depuis septembre 2000
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Notes de lecture
Ateliers d'écriture, de Martin Winckler, P.O.L. format
poche.
C'est un livre ramassé de 400 pages avec une machine à écrire en couverture, histoire
d'enfoncer le clou : on est là pour parler popote d'écriture, et gaiement, car
« si c'est pas l'fun, faut pas l'faire », nous dit l'auteur installé à
Montréal depuis 2009.
S'il reconnaît avoir été réticent pour animer des ateliers d'écriture au début des
années 2000, notamment à cause de « l'impressionnante activité d'un géant comme
François Bon », je jeune Winckler, arrivé au Québec a été sollicité pour cette
tâche : ainsi ce partage d'expérience.
Autant le dire tout de suite, cet ouvrage et les pistes de séances très intéressantes
qu'il ouvre, s'adressent à des habitués de la langue et déjà des passionnés de
l'écriture. Bref, pour moi impossible de m'en servir pour les « publics
éloignés » (comme on dit) qui forment la majorité de mes participants (mais bon,
ce qui me plaît, c'est aussi le démarrage d'une langue qu'on connaît peu, les
premières expressions qu'on retient, qu'on répète... Là, je m'égare, je m'égare,
revenons à Martin Winckler).
L'auteur donc, nous gratifie de séances du genre « Lettre à un absent » ou
« Mes vacances à... », qui sont autant de pensum pour
dénouer l'écriture.
Dans une dernière partie, Martin Winckler nous donne ses « histoires en
l'air », qui sont autant de textes et de nouvelles plus ou moins aboutis lui ayant
été inspirés par une démarche similaire à celles des contraintes que l'on rencontre
dans des atelier d'écriture.
Cette note de lecture date du 20/05/2021,
lorsque javais découvert ce livre. Je la complète aujourdhui car ce manuel
destiné aux « habitués de la langue et aux passionnés de l'écriture »
correspondait tout-à-fait au public de latelier de la médiathèque de Reims
Croix-Rouge. Jy ai donc puisé sans vergogne et notamment lors de la dernière
séance où jai distribué aux participants ses conseils intitulés « des
biscuits pour la route ».
Ainsi cette copie des efficaces « créative writing » anglosaxons correspond
à merveille aux besoins dateliers de haute volée. Et quel délice de pouvoir ainsi
pourfendre, comme le signale Martin Winckler, la vieille idée élitiste française :
« écrire, ça ne sapprend pas ».
(15/11/2024)
Écrit de jeunesse : Roller.
Ce court roman - de la taille dune nouvelle dAlice Munro ou de Raymond
Carver est le dernier qui soit resté dans mes tiroirs. Je ne lai jamais
proposé à un éditeur. A lépoque de sa rédaction (entre décembre 1998 et
février 1999), jéchangeais déjà avec François Bon depuis 6 mois et Roller est évoqué dans
quelques mails jusquen avril 1999 : « L'idée est que le verbe à
l'infinitif désigne l'action, la naissance du mouvement, la quintessence du geste et le
participe-passé ou présent, ce qui est, la description, l'immobilisme. ».
Préfiguration de la manière dont jécrirais Central
un peu plus tard ? Toujours est-il que nos échanges se poursuivent, mincitent
à délaisser Roller et à entreprendre la rédaction de ce premier roman publié
par Fayard sur lunivers de mon boulot : jenvoie à François le 8 mai, le
tout début de Central (demeuré inchangé). Y a plus qu'à en faire cent cinquante
pages, me répond-il.
Donc, Roller est supplanté par Central, mais il nempêche que
le tapuscrit existe, relié avec un boudin de plastique, avec une illustration de
couverture réalisée à lencre et à laquarelle. Il y a deux citations en
épigraphe, lune dAnne-Marie Garat, Sur la pente du toit, lautre
de Françoise Lefèvre, Le petit prince cannibale. Jai mêlé les deux car
elles me semblent répondre à mes préoccupations décrivain : « - Quand
serons-nous tranquilles, sereins, simplement à laise, heureux ? Si seulement
je nécrivais pas de romans. /- Alors pourquoi écrire ? Justement parce que
cest autre chose. Parce que cela procède dun rendez-vous surnaturel ».
La lecture de Roller mapprend que jai tenté de réécrire sans
marquer de réel sujet, comme je lentrevoyais pour Central. Mais le premier
jet étant déjà écrit avec une narration quasi-classique, lensemble repris ainsi
est lourd : jabandonne à lépoque (mai 1999 ?) au début du second
chapitre. Du coup, lorsque je lis ce premier jet de Roller, la narration avec deux
protagonistes (un « je » et un « elle ») est bien plus fluide.
Lhistoire pourrait se résumer ainsi dans une quatrième de couverture :
Cest lhiver. Le narrateur à lhabitude darpenter en rollers les
berges dun lac. Il rencontre une jeune ornithologue qui observe les oiseaux. Le soir
et le mauvais temps les obligent à rester ensemble dans le gite quelle a loué. Le
lendemain matin, une caravane de gens du voyage est installée devant la maison. Qui
sont-ils ? Cette histoire revisite le mythe dAdam et Ève, le diable et le
surnaturel ne sont jamais très loin ». Le style est fait de phrases courtes,
tronquées, de réflexions passagères et de pensées inabouties. Lambiance de
solitude et dhiver est bien rendue.
Jai gardé également les fichiers informatiques (accessibles uniquement par un
traitement de taxte basique, type Wordpad).
(01/11/2024)
Saïd, de Fabienne Swiatly, La fosse aux ours.
La façon dont nous parviennent certains livres, est parfois porteuse dune histoire
aussi romanesque que le récit en question : ainsi Saïd, de Fabienne Swiatly.
