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Notes de lecture
Revue trimestrielle Les Amis de l'Ardenne.
Les revues ont une mauvaise réputation. Souvent cachées au fond des kiosques, on ne
retient d'elles que les plus prestigieuses, celles soutenues par de grandes maisons
d'éditions, des groupes de presse : il faut retourner la moitié des périodiques pour
dénicher par exemple Le Matricule des Anges ou la revue Europe. Elles
vivotent comme La Quinzaine littéraire fondée par Maurice Nadeau, à laquelle
j'ai été longtemps abonné. On s'abonne à une revue parce qu'on y trouve plus
qu'ailleurs des articles fouillés : pas étonnant, la plupart sont rédigés par des
journalistes amateurs au sens littéral d'amare, qui aime, donc qui aime la
littérature pour le domaine qui nous intéresse. Je dois parmi les plus beaux articles
(non pas dévolu à un exercice d'admiration mais à la fouille archéologique de
l'écriture) concernant mes livres à Norbert Czarny pour La Quinzaine littéraire
par exemple.
Depuis peu, par l'intermédiaire du rémois Stéphane Balcerowiak, j'ai découvert la
revue Les Amis de l'Ardenne, parce que j'ai participé à la fin 2017 à un
numéro spécial sur Marcelle Sauvageot (Comment est-ce possible ? Je m'aperçois que je
n'ai pas relaté cette auteure sur FdR
). J'ai depuis en ma possession un
numéro spécial sur Gérard Rondeau, photographe trop tôt disparu, dans lequel j'ai
puisé la photo de Dhôtel à Paris. J'ai aussi un numéro intitulé Abeilles et
amazones sur les femmes qui ont eu à faire dans cette région de l'Ardenne (car
c'est bien sûr le trait d'union de cette revue) : on y retrouve André Dhôtel pour une
magnifique petite nouvelle (peut-être la première qu'il publia) présentée par Robert
Frankart (en agrément la fameuse photo d'André et Suzanne sur la Terrot) ; on y trouve
la jeune aventurière Élisabeth Prevost que Blaise Cendras visitera en 1936 avec sa
fameuse Alfa Roméo (encore une belle photo inédite), c'est aussi un numéro très rock
puis qu'il parle également de Catherine Ribeiro et de Patty Smith.
Cette revue trimestrielle porte déjà le numéro 57, cela signifie qu'elle existe depuis
une douzaine d'années. Peu présente sur le Web, il faut plutôt recourir aux méthodes
traditionnelles pour se la procurer : M. Stéphane Collet (trésorier de l'association),
72 av Charles Boutet, 08000 Charleville-Mézières, 03 24 56 49 87, scolletmansuy@sfr.fr.
(20/04/2018)
Sur mon père, de Tatiana Tolstoï, Éditions Allia
J'avais déjà relaté le Journal intime de Sophie Tolstoï, l'épouse de
l'écrivain (Note de lecture du 26/09/2016),
voici maintenant les confessions de leur fille aînée Tatiana. Ce court recueil de 123
pages n'a pas la vocation de faire voir au jour le jour les relations parfois difficiles
au sein de la famille Tolstoï et n'est pas comparable aux 800 pages de sa maman.
Cependant, ce témoignage vient compléter sans prendre parti ni pour l'un ni pour l'autre
une vie familiale chahutée, notamment lors des derniers instants de Léon Tolstoï, enfui
selon lui pour échapper à sa femme, mais en réalité conséquence d'un amour exclusif
et partagé. On n'apprend rien de neuf, sinon que celui qui a foutu la merde est bien ce
Tchertkov, trop habile à manuvrer l'écrivain en quête de spiritualité et à
diviser sa famille.
(13/04/2018)
Contre-feux, de Pierre Bourdieu, éditions Liber-Raisons
d'agir.
