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 Manifestation
Lire en fête, c'est là 
   
  
    
      Latelier décriture du CHS du Jura nest pas encore commencé mais
      les deux visites préalables mont déjà donné loccasion dune
      réflexion abondante et ce titre mest venu spontanément. Oui, cest bien un
      journal de bord. Jai envie de garder trace de ce qui va me tenir (me tient déjà)
      jusquen octobre sur un drôle de navire. Ces notes prises, au jour le jour, au fur
      et à mesure, sans concertation ni vision densemble, se voudront (se veulent déjà)
      un reflet de linstant, un billet dhumeur, un étonnement pour qui ne connaît
      pas la structure dun hôpital psychiatrique, pour qui veut se perdre avec moi dans
      les coursives de ce navire de pierre centenaire et gigantesque. Cest cette position
      marine de passager particulier que je veux retracer au fil de leau. Cest
      léloignement du téléspectateur que je recherche, aux visions et idées toutes
      faites, puisquon ne connaît de ces établissements que quelques images
      télévisuelles, reportages qui insistent toujours sur les mêmes réflexes sociaux qui
      nous animent, lexclusion, la différence, la nécessaire solidarité en vertu de la
      déformation démocratique à travers le prisme des médias. Drôle de navire de pierre
      que ces hôpitaux là, étonnants matelots et passagers particuliers
 Témoignage ?
      Oui, pas seulement : cest décriture quil sagit puisque je sais,
      je devine quà lissue des dix mois que je vais passer ici, que mon langage
      nen sortira pas indemne mais, comment dire, griffé par cette expérience. Il ne
      peut en être autrement. Dans les faits, cest un atelier décriture que je
      vais animer, à raison de 2h, 2 fois par mois jusquà préparer la manifestation de
      Lire en fête 2006. On imagine aisément que les séances proposées, vécues, auront une
      autre répercussion que les expériences déjà pratiquées dans le milieu lycéen : la
      logique de lenseignement, la nécessaire formation, laccumulation de
      connaissances nont pas cours ici. Le langage, dans cette distance éducative, dans
      cet apprentissage individuel et social, sera ramené, on peut le supposer, à son point de
      départ, à la simple communication entre une personne et une autre, ou un groupe. Et
      cest justement parce que la simple communication est complexe, quelle peut
      aboutir à lincompréhension, à linadaptation sociale, au nécessaire
      embarquement à bord dun navire psychiatrique. Voici létat desprit, les
      interrogations qui me semblent préexister avant même davoir commencé. Voici le
      semblant de certitude, la richesse de ce que je pressens découvrir, qui me motive et me
      fera accomplir tous les quinze jours 440 km aller et retour. Ces notes donc, au fur et à
      mesure, à laisser, comment dire dans leur authenticité, sans aucun maquillage, dans
      "létat de lapparition", comme disait Marguerite Duras.
 (Note décriture du 25/01/2006)
 
 Mercredi 24 août 2005 : Tout dabord, retracer lhistoire de cette
      intervention nest pas inutile. Avant lété, dans lexaltation des
      premiers ateliers décriture qui se terminaient, je me sentais ouvert à toute autre
      expérience similaire et, sans doute aussi car jai toujours conçu dans ma nature le
      rôle de lécrivain comme engagé au sens de Sartre, cest à dire faisant
      uvre utile auprès des autres. Non pas quil faille faire bénéficier autrui
      de règles intangibles sur écrire (cest comme cela quil faut faire et pas
      autrement
) mais plutôt faire partager un certain nombre de questions,
      détonnements qui sont le lot quotidien de qui écrit. Le pas nest pas si
      facile à franchir : il faut "sautoriser", cest à dire se persuader
      soi-même que ce à quoi on réfléchit constamment, nuit et jour depuis notre adolescence
      (et que lon traduit parfois par écrire est une question vitale tant chaque instant
      en est imprégné) représente une valeur en terme daccumulation et
      dexpérience et, osons le dire, une reconnaissance pécuniaire puisque cest un
      des rares moyens de "mesurer" lapport social que lon peut proposer.
      A cette époque, les excellentes relations nouées suite à la participation du festival
      des Petites Fugues de Besançon en novembre 2004 continuaient sur leurs lancées, la
      dynamique région Franche Comté ouvrait des perspectives de réflexions profondes quant
      à lévolution de ma propre écriture. Cest ainsi que ce projet ma été
      proposé par Marie, farouchement décidée à emmener la culture et tout ce qui contribue
      à son épanouissement dans les endroits les plus reculés, pour les publics les plus
      empêchés et jy ai répondu avec enthousiasme. Cest encore ce mot qui
      prévaut aujourdhui : dés que je parle de Dole, je suis enthousiaste !Bien-sûr, de nombreux contacts téléphoniques, rencontres ou messages électroniques ont
      permis dappréhender les attentes de chacun. Mais il restait à concrétiser une
      première visite dans le lieu dévolu à latelier, CHS de Dole donc, route de Saint
      Ylie. La première vision de ce monde étrange en ce jour de fin dété (je crois me
      souvenir que le temps était frais, dix jours auparavant la chaleur était sicilienne..),
      la première personne que je rencontre, donc, tandis que lon va prévenir mon
      interlocutrice, Pascale, qui me reçoit, est une patiente occupée à réaliser un dessin
      et qui me demandera plusieurs fois "Mais, vous ? Qui êtes-vous ?" sans écouter
      ma réponse embarrassée.
 Pascale, passionnée autant que Marie, parle avec ferveur de son travail. Ce premier
      contact est très important, je suis persuadé quil conditionne toute la suite.
      Jexclus bien entendu tout projet qui naurait pour but que de valoriser le
      porteur de celui-ci (ou son directeur, cela arrive parfois dune façon plus
      pernicieuse
), même sil est normal, voire indispensable que toute initiative
      audacieuse et réussie puisse être portée au crédit de celui qui la initiée.
      Mais comment faire pour appréhender si rapidement un bon état desprit? Cest
      sans doute un ensemble de sensation. Au cours de cette première rencontre, pas une fois
      il na été fait allusion à autre chose quaux buts recherchés et qui sont
      lanimation, lapport culturel pour les patients et avec une grande conviction,
      et avec le sourire de qui y croît, qui sy consacre entièrement. Pas de dialogue
      négatif, dépanchements sur les difficultés quune structure complexe comme
      un hôpital psychiatrique rencontre obligatoirement. Sans faire du positivisme à tout va,
      cher à Auguste Comte, Pascale ne perd jamais de vue ce que lon peut faire pour
      améliorer la vie des patients qui y vivent, certains depuis la dernière guerre ! (on
      nen reparlera, tant cela fait jouer mon imagination
) Par rebond, bien entendu,
      cest bien un " mieux être thérapeutique ", pourrait-on dire,
      que lon espère pour ceux qui y participeront, mais ce nest pas le but
      recherché, plutôt une conséquence. Ce qui me rassure aussi, cest la façon dont
      Pascale me reçoit, dans son univers. Elle possède un bureau minuscule, encombré de tout
      ce qui peut saccumuler dans une vie professionnelle en permanence sollicitée, avec,
      sur une étagère en hauteur, des toiles entreposées, peintes sans doute par les
      résidents. Son bureau est à la fois lieu disolement, et on conçoit combien il est
      important de pouvoir sisoler de temps en temps dans cette activité qui vous
      sollicite à chaque seconde, mais est paradoxalement situé au milieu dun bâtiment
      réservé à lanimation des patients, atelier cuisine, travaux manuels. Cette
      proximité de la vie quotidienne des patients est dune grande valeur, preuve
      dune volonté dêtre au milieu, en prise avec le réel. Je repars donc de
      Dole, plus convaincu que jamais. Monde étrange car étranger à nous. Mais, vous ? Qui
      êtes-vous ? Jespère juste apporter comme réponse la porosité du vaste monde
      dà-côté, celui que lon nomme normal. Mais, vous ? Qui êtes-vous ? Je
      voudrais retourner cette question à vous tous, à nous tous et peut-être que ce serait
      cela, réussir cet atelier.
 Mardi 24 janvier 2006 :
 Nous avions prévu de commencer en janvier. Mais je
      découvre que cet atelier qui traverse lensemble de la vie de létablissement,
      ne peut se mettre en place sans une communication adéquate (institutionnelle, comme le
      dira le Directeur concerné). En effet, entre le moment de ma première visite et cette
      journée, je me suis aperçu que finalement bien des interventions similaires avaient
      déjà eu lieu les années précédentes :
      ateliers théâtre, musique, ferronnerie. Non que je mimaginais être le premier à
      pénétrer dans le monde sauvage, (illusion et espoir de lexplorateur ou sans doute
      influence de Rimbaud au Harar, Cendrars au Brésil, lecture denfance de lIle
      au Trésor
) mais il mavait semblé sentir une attente vraiment perceptible,
      comme quelque chose qui se réalisait enfin ici. Lannée précédente, il est vrai
      que le projet, monté tardivement, navait pas obtenu les financements adéquats.
      Lattente cependant est réelle, et la nouveauté aussi : latelier
      décriture sinscrit non pas dans le fonctionnement interne dune seule
      Unité de soin mais dans la vie globale de létablissement. Ces dernières années,
      lirruption de la culture dans les établissements de soins sest toujours faite
      en rapport avec un projet particulier, dédié à un seul service, pour un bénéfice
      attendu, rarement formulé et toujours espéré, dun mieux être thérapeutique. Les
      circuits de décision sont brefs, les patients intéressés sont vite cernés,
      appréhendés (je ne trouve pas de synonymes autre que cette captation à linsu
      deux même, un maternement peut-être, le monde protégé des malades) et le
      personnel rapidement mis au courant. Je découvre ainsi ce cloisonnement entre service,
      ceci dit tout relatif, puisque Pascale a maintenant en charge une autre unité de soin en
      plus de son service habituel.Rendez-vous fut donc pris pour mettre au point les arrangements administratifs et
      budgétaires récemment accordés. Jai donc passé à nouveau le porche avec
      plaisir. La pluie incessante ma fait me réfugier dans le hall du bâtiment de
      Direction. Juste en face, une fontaine laissait répandre un jet deau sur une
      cascade de glace issue des températures sibériennes que nous avions connus quelques
      jours auparavant. Lensemble de la cour était un champ de boue et les engins de
      terrassement, imperturbables sous la météo maussade, continuaient les travaux
      titanesques que javais déjà remarqués en août. Réfection des canalisations,
      modernisation des bâtiments anciens, lhôpital est un monde qui se renouvelle en
      permanence. Jai retrouvé Marie, venue avec Frank, un autre intervenant pour un
      projet de plusieurs stages de danse en unité de psychiatrie pour enfant et adolescents.
      Les questions budgétaires, le nerf de la guerre comme on dit, constituent un élément
      important : les subventions accordées par la Direction des Affaires Culturelles ou
      lAgence Régionale dHospitalisation couvrent de 60 à 80 % le budget de ces
      opérations et même si linvestissement que cela nécessite est modeste,
      véritablement une goutte deau dans le budget initial dun hôpital, il est
      certain que sans ces apports, ces rencontres ne pourraient avoir lieu, la marge de
      manuvre financière étant extrêmement réduite, en tout cas dévolue aux soins
      exclusivement, très peu aux à-côtés et à la vie quotidienne de létablissement.
      Ce nétait pas une découverte pour moi : dans une vie professionnelle autre,
      il y a quelques années, je métais intéressé aux processus budgétaires du monde
      de la santé et autres Schémas Directeurs dOrganisations des Soins : jamais il
      nest fait référence à un " autre monde ", dailleurs est
      inconcevable un tel univers qui échapperait à la recherche permanente de la meilleure
      santé possible, quelle soit physique ou mentale... Cest sans doute un des points
      importants que je retiendrai de cette deuxième visite, ce monde unipolaire, axé sur la
      thérapeutique, et qui provoque des demandes, des frustrations parmi le personnel
      soignant, le plus exposé. Ici, on évoquera latelier ferronnerie fermé faute de
      quelquun capable de sen occuper. Là, latelier de musique qui aura le
      grand tort davoir été créé avec ce rapport direct aux soins (sans doute encore
      pour des raisons dacceptation budgétaire) et ainsi confié à un musicothérapeute,
      très vite débauché de ses fonctions pour rejoindre ses compétences initiales et
      pouvoir revenir palier au manque de personnel soignant
 Autre étonnement de cette
      journée, la visite dune salle "possible" (celle justement où se trouvait
      latelier musique, ce dernier mot recouvert dun papier collant mais se devinant
      encore par transparence
), pièce assez vaste donc, pouvant recevoir le groupe que je
      mapprête à faire vivre autour de lécriture, cest à dire une dizaine
      de personnes. Etonnement donc dimaginer à priori si peu de possibilités dans ce
      monde immense de lhôpital et de ces bâtiments.
 Pourtant, la plus grande surprise de cette journée fut la visite à la bibliothèque.
      Tandis que se déroulait la réunion et que nous évoquions les conditions de réussite de
      nos interventions, je pensais que, sans doute, un intervenant, quel quil soit, porte
      en lui la plus grande des responsabilités quant à la réussite dun tel projet
      sil ne va pas de lui-même forcer les portes de linstitution qui le reçoit.
      Non pas quon veuille les lui refuser (ce pourrait arriver) mais que
      linstitution, dans son mode de vie pérennisé, ne voit parfois pas lutilité
      de montrer lévidence. Je suis persuadé que cest à ces frontières, aux
      portes des cloisons, aux limites de ces fonctionnements, que se trouvent lutilité
      même de lintervenant, non quil faille remettre en cause tout un système,
      mais quil puisse montrer simplement ce que tout le monde a pris lhabitude de
      voir. Ainsi la bibliothèque. Je nimaginais pas pouvoir organiser Lire en Fête en
      octobre prochain sans y associer le lieu qui regroupe les livres ainsi que la personne qui
      en a la responsabilité. Il était déjà tard, des rafales de vent et deau
      zébraient la cour, mais jai demandé à voir si possible ce lieu avant de men
      retourner pour 220 km à nouveau sous la pluie. La bibliothécaire était encore fidèle
      à son poste malgré lheure déjà avancée du soir. Là, à ma grande surprise,
      jai découvert que ce lieu était ainsi que je limaginais, avec rayonnages,
      livres et cartes de prêt, sauf quil nétait pas dévolu aux patients mais
      réservé au personnel de lhôpital. Ainsi, les patients, ceux avec qui
      jallais mappuyer pour cet atelier décriture ne disposaient non pas
      dune bibliothèque organisée mais plutôt dun coin qui leur était réservé
      avec romans, BD, revues et autres dans une petite salle du service dErgothérapie,
      sans personnel dévolu à cette tâche. Mais jai aussi pu mesurer combien
      laccès au livre est à la fois important pour le personnel et combien lobjet
      même de livre peut se séparer aussi, comment dire, évoluer chacun dans les "deux
      mondes", celui des bien portants et des autres. Il est interessant de remarquer que
      la bibliothèque est ainsi conçue : plus on séloigne vers le fond de la
      salle, plus on se spécialise dans lapport médical précis, études de cas,
      archives aussi, vastes volumes austères et reliés, ce qui est un des rôles que je
      nimaginais pas aussi développé, aussi important pour le personnel. Devant, des
      livres pratiques peuvent servir aux animations des diverses activités proposées aux
      patients. Certains viennent ici. La bibliothécaire ne leur refuse pas laccès sauf
      quand ils commencent à être un peu trop interessés sur lorigine de leur maladie.
      Quelles interpretations peut-on faire de son propre état de santé raconté à travers
      dautres cas ? Lectures censurées dans lintérêt du patient ou pour
      garder cohérence à linstitution ? La bibliothèque est très bien tenue.
      Leffort pour rendre vivant ce qui tourne autour du livre est manifeste. Au mur, il y
      a une très grande affiche du (premier ?) Lire en fête de 1993 qui sappelait la
      Fureur de lire. Je demanderai à lutiliser de même quil serait bon de
      retracer toutes les manifestations qui ont eu lieu ici à cette occasion : il reste par
      exemple, de lan passé, une exposition des principales publications du personnel,
      livres médicaux, plaquettes de poèmes. Je suis étonné par cette créativité, sa
      grande qualité et par la volonté des soignants de " laisser
      traces ". Ce qui me paraît aussi étonnant, cest davoir permis de
      faire parvenir en ce lieu et de façon annuelle cette traditionnelle fête du livre mais,
      en quelque sorte, davoir laissé à la porte, ceux qui en demeurent éternellement
      le public écarté, les patients
 La volonté de Pascale et celle de la
      bibliothécaire sont pourtant communes : ouvrir largement un espace dédié au livre et y
      associer les réalisations à la fois du personnel mais aussi des patients (quune
      association, Croix Marine, se charge de valoriser). On sent cependant que ce projet aura
      du mal à aboutir. Bien sûr, il y a les fameuses réductions budgétaires permanentes
      mais aussi peut-être une volonté de ne pas revenir trop en arrière
 Ce qui me fait
      penser cela, cest lexposition photographique consultable à la bibliothèque
      et qui retrace dans deux très imposants albums, la vie de cet établissement des années
      cinquante à soixante-dix. En feuilletant cette véritable mémoire, dabord je suis
      impressionné de mapercevoir à quel point elle semble importante pour le personnel
      soignant comme si il fallait "conserver le lien. Dailleurs cette expression
      "on a perdu du lien" transparaîtra dans la conversation en évoquant les
      différences entre ce temps passé et lactuel. Non quil faille revenir en
      arrière. Bien des erreurs ont été commises : linstitution apparaissait parfois
      comme une vaste colonie de vacances, les patients comme des colons quil fallait
      occuper à tout prix, le souci de la thérapie et la prise en compte de lindividu
      apparaissant secondaire. Dautres erreurs plus manifestes ont sans doute été prises
      en compte : les ateliers manuels des patients quil fallait occuper représentaient
      parfois une véritable petite entreprise avec ses dérives, commandes passées, coût du
      travail nul, dérisoire concurrence artisanale mais à une époque où les marchés
      restaient locaux. La contrainte actuelle a renversé la tendance : tout est dévolu aux
      soins (surtout le budget
). Dautres impératifs ont aussi vu le jour,
      laspect sécurité est devenu primordial : pas question de laisser déambuler
      les patients, la hantise de laccident est devenu (comme partout dans la vie) notre
      principale occupation frileuse. Donc, entre les soins, on comprend que les occupations
      faciles, quelques goûters, les pauses cigarettes, les séances de télévision
      constituent un rythme appauvri : on a perdu du lien. Jai ainsi
      limpression de mieux comprendre ce que je pourrais apporter comme évasion, moins
      prémachée que celles que la restriction uniforme nous impose, moins pesante que ce que
      le tout économique nous assène en permanence.
 De cette deuxième visite, les images se font déjà plus précises : le porche, le
      classicisme de tels établissements conçus au XIX° siècle (dans ma ville, lasile
      départemental (encore marqué au fronton il me semble) de lhôpital André Breton
       qui y travailla  est semblable dans son inconfort dépassé),
      lincongruité des travaux (limage dun bulldozer passant à un mètre de
      moi, juste de lautre côté du mur, faisant trembler les vitres de la salle de
      réunion), le dédale des sens uniques et des voies de cette véritable petite ville (le
      salon de coiffure possède une vraie devanture avec photos des coupes à la mode) et bien
      entendu, tous les éléments disjoints, petites pièces dun puzzle avec lequel je
      vais me familiariser.
 Avant de remonter dans ma voiture, jai demandé à Pascale quels étaient les
      résidents les plus anciens. Certains sont là depuis la guerre
 Je me suis revu,
      regardant les collections de photographies de la bibliothèque, robes à motifs
      géométriques des années soixante, grosses lunettes décailles, mobilier des
      résidents, en ferronnerie ou en rotin, dans ce style inimitable de lère du formica
      et des premières tables de télévision. On voit les pots de départ du personnel, les
      inévitables séjours à la campagne, les fêtes costumées et les kermesses dété.
      Le petit monde dici transparait dun cliché à lautre, la même grande
      salles pour les fêtes (et sans doute encore pour Lire en Fête à venir, on fera des
      photos
), les mêmes campagnes, le même parc. La plupart des personnels ne sont plus
      là, et ceux qui restent ne doivent pas être loin de leur retraite, Pascale et la
      bibliothécaire sétonnaient de leur jeunesse sur les photos noirs et blancs. Tout
      un monde est rentré ici, est reparti. Ainsi certains résidents auront connus deux
      générations de soignants de leur arrivée à leur retraite. Ils font partie du cadre de
      ces photos depuis la guerre. Ils se confondent avec les murs, le rythme des jours et
      des repas, sortent encore aux premières feuilles et admirent tous les ans le sapin de
      Noël érigé en face du porche. Quest-ce que ça fait au fond deux
      davoir vu la vie glisser dedans sans en avoir eu vraiment prise ?
 
