depuis septembre 2000
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Médiathèque de Reims
Croix-Rouge, du 19 septembre au 7 novembre 2024
« Dans latelier de
lécrivain »
« Je suis lent, je pense lentement, je parle
lentement, je vis lentement
Cest parfait pour un romancier »
Richard Ford in LAmérique des écrivains, Pauline Guéna, Guillaume
Binet
Les écrivains, comme pour toute profession, sont confrontés à des problèmes
spécifiques. La matière particulière des mots et la possibilité incommensurable de
leurs combinaisons provoque dinévitables choix : place du narrateur et des
personnages, construction du style et de la temporalité, plages de descriptions,
respiration des dialogues, prises de note et finalisation du texte. Voici quelques aspects
avec lesquels tout texte de fiction sélabore et je me propose dillustrer
quelques options prises par des écrivains.
Ainsi, cet atelier, constitué de 6 séances, doit permettre à chacun de toucher du doigt
la manière dont nous fabriquons nos propres histoires
Première séance, 19
septembre 2024 :
Juste avant larrivée des participants, la salle,
magnifiquement prépérée par Emmanuelle.
Jai attendu avec impatience cette première séance,
programmée depuis la fin de lannée précédente. Cest le cinquième atelier
que jaurai accompli en 2024 (et le vingtième au total) sans compter les cinq
mini-ateliers de 2 heures que je vais animer dans les départements du Grand Est lors des
restitutions du Festival de lécrit.
Celui-ci, cependant, me tenait particulièrement à cur. Je pressentais un public
dhabitués, grands lecteurs et passionnés de la chose écrite avec lesquels
jaurais beaucoup de plaisir à partager les auteurs que jaffectionne. Les
ateliers que janime généralement avec lassociation Initiales concernent
un public différent, moins stable ou peu habitué à la langue française et pour lequel
Rimbaud et bien dautres sont des inconnus (enfin, avant que je leur en parle !).
La sélection des participants a confirmé mon espoir. Latelier sest très
rapidement rempli : 12 personnes pressenties (et 5 sur liste dattente !).
De plus, une semaine avant de débuter, jai pu envoyer aux inscrits un petit
questionnaire destiné à mieux connaître chacun deux. Grand succès : 10
réponses, les échanges montrant un public exigeant, ayant, pour la plupart, participé
à plusieurs ateliers au cours des années, voire en tant quanimateur. Bref, la
pression montait : pas le droit à lerreur. Jai pu glaner des
renseignements sur les ateliers précédents, ceux-ci ayant généralement proposé un
thème prédéfini (Le Merveilleux, par exemple).
Je suis ainsi arrivé à la première séance, plein dardeur, avec limpression
de savoir où je mettais les pieds. Seule ombre à ce tableau
idyllique, labsence de thème décriture ou plutôt un thème plus
abstrait, lenvie de faire partager latelier de lécrivain, ses
problèmes, ses doutes, son questions, ses choix, que des choses pragmatiques qui aident
à écrire. Les premières conversations ont été très faciles : grâce à nos
échanges préalables, javais déjà limpression de tout connaître des
participants. Nous nous sommes présentés mutuellement et jai abordé la manière
dont je voulais les placer « dans latelier de lécrivain ».
Pour cette première séance, je me suis basé sur des « incipit » de
romans pour nouer la relation qui se créée dès le départ entre lécrivain et le
lecteur, et nous avons analysé ces premières lignes de chaque roman : présentation
des personnages, de la narration, temporalité, description, dialogue
Jai choisi pour cela des débuts célèbres dauteurs classiques : Proust,
Perec, Gabriel Garcia Marquez, Aragon, Paul Nizan, Beckett, Marguerite Duras, Claude
Simon, Camus, Tolstoï. Mais jai préféré faire participer directement le groupe
au sujet dauteurs « moins morts » et quils mont cité dans
leurs questionnaires préalables : Delphine De Vigan, Pierre Lemaître, Jean-Baptiste
Andrea, David Foenkinos, Anne Berest. Jy ai rajouté Nicolas Mathieu et Éric Holder
que je tiens en grande estime.
Pour en revenir à la seule ombre à ce tableau idyllique, le moment du passage destiné
à ce que chacun jette quelques mots sur une feuille sest compliqué, parce que
justement, je nai pas prévu de sujet émergeant et je leur ai laissé libre choix
de construire un ou plusieurs textes qui saffineront au cours de nos séances. La
liberté décriture est plus complexe quil ny paraît !
Nous nous sommes quittés sans un seul mot écrit, mais avec la furieuse envie den
découdre à la prochaine séance : cest ce que je voulais !
