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Les volumes VII à IX
des Oeuvres illustrées
de George Sand

 

1°) Introduction :

En 2004, année du bicentenaire de la naissance de l'écrivain, un ami eut la bonne idée de m'offrir un grand recueil relié d'un cuir couleur grenat, intitulé en lettres dorées Oeuvres de George Sand et portant le numéro 4. Selon lui, ce livre avait connu un destin peu commun que lui avait raconté sa grand-mère : pendant la première guerre mondiale, un soldat allemand l'avait déposé dans une ferme de Lorraine avec d'autres ouvrages, produits sans doute d'un pillage qu'il comptait récupérer plus tard. Mais les aléas de la guerre sont toujours imprévisibles, le soldat ne revint jamais et les livres qui restèrent sur place firent le bonheur de lecture de quelques générations avant de revenir par héritage à cet ami, et enfin vers moi, en dernier lieu.
Je place volontairement en introduction la petite histoire personnelle liée à ce recueil, car celle-ci me paraît emblématique de nos rapports particuliers avec les livres : chacun d'eux véhicule souvent sa propre fable comme si le récit qu'il contient semble dépassé par sa propre fiction, comme si la force des mots et du langage transcende son aura romanesque. D'évidence, cette anecdote particulière ne pouvait qu'accompagner une rêverie propice aux oeuvres romantiques de George Sand. Si ces éléments, propres à chaque exemplaire, ajoutent un charme particulier à nos lectures, ils ne se substituent pas au contexte général souvent connu de l'histoire d'une publication. Le recueil qui est en ma possession fait partie des Oeuvres illustrées de George Sand, publiées par l'éditeur PJ Hetzel. Cette édition regroupa neufs volumes, édités entre 1852 et 1856.
Cet album, qui termine cette collection, contient les volumes VII, VIII et IX.

2°) Le paysage éditorial au milieu du XIX° siècle :

2-1°) Une révolution technique :


Presse à vapeur de Plon Frères Source L'Illustration 1849

« Le monde agrandi et multiplié du livre connaît au XIX° siècle son premier bouleversement depuis Gutemberg », indique Bruno Blasselle dans Le Triomphe de l'édition, Histoire du livre, Volume II, Gallimard, Collection Découvertes.

Le papier, autrefois émis en feuille à feuille, est fabriqué sous la forme d'énormes rouleaux. De plus, la mécanisation du processus d'impression devient industrielle, couplé à l'aide de machines à vapeur. La lithographie, inventée par l'allemand Aloys Senefelder en 1798, ajoute une plus grande facilité à l'insertion d'images dans les livres, mais c'est surtout l'utilisation de la gravure sur bois, à partir de 1830, qui permet d'associer dessins et vignettes à la composition typographique. L'image, attrait supplémentaire du livre, devient omniprésente sur des publications plus faciles à publier et en plus grand nombre.


2-2°) Une modernisation sociale :


Car l'alphabétisation des français progresse. Les lois Guizot et Falloux (1833 et 1850 organisent les écoles primaires et les collèges secondaires sur le territoire. L'instruction bénéficie alors d'un prestige particulier et favorise l'appétit de lecture.
Parallèlement, la diffusion traditionnelle du livre par colportage décline dans les campagnes, remplacée par des bibliothèques populaires.

         

                                 

                         


  Frontispice de l'Histoire Naturelle d'après Buffon, mise à la portée de la Jeunesse, 1803
 

 

2-3°) Une dynamique commerciale nouvelle :
 


Un colporteur
source voila.fr

L'émergence de ces marchés oblige les éditeurs à moderniser à la fois leurs fabrications mais aussi à proposer un choix plus varié d'ouvrages populaires. Les tirages plus élevés permettent une baisse du prix des livres et l'engouement du public incite à réinvestir les bénéfices dans d'autres publications.
Politiquement, les gouvernements qui se sont succédés au XIX° siècle, même s'ils reconnaissaient la nécessité d'une modernisation, ne voyaient pas toujours d'un bon oeil cette popularité croissante de l'écrit et de l'instruction qui pouvait laisser se répandre des idées subversives. Par exemple, le 25 juillet 1830, une ordonnance restreint la liberté de la presse.

 

3°) Histoire des Oeuvres illustrées de George Sand

 

3-1°) L'insertion des Oeuvres illustrées dans le paysage éditorial :


C'est au coeur de cette évolution éditoriale que l'éditeur Pierre-Jules Hetzel prend contact une première fois avec l'écrivain George Sand en 1840. Celle-ci est sollicitée, de même qu'Alfred de Musset, Charles Nodier, Honoré de Balzac, Louis Viardot, Jules Janin, pour écrire un conte dans l'ouvrage collectif La Vie privée et publique des animaux, illustré par Granville2. L'éditeur est alors âgé de 26 ans et travaille dans ce domaine depuis quatre ans seulement. Il n'hésite pas cependant à s'associer à des écrivains reconnus comme Honoré de Balzac, Président de la Société des Gens de Lettres depuis 1839. De même, George Sand, âgée de 36 ans, connaît déjà la gloire avec son troisième roman Lélia, publié en 1833.

C'est ainsi le début d'une longue amitié qui ne se démentira jamais jusqu'à la mort de l'écrivain. Une nombreuse correspondance atteste de ces liens3. Cette relation trouve denombreux terrains d'entente. En premier lieu, des intérêts commerciaux lient l'écrivain et l'éditeur pour la vente commune de leurs oeuvres. Mais très vite, la même connivence politique les assemble : après la révolution de 1848, P-J Hetzel devient même Chef de cabinet du Ministre des affaires étrangères, le poète Alphonse de Lamartine. Enfin, cette intimité s'exercera aussi sur la passion commune de la littérature et l'éditeur, qui écrit sous le peudonyme de P-J Stahl, demandera toujours avis à son amie.

