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Médiathèque de Reims Croix-Rouge, du 19 septembre au 7 novembre 2024

« Dans l’atelier de l’écrivain »

 

« Je suis lent, je pense lentement, je parle lentement, je vis lentement… C’est parfait pour un romancier »
Richard Ford in L’Amérique des écrivains, Pauline Guéna, Guillaume Binet

Les écrivains, comme pour toute profession, sont confrontés à des problèmes spécifiques. La matière particulière des mots et la possibilité incommensurable de leurs combinaisons provoque d’inévitables choix : place du narrateur et des personnages, construction du style et de la temporalité, plages de descriptions, respiration des dialogues, prises de note et finalisation du texte. Voici quelques aspects avec lesquels tout texte de fiction s’élabore et je me propose d’illustrer quelques options prises par des écrivains.
Ainsi, cet atelier, constitué de 6 séances, doit permettre à chacun de toucher du doigt la manière dont nous fabriquons nos propres histoires

 

Première séance, 19 septembre 2024 :

Juste avant l’arrivée des participants, la salle, magnifiquement prépérée par Emmanuelle.

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J’ai attendu avec impatience cette première séance, programmée depuis la fin de l’année précédente. C’est le cinquième atelier que j’aurai accompli en 2024 (et le vingtième au total) sans compter les cinq mini-ateliers de 2 heures que je vais animer dans les départements du Grand Est lors des restitutions du Festival de l’écrit.
Celui-ci, cependant, me tenait particulièrement à cœur. Je pressentais un public d’habitués, grands lecteurs et passionnés de la chose écrite avec lesquels j’aurais beaucoup de plaisir à partager les auteurs que j’affectionne. Les ateliers que j’anime généralement avec l’association Initiales concernent un public différent, moins stable ou peu habitué à la langue française et pour lequel Rimbaud et bien d’autres sont des inconnus (enfin, avant que je leur en parle !).
La sélection des participants a confirmé mon espoir. L’atelier s’est très rapidement rempli : 12 personnes pressenties (et 5 sur liste d’attente !). De plus, une semaine avant de débuter, j’ai pu envoyer aux inscrits un petit questionnaire destiné à mieux connaître chacun d’eux. Grand succès : 10 réponses, les échanges montrant un public exigeant, ayant, pour la plupart, participé à plusieurs ateliers au cours des années, voire en tant qu’animateur. Bref, la pression montait : pas le droit à l’erreur. J’ai pu glaner des renseignements sur les ateliers précédents, ceux-ci ayant généralement proposé un thème prédéfini (Le Merveilleux, par exemple).
Je suis ainsi arrivé à la première séance, plein d’ardeur, avec l’impression de savoir où je mettais les pieds. Seule ombre à ce tableau idyllique, l’absence de thème d’écriture ou plutôt un thème plus abstrait, l’envie de faire partager l’atelier de l’écrivain, ses problèmes, ses doutes, son questions, ses choix, que des choses pragmatiques qui aident à écrire. Les premières conversations ont été très faciles : grâce à nos échanges préalables, j’avais déjà l’impression de tout connaître des participants. Nous nous sommes présentés mutuellement et j’ai abordé la manière dont je voulais les placer « dans l’atelier de l’écrivain ».
Pour cette première séance, je me suis basé sur des « incipit » de romans pour nouer la relation qui se créée dès le départ entre l’écrivain et le lecteur, et nous avons analysé ces premières lignes de chaque roman : présentation des personnages, de la narration, temporalité, description, dialogue…
J’ai choisi pour cela des débuts célèbres d’auteurs classiques : Proust, Perec, Gabriel Garcia Marquez, Aragon, Paul Nizan, Beckett, Marguerite Duras, Claude Simon, Camus, Tolstoï. Mais j’ai préféré faire participer directement le groupe au sujet d’auteurs « moins morts » et qu’ils m’ont cité dans leurs questionnaires préalables : Delphine De Vigan, Pierre Lemaître, Jean-Baptiste Andrea, David Foenkinos, Anne Berest. J’y ai rajouté Nicolas Mathieu et Éric Holder que je tiens en grande estime.
Pour en revenir à la seule ombre à ce tableau idyllique, le moment du passage destiné à ce que chacun jette quelques mots sur une feuille s’est compliqué, parce que justement, je n’ai pas prévu de sujet émergeant et je leur ai laissé libre choix de construire un ou plusieurs textes qui s’affineront au cours de nos séances. La liberté d’écriture est plus complexe qu’il n’y paraît !
Nous nous sommes quittés sans un seul mot écrit, mais avec la furieuse envie d’en découdre à la prochaine séance : c’est ce que je voulais !