Cest Estelle, qui me la apporté. Une dame chez qui elle effectue quelques
ménages a retrouvé ce livre dans une pile douvrages en attente, avec une carte
postale (de Noël mais de quel Noël ?), mentionnant le prénom
dEstelle, celui dune certaine Marie-Noëlle ayant prêté ce livre et lui
demandant de le faire suivre à Thierry une fois quelle laurait terminé. Nous
nous sommes interrogés sur cette cascade de prénoms en échafaudant quelques
hypothèses, sans parvenir à résoudre le mystère de la fameuse Marie-Christine qui a
signé la carte postale, prénom qui ne nous dit rien.
Je suis maintenant en possession du livre (limportant cest quil circule
- et cest ça qui est génial avec la lecture traditionnelle en paquets de
feuilles). Donc, je lai lu et avec intérêt, car le travail de Fabienne Swiatly ne
mest pas étranger. Jai cité Gagner sa vie dans la bibliographie de ma
thèse sur les récits du travail (un opus écrit en 2006) et jai continué à suivre de loin son
écriture.
Saïd raconte lhistoire dune fillette polonaise qui se lie
damitié avec un jeune garçon algérien. Cette relation déplait dans cette famille
populaire, mère dépassée, père usé par son travail, deux frères livrés à
eux-mêmes. Le style de Fabienne Swiatly sonne juste, sans misérabilisme, sans emphase
non plus, sous le regard de cette fillette coincée entre lenvie de souvrir
aux autres et la réticence imposée par sa modeste condition. Ce petit livre de 73 pages
reste en tête et cest sa vraie réussite.
Je vais le rendre à Estelle, qui ne la pas encore lu, Estelle, dont le mari est
algérien et dont les enfants (qui allèrent en classe avec les miens) sont blonds comme
les polonais de cette histoire.
(27/10/2024)
La constellation Rimbaud, de Jean Rouaud, Grasset.
Paru il a 3 ans, cet essai est réservé aux aficionados du poète, mais pas que.
En choisissant de présenter cette « constellation », cest-à-dire tous
les gens qui ont gravité plus ou moins autour du fameux poète ou qui ont contribué à
le faire connaître, Jean Rouaud place sur le même plan ceux que lhistoire
littéraire a retenu pour lélaboration du mythe, comme Verlaine, et les plus
modestes, comme ce voisin Fricoteaux qui laperçut seulement quelques fois dans le
hameau de Roche (en note dÉtonnements). Et cest tant mieux, car il faut
appréhender la multitude des écarts entre les lumières parisiennes, londoniennes ou
bruxelloises, les contrées africaines du Harar ou dAden ou la campagne ardennaise
pour connaître toute la multitude des aspects dArthur Rimbaud.
Poursuivre un mythe, cest embrasser un fantôme et Arthur doit bien ricaner tout
là-haut en découvrant lagitation post mortem quil provoque.
« Nous sommes accablés dun manteau dignorance et détroites
chimères », écrivait-il à 15 ans et demi
(16/10/2024)
Dans les forets de Sibérie, de Sylvain Tesson,
Gallimard.
Prix Médicis essai en 2011, cet ouvrage est un journal tenu par lécrivain
voyageur Sylvain Tesson qui fit retraite dans une cabane en bois au fin fond de la
Sibérie. Exploit toutefois à mesurer : cest également le quotidien de
chasseurs et dautochtones de cette rude contrée quil a vécu pendant quelques
mois seulement avant de revenir à la civilisation. Ce récit est également à mettre en
regard avec Ermites dans la Taïga, de Vassili Peskov, qui décrivait la vie de
vieux croyants reclus dans cette même Sibérie (note de lecture du 16/02/2024). Mais il y
a évidemment le désir romanesque de séloigner du monde, le mythe dun voyage
à la Robinson Crusoé, et il faut dire que Sylvain Tesson excelle dans lart de
raconter à la fois son quotidien, mais aussi de distribuer quelques remarques
philosophiques ou érudites. Je lavais lu il y a de nombreux mois, puis oublié. Je
viens de le relire avec toujours le même plaisir.
(09/10/2024)
La fileuse de verre, de Tracy Chevalier,
éditions La table Ronde.
De Tracy Chevalier, on connaît le grand succès de La jeune fille à la
perle.
Ceci dit, nallez pas croire que La fileuse de verre, qui fabrique des perles
de verre à Murano, est un remake du fameux best-seller paru vingt-six ans
auparavant. Lécrivaine, qui sest spécialisée dans le roman historique, a en
effet publié 8 romans avant de renouer avec ce sujet proche. Dans la grande page de
remerciements à la fin du livre, on constate que ce thème lui a demandé beaucoup de
recherches. Et on comprend mieux le chemin un peu tortueux que prend le roman. Tout
dabord, lendroit, Murano, île proche de Venise est particulier. A la fois
excentré et à lécart de lagitation de la cité des gondoles, il tente de
préserver sa spécificité et notamment lartisanat du verre déjà présent au XV°
siècle dans le petit îlot. Cest à cette date que Tracy Chevalier met en scène
ses personnages, et notamment la famille Rosso qui possède une modeste verrerie. Orsola,
la petite fille de la famille, grandit dans cet univers et connaît rapidement toute cette
industrie éprouvante à cause de la chaleur des fours, de la dangerosité du verre et
dans laquelle les femmes ont peu de place. Peu à peu, toutefois, à la suite de
circonstances pénibles (son père meurt troué par un éclat de verre), Orsola apprend à
fabriquer des perles, une maigre verroterie qui a du mal à simposer dans
lunivers des lustres magnifiques et des vases ouvragés, mais qui sauve la petite
entreprise de la ruine. Nous suivons donc le destin de la famille Rosso, cependant
dune étrange manière, car lintrigue fait des bonds dans le temps en
conservant ses personnages. Ainsi, si, dans les premières pages, Orsola est une fillette
du XV° siècle, à la fin du roman, elle est devenue septuagénaire au XXI° siècle et
son mari est mort du Covid. Au final, ce parti pris des bonds dans le temps passe bien et
est destiné à montrer léternité de lactivité des hommes, comme la
fabrication du verre à Murano.
