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Notes de lecture

 

Écrits de jeunesse : Rouge Ferrari, Rose Fleur.
Rédigé dans ma ville entre août 1997 et février 1998, ce texte inédit s‘insère entre La réserve, écrit jusqu’en mai 1997 (publié par Dominique Guéniot 3 ans plus tard) et Piano muet, débuté un mois après et resté également inédit (le 23/01/2009, j’ai listé mes manuscrits et publications dans les Notes d’écriture - il faudra que je l’actualise un jour prochain).
RFRF, Rouge Ferrari, rose fleur : je ne sais pas d’où m’est venu ce titre étrange. Probablement du sujet et de la structure du texte en deux parties, l’une intitulée Rouge Ferrari et l’autre Rose Fleur, mais aussi de mes influences du moment, peut-être également pour rester proche de RF, comme se nommait René Fallet dans ses Carnets de jeunesse (qui multipliait ses doubles RF avec Régis Ferrier, le dramaturge de Y a-t -il in docteur dans la salle ?).
Le pitch de ce texte long (publié, il atteindrait 400-450 pages) tient à la fois du road-movie, du roman sentimental et de la fable aventureuse. Martin Winckler dit qu’une bonne histoire doit pouvoir se résumer en quelques mots : pour RFRF, c’est l’histoire d’un homme qui décide de changer radicalement sa vie.
Pour entrer dans les détails, le héros s’appelle Baptiste Corto, Bat pour les intimes. C’est anecdotique, on ne l’appelle pas, c’est lui qui raconte son histoire ou plutôt sa confession. Tout commence avec Jane, sa voisine qui vient de s’installer en face de son appartement. Entraineuse dans un bar, elle finit par acheter le fond, puis d’autres boîtes de nuit. Bat devient son homme à tout faire, comptable permanent, amant occasionnel, il devient riche, multiplie des aventures avec ses employées, devient dur, vit dans l’insouciance et roule désormais en Ferrari jusqu’à ce qu’un très jeune homme décède d’une overdose dans un de ses établissements. Il fait connaissance de la mère du défunt, regrette amèrement sa vie devenue si futile. Il délaisse sa Ferrari, quitte précipitamment la ville et pars sans argent arpenter le monde (fin de Rouge Ferrari, début de Rose Fleur). Il livre des voitures au Maroc, il est viré de son job de barman au Brésil, il lit Gabriel Garcia Marquez, il arrive par avion à Oman, repars immédiatement en cargo vers la Somalie. Il pense à Arthur Rimbaud et au Yémen. Il arrive au Kenya et s’installe à Lamu où il rencontre Flora. Il l’accompagne en Inde, retrouve l’Europe, l’Espagne, l’Allemagne, revient au Kenya et finit par retrouver l’apaisement.
Drôle d’histoire polyphonique. Et galerie de portraits : Bat, Jane, Gros Mulot, Thea, Flora, Élise, Amalia, Thyo, Maryline, Maliko, Julio, Dolores, Thao, Dieter, Tanza, José, Kim, Armand, Samira, John, Hanesberg, Felipe, Pedro, Monsieur Dréand, Joseph Decœur et sa femme Ivrea. Je mesure combien ce récit m’a emporté pendant de longs mois.
Drôle de type aussi ce Bat, qui me ressemble par certains côtés. A l’époque de l’écriture de RFRF, je n’avais que peu voyagé. Est-ce vraiment un hasard si je me suis retrouvé dans les années suivantes au Maroc, au Brésil, au Yémen, en Oman ? Si, comme lui, j’ai lu Gabriel Garcia Marquez en voyage ?
A l’époque également, j’avais besoin d’apaisement. Ma belle-mère que j’appréciais beaucoup (et qui fut ma première lectrice) est morte pendant l’écriture de ce texte. En tête du chapitre 14, j’ai placé une citation des Saintes Écritures : elle marque le moment où j’ai repris la rédaction après sa disparition.
L’épilogue débute également par une citation « Can’t find my way home » (je ne trouve pas le chemin de ma maison), qui est aussi un titre de Blind Faith, paru en 1969. Il fait partie de la bande sonore du documentaire La vie en fleurs (The big pink), présenté sur Arte à l’époque (en 1996-1997). Il retraçait la vie de hippies globe-trotters à partir d’une compilation de films en super 8 tournés par Monica Neven-Dumont. Cette émission m’avait impressionné et a énormément inspiré ce roman (les lieux, l’ambiance, beaucoup de personnages, comme Flora, suggérée par Monica). J’ai ainsi placé en épigraphe, pour chacune des deux parties qui composent le roman, des extraits d’interview de ce documentaire. Il reste très peu de traces sur le net de La vie en fleurs et je n’ai jamais parlé de RFRF sur mes pages. C’est pourquoi je tiens à évoquer cet écrit de jeunesse qui a beaucoup compté pour moi. J’ai toujours gardé dans un placard la cassette vidéo (autre temps…) que j’avais enregistrée sur Arte lors de la diffusion du film : fonctionne-t-elle encore ? Je vais dans l’instant vérifier…
(06/12/2024)


Écrits refusés : Hendrix vieillit bien
Vieille habitude copiée sur René Fallet, j’inscris (lorsque je n’oublie pas) les lieux, dates de début et de fin du texte. Pour Hendrix vieillit bien, c’est indiqué sur le tapuscrit « Saint-Dizier, 4 janvier 2007 – 10 décembre 2007 ». Un an donc pour un machin d’environ 300 pages, cela veut dire que j’ai pris mon temps. Il faut dire que la vie cette année-là a été bien remplie : deux livres, un au printemps et un en automne, la reprise de mon boulot à temps plein chez les télécomiques, des ateliers d’écriture, et la poursuite des études de lettres, reprises déjà 3 ans auparavant. Mais ce n’est pas le sujet, comme le disait Céline « C’est l‘affaire de l’auteur à effacer le travail. Vous mettez le lecteur dans un paquebot. Tout doit être délicieux. Ce qui se passe dans les soutes, ça ne le regarde pas. »
Donc le paquebot d’Hendrix vieillit bien est en réalité une maison de retraite. Et c’est dans un tel lieu que celui qui s’auto-nomme « le vieux » décide de terminer ses jours après le décès de son épouse. Il y retrouve Robert, ancien plombier et actuel pilier de tous les bars du coin. Entre eux, il y a une passion commune, le rock et le blues qui les a souvent réunis, le vieux à la guitare et Robert à la batterie, deux apprentis musiciens qui ont leurs quartiers chez Jean-Mi, tenancier du seul magasin de musique. Mais faire rentrer leur passion dans la maison de retraite est une autre paire de manches. Heureusement, Lucette, solide centenaire du lieu, apporte un peu de vie dans cet univers en les plumant allègrement aux cartes. C’est elle aussi qui apprend au vieux que Jimi Hendrix se produisit chez elle au début de sa courte carrière, alors qu’elle et son mari tenaient une guinguette à Bruxelles.
Elle a même conservé, griffonné sur une nappe, quelques accords d’un air inédit du guitariste.
Lecteur, tu te doutes de la suite : les deux compères vont tenter de rejouer le morceau retrouvé…
La suite, c’est aussi une série d’anecdotes « pieds nickelés » (comme les avait qualifiées à raison mon éditrice), mais je ne peux m’empêcher de les trouver touchantes et poétiques, avec leurs personnages tous truculents ou émouvants, Houhou, Christian Gramouillé et la belle Nadia… Bref, j’adore mon texte, qui n’a rien à envier aux Vieux de la vieille de René Fallet !
J’avais besoin de cette farce, rédigée en 2007 après deux années difficiles. Son écriture m’avait fait le plus grand bien. A cette époque, je me défoulais sur ma guitare électrique, acquise l’année précédente. Petite vérité historique dans mon histoire : Jimi Hendrix s’est bien rendu à Bruxelles en mars 1967. Il venait juste de sortir Hey Joe. En page d’accueil, je place une photo prise à Woluwe, dans les bois de la Cambre : autre coïncidence, je résidais juste à côté de ce parc il y a moins de deux mois.
(22/11/2024)