 

Deuxième séance, 26 septembre 2024

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Tout d’abord, comme je l’ai souvent fait pour des ateliers structurés au long cours, je ferai un compte rendu chaque semaine de nos séances sur mon site (ça m’aide). Nous commençons cette seconde séance par un retour de la toute première séance, consacrée notamment à l’incipit (de incipere – commencer) et ses trois fonctions : informative, séductrice, annonce le « pacte de lecture » (savoir pour autant que l’incipit n’est pas forcément le premier paragraphe écrit, l’écriture n’est pas toujours linéaire, dépend des corrections, des remaniements avec soi-même, l’éditeur, etc.)
Je n’ai pas défini de thème et nous avons cherché des idées pour le recueil et la première séance s’est transformée en prise de contact. Quoique, si quelqu’un n’a pas d’idée, je propose d’écrire sur le thème d’un ascenseur qui tombe en panne, puisqu’à l’issue de la première séance une participante s’est retrouvée coincée dedans !
Aujourd’hui, on évoque le narrateur et des personnages d’un roman (ou d’une nouvelle).
Les personnages sont assez faciles à identifier : prénom, nom, caractéristiques (un vieil homme, une jeune femme…). Définition du Petit Robert : personnage = « héros, protagoniste ». Ils sont relayés par des prénoms personnels - Quoique, c’est parfois leur unique manifestation : dans mes romans « du début », il n’y a aucun personnage dans Central (juste des verbes à l’infinitif ou des participes passés ou présents) ; il y a un « On » évasif et universel pour Composants, Tu et vous pour Ils désertent. Ainsi, j’ai vécu l’héritage de la contestation du personnage type XIXème siècle (Dumas, Balzac, Zola, Sand) que le Nouveau roman a révélé (L’Ere du soupçon, Nathalie Sarraute). Mais depuis quelques années, le statut personnage ouvre moins à polémique qu’auparavant, on connaît un retour de la fiction pure (Sophie Divry, Retour du roman, 2017), après les années 1990-2000 consacrée à l’autofiction (« romans » de Christine Angot). Or comme le constate Sophie Divry en citant Romain Gary, l’écrivain passe son temps à éviter les « règlements de compte éthiques avec soi-même ».
Si le statut du personnage ouvre moins à polémique qu’auparavant, on assiste en même temps au retour de personnages stéréotypés (après la collection Arlequin à la Littérature « Feel Good », emprunte de bons sentiments (exemple, Mémé dans les orties d’Aurélie Valogne)
Si le personnage demeure donc important, le narrateur l’est tout autant. Mais qui est-ce ? L’auteur ? Un des personnages ? Plusieurs ? Selon le Petit Robert, le narrateur est une « personne qui raconte ». Dans un texte la première personne du récit, c’est celle qui dit « je » (attention, le risque est grand de confondre alors l’auteur et le narrateur). Trois types de narrateurs sont communément admis :
- Le narrateur interne (confondu avec Je – et avec l’auteur du coup)
- Le narrateur caméra (témoin)
- le narrateur omniscient (qui sait tout de l’histoire et des personnages – il entre dans leurs têtes)
Le Nouveau roman a surtout combattu le roman type XIX° siècle avec noms des personnages (relayés par il ou elle), une narration au passé simple/imparfait et un narrateur omniscient. L’interdiction de des « vieilles ficelles » demeure très présente dans l’esprit des écrivains actuels (de même que l’interdiction des rimes en poésie actuelle)
Afin de faire varier le narrateur, j’ai repris les premières phrases des nouvelles que les participants avaient écrites dans un précédent recueil, histoire de montrer comment le narrateur peut s’affirmer, devenir plus ou moins indépendant, voir carrément changer le point de vue de l’histoire. Il m’a semblé que cette proposition avait rencontré un grand succès.
Je propose ensuite une variation d’écriture avec les pronoms personnels, notamment à partir du recueil Je te nous aime, de la poétesse Albane Gellé (Cheyne).
Puis nous revenons à l’écriture de la nouvelle prévue. Je m’aperçois que certains ont déjà des textes tout prêts qui tiennent déjà bien la route. Tous sont de grands lecteurs, habitués à l’écriture. Le challenge pour les prochaines séances sera de proposer des exercices d’écriture avec des contraintes ludiques, inédites, originales et inhérentes à des préoccupations d’écrivain, je ne veux pas que les participants s’ennuie et surtout qu’ils y trouvent leur compte. Vaste programme !

