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Notes d'écriture 2004
Dernières programmation 2004 avant les résolutions de 2005 : ce quil reste
à faire, en chantier décriture. En vrac, donc et en en oubliant...
Dabord un texte commandé par un très sérieux organisme scientifique qui propose
à dix écrivains décrire sur un mot particulier (concept souvent à double sens
scientifique et littéraire). Jai rajouté contrainte à la contrainte en
contraignant mon commanditaire à choisir lui-même le mot pour moi. Fin des copies
mi-janvier.
Atelier décriture tous les quinze jours et lobligatoire préparation
quimposent deux heures tendues, sur le fil du rasoir à la fois dans linstant
et dans la perspective du livre promis.
Du coup, les cours de fac, par manque de temps restent figés dans léchéance du
prochain devoir à rendre à une date précise sans pouvoir approfondir davantage les
cours.
Reste encore tout ce qui sapparente aux bonnes résolutions 2005. Un livre en cours
à peaufiner et qui terminera la trilogie entreprise avec Central et Composants,
ce nest pas rien à faire, cest bien avancé, programmé, mais déjà se
dessine lenvie, la nécessité ô combien floue de passer à autre chose
Vivre vite.
(28/12/2004)
Relevé de notes : 18 en Latin au premier devoir, 11 au deuxième, un peu bâclé.
Ce sont mes notes puisque je me suis inscrit en fac. Et aussi 12 en Linguistique et
3 sur 20 en Littérature comparée. Etrange sensation, celle de recevoir des notes
après tant dannées et sapercevoir quun 18 laisse aussi indifférent
quun 3. Cette manie du jugement, de la valeur. Non, en réalité le 3 me gène parce
que le seul commentaire exhaustif indique en trois mots : exercice pas compris. Il y
a des " non " marqués pleins les marges mais je ne suis pas plus
avancé sur ce quil aurait fallu que je fasse. Ce qui me gène, cest que ce
prof, que jaurais dû voir à une journée de regroupement (je prends des cours par
correspondance), était absent sans autre explication quavoir été une quinzaine à
lattendre, dont certains avaient fait 500 km
Manque de tact, pédagogie, type
sans intérêt, ce jugement péremptoire, cest lobligation de cette
évaluation chiffrée qui la provoque et lui-même ce prof qui tombe dans le panneau
évident de ce système.
Non que je prétende donner des leçons, je ne tomberai pas justement dans ce panneau.
Jai la chance de pouvoir animer un atelier décriture en seconde
professionnelle et deffacer le poids chiffré de tant dannées de notes et
déchecs scolaires. Ceux qui réussissent le mieux dans cet atelier sont souvent
ceux jugés parmi les plus faibles. Je les trouve tellement fort dans lécriture.
Mort aux notes.
Le même jour que je recevais ces notes, javais également un courrier avec un
chèque lié à mon activité décriture. Et la difficile sensation de donner une
échelle sur ce que lon " vaut ", en écriture ou ailleurs,
cette obligation de tout chiffrer, tant deuros au travail par mois, tant
deuros à la page, 3/20 en littérature comparée et 18/20, mes 63 kg que
jessaie de conserver, ces rubriques par semaine, tout ce que jécris, ce que
je note.
Notes, notes au sens de notules (chères à Philippe Didion - voir en "liens"),
notices, explications, éclaircissements, lumières, expositions, coups de soleil,
précisions, mémentos, abrégés, commentaires, avis, opinions, pensées mais bannir le
sens " notes " de sa réduction chiffrée, de la facture, des comptes
à rendre, donner quitus, quittance à qui, à quoi ?
On ne doit rien à la vie, cest elle qui doit tout vous donner. Sans compter.
(22/12/2004)
Le dimanche clôturant cette très belle semaine de rencontres des " Petites
fugues ", chacun des auteurs présents devait lire, parler, sanimer autour
du thème retenu, le temps, la nuit, pour cette édition 2004.
Longtemps je me suis couché de bonne heure : loccasion était trop
belle de revenir sur la fameuse phrase de Proust
Texte ICI.
(15/12/2004)
L'écriture est ainsi faite, de temps et de nuit. Me levant chaque matin au petit jour
pour écrire, je n'en avais pas conscience, ais-je écrit aujourdhui, en
" Etonnements " bien sûr, car il y de quoi comparer avec des notes
précédentes, celles des "Notes décriture", fébrilités et autres
occupations effrénées, peut-être en résumé la peur du vide. Notes décriture
contre notes détonnements. Fébrilités contre imprévus. Ces " Petites
fugues " mont bousculé au point que le programme particulièrement
minuté que je métais imposé, les cours, lécriture, préparations diverses
et autres alchimies du verbe na pu être suivi le moins du monde. Face à
limprévu donc, la découverte.
Et jai réalisé combien cette rigueur de vie jusquà présent régulée
pouvait représenter comme danger pour lécriture elle-même. Partant du réel,
découpant cette réalité avec minutie, inventaires et accumulations, ma façon de
morganiser représentait plus un morcellement des priorités, des tâches à
accomplir. Or, morceler sa personnalité à travers les différents rôles que lon
endosse dans une vie, si lon gagne en efficacité, on perd dans labsence de
zones frontières entres nos différents "corps conducteurs ". On
semprisonne donc, on manque lindispensable évasion. Si jinsiste
particulièrement sur ce point cest quil me semble avoir omis cette
nécessité, avoir glissé sur la part dombre du roman que lon nomme fiction,
cest-à-dire non pas ce qui se projette au-delà de la réalité, dans une sorte de
monde parallèle, une sorte déclatement mais ce qui fait corps en profondeur en se
retrouvant, en sagglomérant dans la totalité de nos corps vécus, finalement seule
et même vie.
(08/12/2004)
Tendance à la fébrilité en ce moment, lapproche de la
saison grippale me place peut-être dans cet état-là, mais fébrilité au sens de
précipitation, hâte, promptitude, rapidité, dernières agitations avant la période que
je redoute le plus, Noël et Nouvel an, cette léthargie indolente et festive, digestive
et molle, déprimante manière feutrée de terminer chaque année. Recherche, besoin de
frénésie, impétuosité qui doit contraster sérieusement avec mon apparence, cest
du moins limage que je men fais et quil me semble donner autour de moi,
un type occupé mais finalement plutôt planeur et mou, indolent parfois, ronchon ou
exubérant, chaque état devant se succéder à vitesse grand V. Vitesse donc encore,
impétuosité, impatience, avidité. Organisation que tout cela : jai toujours
présent à lesprit chaque seconde les quatre choses de lécriture auxquelles
je dois me donner dans ce deuxième métier qui succède quotidiennement au premier,
alimentaire et fort prenant cependant. Mais deuxième métier et quatre choses comme
autant de raison de se sentir vivre dans lavidité, le zèle et lélan :
écrire, préparer latelier décriture (bientôt en ligne sur ce site), bosser
des cours de fac, veiller aux mises à jour hebdomadaire qui me font écrire des notes
aussi banales quinutiles comme celle-ci, mais cest ma vie. Ecrire, écrire,
écrire et me retrouver avec trois textes en instance dédition et en commencer
dautres, pas moins de deux cette semaine (quest-ce quil en
restera ? ), peur du vide sans doute, cest dire lexcitation,
limpétuosité, léréthisme presque (toujours difficile à caser ce mot là),
compétences ou qualités, parfois il faut bien se jeter des fleurs, nempêche que
cest le rythme finalement depuis 1996, deux romans par an, des machins, des trucs de
lécriture, de la matière, des mots comme un épuisement à compter chacun
deux, autant de grains de sable que compte le Sahara, on comprend Rimbaud au Harar,
lire, écrire et respirer : ce sera cette semaine à partir de mercredi soir en
Franche Comté aux Petites Fugues. Jattends ces moments. Avec impatience bien
entendu.
