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Vietnam, carnet de voyage
Du 8 au 23 avril 2017.
Paysages et visages :
Les photographies, on le sait, subliment nos voyages.
Qu'est-ce qui nous pousse à nous encombrer d'appareils photos complexes, d'objectifs
divers (pas moins de cinq en ce qui me concerne), sinon la vague idée de se souvenir,
pour plus tard. On vit le présent, on pense déjà au futur lorsqu'on regardera ces
traces du passé. On ne vit peut-être que pour cette "petite seconde
d'éternité", comme le disait Robert Doisneau, empruntant la phrase à Jacques
Prévert. Au total, il y aura eu pour moi plus de 1800 secondes d'éternité dans ce
voyage. A chaque déclic, c'était un paysage du Tonkin, la brume de la baie d'Halong,
l'ambiance d'une rue d'Hanoï, un visage d'enfant dans la campagne, une marchande d'ananas
en ville. A chaque fois, ce réflexe du reflex, dans la conscience de vouloir embrasser
toute une vue (et c'est un grand angle qu'il faut utiliser), ou de se focaliser sur un
sourire, l'expression d'une figure (on "zoome", on s'approche au plus près).
Cette idée qu'il y a deux mondes en nous, celui du grand angle et celui du téléobjectif
m'a poursuivi pendant tout le voyage. En regardant mes photos, il y a en effet, le monde
des paysages et celui des visages. Au départ, je voulais séparer ces deux univers. A la
réflexion, je ne vis que pour débusquer les infimes traces terriennes, celles qui se
cachent dans les panoramas, et je cherche à reconnaître les expressions humaines,
fussent-elles au bout de la terre, est-ce qu'on sourit de la même manière, la joie
est-elle identique, ou la peur, l'étonnement, la découverte de l'autre ? J'ai choisi
finalement de mélanger paysages et visages en un seul mot : notre humanité.
Notes et itinéraire :
Je n'ai pas pris beaucoup de notes en cours de voyage. J'avais apporté un petit carnet et
je pensais l'agrémenter d'aquarelles. Je n'ai utilisé que quelques pages, par manque de
temps. Notre voyage a été sportif, dix jours de randonnées, dénivelés, sentiers,
jungle à flanc de montagne, moiteur tropicale, hébergements chez l'habitant. Débarqués
à Hanoï, après un vol via Moscou, nous avons rejoint le Nord Est du pays, tout près de
la Chine, dans la montagne où vivent les minorités Tay, Dao, Hmong, Lolo. Villages
escarpés, parfois sans eau, villes et marchés incessants. Nous sommes redescendus vers
la baie d'Ha Long par Cao Bang et Lang Son, puis retour à Hanoï.
Hanoï, premiers jours :
La première chose que l'on remarque, ce sont les
scooters, partout présents. Klaxons, mouvements, ils se faufilent partout, jusque aux
pieds de cette population étonnante qui vit dans la rue, accroupie et au raz du sol.
Ici, la modernité et la tradition se côtoie. Richesse et pauvreté
aussi : on mange pour cent mille dongs (4 euros), mais cette Bentley coûte plusieurs
milliards de la monnaie locale. Son propriétaire transporte-t-il autant de marchandises
que le petit peuple des rues ?
Province de Ha Giang :
Située à l'extrême Nord du Vietnam, c'est dans cette province montagneuse que nous
apercevons nos premières plantations de thé et de riz.
Des maisons traditionnelles apparaissent également, souvent en bois et sur pilotis.
La première nuit chez l'habitant est luxueuse, le repas excellent.
Nous nous habituons à trinquer avec nos hôtes à l'alcool de riz.
Le lendemain, après avoir salué le portrait d'Ho Chi Minh, nous prenons la route. Notre
hôtesse, de l'ethnie Tay, nous prépare un pique-nique à base de riz enroulé dans des
feuilles. Nous prendrons le thé en chemin, notre guide en profite pour fumer.
