de me pencher suffisamment et ça passera. « Jhabite pour toujours un bâtiment qui va
crouler, un bâtiment travaillé par une maladie secrète. », disait
Baudelaire. Ma maladie (pas très secrète) est lécriture et mes constructions sont
fragiles. En ce moment, jai trois chantiers : ce site, un livre en préparation
et une thèse. Comment nommer le nouveau livre ? A
chaque fois que jai entamé un nouveau texte, jai eu envie de le nommer
rapidement, sans savoir même si cette inspiration irait au bout, simplement pour pouvoir
le retrouver à travers les pages de Feuilles de route. Je ne lai pas encore
fait, où si peu. Il y a bien une vague mention dun texte au nom de F en
archives, dans le résumé de lannée 2012, laconique : Nov : début de
l'écriture de F. Voilà, appelons-le ainsi, cette sixième lettre de lalphabet
sera son nom de code, comme ID a présidé à Ils désertent. Ce nest
pas une habitude systématique : RMS nétait pas le nom de code de Retour
aux mots sauvages, dailleurs le titre a été trouvé tardivement, après la
rédaction du texte. Ici, cest différent, le titre sest imposé à moi, quasi
en même temps que lidée, limpulsion décrire, je crois dailleurs
quil maide à le réaliser. Pour autant, nallez pas vous livrer à des
suppositions, le nom de code est suffisamment abscons, jaurais dailleurs pu le
nommer par la dixième lettre de lalphabet (« J »), puisque si la
publication va à son terme, ce sera mon dixième livre. Mais rien ne presse, reste à
lécrire. Un point davancement : environ 100 pages de rédigées, des
chapitres très courts et lidée dun livre qui approcherait
(dépasserait ?) 300 pages. Cest drôle, je nai pas changé dun
iota cette idée première dun livre qui serait ainsi, à la fois long et morcelé,
éclaté entre différents personnages (au moins cinq), un vrai roman, avec une vraie
histoire (drôle de dire vrai pour ce qui nest que de la fiction), mais en même
temps, quelque chose qui sancre profondément dans la réalité. Pas envie du tout
que limagination (la mienne) prenne le pouvoir, il me faut des faits, comme souvent,
pour avoir le courage de fabriquer des personnages tant soit un peu réels. Fuir la
facilité, honnir la complaisance, tous les pièges que posent clairement la fiction.
Revenir au langage, lorigine de tout. Dit comme cela, cest beau, reste à le
faire, avec le danger de passer à côté, mais cela est inhérent à chaque livre.
Jai peu parlé jusquà présent de ce texte qui sélabore, quelques
allusions à sa complexité en note décriture le 13/02/2013, et la dernière note
de 2012, celle du 21 décembre lui était consacrée, comme sil fallait passer le
flambeau à une année que je présentais plus mouvementée. Le premier souvenir auquel je
reste attaché, cest de lavoir évoqué à mon éditrice pour la première
fois un soir à une heure du matin, dans un lieu improbable et dansant après une
manifestation littéraire où javais présenté Ils désertent. Cétait
pour moi majeur que cette suite décriture puisse démarrer, sinscrire en
plein milieu de cette vie littéraire, en jonction parfaite. Voilà : une demi-année passée. Six
mois quon sentait confusément durs et qui auront tenu leurs promesses
dâpreté. Pour autant, au moment de basculer vers lautre moitié de
lannée, ça a tenu, on est là, toujours, un peu bousculé mais assez en forme, au
final. Ça a tenu. Dabord F, le texte en
cours, dont lobligation semblait si paralysante en début dannée, avance, a
bien avancé, correctement et sans retard. Sans quoi, lannée, me semble-t-il,
aurait été irrémédiablement perdue. Sans qui, au-delà des moments difficiles, combien
dheures sont apparues étrangement belles et légères, des voyages et des trains
pris avec allégresse, des rendez-vous de quais de gare, des repas improvisés. Toutes ces
vies décrivain à raconter plus tard dans un nouveau tome de Lagarde et Michard : rions ensemble !
Tout un monde sans quoi le train de nos vies aurait été plus inconfortable. Sans quoi,
sans qui : merci infiniment. Alors, glissons sans crainte vers cette deuxième
moitié dan, lété à passer, un automne et lhiver : comment se
nichera lécriture, avec quoi, avec qui ? Bref, voilà, F a avancé : ravissement. Pas
dangélisme cependant, la satisfaction que cela avance est une chose, le doute qui
taraude obligatoirement lécriture constitue son complément obligatoire.