(02/10/2024)
La nuit. Le sommeil. La mort. Les étoiles, de Joyce
Carol Oates, éditions Philippe Rey.
Ce long roman, de plus de 900 pages, emprunte son titre à un poème de Walt Whitman,
cité en épigraphe. John Earle, personnage respecté de lÉtat de New-York, tente
de venir en aide à un individu malmené par des forces de police lors dun contrôle
routier. Mais les policiers font usage de leur Taser envers lui. Il meurt. Voici le point
de départ de lintrigue. Sa famille est abasourdie, son épouse est perdue ?
Ses cinq enfants réagissent différemment. Lune des filles souhaite que sa mère
soit une veuve exemplaire, murée dans la douleur. Lautre ne sentend pas avec
sa sur. Une troisième, plus jeune, tente de garder son indépendance. Un des fils,
un peu hurluberlu, semble toujours à côté de la plaque. Un autre, au contraire,
enquête sur la disparition de son père et tente de faire valoir la vérité. Chacun,
pour autant, doit faire preuve découte et de compréhension, se serrer les coudes
dans cette épreuve. Sautant plus quun troisième personnage fait irruption
dans la vie de la veuve, un aventurier dont elle tombe amoureuse, rejetant le prétendant
désiré par lune des filles. Dans cet imbroglio de personnages et de situation, le
savoir-faire de Joyce Carol Oates fait merveille. Dialogues plus vrais que nature,
réflexions ciselées, décisions et revirements inattendus : du grand art !
Lavant dernier chapitre qui décrit un dîner de Thanksgiving clôt magnifiquement
le livre. Le dernier est en trop, à mon avis.
(21/09/2024)
Rouge karma, de Jean-Christophe Grangé, Albin
Michel et Le livre de poche
Je nai jamais lu Grangé. Mon épouse, qui lit pas mal de policiers et de
polars, est une habituée de lauteur (cest souvent « gore »,
dit-elle). Non que je snobe ce quon a longtemps considéré comme de la
sous-littérature, mais il y a tant de livres à lire. Peut-être est-ce pour moi le
début dun cycle de lecture de ce genre ? Je me souviens que René Fallet avait
eu une période acharnée où il avait lu tout Simenon avec son épouse Agathe.
Bref, me voici dans les premiers chapitres et effectivement cest gore
Ça se
passe en mai 68, et, tandis que les policiers ont autre chose à faire, deux crimes
particulièrement sanglants visent le petit monde estudiantin en révolte. Deux
étudiantes sont assassinées, une troisième y échappe. Leurs points communs :
connaître un certain Hervé, étudiant lui aussi, qui les drague mollement. Pour parfaire
le tout, le flic qui enquête, traumatisé par la guerre dAlgérie à laquelle il a
participé, nest autre que le grand frère dHervé. Voilà :
lintrigue est en place, elle conduira jusquen Inde puis à Rome un trio formé
des deux frères et de létudiante rescapée. Bien sûr, la mécanique du récit
senchaîne à merveille, actions, rebondissements, personnages typés, la belle
étudiante, le flic tourmenté, cela fait partie des poncifs du genre. Jean-Patrick
Manchette aurait surfé sur la même vague, mais presque en direct de son époque. Paru
lannée précédente et bien documenté sur 68, le livre se lit sans déplaisir, on
en ressort avec lidée quon ne mettra jamais les pieds en Inde et que le temps
sans portable ni Internet avec juste des cabines téléphoniques, cétait vachement
bien (ça facilite aussi beaucoup lintrigue, les protagonistes ne scrollent pas à
tour de pouce et regardent autre chose que leurs écrans et des rapports de caméras de
surveillance quelle belle époque !)
(13/09/2024)
Lannée de
léveil, de Charles Juliet, P.O.L.
Ce livre paru en 1989 est le seul véritable récit de lauteur. Ce
nest pas un roman, plutôt des mémoires, mais le style en est si clair, les
émotions si bien racontées, quon se sent un peu comme dans Le grand Meaulnes. Le
héros est lécrivain lui-même, alors adolescent interne dans une école militaire.
La cruauté du casernement est un peu tempérée par la camaraderie avec ses congénères
et le sport, rugby et boxe quil pratique. Mais léveil en question dans le
titre est dû à la lépouse de lofficier qui dirige le camp et qui a pris en
amitié le jeune garçon. Cependant le jeu dangereux de la séduction le met en porte à
faux avec son chef quil admire et quil hait en même temps, projetant même de
sen débarrasser lors dun exercice de tir. Emprunt dune grande tension
sensuelle qui se mêle à la brutalité de cette existence, ce récit sans autre
dénouement que larrivée des vacances est empreint dune grande humanité et
dun bel espoir pour la vie à venir.
(06/09/2024)
Robinson Crusoé, de Daniel Defoe, Pléiade.
Jai le privilège davoir la très belle édition Pléiade de Robinson
Crusoé. Ce beau livre, paru en 2018, reprend la traduction de Pétrus Borel, publiée
en 1836. Il est agrémenté de 150 illustrations du dessinateur suisse Dumoulin, qui
nont jamais été associées à une parution concomitante du roman, mais étaient
destinées à une édition essentiellement imagée de lhistoire de Robinson
réalisée en 1810, donc antérieure à la traduction de Pétrus Borel. Il est
intéressant de préciser cette chronologie, car elle met en valeur limmense succès
que connu le roman de Daniel Defoe, dès sa parution en 1719. En effet, le succès
dépassa largement lAngleterre natale de lauteur et la première traduction en
français eut lieu dailleurs lannée suivant sa première parution.