(24/11/2004)
" Faite pour ne pas déplaire", cétait le slogan
de la R19 quand elle est sortie des usines Renault. Je sais de quoi je parle, jen ai
eu deux : fiables, familiales, faciles.
Et chaque année, tout comme le salon de lauto en septembre, le Goncourt revient en
novembre.
" Faite pour ne pas déplaire", ce slogan va comme un gant au fameux prix :
chaque année, donc, il faut trouver un machin pas trop compliqué à lire, assez soyeux
et chatoyant, chic quoi. Il faut pouvoir le vendre aussi : le Goncourt de Quignard s'est
très mal vendu (aussi hétéroclite qu'un Triporteur Vespa qu'on aurait vendu au prix
d'une Citroën Picasso). Les libraires n'étaient pas contents. Je rêve du moment où je
serai sur la liste des goncourables : pour l'instant, la comparaison voiturière assimile
mes livres à quelque vieille 4L robuste mais ennuyeuse à conduire.
Récemment, on ma posé la question de savoir si javais déjà écrit une
scène qui m'aurait fait rire en la rédigeant. C'est peu probable dans ma 4L : sans
doute aurais-je interprété mes hoquetements de rire pour l'imminence d'une panne.
Méfiance ! Ce qui mennuie cest que la personne qui me posait cette question,
est une auteure qui avait connu un grand succès avec son premier livre en 2000. Plutôt
lente par choix, elle sest remise à écrire. Je me souviens de son style fin,
assimilable à un cabriolet Peugeot 306 : cheveux au vent et voiture classe. Zut de
zut : je lui prédis un avenir goncourable avant moi. Elle me prédit un avenir où
jarriverai un jour à parler de romance et dhumour, ma tendance naturelle
selon elle. Pour ce qui est de l'humour et de la romance dans l'écriture, dans le premier
cas je suis vite lourd, je m'empêtre dans des jeux de mots laids, dans le deuxième cas,
je pleurniche et deviens larmoyant facilement. Séloignent encore mes perspectives
de Goncourt : je reste dans ma 4L qui nest pas le meilleur endroit, on en
conviendra, pour écrire des scènes dun érotisme torride, plus vendeur.
Ainsi va Goncourt : elle y parviendra avant moi, me doublant sur la route de la
littérature, au soleil de novembre, lunettes de soleil et cheveux au vent dans son
cabriolet. Y a til une justice dans le monde des lettres ?
(17/11/2004)
Fini mon roman, voulais partager ce moment : cest le contenu dun sms
envoyé. Le partage, oui, dun moment important, avec la conscience de celui-ci. Dans
les faits, ce premier jet est terminé depuis quelques temps, chaque matin, dés 6h,
pendant une quinzaine, ce fut la relecture, les corrections, épurer le texte de ses
scories trop grossières, retirer les cailloux des lentilles : ce qui sest
terminé samedi 6 novembre à 19h19, dixit le dernier enregistrement de la dernière
version (la sixième) de ce premier jet. Cest ainsi la sensation davoir fini,
plutôt davoir conclu une étape où le texte devient à peu près cohérent,
cest-à-dire diffusable à léditeur. Tout en sachant que déjà se profilent
dautres corrections, des coquilles, des fautes aperçues dans la version papier
tirée aussitôt, voire des changements plus radicaux de structures, de plan, de
chapitres, ce qui est normal et procède de linévitable et primordial effacement
volontaire, obligatoire de lintention initiale.
Cette version imparfaite du premier jet est importante pour moi et il convient que je la
diffuse tel quel au regard éditorial tant je conçois que le rôle dun éditeur est
de faire corps avec le texte proposé d'en suggérer les améliorations, évidence
dun travail commun souvent ignoré où lon imagine lauteur, drapé dans
sa dignité, refuser de changer la moindre virgule à son texte. Ce nest pas ma
conception de lécriture, cest plutôt de remettre quelque chose
dimparfait mais qui propose un champ douverture que ce soit dans la structure,
la genèse, le but final, bref, un texte interrogatif, une substance existante, vivante,
avec sa couleur, son odeur mais quon pourra modeler à loisir jusquà la figer
dans la forme dun livre. Ceci dit, rien nest encore accepté tant il convient
de dire que le travail décriture est incertain, tant il convient de répéter et
daffirmer quil est impossible de juger, donner un avis, regarder froidement la
chose molle, substance existante, vivante, sur laquelle on sest attardé ou plutôt
" attôté " (osons un néologisme
), donc précipité
puisquil était 6h chaque matin depuis juillet et à peine réveillé pour aligner
les mots, le nez dans le guidon. Enfin ces mots ont fini par former des phrases, les
phrases des paragraphes, les paragraphes des chapitres, les chapitres la grande chose
molle du premier jet.
Version papier donc, car il est indispensable de pouvoir appréhender, égrener cette
réalité feuillue et non plus la parcourir à laide du curseur de la souris.
Cest à ce prix, cest dans cette étape importante, sans doute, que je me
persuade de la réalité : fini mon roman, voulais partager ce moment. A suivre
donc
(10/11/2004)
Dans " La journée d'Alexandre Hollan ", la volonté d'yves Bonnefoy de
retracer le plus fidèlement possible les étapes d'élaboration d'une uvre de ce
peintre est évidente et riche d'enseignements. On peut les résumer ainsi (et donc
imparfaitement, donc interpréter avec tout le danger de la réduction) pour un de ces
fameux dessins d'arbres :
- séries d'esquisses pour tracer la forme abstraite de l'arbre, quelque chose de proche
de la calligraphie, de l'alphabet.
- Puis, en restant dans cette proximité de l'arbre, de la forme, en " louchant
" dessus (expression d'A Hollan), il s'agit de combler l'arbre, comment dire, dans sa
poussée naturelle, patiente, encore des traits, des rameaux, pas encore de remplissage.
- Le lavis, donc l'aplat, le comblement avec ce ralentissement de l'action qui est preuve
que l'on est sur la bonne voie, que l'on se libère de la " forme qui est un drame
".
- L'ensemble devient complexe, noirci, comblé : c'est le moment où il faut "
défocaliser " le regard et trouver la cohérence, le mouvement de lumière : Hollan
dit que les nymphes et les déesses dansent autour d'un emplacement demeuré vide.
Les analogies sont évidentes avec l'écriture :
- Pas de plan encore, la forme, le départ, pourquoi pas la première lettre, le premier
calligraphe, mot, pas encore de sens, juste la forme qui ne dit rien encore (là est le
drame)
- Les phrases, les paragraphes, le tissu de mots, lettres, les ramifications, pas encore
de sens, juste le mouvement de l'accumulation aussi neutre et irréfléchi que possible
(non pas irréfléchi, plutôt intuitif).
- Le lavis, qui n'est qu'une forme encore plus noircie de l'accumulation des mots dans le
mouvement binaire à deux dimensions de l'écriture, mais là où l'architecture prend,
dans les chapitre, le plan (et de suite le renier pour ne pas tomber dans le piège de la
justification, de l'artificiel), rester dans le mouvement du pinceau, de la main, de
l'écriture, oui, une accumulation, noircir seulement. J'ai déjà éprouvé ce sentiment
profond et apaisant du ralentissement de l'écriture, comment dire, pas calculé, naturel,
presque malgré moi.
