depuis septembre 2000
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Yougoslave,
histoire du livre
Quelques
notes relevées sur Feuilles de route |
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Le 17/08/2018, Y est lancé...
Cette année, contrairement à 2017 où je me suis astreint en villégiature à
la thèse pendant quatre à six heures par jour, l'activité littéraire a été plus
relâchée, mais non moins riche. J'avais prévu de rédiger une nouvelle pour la belle
revue Les Amis de l'Ardenne, de corriger ST en vue de sa parution
prévue en janvier prochain. J'avais emporté des livres pour le futur projet d'écriture
qui devrait être conséquent et me tenir pendant deux ans. La nouvelle pour Les Amis
de l'Ardenne est rédigée et je n'ai pu m'empêcher d'essayer une ébauche de début
pour le futur bouquin (nom de code Y). En revanche, la tâche de correction de ST
m'apparaît plus ardue que je ne pensais : l'un des trois personnages principaux est un
peu faible au regard des deux autres, je m'en aperçois à la relecture, je dois
l'affirmer, le préciser davantage et cela va encore me prendre probablement une quinzaine
de jours.
J'ai hâte aussi de le terminer parce qu'il me semble que Y est d'une
autre dimension et ce projet commence déjà à retenir toute mon attention et ma
disponibilité d'esprit. J'ai aussi beaucoup lu pendant ces vacances : découvert le
magnifique Martin Eden de Jack London (voir en Notes de lecture), mais aussi Les
Misérables de Hugo dans sa version initiale et complète ; j'ai lu une biographie de
Salinger et les quelques nouvelles de lui qui ont été traduites en français.
L'expression de renaissance est vraiment l'impression qui me reste de ces trois semaines
de coupure sicilienne : des jalons pour les mois (années ?) à venir sont posés.
Le 24/08/2018, l'idée d'un roman-fleuve...
Les affaires reprennent donc, sans compter Y, nouveau nom de code, donc
de futur bouquin (enfin j'espère). Etrangement, je pensais à cela en me remémorant mon périple entre Marne et canal, Y devrait être un
" roman-fleuve ", dans tous les sens du terme.
Le 07/09/2018, la mesure de l'enjeu...
Le sujet de Y (mais je le sais depuis vingt ans) est pour moi
primordial, obligatoire. L'angoisse donc est à la mesure de l'enjeu, omniprésente,
intense, mais je préfère ici le synonyme d' " émoi ", sa racine latine movere,
à la fois s'émouvoir, mais aussi remuer, danser, bouger, se mettre en mouvement,
avancer.
Le 26/11/2018, l'histoire néanmoins se structure...
En même
temps, jai commencé depuis le 2 août dernier le projet Y, un récit important qui me trotte dans la tête
depuis longtemps. Ceci dit, les occupations de lété, les vacances en Bolivie, les
diverses relectures nécessaires à la parution de ST
ne mont pas permis une écriture très régulière. Lorsque jai repris Y en rentrant de Bolivie, il végétait depuis fin
septembre. Jai eu en effet jusquà présent limpression dun début
difficile et assez lent. Jai cependant une idée assez précise de ce qui devrait
être une saga assez longue (500, 700 pages ?). Je sais où je vais et, ce qui me
rassure, jentrevois quel est mon rôle en tant quauteur et quelle place je
dois occuper vis-à-vis de ce récit. Je maperçois au fur et à mesure de mes
parutions que cet aspect est lun des plus important : savoir se situer en tant
quauteur dans le récit. [...]
Pour en revenir à Y, cette histoire me
demande beaucoup dinformations qui sont difficiles à recouper. Je dois constituer
cette partie documentaire sans vraiment savoir où chercher tant la collecte est éclatée
dans différents lieux et différentes langues (par exemple, pour Vie prolongée dArthur Rimbaud, fortement
argumenté, lessentiel de mes recherches sest concentré sur quelques livres,
certes épais, une bibliographie probablement denviron dix mille pages mais facile
à cerner). Jai donc limpression dune écriture qui avance lentement et
comme je prévois un gros livre, jai peur de ne pas avoir un rythme suffisant, même
si le temps imparti pour rédiger ce récit est encore long.
En remuant toutes ces idées dans le train qui me menait à Lyon, jai eu
limpression quil fallait néanmoins que javance régulièrement,
quil me fallait « accumuler les signes, augmenter les phrases ». Ces
deux réflexions me sont venues et je les ai notées. En effet, lhistoire néanmoins
se structure en « livres », un peu comme Les
Misérables de Hugo ou La Guerre et la Paix
de Tolstoï. Jen suis donc au « livre premier » et il me faut en effet
délayer la vie romanesque que je prête à un premier personnage.
Le 10/12/2018, je suis banalement en train
décrire, mais au long cours...
Jai
pris la mer. Je me suis éloigné, je nai plus la côte en vue, je suis au milieu
des vagues, ballotté, chahuté, en même temps excité et heureux, spectacle de la houle,
longs frémissements hauturiers : je suis banalement en train décrire, mais au
long cours. Au long cours veut dire une traversée lente, dix-huit mois décriture
à venir, opiniâtre, régulière (enfin jespère). Pour linstant, les vents
me sont favorables : vingt pages la semaine précédente, trente pour celle qui vient
de sécouler. Jai besoin de ce rythme, la traversée sera longue, mille pages
pourquoi pas ? Se jeter à leau donc, à tous les sens, le travail,
lécriture, les recherches, tout ce qui préoccupe, mange les heures, le calcul
incessant de la trajectoire comme avec un sextant tendu vers les étoiles : un
plaisir. Frissons de la fiction aussi, de linvention (cette matière impalpable
surgie de notre cerveau comme un rêve éveillé) et limpression que les choix pris
sont irrémédiables, quon ne peut faire marche arrière, à peine corriger le cap
de quelques degrés. Reste alors lillusion que la langue peut seule sauver le
texte : on se relit, on peaufine, on brique le pont du navire. Le livre en cours, au
long cours, mabsorbe comme un buvard et fixe des mots définitifs sur des
impressions vagues, mais des certitudes aussi vitales que le vent et leau.
Le 21/01/2019, réflexions éditoriales...
Reste maintenant à évaluer Y, le livre en écriture. Je pressens (je désire
très fortement en fait) un roman épais, façon Guerre
et paix (tiens, cest drôle "guère épais" : je navais jamais
remarqué le jeu de mot de cette épopée de 1600 pages dans mon édition Pléiade).
