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Étonnements

 

J’avais déjà prévu de donner mes dernières nouvelles des orchidées, dans cette rubrique et en Webcam, et mes photos d’ailleurs datent d’un mois et demi. Mais les ateliers, les voyages et autres priorités ont retardé ces dernières nouvelles, toujours est-il qu’elles sont toujours d’actualités : la plupart de mes orchidées demeurent fleuries, mêmes si certaines montrent des signes de faiblesse bien normales, après quatre mois de floraison. Et puis c’est un rituel d’en parler, comme le bilan des courses de l’année en janvier, ça scande le temps de Feuilles de route.
Cette année, j’ai rempoté celles qui en avaient besoin. Les orchidées exotiques ont toujours la fâcheuse manie de laisser déborder leurs racines en véritables plantes épiphytes.
Il a fallu que j’augmente encore le diamètre du pot d’epidendrum, que j’avais ramené d’Équateur il y a six ans, grâce à un rejet de quelques centimètres accroché par hasard à mon sac à dos. Désormais de nouvelles tiges poussent chaque année, à chaque fois plus grosses et j’ai maintenant une potée de dix kilos, comprenant sept ou huit branches de l’épaisseur d’un gros pouce, pourvues de feuilles charnues jusqu’à un mètre de haut et dont les fleurs culminent parfois sous le plafond ou se cognent aux vitres de la véranda. Concernant les orchidées botaniques, l’epidendrum ramené de Colombie il y a deux ans, ne suit pas le même chemin. Il ne reste qu’une tige maigre, qui tient le coup, mais qui végète.
Mais les autres, les variétés hybrides de culture sont généralement très vivaces. Et si la floraison régulière et toujours magnifique de ces orchidées me ravit à chaque fois, leur longévité m‘étonne : certaines plantes doivent avoir pas loin de quarante ans, comme les deux potées de cymbidium, qui restent dehors la moitié de l’année et que j’ai de plus en plus de mal à transporter en raison de leur encombrement. Mais comme pour les humains, les plantes connaissent également des revers. Les dendrobium n’ont pas fleuri depuis deux ans et sont sujettes aux invasions de cochenilles. Le paphiopedilum dont la fleur unique atteint douze centimètres n’a également pas fleuri. Je pense que je sortirai cet été les deux pots que je possède en plein air sous les arbres, afin de stimuler la floraison l’année prochaine.
Celles que j’évoque sont des orchidées exotiques qui passent leurs vies dans une serre à l’étage. Les orchidées terrestres de mon jardin, les orchis boucs, ont fleuri avec pas mal d’avance. La faute est probablement due à ce printemps particulièrement sec. Il n’a pratiquement pas plu depuis mars (l’équivalent de deux arrosages de potager à peine en deux mois et demi) et ma pelouse (que je n’ai tondue qu’une fois) est déjà grillée. J’ai regardé l’historique météo : la station de ma ville n’a jamais connu si peu de précipitations sur les 4 premiers mois depuis cinquante ans… Il devait pleuvoir hier, mais en vain. Aujourd’hui, j’écris dans ma voiture, sur un parking en attendant quelqu’un, il fait 32° derrière le pare-brise. La météo des dix prochains jours annonce grand soleil. Je suis heureux, j’adore le soleil, mais je sens que je ferai bientôt une rubrique sur la sécheresse…
(14/05/2025)

 

J’aime l’Allemagne, mais je n’y vais pas souvent. La dernière fois que j’y suis allé, c’était en 2016 à Berlin. Neuf ans plus tard, avec une partie des mêmes amis, me voici pour un week-end à Baden-Baden. Il y a une raison à cela : l’ensemble philharmonique de Berlin jouait le lundi de Pâques la Neuvième symphonie de Beethoven. Et franchement, voir dans ce pays ce symbole de paix, avec les paroles de Schiller (Alle Menschen werden Brüder /Tous les hommes deviennent frères), qui ont fondé l’hymne européen, est un privilège, presque un devoir. Hasard : tandis que nous étions sous le charme des musiciens et des choristes, le monde apprenait le décès du plus grand défenseur de la paix et des migrants. Grande tristesse pour moi.
Pour en revenir à Baden-Baden, si proche de la France, c’est une belle découverte. Située dans une cuvette, entourée de collines, incitant aux balades, nous avons ainsi arpenté pas moins de 30 km pendant le week-end, du centre-ville à la rigueur germanique, aux faubourgs cossus en passant par les allées des parcs ou du cimetière dans lequel on trouve la tombe du compositeur Pierre Boulez.
(03/05/2025)