 

Troisième séance, 4 octobre 2024

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Atelier de Reims, déjà la troisième séance. Nous somme à mi-parcours. Pas de retard, des exercices suivis dans une excellente ambiance, je prends un plaisir infini à rejoindre notre petit groupe d’habitués. J’ai l’impression de connaître chacun d’eux depuis longtemps.
Pour cette troisième séance donc, je débute par un petit retour sur la précédente séance, qui avait pour thème « personnages et narrateur » avant de proposer cette semaine d’évoquer la « description ». C’est important pour moi, car, si je n’ai pas donné de thème d’écriture, tout mon propos s’articule « dans l’atelier de l’écrivain », c’est-à-dire, touiller la cuisine de l’écriture, repérer les inévitables problèmes qui se posent à nos proses. La description, au programme de cette semaine, est justement au cœur de l’écriture. Selon Claude Simon (prix Nobel de littérature en 1985, excusez du peu), c’est « le concret, c'est ce qui est intéressant, la description d'objets, de paysages, de personnages ou d'actions ; en dehors, c'est du n'importe quoi. » Il s’agit à la fois de faire vrai et, en même temps, de se représenter la description au sens large : le remplissage d’écriture, tout ce qui n’est pas dialogue, comme le dit encore Claude Simon, écrire, c’est comme « le premier chapitre de math sup : c’est arrangements, permutations, combinaisons… ».
En ce qui concerne la description, Claude Simon est de ceux qui procèdent « par étouffement » : luxe de détails, comme Proust. Le plaisir du texte (pour citer Roland Barthes) serait ainsi du même ordre que le plaisir obtenu dans l’abondance (surconsommation). De là à imaginer une jouissance dans la suffocation est une exagération que n’aurait pas renié Roland Barthes, toujours à la l’affût de ponts entre écriture et sexualité.
Beckett est de ceux, au contraire, qui n’ont eu de cesse d’amoindrir leurs écrits. Son éditeur, Jérôme Lindon, patron des éditions de minuit, se plaignait de ses opus toujours plus maigres. Mais cette fois-ci, le plaisir du texte vient dans l’espace vide qui se créé et qui favorise la réflexion et l’évasion chez le lecteur.
A noter qu’on retrouve les mêmes effets dans la poésie japonaise et les haïkus. Roland Barthes (encore lui) ne s’y est pas trompé en inscrivant des séances sur cette poésie japonaise dans ses cours au Collège de France en 1979 sur « la préparation du roman ». En résumé, lire Claude Simon ou Proust c’est être dans le monde, la foule, le bruit et lire Beckett (ou beaucoup de poésie, ce serait marcher dans un bois désert, une plage vide...etc.
Samuel Beckett, donc(également prix Nobel de littérature en 1969), et Claude Simon, deux représentants du Nouveau roman, ainsi que l’universitaire Roland Barthes, ont ainsi modélisé « la description ». Le principal effet recherché est de creuser « l’effet de réél » (toujours un mot de Barthes). L’instantané de la description aperçus est ainsi souvent plus fouillé et donc plus long à lire que les brefs instants qui la composent. Comme le dit Jean Ricardou, autre penseur du Nouveau roman : « Le récit n'est plus l'écriture d'une aventure, mais l'aventure d'une écriture » (Pour une théorie du Nouveau roman).
Mais laissons-là ces considérations même si il est bon de replacer la littérature dans son contexte et avançons concrètement : Je propos comme premier exercice d’écrire une description précise à la manière de Claude Simon dans l’incipit de L’acacia, où l’écrivain est assis à sa table, décrivant l’arbre (l’acacia) devant sa fenêtre.
Le résultat est très beau, plusieurs participants s’inspirent de leur univers d’écriture. C’est tellement réussi que nous décidons d’en faire figurer dans le petit recueil qui clôturera cet atelier.
En guise de deuxième exercice, cette fois-ci, c’est l’abstraction poétique des haïkus que nous expérimentons. Cet art de vivre qui relie les saisons et l’extérieur à nos pensées intérieures dans une poésie de l’instant est à l’inverse de la profusion : il s’agit décrire en trois vers seulement ces moments infimes (des « tropismes », dirait Nathalie Sarraute – autre écrivain du Nouveau roman).
Je corse l’affaire en demandant qu’on tente de respecter le mouvement japonais du compte de syllabes : trois vers en 5/7/5. Cela, me semble-t-il ajoute une contrainte dont bénéficie le petit poème : il faut retrancher, voire changer les mots (toujours «  arrangements, permutations, combinaisons ») et ainsi donner une vision autre de ce que l’on veut exprimer.
Pour conclure, ce fût encore une belle séance à mi-chemin de notre atelier. Un regret cependant : il va falloir nous atteler sérieusement à l’élaboration de notre petit recueil : ce sera la priorité de la prochaine séance, la quatrième !