Il fait une chaleur épouvantable : 36° avec un taux d'humidité maximal. La nature
semble figée.Ceux qui vont aux champs se protègent du soleil.et même les buffles
courbent l'échine.
Le lendemain, visite au marché de Ha Giang, avant de poursuivre
chez la minorité Dao rouge. On trouve de tout, fruits, légumes épices, poulets, et
même un cochon entier à cheval sur un scooter ! L'orage a éclaté cette nuit et la
température est plus supportable.
Chez les Daos rouges :
Le paysage qui mène à Nam Dam est d'une douceur infinie. Des gamins espiègles nous
surprennent dans les rochers. Notre hôtesse est Dao rouge et porte son costume
traditionnel. Les habitants sont très accueillants. Nous croiserons plusieurs villages
habités par des Hmongs, reconnaissables à leurs costumes colorés. Hmongs et Daos
s'entendent visiblement très bien.
Les écoles, souvent peintes en jaune sont facilement reconnaissables. Le Vietnam a une
population très jeune.
Notre guide est maintenant notre hôtesse : nous dormons chez elle. Les ethnies
minoritaires sont soucieuses de préserver leur identités, notamment par leurs costumes,
portés dès le plus jeune âge.
Le lendemain, nous reprenons nos chemins où nous attendent d'autres sourires, avant
d'aller encore plus loin, tout près de la frontière avec la Chine.
Chez les Lolos noirs :
On s'enfonce dans la montagne. Les arbres accrochés dans la brume jouent aux
estampes japonaises, on croise les mêmes paysans souriants, l'une en tablier rose
Playmate. Une petite fille porte sa sur dans une couverture Love.
Ne pas oublier cependant, la rudesse de ces vies, le port de charges incroyables, les
cultures en terrasses à vous donner le vertige, cette vieille femme qui lave son linge à
la rivière, ces habitants au détour d'un village et qui ne sourient pas lorsqu'on les
photographie.
Au gré de descentes escarpées, de Hmongs croisés aux milles couleurs, d'un bus cahotant
sur des chemins de terre, nous arriverons dans le village des lolos noirs, célèbre
depuis que Michalak y a tourné un épisode de Rendez-vous en terre inconnue. Nous serons logés
là où l'équipe de tournage avait ses quartiers. Quelques photos jaunissent sur les murs
dans la maison où le rugbyman a été hébergé. La demeure qu'il avait généreusement
fait construire, pour que les habitants puissent se réunir, est fermée : se réunir, il
n'y a pas besoin d'une maison pour cela, chaque famille vit dans la même grande pièce à
l'étage, avec le foyer à même le sol et sans cheminée, l'ensemble au-dessus des
cochons dont l'odeur parvient entre les lattes du plancher. Mais rien à redire pour nous
: grand confort, matelas à même le sol et deux douches pour tous !
Le village compte trois cents habitants et les Lolos noirs, avec
leurs costumes magnifiquement brodés, sont l'une des éthnies les moins nombreuses, six
mille âmes au Vietnam, la majorité se trouve en Chine, de l'autre côté de la
frontière. L'électricité va arriver ici, les câbles sont en attente d'être posés.
Avec l'effet Michalak, le village est devenu touristique,sauront-ils résister à cette
modernité sans perdre leurs traditions ?
Retour aux Daos rouges :
Cette fois, c'est au milieu des montagnes, toujours dans cette région frontalière, dans
des vallées encore plus reculées que se sont établies quelques familles Dao. Forêts de
bambous, fougères arborescentes, pitons calcaires, rochers noirs composent un paysage de
début du monde. Les enfants que nous croisons sont curieux mais sauvages dans cette
ambiance minérale.
Nous arrivons à notre hébergement. La famille qui nous loge à de
nombreux enfants, petits enfants, cousins, cousines. Pas d'eau, juste des jarres, déjà
bien épuisées à la fin de la saison sèche. Le confort sera des plus sommaires (sous la
bénédiction d'Ho Chi Minh, tout de même) mais ici, on s'en contente toute l'année, et
on vaque aux travaux des champs.