Etonnement, tout de même, de voir combien le texte envisagé au départ a tenu le cap,
distance prévue, agencement, trame
Etonnement parce quil sest passé
tellement dévènements inattendus, la vie quoi... Peut-être que cette constance
est finalement une manière de résister, de tenir. Je me souviens de lannonce que
javais faite en novembre de lannée passée à son sujet, la première fois
que jen parlais, ce dévoilement à qui de droit au bon milieu de la nuit, dans un
lieu étonnant où, linstant davant, Harlan Coben déployait son mètre
quatre-vingt-dix juste derrière moi. Jai été fidèle, je pense, à ce que
jenvisageais alors (ne pas croire pour autant que ce livre est plan-plan, surprise
pour moi de tous les instants). Le texte maintenant a basculé vers la fin, a entamé
lultime glissade. Je sais que je le
terminerai. Jai limpression davoir la tête dans le
guidon en ce moment. Jécris, je ne fais même que cela, pas moins de
dix pages la semaine dernière, cinquante en un mois, avec le boulot qui a repris et des
activités personnelles qui se sont rajoutées et que je ne soupçonnais pas si denses.
Par moment, jai limpression déteindre le feu, de passer dune
action à lautre sans autre choix que de faire diminuer le petit tas de choses
toutes plus urgentes les unes que les autres et qui se rajoutent. La tête dans le guidon, de la même manière qu'on
s'enroule autour du corps un étrange hélicon pour en sortir des sons laborieux de tuba.
La tête hors de l'eau donc, la tête dans le guidon, mais pas vraiment celui dune
bicyclette de curé dans une déambulation de campagne, ni celui dun vélo de course
au Galibier, plutôt une succession de petites reines dun jour, un tricycle
succédant à une patinette, suivi dun VTT, limportant étant de changer de
monture sans réfléchir, un jour à Lille, lautre à Paris, le suivant à Amiens ou
Reims et écrire, écrire, écrire dans cette obsession un peu mécanique. Voilà, F comme
fin, F comme fini. F, fameux nom, code secret de (peut-être) mon
dixième livre. Jai mis un point dhonneur à terminer le premier jet, comme on
dit, avant le 11/11, date à jamais égale, retournable et emblématique, date symbolique
aussi puisque cest exactement à cette date, que jen ai parlé pour la
première fois à qui de droit, il y a un an, à Brive, au milieu de la nuit, sur fond
sautillant et musical de boîte de nuit, avec Harlan Coben derrière moi en géant vert
sous les sunlights. Et que je lui ai aussi donné à lire (à qui de droit et pas à
Harlan Coben) un vague début lors dune autre date retournable un mois plus tard, le
12/12, sur la route dAnnecy, cette fois-ci en plein jour et plus au calme (nous nous
sommes aussi revus un vendredi 13, il ny a pas longtemps). Finalement,
lécriture nest jamais quune question de symboles, de coups du sort, de
dates retournables, de moments propices, nuits et jours, clair-obscur, ombre et lumière,
tarots, magie et superstition, on dirait la vie non ? Que F devienne
fruit : cest ainsi que je terminais ma dernière note
décriture, il y a quatre semaines. Depuis je nai pas chômé. Dabord,
ce rendez-vous avec mon éditrice et lheureux constat de se sentir tous deux sur la
même longueur donde, de parler dun texte comme dun enfant impétueux,
un peu trop bouillonnant quil faudrait tempérer, vouloir le rendre attachant,
enthousiaste. La reprise du premier jet de F,
que javais ainsi soumis, a continué sans temps mort, sans réflexion, dans
linstant. Le texte na pas eu le temps de reposer au fond de lordinateur.