Sans atteindre cette somme, de la manière dont il est lancé, Y pourrait dépasser le million de signes. Ma
maison dédition soucieuse de ne pas effrayer le lecteur proposera surement un
format étendu : compter ainsi 500 à 600 pages, sinon, ce sera mille pages ou plus,
mais passionnantes, que ce soit dans un grand ou un moyen format !
Le 04/02/2019, la méthode du carnet...
Pour le nouveau livre Y, jai repris la méthode du carnet et
celui-ci sappelle justement « carnets » dans la même collection rouge
et or gallimardesque. Il est cette fois ci écrit au stylo-plume, et cest important
pour moi, de prendre mon pencil préféré dans
le tiroir de droite, tandis que je saisis à gauche de lordinateur le calepin, il y
a là un petit rituel de réflexion et de lenteur plus propice à la notation romanesque.
Aucune date ny figure contrairement à Feuilles
de route. Les notes sont parfois longues : tentatives décritures de
paragraphes, réflexions notées suite à la consultation darchives tout azimut,
éléments à fouiller, à reprendre ultérieurement. Là aussi, cest un work in progress. A cette date, dix-neuf
feuillets sont utilisés en cinq mois, peu de rapport en fait avec les vingt pages
hebdomadaires auxquelles je mastreins.
Le 11/03/2019, convoquer Hugo et Tolstoï...
Vouloir rompre le sortilège de
Baudelaire : Jhabite pour toujours un
bâtiment qui va crouler, un bâtiment travaillé par une maladie secrète. Au
contraire, vouloir écrire un monument, tenter la longue et vieille distance quon
nose plus : écrire Les Misérables
ou La Guerre et la Paix. Convoquer Hugo et
Tolstoï, donner au lecteur une distance similaire, signifier : Voilà
lhistoire, il faut tout lire. Leur laisser un pavé et leffort : ce que
je tente. En suis-je capable ? Les Misérables
et La Guerre et la Paix ont en commun plus de
deux mille pages, cinq cents mille mots, trois millions de caractères. Hugo y travaille
pendant trois ans entre 1845 et 1848, sinterrompt pendant douze années et le
termine en deux ans, de 1860 à 1862. Tolstoï, quant à lui, élabore son uvre
pendant dix ans, de 1863 à 1873, comme sil prenait la suite de Hugo. Si on veut
lire les deux livres à la queue-leu-leu, il faut y consacrer pas moins de six mois en
lisant chaque jour vingt à trente pages : qui est capable de sy coller de nos
jours où le monde tourne sy vite ? Vouloir
écrire un monument, voilà qui est présomptueux, ce que je vise est plus modeste,
seulement un tiers des Misérables ou de Guerre et Paix, dépasser un million de signe,
peut-être deux cents mille mots, approcher ou dépasser les mille pages : le sujet
de Y sy prête, il me serait même
difficile de faire moins. Il y a aussi la volonté de faire cadeau de deux mois de lecture
à qui veut. Jai toujours pensé quun écrivain était un fabricant de temps,
jai toujours aimé lidée quà lépoque où chacun se plaint du
manque de temps, lécrivain était un des rares métiers où on peut fournir des
heures dévasion à convenance de chacun. Proposer mille pages, cest avancer
à contre-courant, cest demander un effort à qui sera intéressé, et, toute
proportion gardée, cest retrouver un art de vivre digne du XIXème siècle avec
cinquante jours ou deux mois de lecture ininterrompue. Il y a toutefois une différence
entre Hugo, Tolstoï et moi : au lieu des cinq ou dix ans quil leur fallut pour
rédiger leurs deux monuments, je compte réduire à seulement vingt mois lécriture
du mien.
Le 17/03/2019, faire coïncider l'histoire et le style
littéraire de l'époque...
Alors que jentreprends un livre qui évoque des deux cent trente dernières
années, je suis confronté comme pour Vie
prolongée dArthur Rimbaud à restituer la langue dorigine (enfin pas tout
à fait, laction se déroulant en terre étrangère), cest à dire celle qui
avait cours à lépoque. En effet, comme pour VPAR,
je retrouve la puissance de ce vocabulaire issu du XIXème siècle, particulièrement
foisonnant et apte à retracer lambiance. Et comme jai en ligne de mire Les Misérables de Hugo et La Guerre et la Paix de Tolstoï, jécris
dans le style avec personnages variés et formes désuètes de la conjugaison au passé
simple et à limparfait. En revanche, Vie
prolongée dArthur Rimbaud sachevait en 1921, et le style de lâge
dor du roman balzacien, même sil était déjà ébranlé par une certaine
modernité, avait persisté jusque-là avec Proust : je navais donc pas pu
faire évoluer de façon spectaculaire ce style. Jai en projet pour Y dont laction traverse le XIXème, le
XXème et notre début de nouveau millénaire de faire coïncider les évolutions de notre
langue avec lépoque traversée, en gros de faire coïncider lhistoire de
notre écriture avec le cheminement des intrigues.
La difficulté bien sûr est de discerner ces époques décriture.
Lâge dor du roman (hugolien, tolstoïen en ce qui me concerne) persiste
probablement jusquau choc de la Première Guerre mondiale, lequel entérine
lévolution commencée avec lArt moderne au début du siècle (Picasso, Les Demoiselles dAvignon, 1907) :
côté littérature, voir Cendrars, Apollinaire, le Surréalisme, dautres
Mais
pas Rimbaud, nen déplaise à ceux qui le perçoive comme un génie
annonciateur : il demeure pour moi un poète de lancien monde. Le deuxième
choc esthétique suit la fin de la Seconde Guerre mondiale : remise en question du
nouveau roman, lequel persistera sous des formes diverses bien après Mai 1968. Il faudra
que jaille enquêter du côté de Duras, Beckett, Claude Simon. A lheure
actuelle, la littérature est devenue « profuse et variée » pour reprendre
les termes de luniversitaire Dominique Viart. Une tendance tout de même
sétale depuis environ deux décennies, le recours systématique au
« je » comme forme principale du narrateur (Carrère, Houellebecq, pour ne
citer queux). Voilà létat du chantier de Y dans ces fondements esthétiques à creuser. Et
cest sans compter que cette analyse française doit être également complétée par
les spécificités de cette Europe centrale que je raconte : sans doute que Franz
Kafka, Milan Kundera, Ivo Andric et Herta Müller ont autant à mapprendre.
Le 25/03/2019, Y en roman familial...