Deuxième séance, 26 septembre 2024
Tout dabord, comme je lai souvent fait pour des ateliers structurés au
long cours, je ferai un compte rendu chaque semaine de nos séances sur mon site (ça
maide). Nous commençons cette seconde séance par un retour de la toute première
séance, consacrée notamment à lincipit (de incipere
commencer) et ses trois fonctions : informative, séductrice, annonce le «
pacte de lecture » (savoir pour autant que lincipit nest pas forcément le
premier paragraphe écrit, lécriture nest pas toujours linéaire, dépend des
corrections, des remaniements avec soi-même, léditeur, etc.)
Je nai pas défini de thème et nous avons cherché des idées pour le recueil et la
première séance sest transformée en prise de contact. Quoique, si quelquun
na pas didée, je propose décrire sur le thème dun ascenseur qui
tombe en panne, puisquà lissue de la première séance une participante
sest retrouvée coincée dedans !
Aujourdhui, on évoque le narrateur et des personnages dun roman (ou
dune nouvelle).
Les personnages sont assez faciles à identifier : prénom, nom, caractéristiques
(un vieil homme, une jeune femme
). Définition du Petit Robert : personnage =
« héros, protagoniste ». Ils sont relayés par des prénoms personnels -
Quoique, cest parfois leur unique manifestation : dans mes romans « du
début », il ny a aucun personnage dans Central (juste des verbes à
linfinitif ou des participes passés ou présents) ; il y a un
« On » évasif et universel pour Composants, Tu et vous pour Ils
désertent. Ainsi, jai vécu lhéritage de la contestation du personnage
type XIXème siècle (Dumas, Balzac, Zola, Sand) que le Nouveau roman a révélé (LEre
du soupçon, Nathalie Sarraute). Mais depuis quelques années, le statut personnage
ouvre moins à polémique quauparavant, on connaît un retour de la fiction pure
(Sophie Divry, Retour du roman, 2017), après les années 1990-2000 consacrée à
lautofiction (« romans » de Christine Angot). Or comme le constate
Sophie Divry en citant Romain Gary, lécrivain passe son temps à éviter les
« règlements de compte éthiques avec soi-même ».
Si le statut du personnage ouvre moins à polémique quauparavant, on assiste en
même temps au retour de personnages stéréotypés (après la collection Arlequin à la
Littérature « Feel Good », emprunte de bons sentiments (exemple, Mémé
dans les orties dAurélie Valogne)
Si le personnage demeure donc important, le narrateur lest tout autant. Mais qui
est-ce ? Lauteur ? Un des personnages ? Plusieurs ? Selon le
Petit Robert, le narrateur est une « personne qui raconte ». Dans un texte la
première personne du récit, cest celle qui dit « je » (attention, le
risque est grand de confondre alors lauteur et le narrateur). Trois types de
narrateurs sont communément admis :
- Le narrateur interne (confondu avec Je et avec lauteur du coup)
- Le narrateur caméra (témoin)
- le narrateur omniscient (qui sait tout de lhistoire et des personnages il
entre dans leurs têtes)
Le Nouveau roman a surtout combattu le roman type XIX° siècle avec noms des personnages
(relayés par il ou elle), une narration au passé simple/imparfait et un narrateur
omniscient. Linterdiction de des « vieilles ficelles » demeure très
présente dans lesprit des écrivains actuels (de même que linterdiction des
rimes en poésie actuelle)
Afin de faire varier le narrateur, jai repris les premières phrases des nouvelles
que les participants avaient écrites dans un précédent recueil, histoire de montrer
comment le narrateur peut saffirmer, devenir plus ou moins indépendant, voir
carrément changer le point de vue de lhistoire. Il ma semblé que cette
proposition avait rencontré un grand succès.
Je propose ensuite une variation décriture avec les pronoms personnels, notamment
à partir du recueil Je te nous aime, de la poétesse Albane Gellé (Cheyne).
Puis nous revenons à lécriture de la nouvelle prévue. Je maperçois
que certains ont déjà des textes tout prêts qui tiennent déjà bien la route. Tous
sont de grands lecteurs, habitués à lécriture. Le challenge pour les prochaines
séances sera de proposer des exercices décriture avec des contraintes ludiques,
inédites, originales et inhérentes à des préoccupations décrivain, je ne veux
pas que les participants sennuie et surtout quils y trouvent leur compte.
Vaste programme !
Troisième séance, 4 octobre 2024
Atelier de Reims, déjà la troisième séance. Nous somme à
mi-parcours. Pas de retard, des exercices suivis dans une excellente ambiance, je prends
un plaisir infini à rejoindre notre petit groupe dhabitués. Jai
limpression de connaître chacun deux depuis longtemps.