 

Quatrième séance, 9 octobre 2024

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        " J'ai lu Le grand Meaulnes et Le petit Chose " (Michel)

Sérieux et rires : ainsi pourrait-on qualifier l’atelier de la médiathèque de Reims Croix-Rouge, déjà au 2/3 de son parcours.
Sérieux comme les livres étalés et photographiés dans mon bureau, bibliographie qui se constitue à chaque séance (j’en ferai un inventaire à la fin).
Rires aussi, car tout cela est évoqué dans la bonne humeur avec forces plaisanteries comme l’indique la phrase de Michel ci-dessus. Il paraît que nos éclats résonnent dans la médiathèque désertée à partir de 18h. Car je ne l’ai pas encore signalé : notre atelier commence à 17h30 chaque jeudi, mais se termine jamais avant 20h30, tant nous sommes bavards, mais aussi travailleurs (et grands mercis à Emmanuelle et aux bibliothécaires qui allongent considérablement leur journée de travail).
Sérieux et rires donc, car écrire, c’est mettre sa vie en jeu, dans tous les sens du terme (ou "le déréglement des sens", comme l'écrivait Rimbaud dans sa Lettre du voyant).
Cette quatrième séance commence par le rituel petit aperçu de la précédente : nous avons évoqué la description, et des textes magnifiques ont été écrits, de la prose mais également des poèmes courts, haïkus concoctés par les participants.
Cette semaine cependant, j’ai voulu commencer de suite par le versant sérieux de nos activités : nous avons un petit recueil à constituer : écrire, c’est aussi laisser des traces de nos rencontres. Les textes commencent à me parvenir, pour mon plus grand bonheur. Chacun a à cœur de présenter son travail, ses inspirations, obsessions, thèmes privilégiés : il faut dire que je n’ai pas donné de consignes d’écriture, juste celle de se placer « dans l’atelier de l’écrivain », ce qui ferait par ailleurs un beau titre à notre recueil. Je fais le tour de chacun, j’ai l’impression qu’un grand tout se constitue, une page d’accueil pour chaque participant avec photo (en situation – encore à réaliser) et un petit haïku d’introduction écrit par leur soin. Puis, suivra, pour ceux qui les ont rédigés, un petit texte sur les affres, aléas et univers propre à leur l’écriture, enfin, une petite nouvelle, imaginée pendant ou en dehors de l’atelier. Et je mesure combien finalement le thème « dans l’atelier de l’écrivain » correspond bien à cette liberté d’écriture.
Mais il faut d’avancer justement sur ce thème des préoccupations de l’écriture, celles qui nous taraudent. Après les premières lignes, le choix des personnages, de la narration, le remplissage des descriptions, la temporalité nous pose alors question : vaut-il mieux écrire au passé ? Au présent ? Et pourquoi ne pas essayer le futur où le conditionnel ?
Ce sont ces deux temps ou mode, peu usités, que je propose comme exercice aujourd’hui. Je donne quelques exemple : Octobre, de Francis Cabrel, Un jour tu verras, de Mouloudji où le fameux Demain dès l’aube de Hugo, sont écrits au futur. Côté conditionnel, Brigitte Giraud avec Vivre vite démonte tous les « si » qui ont conduit au drame qui l’a touché. Chacun se recueille pour écrire, dans le « petit moment magique » qui m’émeut à chaque fois : les stylos qui grattent le papier en silence, les yeux qui se perdent dans le vague, chacun concentré sur ses propres mots.
Histoire de délasser les participants et parce qu’une séance de 3 heures ne peut-être complète sans la récréation de la poésie, je propose que l’on tente de refaire les deux quatrains du poème Sensation, avec si possible les même mots agencés de façon différente. Exercice Ô combien difficile ! Et qui prouve qu’il n’y a rien de trop chez Rimbaud. C’est encore quand on s’éloigne à la marge avec d’autres mots que les poèmes produits sont les plus convaincants.
La semaine prochaine, ce sera place au dialogue (encore une préoccupation d’écriture) pour notre avant-dernière séance juste avant les vacances de la Toussaint.