- " Défocaliser " le regard : sans doute cette phase correspond dans
l'écriture à cet instant proche de la fin d'un texte, disons proche de la fin du premier
jet, quand on a la sensation que le sort est jeté, qu'il est irrattrapable. Cela peut
prendre plusieurs forme : certains oublient leurs manuscrits pendant un an ou plus avant
de revenir dessus, de le proposer à un éditeur. Pour ma part, c'est cette étrange
amnésie, presque totale, qui suit le moment où je l'ai remis, où je sais qu'il va
falloir que je le reprenne, que je travaille dessus : j'attends mes nymphes et mes
déesses
(03/11/2004)
Blogs. Ou blogues. Ou Weblog. Le hasard ou linstant a voulu que je prenne
connaissance très récemment de diverses expériences de blogs. Que ce soit François Bon
qui éprouve le besoin den ajouter un à son site, sous le titre superbe le tiers-livre, fait particulièrement important à
signaler de la part de ce pionnier du web littéraire, que ce soit Philippe Didion qui revendique
lappellation de notulographe dans sa tentative perecquienne, que ce soit maintenant Emmanuel Darley, auteur reconnu mais nouveau
venu sur le web et qui na pas oublié dy adjoindre une page de journal. Blogs
maintenant, à la place de ce qui demeure néanmoins des pages de réflexions agencées
par accumulation. Blogs depuis quil existe des outils spécifiques, dynamiques,
capables de mettre en page, répertorier, dépasser même le caractère uniquement
solitaire de ces journaux, devenus participatifs, partagés, collaboratifs (comme il est
dit doutils collaboratifs dentreprises, Internet leur permettant la mises en
commun simultanées de bureau détudes, de réflexions, de réunions), bref une
évolution, non Sire, une révolution dans la communauté (le bel exemple de Remue.net), et toutes les initiatives partagées avec Philippe de Jonckeere, Jacques Bon et
son café du commerce, Ludovic Bablon, Philippe Rahmy (et autres voir page de
liens) selon le rythme et lopiniatreté de chacun, on avance donc Internet na
pas fini de nous étonner.
Pour autant, demeure ce que je pressentais au départ, la logique daccumulation,
mémoire, mots collectés les uns après les autres et au final (mais quelle fin ?
quand ? avec qui ? pourquoi ?), logique additionnelle dont la chronologie,
la thématique ne sont que des manifestations, au pire des outils de tri, des serviteurs
pour sy retrouver. Reste limmense masse de tout ces mots qui grossissent,
saccumulent en boules, pierre qui roulent
Impossible à décrire
(Impossible ? Voir Carte muette de Philippe
Vasset en notes de lecture du 13/10/2004).
Lu lautre jour quen latin, fortuna désigne au singulier le hasard, au pluriel
les richesses. Il me semble que ce mouvement participe de la même origine.
"Vous seriez exécrable de ne pas répondre ; vite car dans
huit jours je serai à Paris, peut-être.
Au revoir. "
Arthur Rimbaud, né le 20 octobre 1854.
(27/10/2004)
Petites bousculades du quotidien : résumons la semaine. Lundi 6h, heure
décriture, 8h départ pour 70 km (penser à prendre un panier de pommes pour mes
collègues, récolte du dimanche), lécriture en tête, puis boulot, boulot, boulot,
sollicitations, dérangements, arrangements, téléphone, repas une demi heure café
compris, courriers, conversations sollicitations, lécriture en tête, courriers,
conversations, départ 19h, 70 km retour, lécriture en tête, récupérer les
enfants, sortir la poubelle, préparer le repas, discussions, famille, pas de télé, pas
le temps, quelques mails, lectures, lécriture en tête, repos 23h30. Mardi 6h,
heure décriture, 8h départ pour 70 km, lécriture en tête, boulot, boulot,
boulot, sollicitations, dérangements, repas une demi heure café compris, départ pour120
km, lécriture en tête, deux rendez-vous, écoute, analyse, synthèse,
reformulation, émotion aussi parfois, puis départ pour un autre rendez-vous à 30 km
(casquette décrivain), lécriture en tête, écoute, analyse, synthèse,
reformulation, lécriture en tête, discussions datelier décriture,
passion, retour 30 km, lécriture en tête, récupérer ma collègue, retour 120 km,
quelques mails, fermer le bureau, retour 70 km, lécriture en tête, 20h30, emmener
la fille au théâtre puis repas, vaisselle, téléchargement hebdomadaire de Feuilles de
route, lécriture en tête, quelques mails, lecture, lécriture en tête,
repos 23h30. Mercredi 6h, heure décriture, pas de boulot, du temps pour
lécriture en tête ? rien n'est moins sûr : vaisselle, rangement, lessives,
cuisine, ménage, repas familial, appel à la Maison des écrivains pour ce projet
datelier décriture, lécriture en tête, 15h la correspondante
allemande du fils arrive, bibliothèque, ville, voisins, problème de proprios (quel
artisan choisir, un maçon ? un spécialiste façade et étanchéité ? Faudra penser à
changer la porte, le pvc c'est bien), préparer le repas, la famille agrandie dun
membre du coup, sortir les déchets recyclables, quelques mails, lecture, lécriture
en tête, repos 23h30. Jeudi, lever 6h, pas le temps décrire mais lécriture
en tête, départ 7h30 pour 70 km, boulot, boulot, sollicitations, dérangements,
arrangements, téléphone, repas une demi heure café compris, lécriture en tête,
bousculade, sollicitations, dérangements, arrangements, énervements, fatigue, parer au
plus pressé, dérangé tout le temps, retour 70 km, lécriture en tête, juste le
temps de mettre en chauffe les brocolis, la crème à faire cuire au bain-marie et la main
qui reste coincée entre les deux récipients, fatigue mais piscine hebdomadaire, 500m
rapide pour se défouler, lécriture en tête, rentrer vite à cause de la
correspondante, il est 21h, repas, à nouveau la main coincée entre les deux récipients,
cette fois brûlants, vaisselle, fatigue, plier le linge, toujours pas de télé, quelques
mails, lecture, lécriture en tête, repos 23h30, pas eu le temps de régler les
problèmes de proprios (quelle entreprise ? un maçon ? un spécialiste façade et
étanchéité ? Penser à la porte en pvc). Vendredi 6h, heure décriture, 8h, coup
dil sur la haie pas taillée depuis deux ans, on verra ça plus tard,
lécriture en tête, penser à prendre un panier de pommes pour mes collègues,
départ pour 70 km, travail, boulot, job, café, sollicitations, dérangements,
arrangements, téléphone, repas une demi heure café compris, lécriture en tête,
bousculade, énervements, fatigue, rendez-vous, conseils, analyse, synthèse,
reformulation, à nouveau pas eu le temps dappeler pour un artisan, on verra la
semaine prochaine, un collègue : tu es encore là ? on est vendredi, rédiger
la convention pour latelier décriture, lécriture en tête, mails, 19h,
70 km retour, lécriture en tête, récupérer les enfants, sortir la poubelle,
repas, famille, courrier : lénorme enveloppe des cours de fac (me suis inscrit
en Licence Lettres modernes, sans doute pas assez occupé), les délais des premiers
devoirs : 1° novembre, 15 novembre, échelonnement dune dizaine de dates
jusquen janvier et 500 feuilles à lire dans l'immédiat, sept ou huit matières,
prochain envoi dans 10 jours mais lécriture en tête, penser à mettre à jour le
site pour mercredi prochain, penser aussi à rédiger un programme pour latelier
décriture, lécriture en tête, vaisselle, pas de télé, commencer le devoir
danglais, coup de sonnette à 22h45, la dame en pleurs (voir étonnements de la
même semaine) jus dorange, discussions, famille qui rentre, rediscussions, minuit
et demi, lecture, lécriture en tête, repos. Samedi, dimanche, grasse
matinée : lever à 7h15, heures décritures, lécriture en tête, jamais
assez de place pour lécriture en tête.