 

Ateliers d'écriture, de Martin Winckler, P.O.L. format poche.
C'est un livre ramassé de 400 pages avec une machine à écrire en couverture, histoire d'enfoncer le clou : on est là pour parler popote d'écriture, et gaiement, car « si c'est pas l'fun, faut pas l'faire », nous dit l'auteur installé à Montréal depuis 2009.
S'il reconnaît avoir été réticent pour animer des ateliers d'écriture au début des années 2000, notamment à cause de « l'impressionnante activité d'un géant comme François Bon », je jeune Winckler, arrivé au Québec a été sollicité pour cette tâche : ainsi ce partage d'expérience.
Autant le dire tout de suite, cet ouvrage et les pistes de séances très intéressantes qu'il ouvre, s'adressent à des habitués de la langue et déjà des passionnés de l'écriture. Bref, pour moi impossible de m'en servir pour les « publics éloignés » (comme on dit) qui forment la majorité de mes participants (mais bon, ce qui me plaît, c'est aussi le démarrage d'une langue qu'on connaît peu, les premières expressions qu'on retient, qu'on répète... Là, je m'égare, je m'égare, revenons à Martin Winckler).
L'auteur donc, nous gratifie de séances du genre « Lettre à un absent » ou « Mes vacances à... », qui sont autant de pensum pour dénouer l'écriture.
Dans une dernière partie, Martin Winckler nous donne ses « histoires en l'air », qui sont autant de textes et de nouvelles plus ou moins aboutis lui ayant été inspirés par une démarche similaire à celles des contraintes que l'on rencontre dans des atelier d'écriture.
Cette note de lecture date du 20/05/2021, lorsque j’avais découvert ce livre. Je la complète aujourd’hui car ce manuel destiné aux « habitués de la langue et aux passionnés de l'écriture » correspondait tout-à-fait au public de l’atelier de la médiathèque de Reims Croix-Rouge. J’y ai donc puisé sans vergogne et notamment lors de la dernière séance où j’ai distribué aux participants ses conseils intitulés « des biscuits pour la route ».
Ainsi cette copie des efficaces « créative writing » anglosaxons correspond à merveille aux besoins d’ateliers de haute volée. Et quel délice de pouvoir ainsi pourfendre, comme le signale Martin Winckler, la vieille idée élitiste française : « écrire, ça ne s’apprend pas ».
(15/11/2024)

 

Écrit de jeunesse : Roller.
Ce court roman - de la taille d’une nouvelle d’Alice Munro ou de Raymond Carver – est le dernier qui soit resté dans mes tiroirs. Je ne l’ai jamais proposé à un éditeur. A l’époque de sa rédaction (entre décembre 1998 et février 1999), j’échangeais déjà avec François Bon depuis 6 mois et Roller est évoqué dans quelques mails jusqu’en avril 1999 : « L'idée est que le verbe à l'infinitif désigne l'action, la naissance du mouvement, la quintessence du geste et le participe-passé ou présent, ce qui est, la description, l'immobilisme. ». Préfiguration de la manière dont j’écrirais Central un peu plus tard ? Toujours est-il que nos échanges se poursuivent, m’incitent à délaisser Roller et à entreprendre la rédaction de ce premier roman publié par Fayard sur l’univers de mon boulot : j’envoie à François le 8 mai, le tout début de Central (demeuré inchangé). Y a plus qu'à en faire cent cinquante pages, me répond-il.
Donc, Roller est supplanté par Central, mais il n’empêche que le tapuscrit existe, relié avec un boudin de plastique, avec une illustration de couverture réalisée à l’encre et à l’aquarelle. Il y a deux citations en épigraphe, l’une d’Anne-Marie Garat, Sur la pente du toit, l’autre de Françoise Lefèvre, Le petit prince cannibale. J’ai mêlé les deux car elles me semblent répondre à mes préoccupations d’écrivain : « - Quand serons-nous tranquilles, sereins, simplement à l’aise, heureux ? Si seulement je n’écrivais pas de romans. /- Alors pourquoi écrire ? Justement parce que c’est autre chose. Parce que cela procède d’un rendez-vous surnaturel ».
La lecture de Roller m’apprend que j’ai tenté de réécrire sans marquer de réel sujet, comme je l’entrevoyais pour Central. Mais le premier jet étant déjà écrit avec une narration quasi-classique, l’ensemble repris ainsi est lourd : j’abandonne à l’époque (mai 1999 ?) au début du second chapitre. Du coup, lorsque je lis ce premier jet de Roller, la narration avec deux protagonistes (un « je » et un « elle ») est bien plus fluide. L’histoire pourrait se résumer ainsi dans une quatrième de couverture : C’est l’hiver. Le narrateur à l’habitude d’arpenter en rollers les berges d’un lac. Il rencontre une jeune ornithologue qui observe les oiseaux. Le soir et le mauvais temps les obligent à rester ensemble dans le gite qu’elle a loué. Le lendemain matin, une caravane de gens du voyage est installée devant la maison. Qui sont-ils ? Cette histoire revisite le mythe d’Adam et Ève, le diable et le surnaturel ne sont jamais très loin ». Le style est fait de phrases courtes, tronquées, de réflexions passagères et de pensées inabouties. L’ambiance de solitude et d’hiver est bien rendue.
J’ai gardé également les fichiers informatiques (accessibles uniquement par un traitement de taxte basique, type Wordpad).
(01/11/2024)