 

L’occasion était belle : un congrès à Cannes le vendredi et nous voici partis, la semaine précédente, en Italie toute proche et particulièrement vers Gênes, afin de visiter les Cinque Terre.
Les Cinque Terre sont composées de cinq villages, Monterosso, Vernazza, Corniglia, Manarola et Riomaggiore, cinq lieux difficiles d’accès, perchés sur des rochers et surplombant la mer. Vignobles et vergers, poissons et pêches constituent les activités traditionnelles de la région, supplantées bien entendu par le tourisme qui a explosé depuis dix ans. Des trains fréquents assurent les liaisons et contribuent à cet engouement. Car si la randonnée demeure l’activité la plus prisée, elle demande des efforts et un entrainement conséquent (il n’est pas rare de grimper du niveau de la mer à 450 m d’altitude aux prix de sentiers et d’escaliers assez sportifs à gravir). Le train permet ainsi de rejoindre sans effort les cinq communes.
Pour notre part, nous avons privilégié les trajets à pied afin de découvrir les vues splendides des villages en contrebas (voir en Webcam). La promenade que nous avons le moins appréciée est la plus célèbre, celle du sentier Azzuro qui rejoint Monterosso à Vernazza : la foule est présente dès le début malgré pourtant la saison touristique considérée encore comme basse. Mais passé les hordes d’américains qui ne cessent de discuter, on finit par se retrouver seul (relativement), notamment entre Vernazza et Corniglia. Et plus encore, entre Corniglia et Manarola qui fut notre périple préféré. Riomaggiore visité en train ne nous a pas laissé de souvenir impérissable. Le dernier jour, nous sommes partis de Levanto où nous résidions (de loin la meilleure option d’hébergement) pour rejoindre Monterosso (sous la pluie la dernière heure) et terminer ce périple de 40 km. Au final, il me semble qu’à l’ouest de Levanto, vers Gênes, on peut se régaler autant sur les sentiers sans les inconvénients de la foule.
A tout cela, ajoutons encore 20 km à Cannes les deux jours suivants, la Croisette et la ville piétinés en tous sens, les Porsche et les Ferrari comme repères réguliers, une ville dans laquelle j’avais l’impression d’être un extraterrestre. Décidément la surpopulation touristique ou richissime n’est pas mon fort. « On ne fait pas un voyage, c’est le voyage qui vous fait », comme disait Nicolas Bouvier, l’auteur de L’usage du monde.
(18/04/2025)

 

Les tourterelles sont revenues. Ou plutôt, elles ont refait un nid juste en face de ma fenêtre. J’ai l’habitude de voir ce couple d’oiseaux, doux et affectueux, venir fréquemment me visiter. En hiver, quand il gèle et que je place des graines dans la mangeoire, elles partagent leur pitance avec les moineaux effrontés. Plus grandes, elles en imposent et on les laisse tranquilles. Cette année, je les ai vues plus fréquemment à l’approche du printemps. Mon arbre de Judée les a accueillies en même temps que quelques pies. J’ai pensé qu’elles allaient entrer en concurrence pour la nidification. En effet, une pie arrachait avec force les branches de mon bel arbre, alors que j’en avais déjà plein par terre, mais, c’est cela l’instinct… Les tourterelles sont restées plus discrètes, enfin, si l’on veut, car le couple se prodiguait beaucoup de caresses. Et puis, un beau jour, on m’a fait remarquer qu’elle avaient construit un nid juste sur une fourche du même arbre dans lequel elle avaient déjà bâti un nid en 2020, pendant le premier confinement. Je ne sais pas si ce sont les mêmes tourterelles. Celles qui ont élu domicile chez moi, sont des tourterelles turques, reconnaissables à leur beau plumage beige pâle et à leur demi-collier noir à l’arrière du cou. L’espèce est arrivée en France dans les années 50 et a conquis les habitats urbains. Ces oiseaux peuvent vivre 12 ans et je me plais à penser que ce sont les mêmes qui sont revenues. Et, comme pour le premier confinement, leur nid devient de plus en plus invisible car les feuilles commencent à s’ouvrir et à masquer la vue. Pour l’instant, chaque jour, à 5 m de ma fenêtre, je peux admirer la petite femelle, fidèle au poste, occupée à couver ses œufs. Elle me regarde aussi, comme ce matin, avec une grande curiosité lorsque je courais sur mon tapis de course derrière la vitre. Le mâle est revenu vers midi pour lui apporter à manger avec une grande sollicitude et j’ai eu la chance de pouvoir les photographier tous les deux.
Je guette maintenant le moment où les œufs vont éclore, ce qui ne saurait tarder, et celui, peu de temps après, où les oisillons quitteront le petit nid.
(04/04/2025)