Jai pris le travail à bras le corps. Jai tout débâti, le patchwork est
répandu par terre, il faut reconstruire lhabit, refaire les assemblages, reprendre
les coutures, les rendre invisibles. Pour rendre compte du travail entrepris, il faudrait
imaginer un costume, il ne sagit pas que de déplacer un bouton comme dans les Exercices de style de Raymond Queneau. Il faut
retailler les poches, modifier le col, raccourcir les manches, ajouter une pince dans le
dos, coudre une martingale, permuter les boutons et même, cest plus profond, ça
tient du remaniement du tissu, du motif, de lapparence, la doublure à changer,
presque tout quoi. Jaccomplis ce travail avec joie, enthousiasme même, je ne me
savais pas si doué en tricotage et autres travaux daiguilles. Il y avait,
paraît-il, des tailleurs chez mes aïeux paternels. Reste létonnement de ce
travail sans relâche, quatorze mois que jai commencé ce bouquin, aucune lassitude,
au contraire, une obsession, je vis avec, je my plonge, je rame parfois, mais
javance. Javance, et ce sentiment sera celui au premier jour de lannée.
Depuis quatorze mois que F me tient chevillé au corps, le texte en élaboration a atteint forcément un degré de complexité, fragments, histoires croisées et personnages que le temps a liquéfié ou fossilisé, cest selon. A lautomne dernier, en visitant lexposition consacrée à Claude Simon à la BNF (voir en Etonnements et dans cette même rubrique au 16/10/2013), jai eu lidée de recourir à une de ses techniques pour tenter dans me repérer dans le foisonnement de ma prose. Claude Simon a souvent insisté sur le caractère métaphorique de son uvre, les mots en renvoyant dautres, ses romans se bâtissaient ainsi, de façon fragmentaire. Et cest justement cette fragmentation que javais du mal à ordonner (jen ai encore, du mal ). Les techniques de lécriture numérique, réduites souvent aux possibilités du traitement de texte, voire de fonctions élaborées de paragraphes que je suis loin de posséder, ne permettent pas toujours de sy retrouver, de bâtir un plan densemble, davoir une vision élargie et multicritère de ce que lon écrit. Moi qui suis un adepte inconditionnel de lordinateur, qui ne prend que très rarement un stylo, je me trouvais quand même embarrassé, je commençais à me perdre avec un grand nombre de personnages fictifs, danecdotes nombreuses, à un tel point que je ne parvenais plus à trouver une vision densemble. Javais limpression dêtre à une sorte de carrefour sans carte, ni GPS, une nuit sans lune, tout phares éteints. Quelle direction prendre ? Comment terminer le machin ? Bref, jai utilisé un système de pictogrammes de formes de de couleurs différentes, chacun représentant un lieu, un personnage, un narrateur. Ce travail rébarbatif ma monopolisé quelques jours, mais grâce aux crayons de couleurs que mes enfants utilisaient plus jeunes, jai réussi à bâtir une trame densemble. En bâtissant celle-ci, je me suis aperçu que le texte se répartissait en trois ou quatre grande parties, et, une fois le travail terminé, il me fallait, en un seul regard, moins de dix secondes pour déterminer dans quels chapitres apparaissaient tel ou tel personnage. Gain de temps, donc, et vision densemble.
Assurément
cette phase ma aidé à terminer le premier jet alors au trois quart de son
achèvement. Pour autant, je nai pas complété le plan que javais
initialement repris. Jai envoyé le tout à mon éditrice qui a trouvé ce premier
jet complexe (eh oui, quand je le disais). Cest pourquoi, la deuxième mouture que
je suis en train de réaliser, vise à une simplification, à une plus grande linéarité,
à une plus grande lisibilité. Déjà que javais du mal à my retrouver,
imaginez le lecteur
Travail en cours donc. Je nai pas repris la méthode
« Claude Simon » du premier jet, pour linstant, je nen éprouve
pas le besoin. Celle-ci a été utile pour défricher (déchiffrer) et mener à son terme
le texte de première intention mais maintenant, il me semble que le travail est tout
autre. Cest un peu comme si javais gravi un col difficile en vélo, et que je
pouvais maintenant me laisser griser par la vitesse de la descente avec un effort moindre.