Saïd, de Fabienne Swiatly, La fosse aux ours.
La façon dont nous parviennent certains livres, est parfois porteuse d’une histoire aussi romanesque que le récit en question : ainsi Saïd, de Fabienne Swiatly. C’est Estelle, qui me l’a apporté. Une dame chez qui elle effectue quelques ménages a retrouvé ce livre dans une pile d’ouvrages en attente, avec une carte postale (de Noël – mais de quel Noël ?), mentionnant le prénom d’Estelle, celui d’une certaine Marie-Noëlle ayant prêté ce livre et lui demandant de le faire suivre à Thierry une fois qu’elle l’aurait terminé. Nous nous sommes interrogés sur cette cascade de prénoms en échafaudant quelques hypothèses, sans parvenir à résoudre le mystère de la fameuse Marie-Christine qui a signé la carte postale, prénom qui ne nous dit rien.
Je suis maintenant en possession du livre (l’important c’est qu’il circule - et c’est ça qui est génial avec la lecture traditionnelle en paquets de feuilles). Donc, je l’ai lu et avec intérêt, car le travail de Fabienne Swiatly ne m’est pas étranger. J’ai cité Gagner sa vie dans la bibliographie de ma thèse sur les récits du travail (un opus écrit en 2006) et j’ai continué à suivre de loin son écriture.
Saïd raconte l’histoire d’une fillette polonaise qui se lie d’amitié avec un jeune garçon algérien. Cette relation déplait dans cette famille populaire, mère dépassée, père usé par son travail, deux frères livrés à eux-mêmes. Le style de Fabienne Swiatly sonne juste, sans misérabilisme, sans emphase non plus, sous le regard de cette fillette coincée entre l’envie de s’ouvrir aux autres et la réticence imposée par sa modeste condition. Ce petit livre de 73 pages reste en tête et c’est sa vraie réussite.
Je vais le rendre à Estelle, qui ne l’a pas encore lu, Estelle, dont le mari est algérien et dont les enfants (qui allèrent en classe avec les miens) sont blonds comme les polonais de cette histoire.
(27/10/2024)

 

La constellation Rimbaud, de Jean Rouaud, Grasset.
Paru il a 3 ans, cet essai est réservé aux aficionados du poète, mais pas que.
En choisissant de présenter cette « constellation », c’est-à-dire tous les gens qui ont gravité plus ou moins autour du fameux poète ou qui ont contribué à le faire connaître, Jean Rouaud place sur le même plan ceux que l’histoire littéraire a retenu pour l’élaboration du mythe, comme Verlaine, et les plus modestes, comme ce voisin Fricoteaux qui l’aperçut seulement quelques fois dans le hameau de Roche (en note d’Étonnements). Et c’est tant mieux, car il faut appréhender la multitude des écarts entre les lumières parisiennes, londoniennes ou bruxelloises, les contrées africaines du Harar ou d’Aden ou la campagne ardennaise pour connaître toute la multitude des aspects d’Arthur Rimbaud.
Poursuivre un mythe, c’est embrasser un fantôme et Arthur doit bien ricaner tout là-haut en découvrant l’agitation post mortem qu’il provoque. « Nous sommes accablés d’un manteau d’ignorance et d’étroites chimères », écrivait-il à 15 ans et demi…
(16/10/2024)

 

Dans les forets de Sibérie, de Sylvain Tesson, Gallimard.
Prix Médicis essai en 2011, cet ouvrage est un journal tenu par l’écrivain voyageur Sylvain Tesson qui fit retraite dans une cabane en bois au fin fond de la Sibérie. Exploit toutefois à mesurer : c’est également le quotidien de chasseurs et d’autochtones de cette rude contrée qu’il a vécu pendant quelques mois seulement avant de revenir à la civilisation. Ce récit est également à mettre en regard avec Ermites dans la Taïga, de Vassili Peskov, qui décrivait la vie de vieux croyants reclus dans cette même Sibérie (note de lecture du 16/02/2024). Mais il y a évidemment le désir romanesque de s’éloigner du monde, le mythe d’un voyage à la Robinson Crusoé, et il faut dire que Sylvain Tesson excelle dans l’art de raconter à la fois son quotidien, mais aussi de distribuer quelques remarques philosophiques ou érudites. Je l’avais lu il y a de nombreux mois, puis oublié. Je viens de le relire avec toujours le même plaisir.
(09/10/2024)

 

La fileuse de verre, de Tracy Chevalier, éditions La table Ronde.
De Tracy Chevalier, on connaît le grand succès de La jeune fille à la perle.
Ceci dit, n’allez pas croire que La fileuse de verre, qui fabrique des perles de verre à Murano, est un remake du fameux best-seller paru vingt-six ans auparavant. L’écrivaine, qui s’est spécialisée dans le roman historique, a en effet publié 8 romans avant de renouer avec ce sujet proche. Dans la grande page de remerciements à la fin du livre, on constate que ce thème lui a demandé beaucoup de recherches. Et on comprend mieux le chemin un peu tortueux que prend le roman. Tout d’abord, l’endroit, Murano, île proche de Venise est particulier. A la fois excentré et à l’écart de l’agitation de la cité des gondoles, il tente de préserver sa spécificité et notamment l’artisanat du verre déjà présent au XV° siècle dans le petit îlot. C’est à cette date que Tracy Chevalier met en scène ses personnages, et notamment la famille Rosso qui possède une modeste verrerie. Orsola, la petite fille de la famille, grandit dans cet univers et connaît rapidement toute cette industrie éprouvante à cause de la chaleur des fours, de la dangerosité du verre et dans laquelle les femmes ont peu de place. Peu à peu, toutefois, à la suite de circonstances pénibles (son père meurt troué par un éclat de verre), Orsola apprend à fabriquer des perles, une maigre verroterie qui a du mal à s’imposer dans l’univers des lustres magnifiques et des vases ouvragés, mais qui sauve la petite entreprise de la ruine. Nous suivons donc le destin de la famille Rosso, cependant d’une étrange manière, car l’intrigue fait des bonds dans le temps en conservant ses personnages. Ainsi, si, dans les premières pages, Orsola est une fillette du XV° siècle, à la fin du roman, elle est devenue septuagénaire au XXI° siècle et son mari est mort du Covid. Au final, ce parti pris des bonds dans le temps passe bien et est destiné à montrer l’éternité de l’activité des hommes, comme la fabrication du verre à Murano.
(02/10/2024)

 

