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Les dix ondes dun choc
Analyses et commentaires sur une percée fasciste au cur dune grande démocratie. A qui la faute ? Cauchemar, catastrophe, séisme, cataclysme, coup de tonnerre, tremblement de
terre, depuis dimanche soir, politiques et médias du monde démocratique rivalisent de
qualificatifs alarmants pour tenter de décrire ce qui vient de se passer en France, à
loccasion du premier tour de la présidentielle. 1) Dabord le rappel dune évidence que beaucoup trop de démocrates ont tendance à oublier: la démocratie nest jamais définitivement acquise. Toute démocratie est en permanence menacée de régression et de disparition. Y compris de lintérieur où ses ennemis peuvent instrumentaliser ses propres mécanismes et la liberté quelle offre pour les retourner contre elle et lanéantir. Aussi la démocratie doit-elle se protéger. Etre intransigeante sur le respect des valeurs qui la fondent et sur les critères éthiques et politiques qui y qualifient et les discours et les pratiques qui en excluent. 2) La démocratie par sa nature, de pire des systèmes à lexception de tous les autres, fragile et vulnérable, lorsque les démocrates ny prennent pas garde, peut enfanter des monstres. Le fascisme, sous toutes ses formes, la haine et le totalitarisme, peuvent sortir des urnes. A lissue délections parfaitement libres et transparentes. Le rôle des vrais démocrates est précisément de faire en sorte que cela narrive pas. Jamais. 3) Or, lorsquau nom de la démocratie et de la liberté, la société de spectacle, la crétinerie libertaire irresponsable, la lâcheté intellectuelle et la médiocrité politicienne et médiatique, écervelée ou opportuniste, se mettent à blanchir les fascistes, à banaliser les mouvements de la haine, à crédibiliser les sectes du racisme, à présenter labomination fasciste comme une opinion "comme les autres", le résultat est immédiat: le fascisme avance au cur de la démocratie, protégé par les garanties et les complaisances quelle lui offre, servi par lindifférence des uns et la complicité des autres, pendant que la démocratie recule jusquà la défaite.Dans les têtes dabord, avant le chaos dans les urnes. 4) Lune des attaques les plus destructrices que subit la démocratie, cest cette rengaine réactionnaire selon laquelle gauche et droite seraient blanc bonnet et bonnet blanc, voire dans une version débilissime extrême, quelles nexisteraient pas. Ce discours fondamentalement de droite, repris par tous les extrêmes et les nihilistes, débouche sur la scandaleuse campagne antipolitique et apolitique de dénigrement de lengagement dans lamalgame indigne du "tous pourris" qui fait des ravages dans les opinions et fait le lit des fascismes. Qui se présentent, eux, comme lalternative à lestablishment, lultime recours contre "une classe politique" censée être "incapable, corrompue et cynique" dans "son ensemble". 5) Ces dérives posées, il nen demeure pas moins que la responsabilité des politiques censément démocrates, quil soient de gauche, de droite ou du centre, est énorme. Ainsi lorsque le politique cesse de faire entendre ses valeurs et ses différences, abdique son droit à proposer, affiche ouvertement son impuissance, et finit à force de lisser son profil et son discours, par réduire la diversité démocratique à lexpression insipide du consensus de linaction et de la démission, lorsque le politique consacre cette image de figuration, il nourrit les désespoirs, tue le rêve et jette les couches les plus vulnérables de la société dans les bras des marchands de haine. Les promoteurs du cauchemar. 6) Ces mêmes politiques, obnubilés par le désir de plaire, de séduire, de duper, là où il aurait fallu oser, expliquer et convaincre, vont trop souvent sur le terrain de la démagogie fasciste et intériorisent ses fantasmes et ses dérives dans lespoir idiot de récupérer des voix. Résultat: en allant sur les thèses du fasciste, en ne laffrontant pas avec force et clarté, ses adversaires présumés ou ses alliés opportunistes, ne font que le crédibiliser, lui donner raison, ce qui permet à son électorat de se déculpabiliser. Electorat qui préférera toujours loriginal à la copie et votera naturellement pour les fascistes. LHistoire nous apprend que tous ceux qui se sont couchés devant le fascisme en croyant le doubler ou le récupérer, ont été dévorés par lui. 7) La démocratie, on la dit et répété, nest pas une question durnes, de mode de scrutin, et autres formalités, mais une affaire de valeurs, de principes, détat desprit. Cependant, les mécanismes de vote, mode de scrutin et nature et fonctionnement des institutions