 

J’aime les avions, les rapides ou les faucheurs de marguerites. Les pilotes familiaux ou amicaux sont nombreux, pilotes de chasse, sur Jaguar ou Mirage, instructeurs de voltige, de planeurs, passionnés de vieux avions (Webcam du 11/10/2006). Je vis dans une ville où la base aérienne est une fierté locale, où Antoine de Saint-Exupéry a résidé, et c’est aussi ce qui explique mon engouement. J’aime les mécaniques anciennes, les cylindres disposés en étoile, les noms qui me font rêver : Morane-Saulnier 317, Stearman à moteur Boeïng. J’admire la technologie moderne des Rafales et leur fracas quand ils décollent lorsque je fais mon jogging à proximité des pistes d’envol.
Aussi, lorsque la PAF (patrouille de France) a été annoncée dans ma ville pour parfaire leur entrainement pendant une semaine entière, nous avons été nombreux à aller voir les fameux Alpha Jet aux couleurs françaises. Le lundi après-midi, beau soleil. Je suis allé sur le vaste parking d’un restaurant à l’entrée Ouest de ma ville, un endroit prisé où les connaisseurs étaient déjà nombreux. D’ici, on voit parfaitement les évolutions des avions. La base aérienne est toute proche, la tour de contrôle est à moins d’un kilomètre à vol d’oiseau. Spectacle superbe de voir les figures du l’escadrille prestigieuse à l’aplomb de nos têtes, les fumigènes bleu-blanc-rouge, les passages en rase-mottes à des vitesses vertigineuses. Quelques photos avec l’IPhone en attestent (voir en Webcam).
Le mardi, je me rends à nouveau au rendez-vous, un peu moins de monde sur place, temps un peu moins clair, mais une visibilité excellente qui nécessite des lunettes de soleil. Le début de la prestation est aussi beau. Je pense à mon petit-fils à qui j’ai promis le spectacle pour le lendemain mercredi. Je suis rejoint sur le parking par mon épouse et nous regardons les circonvolutions. Je tente quelques photos avec un reflex et un zoom 55-300 : pas facile, celles de l’IPhone sont plus réussies... Les avions tournent autour de la ville et des villages aux alentours. Ils s’éloignent, puis réapparaissent brusquement, en formation diverses de cinq, six ou sept avions et réalisent de magnifiques figures.
L’une d’elle les regroupe dans un losange parfait, qui se disperse soudainement en étoile. C’est à ce moment-là qu’un des avions en accroche un autre. A peine le temps d’entendre le bruit (pas si fort) de la collision, on voit les deux jets tomber en torche. L’un disparaît derrière les arbres, l’autre s’écrase derrière un dépôt de caravanes et de camping-cars, à proximité de la nationale qui passe en bout du rond-point. Une flamme énorme et une fumée noire jaillissent aussitôt à peine à 300 m d’où nous sommes. Exclamations de stupeur sur le parking parmi les quelques témoins. Heureusement, je vois deux corolles de parachute descendre lentement : les pilotes ne sont pas restés à bord. S’ensuivent quelques minutes d’hébétude. Un spectateur ramasse deux feuilles qui volent et s’échouent près de nous. On comprend qu’il s’agit des notes des pilotes, probablement prises au moment du briefing (je lui conseillerai de les faire parvenir à la base). Puis, très vite, les sirènes des ambulances, des pompiers, de la gendarmerie : des dizaines de véhicules arrivent sur les lieux, roulant très vite, forçant les passages, régulant à l’arrache la circulation dense de ce début d’après-midi. C’est là que la peur s’installe en nous : et si les avions étaient tombés sur des habitations, un village est tout proche, il y a des entrepôts, beaucoup d’animation dans cette périphérie de la ville. Et celui qui n’a pas explosé : je pense à cette fromagerie proche qui est justement dans cette direction . Je ne peux m’empêcher de me diriger vers l’endroit où monte la fumée noire : l’avion est tombé sur un des silos d’une cimenterie que je connais bien : l’un des directeurs fait partie de la même association que moi, et je me suis déjà rendu là-bas dans ses bureaux. Apparemment, ceux-ci ne sont pas touchés, mais il y avait peut-être des salariés dans la cour, là où les camions et les bétonnières s’activent. Les gendarmes et les pompiers sont déjà à pied d’œuvre, on distingue des débris noircis. De l’autre côté de la double voie de la nationale, un morceau d’appareil aux couleurs tricolore (aile ? empennage ?) s’est échoué dans un champ. Déjà des badauds se pressent derrière le grillage d’une des deux stations-service (situées à 50 m d’où l’avion est tombé...). Je fais demi-tour avant que la circulation ne soit complètement interrompue par les autorités.
La suite devient médiatique, radio et télévision relaient l’information vingt minutes plus tard. Je reste suspendu à ces nouvelles. J’ai vu les pilotes sauter, et très vite, il apparaît qu’ils sont hors de danger. J’apprends aussi qu’aucune victime civile, aucun blessé n’est à déplorer : un miracle. Beaucoup de chance aussi : le deuxième avion est tombé dans un étang aménagé pour la pêche et heureusement désert à ce moment.
Deux jours plus tard, les pilotes éjectés vont bien, mais la zone est toujours bouclée pour les besoins de l’enquête. J’ai appelé ce matin le directeur de la cimenterie, encore sous le choc et se demandant comment faire redémarrer son site, toujours occupé par les militaires, conscient d’avoir eu toutefois une chance extraordinaire : certains employés étaient à 30 m de l’endroit où est tombé l’Alpha Jet. Les vols de la PAF sont annulés pour le restant de la semaine (l’enduro de pêche qui devait se tenir ce week-end à l’étang est également annulé). Les Rafales cependant ont repris leurs entrainements. On entend leurs formidables échos qui est presque devenu l’emblème de la ville (Blague du coin : A quoi reconnaît-on un étranger ? A celui qui lève ses yeux affolés pour apercevoir l’avion). A midi, de ma maison, j’ai aperçu le Rafale Solo Display recommencer ses démonstrations.
C’est sûr, je continuerais à aller admirer les avions.
(27/03/2025)