   

 

 

llustration de Granville pour George Sand Source Gallica BNF

 

3-2°) Des Oeuvres illustrées au milieu d'Oeuvres complètes :
 


George Sand en 1845
par Kwiatkowski

Réciproquement, George Sand, depuis cette première publication a pris l'habitude d'établir des rapports suivis avec le jeune éditeur, « ayant toujours en train quelque nouveau livre ou quelque article, la romancière, parfois, ne savait pas jusqu'où allaient exactement ses droits. Elle demandait alors conseil à Hetzel en qui elle avait une confiance absolue. »1. En effet, l'écrivain, qui élabore une oeuvre considérable, jouit d'une popularité grandissante. Et Pierre-Jules Hetzel, désireux d'asseoir sa place dans le monde des éditeurs connaît une activité débordante. Il lance en 1844 une première collection pour enfants Le nouveau magasin des enfants.2 Ils élaborent des projets communs : lorsque George Sand commence en 1847 la rédaction de ses textes autobiographiques, L'Histoire de ma vie, c'est sur la suggestion d'Hetzel à qui elle confie le placement.

Or, en 1849, l'éditeur est accaparé par ses nouvelles responsabilités gouvernementales, notamment par une mission destinée à rendre compte de la situation de la librairie en Allemagne. Pendant son absence, George Sand s'impatiente alors de la lenteur et de l'indécision des éditeurs avec qui Hetzel l'a mise en rapport. La mort de Frédéric Chopin en octobre achève de la désespérer. Quelque mois après le retour de son ami, en janvier 1850, c'est elle qui lui propose en premier de prendre en charge l'édition de ses ouvrages dans une collection populaire : « Voyons, parlons de nos affaires. Il me paraît évident qu'en moyenne on peut faire avec mes oeuvres complètes à 4 sous, près de deux cent-mille francs de bénéfice net. ». Cette première mention de ce qui aboutira à l'édition des Oeuvres illustrées montre la motivation de l'écrivain, prête à investir : « si vous êtes certain que nous pouvons nous mettre à flot avec 10000 fs, je m'en charge », dit-elle encore dans cette lettre, allant même jusqu'à proposer à 40% la part des bénéfices de l'éditeur !

    Aucune mention d'illustrations futures n'est pourtant évoquée. Mais sans doute que George Sand en proposant une édition populaire « à 4 sous » y songe un peu car Hetzel remporte de grands succès en mêlant édition et illustrations. En effet, elle a déjà établi plusieurs contrats pour ses « oeuvres complètes » mais souvent en petits formats et sans ajout de dessins : ainsi en 1836, les premiers essais d'une édition de celles-ci paraissent dans des revues.1 A partir de 1837 et jusqu'en 1842, vingt-sept volumes seront publiés par l'éditeur Bonnaire. En 1847, seize volumes en In-18 paraissent chez Garnier Frères.2 Cette frénésie de publication auprès d'éditeurs différents trouve sa raison dans les sommes promises à l'écrivain à la signature de ces contrats, fréquemment « sans le sou », selon ses propres termes, et qui doit subvenir aux besoins de ses enfants Solange et Maurice. C'est d'ailleurs pour a même raison pécuniaire qu'elle se brouillera presque avec Hetzel en 1855 qui lui reprochera « sa bêtise en affaires ».

    Mais en attendant, le 5 mars 1851, au domicile de l'écrivain à Nohant, l'éditeur signe avec l'auteur un traité pour la constitution d'une « Société en participation pour l'exploitation des Oeuvres complètes de George Sand ». Pierre-Jules Hetzel est persuadé que cette édition populaire devra son succès à l'illustration. L'édition comportera donc les Oeuvres Illustrées « à vingt centimes la livraison ».1. Dans les mois qui suivirent, Pierre-Jules Hetzel préparera la première livraison avec la collaboration de l'illustrateur Tony Johannot2. Cette édition en 9 volumes gr. in-quarto sera achevée en 18563. Mais d'autres publications sans illustrations viendront s'y ajouter comme les vingt et un volumes en format In-18 de l'édition Hetzel-Lecou qui paraîtront de 1853 à 1855. Les deux amis espéraient s'y retrouver dans ces multiples parutions. Hélas, en 1855, Georges Sand constate « Nous avons mariés nos intérêts dans une édition à quatre sous dont l'édition Lecou n'est qu'une annexe. Cela n'a pas été, quoique cela eut été très bien combiné4». L'aventure des Oeuvres Complètes avec Hetzel prendra fin mais sera relayée par l'éditeur Michel Lévy pour encore 88 volumes jusqu'en 1897 !

    Au delà de l'intérêt purement commercial de cette publication, il est évident que ce contrat est aussi un gage d'amitié mutuelle. Mais, au moment de la signature du contrat des Oeuvres illustrées, les deux amis ignorent qu'un évenement politique va les séparer durablement. En effet, le 2 décembre 1851, Louis Napoléon Bonaparte, alors Président de la République, effectue un coup d'état minutieusement préparé. Pierre-Jules Hetzel, qu'on savait capable de s'opposer au rétablissement du pouvoir personnel de Louis Napoléon, s'enfuit à temps. Destitué de son emploi au gouvernement, il doit se résoudre à l'exil, de même que Victor Hugo qui a tenté de resister en organisant des barricades pour résister. Parti à Bruxelles, c'est de Belgique que l'éditeur suivra ses affaires jusqu'à son retour en 1859.

    De fait, la parution de la totalité des Oeuvres de George Sand se fera sans la présence de Hetzel qui laissera son épouse Sophie s'occuper de sa librairie, puis son associé Blanchard.

