depuis septembre 2000
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Mercredi
et jeudi 23 et 24 avril 2025
Atelier décriture à la Maison darrêt de Bar-le-Duc
En photo, la littérature
emballée que jai découverte pendant la pause de midi, à 1km de la prison, dans un
supermarché en liquidation :
belle allégorie sur la culture dans les lieux denfermement.

Jai passé deux jours en prison, à la maison
darrêt de Bar-le-Duc. Jy étais déjà allé lannée dernière à la
même époque pour un atelier décriture. Jai tenu à renouveler
lexpérience, car il me paraît important que lévasion par lécriture
puisse être proposée à ceux qui sont privés de liberté. Et surtout, cest,
paradoxalement, un lieu de belles rencontres, comme le sont tous les endroits voués à
loubli de nos sociétés : Ehpad, centres daccueil, foyer dhandicapés,
structures sociales
etc. Un jour on ma demandé si ça mintéresserait
danimer des ateliers décriture de prestige, type Gallimard : jai
répondu en fanfaronnant que faire écrire des gens qui ont déjà un accès approfondi à
la culture présente moins dintérêt pour moi (cest en partie faux car
jai pris grand plaisir à animer latelier de haute volée que jai
proposé à la médiathèque de Reims en automne dernier et qui sadressait à des
habitués de la chose écrite).
Pour en revenir à la maison darrêt de Bar-le-Duc, contrairement à lannée
passée, lorganisation est plus restreinte, probablement par manque de moyens, et
les conditions daccueil des personnels extérieures se sont durcies, mexplique
le directeur du service de probation (SPIP). Cela se traduira par linterdiction
dutiliser mon appareil photo (pour photographier les textes afin de les recopier le
soir) car aucun écrit ne doit sortir du cadre de la prison sans avoir reçu laval
de ladministration. Je déposerai chaque soir le résultat de nos cogitations
verbales dans le casier de courrier du SPIP.
Je nai pas été accompagné non plus par des bénévoles dune association
daide aux détenus qui gèrent la bibliothèques, comme lannée passée, ni
par un agent de probation (lan dernier, ils étaient deux dont une stagiaire).
Jai ainsi été livré à moi-même, libre derrer dans la prison aux larges
murs pluri-centenaires, enfin libre
Le plus dur était de repérer mon chemin, rien
ne ressemble plus à une porte verrouillée quune autre porte verrouillée. Mais à
chaque fois, comme par magie (celle des caméras), un surveillant venait mouvrir.
Jai ainsi été enfermé dans une salle de cours au deuxième étage (celle
réservée aux arts plastiques), avec six participants.
Et là, après la traditionnelle poignée de main que je tiens à donner à chacun, une
autre magie, celle des rencontres improbables a opéré : pendant les deux jours, jamais
je ne me suis senti plus en sécurité quici
Mercredi
23 avril, matin :
Poignée de main, donc, à chacun des six participants, six hommes, quatre dâges
mûrs et deux plus jeunes. Puis, histoire de ne pas laisser le silence sinstaller,
je me présente, avec quelques-uns des livres que jai apporté, histoire
dêtre crédible dans mon rôle décrivain. Ça ne dure pas
longtemps : plus javance dans les expériences datelier, moins jai
envie de parler de moi, mais surtout découter longuement les participants. Je
réponds à quelques questions, jen pose aussi, sur le quotidien de la prison, la
circulation des livres
Cest une manière efficace et naturelle de briser la
glace, de faire en sorte que la parole circule bien. Certains sont réservés,
dautre plus à laise, mais aucun ne cherche à monopoliser lattention.
Leffet de groupe commence immédiatement très bien : ça prend laspect
dune bande de copains, dans laquelle je serais intégré. Cest idéalement de
ce que je cherche.
Histoire que chacun puisse se présenter, je leur propose décrire leur prénom en
acronyme et que chacune de leur lettre représente une qualité (ou un défaut qui les
caractérise). Chacun lit ses trouvailles et nous discutons sur la manière dont on se
perçoit, et dont les autres vous voient.