Contre-feux propose en sous-titre " Propos pour servir à la résistance
contre l'invasion néo-libérale ". Cet argumentaire peut paraître de nos jours
désuet tant il semble évident que le monde néo-libéral a bien progressé depuis 1998,
date à laquelle Pierre Bourdieu, disparu 4 ans plus tard, avait réuni dans ce petit
recueil quelques discours fortement engagés, édictés au cours de la décennie 90. On
retiendra particulièrement une intervention faite à la Gare de Lyon en décembre 1995,
lors des grandes grèves du plan Juppé. Une phrase retient particulièrement l'attention
: " Cheminots, postiers, enseignants, employés des services publics, étudiants et
tant d'autres, activement ou passivement engagés dans le mouvement, ont posé, par leurs
manifestations, par leurs déclarations par les réflexions innombrables qu'ils ont
déclenchées et que le couvercle médiatique s'efforce en vain d'étouffer, des
problèmes tout à fait fondamentaux, trop importants pour être laissés à des
technocrates aussi suffisants qu'insuffisants
".
Vingt-deux ans plus tard, bis repetita
(06/04/2018)
Écrire, pourquoi ? collectif inaugural des éditions
Argol.
Tout est dit dans le titre. Je ne crois pas l'avoir déjà cité dans cette rubrique. De
toute manière, le livre qui date de 2005 doit demeurer assez introuvable dans les
librairies en stock, reste les moyens en ligne pour y remédier. Donc ce livre rassemble
40 auteurs, j'en fais partie, et la question inaugurale a servi de prétexte à l'exercice
destiné à marquer l'entrée dans le monde des lettres des éditions Argol. Catherine
Flohic qui les a créées avait mis la clé sous la porte de la précédente maison
qu'elle dirigeait (Les Flohic éditeurs) et, à l'époque c'était déjà regrettable, la
précédente maison (également spécialisée dans les revues d'art comme Ninety) avait
publié notamment de très beaux entretiens littéraires (voir par exemple le dialogue
entre Gabriel et Pierre Bergounioux en note de
lecture du 25/06/2003).
Quarante auteurs et je voyage en compagnie prestigieuse : Philippe Djian, Annie Ernaux,
Colette Fellous, Charles Juliet, Valère Novarina
etc. Depuis treize ans que le livre
a été écrit, quelques-uns des sollicités ont disparu : Julien Gracq en premier lieu en
2007, mais aussi Ludovic Janvier en 2016, Hubert Lucot en 2017 (voir l'étonnante interview-vidéo
postée par Jean-Paul Hirsch des éditions P.O.L. un an avant sa dispartion alors qu'il se
savait déjà condamné). Tous ont biaisé la question, moi aussi évidemment. Certains se
retranchent dans le geste ou la pensée inaugurale (Pierre Bergounioux), d'autres sont
forcément décalés (Pourquoi n'écrivez-vous pas ? insiste Éric Chevillard), d'autres
sont déjà bavards outre mesure (Yannick Haenel), Julien Gracq a botté en touche mais
souhaite longue vie aux éditions Argol. En fait, elles résistent toujours, publie des
livres de gastronomie et s'éloignent il me semble de la littérature proprement dite.
(30/03/2018)
1794, l'année terrible, de Béatrice Mayard, éditions
du Panthéon.
Les éditions du Panthéon ont mauvaise presse. Maison dédiée à l'édition à compte
d'auteur, elle cumule la difficulté de faire payer l'auteur pour son travail et de
détenir les droits de son livre, ce que l'autoédition évite. On y trouve donc rarement
de bons livres et lorsque ça se produit, on plaint l'auteur de s'être fourvoyé dans
cette galère. C'est le cas le 1794, l'année terrible, qui méritait mieux que
cette maison qui traîne sa réputation. Ceci dit, je comprends qu'on puisse se lasser
dans la recherche d'un éditeur. 1794, l'année terrible (le titre lui n'est pas
terrible) raconte l'histoire de Robespierre à l'époque de la terreur. Ce roman, dont il
est précisé qu'il est plutôt réservé à la clientèle adolescente (pourquoi ?),
mélange une fiction entre le fameux révolutionnaire et une héritière aristocrate qui
doit récupérer des papiers compromettants pour son père, plutôt versé du côté des
chouans. Construit comme un roman de cape et d'épée, cette histoire est plutôt bien
enlevée, se lit avec plaisir et ferait un bon téléfilm. L'auteure est professeure
d'histoire, ce qui me hasarde une explication sur sa clientèle adolescente réservée :
ceux de ses classes.
(19/03/2018)
Ghetto, de Bernard Chambaz, Seuil.
