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Intervention au Centre de détention de Villenauxe-la-Grande, jeudi 2 et vendredi 3 novembre 2023

 

Tout d’abord, je tiens à remercier Interbibly  qui a organisé cette programmation d’un point de vue logistique, ainsi que la coordinatrice des actions socioculturelles au SPIP de l’Aube et de la Haute-Marne, qui m’a accueilli au centre de détention et qui s’est beaucoup impliquée pour cette rencontre.

Dans le parcours d’un écrivain, même habitué à rencontrer des publics éloignés de la culture, une intervention en milieu carcéral présente des spécificités et une gageure pour l’intervenant. La rencontre de Villenauxe n’y a pas échappé. Le milieu carcéral obéit à un langage professionnel (SPIP…), mais aussi celui des détenus (le mitard, être « tombé »…). Les codes ne sont pas les mêmes qu’à l’extérieur, pas de portable, de nombreux sas à passer, des serrures, des grilles, et même l’enfermement avec les détenus dans la bibliothèque le temps de l’atelier ! Les détenus sont appelés par leur noms, rarement par leurs prénoms, le vouvoiement est de rigueur et les relations entre détenus et professionnels sont à la fois courtoises et retenues, avec sans cesse présent à l’esprit l’idée de ne pas aller trop loin dans la familiarité et a contrario dans l’indifférence. Pour ce type de rencontre, les objectifs de ceux qui les organisent rejoignent l’idée que la détention n’est qu’un temps, une étape pour préparer à la fois l’insertion après la prison et aussi la prévention de la récidive. C’est dans ce cadre qu’intervient l’écrivain, à la fois libre de son expression et de ce qu’il veut faire passer aux participants dans le domaine littéraire, mais aussi tributaire de l’utilité de réinsertion que peut provoquer son intervention.

Le programme que nous avions élaboré pour trois séances de 2 heures sur 2 jours consécutifs proposait une première partie où je présentais mon travail d’écrivain, et notamment, afin de rendre plus vivante la première séance, une discussion sur la manière dont un livre est adapté au cinéma, grâce à l’exemple de mon roman Ils désertent (Fayard, 2012) proposé en long métrage en 2023 sous le titre L’homme debout. Dans les deux heures suivantes, j’ai évoqué Yougoslave (Fayard, 2020), un roman familial qui devait servir à une première séance d’écriture où les détenus devait évoquer un souvenir familial, une personne proche qu’ils aimaient bien…etc. Dans l’idéal, je comptais occuper les deux heures suivantes (celles du vendredi matin) pour approfondir ces écrits.

La première séance a été conforme à ce que j’espérais. J’ai su instaurer un climat d’écoute et de participation avec chacun (douze étaient présents). Je les appelait par leur prénom et j’avoue être souvent passé au tutoiement. Leurs apports ont été fructueux et leurs questions pertinentes. La présentation de mon roman familial au début de la deuxième séance a également été bien accueillie. Les mêmes participants étaient revenus (onze ou douze) ce qui a montré leur intérêt. J’ai eu en revanche plus de mal à leur faire démarrer l’écriture sur leur famille. Certains qui avaient pourtant bien participé à l’oral ont préféré s’abstenir ou vouloir écrire plus tard dans leur cellule pour me ramener leur textes le lendemain (peu l’ont fait). Les autres ont néanmoins écrit de beaux paragraphes. L’idée d’un atelier d’écriture étant de partager avec les autres la lectures des textes produits, je me suis chargé de cette tâche et quelques textes très beaux (sur l’importance d’un père) ont été applaudis par les participants. Je tiens à souligner l’apport essentiel de la coordinatrice qui est resté toute cette première journée (accompagnée d’une éducatrice spécialisée en stage l’après-midi) : c’est important pour pouvoir mesurer à travers son attitude où placer soi-même le curseur de l’empathie, ne pas chercher à en faire trop (ou pas assez…). J’ai particulièrement apprécié nos échanges pour tirer un bilan après cette première journée. Pour la troisième séance du vendredi, remonté comme un coucou, je me suis rendu cette fois-ci tout seul (accompagné néanmoins par l’éducatrice spécialisée) à la bibliothèque où j’ai retrouvé avec plaisir les onze ou douze participants de la veille (ce qui démontre qu’ils y avaient pris un intérêt). Il m’a semblé que le sujet familial pour lequel je comptais au départ poursuivre sur deux séances était épuisé, trop abstrait peut-être, plaçant la barre trop haut avec uniquement une consigne « écrire sur sa famille ». J’ai préféré pour cette dernière partie, baliser des jeux d’écriture plus organisés. En mise en bouche, une écriture avec uniquement des verbes, comme l’avait fait Georges Perec avec son texte Emménager/déménager. J’ai poursuivi encore avec Georges Perec et ses fameuses phrases commençant toutes par « je me souviens ». Grand succès ! « Je me souviens de l’odeur de la barbe à papa » ; « Je me souviens de ma première chute à vélo » ; et, de circonstance, écrit simplement par un des détenus : « Je me souviens de mon premier cambriolage ». Nous avons terminé la séance par une planche de BD de Boule et Bill en guise de récréation où les dialogues des bulles étaient à réécrire. Je voulais tenir sans temps mort jusqu’à la fin, car la veille, en attendant que le surveillant nous ouvre, les participants avaient constitué des petits groupes, pouvant parfois mettre mal à l’aise les encadrants.

Je garde ainsi un excellent souvenir de ces deux jours passés à Villenauxe. L’expérience est unique et peut favoriser l’échange et le dialogue entre détenus, comme lorsqu’un des participants à écrit un texte sur son expérience du mitard en 2021 et l’injustice qu’il a ressenti alors. Il a continué le texte dans sa cellule et a tenu le vendredi à le lire lui-même devant ses camarades, suscitant des réactions diversifiées et très intéressantes. A noter aussi, le très beau texte d’un autre participant, expliquant comment la lecture de la philosophie lui avait « sauvé la vie », évoquant les pensées de Marc Aurèle, mais aussi Platon, Aristote, Descartes...

Au final, cet atelier d’écriture assez ramassé (3 séances sur 2 jours) s’est révélé bénéfique, la dynamique de groupe instaurée s’est poursuivie sur sa lancée. Bref, je suis prêt pour d’autres expériences de ce type !