3-3°) La composition générale des Oeuvres Illustrées :

Les Oeuvres illustrées de George Sand ont été publiées entre 1852 et 1856 en neuf volumes. Les différents textes de l'auteur se répartissent ainsi 1:

Volume I (date de parution : 1852) : La Mare au diable. André. La Fauvette du docteur. Mauprat. Le Compagnon du Tour de France. Mouny-Robin.
Volume II (1852) : Métella. La Petite Fadette. Le Péché de Monsieur Antoine. Pauline. L'Orco. Valentine. La Marquise.
Volume III (1853) : François le Champi. Monsieur Rousset. Les Maîtres mosaïstes. Relation d'un voyage chez les sauvages de Paris. Indiana. Melchior. Les Mississipiens. Jeanne. Volume IV (1853) : Le Meunier d'Angibault. Cora. Teverino. Horace. Les Mères de famille dans le beau monde. Leone Leoni. Quelques Réflexions sur J.-J. Rousseau.
Volume V ( 1853) :Lucrezia Floriani. Le Château des Désertes. Lavinia. Isidora. Aldo le rimeur. Jacques. Kourroglou. Lettre à M. Lerminier.
Volume VI (1854) : Le Piccinino. La Dernière Aldini. Le Poème de Myrza. Hamlet. Simon. Le Secrétaire intime. Georges de Guérin.
Volume VII (1854) :Lélia. Sur la dernière publication de MF La Mesnais. L'Uscoque. Vision de la nuit dans les campagnes. Jean Ziska. Mattéa. La Vallée noire. Une Visite aux catacombes. Gabriel.
Volume VIII (1855) : Consuelo. Le Cercle hippique de Mézières-en-Brenne. Procope le Grand.
Volume IX (1856) : La Comtesse de Rudolstadt. Un Hiver à Majorque. Spiridion. Werther : à propos de la traduction de Werther par Pierre Leroux.

    Nous remarquons que les publications dans cette édition populaire sont au début pluri-annuels : deux parutions en 1852, puis trois l'année suivante, deux à nouveau en 1854 pour terminer par une seule livraison en 1855, ainsi qu'en 1856.
Rien n'indique cependant qu'il y ait eu un essoufflement du projet éditorial vers la fin. En effet, la répartition des oeuvres les plus populaires de George Sand est homogène. Chaque volume comporte son « best seller » : La Mare au diable et La Petite Fadette sont publiés dans les livraisons de la première année et François le Champi, joué en pièce de Théâtre quelques années auparavant, inaugure l'année 1853 avec Indiana, le deuxième roman de George Sand, paru en 1832. Cet exemple montre que le choix d'une édition chronologique n'a pas été fait mais qu'il s'agit bien d'une volonté de répartir les oeuvres populaires entre les volumes. C'est aussi le cas pour Lélia, élaboré en 1833 et qui paraît dans le volume VII, en 1854. Consuelo, en 1855 et La Comtesse de Rudolstadt en 1856, qui continue l'histoire précédente, ont connu dans les années 1840 de grands succès sous forme de feuilletons dans La Revue indépendante2.
 

4°) Les Volumes VII à IX des Oeuvres illustrées


4-1°) le quatrième et dernier tome :
 


Reliure du tome 4 -
Photo T Beinstingel

Ces trois volumes sont réunis sous une même reliure à dos de cuir portant mentions « Oeuvres de George Sand ». C'est le quatrième et dernier tome de cette collection. Les pages intérieures sont dans un format In-quarto de 19cmx28,5cm. Les textes sont présentés sur deux colonnes et comportent de très nombreuses illustrations de Maurice Sand, fils de George Sand.
Il est à noter une petite différence avec l'exemplaire numérisé de la BNF : Procope le Grand qui termine le volume VIII de 1855 est, dans mon exemplaire, le premier texte du volume IX, juste avant La Comtesse de Rudolstadt. Il s'agit d'une erreur de composition puisque les textes annoncés les prévoient bien dans l'ordre recensé par la BNF.


 

4-2°) Les illustrations :

    Les illustrations sont des éléments majeurs des publications romantiques de l'époque. « Un livre et une romance s'achètent aujourd'hui non pour le texte mais pour les vignettes », déclare Regnier d'Estourbet dans Un Bal chez Louis Philippe1. Elles correspondent à une forte demande populaire et c'est bien dans cet esprit que le projet éditorial de Pierre-Jules Hetzel et George Sand est réalisé. On compte au total 232 illustrations pour les trois volumes étudiés 2. Comme il était d'usage, elles sont pour la plupart toutes signées du nom du dessinateur, Maurice Sand, ainsi que du graveur qui a reporté les croquis (Delaville pour la grande majorité). Il faut remarquer cependant que les deux textes qui terminent le volume IX, et donc l'ensemble des Oeuvres complètes, sont agrémentés de dessins anonymes pour Un Hiver à Majorque (en réalité, elles sont bien le fruit du travail de Maurice Sand, voir chapitre 4-3-3) et signées d'un mystérieux FP dans Spiridion ( il s'agit sans aucun doute de François Pierdon, qui apparaît plus fréquemment à partir de La Comtesse de Rudolstadt et qui fut « responsable avec Delaville des bois gravés »)

    Mais plus étonnant est l'inscription en tête de chaque volume de « dessins de Tony Johannot » tandis que le fils de l'écrivain mentionné en-dessous en caractères plus petits. En réalité, Tony Johannot disparut très vite, dès le début du projet, en 1852. Sa mort affecta beaucoup Pierre-Jules Hetzel qui perdait aussi un des plus fameux et prolixe illustrateur de l'époque. Georges Sand lui écrit aussitôt pour le réconforter et, dans la même lettre du 7 août 1852, propose son fils de la façon la plus cavalière qui soit : « Maurice, qui ne le connaissait pas du tout, est là comme un soldat qui voit tomber son capitaine et dit – ça fait de la place dans les rangs et de l'avancement pour qui mérite d'avancer -. Il désire donc vivement faire la suite des dessins de mes oeuvres complètes. ». Elle va ainsi jusqu'à critiquer ouvertement l'illustrateur tout juste disparu « Votre publication est aussi bien lancée que possible, non pas grâce aux dessins, mais malgré les dessins de Johannot qui étaient aussi mauvais que l'homme est excellent... ». Bien entendu, l'éditeur en fut froissé. Et ce n'est qu'à contrecoeur qu'il acceptera quelques mois plus tard Maurice. George Sand s'étant associée à l'investissement de la publication, il lui fut sans doute difficile de refuser, qui plus est, depuis son exil. En contrepartie, bien qu'il n'existe, à ma connaissance, aucun courrier à ce sujet, nous pouvons penser qu'il obtint que le nom de Tony Johannot demeure en bonne place sur les couvertures des volumes jusqu'à la fin de l'édition, ce qui se justifiait grandement, l'illustrateur étant l'un des plus célèbre et demandé de son temps, la vente de l'édition des Oeuvres illustrées devaient s'en trouver favorisée.
   