A quoi doit-on ce succès ? A léquipée bien-sûr vécue par le marin Robinson
Crusoé, qui vécut seul sur son île déserte pendant 28 ans avant de rencontrer Vendredi
et de parvenir à regagner la civilisation. Nous connaissons tous lhistoire, mais
nous lavons surtout appréciée dans des éditions épurées pour la jeunesse qui
ont immédiatement suivi et où les aventures les plus spectaculaires étaient mises en
valeur.
Personnellement, je navais jamais lu la consciencieuse et magnifique traduction
complète de Pétrus Borel. Et comme beaucoup, je ne connaissais que la première partie
des aventures de Robinson Crusoé. Il nest pas sûr que notre vie moderne nous fasse
apprécier le roman, si on ne fait pas leffort de le replacer dans le contexte
géographique et historique de lépoque. Nous ne pourrions adhérer, ni au
réflexions religieuses puritaines affiché par Daniel Defoe (et pour lequel il
sengagera contre les tentations catholiques du gouvernement de lépoque), ni
à lindifférence quil manifeste au sujet de lesclavage, alors en plein
essor dans le monde colonial de lépoque.
Lorsquon dépasse ce mode de pensée, normal pour lAngleterre du début du
XVIIIème siècle, on arrive à apprécier lextraordinaire inventivité de
lauteur qui fait tout pour nous persuader que cest Robinson lui-même qui nous
raconte sa vie. On ne peut que louer linventivité du naufragé qui parvient à
survivre, à élever des chèvres et à cultiver un jardin pour subsister. On tremble
devant les bêtes féroces (des tigres !) qui assaillent les marins, nhésitant
pas à se jeter à leau pour les poursuivre. On a la nausée devant les scènes
anthropophagiques des peuples indigènes.
Contrairement à nos souvenirs de lecture, lîle déserte de Robinson, devient, peu
après sa rencontre avec Vendredi, une terre convoitée et Robinson à fort à faire pour
nourrir tous les réfugiés quil accueille, autochtones persécutés,
équipages divisés par des mutineries
A la fin de cette première partie, Robinson,
devenu prince en son royaume dancienne île déserte, fini par récupérer un navire
et rejoint ainsi la civilisation avec tous ses fidèles.
La deuxième partie est encore moins connue, mais tout aussi digne dintérêt.
Cest la suite des aventures de Robinson, revenu à la civilisation. Il tente de
retrouver ses biens, constitués avant son naufrage et notamment une plantation au Brésil
On y retrouve les ardeurs religieuses et puritaines de lauteur et plus encore que
pour la première partie, nous sommes heurtés par la manière dont lesclavage vient
en aide aux colons, sans le moindre regret ni la moindre considération pour ses peuples
non-chrétiens au départ.
On comprend que Daniel Defoe ait suscité beaucoup de réactions de la part
décrivains actuels comme Michel Tournier qui laisse la parole à lindigène
dans Vendredi où les limbes du pacifique, ou Patrick Chamoiseau dans Lempreinte
à Crusoé qui donne une caution rousseauiste à lhistoire au profit de
Vendredi.
(17/08/2024)
Trente mille jours, de Maurice Genevoix, Seuil.
Je ne crois pas avoir relaté ce livre de Maurice Genevoix en Notes de lecture, je
nen trouve pas trace dans les 63 occurrences de lécrivain qui jalonnent mon
site. Sa lecture est déjà ancienne, jai retrouvé cet opus dans ma bibliothèque,
sur le rayon complet consacré à lauteur que je tiens en grande estime.
Évidemment, cest le titre, Trente mille jours, qui ma attiré, faisant
écho à cette mise à jour basée sur des chiffres (684 votants et 364 textes en
rubriques Étonnements et Notes décriture). Mais cela a été loccasion de
relire ce récit qui relate les « trente mille jours » de la vie de Maurice
Genevoix. Lorsque paraît en 1980 cette mémoire autobiographique, lécrivain est
dans sa 90 ème année. Jai retrouvé une photographie de cette époque, prise quelques mois auparavant par Ulf
Andersen : lhomme y semble étonnamment jeune et malicieux. Peu après la
parution de Trente mille jours, il décèdera un jour de forte chaleur dans sa
résidence dété en Espagne. Ainsi, cest une vie bien remplie quil
raconte avec passion et retenue dans ce récit. Javais toujours considéré
jusque-là cet écrivain comme dune longévité exceptionnelle, tant
dépreuves traversées, la guerre de 14, et tant de livres écrits ensuite dans la
sérénité retrouvée. Je navais jamais fait le rapprochement avec mon père, qui,
a 2 mois près, a disparu au même âge, également avec une vie aventureuse bien remplie,
avant de sinstaller dans un bonheur désiré, avec la même ferveur que lhomme
des Vernelles. Yougoslave qui lui rend hommage, est un peu ses « trente-mille
jours à lui ».
(02/06/2024)
Itinéraire dun bibliophile voyageur, de
Dominique Larrey
Jai rencontré Dominique et Arielle Larrey lannée précédente en Colombie.
Au cours des jours que nous avons passés ensemble, nous avons beaucoup échangé sur nos
voyages respectifs, mais eux, plus que nous, ont grandement arpenté le monde. Ils ont
transmis leur virus à leurs trois enfants, les deux garçons sont devenus photographes
animaliers et leur fille, qui travaille à TF1, réalise régulièrement des reportages au
bout du monde, le dernier date de seulement quelques jours. Nous nous sommes revus à
Montier en Der, où leur aîné était linvité dhonneur du festival animalier
(voir Étonnements du 04/12/2023).
