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Iran, carnet de voyage


21 - 28 avril 2009

 

A l'aéroport, Ahmadinejad, le Président iranien est sur toutes les unes des journaux français : invité la veille à la conférence à l'ONU contre le racisme, il s'en est pris vivement à Israël et des pays européens dont la France ont quitté la salle. Je lis ces nouvelles en attendant d'embarquer dans l'avion... où la version anglaise du Tehran Times évoque l'incident d'une manière beaucoup plus favorable à son leader. Cela commence bien mais je pressens qu'il sera difficile d'oublier la politique tant les sujets d'actualités ne manquent pas. Élections présidentielles prochainement, question récurrente du nucléaire, relations avec les voisins arabes turbulents : l'Iran concentre toutes les craintes et peut-être les solutions du monde de demain.  Avant de partir je me suis beaucoup documenté. Le retour de Khomeiny en 1979 et la révolution qui s'en suivit bien sûr restent dans nos fixations d'européens. On garde l'image un pays obscur, juste bon  à armer des groupuscules terroristes et maintenant à fomenter une bombe atomique. Mais on a oublié que le shah, dès 1974, a financé une grande partie de la recherche nucléaire française avant que l'on accueille à Neauphle-le-Château le fameux Iman dissident à la même époque où Marguerite Duras y résidait. J'aurais la surprise d'ailleurs de découvrir une rue de Téhéran portant ce nom de manière phonétique. De la même manière, notre mémoire a oublié qu'un certain onze septembre, dans cette même ville, ont eu lieu des manifestations spontanées de compassion envers les américains. Mais on connaît la suite, Irak et compagnie : le fameux "axe du mal" traverse en plein là où j'ai prévu me rendre...

 

Téhéran : L'Alborz culmine au nord à plus de 5000 m. La tour Azadi est bordée de parcs comme partout en Iran

 

 Mais d'abord pour bien comprendre l'Iran, il faut remonter cinq mille ans en arrière (certains disent sept mille ou dix mille), jusqu'à la fameuse expression berceau de l'humanité, appelée ici la Perse, et se rendre d'abord au musée de Téhéran. Les poteries sont parmi les plus vieilles du monde et les bas reliefs de Persépolis annoncent déjà la choc des cultures.


   

 

Persépolis donc : on connaît l'histoire, les athéniens ne s'atteignirent jamais ici. On ignora superbement la capitale d'apparat et bien avant Alexandre le Grand, Eschyle, auteur rescapé des batailles Marathon et de Salamine, est peut-être celui qui donne l'avantage à la Grèce le premier avec sa pièce Les Perses grâce à son habile rhétorique. Il est vrai que ceux-ci tentent d'envahir cet occident par la mer Égée, sans succès toutefois.



La grandeur et la beauté de Persépolis ont été longtemps ignorées : tout ce qui n'est pas grec ou romain a été considéré comme barbare dans bien des manuels scolaires. Et c'est peut-être ce complexe qui a poussé le Shah a inviter ici de nombreux chefs d'états pour une somptueuse fête en 1971.

 

Le récit d'Eschyle raconte donc les déboires de Xerxès, vaincu à la bataille de Salamine. La défaite n'est pourtant pas cuisante et le fils de Darius Ier reviendra à Suse et à Persépolis. Juste à côté de Persépolis, à Naqsh, on trouve les tombeaux de la prestigieuse dynastie, taillés à flanc de rochers. La nécropole de Darius 1er est la seule qui soit identifiée grâce à une inscription.

 

Les tombeaux des rois achéménides : comment ne pas penser au fantôme de Darius (sa tombe au milieu), dont l'apparition impressionnante dans la pièce d'Eschyle pour juger l'imprudent Xerxès est le clou du spectacle théâtral.


          En quittant Persépolis, on sait bien que le peuple iranien est traversé de son histoire millénaire. Rien de plus normal, on a besoin de repères et les nombreuses classes scolaires qui visitaient le site quand nous y étions sont comparables aux visiteurs qui viennent admirer le trésor des rois mérovingiens récemment retrouvés dans ma ville. Chiraz, la ville la plus au sud que je visiterai nous projette en plein moyen âge. Mais alors que la guerre de cent ans fait rage chez nous, ici, c'est la douceur de vivre avec l'âge d'or des poètes persans. Hafez, le plus célèbre d'entre eux, est aujourd'hui honoré avec empressement : ça laisse rêveur quand on sait le peu d'empressement avec lequel François Villon sera perçu cent ans plus tard en France...