Y
est un roman familial. Et aussitôt que je dis cela, je sais que cest insuffisant,
que cest mille fois plus que cela : une sorte de Guerre et Paix dont les vrais héros auraient tous
existé, bisaïeuls, trisaïeuls et davantage, certes plus modestes que ceux évoluant
dans les salons russes de Tolstoï, mais tous ayant connu la malchance extraordinaire
davoir été là quand il ne le fallait pas. Pour donner une idée : mon
grand-père avait 11 ans et vivait à côté de Sarajevo lorsque larchiduc
François-Joseph a été assassiné, entrainant la Première Guerre mondiale, et mon
père, à 15 ans, était à Berlin en mai 1945 lorsque sest terminée la Deuxième
Guerre mondiale. Voilà pour les raccourcis historiques. Raccourcis dont jai
peut-être hérité si je juge mes propres voyages : Syrie, Yémen et Iran, avec à
chaque fois le chaos moins dun an après. Sans compter que lorsque nous prévoyions,
mon père et moi, de retourner vers sa Bosnie natale au début des années 90, juste
après sa retraite, il sen est fallu dun cheveu pour quon se retrouve en
plein conflit. Tu imagines, ma-t-il dit, Srebrenica nest pas très loin (et
combien est touchant son imparable accent serbo-croate lorsquil cite ces noms).
Adieu donc le projet de retour, le temps a passé et mes parents ne pourraient plus
entreprendre un tel voyage. Cest moi qui leur rends visite et, vendredi dernier, le
hasard a permis pour la première fois depuis longtemps de passer en tête à tête quatre
heures avec mon père. Mes parents sont du genre fusionnel, tant mieux, mais jai
rarement loccasion dêtre seul avec lui et javais vraiment envie
quil réponde à mes questions sur Y.
Jusquà présent, le sujet de sa jeunesse a rarement été abordé en détail, parce
que ce passé est complexe et lointain, et parce que la vie nous pousse naturellement à
rester dans le présent ou à penser au futur.
Au fur et à mesure que javance dans Y, en
effet, de découvertes en découvertes, le paysage familial séclaire et suscite
toujours dautres interrogations. Javais apporté les papiers militaires de mon
grand-père, que javais récupérés il y a longtemps (pensais-je déjà à Y ?), ainsi que différents documents écrits
en serbo-croate, mêlant parfois lécriture latine et cyrillique. Javais
également apporté une copie de certificats dimmigration retrouvés par chance sur
le Net et surtout, faits très rares, avec photos didentité, où mon père a pu
ainsi reconnaître sa tante et son parrain perdus de vue depuis 70 ans
Après-midi
faste, car de son côté, il ma donné des dates précises et un déroulement des
faits sans faille, sa mémoire demeure exceptionnelle. Il a traduit aussi les papiers de
mon grand-père, la langue natale se perd rarement et jaime beaucoup quand il me
reprend lorsque je propose une prononciation malaisée dun nom bosniaque. Nous avons
extirpé dautres vieux documents constitués pour sa naturalisation française
obtenue en 1973, ainsi que des extraits de naissance et de mariage de mes grands-parents,
bref, beaucoup de zones dombre se sont éclairées. Cest drôle, on pourrait
penser quun roman, entrepris dans son essence fictionnelle même, peut se passer de
faits véridiques. Mais paradoxalement, plus les faits sont précis, plus mon imagination
sen nourrit et plus la fiction alors peut déborder le cadre. Lexemple de Vie prolongée dArthur Rimbaud est
particulièrement parlant : uchronie
évidement inventée de bout en bout, mais où le moindre bouton de culotte du poète est
attesté.
Lorsque la parole de mon père sest accélérée, ses souvenirs remontant à la
surface, jai eu lidée denregistrer via mon mobile notre conversation,
mais jai rapidement abandonné lidée et jai préféré la marquer à la
volée sur mon carnet. Cette note décriture est aussi un moyen de noter ce moment
très important pour moi, pour nous deux. Par exemple, ses souvenirs de leur maison à
Zenica, en haut dun chemin qui menait à un cimetière orthodoxe, leau pas
raccordée, juste une source captée par son père, les parties dans la neige, avec son
chien qui remontait la luge, la manière dont la ville était organisée avec ses églises
catholiques, orthodoxes, ses mosquées, sa synagogue et le grand complexe sidérurgique
dans lequel travaillait mon grand-père. Bien sûr, son récit le plus riche en aventures
et le plus émouvant est celui de leur fuite éperdue dans la grande débandade de Berlin
à partir de mai 1945. Deux mille cinq cents kilomètres et quarante-cinq mois
derrance au total, sans argent et sans papiers. Frontières longées, traversées
sans justificatifs, les soldats refoulant les réfugiés dun pays à lautre,
les internant, les interrogeant dans cette déambulation du Nord au Sud, frôlant la
Pologne jusquà lentrée en Yougoslavie, passant par la Tchécoslovaquie, la
Hongrie, puis, cap vers lOuest, lAutriche et enfin la France. La famille
mettra un an et demi avant dêtre réunie à nouveau. Il faut imaginer ma
grand-mère, sans nouvelle de son mari, restée seule avec cinq enfants, le dernier
navait pas un an en mai 1945, mon père était lainé à quinze ans. Il faut
les imaginer dormir nimporte où, se nourrir de nimporte quoi, survivre jour
après jour...
Et comment, après avoir remué tous ces souvenirs qui viennent parfois le hanter
(Lautre nuit, je me suis rappelé du nom du village où nous étions au Nord de
Berlin, dit-il encore), conclut-il par « Nous avons bien travaillé » lorsque ma mère rentre de son rdv, lui montrant
nos papiers étalés sur la table de la cuisine, comme sil fallait encore et encore
prouver limplication sans faille et la vie laborieuse qui a été sienne.
Le 15/04/2019, Je
suis à la moitié de ma vaste saga...
Terminé le troisième livre de Y le
31 mars dernier. Jen suis à la moitié de ma vaste saga qui comptera six livres en
tout. A titre de comparaison, cette organisation est calquée sur Guerre et Paix (4
livres) ou Les Misérables (9 livres). Jen suis à plus de 500 000
signes, ce qui est faible par rapport aux uvres de Tolstoï et Hugo et Y au
final devrait atteindre (dépasser ?) le tiers de ces longueurs. Ce sera tout de
même puissant : il me paraît probable que les mille pages seront égalées, il me
reste en effet trois livres à écrire mais le
contexte sintensifie, la modernité nous a gratifié dhorreurs et certains
passages vont devenir hallucinatoires, venir gratter la peau même de nos vies plus nous
nous rapprochons daujourdhui.