 

Il y a cinq ans exactement, le vendredi 13 mars 2020, j’étais intervenu dans une formation d’animation à l’atelier d’écriture. La veille, notre président nous avait annoncé les modalités du premier confinement. Bien-sûr, nous avions discuté avec les intervenants de cette situation nouvelle qui nous avait abasourdis, des premières annulations de nos projets et de cette impossibilité même d’imaginer les jours à suivre. J’étais, à cette époque, en train de terminer plusieurs ateliers, j’allais en démarrer d’autres, je peaufinais la parution prévue de mon roman Yougoslave. Bref, mon activité était soutenue, et tout cela allait être mis entre parenthèses. Le samedi soir avant ce premier confinement, nous avions reçu quelques amis. Dans ces mêmes heures, nous avions appris la fermeture des commerces et des bars : nous étions en guerre contre un virus invisible.
J’ai bien-sûr relaté tout cela dans cette même rubrique le 16/03/2020.
Qu’en reste-t-il cinq ans après ? En premier lieu, la fuite du temps a été irrémédiablement modifiée. Les confinements successifs, notre quotidien soumis aux aléas du virus, à l’attente de la vaccination, ont profondément perturbé notre rapport au temps qui passe. Cinq ans et j’ai l’impression que c’était hier. Je ne suis pas persuadé que mon petit-fils en ait gardé souvenir : enfant du Covid, habitué dès son plus jeune âge à voir des visages masqués autour de lui, il a fait ses premiers pas pendant le premier confinement (ses parents nous avaient rejoints). A la rentrée prochaine, il entrera à l’école primaire.
J’ai oublié beaucoup de choses de cette période. Le vocabulaire d’abord : Coronavirus, rapidement remplacé par Covid, cluster, cas-contact, gestes barrières, masques FFP2 : nous avons perdu les réflexes associés à ces nouveaux mots (est-ce un bien ?). Le virus ne fait plus peur, il semble moins dangereux : je l’ai attrapé pour la deuxième fois en automne dernier, la fièvre a duré quelques jours sans trop d’inconvénients. La première fois (fin mars 2020, à la suite de mon épouse), nous avions tous deux été très sonnés. Fièvres incapacitantes, pertes du goût, de l’odorat, et, pour moi, une oppression tenace dans les poumons qui m’avait fait craindre une hospitalisation. Les premières sorties dehors (avec autorisation dûment remplies) étaient chancelantes, il nous avait fallu plusieurs semaines de convalescence.
Tout cela est oublié. Fin 2020, on totalisait 52000 victimes en France (note d’Étonnement du 30/11/2020). On a tous en mémoire des proches disparus et enterrés à la va-vite dans des cérémonies réduites. Cela a continué : j’ai perdu ma tante en février 2021, un de mes oncles a passé deux mois à l’hôpital pour s’en remettre. Ainsi, un an plus tard, nous avions plus que doublé le nombre de décès (116000 selon l’INSEE), et, au total, en 2023, ce satané virus a coûté 7 millions de morts dans le monde.
Bien sûr on est passé à d’autres choses, pas très réjouissantes si on considère les virils virus guerriers qui fleurissent aujourd’hui sur la planète.
Mais les plus optimistes gardent de ce premier confinement l’impression d’une récréation et érigent la panacée du télétravail comme ultime confort moderne. Certains en ont profité pour changer de vie et ne le regrettent pas. D’autres y ont trouvé le besoin d’une solidarité avec ceux qui nous entourent. D’autres, en revanche, ont très mal vécu cette vacance nationale obligatoire, ses contraintes, l’isolement brutal, les nombreux décès. Les mesures d’accompagnement de l’économie ont créé une illusion de confort ; des faillites ont suivi, des pertes d’emploi.