(20/10/2004)
Notes décriture de Simone de Beauvoir :
" Le travail ne se laisse guère écrire, on le fait, cest
tout. "
" Jécris daffilée trois ou quatre cents pages. Cest un
labeur pénible, il exige une intense concentration, et le labeur que jaccumule me
dégoûte. Au bout dun mois ou deux, je suis trop écurée pour poursuivre. Je
repars à zéro. Malgré les matériaux dont je dispose, la feuille est à nouveau blanche
et jhésite avant de plonger. En général, je commence mal, par impatience et mon
récit est pâteux, désordonné et décharné. Peu à peu, je me résigne à prendre mon
temps. Viens linstant où je trouve la distance, le ton, le rythme qui me
satisfont ; je démarre pour de bon. Maidant de mon brouillon, je rédige à
grands traits un chapitre. Je reprends la première page et arrivé en bas, je la refais
phrase par phrase ; ensuite je corrige chaque phrase daprès lensemble de
la page, chaque page daprès le chapitre entier ; plus tard, chaque chapitre,
chaque page, chaque phrase daprès la totalité du livre. Les peintres, disait
Baudelaire, vont de lesquisse à luvre achevée en peignant à chaque
stade le tableau complet ; cest ce que jessaie de faire. Aussi chacun de
mes ouvrages me demandera-til de deux à trois ans - quatre pour Les mandarins
pendant lesquels je passe six à sept heures par jour devant ma table. "
" Une journée où je nécris pas à un goût de cendres. "
" Lorsque enfin, après six mois, je soumets le résultat à Sartre, je
nen suis pas encore contente, mais je suis à bout de souffle : il me faut sa
sévérité et ses encouragements pour reprendre mon élan. Dabord il me
rassure : " Cest gagné
Ce sera un bon livre
".
Et puis dans le détail il sirrite : cest trop long, cest trop
court, ce nest pas juste, cest mal dit, cest bâclé, cest
gâché. Si je nétais pas habituée à lâpreté de son langage le
mien, quand je le critique, nest pas plus doux je serais
atterrée. "
" Il me suggère des coupures, des changements, mais surtout il mincite
à oser, à approfondir, à affronter les obstacles au lieu de les éviter. Ses conseils
vont dans mon propre sens et il ne me faut que quelques semaines, au plus quelques mois,
pour donner à mon livre sa figure définitive. Je marrête quand jai
limpression, non que mon livre est parfait, mais que je ne peux plus le
perfectionner. "
" Je crois que les peintres peuvent prendre cette distance plus que les
écrivains. Ils mont souvent étonnée. Même quelquun de très modeste peut
se planter devant un de ses tableaux et dire : " Celui-là je laime
bien quest ce que vous en pensez ? " Moi je nai jamais eu ce
genre de sentiment. Une fois le livre imprimé, je ne le relis pas. Cest un peu
répugnant ces traces quon laisse. Je ne veux pas dire que je me désolidarise de
mes livres. Cest derrière. "
La force des choses et dialogue dans biographie Simone de Beauvoir, collection
La bibliothèque idéale, Gallimard
(13/10/2004)
Bernard ma donc offert des andouilles et un bout de gâteau pour le retour comme
si le pantagruélique repas du dimanche midi ny suffisait pas. Jaime bien
Bernard : nous avons parlé cuisine, cétait de circonstance entre la poire, le
fromage et un Volnay 1988. Nous avons aussi parlé de philosophie, étroitement liée à
la chose culinaire selon Bernard (qui a eu une vie bien occupée, a entre autre soulagé
les âmes et enseigné français, philo, histoire et théologie). Ses premiers cours de
philo, me disait-il, commençaient par de la cuisine, gâteaux, viande, etc. Ses élèves
devaient bien se demander où voulait en venir ce professeur bon vivant dans
labondance de ces recettes, juquau moment où il commençait à parler du
vocabulaire lié à la cuisine, posait des questions bizarres : pourquoi la crème
brûlée ? Pourquoi la fouette t-on ? Quelle différence y a til entre la
viande bouillie et rôtie ? Petit à petit, Bernard faisait adopter à tous,
alléchés par le fumet, la philosophie comme manière de compréhension du monde, jusque
dans le moindre verbe vital comme manger. On est loin dun jeune professeur dont on
ma raconté lanecdote et qui commença son premier cours par Descartes
dune manière abrupte, péremptoire et doctorale avec têtes de chapitres, sous
chapitres, merci de souligner dune couleur différente, vous marrêtez si vous
ne suivez pas et qui continuait de plus belle
Dans le coffre, à côté des andouilles, javais trois cartons de livres : je
nen ai plus besoin, disait Bernard, en retraite depuis longtemps. Nourriture aussi
riche et même goût du partage.
(06/10/2004)
- Au départ, la webcam a été comme un livre : un moyen de sévader, voyage
vertical une ouverture, une fiction. Je me souviens des débuts dInternet, disons de
son développement, de cette phase pas si lointaine, dans laquelle la plupart des
visiteurs dune manifestation découvraient au hasard dun stand les
péripéties de la connexion et dêtre relié au monde. Je me souviens dun
salon du livre au printemps 1999, cinq ans vite passés, dans lequel je faisais découvrir
le site tout neuf des Ecrivains de Haute Marne, et se trouvait encore pas mal de personnes
pour sétonner que je puisse montrer en temps réel la vie des pingouins du Zoo de Montréal .
Aujourdhui cette fiction nétonne plus personne, se démode, de même que les
petits " gifs " animés de la première version du site (des
curs qui battent, un petit livre égrenant ses pages) feraient mourir de rire les
infographistes chevronnés daujourdhui. Reste la distance incompressible entre
la webcam des pingouins à Montréal et ma province française : un rêve
supersonique. La webcam témoigne, projette mes globes oculaires en tous points du globe
terrestre, il y en a plusieurs millions sans doute, innombrables.
- Par rapport au livre et aux mécanismes du roman, de la fiction, Internet a apporté
cette diversité des sens autres que le glissement des yeux en deux dimensions : voir
linimaginable, partager un moment simultané, écouter une radio, entendre
dautres voix, murs, pensées à plusieurs dizaines de milliers de kilomètres
de distances. Cest cette distance justement, invérifiable, peut-être illusoire qui
ajoute le petit tremblement romancé : cest vrai sans doute, on en a la preuve,
les pingouins du Biodôme bougent chaque minute avec date et heure (la même que nous avec
le décalage horaire) pourtant reste limprouvable et limagination qui se
ressource elle-même dans ses marges derreurs possibles : peut-être
nest-ce quune vaste farce à linstar de la polémique qui agite
régulièrement lévènement des premiers pas sur la lune : avons-nous été
victimes dune manipulation, une image transmise peut-elle être prouvée ?
La question de la manipulation demeure, voir la semaine dernière en Notes de lecture
Fenêtres sur le monde de Raymond Bozier et le risque dune inimaginable
dictature. Inimaginable au sens de tout est possible de la fiction à la
réalité : permis, transmissible, tamisé, confondu. Lactualité nous le
prouve chaque jour : sites islamistes rivalisant dans lhorreur dotages
exécutés. Cest la vérité, la réalité, cest projeté comme tel et nous ne
sommes pas préparés à cette brutalité universelle, nous avons encore besoin de la part
du rêve, de la distance. Le choc et lépouvante versent à nos écrans
limmédiateté de la guerre, nous réagissons dans lémotion, jugeons que
jamais lépoque na été aussi violente (pourtant, imaginons la guerre de
Verdun avec des webcams dans chaque tranchée). Nous ignorons les conséquences, avons du
mal à apprécier limpact dun tel média qui libère dans lopinion
publique une telle universalité. Sans doute faudra-til encore des années et
beaucoup détudes pour expliquer, trouver des solutions, des mises en garde devant
limagerie mondiale (à linstar des suivis psychologiques qui suivent les
témoins de catastrophes), recentrer le débat entre quest-ce que la fiction,
quest-ce que la réalité. Les paisibles pingouins de Montréal mont emmené
bien loin, mais il est évident que les écrivains, les romanciers, par essence auront
dans ce débat un rôle et une place de choix.