    Dans les trois volumes étudiés, aucun dessin n'est signé Tony Johannot, et même s'il est possible que certains dessins anonymes puissent être lui être attribués, il est probable que les vignettes d'avance du célèbre dessinateur aient été épuisées dans les volumes précédents. L'examen de l'exemplaire complet numérisé de la BNF nous apprend que les dessins des trois premiers volumes jusqu'à la première parution de 1853 portent effectivement mention de Tony Johannot1. Par ailleurs, le nom de Maurice Sand n'apparaît qu'au quatrième volume, à la deuxième parution de 1853.



Un des tous derniers dessins de Tony Johannot dans Jeanne
qui termine le troisième volume des Oeuvres Illustrées.
source Gallica-BNF


 

    Pour autant, même si Maurice Sand est imposé par sa mère, il se révèle à la hauteur de la tâche. En effet, sa passion pour le dessin et la gravure est ancienne et il a complété sa formation auprès du célèbre peintre Delacroix. Maurice est lié à de nombreux professionnels et c'est d'ailleurs par son intermédiaire que George Sand connaîtra le graveur Manceau dont elle tombera amoureuse. Maurice avait déjà travaillé sur Gribouille en 1850.1 Il est également beaucoup aidé par les graveurs qui travaillaient déjà sur ce projet : ainsi Delaville, dont Tony Johannot écrivait à Hetzel tout juste arrivé en exil à Bruxelles en 1852 : « Notre publication marche et le bon (De)Laville fait réellement mieux depuis qu'il vous sait dans la peine. ». Delaville travaillera jusqu'au neuvième et ultime volume, signant en dernier les gravures de La Comtesse de Rudolstadt.

    Les dessins de Maurice Sand sont bien dans l'esprit romantique de l'époque et servent à appuyer les romans de sa mère. Les scènes présentent en légende un extrait caractéristique de l'intrigue.  Le lecteur peut ainsi suivre le déroulement de l'histoire par l'image et par le texte. Une étude plus précise sera menée dans le chapitre suivant, à propos des exemples de Lélia, Consuelo et d'Un Hiver à Majorque

Illustration de Maurice Sand pour Gabriel, septième volume, 1854.
Source T Beinstingel

 

4-3°) Trois exemples de récits illustrés : Lélia, Consuelo et Un Hiver à Majorque :

    Ces trois textes sont considérés comme importants dans l'oeuvre de l'écrivain, soit parce qu'ils ont connu un succès d'audience, soit parce qu'ils représentent pour les biographes, une oeuvre emblématique de l'écrivain. Ces ouvrages ont été publiés dans chacun des trois volumes et montrent bien la volonté d'une juste répartition des ouvrages essentiels portés devant un large public.

 

4-3-1°) Lélia :

    La première édition de ce roman, en 1833, précède de plus de vingt années cette nouvelle parution dans les Oeuvres illustrées. Ce roman, le troisième de George Sand, est considéré comme fondateur de son audace de romancière : en effet, Lélia est l'histoire d'une jeune femme qui voue un amour à un jeune poète, Sténio, mais qui se refuse aux plaisirs charnels. La grande liberté de ton pour aborder ce sujet remporte un grand succès. André Maurois associe même le prénom de Lélia à sa biographie de l'écrivain. George Sand tenait beaucoup à ce roman et en modifia la fin en 1839 pour la rendre plus heureuse (Lélia et Sténio se retrouvent).

    C'est cette version qui est publiée dans l'édition populaire de 1854. Pour les besoins de cette édition, George Sand a rédigé de Nohant, une notice, datée du 15 janvier 1854 où elle explique la genèse de cette oeuvre « Après Indiana et Valentine, j'écrivis Lélia, sans suite, sans plan, à bâtons rompus, et avec l'intention, dans le principe de l'écrire pour moi seule. ». Elle réaffirme dans cette notice son étonnement quant au succès de cet ouvrage, et renvoie à la préface de la deuxième édition de 1839, reprise dans son intégralité après la notice. Ces commentaires, qui précéderont chaque texte de ces Oeuvres illustrées ont été spécifiquement rédigés pour cette édition populaire et ajoutent un climat de confidence et de proximité envers les lecteurs auxquels elle s'adresse.
 

Les illustrations au service des sentiments romantiques...
 

    Trente-cinq vignettes dessinées par Maurice Sand sont insérées au long du texte et constitue pour la première fois un apport illustré à l'édition de Lélia. De même que pour les autres oeuvres, la vignette qui rehausse le titre ne présente pas de légende mais tente de donner l'atmosphère générale de l'histoire : au-dessus de Lélia figure donc une femme pensive, seule, assise dans la campagne au coucher du soleil... Cette vision romantique montre bien le doute et la variété des sentiments de l'héroïne de ce roman. Insérées au milieu du texte, Lélia figure sur quatorze vignettes dans la même attitude rêveuse. Les légendes qui accompagnent les dessins incitent le lecteur à lire la suite des histoires (« Il y avait auprès d'elle un joli docteur... « Page 20 » ; « alors passa une chouette qui... (Page 23) »), mais aussi à s'identifier au héros ou à l'héroïne, à éprouver avec les personnages les sentiments qui les traversent.