La nuit. Le sommeil. La mort. Les étoiles, de Joyce Carol Oates, éditions Philippe Rey.
Ce long roman, de plus de 900 pages, emprunte son titre à un poème de Walt Whitman, cité en épigraphe. John Earle, personnage respecté de l’État de New-York, tente de venir en aide à un individu malmené par des forces de police lors d’un contrôle routier. Mais les policiers font usage de leur Taser envers lui. Il meurt. Voici le point de départ de l’intrigue. Sa famille est abasourdie, son épouse est perdue ? Ses cinq enfants réagissent différemment. L’une des filles souhaite que sa mère soit une veuve exemplaire, murée dans la douleur. L’autre ne s’entend pas avec sa sœur. Une troisième, plus jeune, tente de garder son indépendance. Un des fils, un peu hurluberlu, semble toujours à côté de la plaque. Un autre, au contraire, enquête sur la disparition de son père et tente de faire valoir la vérité. Chacun, pour autant, doit faire preuve d’écoute et de compréhension, se serrer les coudes dans cette épreuve. S’autant plus qu’un troisième personnage fait irruption dans la vie de la veuve, un aventurier dont elle tombe amoureuse, rejetant le prétendant désiré par l’une des filles. Dans cet imbroglio de personnages et de situation, le savoir-faire de Joyce Carol Oates fait merveille. Dialogues plus vrais que nature, réflexions ciselées, décisions et revirements inattendus : du grand art ! L’avant dernier chapitre qui décrit un dîner de Thanksgiving clôt magnifiquement le livre. Le dernier est en trop, à mon avis.
(21/09/2024)

 

Rouge karma, de Jean-Christophe Grangé, Albin Michel et Le livre de poche
Je n’ai jamais lu Grangé. Mon épouse, qui lit pas mal de policiers et de polars, est une habituée de l’auteur (c’est souvent « gore », dit-elle). Non que je snobe ce qu’on a longtemps considéré comme de la sous-littérature, mais il y a tant de livres à lire. Peut-être est-ce pour moi le début d’un cycle de lecture de ce genre ? Je me souviens que René Fallet avait eu une période acharnée où il avait lu tout Simenon avec son épouse Agathe.
Bref, me voici dans les premiers chapitres et effectivement c’est gore… Ça se passe en mai 68, et, tandis que les policiers ont autre chose à faire, deux crimes particulièrement sanglants visent le petit monde estudiantin en révolte. Deux étudiantes sont assassinées, une troisième y échappe. Leurs points communs : connaître un certain Hervé, étudiant lui aussi, qui les drague mollement. Pour parfaire le tout, le flic qui enquête, traumatisé par la guerre d’Algérie à laquelle il a participé, n’est autre que le grand frère d’Hervé. Voilà : l’intrigue est en place, elle conduira jusqu’en Inde puis à Rome un trio formé des deux frères et de l’étudiante rescapée. Bien sûr, la mécanique du récit s’enchaîne à merveille, actions, rebondissements, personnages typés, la belle étudiante, le flic tourmenté, cela fait partie des poncifs du genre. Jean-Patrick Manchette aurait surfé sur la même vague, mais presque en direct de son époque. Paru l’année précédente et bien documenté sur 68, le livre se lit sans déplaisir, on en ressort avec l’idée qu’on ne mettra jamais les pieds en Inde et que le temps sans portable ni Internet avec juste des cabines téléphoniques, c’était vachement bien (ça facilite aussi beaucoup l’intrigue, les protagonistes ne scrollent pas à tour de pouce et regardent autre chose que leurs écrans et des rapports de caméras de surveillance – quelle belle époque !)
(13/09/2024)

 

L’année de l’éveil, de Charles Juliet, P.O.L.
Ce livre paru en 1989 est le seul véritable récit de l’auteur. Ce n’est pas un roman, plutôt des mémoires, mais le style en est si clair, les émotions si bien racontées, qu’on se sent un peu comme dans Le grand Meaulnes. Le héros est l’écrivain lui-même, alors adolescent interne dans une école militaire. La cruauté du casernement est un peu tempérée par la camaraderie avec ses congénères et le sport, rugby et boxe qu’il pratique. Mais l’éveil en question dans le titre est dû à la l’épouse de l’officier qui dirige le camp et qui a pris en amitié le jeune garçon. Cependant le jeu dangereux de la séduction le met en porte à faux avec son chef qu’il admire et qu’il hait en même temps, projetant même de s’en débarrasser lors d’un exercice de tir. Emprunt d’une grande tension sensuelle qui se mêle à la brutalité de cette existence, ce récit sans autre dénouement que l’arrivée des vacances est empreint d’une grande humanité et d’un bel espoir pour la vie à venir.
(06/09/2024)

 

Robinson Crusoé, de Daniel Defoe, Pléiade.
J’ai le privilège d’avoir la très belle édition Pléiade de Robinson Crusoé. Ce beau livre, paru en 2018, reprend la traduction de Pétrus Borel, publiée en 1836. Il est agrémenté de 150 illustrations du dessinateur suisse Dumoulin, qui n’ont jamais été associées à une parution concomitante du roman, mais étaient destinées à une édition essentiellement imagée de l’histoire de Robinson réalisée en 1810, donc antérieure à la traduction de Pétrus Borel. Il est intéressant de préciser cette chronologie, car elle met en valeur l’immense succès que connu le roman de Daniel Defoe, dès sa parution en 1719. En effet, le succès dépassa largement l’Angleterre natale de l’auteur et la première traduction en français eut lieu d’ailleurs l’année suivant sa première parution.
A quoi doit-on ce succès ? A l’équipée bien-sûr vécue par le marin Robinson Crusoé, qui vécut seul sur son île déserte pendant 28 ans avant de rencontrer Vendredi et de parvenir à regagner la civilisation. Nous connaissons tous l’histoire, mais nous l’avons surtout appréciée dans des éditions épurées pour la jeunesse qui ont immédiatement suivi et où les aventures les plus spectaculaires étaient mises en valeur.
Personnellement, je n’avais jamais lu la consciencieuse et magnifique traduction complète de Pétrus Borel. Et comme beaucoup, je ne connaissais que la première partie des aventures de Robinson Crusoé. Il n’est pas sûr que notre vie moderne nous fasse apprécier le roman, si on ne fait pas l’effort de le replacer dans le contexte géographique et historique de l’époque. Nous ne pourrions adhérer, ni au réflexions religieuses puritaines affiché par Daniel Defoe (et pour lequel il s’engagera contre les tentations catholiques du gouvernement de l’époque), ni à l’indifférence qu’il manifeste au sujet de l’esclavage, alors en plein essor dans le monde colonial de l’époque.
Lorsqu’on dépasse ce mode de pensée, normal pour l’Angleterre du début du XVIIIème siècle, on arrive à apprécier l’extraordinaire inventivité de l’auteur qui fait tout pour nous persuader que c’est Robinson lui-même qui nous raconte sa vie. On ne peut que louer l’inventivité du naufragé qui parvient à survivre, à élever des chèvres et à cultiver un jardin pour subsister. On tremble devant les bêtes féroces (des tigres !) qui assaillent les marins, n’hésitant pas à se jeter à l’eau pour les poursuivre. On a la nausée devant les scènes anthropophagiques des peuples indigènes.
Contrairement à nos souvenirs de lecture, l’île déserte de Robinson, devient, peu après sa rencontre avec Vendredi, une terre convoitée et Robinson à fort à faire pour nourrir tous les réfugiés qu’il accueille, autochtones persécutés, équipages divisés par des mutineries… A la fin de cette première partie, Robinson, devenu prince en son royaume d’ancienne île déserte, fini par récupérer un navire et rejoint ainsi la civilisation avec tous ses fidèles.
La deuxième partie est encore moins connue, mais tout aussi digne d’intérêt. C’est la suite des aventures de Robinson, revenu à la civilisation. Il tente de retrouver ses biens, constitués avant son naufrage et notamment une plantation au Brésil On y retrouve les ardeurs religieuses et puritaines de l’auteur et plus encore que pour la première partie, nous sommes heurtés par la manière dont l’esclavage vient en aide aux colons, sans le moindre regret ni la moindre considération pour ses peuples non-chrétiens au départ.
On comprend que Daniel Defoe ait suscité beaucoup de réactions de la part d’écrivains actuels comme Michel Tournier qui laisse la parole à l’indigène dans Vendredi où les limbes du pacifique, ou Patrick Chamoiseau dans L’empreinte à Crusoé qui donne une caution rousseauiste à l’histoire au profit de Vendredi.
(17/08/2024)