 

Cinquième séance, 17 octobre 2024.

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Avant-dernière séance de cet atelier rondement mené à raison d’un rendez-vous hebdomadaire tenu depuis mi-septembre. Mais c’est le rythme qu’il convient pour garder une progression et ne pas laisser relâcher le dynamisme. Les vacances de la Toussaint vont toutefois apporter une trêve et notre dernière séance est éloignée de 3 semaines, mais, pour cette conclusion, c’est bien également d’avoir un peu de temps pour y réfléchir tous ensemble.
Nous avons commencé par faire le point sur notre projet de recueil. S’il est prévu pour le printemps prochain, il est bien qu’il puisse bénéficier du dynamisme de notre atelier et vraiment tout le monde joue le jeu et tient beaucoup à finaliser cet enjeu. Chacun m‘a envoyé une ou deux nouvelles (ou prévoit de le faire). C’est le moment de discuter de chaque nouvelle : est-elle dans le ton du recueil ? De combien de signes est-elle composée ? Ce dernier point est le plus difficile. Certaines nouvelles sont courtes, peut-être trop, elle peuvent paraître trop sèches, au risque de laisser le lecteur sur sa faim. D’autres sont trop longues. Parfois, elles dépassent presque du double le nombre de caractères « autorisés ». Ce qui rend le travail de réécriture délicat : en effet, réduire un texte de 10% est assez facile, on fait la traque aux adjectifs inutiles, on simplifie des tournures de phrases, mais lorsqu’il s’agit de réduire de moitié, il faut repenser le texte dans sa globalité, réfléchir à l’opportunité de conserver tel paragraphe. En fait, c’est le travail habituel du journaliste, contraint à un espace restreint, mais, de plus, lorsqu’il s’agit d’un texte personnel ou d’invention qui dépasse la simple information, l’enjeu est plus difficile, il faut vraiment réfléchir à ce pourquoi on tient tant à ce texte : et évidemment cela remue tout le tréfond de notre fibre d’autrice ou d’auteur. On est bien cette fois, les deux pieds « dans l’atelier de l’écrivain » !
Mais il est temps de varier les plaisirs : justement en parlant de préoccupations de l’écriture, les dialogues posent souvent question à de nombreux auteurs. Faut-il respecter les règles typographiques, les guillemets, le tiret cadratin (qui est bien le tiret du dialogue et non celui qui se trouve sous le 6 ! ». Quand faut-il relancer avec dit-il, répondit-elle ? Bref, toute personne qui s’essaie à un texte avec des dialogues réfléchit aux choix nombreux qui s’offrent. J’ai distribués quelques exemples qui montrent la variété des options et des réponses, dialogues intérieurs, disgressions sans fin, ou au contraire, réparties vives et immédiates. Mais il demeure un invariant : au moment ou on lit un dialogue, on rentre dans une unité de temps qui est celle de l’échange, de la pensée intérieure, du dialogue direct ou indirect et celle-ci est indépendante de la temporalité choisie : par exemple, dans Le Comte de Monte-Cristo, la narration est au passé mais les dialogues donnent une impression de présent. Je cite également en exemple quelques textes rédigés par nos habitués de l’atelier et publié dans un précédent recueil. Michel, par exemple, maitrise parfaitement l’insertion des dialogues, aussi bien dans la forme ou sur le fond. Marine dans sa nouvelle, indique que son héroïne n’a d’autre solution que « d’appeler Yvan, son meilleur ami », qui paraît 15 mn plus tard : je reste sur ma faim : que se sont-ils dit ? Ces exemples montrent combien les dialogues peuvent apporter de la vie au récit : s’il n’y avait pas autant de dialogues dans Le Comte de Monte-Cristo, on ne lirait pas à la manière d’un page-turner.
Bien entendu, en exercice pratique, je fais rédiger de petits dialogues !
Avant de nous quitter, je tiens à partager quelques poésies choisies d’Arthur Rimbaud, dont on va fêter le 170ème anniversaire de la naissance le dimanche qui suit. Parmi elle, un extrait du Bateau ivre, et j’incite dans un dernier exercice de continuer cette divagation dans le ton du poème en y rajoutant un ou deux quatrains, en alexandrins bien entendu, avec alternance de rimes masculines et féminines, comme on le faisait à l’époque.
Suite au prochain (et hélas dernier) numéro…