 

4-3-2°) Consuelo (et la comtesse de Rudolstadt) :

 

Consuelo est le roman le plus étoffé du quatrième tome. A lui seul, il compose la quasi totalité du volume VIII et est riche de soixante-treize illustrations. Ecrit neuf ans après Lélia, Consuelo évoque la passion de George Sand pour la musique, à travers la vie d'une jeune bohémienne. Mais, rédigé avant la révolution de 1848, les critiques y ont vu un roman qui met en exergue les idées politiques de l'écrivain : libération des peuples à travers ses forces créatrices, artistiques, affirmation du rôle social de la femme. Pour Georges Sand, il montre « tout ce que le dix-huitième siècle offrait d'intérêt sous le rapport de l'art, de la philosophie et du merveilleux. ». Ce vaste roman épique se prolonge par La Comtesse de Rudolstatd qui sera édité dans le volume suivant.

S'il est évident que si Lélia, dont la sensibilité romantique populaire trouvait parfaitement sa place dans ses oeuvres illustrées, on pourrait penser que Consuelo répond plus à une satisfaction commune pour George Sand et Hetzel. En effet, après le coup d'état du 2 décembre 1852, les deux amis devaient trouver une consolation à ce que cet ouvrage, qui évoquait une aventure à nombreux rebondissements comme celles dont ils avaient été les témoins, soit publié à nouveau.

Pour autant, George Sand, dans sa notice rédigée à Nohant, le 15 septembre 1854, ne fait allusion qu'à l'esprit romanesque qui a présidé à la rédaction de ce « long roman » qui forme avec La Comtesse de Rudolstadt « un tout assez important comme appréciation et résumé de moeurs historiques ». Apprécions la prudence du commentaire, de la part de l'écrivain...

Par contre, elle nous livre une réflexion pertinente sur sa propre perception de l'essor du livre en France : « La grande consommation de livres nouveaux qui s'est faite de 1835 à 1845 particulièrement, la concurrence de journaux et de revues, l'avidité des lecteurs, complice de celle des éditeurs, ce furent là des causes de projection rapide et de publication pour ainsi dire forcée. » Car si la première édition de Consuelo eut lieu dans La Revue Indépendante de « ses amis Pierre Leroux et Louis Viardot », l'écrivain condamne la contrainte régulière du feuilleton qui, dans le cas de Consuelo, nécessitait un recul sur l'appréhension de « tant de réalités historiques ». Le temps et la liberté, de l'aveu de George Sand, lui ont manqué et lui laissent l'impression d'un manque de structure au final : « il y a dans Consuelo et La Comtesse de Rudolstadt des matériaux pour trois ou quatre bons romans. Le défaut, c'est d'avoir entassé tant de richesses brutes dans un seul

 

Paysages, actions, et symboles dans les dessins de Consuelo :
 

    Les illustrations de Maurice Sand répondent, comme pour Lélia, au souci de « donner voir » et d'inciter à la lecture. Les vignettes sont donc agrémentées de légendes issues du texte et illustrent la scène correspondante. La gravure du début de Consuelo n'est pas à l'image de celle de Lélia : c'est un paysage romantique et avec lac et château mais qui semble élargir le propos à la simple histoire d'une héroïne pour nous faire entrer dans un roman aux visées beaucoup plus vastes.

 

    Mais l'ensemble de l'intrigue incite à d'autres significations : « sa descente dans les souterrains » explique Gloria Escomel1, « sa conversation avec Albert (chapitre 40 à 49 de Consuelo), son mariage mystique, son emprisonnement et sa délivrance son interprétés comme autant d'épreuves, qui l'autorisent à devenir une initiée supérieure ». Et George Sand règle son compte à la franc-maçonnerie de l'époque, où les femmes sont écartées de toute rite initiatique qui prennent alors l'aspect de la barbarie. Bien entendu, les dessins (de la Comtesse de Rudolstadt) sont le moyen de révéler les symboles de ces mondes secrets aux lecteurs. Cette dimension « initiatique », plaçant le lecteur dans la confidence, donne un attrait supplémentaire aux vignettes.
 

4-3-3°) Un Hiver à Majorque :

    Contrairement à Lélia et Consuelo, Un Hiver à Majorque n'est pas une fiction mais un texte autobiographique. Il s'agit du récit du voyage aux Baléares que fit George Sand en 1838, accompagné de ses deux enfants et de Chopin. Cet exemple est cependant caractéristique de la perception qu'à l'écrivain de son oeuvre. En effet, comme l'explique Georges Lubin, un de ses plus fameux biographes : « Il n'est guère d'auteur qui ne se soit aussi inlassablement utilisé. Le romancier nourrit plus ou moins son oeuvre de sa propre vie, il y projette son moi dans des contextes vécus ou imaginés, avec une distribution réelle ou fictive... mieux vaudrait dire : où l'observation et l'invention se distribuent inégalement selon le pouvoir de création de l'auteur. ». D'ailleurs, Spiridion, qui suit dans la publication des Oeuvres illustrées Un Hiver à Majorque et qui constitue la dernière fiction romanesque de ses volumes, a été écrit sur place, directement inspiré de la retraite de l'écrivain chez les moines de la Chartreuse de Valldemosa.

En réalité, le voyage à Majorque ne fut pas aussi idyllique qu'on pourrait croire : l'hospitalité des majorcains fut moyenne, le confort des lieux où ils logèrent, spartiate et la mauvaise saison n'améliora pas l'état de santé de Chopin, malade avant son départ et qui comptait sur ce séjour pour se ressourcer.

En 1856, le neuvième et dernier volume des Oeuvres illustrées est la troisième édition à présenter Un Hiver à Majorque. La première eut lieu en 1842, en deux volumes In-8 chez l'éditeur Hippolyte Souverain, la deuxième fit partie des Oeuvres complètes de George Sand chez Perrotin, en 1843. Cette troisième parution est agrémentée d'une courte notice, rédigée par l'auteur à Nohant, le 25 août 1855. Malgré sa brièveté, celle-ci propose un regard philosophique sur le récit qui va suivre : « C'est qu'il ne s'agit pas tant de voyager que de partir : quel est celui de nous qui n'a pas quelque douleur à distraire ou quelque joug à secouer. ».