(29/09/2004)
-
- " Jai eu beaucoup de plaisir à écrire ce livre ", cette
déclaration dauteur, entendue à la radio, nest pas isolée. Cette banalité
pourtant me fait réagir à chaque fois, au même titre que certains auteurs à court
dinspiration placent en dédicace dun ouvrage une phrase du genre :
Jespère que vous prendrez autant de plaisir à lire ce livre que jen ai eu à
lécrire.
Plaisir. Plaisir décrire. Cette locution me fait penser aux petites étiquettes que
lon pose sur le papier cadeau ou sur le ruban dun bouquet de fleurs. La phrase
est banale, neutre, fait " plaisir ". Pourtant où est le plaisir de
lécriture, ou plutôt comment fait-on pour éprouver du plaisir en écrivant dans
lacte décrire ? Loin de moi pourtant de jouer les auteurs tourmentés,
de ceux qui écrivent dans lurgence (encore un cliché
). Non, je revendique
une neutralité dans lacte décrire dans la vertu ou le principe de placer une
distance, une réflexion suffisamment grande entre soi et les mots qui vous sautent à la
tête. Ce qui me gène dans le plaisir décrire, cest lautosatisfaction,
la méfiance quil me semble bon de ressentir envers la phrase que lon trouve
trop belle, trop parfaite. Autosatisfaction, on tourne en rond on napporte rien. Si
peut-être, sans doute le même reflet en miroir du côté du lecteur, la phrase est
belle, plait, fait plaisir, tout le monde est content. Je trouve cela stérile, aseptisé,
ça ne fait rien avancer, si tant est que lécriture participerait du mouvement du
monde. Dailleurs est-ce quon fait avancer quelque chose ? Il est toujours
très prétentieux pour un auteur daffirmer cela. Tant pis, jessaie, je
marc-boute sur lénorme rocher à pousser et qui ne bougera pas dun
poil. Cest peut-être cela le sens de lengagement à la manière sartrienne.
On est loin du plaisir. Pourquoi écrit-on alors ? Pour dautres sentiments,
sensations, émotions, quête, désir, quelque chose de vital qui ressemblerait à
lamour, faire lamour, perpétuer, vivre (si je nécris pas je meurs,
petite mort) désirer, jouir, un sentiment animal, mais surtout pas du plaisir, qui est
déjà une déformation trop cérébrale. Et le lecteur dans tout cela. Trop cérébral,
cest sans doute lavantage du concept de plaisir, il est facilement partagé et
sans dommage entre auteur et lecteur, sorte de frottement de neurones, quelque chose
dasexuel, de convenable. Je nai pas envie du plaisir, de la béatitude. Je
voudrais plus de sentiments, que le lecteur ressente une gamme démotions plus
étendue, qui va du rire aux larmes, de lennui à la jouissance comme dans
lamour et cest sans doute très prétentieux. Assez de ces petites réductions
de vie ! Bien sûr, on mobjectera que même Barthes dans son
" plaisir du texte ", justement admet le principe de plaisir. Le tort
de Barthes est davoir utilisé ce mot, car le contenu de son texte est autre :
premièrement, il décline bien lensemble des aspects du plaisir du texte y compris
la plus charnelle jouissance et deuxièmement, noublions pas que ce texte a été
écrit (cest lui qui le dit) par réaction à lépoque contestataire, un peu
trop cérébrale et intellectuelle (toujours lengagement sartrien) qui réduisait
nos émotions et semblait les mettre au placard.
(22/09/2004)
Petit point sur les projets en cours :
1°) Lécriture dabord :
1-1°) Le texte fini en avril :
peaufiné en juin (notes décriture des 16/6, 14 et 21/4) attend sa publication, il
est réservé, donc on lui garde sa réserve, au sens de discrétion, modération,
bienséance, retenue, circonspection, mesure, sagesse, décence, pudeur. " Si
lon bâtissait la maison du bonheur, la plus grande pièce serait la salle
dattente ", disait Jules Renard.
Attendons donc
1-2°) Le texte en cours : une histoire de boulot, le retour au thème du travail
dans ce quil a de plus pragmatique, concerté, stylo maniaque, mains dans la
glaise au plus prêt de la définition, de la base, du départ : trouver un boulot.
Déjà 160 pages, beaucoup à dire, peut-être encore, une sorte dellipse.
Cest un roman ! annonce lauteur avec la précipitation et la fierté
dun père sortant de la salle daccouchement, chaussons aux pieds et charlotte
du même plastique bleu sur la tête. Fin du premier jet estimée pour la fin de
lannée. En attendant la fin des fins, on écrit avec souffle, allure de coureur de
fond, attendre la ligne darrivée, attendre et démolir une première cloison pour
agrandir la salle dattente chère à Jules Renard.
2°) Les autres projets, ensuite :
2-1°) Le Service après vente : si on peut appeler cela ainsi car je suis invité à
parler, présenter ma production. Cela aura lieu dans le cadre des rencontres littéraires
des Petites Fugues de Besançon fin novembre. Là encore, on attend ces journées avec
impatience, on démolit une seconde cloison pour agrandir la salle dattente chère
à Jules Renard.
2-2°) Le statut de lécrivain : lécrivain en son statut peut se
permettre tout un tas de projets intéressants, comme par exemple le mythique atelier
décriture. Le hasard a bien voulu mettre sur ma route une proposition
particulièrement intéressante sur cet exercice difficile que je rêvais
dentreprendre dans une classe de collège ou de lycée. On attend lagrément
des structures culturelles et éducatives. Troisième cloison gaiement entamée à coups
de masse pour agrandir la salle dattente chère à Jules Renard.
(15/09/2004)
" Le point dexclamation semploie après les interjections et à
la fin des phrases qui marquent la joie, la douleur, ladmiration,
etc.
", cest la définition du dictionnaire Petit Larousse
(1967, 30° tirage, couverture plastifiée vert bouteille, annoté de feuilles volantes
avec lécriture dune parente disparue, ce qui me le rend si précieux). Le
point dexclamation, donc, petit signe insignifiant de ponctuation dispersait sa
verticalité par centaines dans un manuscrit quun auteur mavait envoyé
" pour avis " et pas moins dune quinzaine rien que dans la
première page. Le point dexclamation, petit signe insignifiant, produit sur moi le
même effet que lécriture en lettres capitales : jai limpression
qu'on me crie décidément dans les oreilles, que lon mengueule, que
lon me force la main dans lacceptation de ce qui est écrit. De la lecture
intrinsèque quil produit ainsi placé à la fin des phrases, cest comme si
une voix me répétait : vous avez vu ce que jai dit ! vous êtes
daccord, hein ! On ne peut quêtre daccord ! Cette voix est
bien sûr celle de celui qui a écrit, produit la phrase, le paragraphe, le livre. Car le
point dexclamation, comment dire, se justifie de lui-même, par les situations
quil évoque ou simplement car il est associé à certaines règles
grammaticales : interjections : hein ! hé ! Lié à des situations il
peut servir à renforcer leffet, lévidence, mieux que bien des phrases :
je me souviens dune nouvelle que javais beaucoup aimée et qui décrivait
laliénation et le stress du travail à la chaîne à grands renforts de points
dexclamations. Le hasard, mais surtout lintuition de lauteur dont
cétait le premier texte, donnait ainsi à " entendre "
véritablement le bruit de lusine. Pour le texte quon mavait soumis, les
points dexclamations navaient pas lieu dêtre. Le personnage exprimait
dans un dialogue intérieur une fébrilité certaine mais la répétition des signes
verticaux donnait, comment dire, un air faux à la situation et à la sincérité de ce
personnage. En effet, il est dabord inutile quand on se parle à soi-même, quand on
étale ses pensées, par essence silencieuses, de donner corps ainsi à ses dialogues
intérieurs, les matérialiser de la sorte dans lécriture. Ces points
dexclamations placés " à la fin des phrases qui marquent la joie, la
douleur, ladmiration " étaient cependant conformes à la définition du
dictionnaire, sauf quil sagissait des émotions de lauteur qui
transparaissaient de façon trop évidente : je m'admire, je souffre, je veux y arriver.
