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Mercredi et jeudi 23 et 24 avril 2025
Atelier d’écriture à la Maison d’arrêt de Bar-le-Duc

 

En photo, la littérature emballée que j’ai découverte pendant la pause de midi, à 1km de la prison, dans un supermarché en liquidation :
belle allégorie sur la culture dans les lieux d’enfermement.

Litterature Desherence 1.JPEG (48981 octets) Litterature Desherence 2.JPEG (43329 octets)

 

J’ai passé deux jours en prison, à la maison d’arrêt de Bar-le-Duc. J’y étais déjà allé l’année dernière à la même époque pour un atelier d’écriture. J’ai tenu à renouveler l’expérience, car il me paraît important que l’évasion par l’écriture puisse être proposée à ceux qui sont privés de liberté. Et surtout, c’est, paradoxalement, un lieu de belles rencontres, comme le sont tous les endroits voués à l’oubli de nos sociétés : Ehpad, centres d’accueil, foyer d’handicapés, structures sociales…etc. Un jour on m’a demandé si ça m’intéresserait d’animer des ateliers d’écriture de prestige, type Gallimard : j’ai répondu en fanfaronnant que faire écrire des gens qui ont déjà un accès approfondi à la culture présente moins d’intérêt pour moi (c’est en partie faux car j’ai pris grand plaisir à animer l’atelier de haute volée que j’ai proposé à la médiathèque de Reims en automne dernier et qui s’adressait à des habitués de la chose écrite).
Pour en revenir à la maison d’arrêt de Bar-le-Duc, contrairement à l’année passée, l’organisation est plus restreinte, probablement par manque de moyens, et les conditions d’accueil des personnels extérieures se sont durcies, m’explique le directeur du service de probation (SPIP). Cela se traduira par l’interdiction d’utiliser mon appareil photo (pour photographier les textes afin de les recopier le soir) car aucun écrit ne doit sortir du cadre de la prison sans avoir reçu l’aval de l’administration. Je déposerai chaque soir le résultat de nos cogitations verbales dans le casier de courrier du SPIP.
Je n’ai pas été accompagné non plus par des bénévoles d’une association d’aide aux détenus qui gèrent la bibliothèques, comme l’année passée, ni par un agent de probation (l’an dernier, ils étaient deux dont une stagiaire). J’ai ainsi été livré à moi-même, libre d’errer dans la prison aux larges murs pluri-centenaires, enfin libre… Le plus dur était de repérer mon chemin, rien ne ressemble plus à une porte verrouillée qu’une autre porte verrouillée. Mais à chaque fois, comme par magie (celle des caméras), un surveillant venait m’ouvrir.
J’ai ainsi été enfermé dans une salle de cours au deuxième étage (celle réservée aux arts plastiques), avec six participants.
Et là, après la traditionnelle poignée de main que je tiens à donner à chacun, une autre magie, celle des rencontres improbables a opéré : pendant les deux jours, jamais je ne me suis senti plus en sécurité qu’ici…

Mercredi 23 avril, matin :

Poignée de main, donc, à chacun des six participants, six hommes, quatre d’âges mûrs et deux plus jeunes. Puis, histoire de ne pas laisser le silence s’installer, je me présente, avec quelques-uns des livres que j’ai apporté, histoire d’être crédible dans mon rôle d’écrivain. Ça ne dure pas longtemps : plus j’avance dans les expériences d’atelier, moins j’ai envie de parler de moi, mais surtout d’écouter longuement les participants. Je réponds à quelques questions, j’en pose aussi, sur le quotidien de la prison, la circulation des livres… C’est une manière efficace et naturelle de briser la glace, de faire en sorte que la parole circule bien. Certains sont réservés, d’autre plus à l’aise, mais aucun ne cherche à monopoliser l’attention. L’effet de groupe commence immédiatement très bien : ça prend l’aspect d’une bande de copains, dans laquelle je serais intégré. C’est idéalement de ce que je cherche.
Histoire que chacun puisse se présenter, je leur propose d’écrire leur prénom en acronyme et que chacune de leur lettre représente une qualité (ou un défaut qui les caractérise). Chacun lit ses trouvailles et nous discutons sur la manière dont on se perçoit, et dont les autres vous voient.
J’explique le distinguo entre qualité, compétences, talents. En effet, au départ, j’avais pensé faire écrire les détenus sur leur CV. Je pensais que ça leur serait utile, mais ils ont déjà des démarches d’insertion. En revanche, discuter autour de ce que l‘on sait faire (les compétences), la manière dont on le fait (les qualités) ou même le génie particulier que l’on peut exprimer dans certaines situation (le talent) est à la base d’une recherche d’emploi efficace (ça c’est l’ancien RH qui parle…).
En même temps, ces premiers exercices me renseignent sur leur aisance à la parole et à l’écrit. Aucun n’a de difficulté particulière et le groupe est plutôt homogène. Ils ont été aide-soignant, agriculteur, mécanicien, cuisinier, bien insérés dans la société ou les études avant la cassure de la prison.
Juste avant de nous séparer pour le repas, je leur explique le Festival de l’écrit auquel ils vont participer.

