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21 et 22 août 2018 : de Saint-Dizier à
Saint-Maurice aller et retour par le canal de la Marne à la Saône "Langres,
ses quatre lacs, ses remparts, sa jeunesse... Il n'a jamais quitté la Haute-Marne ou si
peu... Combien de fois a-t-il parcouru les routes nationales 67, 19 et 74 qui longent la
Marne ? Deux cents fois ? Mille fois ? Partir du Nord, de la tête, caresser cette colonne
vertébrale d'asphalte et s'arrêter au fond du grand fessier de ce département. "
C'était un vieille lubie, du moins une idée qui date d'un an et demi, depuis que je possède un vélo suffisamment rapide : je voulais rendre visite à bicyclette à mes parents qui habitent à 8 km de Langres. Né dans la ville de Diderot, à part quelques pérégrinations professionnelles, j'ai toujours résidé dans le département. De l'extrème Nord qui m'accueille depuis 37 ans (ah ? quand même ?) au petit village du Sud où résident mes parents depuis d'ailleurs la même époque, il faut compter 1h40 de voiture et à peu près 120 km. On suit la Marne (Jean-Paul Kauffmann parle de Remonter la Marne dans son merveilleux livre), la rivière sépare le département en deux dans le sens de la longueur. Un canal, mis en service en 1907, double le cours d'eau et relie la mer du Nord avec la Méditerranée en s'appuyant sur la Marne et en récupérant la Saône un peu plus bas. Rebaptisé récemment Canal Champagne-Bourgogne, il n'attire plus que le tourisme fluvial. Et encore : le passage des nombreuses écluses n'attirent que les adeptes de l'éloge de la lenteur. J'ai ainsi retrouvé mercredi deux bateaux déjà aperçus samedi : ils avaient accompli 60 km en quatre jours... Mais il suffit de lancer un bonjour aux occupants, de croiser la mine réjouie des promeneurs ou des cyclistes pour deviner que le bonheur circule dans cette eau calme. Mardi 21, le beau temps qui persiste depuis trois mois m'incite à mettre mon projet à exécution. On annonce 30° pour les deux jours qui viennent, pas besoin de se surcharger en habits de pluie, juste prévoir suffisamment d'eau. J'ai rajouté une gourde supplémentaire à mon vélo de course, tout le nécessaire pour réparer une crevaison, un petit sac à dos contenant un maigre rechange, de quoi me nourrir et c'est parti pour deux jours, un jour pour l'aller et le lendemain pour le retour. Je table sur 120 km et 6h de route. Départ à 9h.
Je retrouve avec joie les parcours que je connais déjà, souvent accomplis en courant, parfois allongeant le plaisir jusqu'à la distance d'un semi-marathon. Le canal et son eau verte sous la voûte des feuillages me procure une paix indicible, juste allonger la foulée ou pédaler, laisser le souffle s'accorder au ciel, aux arbres, à l'eau. Mais là, élément nouveau : j'entre en terra incognita : première halte au trentième kilomètre. On approche de Joinville, un superbe pont enjambe marne, canal et voie ferrée.
Le charme, bien sûr s'est installé dés les premiers kilomètres : allées ombragées, traversées de villages dignes de cartes postales, , haltes fluviales, lavoirs rafraîchissants (doublement : je suis bêtement tombé à l'arrêt au 40ème km et je me suis ouvert la main). Je retrouve spontanément et avec délice l'accent de ma région, comme ce fameux Roôcourt-la-Côte : prononcé à haute voix, c'est un excellent exercice pour voir à quoi il ressemble (ouar à koi y r'semble...). La Marne joue déjà à cache-cache avec le canal, un coup à droite, un coup à gauche comme ici, à Brethenay au 77éme km. Il est déjà plus de 13h et j'ai juste mangé un sandwich à midi à Vouécourt, au 60ème km. Le canal est émaillé d'ouvrages d'art : passerelles, ponts, écluses... En haut, le tunnel de Condes a été édifié en 1884, il est long de 308 m ; il est parfaitement aménagé : la lumière s'allume automatiquement dés qu'on l'utilise (en Haute-Marne, on dit que la lumière "claire", du verbe "clairer"...). Tout neuf en revanche, le pont de Luzy-sur-Marne, bloqué en position haute pour que les bateaux puissent passer défraie l'actualité en ce moment : le sous-dimensionnement de l'ouvrage supervisé par le conseil département empêche le trafic routier et oblige les riverains à de grands détours : plusieurs manifestations ont déjà eu lieu, pique-nique revendicatifs devant l'édifice...etc. !
Si Luzy, au kilomètre 93, a apporté une distraction bienvenue, l'après-midi est bien installée et les haltes précédentes sont déjà lointaines. Cette partie plus désertique est en plein cagnard (ou "en pleine cagna" en haut-marnais) et mes réserves d'eau sont déjà à sec. Je guette les maison d'éclusiers, certaines sont habitées et pourront me dépanner, comme celle de Villiers-sur-Marne lors du trajet du retour le lendemain. Elle est impeccablement tenue par Mauricette, une bavarde de 76 ans, comme elle se définit elle même, personnage haut en couleur qui remplira d'eau fraîche mes gourdes... et mes esgourdes en me gratifiant des pires histoires cochonnes entendues depuis longtemps !
La Marne, à l'approche de sa source (à 5km à vol d'oiseau de l'endroit où je quitte le canal) n'est maintenant plus qu'un maigre ruisseau dont le débit est encore réduit par la sécheresse. Seul, le canal continue à voisiner, constant, imperturbable, parfois bordé d'une végétation luxuriante. En parlant de sécheresse, je trouve à point nommé un bistrot ouvert en plein après-midi sur la place du village de Rolampont. Je connais bien ce village pour y avoir quelquefois séjourné avec mes cousins, Hervé et Philippe, au début des années 1970 : leur grand-mère Elvira, véritable mama italienne, nous y accueillait avec générosité. Je me souviens encore des petits déjeuners pantagruéliques et des bols de lait grands comme des saladiers.
Mais on approche de Langres. Il faut se hisser en haut du pont qui marque la limite de Champigny-les-Langres pour apercevoir la ville perchée et ceinte de remparts. Grande satisfaction aussi à avoir bouclé ce périple sans encombre (malgré la chute). Le vélo roule parfaitement même si le revêtement goudronné jusqu'à présent, adapté à un vélo de route, se dégrade depuis quelques kilomètres. Mon VTT muni de suspensions aurait été idéal pour cette partie. En revanche, je n'aurais certainement pas pu accomplir une moyenne de 21 km/h avec ce vélo presque deux fois plus lourd.
Je passe maintenant devant les caves d'affinage (de
gruyère), entreprise langroise dans laquelle mon père travailla en tant que chauffeur
routier pendant la majorité de sa vie professionnelle. Avec ma mère, nous descendions
l'accueillir à son retour en fin de semaine en utilisant la crémaillère (appelée
"crem'zouille") qui mène à ce faubourg. Premier chemin de fer à crémaillère
de France, cette voie fut mise en service à la fin du XIXème siècle et utilisée
jusqu'en 1971 pour rattraper le dénivelé de cent trente mètres qui mène à la ville
haute. Chaque année, mon père m'emmenait avec lui dans son camion pour une tournée en
Normandie ou en Bretagne : voyages inoubliables quand on a dix ans ou moins. (24/08/2018)
En complément, ma note d'Etonnement :
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