 Jeudi 2 mars 2006 : Préparation : cest demain quaura lieu la première séance de
      latelier. Jai le trac bien sûr, une peur à la fois due à lenjeu qui
      mattend, enjeu que je mesure pleinement dans lécriture : cest le
      langage qui va servir de lien. Cette évidence pour tout écrivain, tous travaux mettant
      "en jeu" lecteurs et auteurs, apparaît simpliste. Sauf que cette fois, le lien
      ne va pas se faire demblée sur le terrain de la logique et de la cohérence, de la
      subtile compréhension des mots partagés, mais sans doute se chercher ailleurs. Ce ne
      sera pas la vision pédagogique bien structurée des ateliers que jai déjà animés
      avec des lycéens rendus (obligatoirement) réceptifs par linstitution. Là,
      cest linstitution qui les a écartés dans leur empêchement de vivre
      normalement, cest-à-dire dans la norme des autres, de ceux qui font les
      institutions, vous et moi. Jentrevois un conglomérat de mots, déphémères
      échos qui feront sens, un travail patient où des lueurs, des pénétrations, des
      ententes mutuelles de mots tarauderont quelques zones de nos cerveaux, à eux et à moi. A eux et à moi et personne dautres en premier lieu.
 En recherchant des éléments pour bâtir cet atelier, expériences similaires passées,
      etc.
 Je suis surpris par le peu de traces laissées. Non pas que ces expériences
      mêlant langage dans un hôpital psychiatrique soient nouvelles, il y en a déjà eu, mais
      que ceux qui les ont animés ont souvent plus rendus compte de leurs propres travaux
      décriture plutôt que des échanges réalisés avec les patients, comme si une
      osmose navait pu avoir lieu ou que le constat soit quil y ait effectivement
      impossible interpénétration des langages, une sorte déchec finalement.
      Larchétype de cette impossibilité est la résidence dauteur en hôpital
      psychiatrique, cest à dire le déplacement dun collectif dartistes
      (rarement seuls) évoluant en milieu fermé (sic !) propice donc à la création.
      Cette façon de voir me paraît égoïste et faussement complaisante : sous prétexte
      de pénétrer les moindres recoins dune vie sociale, donc, en quelque sorte de
      dénoncer lenfermement institutionnel, ces expériences créent dautres
      espaces dans lesquels les patients ne pénètrent pas. Les comptes rendus de ces
      résidences dauteurs/dartistes donnent la parole en premier lieu aux
      auteurs/artistes à travers leur création, en deuxième lieu à ceux qui les accueillent
      et qui représentent linstitution, soignants, personnels
 très rarement en
      dernier lieu donnent-ils la parole aux patients alors quil me semble que ce rapport
      devrait être totalement inversé.
 A eux et à moi et personne dautres en premier lieu : ce que je voudrais
 Loin de moi lidée dêtre puriste, donneur de leçon, simplement donner la
      parole aux patients, tendre les mots devant moi et que les patients qui participeront à
      latelier sen saisissent et me les retournent : simplement cela. Une sorte
      décrire en fête avant le lire en fête qui clôturera ces séances.
 Ces lignes sont écrites le 1° mars, à lheure où jai le trac, à
      lheure où mobsède la préparation de cette première séance. Cela va durer
      deux heures. Cest très long, il faut une préparation à la fois mesurée, comme
      celle que jeffectue habituellement pour les interventions en lycée ou avec des
      étudiants, mais il faut aussi un état desprit, créer un contact particulier. Dès
      laccueil des participants, jai envie des les toucher, leur serrer la main,
      leur dire mon prénom et quils me disent le leur, quils soient inscrits sur
      des petits cartons en face deux, un mot écrit, le premier, en face de chacun
      dentre nous. Jai envie dun minutage, non pas que rien ne soit laissé au
      hasard mais sentir comment je vais pouvoir donner du rythme, distribuer de lallant
      à cette première séance.
 Allez, préparons la séance !
 14h : Présentation Bonjour, serrer les mains, petit carton (à préparer) pour marquer
      les prénoms. Dire : cest le premier mot que nous avons écrit ensemble, chacun son
      prénom, puis enchaîner, me présenter, jécris des livres (les montrer  ne
      pas oublier de les apporter). Parler de lécriture, de la lecture, leur demander ce
      quils aiment lire, sils aiment écrire. Peut-être leur faire écrire
      cela ? Mais avant, parler de latelier, de comment nous allons écrire, écrire
      en fête, pendant une séance toutes les semaines où tous les 15 jours, et comment nous
      préparerons aussi Lire en fête qui sera leur fête à eux, autour de ce quils
      auront écrit, quils liront peut être? Et comment jaimerais que ce soit eux
      aussi qui animent cette fête du livre, quelle soit leur initiative.
 14h15 : Parler de lécriture, de la lecture, leur demander ce quils aiment
      lire, sils aiment écrire, où lisent ils, comment leur parviennent les livres
      (jaimerai un jour quun patient me fasse visiter les lieux où on lit, leur
      coin bibliothèque. Demander à Pascale ?). Leur laisser la parole. Enchaîner peut-être
      sur la séance type dun atelier, on lira, on écrira, ils pourront lire aussi leurs
      textes. Peut-être prévoir deux séries d'exercices par séances, pas trop long ? à
      expérimenter, mais surtout rester souple
 (Aparté : en fait, la progression de latelier se fera de lagencement de
      simples mots, jusquà la phrase complexe, ce qui nempêche nullement certains
      patients dapporter des textes déjà élaborés (certains le font ma t'on
      dit). Pour mémoire, quelques idées, en vrac : haïkus, recettes de cuisine et langage
      cuisinier, cartes postales de Perec, plus exercice sur les verbes de Perec, variation sur
      la chambre (Pérec, deuxième séance ?) poésie de Prévert, cadavres exquis, exercices
      de comparaison, didentité (décrire le visage), idées dans Tous les mots sont
      adultes de François Bon, tout cela pour lancer les lectures et idées
      dexercices
)
 Leur laisser la parole donc sur lécriture et la lecture, ce que ça apporte, soit
      brainstorming sur paperboard (quelles horreurs que ces anglicismes mots-laids !) ou
      travail sur feuille libre, du genre quest-ce quévoque pour vous la lecture /
      Lécriture, citez 2, 3, 5 émotions, sentiments, autres ? Dailleurs à la
      réflexion plutôt structurer comme "écrire (alterner avec lire), cest
      comme
". Et faire un travail qui permet de varier sur la palette des verbes.
 14h30 : enchaîner sur lévasion (dans un hôpital psychiatrique, plutôt chargé de
      sens
), émotion de lire, émotion de ce qui nous entoure et justement la neige (elle
      sera sans doute encore présente demain), quest-ce que cest beau, pourquoi et
      comment écrit-on dessus. Lire des haïkus sur la neige, poèmes Prévert, Coppée,
      Maupassant.
 14h45 : séance décriture sur ce thème. Si difficultés, se rabattre sur la neige
      étend son manteau blanc (Petit papa Noël, tout le monde connaît ) et demander des
      variations sur cette phrase
 Travailler en collectif sur tous les mots issus de la
      neige (construire un poème en collectif).
 15h00 : Une pause ? On bouge un peu ? Quest-ce qui est prévu ?
 15h15 à 16h : Lire ce quils ont écrit, ou quils lisent
 Puis proposer
      un autre travail décriture
 Difficile dapprécier le temps en cette
      première séance
 Soit commencer la description de la chambre
 (dans ce cas,
      lire Perec) Soit variation à partir de la terre est bleue comme une orange, soit un
      exercice dynamique de cadavre exquis
 Peut-être que cet exercice pourrait
      sintercaler entre le travail sur "écrire (lire) cest comme" et
      celui sur la neige, plus complet car il permet dintroduire nom (groupe nominal),
      adjectif (groupe adjectif, complément du nom) qui complète le verbe. Nota pour un
      cadavre exquis il faut deux noms, deux adjectifs et un verbe qui les combine.
 Bref, limpression que tout cela va prendre corps. Jai envie décrire ces
      hésitations de programme, si toutefois on peut considérer cela comme ébauche de
      programme, tant, il me semble quil faille garder le souci dun canevas pas trop
      ficelé pour rester à lécoute des réactions : cest leur atelier, je ne le
      répéterai jamais assez
 A demain !
 