Mercredi 23 avril, après-midi :

On reprend sur les écrits du Festival de l’écrit. Je leur montre certains des textes de détenus qui ont été primés les années précédentes. Puis, nous réfléchissons à leurs portées, leurs caractéristiques : certains sont nostalgiques, évoquent le passé, d’autres décrivent l’instant présent de la détention. D’autres encore se projettent dans l’espoir et le futur. Je leur demande ainsi d’écrire selon une ou plusieurs de ces caractéristiques. Je leur parle des « Je me souviens » de Georges Perec et l’un démarre avec cette contrainte. D’autres choisissent d’évoquer le présent, le choc de la prison (pour le plus âge d’entre eux qui découvre l‘enfermement). Le plus jeune choisit d’écrire un poème que nous peaufinerons pendant toute la séance. Je suis très agréablement surpris par la facilité avec laquelle ils entrent dans l’écriture. Même les plus réservés se révèlent et parlent avec sensibilité et intelligence de ce qu’ils veulent exprimer. Le plus jeune me parle d’haïkus, il apprend le japonais et envisage de rejoindre ce pays à sa sortie de prison (qui, hélas pour lui, est très loin…). Ça tombe bien j’avais prévu de consacrer une partie du lendemain à cette découverte poétique.
A la fin des deux heures, je collecte tous leurs textes qu’ils ont pris soin de recopier et avant de quitter la maison d’arrêt, je dépose le tout dans le casier de courrier du SPIP.

Jeudi 24 avril, matin :

Je suis heureux de retrouver le bon petit groupe soudé. Toutes les appréhensions que je pouvais avoir avant se sont envolées (comment seront les participants ? dans quel état d’esprit ? vais-je y arriver). Les six arrivent dans notre petite salle avec un grand sourire et le même enthousiasme qu’hier. L’un me dit : « C’est super, ici, j’oublie un peu pourquoi je suis ici. Je ne remâche plus à chaque seconde les tracas, les angoisses du jugement, ça me fait du bien. ». Le plus jeune n’est là que pour cette dernière matinée. Aussi, je lui laisse la parole pour qu’il explique à ses co-détenus la vision des haïkus qu’il m’a laissé très justement apercevoir la veille. Nous écrivons ainsi ces suite de 3 vers et les participants tiennent à corser le jeu en appliquant la règle japonaise des 5-7 et 5 syllabes pour chacun des vers.


Jeudi 24 avril, après-midi :

Certains continuent les haïkus. Je suis surpris de leur volonté et de leur sérieux à s’exprimer à travers la poésie. Nous échangeons beaucoup et ils sont toujours en demande. Pour la dernière heure, je tente un exercice sur les fables à travers les fables de la Fontaine et leurs morales associées. Généralement un tel travail réclame du temps, de l’inspiration. Mais tous s’y collent avec entrain et inventent des fables à base d’autres animaux, avec l’inévitable morale, qui prend toujours en prison un sens particulier. Cette dernière séance me donne une excellente impression pour le Festival de l’écrit. Tous ont eu à cœur de proposer plusieurs textes pour participer à la manifestation d’automne.
Nous nous quittons tous avec un large sourire. Je leur souhaite bon courage, certains sont déjà jugés, d’autres en instance. Un détenu m’a dit : « On croit que la prison n’arrive qu’à des personnes malhonnêtes, qui l’ont mérité, mais il faut bien comprendre que personne n’est à l’abri d’un dérapage, d’une entorse à la loi, d’un concours de circonstances malheureux : la détention peut concerner chacun de nous ».
C’est pour leur permettre d’exprimer de telles vérités que mon travail dans ces murs prend tout son sens.