Coup de chance : il a plu toute la nuit et les jarres se remplissent d'une eau fraîche.
Nous repartons sous quelques gouttes qui vont vite s'estomper. Avec l'humidité, la brume
s'attarde sur les sommets, la Chine est maintenant à portée d'écho derrière les
montagnes. Nous quittons les hauteurs et la végétation redevient tropicale. Comme par
magie, les visages croisés redeviennent souriants.
Pour notre dernière nuit chez l'habitant, nous nous régalons d'une seule douche (froide)
pour tout le monde, ce qui me semble le summum du confort ! Il y a aussi une vraie
fenêtre au dessus du lit, même si le poulailler et les cochons sont toujours à côté.
Nous sommes à proximité de ruisseaux et de cascades. Notre cuisinier nous prépare des
festins avec les moyens du bord, et nous aurons même le luxe d'un karaoké déjanté,
aidé, il faut dire, par des rasades d'un alcool de maïs un peu rude.
Cao Bang :
Pour saluer notre retour à la ville, en l'occurence Cao Bang, nous aurions pu karaokéter
(c'est parlant je trouve comme verbe) la chanson éponyme
d'Indochine (nous avons tout de même "exécuté" L'aventurier).
Mais avant, il nous fallait redescendre encore de la montagne, à pied, cela va sans dire,
croiser ceux qui s'activent à cultiver le maïs, s'arrêter devant des fermes. Cao Bang
débouche enfin, avec les bruits de la ville : scooters, commerces, marchés (très
beau, on y trouve même des larves de bambou - pas essayé toutefois...). On y trouve des
échoppes de dentistes, des coiffeurs et leurs clients allongés... Je regrette déjà la
tranquillité des campagnes et la gentillesse des minorités ethniques que nous allons
bientôt quitter.
Sur la route de Lang Son
Autre grande ville que nous atteindrons le soir, mais ce matin, c'est au sud de
Cao Bang que nous allons marcher pour notre dernière randonnée : 22 km entrecoupés
de cours d'eau. L'altitude diminuant, nous avons quitté les terrasses de maïs et
retrouvé les rizières.
La baie d'Halong :
La ville de Lang Son est l'une des portes de la baie d'Halong. Tout au long de la route,
nous croiserons, doublerons, suivrons des navettes qui transportent les touristes du monde
entier en norias incessantes. Que retenir de la baie d'Halong ? Les touristes, les
bateaux, les trafics, toute cette organisation énorme qui vous prend en charge, vous
transborde, vous fait visiter des grottes. Bien sûr, il y a la beauté du site, parfois
difficile à photographier, le fameux coucher de soleil, l'argent de la mer et l'ombre des
pitons qui tombent brutalement dans l'eau. Nous avons passé la nuit sur l'eau, pêché
des calamars et encore karaokété ensemble.
Hanoï, derniers jours :
Le voyage touche à sa fin. Dernières
plongées dans l'agitation d'Hanoï, dernières photos. Au final, j'aurai
choisi environ 170 clichés pour ce carnet de voyage, 1/10ème de ce que j'ai
photographié et 1/1000ème de ce que j'ai vécu en faisant le grand écart entre le calme
des montagnes et la bousculade des villes. Je ne sais pas ce que je garderai de ce voyage
dans dix ans. Tout passe : l'actualité présidentielle qui nous énerve au retour ne sera
plus qu'un souvenir ; les candidats aux ego disproportionnés seront oubliés, à
peine moins que rien dans la grande marche du monde. Je souhaite que demeure quelque part
entre Ha Giang et Cao Bang des femmes en costumes Dao, des Hmongs colorés et des Lolos
qui brodent tout en gardant leurs buffles : notre humanité.
(02/05/2017) diaporama
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