depuis septembre 2000
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Mardi 26 et mercredi 27
mars 2024
Atelier
décriture à la Maison darrêt de Bar-le-Duc
Atelier décriture à la maison darrêt de
Bar-le-Duc, météo pluvieuse, la place (magnifique) en travaux. Dun côté le
tribunal de justice, en face, la maison darrêt, bâtiments presque jumeaux
séparés par léglise (le clergé comme arbitre). Le tribunal mieux entretenu,
ravalé, la prison est une ancienne caserne, inscription « corps de garde »
sur une porte adjacente à lentrée (transformée en lieu daccueil pour les
familles). Attendre les intervenants bénévoles de la prison (je suis en avance). De
lautre côté de la place, arrivent des gens régulièrement, qui tournent un peu
avant de pénétrer dans le tribunal, des couples, des hommes seuls, une dernière
cigarette écrasée. Certains ont des papiers à la main, on devine de maigres dossiers
relatifs aux difficultés dune vie, affaires ou faits divers jugés hâtivement.
La bénévole arrive : sonner, entrer, sas, carte didentité, clés, tintements
divers, portique qui sallume. Inventaire du sac à dos : des livres, des
papiers, lappareil-photo, dûment répertorié auparavant et autorisé. La première
grille, puis la deuxième, la troisième
etc. Les barreaux luisants et noirs, le
bruit des pênes (des peines) qui souvrent et se referment en claquements secs. Des
voix (les gardiens), uniformes entre deux murs, se pousser pour se croiser dans les
couloirs. Des portes partout fermées, celles de vieilles cellules avec deux ou parfois
trois noms inscrits dessus : home sweet home, ambiance de galériens (être en
galère).
Enfin le court dégagement pour rejoindre la bibliothèque. Une grille encore, puis une
lourde porte en fer, munie dun illeton : manuvrer la clé (par un
des bénévoles de la bibliothèque), ouvrir et voir. Lespace enfin
reconnaissable : étagères, livres, étiquettes pour nommer les rubriques (histoire,
bandes dessinées, romans), un ordinateur pour les prêts informatisés, des tables, des
chaises, un endroit presque accueillant, du moins tranquille.
Enfin, un arrive, un de ceux, un des quatre-vingts qui logent ici (les nommer
comment ?). Silencieux (qui contraste avec les paroles des gardiens) et sans uniforme
(qui contraste aussi), un de ceux donc, par qui le lieu existe. Un autre homme arrive à
sa suite (en uniforme). Il prend la liste des présents (que jai pris soin
dimprimer), désigne deux noms et note « refus » : Ils ne se
sont pas réveillés, dit-il, et préfèrent ne pas (« I would prefer not
to », disait Bartleby dHermann Melville). Ils seront trois participants donc.
Les voici : le silencieux arrivé en premier ; un autre, encore plus
mutique ; un troisième, volubile et fanfaron. Leur serrer la main (jy tiens).
Puis dérouler le programme, préparé hier : se présenter, ce que je fais, montrer
mes livres, la partie la plus facile, tous sont attentifs. Ensuite, faire connaissance,
parler, les faire parler, prendre contact, prendre langue, ce quon va faire pendant
deux jours.
Puis commencer. Un exercice dabord, compléter une liste de proverbes (que jai
pris soin dimprimer, une pour chacun), afin que tous puissent écrire leurs premiers
mots sur la feuille blanche intimidante. Celui qui excelle dans ce jeu : le fanfaron
déjà âgé et malin (le volubile). Le silencieux enchaîne quelques phrases, se révèle
pas trop réservé, juste attentif, désireux de bien faire. Le mutique écoute,
acquiesce, mais ne participe pas.
A seulement trois participants, la séance avance vite. Il faut du grain à moudre.
Jenchaîne sur un autre exercice, que jimagine plus approprié : écrire
sur leurs souvenirs, leur passé, avant ce qui fait quils se retrouvent détenus
dans un présent contraint (jai prévu aussi de leur faire écrire sur le futur, ce
quils feront une fois sortis). Pour les souvenirs, la litanie de « je me
souviens » de Georges Perec fonctionne à tous les coups. Ou presque : le
volubile ne suit pas la consigne, écrit dautres mots (quimporte) ; le
mutique nécrit rien mais écoute toujours avec attention ; le silencieux
révèle deux phrases magnifiques : dans lune il est question de lodeur
des sapinières lorsquon cherche des cèpes, dans lautre de la chaleur du
soleil lorsquon cueille des myrtilles : grande facilité décriture pour
lui.
Pause de midi à 14h. Je me souviens (moi aussi je joue à Georges Perec) de celles des ateliers de
juin 2021 dans cette même ville. Janimais un atelier à la médiathèque le
matin et jenchaînais laprès-midi dans un Centre social. Les ambiances
étaient chouettes, ça me distrayait des extrêmes difficultés familiales que je venais
de découvrir. Il faisait un temps magnifique, je mangeais mes sandwichs au bord du canal,
je prenais un café à une terrasse. Ces bons moments sont associés à cette chanson du groupe
Offspring que jécoutais en boucle. Mais pour ce qui des pauses méridiennes
de mars 2024, pas question de pique-niquer dehors, la température est fraiche et il
pleut. Je mange en silence dans ma voiture.