Cela se rapproche évidement du thème plusieurs fois abordé dans ces notes (la semaine
dernière encore avec Hitchcock) de linutilité, voire du côté néfaste, de
lintention décriture qui transparaît dans la réalisation. Au regard de ses
textes, lauteur doit rester non pas froid, mais mesuré, savoir exactement se
dissocier de lui écrivant et de lautre, lauteur avec ses sentiments, ses
émotions, ses inspirations. Roland Barthes, dailleurs se méfiait souvent de ce
quil nommait lhystérie, toutes les marques trop perceptibles de
lémotion, sans doute ce quil percevait forcément en dehors de la structure
de lécrit. Et le point dexclamation, dans ses dérives, sexclut de
lécriture.
(08/09/2004)
"Je ne m'attends pas à ce que les gens s'en aperçoivent" : c'est une phrase
d'Alfred Hitchkock. Elle vient conclure une tirade assez conséquente (entretiens avec
François Truffaut) dans laquelle le cinéaste expliquait les relations entre deux scènes
de ses fameux Oiseaux (diffusé sur Arte dimanche 29/08) : l'une dans laquelle le
héros enferme un canari dans une "cage dorée" selon son expression, l'autre,
à un autre instant du film, dans laquelle l'héroïne se réfugie dans une cabine
téléphonique, poursuivie par les corbeaux. Ainsi raconté, longuement développé,
Hitchcock insiste sur les significations profondes "la cage dorée", symbole
anglo-saxon d'un enfermement volontaire de la civilisation américaine selon lui, et le
retournement de la réelle prison d'une cabine téléphonique (et par la mêler la
relation à l'enfermement technologique des hommes), puis vient cette phrase,
éblouissante (dans le sens qu'elle éclaire) tout l'enjeu déjà évoqué dans ces notes
du rapport entre l'intention de l'auteur et la réalisation effective dans la création.
L'intention ne vaut que lorsqu'elle reste invisible, ainsi "Je (Le cinéaste,
l'auteur, l'artiste) ne m'attends pas à ce que les gens (spectateurs, lecteurs) s'en
aperçoivent.
(01/09/2004)
- " Lécrivain en vacances " fait partie des Mythologies
de Roland Barthes (lecture justement de Vacances voire rubrique Notes de
lecture) : Gide Lisait du Bossuet en descendant le Congo. Cette posture résume
assez bien lidéal de nos écrivains " en
vacances "
/
Ce qui prouve la merveilleuse singularité de
lécrivain, cest que pendant ces fameuses vacances, quil partage
fraternellement avec les ouvriers et les calicots, il ne cesse, lui, sinon de travailler,
du moins de produire. Faux travailleur, cest aussi un faux vacancier.
- Barthes ne dit jamais vraiment la vérité (sinon ce ne serait pas une Mythologie
).
Daccord, du moins en ce qui me concerne pour les travaux forcés de vacances (le
" produire "
). Pas daccord avec la gentille moquerie,
provocation : " faux travailleur ", hélas, beaucoup voudraient
bien que les droits dauteur suffisent, les exonèrent dun second métier
alimentaire. Second métier de toute façon toujours trop prenant et comment faire sinon
rattraper le retard du " produire " pendant les vacances. Ce fut mon
cas : un texte promis, un autre plus long en cours, et cest soixante-dix pages
qui verront le jour en trois semaines, sans compter le temps nécessaire à la maturation,
la réflexion, les lectures, les projets de rentrée qui se formalisent, les bonnes
résolutions. Daccord avec le " faux vacancier " : la
décontraction ne fut jamais profonde mais je nai pas eu le choix. Daccord
aussi avec le rôle quon voudrait faire jouer à lécrivain en vacances :
tout cela introduit à la même idée dun écrivain surhomme, dune sorte
dêtre différentiel que la société met en vitrine pour mieux jouer de la
singularité factice quelle lui concède
/
Phénoménologie de lEgo.
Lalliance spectaculaire de tant de noblesse et de tant de futilité signifie que
lon croit encore à la contradiction : totalement miraculeuse chacun de ses
termes lest aussi : elle perdrait évidemment tout son intérêt dans un monde
où le travail de lécrivain serait désacralisé au point de paraître aussi
naturel que ses fonctions vestimentaires ou gustatives. "
(25/08/2004)
Il faut des évènements graves pour que lon consente à bouger : des
guerres des famines, des épidémies. Cette phrase dEspèces despaces
de Georges Perec a ce déclic particulier des petites citations, extraits que lon
retient à tout hasard (est-ce là une déformation décrivain ?) et qui
deviendront peut-être des épigraphes. Celle-ci, je la garde pour un livre à venir
peut-être, lointain sans doute, concernant ma famille paternelle que le hasard dune
invasion poussa en dehors du carré de 200 km de côté en bordure du Danube, espèce
despace à peine tranquille depuis 200 ans, espèce dhistoire aussi que cette
guerre oubliée, bousculée par une autre dans les mêmes lieux mais 50 ans plus tard en
des temps à développements plus médiatiques. Peut-être cette histoire que
jenvisage un jour prendra lidée de Georges Perec à savoir Ce que
jen attends
/
Rien dautres que la trace dun triple
vieillissement, celui des lieux eux-mêmes, celui de mes souvenirs, et celui de mon
écriture, écrivait-il à propos de la rédaction temporelle de 12 lieux, chaque
mois, selon un algorithme à base 12.
Encore une citation donc. A quoi servent-elles, quels livres les fabriquent ? Force
est de constater que Espèces despaces de Georges Perec est suffisamment
ouvert pour permettre, laisser vagabonder la pensée et ainsi la relier aux réflexions,
travaux (dartistes ?) en cours. Cette ouverture desprit suppose que les
livres dans lesquels nous puisons volontiers ces extraits ne doivent pas être trop
" fabriqués ", " pensés pour ". A lopposé
donc du lieu commun de café de commerce. Certains auteurs et non des moindres (sans doute
est-ce un travers de la création) ont parsemé leurs textes de phrases alléchantes au
premier abord, se révélant vite à lusage ou par abondance de celles-ci comme des
citations creuses, cest à dire des phrases avec un contenu suffisamment explicite,
philosophique, pour retenir lattention du lecteur mais qui ne tiennent pas la
distance ou le temps (toujours ce rapport à lespace
) : les auteurs qui
viennent à lesprit peuvent être Philippe Delerm, dans le genre " la
phrase qui fait joli ", Christian Bobin, dans le genre " la phrase qui
apporte la révélation ", Marguerite Duras des mauvais jours, dans le genre
" jétale mon génie ", dautres auteurs pressés comme
Beidbeder donc la puissance de lextrait " aujourdhui la
mondialisation cest la télévision ", in Windows in The World
coupe le souffle, parfois Pascal Quignard (Sur le jadis, note de lecture du 18/12./2002)
dont on garde bon souvenir mais dont la profusion, lexhaustivité, de pensées
culturelles laissent parfois un goût dindigestion.