Je ne crois pas que nous ayons tiré beaucoup d’enseignements de cette épidémie. Malgré les promesses, la santé n’a pas plus de moyens, les hôpitaux sont toujours sous pression, seule différence : on n’applaudit plus nos soignants à 20 h, comme pendant le confinement (à la place quelques énervés leurs tapent dessus à l’occasion). Le monde meilleur entrevu avec moins de pollution (due à la baisse d'activité) a vécu, on repart dans des travers consuméristes. Notre faculté d’oubli est immense. Est-ce qu’on pensera encore à cette pandémie dans cinq ans ?
(13/03/2025)

 

J’ai été invité à Dijon pour une journée d’études universitaire intitulée « Les milles vie du livre ». Traductions, livres de poche, adaptations audio, cinématographiques, la parution d’un livre, en effet, ne s’arrête pas à sa seule publication chez un éditeur. Je suis intervenu pour citer l’exemple de mon roman Ils désertent, publié en 2012, adapté et sorti au cinéma sous le titre L’homme debout, 11 ans plus tard.
J’ai eu grand plaisir à retrouver les lieux et les universitaires connus, comme Marie-Ange Fougère, organisatrice de cette journée. A son initiative, j’avais déjà participé à une journée similaire, le 15 novembre 2019, dont le thème « Mythes et réalités-raires » avait donné une belle part à Vie prolongée d’Arthur Rimbaud, paru trois ans plus tôt, l’ensemble relaté en Notes d’écriture, le 19/11/2019.
Mais là, c’est plutôt une « note d’étonnement » que je souhaite écrire. Non que je n’aie pas pris grand plaisir à évoquer les mystères de l’écriture et le choc (très agréable pour moi) d’une adaptation cinématographique, et, de la même manière, j’ai pu discuter en toute sympathie avec les participants de cette journée, à la fois la veille au cours d’un excellent repas qui nous a réuni, mais aussi le jour même où les différentes interventions m’ont toutes intéressées.
L’étonnement, donc, de cette journée se situe ailleurs. Lorsque je suis intervenu, il y a un peu plus de cinq ans, j’avais retrouvé avec plaisir la Maison des Sciences de l'Homme, dans laquelle, à l’époque, j’avais passé ma thèse de doctorat deux ans auparavant. J’ignorais bien sûr que mon père, qui y avait assisté en décembre 2017, décèderait en juin 2020, sept mois après cette première journée universitaire. J’ai donc arpenté avec beaucoup de nostalgie le vaste hall de ce bâtiment, dans lequel j’avais organisé le pot qui avait suivi ma soutenance. Je revois mon père, qui avait des difficultés à se mouvoir, resté assis sur une chaise, échangeant avec beaucoup de monde, mes directeurs de thèse, le jury, les invités, dans ce mélange de retenue et d’élégance qui faisait son charme. Bien sûr, la veille, comme je le fais à chaque fois que la route me fait passer dans ma ville natale, je m’étais rendu sur sa tombe, j’avais pensé à lui, et, comme souvent, je lui ai demandé depuis l’au-delà de veiller sur nous tous, et bien entendu, sur ma mère qui habite à côté de chez moi, et qui continue le chemin sans lui avec ses 96 printemps tous neufs.
En parlant de ma mère, j’ai eu aussi une pensée pour sa famille, dont les aventures anciennes et plus ou moins cachées, nous menaient à Dijon rencontrer une vieille tante nimbée d’un grand mystère. C’était à Mirande, je me souviens d’une belle maison en pierre. J’avais 7 ou 9 ans, en tout cas, le même âge qui me faisait passer des vacances à Argelès-sur-Mer (voir cette même rubrique, la semaine précédente). Maintenant Mirande est le quartier de l’immense campus universitaire et la maison à probablement disparu, en tout cas, je ne saurais pas la retrouver. Le hasard a voulu que j’évoque encore récemment ces vieux secrets familiaux avec ma cousine d’Argelès et ma mère, bien-sûr. Il y a un assurément roman à écrire, le pendant maternel de Yougoslave en quelque sorte. Le ferais-je ?
(25/02/2025)