Le père de Bernard Chambaz s'appelait Jacques. Professeur d'histoire (comme son fils), il
a été député communiste à Paris pendant plusieurs années jusqu'en 1978. Décédé en
2004, d'une leucémie, son fils lui rend hommage dans ce livre paru en 2010. On découvre
un militant qui avait de profondes convictions. Il a évidemment connu tous les
personnages importants qui partageait les mêmes idées, comme par exemple Aragon. Bernard
Chambaz loue sa loyauté au moment où le PC commence son long déclin. Livre
particulièrement émouvant mais sans pathos, c'est un bel hommage d'un fils à son père,
thème classique en littérature mais terriblement difficile. François Bon, avec Mécanique
avait pareillement réussi un livre magnifique lors de la disparition de son père qui
tînt un garage Citroën.
(12/03/2018)
Sonnets pour une fin de siècle, d'Alain Bosquet, NRF, Poésie.
J'ai ce livre depuis très longtemps, probablement vingt ans, probablement acquis avant
que je ne commence à publier. A cette époque, j'étais attiré depuis longtemps par la
poésie, mais surtout par la contrainte du sonnet. La poésie est pour moi liée au
quotidien, un exercice du réel transposé en forme littéraire. Je me souviens qu'au
début des années quatre-vingt-dix, alors que j'avais encore la chance de me rendre à
mon travail à pied, j'emmagasinais des sensations pour pouvoir les retranscrire à
l'arrivée dans un texte poétique. Cet exercice accompli, je pouvais commencer vraiment
ma journée de boulot. Le sonnet a été une forme importante pour cette pratique, car la
brièveté des quatorze vers est adéquate. Beaucoup ont été regroupés dans un petit
recueil demeuré inédit " Sonnets traditionnels pour inconditionnels ".
Cette introduction explique l'intérêt que j'ai du porter alors à ces Sonnets pour
une fin de siècle d'Alain Bosquet. " Le réel a disparu depuis trente ans de
notre poésie ", dit l'auteur, ça part plutôt bien et en effet, il ajoute que
" ces sonnets forment un journal intime vociféré à la figure d'un temps privé de
critères ". Vociféré est bien choisi, tant le poète semble s'adresser avec
colère à l'époque, au temps qui passe : " Je réclame le droit à la violence et
à l'angélisme inextricablement unis ". Pour ce qui est de la forme, ces sonnets
comportent bien deux quatrains et deux tercets et chaque vers est bien un alexandrin.
L'agencement des phrases est parfois asymétrique comme le faisait Rimbaud Il n'y a pas de
rime, elles sont devenues hors la loi depuis belle lurette, sans que je comprenne bien les
motifs de cette relégation d'ailleurs. L'ensemble dresse un portrait du poète, un peu
sombre, il a un peu plus de soixante ans lorsqu'il les publie : " Rappelez-vous :
jadis je vous chantais l'amour / mais aujourd'hui je chante à peine ma prostate ".
Certains sonnets agacent, sentent l'artifice ou se dévoilent un peu trop. Mais l'ensemble
est remarquable justement à cause de cette inégalité qui est celle de la vie même.
Cette même semaine, en note d'écriture, on creuse un peu plus la biographie d'Alain
Bosquet.
(28/02/2018)
Les Larmes d'André Hardellet de Françoise Lefèvre,
éditions du Rocher
Françoise Lefevre n'a pas encore écrit Le Petit Prince cannibale, futur prix
Goncourt des lycéens 1990, lorsqu'elle rencontre André Hardellet un soir de juillet
1974, le 23 précisément. Elle ignore qu'il reste au poète à peine dix heures à vivre.
Ils prennent un pot dans un bistrot de la place Desnouettes. Cinquante années auparavant,
un certain Auguste Pinard avait fondé dans le coin une école de puériculture. Rien à
voir, sauf que ça aurait fait rire André qui connaissait Paris par cur, si
toutefois avait eu le cur à rire ce jour-là. A Françoise, il répète : " Je
suis foutu
Je suis foutu
". Il est seul, à soif de reconnaissance, subit
encore de plein fouet l'injustice dont il a été victime pour Lourdes, lentes.