Bref, cela nest pas dans Georges Perec. On notera cependant celle-ci presque trop
simple et belle : vivre, cest passer dun espace à un autre, en
essayant le plus possible de ne pas se cogner. Jai aussi noté cette extrait du
prière dinsérer : Lespace de notre vie nest ni continu, ni
infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se
courbe, où il se déconnecte et où il se rassemble ? Jai hésité à prendre
celui ci un peu plus loin : car ce que nous appelons quotidienneté nest pas
une évidence, mais opacité : une forme de cécité, une manière
danesthésie. Cest pour lépigraphe dun livre qui est en
cours. A noter que cet extrait vient aussi côtoyer la précédente épigraphe de Nathalie
Sarraute (Le planétarium) pour lequel jéprouve une nécessité
particulière à ce que cet extrait y figure. Tout cela tourbillonnant, se chevauchant,
en désordre
Mais il connaît pour les avoir mille fois observées ces infimes
particules en mouvement.
Côtoyer ? Remplacer ? La guerre des épigraphes aura-telle lieu pour le
futur livre ? Sommes-nous donc compliqués !
En vacances, alors que je découvrais Georges Perec, jai aussi découvert que
François Bon avait également lu (plus sûrement relu) Espèces despaces,
" sorti de chez lui " tout comme moi en Sicile, dans lavion qui
lemmenait dernièrement au Japon. Et découvert aussi que les extraits quil
cite, ses références, son rapport au même livre nest pas le mien, ce qui est
rassurant et prouve cette ouverture à lespace de lécriture.
Dans les découvertes étonnantes, que dire de Georges Perec décrivant le tableau
"Saint Jérôme dans son cabinet de travail" (National Gallery de Londres
nb : visité au printemps dernier
) par Antonello de Messine alors que quelques
jours avant, jai visité le musée de Messine qui lui est consacré.
Le livre se termine également par cette très belle définition, citation à
ressortir : écrire : essayer méticuleusement de retenir quelque chose, de
faire survivre quelque chose : arracher quelques bribes précises au vide qui se
creuse, laisser quelque part un sillon, une trace, une marque ou quelques signes.
(18/08/2004)
Inventer un jeu oulipien en 5mn, voici que la contrainte est déjà oulipienne (20s).
Donc réfléchissons (30s). Comment faire ( 35s) ? Peut être avec un compte de
syllabes ? Trop facile (55s)
Il faudrait trouver une méthode nouvelle (65s),
bizarre (66s), étrange (67s), sans doute qu'en comptant ainsi, ça vrille l'esprit (85s).
Hésitation, réflexion, euh (2mn) ........................ (2mn 10 s). Ultimatum :
on ne compte plus, on nécrit plus, on réfléchit en
silence..............................................(3mn40s)...........en silence.
Se jetter à leau, avec leau du bain, bain (stingel), bien (que je sois sec).
Reflexion....(3mn50). Sec ? sec, SEC ? Jai trouvé ! Trouver un poème
uniquement avec les lettres du mot SEC, voilà ma contrainte oulipienne. Voyons ce que ça
donne.........................(4mn10s)...........................(4mn45s).
Sec, ce S (esse ?), se C e CES, ESC, cesse ce sec E : Cesse ce sec E :
hommage à la Disparition de Perec, on ne pouvait mieux tomber (5mn).
Jintitule cet exercice un " cesseceseceutisme " (sans doute
existe-til déjà sous une forme égale ou différente cela mest
égal et mindiffère -). Règle du jeu : que le score soit le plus élevé
possible. Score = nombre de lettres de la phrase obtenue, divisé par le nombre de lettres
du mot. Condition : que la phrase obtenue soit grammaticalement correcte. Dans notre
exemple, nous obtenons un score de 3,67. Est-ce bien, correct suffisant ? Peut-on
faire mieux ?
Des mots comme " coquilles " semblent plus faciles pour réaliser un
"cesseceseceutisme ", et dune évidence alléchante, essayons
encore : le coq qui loue ses coquilles. Très facile : score de 2,56, on peut
sans doute faire beaucoup mieux.
Plus le mot est grand, plus lexercice sera facile, offrant des possibilités de
score élevé. Il faut donc pondérer le score en donnant une prime au mot initial le plus
court possible : choisssons délever au carré le nombre de lettres du mot choisi au
dénominateur. On obtient dans le premier exemple un score de 1,22 et dans le deuxième de
0,28, ce qui est beaucoup plus parlant pour évoquer les possibilités à parfaire du
deuxième exemple. Il nen demeure par moins que le sel dun tel moment oulipien
tient à ce que le môme en nous lit bien.
(21/07/2004)
Dans un article intitulé le nomos et la question des limites (les règles de
lart (seuil), chapitre le point de vue de lauteur), Pierre Bourdieu évoque le
problème de définir de lécrivain :
" les luttes internes, notamment celles qui opposent les tenants de
" lart pur " au tenants de " lart
bourgeois " ou " commercial ", et qui conduisent les
premiers à refuser aux seconds le nom même décrivain, prennent inévitablement la
forme de conflits de définition, au sens propre du terme : chacun vise à imposer
les limites du champ les plus favorables à ses intérêts ou, ce qui revient au même, la
définition des conditions de lappartenance véritable au champ ( ou des titres
donnant droit au statut décrivain , dartiste ou de savant) qui est la mieux
faite pour justifier dexister comme il existe ".
Plus loin : " Trancher sur le papier et de façon plus ou moins
arbitraire des débats qui ne le sont pas dans la réalité, comme la question de savoir
si tel ou tel prétendant au titre décrivain (etc) fait partie de la population des
écrivains, cest oublier que le champ de production culturelle est le lieu de luttes
qui, à travers limposition de la définition dominante de lécrivain, visent
à délimiter la population de ceux qui sont en droit de participer à la lutte pour la
définition de lécrivain. "
Un jour, je me suis regardé dans une glace, pour de vrai, pas au figuré, geste que
lon fait souvent quand on doute, et je me suis appelé écrivain, sans me soucier le
moins du monde des luttes dont Bourdieu fait question, simplement parce que cétait
une question de survie. Lécrivain pour moi était cette définition laconique du
dictionnaire " personne qui compose des livres ". Je navais
jamais publié, ignorais comment on fait, javais juste matière écrite et cette
enflure qui simposait à moi : me nommer dans cette définition ou
disparaître. Jai ainsi pris le pouvoir, fait un coup détat à la définition
impossible, puisque je navais jamais rien publié, puisquelle sous-entend dans
composer quil faudrait ET écrire ET publier (avant, quand on prend les mots à bras
le corps, ce travail de sueur, comment ça sappelle ?). Par la suite, je me
suis légitimé, suis rentré dans le costume de la définition mais je nen avais
plus rien à faire, je métais déjà nommé, avait intégré le titre : en moi
fondu.
Je sais les luttes quévoquent Pierre Bourdieu, je les ai reconnues, elles aussi
nommées, lappartenance au monde de ceux qui nont pas le pouvoir, et cette
extension qui sapplique invariablement à " ce " qui touche aux
mots, à " ceux " aussi qui y touchent, castes, intérêts
économiques, luttes, oui, mais toujours pour le pouvoir (les deux mots voués à être
éternellement ensemble, siamois). Parmi les coups bas : celle qui demande comment
jai été édité et moi, naïvement, racontant le hasard, mais le hasard elle
ny croit pas et ayant capté un mot louche dans ma réponse, elle me transperce
avec, vacharde, ça me fait mal encore, pourtant vieux de plusieurs années.
Je pense à mon père dont la langue maternelle est différente. Avec le recul, sans doute
je crois que jai pris ce pouvoir, cette latitude de me nommer grâce à lui, ou pour
lui. Il serait illusoire de penser que les luttes dont parlent Bourdieu se sont éteintes,
elles subsistent, simplement je suis entré dans leurs champs (de bataille) avec la
question de savoir qui on légitime, je dis on pour me cerner dedans, avec mes avis, mes
opinions, comme participant à la même vieille lutte, inlassablement reconduite dans le
sel de lhumain.