Nous avons aussi beaucoup parlé de livres et je connaissais lattrait de Dominique
pour la bibliophilie et notamment les livres de voyages.
Je nai guère été surpris lorsquil ma envoyé son Itinéraire
dun bibliophile voyageur. En revanche, je lai été lorsque je me suis
plongé dans la somme érudite qui constitue ce volume de 318 pages. Tout ce que vous
voulez savoir sur les livres anciens sans avoir jamais osé le demander sy
trouve : librairies spécialisées, ventes aux enchères, comment évaluer un livre,
quest-ce qui en fait sa richesse
Dominique partage avec générosité ses
connaissances. On en apprend aussi beaucoup sur ce collectionneur : hyperactif,
sommité dans le monde médical, partagé entre ses voyages et sa passion, Dominique
na pas son pareil pour raconter une tractation de vente aux enchères réalisée à
distance, parfois nhésitant pas à interrompre un colloque quelques minutes pour
acquérir une rareté.
Ce livre dailleurs est également une curiosité : pas de maison
dédition et une sortie sans publicité. A coup sûr, cet deviendra Itinéraire
dun bibliophile voyageur par la suite un livre que tout collectionneur rêvera
davoir.
(19/06/2024)
Au-delà des sommets, de
Kilian Jornet, éditions Artaud
Cest ma collègue Anne-Lau, avec qui je courais lorsque je travaillais encore, qui
ma parlé pour la première fois de Kilian Jornet. Cest elle aussi qui
mavait fait découvrir les trails, il faut dire quelle avait lhabitude
darpenter les vignes de Champagne en petites foulées. Bons souvenirs donc et de
belles compétitions ensemble.
Pour en revenir à Kilian Jornet, ce nest pas les petites foulées qui font sa
réputation, jugez plutôt : 4 fois vainqueur de lultra-trail du Mont-Blanc
(170 km et 10000 m de dénivelé) dont la dernière fois en moins de 20h. On ne compte
plus les records dascension quil a établis : Chamonix-Mont Blanc en
moins de 5h, aller-retour du Cervin en moins de 3h, lEverest sans oxygène en 26h,
exploit quil réitère quelques jours plus tard, sans laide de sherpas en 17h.
Ce livre raconte bien entendu ces exploits, mais surtout, tout ce qui les dépasse
« au-delà des sommets ». Car lhomme est redevable. Il sait quil
est privilégié : enfance dans un refuge dans les Pyrénées, père guide de
haute-montagne, mère entraineur de ski, un premier 3000m réalisé à 3 ans.
« Lhiver, pour aller à lécole, avec ma sur, on faisait quinze
kilomètres en ski de fond. », dit-il. Marié à une athlète norvégienne, il
aspire désormais à lutter contre la pollution et dénonce lexploitation abusive de
la montagne en se remettant soi-même en cause. Un des passages les plus beaux de son
livre est lorsquil raconte une randonnée (en courant bien sûr) de plusieurs jours
sur lensemble des sommets norvégiens, sans chrono, juste pour le plaisir, tout seul
avec son sac à dos. Je le comprends dautant mieux que je ressens la même
exaltation lorsque je pénètre tout seul en modestes foulées dans une forêt pour une
balade de 16 km avec mon petit sac de trail, mes 2 barres de céréales et ma
réserve deau.
(09/06/2024)
Marchands de sable,
dAgnès Mathieu-Daudé, Flammarion
Suzanne, issue dun milieu populaire, a épousé lhéritier dune
dynastie industrielle établie en Sardaigne. Préoccupée par les enjeux environnementaux,
elle déchante face à une famille juste intéressée à conserver son train de vie et ses
avantages. De plus, Suzanne découvre un secret bien gardé : son mari, alors enfant,
aurait été enlevé par des militants dextrême-gauche au moment où lItalie
était en proie à des groupuscules révolutionnaires. Lindifférence familiale au
sort du bambin la révolte autant que sa fortune amassée par des compromissions avec
Mussolini et dautres accords louches.
Suzanne semble ainsi découvrir la cupidité du capitalisme avec un angélisme désarmant.
On reste cependant sur sa fin dans cette histoire puisque lhéroïne, assez
confusément, semble adopter toutes ces compromissions. Alors, tout ça pour ça ?
Le style dAgnès Mathieu-Daudé est toutefois convainquant et la peinture de la
Sardaigne (jy étais quand je lai lu) bien documentée.
(02/06/2024)
Vivre vite, de Brigitte Giraud, Flammarion.
Jai rencontré Brigitte Giraud en 2004 aux Petites Fugues de Franche-Comté
où elle venait présenter Marée noire. Pour ma part, je venais de publier Paysage
et portrait en pied de poule. Je sortais dune présentation de mon livre et
javais rejoint le petit groupe venu lécouter à la médiathèque de
Champagney en Haute-Saône. Jai retrouvé Brigitte Giraud en 2008 où elle
organisait la fête du livre à Bron. Elle mavait invité, javais publié CV
roman, lannée précédente, et javais retrouvé avec grand plaisir
François Bon qui venait de publier sa bio de Bob Dylan. Ensuite elle a dirigé la
collection la forêt chez Stock et elle a édité Anne Savelli (Franck, 2010).
Cest une autrice que je lis souvent et Vivre vite, récompensé par le
Goncourt en 2022 est pleinement justifié. Son uvre est souvent traversée par le
drame quelle a vécu : son compagnon est décédé dun accident de moto
en 1999. A présent, un précédent récit publié en 2001, évoquait déjà ce
même sujet (Note de lecture du 08/12/2004).
Vivre vite reprend ce thème avec lexploration intacte, même après plus de vingt
années, de faire en sorte que le destin bascule autrement.