Retour à la prison. Cet après-midi, deux bénévoles maccueillent à la
bibliothèque, ainsi quune jeune agent de probation en fin de formation. Le
silencieux et le volubile arrivent, le mutique est retenu pour une partie de
laprès-midi.
Pour faire suite à la séance du matin et aux réminiscences du passé provoquées par
lexercice « Je me souviens » de Georges Perec, je propose décrire
un texte au futur, donc, pour eux, détenus provisoires, de se projeter dans la liberté
retrouvée. Le silencieux (de moins en moins silencieux) confirme les belles phrases
écrites ce matin : il rédige un très beau poème. Le volubile ne suit toujours pas
les consignes. Il exprime sa colère et les traumatismes quil a subi dans son pays
denfance lobsèdent. Le mutique revient à nouveau pour lexercice
suivant : Je tente de leurs faire exprimer ce que lon peut écrire à travers
les cinq sens. Nous commençons dabord par une liste élaborée en commun des
vocables que nous utilisons pour la vue, lodorat, le goût, le toucher et
louïe avant que chacun élabore son propre texte.
A la fin de cette première journée, de retour chez moi, je recopie les textes rédigés.
Le lendemain, tous sont présents (cest rassurant) et une nouvelle bénévole
maccompagnera pour toute la journée. Bravo ainsi à tous ceux qui uvrent dans
lombre pour maintenir le lien avec lextérieur des prisons, continuité de la
culture, accueil facilité des familles : actions concrètes qui rendent
lincarcération plus humaine.
Avec trois participants sur deux jours compacts, jépuise vite les propositions de
latelier décriture. A force dexpériences, jai une vingtaine
dexercices toujours prêts. Généralement jen utilise une à deux pour chaque
séance, mais ici, jen ai déjà utilisé cinq hier et aujourdhui, je sens que
mon petit public restreint en attend dautres.
Histoire de lancer la journée, je me sers du livre des questions de Pablo Neruda (on peut
faire une variante avec Edmond Jabès, il faudra que jy pense pour un prochain
atelier). A chacun ainsi de proposer à son tour une question poétique (à lexemple
de Pablo Naruda : Pourquoi napprend-on aux hélicoptères à butiner sur le
soleil ? Quel est loiseau aux plumes jaunes qui remplit son nid de
citrons ?).
Cette mise en jambes permet de passer à un exercice plus construit et plus libre. Je me
sert maintenant de lintroduction « Il y a » que beaucoup de poètes et
écrivains utilisent (et pas seulement voir la chanson Il y a de
Vanessa Paradis). Lavantage dun tel inducteur est de rester dans un temps
présent, immédiat et descriptif. Les textes sont généralement concrets et les
participants réussissent souvent demblée à trouver de linspiration.
Aujourdhui, jai décidé daccompagner le mutique : hier, à un
exercice proposé par la bénévole, en loccurrence un « cadavre
exquis », nous nous sommes aperçus quil avait de grosses difficultés
dorthographe. De fait, il nose pas écrire, alors que les bibliothécaires
nous indiquent que cest un grand lecteur. Dans les premières paroles quil a
dites hier (dans une fierté toute retenue), il a indiqué que cétait ici, donc en
prison, quil avait lu en entier un livre pour la première fois de sa vie (Sérotonine,
de Houellebecq). Depuis, il passe ses journées à lire. Je lai ainsi accompagné
pour une série de phrases commençant par Il y a, phrases quil me dictait.
Il ma semblé alors que la poésie brève et les haïkus pouvaient à ce moment-là
être proposé. Grand succès. Outre le silencieux (maintenant parfaitement à laise
à loral et à lécrit), le volubile suit pour la première fois la consigne
et est très fier lorsque jécris son poème de trois vers sur le paperboard.
Mais la vraie réussite est le
mutique qui réussit à écrire tout seul un texte très beau, un poème de sept vers.
Lorsque jexprime mon admiration, il a un sourire très lumineux.
Cest ce genre de récompense qui me fait aimer les ateliers décriture.
Cest aussi le sens du Festival de lécrit auquel ces détenus participent de
proposer ce genre dévasion.
Ainsi, animer un atelier avec très peu de participants nest pas une chose plus
facile quavec quinze à vingt participants, ou plus même. A seulement trois
participants, ils auront « usé » dix consignes décriture en deux
jours, cest dire leur motivation. Mais donner parole à chacun, peu importe le
nombre, à tous ceux quon écoute rarement et qui pensent que les mots appartiennent
aux autres, est pour moi une activité indissociable du métier décrivain. Sinon,
à quoi servons-nous ?
(12/04/2024)
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