 Ces lignes sont maintenant écrites le vendredi 3 mars : quelle première
      séance ! Et combien les préjugés en prennent un coup ! Mais avant, pour
      situer lambiance de mon arrivée, les aléas dune autoroute encombrée et de
      mauvaises conditions météo (quand même 220 km à faire) mont fait arriver en
      retard, le ventre vide depuis le petit déjeuner à 7 h du matin. Une fois sur place, ne
      me souvenant plus trop dans quel bâtiment je devais me rendre, jai dû arpenter en
      long et large la vaste ville de l'hôpital psychiatrique et je me suis rendu compte
      quautant il est difficile pour les patients de sortir de leurs lieux habituels,
      autant, il nest pas moins simple pour le visiteur dentrer dans un de ces
      endroits. Maintenant, je men souviendrai : cest aux Merisiers que je dois
      me rendre. Je me dépêche donc, je me souviens de la vaste salle tout au bout du dernier
      étage mansardé. Tous sont déjà là, Pascale sétant chargée daccueillir
      les huit participants de cette première séance. Et tout de suite, cest un
      excellent contact, comme celui que je souhaitais dans ma préparation : je serre des
      mains, nous échangeons nos prénoms, incroyable moment où jai eu limpression
      non pas darriver pour la première fois mais de retrouver des amis que javais
      toujours connus. Nous marquons nos prénoms sur des feuilles pliées je tiens beaucoup à
      ce que les premiers mots écrits soient directement un bout de soi-même, on a déjà
      tellement de mal à exister dans la vie, je pense que cest sans doute encore pire
      ici. Mais ce qui me surprend le plus, ce nest pas cette formalisation que
      javais bien imaginée dans ma préparation, cest lenthousiasme dont tous
      font preuve dans nos premiers échanges. Il y a des pensionnaires de tous âges, les plus
      anciens sont souvent malicieux et vifs, les plus jeunes mépatent par la profondeur
      et la qualité de leurs remarques, on me pose beaucoup de questions sur mon écriture,
      certains nhésitent pas à me demander de préciser mes réponses, je me rends
      compte que beaucoup sont des lecteurs patentés avec une culture solide et que tous sont
      ici parce quils aiment la lecture et lécriture, ce qui explique bien entendu
      cette ardeur. Et cette première impression ne se démentira pas tout au long de notre
      séance. Pas un ne rechignera à lire, aucun naura dhésitation. Nous sommes
      loin du monde du lycée où dans des circonstances similaires la méfiance, la présence
      institutionnelle empêche la spontanéité. Ici, pas de " blouse
      blanche ", on ne sent pas le poids justement de linstitution. Etrangement,
      on ne sent pas ni la retenue, ni la peur dans les échanges contrairement encore à mes
      expériences de lycée où la peur (de léchec, de la violence, des parents, celle
      largement diffusée dans lactualité) est permanente. Pourtant ici, elle doit
      exister : on imagine des terreurs individuelles, ces obscurs empêchements de
      lâme qui ont conduit ces patients ici. Mais elle nest pas perceptible ou
      peut-être comment dire, ils ont appris, apprennent au quotidien à faire avec les
      angoisses qui leur sont propres. Lautre, linquiétude collective, largement
      diffusée pour qui vit " dehors " est peut-être moins perceptible
      ici. En tout cas, oui, cest le choc. Je relis ma préparation dhier et
      jimaginais trouver des patients dont la logique ou la cohérence de pensée serait
      moins perceptible. Il nen est rien. La moindre remarque que je fais est subtilement
      analysée dans un raisonnement limpide, leurs enchaînements de pensées sont clairs,
      rapides, de surcroît joyeux. Au point où je me surprends à croire quils viennent
      darriver ici, simples visiteurs comme moi...
 De mon programme, minutieusement préparé, je ne ferai pas tout et je my attendais.
      Jai préféré rester à leur écoute et combien leurs demandes sont vives et
      pertinentes. Jai apporté mes livres et nous discuterons en premier sur mon modeste
      parcours. Néanmoins, par souci davancer dans cette séance et de commencer
      rapidement lécriture, jai eu limpression que certaines questions
      restaient à préciser : comment on écrit un livre, comment on lédite,
      comment on travaille dessus, comment vient linspiration. Il faudra y revenir sans
      doute. Le premier travail après les échanges qui ont de suite fusés a été
      dessayer de les faire représenter ce que signifiait pour eux cette passion
      quils semblaient mettre dans la lecture et lécriture. En complétant les
      phrases " Ecrire cest comme
 et Lire cest
      comme
 " cela permettait dinscrire des verbes et ainsi de se recaler
      par rapport aux différents mots dune phrase. Là encore, aucune panne
      dinspiration chez nos participants, lexercice a été rapidement mené. Le
      choix des verbes plutôt que noms ou adjectifs a permis à chacun de sentir
      louverture que ce type de phrase permet : noter " lire cest
      shabituer " plutôt que " lire cest une
      habitude " ouvre bien dautres perspectives... Jai eu
      limpression quils réagissaient tout à fait favorablement à ces images
      mentales. Bref, un des buts de cette première séance, avec lenjeu de restituer
      limportance de chaque mot dans une phrase, était dêtre conscient du pouvoir
      dénergie que contiennent lecture et écriture. Certains ont préféré uvrer
      autrement que la consigne attendue, comme Alain qui réalise des quatrains aussi vite que
      vous et moi écrivons une phrase ! Mais je crois que limportant est de sentir
      le débordement de cette vigueur des mots. Les sentant réceptifs à cette émotivité,
      jai continué avec le pouvoir évocateur de la poésie japonaise, notamment à
      travers le très bel haïku " ils sont sans parole / lhôte
      linvité / et le chrysanthème blanc " où chacun a fait preuve
      dune imagination particulièrement bien mise en valeur et restituée. Le dernier
      exercice décriture que nous avons fait était un " cadavre
      exquis ", qui me semblait important pour à la fois la synergie de groupe que
      cet exercice impose mais aussi pour orienter les différents mots dune phrase à
      travers leur fonction grammaticale tout en gardant l'évasion du sens. Jai gardé
      quelques minutes à la fin pour échanger sur leurs souhaits. Certains voudraient écrire
      sur leur passé. Dautres ne le désirent pas. Tous ont une énorme envie
      davancer vite et dapprendre, apprendre, une véritable soif. Pour la suite, il
      faudra que je prenne en compte ces demandes, ce besoin de connaissance, cette créativité
      et surtout que je tente de garder le précieux enthousiame par des séances rapides,
      changeantes, subtile dosage entre une synergie de groupe et une réponse aux besoins de
      chacun. En tout cas, cet atelier a très bien démarré. Les textes sont dune
      qualité rare et Lire en fête qui sera laboutissement de cet atelier ne manquera
      sans doute pas de matière. Jai pris linitiative de collecter leurs textes qui
      seront visibles ICI, après chaque séance.
 