Facilité toute apparente seulement, il faudra compter sur les virages et autres
chausse-trappes, larrivée nest pas passée
Et peut-être aurais-je
besoin à nouveau de Claude Simon ou dautres exemples pour terminer F. En
ce moment, bien sûr, cest F qui accapare
mon écriture : élaborer un véritable deuxième jet, quelque chose
de plus abouti pour lequel Claude Simon ma déjà bien aidé, comme je le relatais
la semaine dernière dans cette même rubrique. La partie nest pas facile, mais
jai déjà envoyé à léditeur la moitié du texte ainsi remanié. Est-ce
cette libération dune partie de F qui a
provoqué en moi lenvie soudaine de passer à autre chose : écrire neuf, en
quelque sorte ? En réalité, à la faveur dun exemplaire de Bestiaire domestique que je voulais offrir la
semaine dernière, sest glissée lenvie de relire quelques pages de ce texte
paru en 2009. Je me relis très rarement, peut-être parce que je sens que je serais trop
complaisant avec moi-même, et ça na pas loupé : jai trouvé, que, ma
fois, cétait pas mal, plutôt bien écrit
A la réflexion, je pense que les
compliments que je me suis alors faits, puisent dans le sentiment de plénitude qui avait
prévalu à la rédaction de ce bestiaire : je garde le souvenir dune époque
tranquille et jai toujours pensé que cétait un livre de joie et de bonheur.
Peut-être ai-je envie de retrouver un pareil miroir de ce que jespère pour
lannée qui vient. Les livres accumulent les reflets du temps qui passe, les mois
difficiles, les années heureuses, les moments plus neutres. Par exemple, CV roman reste entaché par sa longue gestation,
ses doutes au milieu dune époque un peu rude. Le bestiaire est arrivé deux ans
plus tard, orage passé, retour à lallégresse. Jai longtemps craint que F ne prenne le même chemin que CV roman. En réalité, cest différent,
mais sans doute que cette crainte amplifie ma hâte de passer à autre chose. Et puis,
quatorze mois décriture, ce nest pas rien, doù cette envie de faire du
neuf, de découvrir dautres émotions, plus dans lesprit de ce bestiaire. Cela
reste vague. Bien sûr, je pourrais céder au plus simple et écrire un deuxième tome de
bestiaire, jai déjà accumulé pas mal danecdotes (voir en Etonnements, cette
semaine) et cela fait plusieurs années que jy pense. Dautres idées me
traversent également lesprit. Toutes, en réalité, ne restent pas bien
longtemps : ce nest que le début dun fourmillement au bout des doigts et
puis il reste encore beaucoup de choses à faire et à penser au sujet de F, un sacré livre tout de même. F, fin deuxième : comme un clap de
cinéaste, voilà, on tourne (la page), cest bouclé pour le
deuxième jet. Toujours aussi grand le texte, plus de 400 pages, envoyé en deux parties
à léditeur, la dernière est terminée, partira demain. La longueur du texte me
désarçonne plus que je ne le pensais, moi qui suis habitué aux canons dun roman
plus court, 250 pages sont ma distance habituelle. On pourrait dailleurs faire un
parallèle entre la course à pied et cette longueur décriture. Jusquà 20, Ça
na pas loupé : jai remis en début du mois de février la version
remaniée de F et tandis que
jattendais sans aucune hâte ni appréhension lavis de ma maison
dédition, jai tout oublié. Vieux réflexe désormais habituel pour moi que
cette amnésie quasi-totale qui suit la remise du texte quon pense fini. Il faut en
mesurer la portée : loubli est quasi-total. Quand on men parle ou quand
je suis obligé pendant cette période dy penser, leffort que je dois
accomplir pour men souvenir est ardu et complexe. Parfois, jimagine, je dois
regarder linterlocuteur qui men parle avec un air si niais quil doit me
prendre pour un demeuré. Parfois, joublie même que jécris, que jai
écrit, les autres vies, familiales, amicales, professionnelles demeurent pendant cette
période mes seuls centres dintérêt. Lamnésie a été de courte durée, 15
jours, le temps pour que léditeur me contacte, quon se fixe un rendez-vous
pour en reparler. Cest dans le train que jai relu le livre, et, comme il est
conséquent, les deux heures et demie de train nont pas suffi, jai continué
à la gare (le service de Starbucks est une horreur de complexité : 20 mn
pour écouler 5 clients et obtenir un expresso quil ma fallu
réclamer
) et jai terminé de lire le machin dans le métro. Avec cette
impression heureuse non pas de renouer avec une mémoire mais, comment dire, dêtre
décalé, une sorte de lecteur/auteur, capable de sapercevoir avec satisfaction que