Le mausolée de Hafez est un endroit charmant.

L'usage veut que l'on touche la pierre du poète en récitant une sourate ou un de ses poèmes d'amour. Il y a foule !

 

Après Chiraz, continuons notre voyage et à avancer à travers les siècles : nous voici à Ispahan. La ville a connu son apogée au XVII° siècle. Louis XIV construisait Versailles au même moment, mais Ispahan, qualifiée à cette époque de plus belle ville du monde, n'avait rien à lui envier. Pourtant un siècle plus tard, notre ancien régime commencera à douter de son soleil bourbon : Montesquieu publie ses Lettres persanes. Cela signifie déjà la mort du vieux monde et de l'héritage grec, mais on ne le sait pas encore. On s'en sort en colonisant ce qui reste à découvrir : Bougainville appareille pour Tahiti.

Mais que cette étude comparative ne nous fasse pas oublier le choc que représente Ispahan aujourd'hui. Au contraire, souvenons-nous des leçons du passé, de cet aveuglement qui mena à la fin de l'ancien régime. Découvrir Ispahan et, par extension, l'Iran aujourd'hui, c'est renoncer à tous les clichés que nous véhiculons depuis la révolution islamique. Bien sûr, Khomeiny est considéré comme un sauveur et son portrait est partout. Bien sûr le sacrifice des 500 000 morts de la guerre Iran-Irak d'il y a vingt ans garde ses traces profondes et les photos de ses martyrs. Mais ces épreuves ont soudé le pays. Ispahan nous plonge dans cet Iran contemporain où les femmes sont plus indépendantes qu'on ne le pense de prime abord. Le pays est ainsi fier de sa culture millénaire mais de sa modernité aussi. L'accueil est très chaleureux.  Un vendredi, jour de repos, traverser un parc (et dieu sait combien ils sont nombreux et magnifiquement propres) est une expérience inoubliable : sourires, invitations à prendre le thé, une tranche de pastèque. C'est cela Ispahan avec en prime les coupoles bleues des mosquées.

 

Faience turquoise des coupoles sur l'une des plus grande place du monde. Jardins délicats et ombres des mosquées. Les pères de la révolution, accrochés sur un coté de l'hôtel regardent tout cela. Une colombe de la paix se promène entre les martyrs.

Je rejoins le pont de Si-o-Seh qui franchit la Zayandeh Rud.

 


Les berges du fleuve ne sont qu'une succession de parcs parfaitement entretenus. On fait du pédalo entre filles. Les jeux de plein air sont pris d'assaut. On nous invite à goutter une pastèque. On est heureux. Le voile ? Oui, mais avec un béret...

On quitte à regret l'heureuse Ispahan. Voici Nain et ses étonnantes tours du vent destinées à garder fraîche l'eau des citernes. Voici Yazd, des mosquées bleues encore mais c'est ici le pays des derniers zoroastriens, tous âgés maintenant et les femmes vêtues de foulards fleurs. Pour les disciples de Zarathoustra, la mort est impure et ne doit pas salir les quatre éléments. Les tours cylindriques du silence accueillaient des dépouilles jusque dans les années 1970. Les vautours se chargeaient des corps : étrange philosophie, à mille lieues du culte égyptien des morts. Seul un feu qui brûle paraît-il depuis l'an 470 garde les âmes des défunts.

 

 

 

Retour Téhéran pour une dernière soirée, l'avion décolle demain. Dans l'avion, on suivra les résultats du foot sur Tehran Times et les premiers échos des présidentielles. La politique reprend ses droits. En France, on fait déjà des plan sur la comète : et si Ahmadinejad repasse ? Que feront les israéliens ? Il y a paraît-il une usine d'enrichissement d'uranium à côté d'Ispahan : je n'ose imaginer la suite. Je me réfugie dans des visions aperçues, tout un peuple qui n'aspire que de vivre ses jours tranquilles.
 

 

(17/05/2009)