 

Trente mille jours, de Maurice Genevoix, Seuil.
Je ne crois pas avoir relaté ce livre de Maurice Genevoix en Notes de lecture, je n’en trouve pas trace dans les 63 occurrences de l’écrivain qui jalonnent mon site. Sa lecture est déjà ancienne, j’ai retrouvé cet opus dans ma bibliothèque, sur le rayon complet consacré à l’auteur que je tiens en grande estime. Évidemment, c’est le titre, Trente mille jours, qui m’a attiré, faisant écho à cette mise à jour basée sur des chiffres (684 votants et 364 textes en rubriques Étonnements et Notes d’écriture). Mais cela a été l’occasion de relire ce récit qui relate les « trente mille jours » de la vie de Maurice Genevoix. Lorsque paraît en 1980 cette mémoire autobiographique, l’écrivain est dans sa 90 ème année. J’ai retrouvé une photographie de cette époque, prise quelques mois auparavant par Ulf Andersen : l’homme y semble étonnamment jeune et malicieux. Peu après la parution de Trente mille jours, il décèdera un jour de forte chaleur dans sa résidence d’été en Espagne. Ainsi, c’est une vie bien remplie qu’il raconte avec passion et retenue dans ce récit. J’avais toujours considéré jusque-là cet écrivain comme d’une longévité exceptionnelle, tant d’épreuves traversées, la guerre de 14, et tant de livres écrits ensuite dans la sérénité retrouvée. Je n’avais jamais fait le rapprochement avec mon père, qui, a 2 mois près, a disparu au même âge, également avec une vie aventureuse bien remplie, avant de s’installer dans un bonheur désiré, avec la même ferveur que l’homme des Vernelles. Yougoslave qui lui rend hommage, est un peu ses « trente-mille jours à lui ».
(02/06/2024)

 

Itinéraire d’un bibliophile voyageur, de Dominique Larrey
J’ai rencontré Dominique et Arielle Larrey l’année précédente en Colombie. Au cours des jours que nous avons passés ensemble, nous avons beaucoup échangé sur nos voyages respectifs, mais eux, plus que nous, ont grandement arpenté le monde. Ils ont transmis leur virus à leurs trois enfants, les deux garçons sont devenus photographes animaliers et leur fille, qui travaille à TF1, réalise régulièrement des reportages au bout du monde, le dernier date de seulement quelques jours. Nous nous sommes revus à Montier en Der, où leur aîné était l’invité d’honneur du festival animalier (voir Étonnements du 04/12/2023).
Nous avons aussi beaucoup parlé de livres et je connaissais l’attrait de Dominique pour la bibliophilie et notamment les livres de voyages.
Je n’ai guère été surpris lorsqu’il m’a envoyé son Itinéraire d’un bibliophile voyageur. En revanche, je l’ai été lorsque je me suis plongé dans la somme érudite qui constitue ce volume de 318 pages. Tout ce que vous voulez savoir sur les livres anciens sans avoir jamais osé le demander s’y trouve : librairies spécialisées, ventes aux enchères, comment évaluer un livre, qu’est-ce qui en fait sa richesse… Dominique partage avec générosité ses connaissances. On en apprend aussi beaucoup sur ce collectionneur : hyperactif, sommité dans le monde médical, partagé entre ses voyages et sa passion, Dominique n’a pas son pareil pour raconter une tractation de vente aux enchères réalisée à distance, parfois n’hésitant pas à interrompre un colloque quelques minutes pour acquérir une rareté.
Ce livre d’ailleurs est également une curiosité : pas de maison d’édition et une sortie sans publicité. A coup sûr, cet deviendra Itinéraire d’un bibliophile voyageur par la suite un livre que tout collectionneur rêvera d’avoir.
(19/06/2024)

 

Au-delà des sommets, de Kilian Jornet, éditions Artaud
C’est ma collègue Anne-Lau, avec qui je courais lorsque je travaillais encore, qui m’a parlé pour la première fois de Kilian Jornet. C’est elle aussi qui m’avait fait découvrir les trails, il faut dire qu’elle avait l’habitude d’arpenter les vignes de Champagne en petites foulées. Bons souvenirs donc et de belles compétitions ensemble.
Pour en revenir à Kilian Jornet, ce n’est pas les petites foulées qui font sa réputation, jugez plutôt : 4 fois vainqueur de l’ultra-trail du Mont-Blanc (170 km et 10000 m de dénivelé) dont la dernière fois en moins de 20h. On ne compte plus les records d’ascension qu’il a établis : Chamonix-Mont Blanc en moins de 5h, aller-retour du Cervin en moins de 3h, l’Everest sans oxygène en 26h, exploit qu’il réitère quelques jours plus tard, sans l’aide de sherpas en 17h.
Ce livre raconte bien entendu ces exploits, mais surtout, tout ce qui les dépasse « au-delà des sommets ». Car l’homme est redevable. Il sait qu’il est privilégié : enfance dans un refuge dans les Pyrénées, père guide de haute-montagne, mère entraineur de ski, un premier 3000m réalisé à 3 ans. « L’hiver, pour aller à l’école, avec ma sœur, on faisait quinze kilomètres en ski de fond. », dit-il. Marié à une athlète norvégienne, il aspire désormais à lutter contre la pollution et dénonce l’exploitation abusive de la montagne en se remettant soi-même en cause. Un des passages les plus beaux de son livre est lorsqu’il raconte une randonnée (en courant bien sûr) de plusieurs jours sur l’ensemble des sommets norvégiens, sans chrono, juste pour le plaisir, tout seul avec son sac à dos. Je le comprends d’autant mieux que je ressens la même exaltation lorsque je pénètre tout seul en modestes foulées dans une forêt pour une balade de 16 km avec mon petit sac de trail, mes 2 barres de céréales et ma réserve d’eau.
(09/06/2024)