 Vendredi 10 mars : A nouveau la préparation, ce mercredi 8 mars. Une semaine, ça
      revient vite. Au départ, latelier devait sétaler de janvier à octobre sur
      un rythme dune séance par quinzaine mais le départ tardif de latelier, le
      travail nourricier qui reprendra pour moi dés le moi de mai impose de commencer
      dune façon plus soutenue. Ce nest pas plus mal, cest même franchement
      mieux, cela permettra de garder au mieux la tension (lattention),
      lenthousiasme du départ.Jai souvent repensé à cette première séance les jours suivants. Leurs prénoms
      sur des petits cartons, premiers mots écrits, sont devenus inutiles, je les connais tous
      déjà avec cette étrange impression que cest de longue date. Alors, présentations
      !
 Mounir, tout dabord, je me suis assis à côté de lui, le plus jeune sans doute,
      nerveux (deux heures sans fumer !) mais une inquiétude qui sestompe avec les
      questions quil pose et qui montre un réel désir dapprendre. Je connais
      déjà deux passions de Mounir : le Maroc et le Rap. Puis Alain, également assis à
      côté de lui. Volontiers bavard et direct, il se présente comme poète au nom de plume
      de Diosdam Idanée et il est vrai quil a déjà noirci beaucoup de cahiers, il
      construit des vers avec une rapidité désarmante. En face Marie-Thérèse
      sinquiète, se demande si elle va y arriver.. Mais elle se débrouille très bien et
      repart vraiment rassurée en promettant de revenir. A coté delle, Anthony, jeune et
      vif, pose beaucoup de questions, nhésite pas à formuler des remarques pertinentes.
      Il a le sens de la formule poétique et connaît bien le Petit Prince de Saint-Exupéry,
      il cite aussi Daniel Pennac. Emmanuelle, attentive, ne se contente pas découter,
      elle intervient et nhésitera pas à lire ses textes. Nicolas se présente à moi
      comme petit-fils de haut-marnais. Il a une bonne culture générale et a le désir
      dintervenir, même sil semble parfois se placer un peu en retrait dans les
      exercices décriture. Colette, pensionnaire déjà ancienne, est plus attirée par
      lécriture épistolaire (et de la vérité, précise telle). Elle effectuera
      nos exercices avec beaucoup dhumour et de caractère. Raphaël, un peu effacé, se
      tourne cependant spontanément avec le groupe des plus jeunes. Il semble avoir une bonne
      culture générale et une orthographe sans faille
 Pour la suite, donc, beaucoup dattentes. Il faudra répondre à la fois
      individuellement, certains désirent compléter leur culture générale, lecture,
      présentations dauteurs
 Tous veulent se frotter à lécriture avec
      impatience et conviction. Il me semble que les séances prochaines doivent être
      découpées en plusieurs parties, deux ou trois. Cela permet à la fois daborder
      plus de sujets, de conserver le dynamisme, voire de le relancer mais aussi de laisser
      sinstaller un travail de réflexion suffisant. Jai envie de commencer par
      Georges Perec, avec lectures et biographie, évoquer lOulipo (garder Queneau et Exercices
      de Style pour une prochaine séance peut-être) peut-être pas très évident mais
      lexercice pérécquien sur les verbes et sur les chambres déjà expérimenté à
      Crogny lannée passée, à Clermont en janvier dernier, rend de bons résultats.
      Puis, histoire de sortir des contraintes, souvrir à la poésie, où je sens des
      attentes quant à la formulation poétique, pourquoi ne pas proposer un exercice sur les
      haïkus, ils avaient été assez réceptifs la dernière fois. Le thème de lhiver
      et de la neige si abondante la semaine dernière permettrait daborder le recueil
      classé par saison et aussi de sinspirer des quelques poésies que javais
      préparé la dernière fois sur ce thème et que nous navions pas utilisé.
      Dautres idées aussi, une dernière partie pourrait être encore plus libre,
      certains désirent écrire sur des thèmes qui leur sont chers. On peut aussi aborder
      lécriture, lédition la fabrique du livre. Mais ce sera sans doute trop
      dense, nous manquerons de temps. A retenir donc
 Ne pas oublier cependant de leur
      remettre à chacun Vers Aubervilliers, je leur ai promis. Et aussi parler du site
      Internet sur lequel leurs écrits sont/seront en ligne. Cest étrange comme cette
      préparation se passe sans appréhension. Je commence peut-être à avoir lhabitude
      de ces ateliers. Jai surtout passé le cap de la première séance, impression de
      les connaître déjà et jai envie de réagir au feeling, sans pilotage automatique
      par des idées toutes faites.
 Résumons donc la séance :
 14h00 retour sur la semaine dernière, puis Perec, biographie, Oulipo, leur parler
      dEspèce dEspace, 1ère lectures : la chambre, le lit
      2° lectures emménager/démménager
 14h30 consignes décriture, Retracer tout ce que lon fait pour venir ici avec
      des verbes
(ceux qui hésitent, décrire sa chambre ou son lit de la façon la plus
      précise possible)
 15h00 Heure de poésie et de calme (à instaurer à chaque séance ?) sur
      lhiver : en lire quelques unes, lire les haîkus sur lhiver et la neige,
      des poèmes de Prévert, François Coppée, Maupassant.
 15h15 écriture de Haïkus ou de poèmes sur la neige
 15h45 distribuer Vers Aubervilliers et sil reste du temps, montrer les textes
      en lignes sur Internet.
 Demander comment ils peuvent avoir accès à Internet (idée dun blog à conserver
      pour plus tard
 une première : un blog de patients dhôpital
      psychiatrique !)
 La séance sest très bien passée. Jai eu
      limpression de bien maîtriser le déroulement que javais projeté. Mais
      cest surtout à travers les participants que je voudrais noter ce que je ressens,
      comment dire, ce nest pas ce que jéprouve qui est important, mais plutôt ce
      que je perçois deux, leur laisser la parole en quelque sorte. Je suis fier,
      cest vraiment le mot, de laisser voir ce quils écrivent, cest très
      beau, leur sensibilité est extrême, lhumour et lénergie que tous mettent
      sont revigorants, donnent la pèche ! Donc, oui, il faut aller voir leurs textes et
      sen nourrir. Et parallèlement, où plutôt en complément, parler deux, de
      nos échanges. Reprenons donc le déroulement de ces deux heures à travers ce que
      jai perçu de mes chers participants.Arrivé en avance, pas comme la semaine dernière, je retrouve Marie-Thérèse au pied du
      bâtiment. Nous rejoignons notre salle sous les combles, finalement, un endroit assez
      chaleureux et douillet, une île dans lhôpital. Nous parlons avec Marie-Thérèse
      comme de vieux amis en attendant les autres : sa passion pour la cuisine,
      lécriture aussi, les vacances préparées par linstitution. Plus tard, elle
      ma montré ce quelle avait écrit, son histoire, des historiettes ma
      t-elle dit, il me semble. je nai pas eu le temps de tout lire mais jaimerai
      bien les mettre en ligne. Je ne sais pas pourquoi, je nai pas saisi loccasion.
      Maintenant jai peur de perdre tout cela, Il faudra que je lui redemande. En tout
      cas, Marie Thérèse qui avait un peu dappréhension, sen sortira encore très
      bien lors de cette séance : regardez ces textes
 Puis vient Bernadette, que
      Marie-thérèse, qui fait figure dancienne, maide à accueillir avec
      gentillesse. Bernadette, âgée, se déplace difficilement avec un déambulateur. Elle
      écrira peu, lentement et avec crispation mais application aussi. Elle écoutera pourtant
      avec plaisir nos débats, des sourires dans les yeux et me relira même un des poèmes sur
      la neige. Ses quelques lignes écrites montrent la volonté dune dignité devant
      linévitable vieillissement. Tous sont maintenant arrivés (sauf Colette) et nous
      nous installons. Beaucoup sont déjà allés voir leurs textes de la semaine dernière sur
      Internet. Merci Pascale
 Laccès à Internet semble facile, alors, que vivent
      ces quelques notes offertes en partage entre chaque séance !
 Jenchaîne sur Georges Perec, sa vie, son originalité. Je raconte ce livre superbe
      dEspèces despaces et nous embrayons sur des lectures, la description
      dune chambre, dun lit, la litanie des verbes demménager,
      déménager
 Echanges sur la description, la transcription de la réalité, la
      puissance de certains mots
 Mounir nous raconte une belle histoire :
      limpression quil a eu hier en regardant la télé avec un copain. Cest
      quand celle-ci fut fermée et quil alluma une cigarette quil lui sembla
      percevoir avec le plus de réalité sa présence ici. Eternel balancement entre les
      symboles du réel et du virtuel, les lieux, la télé, tout ce qui part en fumée
 Je
      lencourage à écrire cette anecdote
 C'est Nicolas qui signe aussi en nom de
      plume Nuage de fumée. Cest aussi Emmanuelle qui évoque les ombres étranges des
      grands arbres C'est Anthony qui raconte ses sensations extraordinaires en regardant le
      ciel, les motifs du papier peint
 Puis tous écrivent un texte sur leur quotidien, la
      nouvelle journée qui commence, leur chambre, la litanie des verbes, tout ce qui est fait
      ici. Comment ne pas être touché par leur propre sensibilité, mais aussi leur aptitude
      à conclure, sémerveiller, tirer des leçons : en vingt minutes, chacun
      réussit à finir son texte avec une chute originale, ce qui prouve leur imagination
      magnifique, nullement inhibée. Les lectures sont aussi volontaires. Emmanuelle, insiste
      pour lire et devancer Anthony. Son travail est très beau, elle y met du cur et
      aborde même des contraintes supplémentaires digne de Perec ! Voir en particulier
      ses textes sur Noël
 Anthony, lui, a puisé dans son vocabulaire pour alterner
      verbes daction et de sensation. Nicolas enchaîne sur une lecture de son texte de sa
      belle voix grave et posée, puis vient le tour de Raphaël, qui lit aussi très bien et
      qui utilise un magnifique verbe " se vaporiser "
 à voir
      aussi
 Alain, en poète fidèle, commence un quatrain mais préfère me le donner
      plus tard car il lui manque une strophe. Les trois premières étaient déjà réussies,
      notamment à travers une progression vers laction.
 Justement la poésie
 Notre deuxième heure lui est consacrée avec des lectures
      diversifiée, les fulgurances de haïkus sur le thème de lhiver mais aussi des
      alexandrins de Maupassant, la beauté de la neige chez Coppée ou la fraîcheur enfantine
      de Prévert. A eux d'écrire leur poème sur l'hiver. On remarque maintenant les traits
      marquant de leurs personnalités : lhumour de Nicolas, le sens de la chute
      ( !) chez Anthony, la verve rimée dAlain, la délicatesse dEmmanuelle,
      les images poétiques de Raphaël, la sensibilité de Mounir, la modestie de
      Marie-Thérèse
 Petite discussion très intéressante avec Alain où sa volonté de
      placer absolument une rime à un certain endroit ma semblé superflue. Alain me cite
      un poème de René Char, vraiment, je ne mattendais pas à autant de diversité
      parmi eux. Bien de riches échanges sannoncent encore pour les prochaines séances !
   Jeudi 16 mars : Le mercredi semble maintenant installé comme une habitude pour préparer la séance à
      venir. Pour celle-ci, j'aimerais parler de Rimbaud. D'abord parce que sa vie est un roman,
      emblématique à plus d'un titre, l'adolescence, la volonté de s'inscrire dans le monde
      des lettres, l'apparent renoncement. Et puis tout dans son uvre annonce la
      modernité la fin des rimes et de la prosodie. J'aimerais en parler afin qu'on puisse
      ouvrir cette poésie au-delà de la rime. Les rimes perdurent avec la chansonnette mais ce
      n'est pas de la poésie. La vraie poésie c'est Alain qui écrit ". Et cent ciels
      jailliraient de ces yeux comme un Dieu quon dévêt dune énigme", le
      masque de la rime me paraît alors superflu. En plus on l'utilise souvent en
      méconnaissance de la rigueur de la prosodie qu'il me faut expliquer. Pourtant force est
      de remarquer que quelques rimes ajoute un rythme, une respiration. Où est la norme ? En
      faut-il une ? Pour moi, certainement pas mais débattons là-dessus. En même temps,
      Rimbaud permet d'introduire des exercices d'écriture, comprendre et reproduire un sonnet,
      apprécier l'impair, apprécier le glissement vers la prose et pourquoi cela reste de la
      poésie. La séance sera ainsi sans doute entièrement consacrée à Rimbaud. Pour autant,
      il me semble qu'il faille prévoir d'autres exercices au cas où : pourquoi ne pas
      m'inspirer du poème à contrainte d'Emmanuelle, pourquoi ne pas embrayer sur les
      calligrammes. Et voilà, au retour de la séance : encore un enthousiasme et encore un
      étonnement. Etonnement car celle-ci na pas été telle que je limaginais, où
      comment, pétri de certitudes, on élabore des chemins tellement basés sur la logique et
      la continuité. Pour la continuité, je sentais cette séance basée sur la poésie comme
      le prolongement du travail que nous avions commencé la dernière fois avec le thème sur
      la neige, avec nos lectures aussi de haïkus ou de Prévert, Coppée, Maupassant, je
      sentais le groupe réceptif et je voulais continuer sur cette lancée. Je navais pas
      prévu que trois nouvelles personnes viendraient nous rejoindre et, bien entendu, le reste
      du groupe étant toujours aussi réceptif, jai senti au début de la séance ce que
      cela pouvait avoir de perturbant pour les " nouveaux "
      dintégrer un groupe. Non pas encore quils se soient sentis écartés (
      jespère que non) simplement, jai tout de suite embrayé sur un monologue de
      la vie de Rimbaud, abrégeant les présentations, et, comment en reprenant un déroulement
      presque scolaire, on arrive au même déroulement quà lécole :
      bâillements, demande pour aller aux toilettes
etc., ça mapprendra ! En
      réalité, je crois que ça sest mieux déroulé que je le raconte, jai tenté
      de rendre au maximum participatif cet exposé et les voyages de Rimbaud sy prêtent
      bien : on peut dessiner une carte sommaire au tableau, interpeller sur la place des
      pays (Mounir, à juste raison, ma signalé que je plaçais mal le Maroc). Nous avons
      aussi échangé sur lhistoire dont Rimbaud à été le contemporain, parfois le
      témoin et je me suis encore rendu compte de létendue de leur culture générale,
      comme Alain évoquant la situation de lempire austro-hongrois à la veille de la
      guerre de 1870 ou Raphaël précisant les motifs de la Commune de Paris. Non, sans doute
      ai-je eu peur de ne pas accueillir suffisamment bien ceux qui nous avaient rejoints et
      cette souplesse daccueil tout au long de cet atelier constitue un principe
      intangible pour cet atelier : que chacun qui le souhaite puisse prendre le train en
      marche
 Bernadette qui nous avait également rejoint se sentait inquiète en début
      de séance et cette légère anxiété, même si elle ne rejaillissait pas sur les autres
      participants léloignait aussi de notre groupe. Leçon aussi pour moi : il faut
      sadapter à la réceptivité de chacun. Malgré ce début un peu malaisé, la suite
      sest révélée plus vivante dés que nous avons commencé à entrer dans les textes
      de Rimbaud. Lire, retrouver la bienheureuse caresse des mots, lecture comme une
      respiration particulière, participation heureuse de beaucoup. Les glissements entre des
      poèmes aussi différents que le Dormeur du Val, Sensation, le Bateau ivre, une Saison en
      enfer et les Illuminations ont permis de donner un panorama de pourquoi cela nous touche.
      La séance était donc au deux tiers entamée quand le signal de leur écriture a été
      donné : écrire un poème en sinspirant de ce que nous avions discuté à
      travers Rimbaud et qui résume toutes les problématiques et situations à laquelle est
      confrontée la poésie. Pas de sujet, place à limagination
 En cinq minutes
      chacun avait trouvé un sujet, Emmanuelle voulait écrire sur le soleil et cest
      très réussi dans la même contrainte que la semaine dernière (chaque lettre de Soleil
      qui brille marque le début dun vers), beaucoup sur ce printemps qui arrive enfin,
      certains sur le thème éternel de lamour et comment ici cest encore plus
      difficile à vivre (voir le texte de Vincent), Mounir sur linjustice des pauvres,
      Nicolas, particulièrement en forme, sest laissé " guidé par les
      haleurs " dans un voyage digne du bateau Ivre. Lynn, dans un texte très fin
      apporte aussi la sensation si singulière que peuvent représenter ici, hier
      aujourdhui ou demain. Applaudissements à la lecture des textes
   Jeudi 23 mars : Demain, quatrième séance consécutive au rythme dune par semaine avant une
      interruption dune semaine. Demain, certains ne seront pas là, quatre dun
      même service (on dit pavillon), jeunes adultes plein dallants et qui constitue une
      partie du noyau dur de cet atelier. Resteront parmi les habitués, Anthony, Alain,
      Marie-Thérèse et Mounir, peut-être Bernadette, et parmi les nouveaux de la semaine
      précédente, Gaëlle, Lynn et Vincent. Ce sera loccasion pour mieux les accueillir.
      Leur parler de ce que je fais là, mon travail décrivain, comment je conçois sans
      la fausse pudeur des intellectuels que cest vraiment un travail, comment je
      nai pas peur du mot écrivain, parce que je nai pas peur non plus de leur
      restituer la langue qui nous appartient à tous. Pas de hiérarchie, juste des sensations
      à partager et la formidable énergie produite par les mots. Je pourrais, pourquoi pas,
      continuer après leur avoir " montré " mes livres, parler de
      lédition, comment ça se passe, rôle de léditeur, comment se fabrique un
      livre. Mais il nous faudra aussi écrire
 Le sujet de décrire un visage déjà
      employé dans beaucoup dateliers décriture offre des perspectives toujours
      intéressantes. Je renouvelle lexercice en donnant à lire, me semble til, des
      extraits neufs sur le sujet : une chanson de François Béranger, un poème de
      Beckett, lincipit de Jacques Serena dans Isabelle de dos et celui, plus
      célèbre, de lAmant de Duras. Cela mélangera les genres, poésie et prose.
      Jaimerais que nous puissions ensuite faire quelques exercices, soit en commun, soit
      individuels, pour faire marcher nos imaginaires : exercices sur la forme marabout,
      bout de ficelle
 ou phrases dont tous les mots commencent par les 26 lettres de
      lalphabet. Tiens, ça me fait penser quon pourrait aussi parler
      décriture, écriture chinoise idéographique, et mettre à contribution Mounir pour
      nous expliquer lécriture arabe. Jai aussi prévu une préparé une
      présentation dApollinaire. Le sujet est intéressant, calligrammes bien sûr, mais
      aussi, le fantastique Zone qui permet de déplacer le narrateur en utilisant le
      " tu " pour en parler. Ceci dit, Zone serait très
      intéressant a étudier avec Cendrars (les deux écrivains se connaissaient bien) et par
      affinité avec le fameux " en ce temps là jétais en mon
      adolescence
 ". Beaucoup à dire aussi avec Feuilles de route du
      même auteur bien sûr et dont ce site reprend le titre maintenant si galvaudé !
      Beaucoup didées donc à répartir sur plusieurs séances, et continuer à y aller
      au feeling ! Et maintenant, retour à ce qui sest passé, dans ce balancier perpétuel qui
      rythme ces séances, la préparation du mercredi, la longue route à faire (comme un
      chemin dinitiation ?) et la séance à vivre pleinement le jeudi. Puis le
      vendredi, donc aujourdhui, pour sen souvenir, en tirer des réflexions, pas
      des leçons. Je naime pas le mot leçon, ni enseignement, trop cadré, trop
      institutionnel alors que justement, ce qui fait la richesse de cet atelier cest de
      sortir du cadre dans lequel tous sont placés, soignants et patients. Et justement,
      excellente initiative dune élève infirmière, Edith nous a rejoint... et qui a
      été bien étonnée, à la fois du comportement collectif quon adopte dans ce
      déplacement des rapports " désinstitutionalisés " mais aussi
      individuel quand il a fallu se plonger dans lécriture et où on saperçoit de
      la superbe facilité avec laquelle la plupart autour de soi se mettent à
      louvrage ! Ceux du pavillon (Brunel?) qui devaient être absents nous ont
      finalement rejoints, leur sortie ayant été annulée. Et Raphaël, Emmanuelle et Nicolas
      dentrer avec un large sourire. Et puis Bernadette, qui continue à venir malgré ses
      difficultés pour se déplacer. Très en forme Bernadette, à cette séance, gaie, elle
      aura beaucoup écrit quand on sait la lenteur et la crispation quelle éprouve à
      tenir son stylo. Et tous les autres bien sûr sont arrivés. Cest intéressant de
      remarquer ces premières minutes, de voir les habitudes que lon prend à
      sinstaller maintenant à la même place (à commencer par moi-même !), la façon
      dont on considère la mesure par rapport à son voisin. Détail amusant et révélateur que je nai appris que le lendemain. Lun des
      participants, impatient, tenait beaucoup à lire son poème. Et celui-ci était vraiment
      beau, nous avons discuté de ce qui était inconscient dans lécriture mais qui se
      révélait à l'analyse, par exemple choisir décrire " apporter
      joie ", plutôt que " apporter de la joie " et comment le
      mot gagne ici en puissance
et en joie ! En réalité, ce poème avait été
      écrit par Alain, un autre participant. Cest à la fois intéressant pour moi de
      lavoir situé ailleurs dans la pièce, par un autre supposé auteur plus éloigné
      alors quAlain est situé généralement à ma droite. Et comment nous nous enfermons
      aussi dans des schémas où nous associons déjà étroitement les écrits à la
      personnalité de ceux qui les bâtissent et cela déjà au bout de quatre séances
      Anecdote aussi riche denseignement par la faculté quà eu le pseudo auteur
      dy adhérer, allant même , il me semble, préciser quil avait été ému en
      lécrivant, quil irait le montrer à sa mère : nous endossons aussi la
      vie des autres, nous comblons nos vides
 Lexercice sur le visage a bien fonctionné. Là encore, il est intéressant de
      remarquer les traits de personnalité qui se dessinent : Raphaël dont les écrits
      très fins semble suivre un cheminement où lénergie du quotidien se ressource en
      permanence. Nicolas adopte depuis quelques séances une attitude éveillée et
      sereine : un humour zen
 Emmanuelle transmet une réelle émotion quand elle
      écrit sur son père mais ségaille aussi beaucoup davoir inventer le verbe
      "siester" dans lécrit qui suivra. Gaëlle et Vincent sont revenus. Autant
      Vincent est remuant, difficile à faire participer, autant Gaëlle est timide mais
      nhésite pas à lire ce quelle écrit, de beaux poèmes qui parle à chaque
      fois de bonheur. Marie-Thérèse doute souvent de son écriture, joue la modeste, mais
      répond toujours avec précision à ce quon lui demande avec toujours une pointe de
      malice. Alain, dont la facilité à fabriquer des rimes lenferme un peu dans la
      forme, a réussi à écrire en prose et le deuxième texte, particulièrement réussi,
      finit par oublier totalement les analogies rythmiques involontaires. Mounir réussit un
      très beau parcours dautant plus que ce nest pas sa langue dorigine mais
      il demande avec naturel la signification des mots quil ne connaît pas, comprend
      très vite le sens et sait débusquer les synonymes. Je parle avec lui du Maroc et de
      Rabat, sa ville natale, que je vais rejoindre la semaine prochaine et son visage
      sillumine. Nous avons aussi parlé dApollinaire et je leur ai fourni une
      biographie. Ces petits apports culturels qui semblent disparates nous permettent de tisser
      cependant un panorama sur la littérature qui sera assez complet à terme puisque
      jenvisage de parler aussi des romanciers (nous avons déjà commencé à lire des
      extraits de Duras, de Jacques Serena) et aussi du théâtre ! Le poème
      " Zone " dApollinaire et lexercice qui a suivi nous a
      permis de regarder les effets que cela provoque décrire sur soi dans un registre
      différent en utilisant dautres pronoms personnels. Cette distance permet
      décrire de façon plus intime, parfois dérangeante, voire impossible, mais
      lécriture cest aussi cela : être empêché, être dérangé et combien
      nombreux sont les sens que ce mot possède ici
 