Argelès-sur-Mer. La dernière fois que j’y suis allé, j’avais 7 ans, c’était en 1965. Je viens d’y retourner 60 ans après. J’ai reconnu la maison où ma tante Charlotte vivait. J’ai étrangement identifié avec une grande acuité la porte d’une maison voisine où reposait la mère de mon oncle, décédée alors que nous étions là-bas (la mort et tous ses mystères avait dû alors interpeller mon jeune âge). Comble de la délicatesse : le nouveau propriétaire à reproduit sur une plaque émaillée le portrait du cheval préféré de mon oncle, qui fût officier de cavalerie et passionné d’équitation.
Sur la plage à l’extrémité Sud, j’ai également discerné les rochers sur lesquels mes deux cousines posaient à l’époque en naïades adolescentes.
C’est d’ailleurs grâce à l’une d’entre elles que j’ai pu effectuer ce périple.
Le hasard (ou plutôt la littérature) nous a remis en contact après des dizaines d’années d’oubli. Impliquée dans la médiathèque de la ville, une bibliothécaire lui avait présenté Vie prolongée d’Arthur Rimbaud et, bien entendu, le nom de l’auteur lui était familier. Elle m’a ainsi contacté, il y a 4 ans. Mon père, qu’elle connaissait bien et admirait (comme tous ceux qui l’ont approché) venait de décéder quelques mois auparavant. Nous avons alors mis au point un voyage sur nos terres d’enfance commune et je l’avais reçue chez moi. Depuis, nous nous revoyons régulièrement avec grand plaisir. Car le hasard encore (ou peut-être les forces de l’esprit, comme disait Mitterrand) a renforcé et décuplé des retrouvailles : un autre de nos cousins germains, oublié depuis des années, nous recontacte ; un troisième, que nous ne connaissions pas, apparait. Nous nous retrouvons tous à Lyon (note d’Étonnement du 26/01/2024).
Aussi, lorsque j’ai été invité à Bédarieux (voir en Notes d’écriture), pas très loin d’Argelès, j’en ai profité pour aller la voir. Et elle, toujours aussi active et enthousiaste, en a profité pour organiser une rencontre à la fameuse médiathèque de la ville, là où nos retrouvailles avaient eu lieu par livre interposé. J’ai donc rencontré pendant deux heures une trentaine de lecteurs de cette belle cité, avec, au premier rang, ma cousine toute souriante.
Mais le souvenir que je garde, c’est surtout cette promenade effectuée tous les deux jusqu’à une petite chapelle sur les hauteurs de la ville au bout d’un chemin embaumé par les mimosas en fleurs : au moment où nous arrivions à destination, avec la mer en contrebas, notre « nouveau » cousin m’a envoyé un message, comme s’il se doutait de notre périple. Encore un signe du destin probablement. La mémoire des disparus se plait à connecter les enchantements, à raviver un passé et à nous rappeler sa nécessaire transmission.
(17/02/2025)