Jexplique le distinguo entre qualité, compétences, talents. En effet, au départ,
javais pensé faire écrire les détenus sur leur CV. Je pensais que ça leur serait
utile, mais ils ont déjà des démarches dinsertion. En revanche, discuter autour
de ce que lon sait faire (les compétences), la manière dont on le fait (les
qualités) ou même le génie particulier que lon peut exprimer dans certaines
situation (le talent) est à la base dune recherche demploi efficace (ça
cest lancien RH qui parle
).
En même temps, ces premiers exercices me renseignent sur leur aisance à la parole et à
lécrit. Aucun na de difficulté particulière et le groupe est plutôt
homogène. Ils ont été aide-soignant, agriculteur, mécanicien, cuisinier, bien
insérés dans la société ou les études avant la cassure de la prison.
Juste avant de nous séparer pour le repas, je leur explique le Festival de lécrit
auquel ils vont participer.
Mercredi
23 avril, après-midi :
On reprend sur les écrits du Festival de lécrit. Je
leur montre certains des textes de détenus qui ont été primés les années
précédentes. Puis, nous réfléchissons à leurs portées, leurs
caractéristiques : certains sont nostalgiques, évoquent le passé, dautres
décrivent linstant présent de la détention. Dautres encore se projettent
dans lespoir et le futur. Je leur demande ainsi décrire selon une ou
plusieurs de ces caractéristiques. Je leur parle des « Je me souviens » de
Georges Perec et lun démarre avec cette contrainte. Dautres choisissent
dévoquer le présent, le choc de la prison (pour le plus âge dentre eux qui
découvre lenfermement). Le plus jeune choisit décrire un poème que nous
peaufinerons pendant toute la séance. Je suis très agréablement surpris par la
facilité avec laquelle ils entrent dans lécriture. Même les plus réservés se
révèlent et parlent avec sensibilité et intelligence de ce quils veulent
exprimer. Le plus jeune me parle dhaïkus, il apprend le japonais et envisage de
rejoindre ce pays à sa sortie de prison (qui, hélas pour lui, est très loin
). Ça
tombe bien javais prévu de consacrer une partie du lendemain à cette découverte
poétique.
A la fin des deux heures, je collecte tous leurs textes quils ont pris soin de
recopier et avant de quitter la maison darrêt, je dépose le tout dans le casier de
courrier du SPIP.
Jeudi
24 avril, matin :
Je suis heureux de retrouver le bon petit groupe soudé. Toutes les appréhensions que je
pouvais avoir avant se sont envolées (comment seront les participants ? dans quel
état desprit ? vais-je y arriver). Les six arrivent dans notre petite salle
avec un grand sourire et le même enthousiasme quhier. Lun me dit :
« Cest super, ici, joublie un peu pourquoi je suis ici. Je ne remâche
plus à chaque seconde les tracas, les angoisses du jugement, ça me fait du
bien. ». Le plus jeune nest là que pour cette dernière matinée. Aussi, je
lui laisse la parole pour quil explique à ses co-détenus la vision des haïkus
quil ma laissé très justement apercevoir la veille. Nous écrivons ainsi ces
suite de 3 vers et les participants tiennent à corser le jeu en appliquant la règle
japonaise des 5-7 et 5 syllabes pour chacun des vers.
Jeudi 24 avril, après-midi :
Certains
continuent les haïkus. Je suis surpris de leur volonté et de leur sérieux à
sexprimer à travers la poésie. Nous échangeons beaucoup et ils sont toujours en
demande. Pour la dernière heure, je tente un exercice sur les fables à travers les
fables de la Fontaine et leurs morales associées. Généralement un tel travail réclame
du temps, de linspiration. Mais tous sy collent avec entrain et inventent des
fables à base dautres animaux, avec linévitable morale, qui prend toujours
en prison un sens particulier. Cette dernière séance me donne une excellente impression
pour le Festival de lécrit. Tous ont eu à cur de proposer plusieurs textes
pour participer à la manifestation dautomne.
Nous nous quittons tous avec un large sourire. Je leur souhaite bon courage, certains sont
déjà jugés, dautres en instance. Un détenu ma dit : « On croit
que la prison narrive quà des personnes malhonnêtes, qui lont
mérité, mais il faut bien comprendre que personne nest à labri dun
dérapage, dune entorse à la loi, dun concours de circonstances
malheureux : la détention peut concerner chacun de nous ».
Cest pour leur permettre dexprimer de telles vérités que mon travail dans
ces murs prend tout son sens.
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