Il faut mesurer ce que c'est qu'assister à la censure d'un livre qu'on a porté, que des
éditeurs ont admiré. Il faut se représenter l'attente du livre à venir, la projection
de sa beauté (ce devait être une édition de luxe, uniquement proposée sur catalogue).
Il faut subir le choc du verdict, l'interdiction, la destruction des livres : oui, le
choc, l'autodafé symbolique, la négation de votre art, ce qui forme votre vie même, la
violence extrême de la décision de justice : destruction des livres. On ne s'en remet
pas, surtout lorsqu'on a l'âme d'un poète véritable. A la fin de cette après-midi
d'été, Françoise quitte à regret " le visage de vieux morse éploré " :
elle élève seule deux enfants, subsiste avec un travail d'ouvreuse de cinéma. Il est si
triste qu'elle lui offre un bouquet de fleurs, désespoirs du peintre ou myosotis "
forget me not ", les bouquets en disent plus longs que des phrases de consolation. La
dernière image est un signe de sa main, le visage de vieux morse enfoui dans les fleurs
derrière la vitre d'un bus. Ils devaient se revoir le lendemain, elle ne le reverra
jamais : il meurt dans la nuit.
(19/02/2018)
Journal 1973-1982 de Joyce Carol Oates, éditions
Philippe Rey.
Probablement un an que j'ai lu ce journal de l'écrivaine américaine. Je me souviens de
peu de choses. En le feuilletant à nouveau, je m'arrête aux photographies : Joyce et son
mari Raymond Smith prenant le thé dans leur intérieur bourgeois, photo posée comme pour
un magazine. Les autres clichés sont plus spontanés, Joyce avec ses parents, des amis.
On est frappé par l'allure d'éternelle étudiante de l'auteure, maigre, grosses
lunettes, souvent très belle lorsqu'elle expose son regard. Les clichés datent de la
période du journal. Elle a entre 35 et 44 ans, en parait 10 de moins. Le journal retrace
la période de sa vie qui a été la plus déterminante : écriture boulimique, passion de
l'enseignement, sérénité amoureuse, Princeton comme refuge, elle bâtit le socle d'un
succès qui déjà sonne à sa porte. 1973-1982 : à la même époque j'avais entre 15 et
24 ans et moi aussi je bâtissais déjà ma vie. 1973 : L'Étranger de Camus,
premiers poèmes une guitare, les Stones et une mobylette. 1982 : j'avais déjà atterri
dans la ville où je réside toujours, rencontré celle que j'allais épouser, je songeais
à terminer un roman, le premier, entamé 4 ans plus tôt.
(12/02/2018)
Nous trois, Jean Echenoz, Éditions de Minuit.
Livre étrange, paru en 1992, mais les livres de Jean Echenoz sont-ils autres choses
qu'étranges ? Par exemple, 14 (note
de lecture du 20/02/2013) est un défi à la narration de la grande guerre à travers
un petit récit. Nous trois est également un défi, plutôt celui de l'écriture
créative ou de l'écriture d'invention comme disent les afficionados de l'imaginaire dans
l'éducation nationale. L'enjeu est résumé dans le titre : Nous trois,
c'est-à-dire un narrateur qui dit " je ", parfois nommé De Milo par d'autres,
deux personnages principaux, Meyer et une femme Mercedes, qui deviendra Lucie par la
suite. Leurs rapports se tissent au fil de péripéties incroyables : un tremblement de
terre qui dévaste Marseille ou un voyage dans l'espace pour larguer des satellites. Toute
cette histoire oscille dans un humour d'aventuriers flegmatiques, car oui, ce sont bien
des héros, et tout le génie d'Echenoz est de reprendre les poncifs du roman d'aventures
pour les tordre. Tordre également les codes narratifs : une histoire racontée à travers
un " je " restreint forcément le point de vue à travers cette unique focale,
mais Echenoz n'en a cure et fait cohabiter des scènes où un narrateur (omniscient comme
on dit) développe en parallèle les autres personnages. La logique qui tente de dérouler
l'histoire à la manière d'un film vole en ainsi en éclat, seuls restent des scènes qui
restent étonnamment précises à l'esprit après la lecture, comme les éléments d'un
rêve génial qu'on aurait fait.