(12/04/2024)
Instants handball, Alain Delatour et Thierry
Beinstingel, Le livre d'art.
Jai déjà souvent évoqué le projet Instants Handball, auquel jai
participé, mais jamais dans cette rubrique le
livre qui en a découlé, publié en 2016 chez la très belle maison dédition Le livre d'art. Seul ouvrage
labelisé par la fédération française de Handball pour les championnats du monde
organisés en 2017, il réunit lensemble des textes et des peintures proposés
depuis 2015 dans les diverses expositions. On y trouve également le travail réalisé
avec les écoles primaires de Dunkerque puisque léquipe professionnelle de lUSDK, pilier sportif de cette ville, a
été notre partenaire, grâce à Alain. Tandis que janimais quelques ateliers
décriture, Alain a réalisé avec les élèves une immense fresque qui a orné
également les abords du terrain lors de la manifestation. Cette fresque est dépliable et
reproduite dans le livre. Jajoute que des coffrets frappés du logo de lUSDK
dans lequel sinsère notre ouvrage ont été réalisé par un autre sponsor. Bref,
tout concourt encore à ce que Instants handball demeure un objet dexception,
même cinq ans après les championnats du monde puisque les succès de nos équipes
nationales féminines et masculines sont toujours au plus haut niveau.
(04/04/2024)
Summer, de Monica Sabolo, Jean-Claude Lattès.
Jai lu ce roman il y a plusieurs mois, presque un an peut-être et je dois dire que
je ne men souviens pas beaucoup. Il mavait été conseillé, ou plutôt, une
discussion au sujet de la possible adaptation de ce roman au cinéma mavait incité
à le lire. Je garde juste le souvenir dune disparition au bord dun lac, une
jeune fille (Summer) que le narrateur (son frère) narrive pas à oublier, partagé
entre le remords davoir été un témoin qui na rien pu faire. Je ne sais
même pas si lintrigue se résout, si on connaît la vérité à la fin.
Dabord, je ne révèlerai pas le dénouement bien sûr, et surtout, je suis un
spécialiste de loubli des péripéties finales. Je peux regarder cent fois un film
policier, je découvre à chaque fois celui qui a tué comme si cétait la première
fois. Cest pratique lorsquon lit des récits à suspense, la fin paraît
toujours inédite.
Avec tout cela, vous nêtes pas plus avancé pour connaître mon sentiment au sujet
de ce roman : jai juste gardé limpression que le récit était bien
mené et bien écrit. Mais au moins que mon petit laïus amnésique vous incite à le lire
à votre tour.
(22/03/2024)
La tentation du pire, lextrême droite en
France de 1880 à nos jours, de Pierre-Louis Basse et Caroline Kalmy, avec les
regards de Dany-Robert Dufour, Benjamin Stora, Jérôme Leroy et Adrien Gombeau, éditions
Hugo Image.
Cétait la veille de Noël, derniers achats en vue du Réveillon, dans une librairie
de Mont-de-Marsan, jai vu ce livre, je me le suis offert égoïstement (non merci,
pas de papier cadeau). Ce qui ma attiré dans le titre cest 1880, car
cest exactement à ce moment précis quil me semblait que justement,
lextrême-droite avait commencé. Plus précisément 1885, pleine affaire du Tonkin
avec Jules Ferry, quelque chose qui me paraissait emblématique des relations
colonialistes de lépoque et que je creuse un peu dans le nouveau livre à venir,
bref
Ceci dit, lextrême-droite démarre vraiment sur le sol français avec
laffaire Dreyfus, antisémitisme, méfiance de la démocratie, manipulation des
foules
Tout cela est magistralement retracé dans cet ouvrage qui fait la part belle
aux documents dépoque. Bien sûr, lhistoire va senchaîner via les
drames quon connaît et qui mèneront à Pétain, englueront lhistoire.
Hélas, ce nest pas que dhistoire quil sagit et cest là
tout lenjeu de ce livre, de montrer comment les faits (qui sont têtus, comme le
répète souvent Pierre-Louis Basse) découlent de celle-ci, comment lactualité a
un lien évident avec nos vieux démons, une guerre dAlgérie ravalée à grand
peine et des racines qui prennent jusque dans le terreau de lancien régime.
Cest détaillé, opiniâtre, partisan et on en redemande. Heureux davoir pu
lire les contributions des co-auteurs cités, je noublie pas la reproduction de
larticle ô combien nécessaire dAnnie Ernaux à propos des dérapages
dextrême-droite rédigés par Richard Millet. Quant à Pierre-Louis Basse, je me
souviens avoir été interviewé par lui et avoir constaté un lecteur précis, véritable
passionné de littérature. Oui, on peut aimer les écrits de Céline, Drieu ou
Brasillach, et détester les idées quils ont véhiculées. Faire la part des
choses, savoir comment fonctionne le mouvement des idées nauséabondes est devenu
salutaire dans notre époque où les « roms » deviennent les juifs à abattre, où il
est si facile de hurler avec les loups quand tout semble aller mal, la crise est toujours
la faute des autres
Bravo pour ce livre indispensable !
(15/03/2024, note initialement parue le 08/01/2014, reproposée le 02/05/2017)
New York sans New York, de Philippe Delerm, Seuil.
Écrivain minimaliste (comme il se décrit lui-même dans ce livre, reprenant
létiquette qui lui colle à la semelle comme un chewing-gum), Philippe Delerm
na jamais mis les pieds dans la ville-pomme, et on comprend quil nira
jamais. Ce qui ne lempêche pas de parler avec passion de cette ville, de la même
manière que je suis capable de décrire Sarajevo dans Yougoslave, bien que je
ny ai jamais mis les pieds. Beaucoup de lieux sont ainsi dépassé par la charge
mythique quils représentent. Souvenir dun voyage en Égypte, où juste après
avoir atterri, nous voilà propulsé pour un son et lumière aux pieds des gigantesques
pyramides, ce qui fait dire à une voisine de voyage : « cest bien joli
tout cela, mais quand est-ce quon verra les vraies ? ».