Plus en effet, le récit savance, plus la fiction se modifie. Ce qui était
jusqualors cantonné à des recoupements historiques, laissant la part belle à la
fiction devient, non pas plus véridique, mais soumis à des réalités qui influencent le
récit. Par exemple, les photos, le cinéma, les reportages, tout ce qui perturbe notre
perception sera à prendre en compte, mais aussi le ressenti médiatique, les
témoignages, qui, au fur et à mesure que je vais mavancer, vont sinscrire
dans lactualité. Reste aussi plus intimement les souvenirs qui agissent en nous
comme des petits films muets, les clichés que nous observons minutieusement pour percer
leur mystère, tout cela creuse le roman, le travaille le force à débusquer du sens, à
ramener nos petites individualités dans le grand creuset collectif.
Je dois aussi prendre en compte lévolution de la langue, de lécriture et
plus généralement des arts à travers les deux siècles qui recouvrent mon récit. Par
exemple, combien il est étonnant de constater que la route de labstraction en
peinture, donc léloignement dune certaine réalité figurative, vient
sinscrire au milieu dautres arts qui eux témoignent de ce qui fût,
photographie, cinéma, pour ne citer queux. De même en littérature, comment
prendre en compte limpossibilité « décrire après Auschwitz » ou
la révélation dune « ère du soupçon », chère à Nathalie Sarraute
et au Nouveau Roman. Voici les défis qui mattendent pour la deuxième moitié de Y.
Le 26/04/2019, pourquoi relierY, le dernier livre, à Central,
le premier ?
C'est en discutant avec mon éditrice du futur livre Y que j'ai repensé
à Central, mon premier roman chez Fayard. Premier roman tout court d'ailleurs,
car si j'avais publié quelques mois plus tôt La Réserve aux éditions
Dominique Guéniot, j'ai toujours considéré que Central était le déclencheur
initial de mon écriture. Le titre d'ailleurs s'était imposé à moi facilement : Central,
comme le central téléphonique de ma ville dans lequel j'avais travaillé neuf années et
ainsi le récit qui s'y rattache. Mais aussi "central ", car en publiant ce
premier livre dont le premier mot est "Central " et le dernier pareil, j'avais
accompli une sorte de révolution, de réflexion périphérique autour de la littérature
("comparer avec l'escargot de ma quête, l'enroulement du boa ", avais-je
écrit). Ajoutons à cela que je publiais cet opus à quarante-deux ans, donc, peu ou prou
au "centre " de ma vie terrestre et accaparé par le désir de placer
l'écriture au "centre " de celle-ci. Beaucoup de symboles donc.
Pourquoi relierY à Central ? Parce que le livre en élaboration
me fait fouiller dans les tréfonds d'une mémoire familiale et il paraît de plus en plus
évident que je cherche à y trouver l'origine de ma passion littéraire. Je me pose donc
au centre, là où tout a commencé, où tout ne cessera jamais de recommencer. On imagine
à tort, chauvins de français, que le milieu (le centre) se situe dans notre pays, mais
en réalité, tout se joue dans la bien nommée Europe centrale, entre histoire
personnelle et histoire collective, au centre de ces cercles concentriques.
Le 02/05/2019,Y en palais du facteur Cheval...
Ecrire serait cela : agencer le papier peint, repeindre le plafond et, en même
temps, élaborer les chemins secrets qui vous ferons vous diriger plutôt ici que là,
puis ressortir de l'endroit et vous diriger à l'évidence dans la pièce suivante. Le
livre terminé, on ressort de la maison : certaines demeures vous déçoivent, d'autres
vous indiffèrent, d'autres encore, vous aimeriez y habiter : lire serait cela et dans le
dernier cas, ce serait un bon livre. Pour reprendre l'exemple de Y en cours, ma
maison à la taille d'un château sans les duchesses de Proust, ce n'est ni un
presbytère, ni une usine, ni un lycée, j'aimerais que ce soit un peu comme le palais du
facteur Cheval, une ambition folle élaborée par sa singularité même : et c'est
peut-être d'ailleurs une définition possible de la poésie.
Le 09/05/2019,Y avec les moyens du bord...
La semaine dernière, j'avais comparé l'écriture à l'aménagement d'une
maison, murs comme des paragraphes, pièces comme chapitres, inévitables longueurs de
couloirs
etc. J'ai souvent comparé aussi l'écriture comme l'idée d'embarquer dans
une sorte de long voyage en solitaire en voilier, une épopée à la Moitessier.
Evidemment Y se prête particulièrement à un tel tour du monde. En y
réfléchissant, m'est venue l'expression " avec les moyens du bord ",
expression qui résume à la fois le pragmatisme de l'écriture, son humilité (de même
que Moitessier ramassait sur les quais de ses escales le moindre bout de cordage pouvant
se révéler utile), l'idée aussi d'un voyage circulaire à l'intérieur de la coque du
navire qui vient se substituer à la " circumnavigation ", de la même manière
que le voyage de l'écriture en réalité ne dépasse pas la rotondité de notre crâne.
Les moyens du bord pourraient être ces matériaux, ceux enfouis sous la dure-mère (et
combien cette expression est adéquate pour désigner les mystères de nos pachyméninges)
ou ceux immédiatement circonscrits à notre univers immédiat, le clavier sur lequel je
tape, l'écran qui aligne mes mots, les livres, carnets, feuilles, atlas, arbres
généalogiques, photos, romans favoris, recherches Internet, traducteurs divers de
langues étranges, dossiers qui m'entourent, et même la bière en récréation. De la
même manière, sur un bateau, ce serait le sextant, les cartes marines, l'indispensable
à portée de main et au-delà, l'océan dans laquelle se déploie notre imagination sans
limite. Pareillement, au-delà des livres, de l'ordinateur, au-delà du merisier de mon
bureau, s'ouvre mon océan de mots, d'imagination, l'histoire à bâtir avec du rien. Les
moyens du bord, c'est ce qui explique peut être le désintérêt que j'ai à aller me
rendre compte sur place : quelques uns au courant de mon projet m'ont demandé si je
comptais aller dans les Balkans de Y que je décris. J'ai longtemps cru que je le
ferais, que ce serait indispensable pour écrire. Mais plus le livre avance (en suis-je à
la moitié ?), plus je pense que cette démarche m'est inutile : comme Moitessier, je
préfère rester à bord du navire et n'accoster que le dernier jour, voire doubler mon
tour du monde pour être bien rassasié.
Le 01/07/2019, ami
lecteur, l'effort que je te demande est infime en regard de celui que je me suis imposé...