 

Sixième séance, 7 novembre 2024 

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Voici la sixième et dernière séance, dont le sujet, prévu d’avance, (la finalisation du texte, les corrections) vient conclure le sujet général « Dans l’atelier de l’écrivain », et qui visait à expliciter le parcours de tout écrivain confronté à ses textes. Ainsi, nous aurons évoqué la place du narrateur et des personnages, la construction du style, la temporalité, les plages de descriptions, la respiration des dialogues, et pour terminer, la finalisation du texte. 
En réalité, ces sujets, qui pour moi constituent la charpente de nos préoccupations d’écriture, sont passés, non pas inaperçus, mais plutôt noyés dans les petits exercices (que j’espère ludiques) et les exemples qui les ont illustrés. Étude des incipits, (comment on commence un texte), puis surviennent les personnages, comment doit-on les nommer ? avec quels pronoms personnels ? qu’est-ce que ce choix induit sur la narration ? où se trouve le narrateur ? Nous avons comparé la logorrhée de Proust et de Claude Simon, la concision de Beckett et de la poésie japonaise. Nous avons écrit au futur, au conditionnel. Nous avons expérimenté des dialogues. Nous avons rédigé des sonnets, tenté de continuer le Bateau ivre de Rimbaud. Questions, interrogations et semblants de réponse, tout cela appliqué plus ou moins au sein d’une ou deux nouvelles à paraître dans un vrai recueil collectif qui sera édité au premier semestre 2025. Mission accomplie donc.
Cette préoccupation du recueil à venir aura ainsi occupé une bonne part des trois dernières séances, et particulièrement la dernière. Comment s’appellera-t-il ? Comment les textes seront ils organisés ? quelle sera la cohérence entre eux ? Faut-il réduire ou, au contraire, augmenter chaque nouvelle ? Comment faire ? Le travail devient maintenant individuel presque. Je dois faire le lien avec chaque participant et c’est une autre manière de garder contact, presque un travail d’édition. Je mesure avec plaisir la satisfaction des échanges individuels qui vont se poursuivre pendant quelques mois encore. Oui, garder le contact avec ce groupe si chaleureux.
Afin que chacun se mette en appétit, tous ont lu à voix haute le début de leurs histoire et les réactions sont déjà partagées : chacun veut connaître la suite… D’ailleurs c’est une idée, la lecture à voix haute : peut-être pourrions-nous organiser une lecture à la médiathèque de ces écrits lorsque le recueil sera finalisé ? à suivre…
Sinon, nous avons joué avec la figure mythique de l’écrivain pour terminer cette séance : le faux journal de Benjamin Jordane, les vrais dialogues entre Beckett et le regretté Charles Juliet, les doctes Carnets de note de Pierre Bergounioux.
Mais le plus important à mes yeux reste les conseils de Martin Winckler « des biscuits pour la route », qui figurent au centre de son manuel « ateliers d’écriture ». Voilà qui finit admirablement cette belle aventure !