 

Marchands de sable, d’Agnès Mathieu-Daudé, Flammarion
Suzanne, issue d’un milieu populaire, a épousé l’héritier d’une dynastie industrielle établie en Sardaigne. Préoccupée par les enjeux environnementaux, elle déchante face à une famille juste intéressée à conserver son train de vie et ses avantages. De plus, Suzanne découvre un secret bien gardé : son mari, alors enfant, aurait été enlevé par des militants d’extrême-gauche au moment où l’Italie était en proie à des groupuscules révolutionnaires. L’indifférence familiale au sort du bambin la révolte autant que sa fortune amassée par des compromissions avec Mussolini et d’autres accords louches.
Suzanne semble ainsi découvrir la cupidité du capitalisme avec un angélisme désarmant. On reste cependant sur sa fin dans cette histoire puisque l’héroïne, assez confusément, semble adopter toutes ces compromissions. Alors, tout ça pour ça ?
Le style d’Agnès Mathieu-Daudé est toutefois convainquant et la peinture de la Sardaigne (j’y étais quand je l’ai lu) bien documentée.
(02/06/2024)

 

Vivre vite, de Brigitte Giraud, Flammarion.
J’ai rencontré Brigitte Giraud en 2004 aux Petites Fugues de Franche-Comté où elle venait présenter Marée noire. Pour ma part, je venais de publier Paysage et portrait en pied de poule. Je sortais d’une présentation de mon livre et j’avais rejoint le petit groupe venu l’écouter à la médiathèque de Champagney en Haute-Saône. J’ai retrouvé Brigitte Giraud en 2008 où elle organisait la fête du livre à Bron. Elle m’avait invité, j’avais publié CV roman, l’année précédente, et j’avais retrouvé avec grand plaisir François Bon qui venait de publier sa bio de Bob Dylan. Ensuite elle a dirigé la collection la forêt chez Stock et elle a édité Anne Savelli (Franck, 2010).
C’est une autrice que je lis souvent et Vivre vite, récompensé par le Goncourt en 2022 est pleinement justifié. Son œuvre est souvent traversée par le drame qu’elle a vécu : son compagnon est décédé d’un accident de moto en 1999. A présent, un précédent récit publié en 2001, évoquait déjà ce même sujet (Note de lecture du 08/12/2004). Vivre vite reprend ce thème avec l’exploration intacte, même après plus de vingt années, de faire en sorte que le destin bascule autrement.
(12/04/2024)

 

Instants handball, Alain Delatour et Thierry Beinstingel, Le livre d'art.
J’ai déjà souvent évoqué le projet Instants Handball, auquel j’ai participé, mais jamais dans cette rubrique le livre qui en a découlé, publié en 2016 chez la très belle maison d’édition Le livre d'art. Seul ouvrage labelisé par la fédération française de Handball pour les championnats du monde organisés en 2017, il réunit l’ensemble des textes et des peintures proposés depuis 2015 dans les diverses expositions. On y trouve également le travail réalisé avec les écoles primaires de Dunkerque puisque l’équipe professionnelle de l’USDK, pilier sportif de cette ville, a été notre partenaire, grâce à Alain. Tandis que j’animais quelques ateliers d’écriture, Alain a réalisé avec les élèves une immense fresque qui a orné également les abords du terrain lors de la manifestation. Cette fresque est dépliable et reproduite dans le livre. J’ajoute que des coffrets frappés du logo de l’USDK dans lequel s’insère notre ouvrage ont été réalisé par un autre sponsor. Bref, tout concourt encore à ce que Instants handball demeure un objet d’exception, même cinq ans après les championnats du monde puisque les succès de nos équipes nationales féminines et masculines sont toujours au plus haut niveau.
(04/04/2024)

 

Summer, de Monica Sabolo, Jean-Claude Lattès.
J’ai lu ce roman il y a plusieurs mois, presque un an peut-être et je dois dire que je ne m’en souviens pas beaucoup. Il m’avait été conseillé, ou plutôt, une discussion au sujet de la possible adaptation de ce roman au cinéma m’avait incité à le lire. Je garde juste le souvenir d’une disparition au bord d’un lac, une jeune fille (Summer) que le narrateur (son frère) n’arrive pas à oublier, partagé entre le remords d’avoir été un témoin qui n’a rien pu faire. Je ne sais même pas si l’intrigue se résout, si on connaît la vérité à la fin. D’abord, je ne révèlerai pas le dénouement bien sûr, et surtout, je suis un spécialiste de l’oubli des péripéties finales. Je peux regarder cent fois un film policier, je découvre à chaque fois celui qui a tué comme si c’était la première fois. C’est pratique lorsqu’on lit des récits à suspense, la fin paraît toujours inédite.
Avec tout cela, vous n’êtes pas plus avancé pour connaître mon sentiment au sujet de ce roman : j’ai juste gardé l’impression que le récit était bien mené et bien écrit. Mais au moins que mon petit laïus amnésique vous incite à le lire à votre tour.
(22/03/2024)