J'ai terminé le quatrième livre de Y. Pour rappel, Y, le
roman en écriture, est composé de " livres " comme Les Misérables de
Hugo ou La Guerre et la Paix de Tolstoï. L'ambition cependant sera moindre : au
fur et à mesure de l'écriture, je m'achemine certainement vers un texte à un peu plus
d'un million de caractères alors que les deux uvres monumentales de Hugo ou
Tolstoï en comptent trois fois plus. Le livre terminé devrait approcher six à sept
cents pages dans un (très) grand format, et probablement sept à huit cents en édition
de poche si je me fie au plus grand roman que j'ai écrit Vie prolongée d'Arthur
Rimbaud, sept cent quatre vingt mille caractères et au final 415 pages en grand
format et 550 en poche.
Donc j'en suis au deux tiers, puisque le quatrième livre est terminé et que j'en
prévois au total six, disposés de façon chronologique. Ainsi, cette histoire, qui
commence le jour de la mort de Mozart en 1791 arrive maintenant à l'année 1930 à la fin
de ce quatrième livre. En fait, j'en suis même à l'année 1938 puisque j'ai entamé le
cinquième livre depuis maintenant deux semaines. Et d'ailleurs, j'ai noté sur le petit
carnet qui accompagne mon écriture à l'ordinateur que jeudi dernier, le 27 juin à 12h
pile, j'ai dépassé le nombre de caractères de Vie prolongée d'Arthur Rimbaud,
qui était jusqu'à présent mon plus long roman. J'entre ainsi en terra incognita,
dans une distance d'écriture encore inédite pour moi.
Ceci dit, écrire un long livre n'est pas forcément une difficulté, puisque c'est
d'abord le sujet, la richesse de celui-ci qui dicte la distance (une histoire qui se
déroule sur 230 ans impose bien des détours). La principale contrainte est en réalité
de tenir le rythme d'une écriture régulière : pour Y, c'est un minimum de
vingt pages (vingt mille caractères) à composer chaque semaine, si je veux respecter une
date de publication prévue pour septembre 2020. Le plus dur en fait est de tenir cet
objectif dans la durée : 20 pages par semaines, c'est forcément cinquante à soixante
semaines d'écriture sans aucune trêve pour ce que j'envisage. Ça exclut la trêve des
confiseurs l'hiver et des vacances d'été sans ordinateur. Et dire qu'on croit encore
dans l'imagerie populaire que le métier d'écrivain consiste à rêvasser
Car en
parlant de rêverie, cette régularité impose de savoir toujours de prévoir l'écriture
du lendemain : donc, on y pense tout le temps, la nuit, le jour, à chaque instant, en se
brossant les dents, en courant, en conduisant, en dormant. On y pense et on agit, on
prépare : à l'heure ou j'écris ces lignes, mon bureau est encombré d'une dizaine de
livres feuilletés ces jours ci, et encore, sans compter ceux que je range au fur et à
mesure, ainsi que l'immatérialité des recherches sur Internet, la lecture de livres
numériques ou la distance des visites et des coups de fil pour affiner telle ou telle
question.
Aussi, ami lecteur, lorsque tu t'apprêteras avec un peu de légitime appréhension à te
lancer dans la lecture de ce futur pavé, pense surtout que l'effort que je te demande est
infime en regard de celui que je me suis imposé.
Le 18/08/2019, vacances
studieuses...
Je n'ai pas effectué de mise à jour de FdR depuis plus d'un mois et
demi : trêve estivale, si vous voulez, ou plutôt il m'a semblé que j'étais constamment
pris par l'écriture de Y et quasi dans l'impossibilité de pouvoir me consacrer
à autre chose. Dans ma dernière rubrique, qui date donc de début juillet, j'annonçais
fièrement avoir terminé le quatrième livre et être entré en terra incognita,
dans une distance d'écriture que je n'avais encore jamais dépassée. Le cinquième
livre, comme je le prévoyais, sera plus dense encore, tant il a d'événements à
raconter. Pour l'instant j'ai avancé de presque deux cents pages depuis ma dernière
rubrique, donc toujours au rythme soutenu de plus de cent pages par mois, rythme que je
tiens depuis janvier. Je vais prochainement passer la barre mythique du million de
caractères (pas de fanfaronnade, La Guerre et la Paix et Les Misérables
en comptent trois fois plus). Il est possible qu'à ce rythme le roman approche au final
un million quatre ou cinq cents mille signes lorsque les six livres seront terminés. Ce
que je prévoyais ainsi comme un gros livre est en train de se réaliser avec toutefois
des interrogations sur la forme à prévoir : un seul gros volume grand format de 800
pages ? Deux tomes de 700 pages en format plus classique ? Trois tomes de 450 pages ? A
suivre, pour l'instant, j'écris
Le 02/09/2019, Y en
roman-fleuve ou en roman-océan...
Écrire un roman fleuve au sens littéral, un roman qui parle d'un fleuve, le plus
grand de tous, le Danube et un roman qui se veut fleuve, puissant et charnu. Celui qui
entreprend un tel défi se doit d'avoir le pied marin, d'être adepte de la solitude, de
la perte de la terre en vue. Au début on n'y fait pas attention, on se jette à l'eau,
sans aucune préparation, d'autant plus que le sens figuré du roman fleuve entrepris ne
change rien à la vie quotidienne. Et puis rapidement le tangage, le roulis, la perte du
pied marin devient réelle : au bout de quelques chapitres, comment continuer ? Quelle
voix (voie d'eau) adopter ? La solitude devient alors un piège (saura-t-on continuer tout
seul ?) et un refuge car les choix d'écriture n'appartiennent qu'à soi. Le plus dur
finalement est, non pas cette perte d'horizon (si le bouquin est bien pensé, on arrive
toujours à se repérer avec le soleil, les étoiles), mais cette obligation d'avancer
chaque jour, monter les voiles, donner des coups de rames : il faut sentir qu'on
progresse. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire. Ça impose de toujours savoir où
l'on est, de faire le point au sextant à chaque fin de séance d'écriture de se projeter
sur ce qui reste à écrire, la route à suivre (ou plutôt le fleuve impassible de
Rimbaud à descendre). En fait j'aurais pu nommer aussi ce projet roman océan, tant par
moment j'ai l'impression d'avoir quitté la terre. Mais dans les deux cas, roman fleuve ou
roman océan, il me faut chaque jour faire confiance au bateau ivre (" les fleuves
m'ont laissé descendre où je voulais ") ou rejoindre les pensées de Bernard
Moitessier dans La Longue route (" Vent, Mer, Bateau et Voiles, un tout
compact et diffus, sans commencement ni fin, partie et tout de l'Univers, mon univers à
moi, bien à moi "). Bien à moi donc, ces pensées, l'idée d'être nulle part
lorsqu'on écrit, juste se situer entre deux mots, avec en sillage la page passée, à
peine écrite et les remous qu'elle provoque en nous, avec, comme horizon, à peine la
prochaine phrase à venir. Moitessier, paraît-il, avait l'habitude de ramasser sur les
quais de Papeete ou d'ailleurs le moindre bout de cordage pouvant se révéler utile à
bord de son voilier le Joshua. Mes brins de laine sont de vagues agencements de lettres
glanés ça et là ; ça compose une sorte de ressac, ça forme des courants qui me
tiennent éveillés, jamais vraiment en sommeil, comme une dans sorte de rêve, et cela,
c'est vraiment le bonheur d'écrire.