 

Des illustrations semblables à des cartes postales
 

Si le texte n'a pas subi de modification depuis les premières éditions, tout l'intérêt de celle-ci est de présenter onze illustrations sur les quarante-huit pages qu'il comporte. Contrairement aux récits purement fictionnels, comme Lélia et Consuelo, les dessins ne peuvent être totalement créés et présenter, par exemple, les personnages d'un roman dans une attitude ou une scène inventée par l'auteur. Nous trouverons donc une majorité de paysages et la reproduction des armoiries de Majorque. Les seuls personnages représentés sont destinés à montrer « les costumes majorcains ». L'absence de signature, déjà signalée dans le paragraphe 4-2, constitue l'autre particularité de ces dessins. Pourtant, ces dessins sont attribués à Maurice Sand1. Le fils de l'écrivain avait quinze ans lors du voyage à Majorque et nous savons qu'il avait réalisé à l'époque de nombreux dessins, de même que sa mère. Il est probable pour cette nouvelle édition qu'ils unirent leurs souvenirs pour l'élaboration de ces vignettes2. C'est le cas notamment pour les vues de la montagne et de la chartreuse de Valldemosa.

Cet exemple montre ainsi un autre intérêt des illustrations, destinées non plus à relier le lecteur aux péripéties d'un roman, lui donner à voir les scènes évoquées dans l'écriture, mais à appuyer un récit de voyage, de même que le feraient des cartes postales.

 

4-4°) L'ajout de textes sans illustrations :

Nous pouvons nous demander pourquoi les neufs volumes programmés dés 1851 et destinés à présenter une grande partie des oeuvres de George Sand n'ont pas été exclusivement réservées à des textes populaires, romanesques, nouvelles ou roman exclusivement.

Dans notre étude des trois derniers volumes, nous trouvons des textes divers :
Volume VII (1854) :
Sur la dernière publication de MF La Mesnais. Vision de la nuit dans les campagnes. La Vallée noire. Une Visite aux catacombes.
Volume VIII (1855) :
Le Cercle hippique de Mézières-en-Brenne.
Volume IX (1856) :
Werther : à propos de la traduction de Werther par Pierre Leroux.

Ces proses sont restreintes à quelques pages et peuvent être, soit des articles journalistiques comme Une Visite aux catacombes ou Le Cercle hippique de Mézières-en-Brenne, soit des critiques littéraires comme Sur la dernière publication de MF La Mesnais ou Werther : à propos de la traduction de Werther par Pierre Leroux. Ces textes présentent en effet un intérêt limité pour les lecteurs habitués au romantisme de George Sand : Une Visite aux catacombes tient sur une seule page et Le Cercle hippique de Mézières-en-Brenne, qui ne peut ravir que les berrichons, vient à la suite de l'imposant et important Consuelo qui aborde les thèmes les plus universels. Ces textes mineurs sont parfois repris des contributions de l'écrivain à La Revue indépendante, comme Sur la dernière publication de MF La Mesnais, mais sont aussi réutilisés de publications antérieures chez le même éditeur : c'est le cas de à propos de la traduction de Werther par Pierre Leroux, texte qui constituait l'exacte préface de Werther, publiée par Hetzel, quatre ans auparavant, et agrémentée d'eaux fortes de Tony Johannot.

Le mélange de romans connus et de textes plus confidentiels semble donc étonnant, d'autant plus que de nombreuses oeuvres romanesques, déjà publiées, auraient pu rejoindre le projet initial comme André, 1835, Simon, 1836, La Dernière Aldini, 1838, Les Sept cordes de la lyre, 1840, Le Meunier d’Angibault, 1845, Isidora, 1846, Teverino, 1846, Le Péché de monsieur Antoine, 1847, Lucrezia Floriani, 1847, Le Piccino 1847, Mont-Revêche, 1853, La Filleule 1853, Les Maîtres sonneurs 1853, voire Adriani en 1854. Tous auraient pu completer les Oeuvres illustrées dont la parution s'étale de 1852 à 1856. Cependant, il semble que le choix des romans pour l'édition avait déjà été défini par Pierre-Jules Hetzel et George Sand. De plus, la contrainte ajoutée des illustrations en fonction des textes représentait un obstacle difficilement surmontable en cas de changement puisqu'il fallait dessiner et graver à nouveau des dizaines de vignettes, ce qui aurait compromis la régularité de parution des volumes. Rappelons que cinq volumes ont été édités les deux premières années.

Par contre, l'incorporation de textes complémentaires « mineurs » est clairement explicité dans une correspondance entre l'éditeur et l'écrivain, juste au début de la réalisation de leur projet en 1851. En effet, Hetzel, contraint par le format invariable de chaque livraisons, sollicita George Sand à écrire des lignes supplémentaires, voire à étoffer ses textes d'un chapitre ou de fournir un ancien article pour combler le vide. L'écrivain lui répondit : « Comment n'avez-vous pas inventé un moyen de faire coïncider la grandeur des bois, ou de faire laisser autour des marges facultatives, pour que vos livraisons fissent votre compte ? Inventez des culs-de-lampes, je ne sais quoi. Du papier blanc vaudra mieux que des platitudes imprimées, et je ne me sens capable de faire autre chose étant poussée de cette façon là. Et puis, vous me parlez même de mettre des articles faits sur moi. Je publierai avec mes oeuvres les sottises ou les compliments qu'on me dit ? Vous rêvez mon vieux. Je vous envoie tout ce que j'ai, et c'est fort mauvais, ou fort ennuyeux. J'aimerais autant rien... Bonsoir, vous me faites damner depuis deux jours...1 ». Si les deux amis ne se gênent pas entre eux et avec beaucoup d'humour, cette réponse de l'écrivain est très intéressante car elle montre à la fois les possibilités et les limites de la mise en page à cette époque. Les suggestions intéressantes que fait George Sand à son éditeur prouvent sa parfaite connaissance des capacités que l'imprimerie a développées en cette moitié du XIX° siècle. Finalement, elle fournira les textes réclamés.

Bien entendu, comme il s'agit d'ajouts pour compléter un volume, ces textes ne prévoient aucune illustration et sont ainsi facilement identifiables comme des textes complémentaires.