tout ce que javais voulu faire figurer dedans y était (ouf
). Bref, à
larrivée devant limmeuble de verre de ma maison dédition,
jétais rassasié et javais renoué avec la mémoire de ce livre. Car F est maintenant un livre, ou du moins, jai
limpression que cette période doubli vise à le transformer ainsi. Et
cest dailleurs la grande joie qui préside maintenant à la suite, grande joie
que je vais partager avec tous ceux qui vont uvrer pour en faire un petit tas de
feuilles présentable. Jai
reçu les premières épreuves de F. Première surprise : elles
sont arrivées en même temps que les chaussures de running que je métais
achetées, via deux transporteurs différents, chacun se bousculant la primeur de
larrivée
Jai dabord déballé mes chaussures dune seyante
couleur bleu électrique, et, munis de mes pompes neuves, jai entrepris
douvrir les premières épreuves. Le paquet épais de feuilles révèle la
pagination définitive du futur livre. On remarque ainsi quelles en seront les dimensions
(la même que mes livres précédents). On feuillette surtout la fin pour savoir combien
de pages comptera louvrage. Et là, deuxième surprise : il y aura 422
pages ! F est ainsi le plus gros livre que jai jamais écrit. Le chiffre
de 422 pages est à lui seul une troisième surprise : en effet, avec mes pompes de
course aux pieds, je suis de plus en plus persuadé de la porosité qui peut exister entre
la course à pied et lécriture (voir cette même rubrique au 05/02/2014). Après
avoir longtemps stagné aux alentours dépreuves de semi-marathons et de
lécriture de livres denvirons 200 pages, une sorte de rapport dun à
dix sest instauré, 10 pages pour un kilomètre. Et 422 pages, cest donc
42,2km, soit la distance exacte dun marathon. La quatrième surprise, cest la
manière dont on se glisse à nouveau dans chacune des pages de ces premières épreuves,
abondamment raturées de rouge pour en préciser les fautes et imperfections à corriger,
en quelque sorte, les aspérités et les cailloux du champ de course
Jai
reçu les deuxièmes épreuves de mon livre. Le terme est bancal,
peut-être faut-il mieux dire seconde épreuves. Peu importe, cest justement encore
du bancal, de la langue en mouvement quil sagit (sagite). La plupart des
corrections ont été incluses dans les premières : des fautes à chaque feuillet et
une relecture attentive et lente. Jai limpression alors de parcourir un
désert pour cette nouvelle version : plus de traits rouges raturant les pages, juste
le sable blanc de la page, ordonné des petites pierres noires des caractères
dimprimerie. Je my colle un samedi après-midi, temps magnifique, parasol Miko
dans le jardin. Je suis alors dans lattente impatiente dune course à pied
prévue le dimanche, Les dernières semaines ont été riches en déplacements (ce
qui nexcuse absolument pas la mise à jour désormais assez lâche de ce site). Le Pas-de-Calais, il y a
quinze jours, ma accueilli dabord à la médiathèque de Courrières où
jai revu avec plaisir Yamina la bibliothécaire, toujours aussi dynamique et
décidée. Courrières fait partie de la communauté de communes dHénin-Beaumont,
et tout naturellement, une rencontre avec des lycéens avait été organisée dans un
lycée de cette commune sulfureuse. Jai ainsi parlé, entre autres, de la parution
prochaine de F, dont le sujet traite de
lextrême droite. Sourires et attention redoublée des 85 élèves, pourtant un
vendredi après-midi, juste avant le week-end, mais on nimagine pas la tension
quune stigmatisation quotidienne peut faire lorsquon évoque à des copains,
des amis, des collègues quon habite Hénin-Beaumont (ah oui, la ville, qui, au
premier tour des municipales
). Le soir même, à Arras, avec François Annycke de
Colères du présent, lassociation qui organise le prix Jean Amila-Meckert et qui
maccompagnait, nous avons assisté à une soirée Slam un peu déjantée, mais
jai pu, pour la première fois, lire un extrait de F, mon roman monde/monstre, qui parlait de
Lampedusa : cétait le moment rêvé, Calais nest pas loin et des
associations de migrants participaient. Bref, me voilà de plus en plus engagé dans ce
livre dont les exemplaires dessai « hors commerce » sont juste parus et
déjà magnifiques. Retour chez moi, puis retour vers Lille
ou Reims pour des journées de travail importantes et cétait déjà le
week-end suivant qui se profilait : direction
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