 Jeudi 6 avril 2006 : De retour du Maroc, j'ai envie de parler de voyage, quoi de plus normal. Mounir
      m'aidera à partager cette envie et nous commencerons par parler du Maroc, comme cela, à
      bâtons rompus (peut être lui demanderais-je de nous parler de l'écriture arabe à la
      fin de la séance s'il le veut bien et s'il nous reste du temps). Mais avant tout, il
      s'agit de relier ce thème à la culture, à l'approche d'un écrivain et à des exercices
      d'écriture. Apollinaire nous donne le lien pourparler de son ami, Blaise Cendrars,
      écrivain voyageur et, comme pour Rimbaud, je suis intarissable sur le sujet
 surtout
      s'il s'agit de parler aussi de voyages, du Brésil que je connais bien et que j'ai visité
      soixante-dix ans après lui. Donc, biographie de ce poète merveilleux tout d'abord, puis
      études de poèmes et de textes. Et enfin, notre premier exercice d'écriture pourrait
      être de raconter à la façon de Feuilles de route, une séance d'évasion d'un voyage
      extraordinaire. En deuxième exercice, nous reviendrons aux calligrammes d'Apollinaire qui
      pourra être prétexte à une belle deuxième heure
 En route, en voiture, en
      voyage
 et bien sûr à commencer par les 220 km de demain !La séance, donc, fut conforme à la préparation évoquée ci-dessus. Il est toujours
      difficile de démarrer. Mounir, à peine réveillé, avait du mal à accrocher (il
      ma quand même fait remarqué que Blaise Cendrars avait choisi son pseudonyme un 6
      avril, cela faisait tout juste 94 ans !), dautres restaient attentistes tandis
      que jévoquais la vie de Blaise Cendrars. Puis, comme par magie, tout se débloque
      quand je distribue des extraits de cet auteur. Les poèmes de Feuilles de route sont
      puissants et invitent au voyage. Chacun donc, raconte ses voyages inventés ou non.
      Lidée même du départ, de laisser un enfant partir, inspire Alain, la Martinique
      rêvée, Anthony. Dautres se souviennent de vacances. Nicolas évoque avec quelques
      mots judicieusement choisis la Corse, Emmanuelle, la Bretagne avec ses parents, et
      Raphaël, un voyage autonome dans les Alpes. Et combien il est étonnant de sentir la vie
      ordinaire qui se profile en dehors dici, lapparente liberté que je ne
      connais pas et qui a (eu ?) lieu (la 205 junior de Raphaël
). Pour autant, je
      ne souhaite pas en apprendre davantage sur eux, même si la curiosité me fait
      métonner à chaque instant devant leur perspicacité, lapparente normalité
      de nos séances, deux heures qui séchappent mais avant ou après ? Que
      font-ils, qui vient les voir, soccuper deux ? Je ne souhaite pas en
      apprendre davantage par discrétion, pour ne pas être influencé quant à la liberté que
      je moctroie pour bâtir ces exercices. Pourtant, même dans cet instantané
      répétitif, je ne peux mempêcher de constater combien certains semblent
      sépanouir, la gaieté dEmmanuelle, lhumour rassurant de Nicolas alors
      que je le trouvais assez sombre le premier jour. Leurs lectures sen
      ressentent : beaucoup plus claires et même Alain, affecté dun défaut de
      prononciation, devient facilement compréhensible. Gaëlle, réservée dans les deux
      premières séances lit son texte dune voix claire et persuasive. Je ne veux rien
      savoir sur eux et pourtant jaimerais connaître si nos séances sont bénéfiques
      dun point de vue thérapeutique, il faudrait en parler avec leur médecin. A la
      réflexion, je trouve cette idée prétentieuse, cest quelque peu me poser en une
      sorte de bienfaiteur. Cest parfaitement inutile pour eux et mieux vaut que je
      focalise mes efforts sur des séances claires, culturelles et efficaces. Nous avons déjà
      en cinq séances abordé de multiples sujets, jaimerai diversifier les formes par
      exemple leur donner un aperçu de lécriture théâtrale à la prochaine séance.
      Mais pour en revenir à celle-ci, elle sest poursuivie avec les calligrammes
      dApollinaire et jai pu encore mesurer leur imagination. Parapluie, bouddha,
      raquette de tennis, spirale, je garde leurs exemples de calligramme pour les exposer dans Lire
      en Fête. A la fin, joie pour moi doffrir des babouches de son pays à Mounir,
      en plus cétait son anniversaire !
   Jeudi 13 avril 2006 : Ce jeudi, Beckett aurait juste 100 ans et demain, il y aura 20 ans que
      Jean Genet a disparu. C'est une occasion pour parler de ce qui les rassemble, le
      théâtre. Cette nouvelle piste est aussi fort intéressante pour diversifier les genres
      de la littérature et expérimenter de nouvelles formes de lecture et d'écriture. Cette
      séance débute donc, comme c'est devenu l'habitude, par une petite présentation d'un
      auteur. Molière s'impose, non seulement c'est l'auteur le plus célèbre et le plus
      étudié, mais aussi car il permet de présenter le théâtre dans ces différents
      aspects, comédie, bien sûr, mais aussi tragédie. Les participants habituels sont
      attentifs et interviennent fréquemment sur Molière en y mêlant leurs souvenirs
      scolaires, comme Anthony, ou plus généralement sur le théâtre, comme Emmanuelle qui en
      a déjà fait ou Alain qui a participé à la partie technique, sons, lumières, décor, y
      compris avec son père qui organisait des spectacles de théâtre. Il se révélera
      d'ailleurs particulièrement expressif à la lecture ! En effet, les textes de théâtre
      de Molière mettent particulièrement à l'aise : je distribue les rôles et chacun se met
      en condition pour jouer deux scènes du célèbre Tartuffe. Le théâtre donne ainsi une
      autre manière d'appréhender la littérature, plus proche de l'oralité bien sûr et des
      dialogues mais aussi d'expliciter les effets que l'on peut obtenir dans les alternances de
      répliques courtes et de longs monologues. L'approche différente des auteurs est
      complétée par Beckett (En attendant Godot) et Jean Genet (Les paravents), uvres
      plus hermétiques et d'un abord plus difficile que Molière, mais qui permettent
      d'appréhender tout le travail de la mise en scène et des didascalies. Là aussi, malgré
      la difficulté, tous sont volontaires pour lire, comme Mounir, qui s'attribue le rôle de
      Saïd, dans les Paravents, par connivence avec ce personnage qui lui ressemble, ce qui
      prouve bien qu'au delà du texte et des dialogues, la perception de l'histoire s'opère
      toujours dans le théâtre comme par magie, même avec un très court extrait.Mais bien entendu, c'est bien le travail d'écriture qui est attendu. La consigne sera
      donc d'écrire sous forme de dialogue ou monologue, avec ou sans didascalies, une scène
      de théâtre. Ce travail, qui sort des sentiers de la poésie que nous avions surtout
      étudié jusqu'alors, les déroute un peu, mais je suis habitué à leurs très courtes
      hésitations : cinq minutes après, silence et concentration pour tout le monde.  
      Comme de nombreux "animateurs" d'ateliers que j'ai déjà entendus ou lus à ce
      sujet, on n'insistera jamais assez sur cet instant privilégié où on entend les mouches
      voler, où toutes les nuques sont courbées sur la feuille, satisfaction aussi car elle
      prouve la réussite de l'exercice proposé, ce qui n'est jamais gagné au départ, et
      c'est aussi cet instant où tout bascule, de spectateur, on se retrouve versé dans
      l'écriture et la fosse au lion. Petits moments magiques mais où, là encore, es
      résultats sont étonnamment fournis (voir leurs textes) pour une durée d'écriture qui
      n'a pas excédé 20 à 30 minutes.
 Ces scènes avec dialogues permettent de parler de soi, avec ceux qui ont sont mêlés,
      comme les textes étonnamment proches d'Alain et de Mounir, conversations avec leurs
      parents. Alain, insistera d'ailleurs pour me dire qu'il s'agit de sa propre histoire,
      faite d'errance, les cheveux jusque là (joignant un geste au milieu du bras), évoquant
      la cueillette des primeurs en Grèce ou au Portugal. Perméabilité toujours étonnante
      pour moi qui les reçoit dans cet espace privilégié où ils peuvent un instant oublier
      les soins et l'hôpital. Si les protagonistes familiaux sont fréquents (on les retrouve
      chez Marie-Thérèse, Bernadette, Noëlle), d'autres préfèrent se laisser gagner par
      l'évasion, comme Gaëlle qui évoque des retrouvailles entre deux copains, ou Raphaël,
      l'histoire d'un couple d'américains pris dans une manifestation et des embouteillages,
      avec la facilité que donne les dialogues de bâtir aussitôt une histoire crédible, qui
      se tient, tournée vers l'action. Emmanuelle choisit une scène d'un moderne Roméo et
      Juliette, très fleur bleue, avec humour au second degré ! Nicolas nous propose un court
      texte mais profond, sans doute le plus proche de Beckett. Dans ces textes, les évocations
      provinciales, campagnardes sont souvent présentes, avec le poids des traditions,
      l'idéalisation de la culture, comme l'institutrice que Bernadette appelle Madame (alors
      que c'était sa tante), les jeux et activités de plein air (Marie-Thérèse et Maryse),
      jusqu'au confinement des mondes clos où tout le monde se connaît, traité à la manière
      d'un vaudeville délicieux avec Pascale.
 