ont leur importance cruciale. En les choisissant, la démocratie doit pour se protéger et protéger ses valeurs. Par le biais de ces choix rigoureux, réfléchis et pertinents, la démocratie doit pouvoir garantir la gouvernabilité du pays, lexpression du suffrage universel, le pluralisme, mais aussi se protéger contre les putschs, les dérives fascistes,laccès aux institutions démocratiques de mouvements ouvertement et viscéralement ennemis de la démocratie. On ne choisit pas un mode de scrutin pour se faire plaisir, pour faire plaisir à tout le monde, ou pour faire beau sur le papier.On choisit un mode de scrutin pour des institutions démocratiques représentatives, pluralistes, mais aussi efficaces et protégées de toute nuisance ou prise en otage antidémocratiques. 8) La démocratie exige également, dans la pratique politique, une certaine culture. Sil est naturel et souhaitable que la diversité et les nuances aient le plus doccasions de sexprimer en démocratie, il est tout aussi évident quune discipline démocratique doit constituer la règle. Exprimer sa différence, mais ne pas se tromper dadversaire, ou dennemi; avoir toujours le réflexe, en cas denjeu ou de menace, de se regrouper dans le camp de ses valeurs; savoir quand il est sain de marquer sa nuance et quand il est impératif de se regrouper autour de lidée ou du mouvement qui font rempart aux fascistes; mesurer limpact que peut avoir une position, un acte sur son propre camp et le service quils peuvent rendre aux ennemis de la démocratie. Les positionnements, les postures, les votes excessivement protestataires et nihilistes sont toujours inutiles. Mais pas pour tout le monde, on le constate encore une fois, ils favorisent invariablement les fascistes. 9) Et la gauche dans tout cela? Toutes les gauches démocratiques du monde, dont la nôtre. Eh bien, il serait temps quelle redevienne elle-même. Quelle jette les oripeaux de la pseudo-modernité qui na profité quà un escadron dopportunistes qui ont entraîné dans leur dérive technocratique des bataillons de militants sincères, combatifs et crédibles. Non, le marché nest pas une fatalité en tout et pour tout, non le diktat de la super-puissance financière nest pas un Dieu inattaquable, non lhorizon de la réforme, de la solidarité et de la justice nest pas définitivement fermé. Oui, une société plus juste, plus humaine, plus intelligente, plus généreuse, plus performante est possible dans la liberté et la dignité. Oui, la résistance à la déshumanisation ultralibérale est possible. Oui, le combat contre tous les fascismes et tous les extrémismes est le devoir de la gauche. Oui, le peuple de gauche vit et ne demande quà nous écouter et à nous faire confiance à condition que lon retrouve et affirme, sans honte et sans crainte, nos valeurs, nos idées, nos rêves et notre projet. Oui, nous pouvons,nous voulons toujours changer la vie. Oui, nous sommes réalistes, responsables, pragmatiques, mais nous sommes surtout volontaristes, capables de nous battre, porteurs despérances. Ni revanchards ni sectaires, nous sommes du côté des pauvres et des exclus, mais nous proposons une société de bien-être collectif dans la différence et léquité. Oui, nous sommes les militants du cur, mais nous revendiquons la culture de la raison, et toute notre identité est la synthèse entre le cur et la raison. Contre la haine et lirrationnel. 10) Il y aurait beaucoup à dire sur les ravages de lindifférence, de labstention. Cette tendance à laméricanisation, cest-à-dire à la mort, de la démocratie. Mais avant daccabler les électorats, qui ont cette immense responsabilité de la démission, il faudrait voir qui a réduit la politique et la démocratie à un spectacle. Qui a substitué limage aux idées et aux arguments. Qui a enseveli le débat et la pensée sous les avalanches de simplisme, de démagogies, de sarcasme facile et de sensationnalisme ordurier. Qui a mélangé les genres. Qui a discrédité les politiques, les intellectuels, les médias sérieux, le livre, la lecture, la réflexion. Qui moque lengagement. Qui pénalise la conviction. Qui glorifie le comportement de zombie égoïste et indifférent. Cette vaste idéologie du chaos qui mène le monde et dans laquelle nous avons tous fini par nous installer, avec plus ou moins de lucidité et de résistance. Emetteurs conscients ou inconscients, ou consommateurs passifs de la culture dévastatrice de lère de rien, nous sommes tous responsables. Maintenant, il sagit dorganiser le sursaut, à léchelle locale et mondiale, pour que lon ne devienne pas coupables davoir laissé passer les fascismes.
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