New York porte en elle ses légendes, la ville cosmopolite, la ville démesurée, la ville
qui ne dort jamais
Philippe Delerm les reprend à son compte mais se sert de la
manière dont la ville apparaît dans les livres ou au cinéma avec Woody Allen. Il
évoque aussi Vivian Maier, la photographe ignorée de son vivant, récemment découverte,
et qui a su magnifiquement exprimer les situations de quartier et les poésies urbaines.
On voyage donc, Central Parc, Madison square Garden, Bronx, Brooklyn, Harlem, on court le
marathon avec Dustin Hoffman (qui ne figure pas dans le livre, mais quand même).
Lécrivain évoque le World Trade Center et le Onze septembre, mais à travers la
photo controversée de Thomas Hoepker qui montre 5 jeunes gens discutant paisiblement sous
le soleil alors que les tours brûlent. Mais cest cela aussi New York, un endroit
immuable, invincible, où la vie des hommes se régénère sans cesse.
(01/03/2024)
Correspondance dArthur Rimbaud, de
Jean-Jacques Lefrère, Fayard.
Jean-Jacques Lefrère a réalisé un travail titanesque pour réunir toute la
correspondance établie autour du vivant dArthur Rimbaud, mais aussi toute celle qui
a suivi la disparition du poète jusquen 1920. Cette somme considérable représente
4 tomes et plus de 5500 pages.
On mesure la générosité et lesprit scientifique de lauteur, par ailleurs
éminent hématologue, pour livrer le fruit de ses recherches. Le grand intérêt de cette
étude consiste en labsence de commentaires, digressions ou avis personnels,
auxquels un personnage mythique tel quArthur Rimbaud ne peut ordinairement
échapper. La correspondance nous est livrée ainsi, brute de fonderie (avec toutefois un
nombre abondant de notes de bas de page, sur la provenance et les circonstances des
articles retrouvés) et cest à nous, lecteurs, de voyager entre les lettres
écrites par le poète, celles qui le concernent, les articles de presse qui vont
participer à la construction de la légende, à nous donc, de nous faire une opinion.
Cest assez rare en littérature de laisser un champ ouvert au lecteur et cest
important de le souligner. Bien sûr, il faut empoigner cette prose et ces missives à
bras le corps. Mais quel voyage dans la fin du XIXème et le début du XXème !
Je me suis largement inspiré de cette somme pour écrire Vie Prolongée dArthur
Rimbaud et jai dailleurs dédié ce roman « en mémoire de
Jean-Jacques Lefrère (1954-2015) » lors de sa parution en 2016. Jaurais dû
en effet rencontrer lauteur de cette quantité fantastique de recherches. Mon
éditeur allait organiser un rendez-vous, mais hélas, Jean-Jacques Lefrère a
soudainement disparu. Il reste ces quatre tomes, inépuisables dans lesquels je vais
fréquemment regarder.
Ainsi, à loccasion des lettres à sa famille récemment données au musée de
Charleville, sachez quelles étaient déjà recensées (dailleurs existe-t-il
une seule missive encore inédite relative au fameux poète ?). Jean-Jacques Lefrère
a précisé pour chacune delle « localisation actuelle inconnue », mais
désormais elles sont revenues à leur destination voulue par Arthur Rimbaud : dans
les Ardennes.
(23/02/2024)
Ermites dans la Taïga, de Vassili Peskov, Actes
Sud.
Cest mon cousin Philippe qui ma conseillé ce livre. Curieux de tout,
il sest découvert une vocation tardive pour les voyages, Sardaigne, Italie,
Roumanie, Dordogne, Autriche et bien dautres escapades accomplies depuis décembre.
Et ainsi ce récit Ermite dans la Taïga lui a beaucoup plu. Je lai dévoré
à la suite.
Ce nest pas un récit de voyage proprement dit, ou plutôt, les héros de cet
ouvrage sont sédentaires, reclus au fin fond de la Sibérie depuis toujours ou
presque
En février 1982, le journaliste russe Vassili Peskov entend parler
dune petite communauté qui vit dans une contrée totalement perdue. Quelques
années auparavant, des géologues installés à proximité ont repéré depuis un
hélicoptère des traces de potagers et de constructions. Ils entrent en contact en 1978
avec cette petite famille qui vit isolée de la civilisation depuis les années 30, suite
à un schisme religieux qui les avait contraints à lexil. En effet, ces
« vieux croyants », comme on les nomme également, sont profondément pieux,
prient et renient leurs supposés pêchés avec ferveur. Si cette vie spirituelle
constitue la base de leurs relations, il leur a fallu sadapter aux conditions
extrêmement rudes de la Sibérie sans contact avec lextérieur.
A partir de 1982, donc, Vassili Peskov réalise une véritable étude ethnographique,
relevant leurs habitudes, leur nourriture, évaluant la façon dont ils ont utilisé les
matières premières à leur proximité, écorces, peau de bêtes, mais économisant aussi
les ustensiles dorigine qui les avaient suivis dans leur exil, seaux de fer, outils,
cordes et sacs de toiles. Malheureusement, la vie rude et peut-être sans doute les
maladies apportées par les visiteurs extérieurs, ont provoqué la perte de plusieurs
membres de la famille. Il ne reste bientôt plus que le chef de famille, un vieillard, et
sa fille la plus jeune, nommée Agafia, qui ne tarde pas à se retrouver seule. Elle fera
une tentative pour rejoindre la civilisation dans un monastère avant de renoncer et de
retourner dans sa chère forêt perdue. Cest ce que raconte le livre de Vassili
Peskov, paru en 1992.