 

5°) Conclusion : intérêts des Oeuvres illustrées de George Sand :

 

5-1°) Un intérêt historique :

 


Illustration de Maurice Sand
(Mattéa, volume VII)

Cette étude montre que les Oeuvres illustrées de George Sand sont au coeur d'une révolution de la littérature, entamée au XIX° siècle. En effet, elles mêlent à la fois un éditeur emblématique de cette période d'innovation, un auteur célèbre et impliqué dans cette modernité, mais aussi montrent un monde éditorial en recomposition où les illustrateurs et les graveurs prennent une place de choix. L'articulation entre tous ces acteurs est riche d'enseignements. Nous disposons pour cette étude de nombreuses sources de documentation dont la correspondance fournie entre Pierre-Jules Hetzel et George Sand, constitue un des éléments essentiels, capable de retracer cette aventure éditoriale dans un contexte social, technologique et politique en pleine évolution.

Tout d'abord, cette édition sur plusieurs années a traversé une période importante pour la créativité de la littérature, époque d'exil pour Victor Hugo et Pierre-Jules Hetzel. En apparence, si la réalisation du vaste projet n'en souffrit pas, cela montre bien la connivence devenue nécessaire entre auteurs et éditeurs. Celui-ci n'est plus le simple imprimeur auquel l'écrivain soumet son texte. Les intérêts croisés entre auteurs et éditeurs vont parfois jusqu'à l'amitié et l'exemple de George Sand et Pierre-Jules Hetzel est caractéristique.

Les métiers de l'édition s'organisent. L'éditeur, de son côté, élabore des catalogues, des projets cohérents et de long terme. Les auteurs, reliés à cette visibilité plus grande des publications, bénéficient de cet élan commercial. L'édition des Oeuvres illustrées qui n'était qu'un aspect de la collaboration entre Hetzel et Sand est emblématique de ce dynamisme: choix des oeuvres, des vignettes, de la notoriété du dessinateur, l'ensemble concourt à la diffusion attrayante d'un grand format adapté à de nombreuses illustrations qui lui assureront le succès.

Pour George Sand, le bénéfice est important : l'écrivain, déjà célèbre, est devenu encore plus populaire en publiant pour la première fois au milieu de sa carrière littéraire ses romans agrémentés d'illustrations. Pour Pierre-Jules Hetzel, ces Oeuvres illustrées contribuent à le faire reconnaître comme l'un des principaux acteurs du livre illustré au XIX° siècle. Enfin, n'oublions pas Tony Johannot, trop tôt disparu mais dont l'absence a permis à Maurice Sand de concrétiser ses talents d'illustrateur.
 

5-2°) Apprécier les Oeuvres Illustrées en lecteur contemporain :

 

Cependant quel plus bel enthousiasme éprouvons-nous à replacer l'ensemble de ces apports historiques en feuilletant les pages de ce quatrième et dernier tome des Oeuvres illustrées !

Les interrogations trouvent leurs réponses : l'irremplaçable Tony Johannot et Maurice Sand qui continue son ouvrage, la place de chaque roman, la présence des notices d'introduction. Ainsi restituée dans son contexte historique, la lecture sur deux colonnes des romans de George Sand en devient plus vivante grâce à cette connaissance : nous avons endossé le costume d'un lecteur de cette époque où la modernité technique se renforce grâce à l'instruction publique.

Mais cette particularité n'est intéressante que dans la mesure où nous savons l'apprécier avec le recul nécessaire de l'histoire, en contemporain donc. A l'heure où les progrès sont capable de nous présenter de véritables animations pour agrémenter nos lectures numériques, cette première révolution technique qui permettait d'insérer images et textes a posé les jalons intellectuels qui prévalent encore de nos jours : la complémentarité de l'écrit et de l'image à travers le support immuable et millénaire du livre. L'essor de la littérature de la jeunesse qui se poursuit de nos jours avec dynamisme en est la preuve. « J'ai fini par n'être plus pour le public qu'un libraire pour les mioches » écrivait Pierre-Jules Hetzel à Georges Sand en 1872, vingt ans après le premier volume de ces Oeuvres illustrées. Mais derrière cette remarque désabusée, il y a aussi la reconnaissance de l'importance capitale que les illustrations ont apporté à l'apprentissage de la lecture. Les conséquences de cette alliance entre texte et image vont bien au delà. Le succès de la littérature tient dans cette réciprocité de tous les instants : placer des images sur nos imaginations de lecteurs et mettre des mots au vu d'une scène émouvante, c'est l'héritage du livre illustré.
 

5-3°) L'importance des Oeuvres illustrées : du lecteur au bibliophile :

Par conséquent, les Oeuvres illustrées s'adressent en premier aux lecteurs de romans. George Sand, dans sa modernité à aborder les sujets les plus variés, répond toujours à nos attentes : nous émouvoir, nous faire percevoir nos sentiments issus de la réalité de la vie. Si l'agrément des vignettes contribue à la magie de la lecture, la beauté de ces gravures nous émerveille de la même façon qu'elle a fasciné les lecteurs du siècle dernier. Et c'est tout naturellement que nous cherchons à en savoir davantage, et à replacer cet ouvrage dans son contexte historique.

Pour ce quatrième tome des Oeuvres illustrées, les recherches que j'ai menées m'ont révélé le monde vaste et organisé qui a entouré cette publication. Mais j'ai perçu aussi l'inestimable valeur de ce legs du passé : bien sûr, les deux cent trente vignettes de ses illustrateurs célèbres sont un trésor important mais les textes de George Sand sont également très précieux car même si ces Oeuvres illustrées ne comptent aucun inédit, certains écrits ne furent parfois publiés que dans des revues devenues rares.

Ainsi de bibliomane, je suis sans doute devenu bibliophile sans m'en apercevoir ! Le lourd volume relié de cuir grenat a trouvé une place de choix dans ma bibliothèque, toujours à portée de main.