Lorsque j’ai écrit Dernier travail (Fayard, 2022), l’intrigue de ce roman, qui se déroulait chez Orange, coïncidait avec le premier procès de France Telecom. Tout ce que j’y avais mis à ce sujet était rigoureusement exact : « A la télévision, les journalistes ont indiqué que le jugement serait rendu en décembre. Le vendredi 20 décembre, ajoute-t-il en rangeant son carnet » (Dernier Travail, p. 212 – vous pouvez vérifier). Comme pour Retour aux mots sauvages (Fayard, 2010) écrit au moment de la crise des suicides, j’avais pris grand soin de contrôler la moindre citation, le moindre élément. Cette affaire (comme pour la majorité des salariés qui l’avaient vécu) m’a poursuivi jusqu’à mon départ de la boîte en 2017.
J’ai continué à suivre l’évolution des procès, les tentatives des accusés pour se disculper, pour minimiser leurs responsabilités. Le vendredi 20 décembre 2019, donc, les deux accusés principaux, Didier Lombard, alors PDG à l’époque, et son bras droit, Louis-Pierre Wenès ont écopé d’une peine d’un an d’emprisonnement assorti du sursis et d’une amende de 15 000 euros.
Jugement particulièrement favorable pour ces deux prévenus : cette peine correspond à celle d’un conducteur indélicat qui ne possède pas de permis de conduire et qui refuse « d'obtempérer à une sommation de s'arrêter émanant d'un fonctionnaire ou d'un agent chargé de constater les infractions » (Article L233-1 – pareillement, vous pouvez vérifier).
Comme si ce camouflet c’était pas suffisant pour les familles des 39 victimes identifiées pour les procès, les deux prévenus ont fait appel : un deuxième procès a eu lieu en 2022, en vain pour les accusés, car la Cour d’appel de Paris a confirmé le verdict précédent.
Qu’à cela ne tienne ! Didier Lombard et Louis-Pierre Wenès ont utilisé le dernier recours judiciaire français (tiens, c’est drôle, tous ces recours en série, ils ne paient pas leurs avocats ?) : la Cour de cassation, qui vient de rejeter le 21 janvier dernier les pourvois de l'ex-PDG et de son numéro 2. Ce jugement rend définitive la peine requise au cours des deux procès, mais surtout, elle valide la notion de « harcèlement moral institutionnel ». Cela légitime qu’une machination destinée à la démission en masse puisse naître dans la tête d’esprits machiavéliques, et surtout qu’elle est fortement répréhensible.
Cet arrêt circule pas mal au sein des services juridiques des grandes entreprises, espérons qu’il donnera du plomb dans la cervelle de petits chefaillons arrivés par hasard au pouvoir et attirés par de telles politiques délétères.
(30/01/2025)

 

Je cours à Hawaï, sur l’île de Maui, le long de Wailea Beach.
C’est le milieu de la matinée, les premiers touristes investissent les plages et il y a déjà pas mal de promeneurs le long des passages qui bordent la mer. Il y a pire pour faire un footing : pas de vent, on entend les oiseaux et le roulement des vagues rythme les foulées. Je suis en short et en T-shirt, j’ai commencé doucement. Le chemin est facile, revêtu d’un macadam bien entretenu. On circule entre des haies, parfois sur des pontons de bois qui enjambent un ruisseau.
Je ne tarde pas à croiser d’autres coureurs comme moi. Certains sont torse-nu (gare aux coups de soleil). Je salue la plupart d’un signe de la main, que je double d’un « Hi » que je trouve très américain (la très grande majorité des vacanciers).
A ma droite, le bord de mer est magnifique, les palmiers et les cocotiers apportent juste l’ombre qu’il faut. Les promeneurs s’arrêtent souvent pour admirer la vue, puis repartent à pas lents. L’étroitesse du chemin incite à faire attention.
Parfois, je dois signaler que je m’apprête à les dépasser. Je lance un claironnant « Please sorry for the way » et, une fois que je les ai doublés, je les remercie d’un « Thank you » sonore. A un moment, voyais souvent cette jeune femme, toujours au même endroit, une joggeuse également, qui me faisait un signe de la main avec un éclatant sourire.
Dans ce paysage de rêve, dévolu aux tourisme chic, les hôtels sont nombreux au milieu de parcs à la végétation luxuriante qui débordent jusque sur le chemin. Tout est mis en œuvre pour satisfaire la farniente : un employé traverse devant moi avec une pile de chaises longues.
J’effectue ainsi plusieurs miles (ici, on ne compte pas en kilomètres) avant de faire demi-tour. J’en profite pour ralentir un peu la cadence, je n’ai pas cessé d’accélérer, même si mon allure demeure modeste. J’ai maintenant la mer à ma gauche et toujours le bruit des vagues et le chant des oiseaux. Les promeneurs sont aussi nombreux (« Please sorry for the way – Thank you ! »). A un moment, un jeune père avec une poussette se serre pour me laisser passer (« Good travel with your smiling baby »). Un homme déplace un canoé en travers de la route. Il se dépêche de le redresser à mon approche, mais je le rassure (« No matter »).
Je suis maintenant en sueur. Je tiens mes lunettes d’une main et de l’autre j’essuie mon front. Je ne ralentis pas pour autant la cadence : aujourd’hui je me sens en forme. J’aborde le dernier mile à bonne allure et je termine la dernière lieue à 10 km/h (pardon, 6,2 mph). J’arrive sur la plage, je peux maintenant souffler, les mains sur les hanches. Devant moi, la mer, le sable : quelle belle balade !
Je regarde le compteur : 53 mn et 4 miles 1/3 de parcouru.
Je descends du tapis de course. J’éteins la vidéo sur l’IPad. Dehors il gèle à moins 1.
(21/01/2025)