Le journaliste est mort en 2013 à lâge de 83 ans. Aux dernière nouvelles, Agafia
vit toujours en ermite sur ses terres dans la Taïga, dans une nouvelle maison quon
lui a offerte. En avril, elle aura 80 ans.
(16/02/2024)
Des hommes, de Laurent
Mauvignier, éditions de Minuit.
Paru en 2009, le livre Des hommes raconte en filigrane lhistoire
sombre de la guerre dAlgérie.
Mais lintrigue se met en place de façon progressive, insidieuse comme la manière
avec laquelle les soldats de lépoque que nous connaissons tous, vieux tontons
octogénaires maintenant, ont été appelés sous les drapeaux, parfois pour plus de 2
ans. La plupart en sont revenus avec des traumatismes comme Bernard, lanti-héros de
Des hommes, qui noie ses angoisses dans lalcool. A loccasion dune
fête familiale, ce passé resurgi, par lintermédiaire notamment de son cousin
Rabut qui était incorporé en même temps que lui. Entre culpabilité et innocence, ce
livre montre comment toute une génération a subi ces « évènements » comme
on disait.
Un film
éponyme a été réalisé par Lucas Belvaux en 2020. En parlant de cinéma, sur le
sujet de la guerre dAlgérie, on peut aussi revoir le très beau film Avoir
vingt ans dans les Aures, de René Vautier, ou encore Dupont
Lajoie dYves Boisset, sorti à la même époque.
(09/02/2024)
Lenfant dans le taxi, de
Sylvain Prudhomme, éditions de Minuit.
Sorti au mois de septembre dernier, Lenfant dans le taxi raconte une quête
sur fond de secret de famille. Lors de lenterrement de son grand-père, le narrateur
découvre quil a eu un premier fils avec une allemande alors quil était en
garnison dans ce pays. Mais remuer le passé nest pas chose aisée, la vie
sest construite sans ce fils oublié et peu tiennent à ce que léquilibre
familial soit rompu. Pourtant, comme dans la plupart des cas, certains - vieux oncles,
tantes âgées en savent plus. Nous suivons ainsi le narrateur de Sylvain Prudhomme
qui dénoue fil après fil les nuds de cette histoire, avec finesse et poésie.
(02/02/2024)
Un pedigree, de Patrick Modiano, Gallimard.
Paru en 2005, neuf ans avant lattribution du Nobel de littérature, Un pedigree est
une biographie des première années de Patrick Modiano. Écrit à la fois avec distance
et ironie, cette biographie rejoint la fiction en apportant, outre les éléments déjà
connus de lécrivain (sa mère, lactrice Luisa Colpeyn, Alberto Modiano, son
père avec lequel il se brouillera définitivement), des personnages qui traversent ses
romans, comme Jean et Kiki Daragane, dont le narrateur (lauteur ?) est
amoureux.
Ironie aussi, car la définition du mot anglais « pedigree » renvoie à la
généalogie dun animal de race, chien ou cheval le plus souvent, bref, la parfaite
alliance du hasard et de laprès-guerre qui ont fait se rencontrer une actrice
belge, fille dun docker dAnvers, avec un trafiquant de marché noir au sortir
de la guerre. Mais Paris, où les protagonistes vivent, est la ville de tous les
possibles. Lauteur se promène avec Raymond Queneau, finit par se tourner vers
lécriture : on connait la suite
Pour en savoir plus : le
réseau Modiano...
(26/01/2024)
Linconnu de la
poste, de Florence Aubenas, éditions de lOlivier.
Florence Aubenas, journaliste, nous emmène du côté dun fait divers sordide :
le meurtre dune employée des postes en 2008. Or, cest la personnalité du
principal suspect qui nous interpelle : Gérald Thomassin, acteur trop tôt encensé
pour sa participation à 16 ans dans Le petit criminel. Titre prémonitoire
A
la suite dune carrière chaotique, devenu toxicomane et alcoolique, il est accusé
du meurtre de la postière en 2013. Or, bien des incohérences sont constatées, notamment
la présence dun ADN qui nest pas le sien sur la scène du crime. Ces
incohérences aboutissent à un non-lieu rendu en 2020, mais cest trop tard :
Gérald Thomassin a disparu soudainement depuis 10 mois. A ce jour, il na pas reparu
et est considéré comme mort par ces proches.
Comme dhabitude, la plume de Florence Aubenas est précise, sachant donner vie à
tous ceux qui ont gravité et disparu autour de cette petite agence postale aux confins
des Alpes. Aucun pathos, ni parti pris dans cette affaire qui ne sera sans doute jamais
franchement élucidée malgré la condamnation en octobre dernier du suspect qui avait
laissé son ADN.
(19/01/2024)
Cutter dYves
Ravey, éditions de Minuit.
Lauteur bizontin, une fois de plus, nous régale dune histoire mi-policière,
mi-série noire quil concocte avec un soin précis. Les intrigues sont
généralement puisées dans des situations en apparence normales, vies ordinaires qui
finissent par déraper gravement.
Cutter met en scène un jeune handicapé placé dans une institution, son oncle,
jardinier chez une belle jeune femme, mariée à un entrepreneur. Le mari est retrouvé
mort. Il sest suicidé par asphyxie en laissant tourner le moteur de sa voiture. Du
moins, cest ce qui apparaît lorsque la belle épouse et le jeune handicapé, venu
aider son oncle à des travaux de jardinage, le découvrent dans son garage.
Évidement, on se doute que la vérité sera toute autre
Yves Ravey, comme dhabitude, excelle à révéler la part noire des personnages
auxquels on aurait donné jusque-là le bon Dieu sans confession.
(12/01/2024)
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