 Jeudi 27 avril 2006 : L'arrivée à Dole est toujours un moment important. Il y a linstant où
      le long trajet en autoroute brise sa monotonie au péage. Puis il faut juste deux rond-
      points à traverser avant de tourner à gauche sous le porche du Centre hospitalier.
      Quelqu'un que je ne vois pas mais que je m'évertue à remercier ostensiblement m'ouvre la
      barrière. On serpente ensuite dans le vaste complexe. Chaque semaine, un nouveau chemin
      est barré, oblige à des détours, à longer de nouveaux bâtiments (les chaussées et
      trottoirs sont en réfection, cela représente le volume de travail d'une voirie dun
      gros bourg totalement rénové). Je me gare devant le pavillon des Merisiers et je frappe
      à la porte vitrée, en permanence fermée à clef comme chaque issue de l'hôpital. En
      attendant qu'on vienne m'ouvrir, je découvre les participants déjà arrivés, à
      lintérieur dans le hall, de lautre côté de la vitre. On se fait quelques
      petits signes en guise de bonjour. On attend ensuite ensemble l'ascenseur. Trois d'entre
      nous sont en fauteuil roulant ou en déambulateur. Parfois des résidents du pavillon des
      Merisiers, intrigués par notre remue ménage viennent nous regarder. Cette semaine, c'est
      une toute petite femme, vraiment minuscule, de la taille dune poupée qui vient nous
      serrer les mains sans vouloir après nous relâcher. J'ai déjà remarqué cette façon de
      saisir les mains de beaucoup de patients, demeurant les yeux dans le vague, sans relâcher
      leur étreinte, mains rêches et fermes comme un besoin de contact. Cest à chaque
      fois surprenant avec parfois une émotion partagée. Cest au tour dEmmanuelle
      et la petite dame ne la relâche pas. Je suis toujours surpris de la sollicitude et de la
      patience quils éprouvent ensemble, comme si ce quotidien commun de
      linternement ne les réunissait pas, on se connaît peu entre pavillon, le Centre
      Hospitalier Spécialisé est vaste et pourtant, cest bien parce quon partage
      ce même enfermement, cette absence dhorizon, quon se comprend et que
      lon cherche à communiquer. La petite dame saccrochera à la main
      dEmmanuelle en pleurant parfois jusquà larrivée de lascenseur. Mais il faut maintenant démarrer la séance, cest un moment important, chacun doit
      oublier le lieu, la petite dame qui saccrochait à nous, les cris, les litanies
      entendus parfois dans les couloirs. Il faut prendre le temps de se placer. Jaide
      Bernadette à quitter son déambulateur et à sinstaller sur une chaise. Elle est si
      légère, on a peur de la briser. Chacun doit être bien, ces petits préparatifs
      silencieux nous aident tous. Il faut se maintenant se concentrer sur lénergie
      formidable de lécriture. Jannonce le programme de la séance
      daujourdhui : les participants m'avaient suggéré les Fables de la
      Fontaine. Cest une excellente idée qui permet de faire participer plus grandement
      les deux dames les plus âgées qui éprouvent des difficultés physiques à écrire,
      crispation ou tremblements, mais qui se souviennent parfaitement des poésies de leur
      enfance. Elles récitent ainsi sans faille et avec beaucoup de malice les fables les plus
      célèbres de Jean de la Fontaine.
 L'équipe est un peu réduite sans Alain, Mounir et Pascale mais Anthony me semble
      en très grande forme et les quatre participants du pavillon Brunel comme jai pris
      lhabitude de les nommer en bloc sont au rendez-vous avec leur attention et leurs
      réparties habituelles. Raphaël, par exemple, évoquera tout en finesse les jugements de
      valeurs quand nous évoquerons les différences entre morales, proverbes, citations et
      toutes les phrases sentencieuses que nous retenons facilement. Ensuite, après la
      biographie de La fontaine et dEsope, cest le travail décriture. Je
      présente le sujet qui est bien évidemment décrire une fable à la manière de La
      Fontaine, ce que tout le monde trouve dur et lexprime à voix haute avant de se
      taire et de commencer déjà à rédiger ! Et là, encore, je suis surpris de ce
      petit miracle qui se produit et qui se situe quelque part entre limagination et
      laboutissement des textes. Par exemple, Emmanuelle et Gaëlle auront écrit deux
      histoires mettant en jeu une coccinelle et la même morale, toutes deux très fines et
      plein dallusions sur la bête à bon dieu
 Marie-Thérèse réécrira la
      chèvre de Monsieur Seguin, Anthony se défoulera avec une fable africaine.
   Mercredi 10 mai 2006 : Jai eu loccasion daller écouter Maxime Le Forestier qui
      passait dans ma ville. Non pour ses propres chansons mais pour celles de Georges Brassens.
      Du coup, à entendre fredonner le public (nous connaissons tous des chansons de Georges
      Brassens) cela ma donné lidée de ce thème pour cet atelier. Et comme quand
      on parle de Brassens, lécrivain René Fallet, qui fut son ami, nest jamais
      loin, les deux personnages et le sujet de lamitié ont constitué le fil conducteur
      de la séance. Après la présentation des biographies entremêlées de chacun, jai
      distribué comme dhabitude des extraits des auteurs, donc des chansons de Brassens
      et là, surprise ! Autant il est facile de lire des poèmes, autant on ne peut lire
      Brassens sans se passer de chanter. Ainsi, Emmanuelle, toujours partante pour lire, aura
      interprété en premier les copains dabord, puis, dautres auront enchaîné en
      cur sur le petit cheval blanc (dont le texte est de Paul Fort). Les passantes
      que jai sur mon ordinateur ont fait fredonner la belle voix grave de Nicolas.
      Brassens nous a apporté de lémotion, telle quil fut sans doute plus
      difficile que pour les autres séances de se mettre au travail décriture : le
      thème de lamitié. Pendant que tous planchaient sur leur texte, javais lancé
      une des trois chansons de Brassens que je possède sur mon disque dur (quand on est con),
      tous se prenaient au jeu malicieux des paroles, Anthony avec beaucoup de joie.
      Jarpentais ainsi la salle quand japerçus la couverture dun hebdomadaire
      généraliste avec un homme politique en vue au moment où Brassens assenait son refrain
      péremptoire repris par tous les participants. Quand on est con, on est con. Pardonnez ma malice mais il est de ces instants un peu surréalistes, poétiques,
      des échappatoires à prendre au second degré et dieu sait quici, on a besoin de
      ces respirations
 Jai pris quelques photographies durant la séance. Jai vraiment plaisir
      à vous présenter les participants réunis autour de notre table mais aussi à retracer
      lambiance de notre grenier, refuge au milieu dun hôpital et formidable
      évasion vers lécriture et la littérature.
      
 
   Jeudi 1° Juin : Trois semaines que je ne suis pas venu. C'est long et ces retrouvailles
      me font plaisir. Alain m'accueille avec son entrain coutumier et me parle de suite des
      poèmes qu'il a oublié dans sa chambre. Mais c'est l'heure du ménage et on ne lui a pas
      permis de rentrer les chercher. Et c'est aussi encore une fois pour moi réaliser cette
      double aliénation : celle par rapport à soi-même et qui fait que l'on est pensionnaire
      d'ici et celle de cette institution où les règles demeurent intangibles jusque dans le
      ménage... Passons... Le plaisir que j'éprouve à revenir est aussi celui de retrouver
      Mounir qui avait décroché. Il revient et nous gratifiera plus tard d'un texte où il
      arrive à retrouver toute son authentique expressivité. J'ai eu envie d'aborder cette
      séance en y mêlant la littérature et la peinture. J'ai choisi Picasso et Prévert pour
      illustrer cette dualité. Les deux artistes se connaissaient bien et c'est l'occasion
      d'aborder leurs biographies, petits apports culturels qui sont devenus traditionnels au
      début de chacune de nos rencontres. Mais surprise aujourd'hui ! En plus de nos
      participants habituels, nous accueillons Marcelle qui vient d'endosser tout récemment sa
      panoplie de centenaire ! Ainsi je revendique l'honneur d'être le premier écrivain  
      à avoir accueilli une centenaire en atelier d'écriture... Preuve (s'il  était
      encore besoin d'en apporter) que l'écriture va, non pas de 7 à 77 ans comme les
      aventures d'Hergé, mais de 1 à 100 ans, c'est-à-dire du moment où l'on réussit à
      agripper un stylo et barbouiller une feuille jusqu'à celui où les yeux âgés peinent à
      lire. Pas tant que cela pour Marcelle, qui retire d'ailleurs ses lunettes pour regarder
      les photocopies que j'ai distribuées. Bien entendu, tous sont intrigués par sa vitalité
      et Marcelle ne boude pas son plaisir à nous raconter sa longue vie, juste placée à
      côté du plus jeune, notre Mounir éberlué d'apprendre que quatre-vingts ans exactement
      le sépare de sa voisine.Nous revenons à notre thème et après les lectures enthousiastes d'Emmanuelle, d'Alain
      et d'Anthony de poèmes de Prévert concernant la peinture (Pour faire le portrait
      d'un oiseau et Promenade pour Picasso), je distribue des reproductions de
      tableaux. Il y en a une trentaine, pour tous les goûts, des paysages impressionnistes aux
      portraits cubistes, des styles pointillistes aux éclats colorés, le voyage passe par
      Pissarro, Picasso, Van Gogh, Cezanne, Monet, Chagall, Renoir, Giacometti, Pollok, Klee,
      Kandinsky, Modigliani, Braque Vlaminck, Gauguin, Seurat, De Staël... Et j'ai du en
      oublier. L'effet est saisissant. Tous se les échangent, se les commentent, chacun en
      choisit deux ou trois. Nous discutons un peu de leurs choix qui sont parfois tranchés :
      Emmanuelle est séduite par Pissarro. Laetitia choisit des couleurs froides tandis
      qu'Anthony est attiré par un bord de mer orangé. L'enjeu sera simple : construire un
      texte par un ou plusieurs tableaux qu'ils auront choisi et comme d'habitude le résultat
      sera magnifique. Certains se contenteront de descriptions tendues comme des haïkus
      (Gaëlle), d'autres évoqueront leurs souvenirs ou leurs émotions à l'instar de Marcelle
      dont un tableau de Renoir exécuté en 1909 lui inspire une forêt qu'elle a dû commencer
      à arpenter à peu près à la même époque...
 