Pour cette troisième séance donc, je débute par un petit retour sur la précédente
séance, qui avait pour thème « personnages et narrateur » avant de proposer
cette semaine dévoquer la « description ». Cest important pour
moi, car, si je nai pas donné de thème décriture, tout mon propos
sarticule « dans latelier de lécrivain »,
cest-à-dire, touiller la cuisine de lécriture, repérer les inévitables
problèmes qui se posent à nos proses. La description, au programme de cette semaine, est
justement au cur de lécriture. Selon Claude Simon (prix Nobel de littérature
en 1985, excusez du peu), cest « le concret, c'est ce qui est intéressant, la
description d'objets, de paysages, de personnages ou d'actions ; en dehors, c'est du
n'importe quoi. » Il sagit à la fois de faire vrai et, en même temps, de se
représenter la description au sens large : le remplissage décriture, tout ce
qui nest pas dialogue, comme le dit encore Claude Simon, écrire, cest comme
« le premier chapitre de math sup : cest arrangements, permutations, combinaisons
».
En ce qui concerne la description, Claude Simon est de ceux qui procèdent « par
étouffement » : luxe de détails, comme Proust. Le plaisir du texte (pour
citer Roland Barthes) serait ainsi du même ordre que le plaisir obtenu dans
labondance (surconsommation). De là à imaginer une jouissance dans la suffocation
est une exagération que naurait pas renié Roland Barthes, toujours à la
laffût de ponts entre écriture et sexualité.
Beckett est de ceux, au contraire, qui nont eu de cesse damoindrir leurs
écrits. Son éditeur, Jérôme Lindon, patron des éditions de minuit, se plaignait de
ses opus toujours plus maigres. Mais cette fois-ci, le plaisir du texte vient dans
lespace vide qui se créé et qui favorise la réflexion et lévasion chez le
lecteur.
A noter quon retrouve les mêmes effets dans la poésie japonaise et les haïkus.
Roland Barthes (encore lui) ne sy est pas trompé en inscrivant des séances sur
cette poésie japonaise dans ses cours au Collège de France en 1979 sur « la
préparation du roman ». En résumé, lire Claude Simon ou Proust cest être
dans le monde, la foule, le bruit et lire Beckett (ou beaucoup de poésie, ce serait
marcher dans un bois désert, une plage vide...etc.
Samuel Beckett, donc(également prix Nobel de littérature en 1969), et Claude Simon, deux
représentants du Nouveau roman, ainsi que luniversitaire Roland Barthes, ont ainsi
modélisé « la description ». Le principal effet recherché est de creuser
« leffet de réél » (toujours un mot de Barthes). Linstantané de
la description aperçus est ainsi souvent plus fouillé et donc plus long à lire que les
brefs instants qui la composent. Comme le dit Jean Ricardou, autre penseur du Nouveau
roman : « Le récit n'est plus l'écriture d'une aventure, mais l'aventure
d'une écriture » (Pour une théorie du Nouveau roman).
Mais laissons-là ces considérations même si il est bon de replacer la littérature dans
son contexte et avançons concrètement : Je propos comme premier exercice
décrire une description précise à la manière de Claude Simon dans lincipit
de Lacacia, où lécrivain est assis à sa table, décrivant
larbre (lacacia) devant sa fenêtre.
Le résultat est très beau, plusieurs participants sinspirent de leur univers
décriture. Cest tellement réussi que nous décidons den faire figurer
dans le petit recueil qui clôturera cet atelier.
En guise de deuxième exercice, cette fois-ci, cest labstraction poétique des
haïkus que nous expérimentons. Cet art de vivre qui relie les saisons et
lextérieur à nos pensées intérieures dans une poésie de linstant est à
linverse de la profusion : il sagit décrire en trois vers seulement ces
moments infimes (des « tropismes », dirait Nathalie Sarraute autre
écrivain du Nouveau roman).
Je corse laffaire en demandant quon tente de respecter le mouvement japonais
du compte de syllabes : trois vers en 5/7/5. Cela, me semble-t-il ajoute une
contrainte dont bénéficie le petit poème : il faut retrancher, voire changer les
mots (toujours « arrangements, permutations, combinaisons ») et ainsi donner
une vision autre de ce que lon veut exprimer.
Pour conclure, ce fût encore une belle séance à mi-chemin de notre atelier. Un regret
cependant : il va falloir nous atteler sérieusement à lélaboration de notre
petit recueil : ce sera la priorité de la prochaine séance, la quatrième !
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