Le 23/09/2019, fin du cinquième livre de Y
Fin du cinquième livre de Y, qui comptera au total six parties. Je parle de
" livre ", car c'est ainsi que je les nomme. Et d'ailleurs, c'est la distance en
pages que propose chacun d'eux. Celui que je viens d'achever, le cinquième donc,
représente à peu près un bouquin de 350 pages. J'ai mis trois mois à l'écrire et
cette rapidité (pour moi) était importante à suivre car j'espère vivement une
publication pour septembre 2020. Il me reste donc un dernier livre à rédiger, donc à
peu près encore trois mois d'intenses rédactions. Le machin final devrait être achevé
vers le début 2020, ce qui me laissera du temps pour la relecture de ce monstre qui
devrait représenter pas loin de la moitié des Misérables de Hugo ou de La
Guerre et la Paix de Tolstoï. Je suis dans les clous et dans les objectifs que je
m'étais fixés, tant mieux.
Le 02/12/2019, fin de Y !
Fin de Y ! Après seize mois d'écriture, commencé le 2 août 2018 en
Sicile, le lendemain de mon soixantième anniversaire, et terminé ce vendredi 29 novembre
à mon bureau, le gros machin est terminé. Pour l'instant, il demeure dans les limbes
numériques d'ordinateurs, de clé USB, de fichiers envoyés par mail, on ne se rend pas
compte de son étendue dans cette immatérialité. Sur mon ordinateur portable, il pèse
530 feuillets en version doc, 521 en format pdf. Les statistiques indiquent un peu plus de
204 000 mots et 1 250 000 caractères. C'est le plus gros texte que j'ai jamais écrit. Il
est quatre fois plus long que le précédent (Sans trace), il est aussi 60% plus
prolixe que l'avant dernier, Vie prolongée d'Arthur Rimbaud, qui était jusqu'à
présent le plus long. Dans une édition classique de mon éditeur, celle de Sans
trace qui compte 285 pages, il atteindrait donc plus de mille pages. Dans l'édition
en plus grand format qui sera la sienne (celle de Vie prolongée d'Arthur Rimbaud
qui compte 415 pages), il devrait atteindre, approcher ou dépasser 700 pages, suivant les
corrections qui lui seront dévolues.
Car le travail ne fait que commencer, en fait. Il va falloir dès à présent reprendre Y,
accepter (ce que je fais volontiers) le regard d'autrui (l'éditeur et sa cohorte de
lecteurs attentifs et de correcteurs indulgents), sortir enfin de ce travail solitaire. En
réalité, sur une durée d'écriture aussi longue, cette solitude a déjà été
partagée régulièrement avec mon éditrice, c'est pour moi indispensable, j'ai besoin de
cet acquiescement régulier, on peut se permettre de faire fausse route sur l'écriture
d'un roman qui prend six mois, mais pas sur un travail de presque deux ans.
Au départ, l'idée d'un gros livre m'a paru évidente : d'abord parce que le sujet
(familial) était important pour moi, mais plus peut-être parce que j'ai toujours pensé
que parler de "vies minuscules", comme dirait Pierre Michon, de gens de peu,
méritait d'en dire beaucoup, de rendre hommage par les mots à ceux que les mots
justement ont ignoré. Rendre la langue à qui elle appartient en quelque sorte, et
combien dans Y, justement, les langues ont été différentes, multiples,
diffuses et au cur de tout.
L'idée aussi m'est venue rapidement d'un livre dont la ressemblance avec Les
Misérables de Hugo ou La Guerre et la Paix de Tolstoï m'apparaissait
évidente. En copier la structure, l'agencement en différents livres, vouloir approcher
son romanesque, désirer ce souffle et cette longueur. Il serait présomptueux de dire que
j'y suis arrivé : Y, avec ses 204 mille mots, représente quarante pour cent des
Misérables (510 mille mots) et un peu plus d'un tiers de Guerre et paix
(560 mille mots), qui comptent respectivement mille quatre cents et mille six cents pages
en édition Pléïade.
En même temps, l'idée de proposer aux lecteurs cet effort de lecture au long cours à
faire m'apparaissait évident : on a perdu l'habitude de parcourir des histoires touffues,
le quotidien, l'évolution des pratiques rendent quasi impossible de lire véritablement
et en entier Hugo ou Tolstoï. Loin de moi l'idée de me comparer à ces écrivains, mais
juste vouloir recréer un geste de lecture longue qui s'est perdu. Une des plus grandes
victoires serait que Y donne au lecteur l'envie de se replonger dans Les
Misérables, La Guerre et la Paix.
Le 13/01/2020, premières corrections...
J'ai terminé Y le jour du 228ème anniversaire de la mort de Mozart,
le 5 décembre dernier et j'ai aussitôt envoyé le manuscrit à mon éditeur. 228 ans
d'histoire familiale, c'est la distance exacte de Y, commencé le jour du décès
du musicien et où entre en scène mon arrière-arrière-arrière grand-père autrichien,
âgé de quatorze ans et qui réside alors au Sud de Vienne. 228 années ne s'écrivent
pas (ne s'inventent pas) en peu de pages et le livre déployé double presque Vie
Prolongée d'Arthur Rimbaud, le plus grand que j'avais écrit jusque là. J'avais
dans l'idée un roman de la teneur de La Guerre et la Paix de Tolstoï. En
réalité, je n'ai atteint qu'un tiers. Pour autant, alors que je m'apprête à
retravailler le premier jet avec les deux éditeurs de confiance qui m'accompagnent depuis
des années, se pose la question de l'opportunité d'une cure d'amaigrissement de ce
premier jet de Y.