 

6°) Annexes :

 

6-1°) Biographie de George Sand :

De son vrai nom, Aurore Dupin, George Sand, est née en 1804. Elle reçoit à la fois une éducation aristocratique et campagnarde à Nohant, où elle reviendra toujours.

Elle se marie à dix-huit ans avec le Baron Dudevant, avec lequel elle aura deux enfants, Maurice, en 1823 et Solange en 1828.

Elle publie en 1832, son premier roman Rose et blanche avec Jules Sandeau qui l'inspirera pour son pseudonyme de George Sand. Mais très vite elle continue seule et publie Indiana, puis Lélia l'année suivante. Elle devient très vite populaire, publie beaucoup et adopte un comportement anti conformiste et féministe. Femme libre, elle s'éprend d'Alfred de Musset, de Frédéric Chopin puis du graveur Manceau. Parallèlement à ces romans, elle rédige de nombreux articles et fonde plusieurs journaux et revues (L'Eclaireur de l'Indre, la Revue indépendante). Elle participe à la l'organisation de la vie littéraire et noue de nombreuses amitiés avec les écrivains de l'époque (Flaubert, Balzac), s'essaye à l'écriture théâtrale et publie chez de nombreux éditeurs. Très tôt, la somme et la variété de ses écrits lui permet d'envisager la publication d'oeuvres complètes. Convaincues par les idées socialistes, elle participe à l'insurrection de 1848. En 1851, elle signe avec Pierre-Jules Hetzel un contrat pour la parution de ses Oeuvres illustrées. L'exil de cet éditeur après le coup d'état du 2 décembre, ne remettra pas en cause cette publication. Elle entreprend également de rédiger son autobiographie, l'Histoire de ma vie mais continue d'écrire des romans. A sa mort en 1876, la « dame de Nohant » aura publié plus d'une soixantaine de romans et plusieurs dizaines d'autres textes et laisse une bibliographie impressionnante.

 

6-2°) Biographie de Pierre-Jules Hetzel

Pierre Jules Hetzel en né en 1814, à Chartres. Après avoir entrepris des études de droit, il travaille chez l'éditeur Paulin, avec lequel il ne tarde pas à s'associer pour fonder en 1837 sa propre maison d'édition. Attentif aux nouvelles techniques permettant d'associer plus facilement textes et illustrations, il publie alors un grand nombre d'ouvrages avec de célèbres illustrateurs (Granville, Tony Johannot). En 1840, il rencontre George Sand pour la publication d'un ouvrage collectif illustré La Vie privée et publique des animaux. En 1843, il lance sa première collection de livres pour la jeunesse Le Nouveau magasin des enfants. Parallèlement, encouragé par ses amis écrivains, il nourrit une passion pour l'écriture sous le pseudonyme de PJ Stahl.

Malgré son activité importante, ses affaires ne sont pas florissantes. Il est de plus impliqué dans la vie politique de l'époque et devient le Chef de cabinet de Lamartine, alors Ministre des Affaires Etrangères, pendant la deuxième république. Il signe le contrat des Oeuvres illustrées de George Sand en 1851 mais doit s'exiler après le coup d'état du 2 décembre. Il continuera néanmoins à suivre ses affaires depuis la Belgique et éditera les Oeuvres d'un autre fameux exilé politique Victor Hugo. Amnistié en 1860, revenu en France, il tente un nouveau départ avec la Bibliothèque illustrée des familles qui devient, avec l'aide de Jean Macé, le Magasin d'Education et de récréation. Désormais associé à la littérature enfantine et éducative, il continuera sur la voie du succès.

Paralellement, il devient l'éditeur de Jules Verne et les Voyages Extraordinaires connaissent une grande notoriété grâce à des couvertures en cartonnages de très belle qualité.
Pierre-Jules Hetzel passe la main à son fils en 1873 et décède à Monaco en 1886.

6-3°) Biographie de Tony Johannot

Tony Johannot est né en 1803. Il commence dans la gravure au burin à seconder son frère Alfred dans ses illustrations de James Fennimore Cooper et Walter Scott. Mais il est surtout reconnu après 1830, suite aux vignettes qu'il a réalisées pour Charles Nodier, Histoire du roi de Bohème et de ses sept châteaux. En effet, pour la première fois les dessins sont incorporés au texte. L'image donne ainsi plus de sens aux phrases, servent la clarté de l'écrit et illustrent l'émotion ressentie par les lecteurs. Il devient emblématique de l'école romantique et les travaux se succèdent : Les Contes de Perrault, en 1835, Les Fables de La fontaine en 1836, Don Quichotte de Cervantes, en 1836, Manon Lescaut de l'Abbé Prévost, en 1839.
Lors de sa collaboration avec Hetzel pour les Oeuvres illustrées de George Sand, c'est alors un dessinateur très recherché et célèbre par plus de trente-mille vignettes.

Malheureusement, il meurt avant la fin de ce nouveau projet, en 1852.

6-4°) Biographie de Maurice Sand

Maurice Sand, premier enfant de George Sand est né en 1823. Sa mère avait dix-huit ans. Cette proximité d'age les rapprochera et Maurice vivra toujours auprès d'elle. Passionné de dessin, il prendra des cours avec Delacroix. Tenté par la littérature, il s'y essaiera (Masque et bouffons). Mais il deviendra plus célèbre en s'essayant au marionnettes à Nohant avec sa mère qui écrira des pièces pour ses invités, à partir de 1847. Cependant, à la mort de Tony Johannot, il reprend le dessin et les vignettes des Oeuvres illustrées. En 1862, il épouse Lina Calamatta et aura deux filles (Aurore en 1866 et Gabrielle en 1868) que George Sand adorera. Maurice mourra en 1889 mais c'est sa fille Aurore qui continuera à honorer à Nohant le souvenir de l'écrivain jusqu'à sa disparition en 1961.


 

© tous droits réservés T Beinstingel (Le livre illustré (1820-1870) : mémoire présenté en 2007 - Licence 3ème année de Lettres Modernes)