(05/02/2018)
Vendredi ou les limbes du Pacifique, de Michel Tournier,
Pléiade.
C'est la première uvre de Michel Tournier. Parue en 1967, il a alors 42 ans - tiens
c'est drôle, c'est aussi l'âge que j'avais pour mon premier roman -, cette histoire
reprend celle de Robinson Crusoé de Daniel Defoe, publiée en 1719. Mais Michel
Tournier a la géniale idée de focaliser son récit sur Vendredi, renversant le point de
vue sur la nécessité de la prédominance européenne. En réalité, il est autant
question de Robinson que de Vendredi, même plus d'ailleurs. L'histoire demeure la même,
inspirée de l'histoire réelle du marin Selkirk, Robinson d'abord seul, organise sa vie,
puis rencontre Vendredi, puis un navire ami aborde l'île. L'originalité de l'histoire de
Tournier est de faire partir Vendredi sur le navire, mais Robinson décide au dernier
moment de rester. A sa grande surprise, un petit mousse qui avait l'habitude d'être
malmené sur le navire s'est réfugié dans l'île, remplaçant en quelque sorte Vendredi.
Alors que le roman de Defoe est rédigé à la première personne, Michel Tournier utilise
la troisième personne, probablement plus libre et plus apte à dérouler l'histoire avec
une distance nécessaire. Cependant, pour les moments où il faut pénétrer plus en
profondeur dans les réflexions de Robinson, l'auteur utilise le subterfuge d'un journal
rédigé par le naufragé. Ce roman fait la part belle à la philosophie, qui demeure le
dada de Michel Tournier. Ces considérations sont parfois poussées un peu à l'extrême,
notamment dans les parties du journal intime de Robinson : on imagine mal un marin
d'origine modeste condamné à survivre se poser des questions existentielles d'un tel
niveau de complexité
Autre réticence de ma part : la fin qui condamne le jeune
mousse à rester sur place est d'une cruauté inouïe qui tranche avec les leçons de vie
et de liberté que Michel Tournier aborde comme une sorte de nouvelle morale
Ce roman a été suivi 4 ans plus tard par une version moins philosophique conçue pour la
jeunesse Vendredi ou la vie sauvage.
(22/01/2018)
Le Vent Paraclet, de Michel Tournier, Pléiade.
Jacques Poirier, mon directeur de thèse, s'est occupé de la récente parution en
Pléiade des uvres de Michel Tournier. On lui doit notamment la reprise de cet essai
publié en 1977, agrémenté d'une très belle notice dans la prestigieuse collection. A
l'époque, Michel Tournier a alors 53 ans, il est à mi-chemin de son parcours
d'écrivain, et, s'il a publié que 4 romans, tous ont eu un grand retentissement, comme Le
Roi des Aulnes, prix Goncourt en 1970. Cet essai est ainsi destiné à évoquer son
parcours d'écriture. Michel Tournier est en effet considéré comme un écrivain assez
classique, dans la lignée de Genevoix, il se situe depuis longtemps à contre-courant du
Nouveau Roman, des surréalistes, voire de l'existentialisme, théories encore très en
vogue au moment où il publie son essai. Celui-ci fait la part belle à la philosophie qui
est à la base de la formation de l'écrivain. Disciple de Bachelard, surpris par Sartre,
admiratif de Deleuze, ces compagnonnages sont évoqués, dans des chapitres, dont certains
sont entièrement consacrés à la génèse et à l'explication de ses premiers romans. Il
y a parfois un exercice d'auto-hagiographie un peu énervant, sans toutefois revendiquer
le génie comme Duras le faisait pour elle-même à la même époque. Justement, en cette
fin de décennie qui va bientôt voir arriver la suivante avec la gauche au pouvoir, on
remarque les affinités socialistes entre Duras, Tournier et Mitterrand qui viendra
plusieurs fois le visiter. Ce qui me gêne le plus, mais c'est lié à ma formation
autodidacte au départ, c'est l'exercice d'admiration sans aucune remise en cause de
grands maîtres anciens, surtout des philosophes, comme si eux-seuls étaient
dépositaires d'une vérité universelle. Le peuple, lorsque Michel Tournier en parle, me
semble ainsi toujours un peu méprisé en regard de ces grands hommes.
(15/01/2018)
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