La tentation du pire, l’extrême droite en France de 1880 à nos jours, de Pierre-Louis Basse et Caroline Kalmy, avec les regards de Dany-Robert Dufour, Benjamin Stora, Jérôme Leroy et Adrien Gombeau, éditions Hugo Image.
C’était la veille de Noël, derniers achats en vue du Réveillon, dans une librairie de Mont-de-Marsan, j’ai vu ce livre, je me le suis offert égoïstement (non merci, pas de papier cadeau). Ce qui m’a attiré dans le titre c’est 1880, car c’est exactement à ce moment précis qu’il me semblait que justement, l’extrême-droite avait commencé. Plus précisément 1885, pleine affaire du Tonkin avec Jules Ferry, quelque chose qui me paraissait emblématique des relations colonialistes de l’époque et que je creuse un peu dans le nouveau livre à venir, bref… Ceci dit, l’extrême-droite démarre vraiment sur le sol français avec l’affaire Dreyfus, antisémitisme, méfiance de la démocratie, manipulation des foules… Tout cela est magistralement retracé dans cet ouvrage qui fait la part belle aux documents d’époque. Bien sûr, l’histoire va s’enchaîner via les drames qu’on connaît et qui mèneront à Pétain, englueront l’histoire. Hélas, ce n’est pas que d’histoire qu’il s’agit et c’est là tout l’enjeu de ce livre, de montrer comment les faits (qui sont têtus, comme le répète souvent Pierre-Louis Basse) découlent de celle-ci, comment l’actualité a un lien évident avec nos vieux démons, une guerre d’Algérie ravalée à grand peine et des racines qui prennent jusque dans le terreau de l’ancien régime. C’est détaillé, opiniâtre, partisan et on en redemande. Heureux d’avoir pu lire les contributions des co-auteurs cités, je n’oublie pas la reproduction de l’article ô combien nécessaire d’Annie Ernaux à propos des dérapages d’extrême-droite rédigés par Richard Millet. Quant à Pierre-Louis Basse, je me souviens avoir été interviewé par lui et avoir constaté un lecteur précis, véritable passionné de littérature. Oui, on peut aimer les écrits de Céline, Drieu ou Brasillach, et détester les idées qu’ils ont véhiculées. Faire la part des choses, savoir comment fonctionne le mouvement des idées nauséabondes est devenu salutaire dans notre époque où les « roms » deviennent les juifs à abattre, où il est si facile de hurler avec les loups quand tout semble aller mal, la crise est toujours la faute des autres… Bravo pour ce livre indispensable !
(15/03/2024, note initialement parue le 08/01/2014, reproposée le 02/05/2017)

 

New York sans New York, de Philippe Delerm, Seuil.
Écrivain minimaliste (comme il se décrit lui-même dans ce livre, reprenant l’étiquette qui lui colle à la semelle comme un chewing-gum), Philippe Delerm n’a jamais mis les pieds dans la ville-pomme, et on comprend qu’il n’ira jamais. Ce qui ne l’empêche pas de parler avec passion de cette ville, de la même manière que je suis capable de décrire Sarajevo dans Yougoslave, bien que je n’y ai jamais mis les pieds. Beaucoup de lieux sont ainsi dépassé par la charge mythique qu’ils représentent. Souvenir d’un voyage en Égypte, où juste après avoir atterri, nous voilà propulsé pour un son et lumière aux pieds des gigantesques pyramides, ce qui fait dire à une voisine de voyage : « c’est bien joli tout cela, mais quand est-ce qu’on verra les vraies ? ».
New York porte en elle ses légendes, la ville cosmopolite, la ville démesurée, la ville qui ne dort jamais… Philippe Delerm les reprend à son compte mais se sert de la manière dont la ville apparaît dans les livres ou au cinéma avec Woody Allen. Il évoque aussi Vivian Maier, la photographe ignorée de son vivant, récemment découverte, et qui a su magnifiquement exprimer les situations de quartier et les poésies urbaines. On voyage donc, Central Parc, Madison square Garden, Bronx, Brooklyn, Harlem, on court le marathon avec Dustin Hoffman (qui ne figure pas dans le livre, mais quand même). L’écrivain évoque le World Trade Center et le Onze septembre, mais à travers la photo controversée de Thomas Hoepker qui montre 5 jeunes gens discutant paisiblement sous le soleil alors que les tours brûlent. Mais c’est cela aussi New York, un endroit immuable, invincible, où la vie des hommes se régénère sans cesse.
(01/03/2024)

 

Correspondance d’Arthur Rimbaud, de Jean-Jacques Lefrère, Fayard.
Jean-Jacques Lefrère a réalisé un travail titanesque pour réunir toute la correspondance établie autour du vivant d’Arthur Rimbaud, mais aussi toute celle qui a suivi la disparition du poète jusqu’en 1920. Cette somme considérable représente 4 tomes et plus de 5500 pages.
On mesure la générosité et l’esprit scientifique de l’auteur, par ailleurs éminent hématologue, pour livrer le fruit de ses recherches. Le grand intérêt de cette étude consiste en l’absence de commentaires, digressions ou avis personnels, auxquels un personnage mythique tel qu’Arthur Rimbaud ne peut ordinairement échapper. La correspondance nous est livrée ainsi, brute de fonderie (avec toutefois un nombre abondant de notes de bas de page, sur la provenance et les circonstances des articles retrouvés) et c’est à nous, lecteurs, de voyager entre les lettres écrites par le poète, celles qui le concernent, les articles de presse qui vont participer à la construction de la légende, à nous donc, de nous faire une opinion. C’est assez rare en littérature de laisser un champ ouvert au lecteur et c’est important de le souligner. Bien sûr, il faut empoigner cette prose et ces missives à bras le corps. Mais quel voyage dans la fin du XIXème et le début du XXème !
Je me suis largement inspiré de cette somme pour écrire Vie Prolongée d’Arthur Rimbaud et j’ai d’ailleurs dédié ce roman « en mémoire de Jean-Jacques Lefrère (1954-2015) » lors de sa parution en 2016. J’aurais dû en effet rencontrer l’auteur de cette quantité fantastique de recherches. Mon éditeur allait organiser un rendez-vous, mais hélas, Jean-Jacques Lefrère a soudainement disparu. Il reste ces quatre tomes, inépuisables dans lesquels je vais fréquemment regarder.
Ainsi, à l’occasion des lettres à sa famille récemment données au musée de Charleville, sachez qu’elles étaient déjà recensées (d’ailleurs existe-t-il une seule missive encore inédite relative au fameux poète ?). Jean-Jacques Lefrère a précisé pour chacune d’elle « localisation actuelle inconnue », mais désormais elles sont revenues à leur destination voulue par Arthur Rimbaud : dans les Ardennes.
(23/02/2024)

 