En effet, d'un côté, la tendance d'une lecture au long court n'est plus de mise : qui
peut se prévaloir de lire " vraiment " en entier Hugo, Tolstoï ou Balzac ? Le
risque existe ainsi de délaisser des pages forcément éloignées d'une intrigue qui se
déploie sur plus de deux siècles. D'un autre côté, la coquetterie qui me laissait
imaginer un lecteur s'astreindre à être emporté par un souffle ininterrompu genre Guerre
et paix ou Les Misérables tient du leurre et de la prétention la plus
inouïe. Donc relire, traquer les longueurs qui ne doivent pas manquer lorsqu'on s'est
attelé pendant seize mois à un travail régulier et conséquent, resserrer le texte
autour du récit, des personnages principaux, se poser la question des anecdotes
inventées, de leur utilité dans le texte, bref, cure d'amaigrissement du texte.
Plus délicat en revanche reste la méthode à utiliser. Comment en effet détecter dans
deux cents ans d'histoire ce qui est essentiel de ce qui ne l'est pas ? La fiction et
l'invention ne s'oppose pas aux anecdotes historiques que j'ai patiemment retracées (et
avec difficulté tant l'histoire de cette région est complexe, tant je m'aperçois qu'en
France cette Europe est méconnue : il m'aura fallu explorer des documents en allemand, en
anglais, en serbo-croate). Dans cette imbrication, je dois repérer pour chaque
historiette, rebondissement, souvenir raconté, voire vécu, ce qui est important, de ce
qui est délayé dans l'écriture. En gros, c'est un tableau à quatre entrées que je
dois résoudre (à l'exemple du tableau de gestion du temps qui m'a souvent servi dans ma
vie professionnelle sur le partage des priorités entre ce qui est important et ce qui est
urgent). Cela donnerait quelque chose comme cela :
|
Important
++ |
Important
-- |
Délayé
++ |
A
garder (voir pour faire plus court) |
A
retirer (anecdotique) |
Délayé
-- |
A
garder (à compléter si besoin) |
A
retirer (superflu) |
La notion d'important n'est pas facile à identifier. Bien sûr, dans mon
histoire globale, certains évènements ne peuvent être passés sous silence. Ce sont
souvent des faits vécus ou racontés. Ce sont parfois des vérités historiques
dénichées, des dates, des documents importants, irréfutables. Mais ce peut-être aussi
des histoires inventées (comment ne pas imaginer par exemple ce qui s'est déroulé le
jour de la mort de Mozart).
La notion de " délayé " fait beaucoup plus appel au métier de l'écriture, à
la manière de raconter, parfois de s'entourer de précautions inutiles, voire de
certaines allégories pour masquer une pudeur ou une retenue pour éviter de se mettre en
scène. Le moyen que j'ai trouvé à la relecture a été de re-chapitrer le texte par
" historiette ", anecdote, évènement ou période racontée. Cette
multiplication des chapitres présente l'avantage, d'un coté, d'être plus digeste pour
le lecteur, qui " zappe " en quelque sorte d'une histoire à l'autre. Mais en
plus, chaque narration nouvelle est mieux identifiée et, avec, une trop grande dilution :
pour faire simple, chaque fait (chapitre) dépassant trois pages (ou plutôt 8000
caractères, soit 8 pages classiques de roman) doit être probablement remanié.
Le 20/02/2020, Y, cure
d'amaigrissement...
J'ai envoyé le 18 février dernier la seconde version de Y. J'avais
déjà relaté dans cette même rubrique le 13 janvier dernier la nécessaire cure
d'amaigrissement qu'il me semblait devoir entreprendre au sujet de ce texte, remaniement
d'ailleurs acté lors de ma visite chez ma maison d'édition quelques jours après.
Voilà, c'est fait, il m'a fallu moins d'un mois pour reprendre les mille pages de la
version initiale, je m'attendais à plus. Au final, le texte s'est réduit de près de
25%. Ça peut paraître beaucoup, mais en réalité, Y demeure le plus long texte
que j'ai jamais produit, malgré ces coupes. Dans une édition grand format (comme celle
de VPAR qui atteignait 415 pages), on devrait être aux alentours de 500 pages.
Gros livre donc, et c'est pourquoi une relecture du premier jet était nécessaire pour
éliminer les scories qu'un texte au long cours laisse apparaître, mais aussi prendre en
compte l'obligatoire lassitude que le lecteur peut ressentir devant un texte long. En
effet, si, au départ je voulais bâtir une uvre comme Les Misérables ou La
Guerre et La Paix, force est de constater que le lectorat d'aujourd'hui n'est plus
adapté à des entreprises de longue haleine. Le zapping permanent que nous impose la vie
moderne nous a déshabitué à ces lectures d'un autre siècle. Pour VPAR, et
pour Faux nègres aussi qui dépassait les 400 pages, j'avais tenté de rendre la
lecture plus attractive en élaborant des chapitres courts, nécessaire à une respiration
plus agréable que de devoir suivre avec inquiétude des blocs de pages ininterrompus qui
nous donnent l'impression de ne pas avancer. J'ai suivi là encore ce précepte. Mais j'ai
surtout tenté de resserrer le texte autour des personnages. Si l'apport historique est
nécessaire pour comprendre ce qui passé dans l'Europe que je décris pendant 230 ans, il
ne faut pas non plus perdre le fil du récit dans un luxe de détails qui, au final,
apportent peu à la compréhension des situations. Exit donc, les références trop
lointaines ; exit aussi pas mal de précisions qui délimitaient le contexte littéraire
de l'époque (il reste tout de même des allusions incontournables comme Hugo et
Tolstoï). Au final, mon orgueil de bâtir une épopée s'est réduit à un tiers
seulement d'une uvre comme Les Misérables ou La Guerre et La Paix et
c'est tant mieux. Reste donc à travailler le texte ligne par ligne, à me poser des
questions et à les résoudre : placer une carte géographique, peut-être un arbre
généalogique, faut-il supprimer l'épilogue qui me paraît superflu.
Mais ce qui me reste de cette seconde version, c'est d'avoir bâti un récit dont
certaines manières d'écrire, de s'impliquer en tant qu'auteur sont différentes : j'en
vois trois principales : premièrement, le début (enfin les quatre premières parties,
soit plus de la moitié du livre) sont tributaires essentiellement de mon imagination ;
deuxièmement, la cinquième partie (la plus grande et probablement la colonne vertébrale
du livre) est tributaire de souvenirs racontés ; troisièmement, ma propre vie fait
irruption dans la dernière partie avec les inconvénients liés à " se raconter
".
Le 21/05/2020, publier après confinement...