 

La décision avait été prise en juillet : nous allions passer les fêtes de fin d’année en Guadeloupe, Noël et premier janvier compris. Inutile de préciser que nous avons attendu ce moment avec impatience. La Guadeloupe n’est pas une découverte pour nous, difficile de compter le nombre de voyages effectués là-bas depuis les années 1990. La raison est familiale, changeante également, certains sont revenus en métropole, d’autres ont gardé un pied à terre dans l’île, une nièce a choisi récemment de s’y installer. Autant de raisons pour y aller. Une belle-sœur, originaire de Grande-Terre, mais qui vit en Bretagne, nous accueille dans sa grande maison et ses parents habitent juste à côté. C’est le moment pour elle de faire le tour de ses nombreux frères et sœurs, oncles et tantes, cousins et cousines (elle en dénombre 77, parait-il). Aussi, le séjour aura-t-il été marqué par d’abondantes invitations, chaleureuses et gaies, traditionnelles aussi, avec des « Chanté Nwël », agrémenté de nombreux ti-punch…
La dernière fois que nous avions participé à ces retrouvailles et cette ambiance, c’était il y a sept ans et pareillement pour les fêtes de fin d’année. Nous y étions retournés en novembre 2021, mais juste pour profiter des plages et des randonnées après un automne particulièrement difficile.
Cette année, entre deux visites amicales, nous aurons agrémenté notre séjour de baignades, d’excursions en bateau à Petite-Terre au large de Saint-François et vers la mangrove et les ilets de Sainte-Rose. Evidement, c’est un décor de carte postale et la plongée avec masque et tuba a révélé des tortues marines, des poissons de corail multicolores, un barracuda et d’énormes étoiles de mer. Pourtant, force est de constater que l’océan se dépeuple, les coraux diminuent, les îlets, autrefois munis de cocotiers, se réduisent au point de ne compter plus que quelques buissons chétifs posés sur une minuscule langue de sable. Dans nos premiers voyages, on pouvait apercevoir, sans s’éloigner outre-mesure, des diodons, des murènes, des langoustes sur beaucoup de plages, mais les endroits se sont raréfiés et sont devenus hors d’atteinte. Même Petite-Terre, accessible uniquement par bateau, où nous avions admiré, en 2017, aux abords immédiats, des raies Manta et un énorme requin dormeur, reste désespérément désert, hormis un petit requin citron quasiment apprivoisé qui fait des allers et retours, tout triste d’être ainsi solitaire.
Mes plages préférées restent très touristiques cependant, ce sont celles de Sainte-Anne : Bois-Jolan, un peu reculée pour les amateurs de tranquillité, et celle située en pleine ville, facile d’accès, on y trouve des bokits et des accras pour le repas, des glaces, du monde, mais le délice de s’immerger régulièrement dans l’eau turquoise efface instantanément tous les soucis. C’est là-bas où, 5 heures après la métropole, les pieds dans l’eau, nous avons levé nos coupes de champagne : bonne année 2025 !
(13/01/2025)