Ermites dans la Taïga, de Vassili Peskov, Actes Sud.
C’est mon cousin Philippe qui m’a conseillé ce livre. Curieux de tout, il s’est découvert une vocation tardive pour les voyages, Sardaigne, Italie, Roumanie, Dordogne, Autriche et bien d’autres escapades accomplies depuis décembre. Et ainsi ce récit Ermite dans la Taïga lui a beaucoup plu. Je l’ai dévoré à la suite.
Ce n’est pas un récit de voyage proprement dit, ou plutôt, les héros de cet ouvrage sont sédentaires, reclus au fin fond de la Sibérie depuis toujours ou presque… En février 1982, le journaliste russe Vassili Peskov entend parler d’une petite communauté qui vit dans une contrée totalement perdue. Quelques années auparavant, des géologues installés à proximité ont repéré depuis un hélicoptère des traces de potagers et de constructions. Ils entrent en contact en 1978 avec cette petite famille qui vit isolée de la civilisation depuis les années 30, suite à un schisme religieux qui les avait contraints à l’exil. En effet, ces « vieux croyants », comme on les nomme également, sont profondément pieux, prient et renient leurs supposés pêchés avec ferveur. Si cette vie spirituelle constitue la base de leurs relations, il leur a fallu s’adapter aux conditions extrêmement rudes de la Sibérie sans contact avec l’extérieur.
A partir de 1982, donc, Vassili Peskov réalise une véritable étude ethnographique, relevant leurs habitudes, leur nourriture, évaluant la façon dont ils ont utilisé les matières premières à leur proximité, écorces, peau de bêtes, mais économisant aussi les ustensiles d’origine qui les avaient suivis dans leur exil, seaux de fer, outils, cordes et sacs de toiles. Malheureusement, la vie rude et peut-être sans doute les maladies apportées par les visiteurs extérieurs, ont provoqué la perte de plusieurs membres de la famille. Il ne reste bientôt plus que le chef de famille, un vieillard, et sa fille la plus jeune, nommée Agafia, qui ne tarde pas à se retrouver seule. Elle fera une tentative pour rejoindre la civilisation dans un monastère avant de renoncer et de retourner dans sa chère forêt perdue. C’est ce que raconte le livre de Vassili Peskov, paru en 1992.
Le journaliste est mort en 2013 à l’âge de 83 ans. Aux dernière nouvelles, Agafia vit toujours en ermite sur ses terres dans la Taïga, dans une nouvelle maison qu’on lui a offerte. En avril, elle aura 80 ans.
(16/02/2024)

 

Des hommes, de Laurent Mauvignier, éditions de Minuit.
Paru en 2009, le livre Des hommes raconte en filigrane l’histoire sombre de la guerre d’Algérie.
Mais l’intrigue se met en place de façon progressive, insidieuse comme la manière avec laquelle les soldats de l’époque que nous connaissons tous, vieux tontons octogénaires maintenant, ont été appelés sous les drapeaux, parfois pour plus de 2 ans. La plupart en sont revenus avec des traumatismes comme Bernard, l’anti-héros de Des hommes, qui noie ses angoisses dans l’alcool. A l’occasion d’une fête familiale, ce passé resurgi, par l’intermédiaire notamment de son cousin Rabut qui était incorporé en même temps que lui. Entre culpabilité et innocence, ce livre montre comment toute une génération a subi ces « évènements » comme on disait.
Un film éponyme a été réalisé par Lucas Belvaux en 2020. En parlant de cinéma, sur le sujet de la guerre d’Algérie, on peut aussi revoir le très beau film  Avoir vingt ans dans les Aures, de René Vautier, ou encore Dupont Lajoie d’Yves Boisset, sorti à la même époque.
(09/02/2024)

 

L’enfant dans le taxi, de Sylvain Prudhomme, éditions de Minuit.
Sorti au mois de septembre dernier, L’enfant dans le taxi raconte une quête sur fond de secret de famille. Lors de l’enterrement de son grand-père, le narrateur découvre qu’il a eu un premier fils avec une allemande alors qu’il était en garnison dans ce pays. Mais remuer le passé n’est pas chose aisée, la vie s’est construite sans ce fils oublié et peu tiennent à ce que l’équilibre familial soit rompu. Pourtant, comme dans la plupart des cas, certains - vieux oncles, tantes âgées – en savent plus. Nous suivons ainsi le narrateur de Sylvain Prudhomme qui dénoue fil après fil les nœuds de cette histoire, avec finesse et poésie.
(02/02/2024)

 

Un pedigree, de Patrick Modiano, Gallimard.
Paru en 2005, neuf ans avant l’attribution du Nobel de littérature, Un pedigree est une biographie des première années de Patrick Modiano. Écrit à la fois avec distance et ironie, cette biographie rejoint la fiction en apportant, outre les éléments déjà connus de l’écrivain (sa mère, l’actrice Luisa Colpeyn, Alberto Modiano, son père avec lequel il se brouillera définitivement), des personnages qui traversent ses romans, comme Jean et Kiki Daragane, dont le narrateur (l’auteur ?) est amoureux.
Ironie aussi, car la définition du mot anglais « pedigree » renvoie à la généalogie d’un animal de race, chien ou cheval le plus souvent, bref, la parfaite alliance du hasard et de l’après-guerre qui ont fait se rencontrer une actrice belge, fille d’un docker d’Anvers, avec un trafiquant de marché noir au sortir de la guerre. Mais Paris, où les protagonistes vivent, est la ville de tous les possibles. L’auteur se promène avec Raymond Queneau, finit par se tourner vers l’écriture : on connait la suite…
Pour en savoir plus : le réseau Modiano...
(26/01/2024)

 

L’inconnu de la poste, de Florence Aubenas, éditions de l’Olivier.
Florence Aubenas, journaliste, nous emmène du côté d’un fait divers sordide : le meurtre d’une employée des postes en 2008. Or, c’est la personnalité du principal suspect qui nous interpelle : Gérald Thomassin, acteur trop tôt encensé pour sa participation à 16 ans dans Le petit criminel. Titre prémonitoire… A la suite d’une carrière chaotique, devenu toxicomane et alcoolique, il est accusé du meurtre de la postière en 2013. Or, bien des incohérences sont constatées, notamment la présence d’un ADN qui n’est pas le sien sur la scène du crime. Ces incohérences aboutissent à un non-lieu rendu en 2020, mais c’est trop tard : Gérald Thomassin a disparu soudainement depuis 10 mois. A ce jour, il n’a pas reparu et est considéré comme mort par ces proches.
Comme d’habitude, la plume de Florence Aubenas est précise, sachant donner vie à tous ceux qui ont gravité et disparu autour de cette petite agence postale aux confins des Alpes. Aucun pathos, ni parti pris dans cette affaire qui ne sera sans doute jamais franchement élucidée malgré la condamnation en octobre dernier du suspect qui avait laissé son ADN.
(19/01/2024)

 

Cutter d’Yves Ravey, éditions de Minuit.
L’auteur bizontin, une fois de plus, nous régale d’une histoire mi-policière, mi-série noire qu’il concocte avec un soin précis. Les intrigues sont généralement puisées dans des situations en apparence normales, vies ordinaires qui finissent par déraper gravement.
Cutter met en scène un jeune handicapé placé dans une institution, son oncle, jardinier chez une belle jeune femme, mariée à un entrepreneur. Le mari est retrouvé mort. Il s’est suicidé par asphyxie en laissant tourner le moteur de sa voiture. Du moins, c’est ce qui apparaît lorsque la belle épouse et le jeune handicapé, venu aider son oncle à des travaux de jardinage, le découvrent dans son garage.
Évidement, on se doute que la vérité sera toute autre…
Yves Ravey, comme d’habitude, excelle à révéler la part noire des personnages auxquels on aurait donné jusque-là le bon Dieu sans confession.
(12/01/2024)