A l'autre bout de la chaîne du livre, ma maison d'édition, située à Paris, a
fermé ses portes au premier jour du confinement. Ceci dit, mes relations avec elle sont
essentiellement téléphoniques et numériques et quelques échanges ont donné un
semblant de vie normale. La parution de Y étant prévue pour la rentrée de
septembre, nous en étions à la phase importante de la mise en forme réelle du texte,
l'épreuve des épreuves si l'on peut dire. J'ai ainsi reçu les premières épreuves et
j'ai pu les travailler surtout lorsque mon éditeur, au milieu du confinement, a été
dûment autorisé par son DRH à se rendre dans son bureau pour récupérer la lourde
liasse d'impression corrigée manuellement. Je le remercie de m'avoir scanné tout cela
(560 pages tout de même). J'en profite pour remercier le (la) correcteur(-trice) qui a
fait un travail magnifique, opiniâtre et très pointu sur un roman long et difficile où
plusieurs alphabets et langues s'entremêlent. A partir de là, les secondes épreuves ont
traditionnellement suivi après ma relecture et d'autres ajouts, puis les troisièmes
juste la veille de l'envoi à l'imprimeur, il y a trois jours (retrouvé deux coquilles).
Bref, Y semble bouclé.
En parallèle, il faut préciser que le booklet (c'est l'appellation requise, je
préfère le mot de " brochure promotionnelle "), qui précise la rentrée
littéraire de septembre avait été élaboré, en fait juste avant le confinement, que la
couverture (très sobre et très belle) avait été choisie, ainsi que la photo de votre
serviteur pour le bandeau (l'excellent Richard Dumas m'a donné un visage d'écrivain et
de Rolling-Stone, qu'il en soit vivement remercié). Seule entorse à
cette vie de préparation d'un livre presque normale, la réunion des représentants
Fayard n'a pas pu se tenir et j'ai enregistré une petite vidéo à leur intention. La
présentation aux libraires parisiens prévue début juin ne pourra pas se faire
également.
A ce stade, Y avance (on pourrait dire " avance masqué ", histoire de
rester dans l'actualité et de copier l'expression de Georges Perec) et tout semble
normal, sans retard, pour une parution toujours en septembre.
Bien sûr, il reste des échéances traditionnelles qui demeurent en suspens, quid du
service de presse, quid également de la manière dont cette rentrée littéraire pourra
s'effectuer, mais que Y avance est déjà une immense satisfaction.
Le 30/06/2020, pour mon père...
" Pour mon père " : je tenais à cette mention imprimée dans mon
nouveau roman, que Gérard Genette qualifie de " dédicace d'uvre " dans
son essai Seuils sur les à-côtés d'un livre. " Pour mon père "
donc, et combien il m'a paru essentiel et naturel que cela soit ainsi gravé dans Yougoslave.
L'adjectif géographique qui compose le titre est déjà un écho à ce qu'il fût.
J'ai longtemps hésité à entreprendre l'écriture de la saga paternelle. Jusqu'au milieu
des années 2010, j'avais l'impression que commencer ce récit risquait de hâter la
disparition de mon père. Peur irraisonnée, bien sûr, et je m'en étais ouvert à
l'époque à mon éditrice qui comprenait cette angoisse et affirmait que je n'étais pas
le seul écrivain à l'éprouver.
Il y a deux ans, alors que mon père abordait ses dernières années d'octogénaire, j'ai
changé d'avis radicalement. J'ai réalisé que le pouvoir de vie ou de mort que
j'octroyais à la littérature était disproportionné par rapport aux vicissitudes de
l'âge qui nous entraînent plus sûrement du côté de la terre. Et surtout, j'ai
réalisé que je n'avais finalement que très peu parlé à mon père.
J'ai donc entrepris ce roman qui retrace plus de deux siècles d'histoire familiale. Les
échanges réguliers que j'ai eus avec lui ont été fructueux. En parallèle de ce qu'il
m'indiquait, je cherchais les recoupements historiques, je tentais de me repérer dans
l'inextricable passé des Balkans. C'était des moments très forts que je consignais dans
un carnet. Lorsque je le relis aujourd'hui, je vois des indications comme "
conversation le 21/02/2019 " suivi de trois pages de notes, ou encore " visite
à mon père " (date non indiquée, mais c'était en mars de l'année passée) avec
cette fois-ci onze pages de notes : je le revois encore à la fin de cette journée,
disant à ma mère qui revenait de commissions : nous avons bien travaillé ! Il y a eu
d'autres rendez-vous en avril, mai, juin, juillet, septembre.
J'ai terminé le premier jet fin novembre et j'ai finalisé le manuscrit en janvier et
février de cette année. Pendant tous ces mois, y compris les derniers qui prennent en
compte la fabrication physique du livre, le choix de la couverture, l'insertion d'une
carte, nous n'avons cessé d'en discuter. J'avais peur que la crise du coronavirus ne
remette aux calendes grecques la parution du roman, mais, à ma grande joie, le travail de
correction, les premières, deuxièmes et troisièmes épreuves ont continué à un rythme
normal et j'ai pu lui annoncer, quelques jours après la fin du confinement (presque trois
mois sans le voir) que j'allais pouvoir aller le chercher, tout frais émoulu de chez
l'imprimeur.
J'y suis allé le mercredi 10 juin et j'ai pu accomplir les formalités du service de
presse. Le vendredi 12 juin, muni d'un exemplaire dédié à mon père et dédicacé à
mes parents, je suis allé leur rendre visite. Malheureusement, mon père avait fait une
chute la veille et restait alité. Il a pu cependant découvrir son livre sans toutefois
arriver à le lire. En revanche, avec ma mère et ma sur à son chevet, je lui ai lu
de larges extraits qui concernaient sa vie, par exemple, le moment où il a rencontré ma
mère. Ça a été des instants très doux, hélas, les derniers : mon père est entré à
l'hôpital une heure plus tard et il est mort dans la nuit du samedi au dimanche.
Il a ainsi quitté la vie comme le héros de roman qu'il était devenu ; il a accompli les
même gestes qu'Ivan Oroc dans le dernier
chapitre rédigé un mois auparavant : Léo " ouvre une page au hasard et se glisse
dedans : il est temps qu'il rejoigne enfin son statut de personnage ".
Bien sûr, comment ne pas ressentir avec violence et au-delà du chagrin le pressentiment
qui m'a accompagné pendant de nombreuses années et qui me faisait refuser d'entreprendre
ce livre. Mais, à la réflexion, je préfère donner comme pouvoir à la littérature,
celui d'avoir prolongé un peu sa vie dans l'attente du livre promis.
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