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Et puis, ici, tout ressemble à ce que j'ai parcouru depuis l'été dans les 8000 pages, Journal Littéraire et Oeuvres comprises, d'une lecture marathon dans laquelle je me suis plongé avec délices et en détail. C'est alors se souvenir du fouillis inextricable du jardin, relaté au fil des pages, c'est le peu de considération pour l'ordre et le ménage de l'occupant des lieux et comment un tel lieu garde l'empreinte du chaos. Donc, il faut tout examiner, tout retenir, tout comparer. Le garde-corps de la fenêtre est-il le même que sur les vieux clichés ? La pierre du seuil a-t-elle conservé la traces des pas de Léautaud ?
Par la fenêtre du rez-de-chaussée, la
même qui demeure grande ouverte sur la vieille photo (on devait être en été, partout
des animaux éveillés, chiens maigres dans l'ombre ou baignés de soleil), on aperçoit
le papier peint, la volée d'escalier qui monte au premier étage. A l'étage était sa
chambre, mais aussi son bureau, sa cuisine, le refuge de ses chats, de la guenon qu'il
avait recueillie, venue dans son jardin par un hasard incroyable. C'était le refuge des
mois d'hiver sans charbon, pendant l'occupation, un poêle à bois et les arbres mouillés
du jardin comme unique combustible, le reste de la maison demeurant glacé.
Mais le chat me fait signe (Léautaud avait horreur des phrases qui commencent par "mais") et m'invite à le suivre au jardin. Ici, tout est grand ouvert, on peut facilement faire le tour de la maison. Sur des films aux archives de l'INA, c'est de cet endroit que Marie Dormoy, la dernière amie, témoigne de l'écrivain. Les arbres cernent la maison mais le soleil arrose la façade arrière, presque curieusement identique à celle qui donne sur le passage. C'est d'ici qu'est photographié l'écrivain, les arbres pareillement déplumés. Je ramasse un marron, c'est l'époque, et je pense à la guenon : Léautaud raconte que c'est au sommet de l'arbre qu'il l'a trouvé un jour, bombardant de bogues les chiens énervés qui aboyaient dessous. "Ce soir, à la fenêtre, le jardin, l'espace, le silence presque complet." (Journal Littéraire du vendredi 6 juillet 1951). Il y a une photographie qui le représente, l'air pensif et remué de phrases pareilles. Assis à l'intérieur sur une chaise longue d'extérieur, la porte est grande ouverte, sans doute, il me semble, de ce côté du jardin. Ce devait être ses quartiers d'été. A l'époque des volets clos, mille détails cependant pour en restituer l'ambiance : quelques roses tardives, l'oblique de la lumière sur une charnière, des feuilles dispersées par le vent et qui grattent à la porte comme la patte obstinée d'un chat qui veut rentrer.
En ressortant du passage, j'aperçois seulement le discret hommage que la mairie a installé et qui s'est enfoncé dans le feuillage. Sur la plaque, on a reproduit la mention "écrivain français", la seule que Paul Léautaud avait désirée avoir sur sa tombe. "Ami et protecteur des chats et des animaux", passe encore mais il aurait vivement dénoncé à coup sûr le "étranger à toute inquiétude philosophique"... De l'endroit, on voit au loin, la porte d'entrée perdue sous les frondaisons. Je rejoins la tranquille rue Guérard et la silhouette de Léautaud me poursuivra longtemps.
En guise d'épilogue, voici une des
dernières photographies de Paul Léautaud : elle fût prise le jeudi 26 janvier 1956 chez
le Docteur le Savoureux, à la Vallée aux loups. L'écrivain, affaibli, (il venait
d'entrer dans sa 85ème année le 18 janvier) avait accepté de quitter le samedi
précédent et pour la première fois depuis 45 ans son domicile de Fontenay, emmené par
la fidèle Marie Dormoy. Ce jeudi 26 donc, il écrit encore dans son journal :
(6 novembre 2009)
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