 

Bibliographie :

Tout au long des six séances, j’ai cité beaucoup de livres, bien sûr, ceux de diaristes, de romanciers, de nouvellistes, de poètes, français ou étrangers que j’apprécie. Parmi eux :

    • Les carnets de notes, de Pierre Bergounioux, Verdier
    • Les journaux, de Charles Juliet, P.O.L.
    • Rencontres avec Samuel Beckett, de Charles Juliet, P.O.L.
    • Les nouvelles (toutes), d’Annie Saumont
    • Vivre ensemble le festival de l’écrit, recueil 2024 par Initiales
    • Sister-ship et Doggerland, d’Elisabeth Filhol, P.O.L.
    • Le comte de Monte-Cristo, d’Alexandre Dumas, Pléiade.
    • Le pays où on n’arrive jamais, d’André Dhôtel, Horay
    • Vivre vite, de Brigitte Giraud, Flammarion
    • Leurs enfants après eux, de Nicolas Mathieu, Actes Sud
    • Le grand monde et les romans de Pierre Lemaître, Calmann Levy
    • La Nuit. Le Sommeil. La Mort. Les Étoiles, de Joyce Carol Oates, Philippe Rey
    • La foi d’un écrivain, de Joyce Carol Oates, Philippe Rey
    • Le cahier de l’Herne consacré à Joyce Carol Oates
    • La recherche du temps perdu, de Proust
    • Tous les romans de Claude Simon, Histoire, L’acacia, La route des Flandres
    • Dix heures et demie du soir en été, de Marguerite Duras, Folio
    • Mademoiselle Chambon, d’Éric Holder, Flammarion
    • Les poésies complète de Rimbaud
    • Du monde entier au cœur du monde, de Blaise Cendrars, Denoël
    • Le parti pris des choses, de Francis Ponge, Gallimard
    • Sonnets pour une fin de siècle, d’Alain Bosquet, Gallimard
    • Résidence sur la terre et tous les poèmes de Pablo Neruda
    • Anthologie de la poésie haïtienne contemporaine, Seuil
    • Je te nous aime, d’Albane Gellé, Cheyne
    • Haïku, par Roger Munier, Fayard

Et aussi Balzac, Zola, Sand, tout Perec, Gabriel Garcia Marquez, Aragon, Paul Nizan, Beckett, Camus, Tolstoï, Hugo, Prévert, Mouloudji, sans oublier les contemporains Delphine De Vigan, Jean-Baptiste Andrea, David Foenkinos, Anne Berest. Romain Gary, Francis Cabrel… mes livres aussi, ainsi que le précédent recueil de l’atelier de Reims Croix-Rouge, animé par Nicolas Jaillet en 2022, Gamberges d’automne.

J’ai utilisé aussi des livres de théories et d’histoires littéraires :

    • La préparation du roman, cours de Roland Barthes, Seuil
    • Le plaisir du texte, de Roland Barthes, Seuil
    • Fiction et diction, de Gérard Genette, Seuil
    • Seuils, de Gérard Genette, Seuil
    • Fait et fiction, de Françoise Lavocat, seuil
    • Le roman depuis la révolution française, de Bruno Blanckeman, P.U.F.
    • L’anthologie de la littérature contemporaine française, de Dominique Viart, Armand Colin
    • La littérature française au présent, de Dominique Viart et Bruno Vercier, Bordas
    • Le poème en prose, de Yves Vadé, Belin
    • L’ère du soupçon, de Nathalie Sarraute, Gallimard
    • Le nouveau roman, de Jean Ricardou, Seuil
    • Pour un nouveau roman, d’Alain Robbe-Grillet, Gallimard
    • Ateliers d’écriture, de Martin Winckler, P.O.L.
    • Rouvrir le roman, de Sophie Divry, Notab/Lia
    • Tous les mots sont adultes, de François Bon
    • L’apprentissage du roman, de Benjamin Jordane, par Jean-Benoît Puech, Champ Vallon