 
 Mercredi 14 Juin :
 Le temps file à la vitesse de l'éclair et je me retrouve en deux temps
      trois mouvements sur la route habituelle, je devrais dire l'autoroute, dans l'habitude des
      horaires : départ à 11h30, repas vers une heure d'un sandwich et un café
      sur l'aire de Dijon qu'il faudra que je photographie un jour pour la rubrique webcam, et
      arrivée pour 14h. Surprise, surprise aujourdhui, pas beaucoup de participants mais Marcelle,
      notre robuste centenaire est de la partie, ainsi que Raphaël, Emmanuelle, Anthony et nos
      fidèles pervenches Bernadette et Noëlle. Surprise aussi car le Directeur de la
      communication apporte un questionnaire à tester auprès des patients : ça c'est bien
      quand l'institution n'hésite pas à utiliser l'atelier, structure temporaire ! En
      tout cas, les patients n'hésitent pas à faire remonter leurs remarques : ils ont la
      parole, leur parole déborde l'atelier, ne reste pas coincée entre leurs lieux habituels,
      on fait attention à eux d'une autre manière, et avec beaucoup de considération encore.
 Cet imprévu bienvenu ne nous empèche pas d'aborder Raymond Queneau et ses
      "Exercices de style". Biographie, on parle de l'Oulipo mais bien vite, les
      participants réclame du concret, de l'écriture et l'écriture, ce sera de continuer bien
      sûr d'autres exercices de style... Regardez leurs réussites dans les textes des participants. Remerciements particulier à Anthony qui
      m'a rapporté son très beau texte inachevé lors de la dernière séance. Noëlle se sent
      si bien qu'elle refuse de partir lorsqu'on vient la chercher avant l'heure de la fin
      (pourquoi d'ailleurs ?). Nous pousserons donc nous même son fauteuil roulant.
 
 
 Mercredi 28 Juin :
 Je passe le porche de l'hôpital dans l'apathie des deux heures de trajet, la
      chaude,  bienheureuse et tranquille journée d'été. Et c'est alors que, commençant
      à peine le contournement de la vaste place, m'apprêtant à monter la côte en direction
      de notre pavillon des Merisiers, je m'aperçois que les interminables travaux de voirie
      continuent : on coule le revêtement de goudron sur le chemin que je dois emprunter. Et de
      suite, j'aperçois avec stupeur Antony et son fauteuil roulant, gaillardement parti tout
      seul à l'assaut de cette côte, tout petit point zigzagant parmi les camions en
      manuvre ! Je me dépêche de contourner les bâtiments, de me garer, pressentant
      qu'Anthony va rapidement se trouver en difficulté... Je croise Marie Mitjana, qui a
      monté notre atelier dans le cadre de l'association Accolad, venue participer à notre
      rencontre et j'ai à peine le temps de la saluer que je rejoins Anthony, déjà englué
      dans le goudron mais aimablement aidé par un des ouvriers qui pousse son fauteuil. Nous
      le hissons tant bien que mal jusqu'au pavillon. Les autres participants sont déjà là,
      nous entrons tous sans tarder dans l'ascenseur ou l'odeur entêtante du bitume qui colle
      sous les pneus du fauteuil et sous mes semelles achève de nous distraire. A peine arrivé
      à notre salle, Alain, qui n'avait pas pu participer la dernière fois me tombe dans les
      bras, tout à sa joie. Marie Mitjana doit se demander dans quelle maison de fous (sic),
      elle a atterri... La séance commence. Marie se présente, parle fort justement de son
      travail. Fidèle à notre habitude, nous abordons la biographie et quelques extraits d'un
      auteur : j'ai choisi le poète André Hardellet, injustement méconnu. Nous abordons
      quelques extraits de ces poèmes, notamment les magnifiques "métiers et
      divertissements" qu'il a inventés. Chacun se régale à lire par exemple le Chef des
      baisers, le Chercheurs d'échos ou le Poseur de grillons. Bien entendu, notre activité
      d'écriture consistera à inventer une de ces activités poétiques, à l'exemple d'André
      Hardellet.
 Pascale et Gaëlle se partage un poseur et un dessineur de sourires? Anthony, remis de ses
      émotions, s'attelle à un métaphysique inventeur de
      spiritualité, Emmanuelle à un romantique Ange de l'amour, le magicien de Marie-Thérèse
      devient déformeur de corps et Raphaël, très en verve poétique, invente la profession
      de suiveur de nuage... Mounir raconte sa vie de mélancolique, comme si c'était une
      activité à part entière, ce qui donne lieu à un débat assez riche sur la manière de
      parler de soi... Je constate combien tous font d'énormes progrès dans la vivacité de se
      comporter ensemble, dans leur rapport à la langue et à la lecture. Encore une belle
      séance !
 
 
 Mercredi 5 juillet :
 
 La chaleur est tombée. Comme c'est étrange de venir dans un endroit tous les
      quinze jours ou toutes les semaines et d'y sentir le froid, la pluie, la neige, c'était
      il n'y a pas si longtemps. Maintenant l'été. Le corps s'habitue vite. Pas tant que cela
      semble dire Emmanuelle qui porte une jolie robe mais dont les coups de soleil sont encore
      bien visibles. Pascale a installé deux ventilateurs qui soufflent sur des pains de glace
      pour refroidir notre salle sous les combles. Mais jamais, il me semble, nous ne
      renoncerions à ce havre de paix... Cette ingénieuse climatisation en dit cependant long
      sur les investissements qui restent à prévoir dans ces institutions. A croire qu'être
      bien dans son corps est un luxe incommensurable. Il paraît que les nouvelles unités
      encore en constructions ne seront même pas dotés de systèmes efficaces. Les grandes
      idées du plan canicule de 2003 resteront lettre morte et affichage politique comme
      toujours. L'économie de bout de chandelle prime. Certains bâtiments sont munis de
      fenêtres de sécurité, sans volets capables de couper la chaleur et qui ne permettent
      même pas une aération. Les chambres exposées plein sud ajoutent au malaise : on y cuit
      en été, on y gèle l'hiver. On devrait obliger les architectes, maîtres d'oeuvre,
      entrepreneurs qui les conçoivent d'y vivre comme ces patients pendant une saison chaude
      et une saison froide !
 Passons... Car tous sont en forme et plein de ce courage extraordinaire qui force mon
      admiration. Il faut parfois insister : Pascale relance l'unité de soins dont dépendent
      Bernadette et Noëlle, l'une en déambulateur et l'autre en fauteuil. On conçoit que
      c'est astreignant de les véhiculer jusqu'ici et que les infirmières sont déjà
      débordées mais le plaisir qu'elles y trouvent est sans commune mesure. C'est Noëlle qui
      semble le manifester le plus et qui se confond en excuses pour son retard. La pauvre, ce
      n'est vraiment pas de sa faute. Allez ! Au travail. Cette semaine, nous avons décidé de
      voyager par la poésie. C'est Pablo Neruda qui nous ouvre les chemins de l'Amérique
      latine et des pays qu'il a traversé et ce sont les haïkus japonais qui ferment notre
      panorama. Bien entendu, les textes produits seront magnifiques : je vous engage vraiment
      à les lire. Leurs progrès dans la libération de la langue et d'eux-mêmes est
      formidable.
 Autant la semaine dernière, il fallu délivrer Anthony et son fauteuil roulant du goudron
      frais, autant cette semaine, les travaux (et l'orage ?) provoquent une coupure de courant
      et la panne de l'ascenseur ! Il nous faut ainsi descendre des combles jusqu'au
      rez-de-chaussée Noëlle en fauteuil ! Je mesure encore l'extraordinaire solidarité qui
      existe et l'extrème douceur et attention des autres pensionnaires (merci Mounir !).
      Noëlle, toute confuse, se répand en excuses mais nous sommes déjà reparti pour aider
      Bernadette qui délaisse son déambulateur et s'accroche des deux mains à la rampe. Cette
      épopée s'apparente à la descente de l'Everest pour elle et elle n'est pas peu fière de
      son exploit arrivée en bas ! Étant donnée les péripéties induites par les travaux de
      l'hôpital ces deux dernières séances, quelle surprise vais-je trouver la prochaine fois
      ?
   Jeudi 20 juillet : C'est déjà la prochaine fois ? Pas de surprise... La
      chaleur est toujours accablante mais les deux ventilateurs installés à l'avance par
      Maryse rendent l'atmosphère respirable. On se met au travail. Et le travail d'aujourd'hui
      tourne autour du sonnet. Cette forme célèbre est sans doute l'une des plus anciennes et
      complète amirablement notre travail sur les formes brèves des haïkus de la séance
      précédente. En effet, en quatorze vers, le sonnet s'achemine déjà par nature vers une
      véritable histoire. La contrainte de la forme est ardue : il faut respecter l'alexandrin,
      l'alternance des rimes masculines et féminines, leurs agencements. A travers de nombreux
      exemples (Ronsard, Du Bellay, Mallarmé, Rimbaud, Baudelaire, Jaccotet), nous pouvons
      vérifier la puissance de cette forme avant de nous mettre au travail mais surtout
      vérifier qu'elle n'entame en rien la créativité des thèmes, bien au contraire, cette
      contrainte semble la décupler.J'ai ainsi envie d'essayer une écriture collective. C'est un peu risqué, nous partons à
      l'aventure. Chacun se met à l'ouvrage et tente de proposer un alexandrin. Petit à petit,
      le poème s'établit et la merveilleuse énergie de l'écriture, alliée à la
      construction des quatorzes vers nous incite à bâtir une véritable histoire, la
      rencontre entre un garçon et une fille... La chute et ses possibilités viennent donner
      de la gaieté à notre aventure. Comme quoi la poésie n'est pas affaire de vieux barbons
      perdus dans leur irréalité...
 La séance se termine joyeusement autours d'un marbré confectionné par Emmanuelle. A la
      prochaine ! Ce sera fin août...
   Jeudi 24 aôut : Fin août donc est déjà là et je mesure cette fuite
      rapide du temps. Ces deux heures avec notre petit groupe sont une respiration mais pour
      autant on ne peut oublier les à côtés et qui viennent directement influer sur cette
      organisation. C'est tout d'abord la difficulté croissante pour moi de lier ce travail
      avec mon activité professionnelle, je ne compte plus les casses têtes pour tenter de
      garder précieusement les dates retenues d'avance ici. Je ne pourrai ainsi pas continuer
      l'anne prochaine, je le sais depuis longtemps mais il importe plus d'induire une telle
      démarche qui me paraît précieuse et tenter de la faire continuer par d'autres. Ce qui
      est absolument à garder, c'est cette mixité des services. Aujourd'hui, le monde du CHS
      me paraît tellement cloisonné, enfermé dans la préoccupation constante du soin, mêler
      les différentes unités de soins,  soignants et patient réunis dans la même
      préoccupation commune de trouver le mot juste et d'aborder modestement la littérature
      pose un genre d'expérience nouvelle dont on ne s'aperçoit sans doute pas assez des
      bienfaits. Je repense à ce jour, à repas de midi pris en commun ici et à l'étrange
      remarque qu'un soignant m'avait faite pour savoir si par moment je pouvais me sentir
      menacé par une éventuelle crise d'un patient. J'ai failli éclater de rire tant cela me
      paraît saugrenu. Et c'est bien au contraire une impression de sécurité, la sensation
      d'être bien au milieu d'eux tous, sans aucune distinction entre eux et moi qui me
      rassure.  Dans ce genre de structure close, il est normal que des réticences
      s'installent. Chacun a à faire valoir un comportement qui est justement induit par ce
      monde qui fonctionne en autarcie sans aucune perméabilité. Dans la distance
      soignant-patient, cette différence est révélatrice de la coupure entre ceux qui
      participent au monde et ceux qui en sont écartés mais elle est évidente, obligatoire,
      enchâssée dans notre conception partagée du monde, dans notre acceptation tacite,
      sociale à ce que certains puisse participer au monde et que d'autres en soit écartés.
      Et même , nous légitimons cette organisation à travers des structures comme les CHS,
      d'où la nécessaire distance entre soignants et patients, où plus généralement entre
      un monde qui se croit valide car il a posé ses propres règles et ceux qu'il a écartés,
        la boucle est bouclée et c'est bien nous qui érigeons ces barrières. Autre
      exemple significatif : qui participe à l'organisation de ce monde ? Nous créons des
      structures qui se piègent elles-mêmes : un comble : organiser Lire en fête, qui est un
      de nos projets de départ, me paraît tellement distant, soumis à des règles non
      écrites, à des structures qui se sentent légitimées dans ce rôle, un comité des
      fêtes qui prend en charge cette organisation, par exemple, une bibliothèque mais qui
      demeure réservée au personnel soignant. Je ne suis pas venu pour bousculer tout cela, ce
      n'est pas mon rôle, mais si je passe à côté et que je ne dis pas ce que je constate,
      je ne remplis pas mon rôle... Compliqué ? Non, plutôt caricatural. Un dernier exemple :
      le hasard a voulu que je découvre la superbe médiathèque de Dole, le choc a été
      grand, mais plus encore que la différence qui existe entre l'accès à une culture
      presque démagogique tant elle est érigée en symbole élitiste et la conjoncture
      concertée et voulue qui écarte "l'autre monde" de celle-ci, c'est plus la
      possibilité que j'aurais pu avoir de ne jamais découvrir cette différence si proche
      géographiquement et pas seulement par négligence de ma part mais plutôt parce que je me
      laisse aussi enfermer entre les murs du CHS, entre les barrières connues, érigées
      d'avance et que nous acceptons machinalement. J'aimerais écrire plus longuement sur ce
      sujet, j'espère le faire quand j'aurais plus de temps. J'ai ainsi l'impression d'enfoncer des portes ouvertes mais je constate que nous avons
      beaucoup de chemin à parcourir pour nous comprendre... Heureusement, beaucoup sont
      partants pour faire évoluer les choses, n'est-ce pas Pascale ?
 Mais revenons à ces deux heures avec notre petit groupe et qui sont une respiration : la
      séance du jour était consacrée à la SF, martiens et petits hommes verts, Jules Verne
      et la Guerre des Mondes de HG Wells. Et bien entendu, la traditionnelle séance
      d'écriture a suivi quelques extraits lus par les participants avec leur entrain habituel.
      J'ai retrouvé avec émotion ce petit instant magique qui instaure le silence quand chacun
      est concentré sur sa feuille. J'ai retrouvé avec plaisir Madame Macherat, notre
      sympathique centenaire venue sans fauteuil roulant, Bernadette et Marie-Noëlle la suivent
      (de loin) dans l'ancienneté enfin, la petite troupe joyeuse des plus jeunes, Anthony,
      Emmanuelle et Raphaël, le retour de Vincent et Saadia qui se joignit pour la première
      fois à nous. Mais c'est à travers leurs textes que je
      préfère faire connaissance.
 
 
 Jeudi 7 septembre :
 Qu'est-ce qui me pousse à venir ici ? La vie est étrange. Cinq heures de route
      pour rencontrer moins d'une dizaine d'habitués pendant deux heures. Puis, reprendre
      patiemment leurs textes, les recopier, ceux de la séance, ceux
      que me confient Anthony, les récits de vacances de Marie-Thérèse, insérer les photos que m'a confiées Emmanuelle : du temps, beaucoup de temps au point de négliger
      ce qui pourrait être plus directement lié à une écriture plus personnelle, ne plus
      avoir de temps par exemple pour remplir ce site des rubriques habituelles que je tiens
      depuis six ans maintenant. Il doit y avoir quelque chose, une explication dans ce travail
      opiniâtre, dans cet attachement à venir, ce détachement de moi.  Ce que
      j'entrevois de mes participants me paraît essentiellement important. Au fil des séances,
      de leurs écrits, une sorte de reconstitution de leurs images semble apparaître. Je ne
      sais rien d'eux, sinon leur présence chaque quinzaine ou la petite déception de
      m'apercevoir qu'untel est absent. A travers eux, à travers l'écriture, c'est sans doute
      cette communication que je tente de comprendre, la genèse de celle-ci, sa brutalité à
      travers la langue, son authenticité pourrait-on dire, bien que je n'aime pas ce terme,
      trop folklorique, terroir s'il en est. Chacun dispense sa personnalité : Anthony aime
      inventer des mots, verbaliser des noms, nommer des verbes nouveaux, Marie-Thérèse
      utilise une syntaxe avec de rares sujets, cela donne cette impression subtile d'avoir la
      vie comme conduite à travers les autres, Emmanuelle s'implique avec une énergie palpable
      dans chaque écrit, Raphaël dépeint l'ensemble avec une finesse nostalgique, Mounir
      tente de maîtriser la langue et de la relier à ses émotions, Alain se veut poète dans
      la répétition des rimes, Bernadette et Noëlle, dont l'écriture est laborieuse,
      laissent entrevoir une gaieté qu'on ne soupçonne pas, Marcelle ne veut pas croire
      qu'elle a déjà cent ans...etc. Cette reconstitution d'eux-même et ensemble du monde
      qu'il relie me parait tellement déborder les barrières, les critères dans lesquelles
      nous les avons enfermés que je ne peux penser à eux et à ses séances sans englober une
      compréhension plus large, comment dire, presque universelle, la sensation très
      prégnante et aiguë qu'écriture, langue et communication ne forme qu'une sorte
      d'énergie, oui, c'est vraiment ce mot, énergie qui me paraît alors important, une
      énergie qui me paraît presque solide, palpable et que seule compte celle-ci, bien au
      delà des mots qui la manifestent. C'est sans doute ardu à expliquer mais au moment où
      je m'apprête à m'investir dans un autre projet dont l'art brut servira de fil
      conducteur, il me semble que ces réflexions me serviront. Art brut, brutalité de l'art
      et l'art en nous tous, non comme institution, mais comme débordement de soi et ici, dans
      l'enfermement qui nous réunis, c'est sans doute ce qui motive mon engouement.
 J'ai dit que je me sentirai pour longtemps traversé par cette expérience. Je l'ai dit
      lors de cette séance du 7 septembre à laquelle a participé l'ensemble des acteurs de ce
      projet, DRAC, association Accolad, décideurs du Centre Hospitalier Spécialisé. Merci à
      eux tous et surtout d'assurer la continuité de ce projet par la suite. En effet, une
      suite semble bien engagée et c'est vraiment ce à quoi je tenais le plus, d'abord parce
      qu'il me semble que c'est important pour les participants et plus encore pour les
      retombées insoupçonnables (car noyées dans le quotidien) de cette animation
      transversale à la vie de l'hôpital. Enthousiasme, c'est ce qu'a noté le représentant
      de la DRAC. Sans doute que l'enthousiasme qui préside à notre atelier n'est que la
      manifestation de l'énergie que produisent écriture, langue et communication. Tant mieux
      si on arrive à révéler celle-ci.
 Mais venons en à la séance du jour. D'habitude, je présente toujours un auteur et son
      uvre avant de tenter d'appliquer ce qu'il a écrit dans un exercice. Cette fois-ci,
      c'est différent : je distribue une vingtaine de photographies tirées en noir et blanc,
      sans donner aucune explication sur leur provenance, en leur demandant seulement d'en
      retenir une ou plusieurs et d'écrire à leur sujet. Comme d'habitude, il ne faudra pas
      longtemps pour que le silence s'installe, chacun vaquant à son texte. Par ailleurs je
      remarque qu'à chaque séance, ce temps de concentration s'accroît. Le résultat est comme d'habitude magnifique comme par exemple le
      très beau texte de Raphaël, le Roi et la Reine. A la fin, je présenterai auteur de ces
      photos, François Bon, juste retour de leur regards immobiles et empêchés à la
      rencontre de cet écrivain grand voyageur. A noter aussi que je découvre Emmanuelle en
      consommatrice assidue de la Médiathèque de Dole que j'avais dû égratigner lors du
      compte rendu de la séance précédente, craignant que ce ne soirt l'un de ces lieux qui
      ne mettent en valeur que la démagogie d'une région. Visiblement, il n'en est rien dans
      son fonctionnement et l'accueil qu'elle réserve...
 Je crois vraiment toucher juste en parlant d'énergie à propos d'écriture, il suffit de
      voir la pêche qui se dégage de leur attitudes, sourires à la fin de nos deux heures. Et
      c'est sans doute pour ce partage que je reviens, histoire de répondre à la question
      initiale, parce que c'est bien mon écriture personnelle qui en sortira transformée par
      eux.
 Dimanche 17 septembre 2006, journées du patrimoine :
 J'en ai profité pour ranger les écrits accumulés
      depuis chaque séance. Je tiens beaucoup à restituer ces manuscrits à chaque
      participant. Beaucoup de joie à tout retrier, noter les noms de tous ceux qui ont
      partagé leur écriture.Merci à Emmanuelle, Raphaël, Anthony, Bernadette, Noëlle, Saadia, Mounir, Pascale,
      Marie-Thérèse, Alain, Maryse, Gaëlle, Nicolas, Vincent, Lynn, Colette, Edith, Marcelle,
      Laetitia, Marie et Lionel.
 
 
  
   Jeudi 28 septembre :Trois semaines si vite passées depuis notre dernière séance. Dans 15 jours,
      nous aurons une après-midi spéciale Lire en fête rien que pour nous à la salle de
      spectacles de l'hôpital. La tension et l'excitation sont perceptibles mais peut-être pas
      seulement à cause de la proximité de notre manifestation et qui marquera la fin de cet
      atelier. L'habitude commune de se côtoyer a créé des liens, une proximité d'échanges
      plus forte. J'ai quitté la posture de l'écrivain (si tant est que j'en ai eu une, moi
      qui ai en horreur toutes les stupides manifestations de l'égo), du moins j'espère que ce
      que je représente démystifie l'écriture, d'une part, participe les faire travailler en
      conscience de celle-ci d'autre part. Et puis, force est de constater que beaucoup ont
      progressé, non pas tant dans la connaissance culturelle, qui est pourtant réelle,
      plutôt dans la curiosité de la découverte. Beaucoup sont enthousiastes, abordent la vie
      avec faim et ici, ce n'est pas rien de le dire. Parler de soi, écrire sur soi, avoir une
      opinion, pouvoir l'interprèter, l'argumenter, tous le font avec passion, discernement et
      méthode.
 Démystifier l'écriture donc... C'est drôle, ça me fait penser à Faulkner qui s'est
      toujours cru un imposteur en face des mots et je comprends ce sentiment que j'ai souvent
      ressenti, le droit à la parole en quelque sorte en regard de ceux - j'en fait partie - de
      conditions modestes, et qui pensent que cette part de pouvoir n'est pas pour eux.
      Justement, autre auteur américain et d'extraction modeste aussi, Raymond Carver est
      l'écrivain que je propose à notre seizième séance. Comme d'habitude, je dis quelques
      mots sur l'auteur et nous lisons des extraits de ses textes. L'adjoint au Directeur de
      l'hôpital arrive à point nommé au moment de cette lecture et du débat qui s'en suit
      (à noter l'implication sans faille de l'ensemble de la structure hospitalière avec en
      premier lieu Pascale, passionnée et pragmatique et qui sait bien que pour faire bouger
      les choses il faut montrer l'exemple et participer). Mais revenons à Raymond Carver : je
      suis surpris des réactions très positives qui suivent la lecture (voir par exemple
      "la cabine téléphonique", en note de lecture de
      la semaine dernière). Saadia parle de l'ambiguïté du malheur, Anthony du dérisoire de
      la vie qu' Emmanuelle qualifiera de clownesque lors de la séance d'écriture. Et c'est
      bien là tout le mystère de Carver que je perçois depuis longtemps : il écrit pour
      chacun de nous, intimement, et nous trouvons écho et signification dans les choses
      ténues qu'il raconte. Pour l'exercice d'écriture, on me demande si on peut écrire sur
      l'auteur, ce qu'il nous inspire. Ce déplacement et cette demande me ravit : exprimer une
      opinion, la suivre dans les méandres de sa pensée, la construire, c'est faire preuve
      d'autonomie, de distance vis à vis de soi. On lira donc le très beau texte d'Emmanuelle,
      le poème d'Alain, l'histoire de Marie-Thérèse qui emprunte l'humour noir de l'auteur,
      le goût pour la philosophie de Saadia, les pensées poignantes de Noëlle... Comme
      d'habitude, c'est bien leurs textes qui pour moi sont plus importants que le reste de
      l'atelier,  c'est l'aboutissement de chaque séance. Justement, un des extraits
      proposés de Carver parlait d'un homme et d'une femme qui contemplent deux colibris. Je
      l'avais placé là car il me semblait proche d'un texte autrefois écrit par Raphaël. En
      le relisant également, nous avons trouvé son texte du 9 mars
      aussi beau que celui de Carver... D'où les questions de Saadia, qu'est-ce qui fait qu'on
      va être un bon écrivain ? La durée ? L'authenticité ? L'uvre globale ou la
      fulgurance ? Bien malin qui répond avec certitude...
   Ultime rencontre de l'atelier, le 16 novembre
      2006 :Nous n'avions pas eu le temps de vraiment nous dire au-revoir dans la
      précipitation de notre manifestation Lire en fête. Je suis donc revenu avec
      plaisir pour une ultime séance et comme c'est l'écriture qui nous a tenu de lien, c'est
      encore ce biais qui nous a permis de conclure avec bonheur ce travail en commun.  Les
      textes sont bien entendu visibles...
 Merci encore et toujours à tous, à toi, Pascale.
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