(30/06/2004)
Voici un exercice de cut-up sur Rimbaud (à la manière de Burroughs qui essaya ses
premiers "cut-up" sur des traductions du poète français).
Méthode définie au départ (durée chronométrée) et réalisée en direct :
- taper Rimbaud dans un moteur de recherche Internet : 1mn
- copier le premier poème rencontré dans un logiciel de traitement de texte: 50 s
- partager le texte en tableau 2 colonnes : 10 s
- distribuer le texte en 4 parties : 2 mn
- éditer le résultat dans un tableur (qui permet de changer le texte colonne en ligne et
vice-versa) : 3mn
- mise en forme ci-dessous : 3 mn
Résultat :
" Par soirs d'été, dans sentiers, Picoté les fouler menue: Rêveur, sentirai
fraîcheur mes Je le baigner tête Je parlerai je penserai l'amour me dans j'irai bien
comme bohémien, la - comme une les bleus j'irai les par blés, l'herbe j'en la à pieds.
laisserai vent ma nue. ne pas, ne rien: Mais infini montera l'âme, Et loin, loin, un Par
Nature, heureux avec femme. "
(Version initiale " Sensation " :
" Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue:
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien:
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme. " )
Total :10mn, donc. L'informatique a remplacé les ciseaux et permet de multiples "
Cut-up ". Tableurs et traitements de textes permettent un grand choix de
combinaisons. Peu importe la méthode, mais il me semble qu'il faille respecter une
certaine vitesse de réalisation, la plus rapide possible afin que le spontané l'emporte
sur le réfléchi. De même que la recherche aléatoire d'Internet doit aboutir à copier
le premier poème trouvé. Principes afin d'être proche d'une manipulation du texte la
moins humaine possible, la plus sauvage, laisser faire le fameux adage mallarméen "
un coup de dés jamais n'abolira le hasard "...
Les résultats sont toujours surprenants : que dire ici des associations " j'irai
bien comme bohémien ",
" laisserai vent ma nue. ne pas, ne rien " ," Je parlerai je
penserai l'amour ", "Et loin, loin, un Par Nature, heureux avec femme "
. Le sens initial n'en est pas changé,je retrouve les mêmes émotions (ce qui laisserait
à penser que ce sont les mots seuls qui les déchargent) mais les associations
différentes donnent une perspective autre, une légère déformation qui me semble par
leur étrangeté laisser une trace plus forte que dans un texte plus compréhensible.
(23/06/2004)
Corriger et donc écrire, cest traquer les évidences et les retourner comme des
crêpes. Jai écrit cela pour les corrections de PPPP. Aujourdhui, je suis
plongé à nouveau dans la mise au point dun texte mais il me semble que je
nen suis pas encore arrivé à cette lecture si précise qui consiste à traquer les
évidences. Je viens juste de terminer une version un peu plus élaborée, remaniements de
chapitres, changements dans lordre des paragraphes, tendre vers une compréhension
plus grande et je sens la nécessité den faire le point par une lecture à haute
voix qui me permettra dencore rectifier, tant la musique de la phrase nous en
révèle les imperfections. Jai un sentiment mitigé devant ces premières
corrections, jaurais voulu parfois y ouvrir un peu plus de lyrisme comme dans PPPP,
mais je ny arrive pas (peut-être la fatigue à la longue, se lever tous les jours
à 6h, le boulot prenant
), ce ce qui me laisse conclure que chaque livre est
vraiment particulier et nous laisse découvrir des modes de fonctionnements différents.
Il ny a pas de recette universelle dans cette grande cuisine des mots.
Deux jours plus tard, j'ai terminé ce deuxième jet.
Trois jours plus tard, l'accueil de cette version comporte le mot
"enthousiaste". J'en suis très fier. Je relis mes phrases du début de cette
note et m'aperçois qu'on ne sait jamais, on doute toujours, c'est bien ainsi.
(16/06/2004)
Il est d'usage lorsqu'on reçoit le prix Nobel (de littérature de surcroît) de
prononcer un discours, que l'ensemble des critiques, biographes, éditeurs reprend
généralement sous le titre inventif de discours de Stockholm. Cela donne une aura
particulière à la bibliographie des écrivains nobélisés, et cela permet aussi,
parfois hypocritement, de saluer une uvre qui jusque là était ignorée. Car le
fameux prix international est au-delà des modes et des gesticulations partisanes,
généralement limitées à un seul pays (un marché, en terme marketing) : en France,
cela donne une gamme de prix dont l'attribution est liée à un potentiel de vente et à
un partage du grand gâteau éditorial. On le sait et cela n'empêche pas d'accepter ce
genre d'honneur. Ceci dit, Prix Nobel est une excellente carte de visite, et moins
prétentieux qu'Immortel à la Coupole.
Mais je m'éloigne, je m'éloigne et le discours du jour est justement sur le fameux
discours : c'est aujourd'hui qu'a lieu à Stockholm tout le tralala, d'abord un grand gala
à la mémoire de Nobel, ensuite le banquet au cours duquel on lira un petit discours de
moi, écrivait Hermann Hesse, prix 1919, qui refusa d'assister à la cérémonie, il est
vrai organisée le 10 décembre 1946.
Tous les discours sont donc en principe rendus publiques un 10 décembre, jour
anniversaire d'Alfred Nobel. Ci-dessous, quelques extraits dans lesquels ma préférence
va à Beckett, Claude Simon et Pablo Néruda, qui raconte également les préparatifs:
" Pour la cérémonie des prix, une séance de répétition générale nous était
imposée, que le protocole suédois nous obligea de tenir à l'endroit même de la
célébration. C'était une chose vraiment comique que de voir des gens aussi sérieux
sauter du lit et sortir de l'hôtel à une heure précise, arriver ponctuels à un
édifice vide, monter des escaliers sans hésiter, marcher à droite et à gauche dans un
ordre strict, s'asseoir sur l'estrade dans les fauteuils qu'ils devaient occuper
exactement le jour des prix. "
Extrait du Discours de Stockholm d'Albert Camus, 1957 :
" Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne
sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle
consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d'une histoire corrompue où
se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et
les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd'hui tout détruire
mais ne savent plus convaincre, où l'intelligence s'est abaissée jusqu'à se faire la
servante de la haine et de l'oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour
d'elle, restaurer, à partir de ses seules négations, un peu de ce qui fait la dignité
de vivre et de mourir. "
Claude Simon, 1985 :
" L'écrivain, dès qu'il commence à tracer un mot sur le papier, touche aussitôt
à ce prodigieux ensemble, ce prodigieux réseau de rapports établis "
Gao Xingjian, 2000 :
"Depuis cent ans, le nombre des écrivains fusillés, emprisonnés, contraints à
l'exil ou condamnés aux travaux forcés est incalculable, dans des proportions que l'on
ne peut comparer avec aucune des dynasties impériales de toute l'histoire de la
Chine."
V.S. Naipaul, 2001 :
" Il peut paraître étrange qu'un homme qui, depuis près de cinquante ans, fait
profession de manier les mots, les émotions et les idées n'ait rien à proposer, en
quelque sorte. Mais tout ce que j'ai à dire de valable se trouve dans mes livres. Ou
alors n'est pas encore entièrement formé. J'en suis d'ailleurs à peine conscient. Cela
attend le prochain livre et, avec un peu de chance, me viendra en écrivant - par
surprise. C'est cet élément de surprise que je cherche quand j'écris, et qui me permet
- entreprise toujours délicate - de juger mon travail
/
Je suis la somme de mes
livres."
Imre Kertesz, 2002 :
" Par un beau jour de printemps, j'ai compris d'un coup qu'il n'existait qu'une seule
réalité, et que cette réalité, c'était moi, ma vie, ce cadeau fragile et d'une durée
incertaine que des puissances étrangères et inconnues s'étaient approprié, avaient
nationalisé, déterminé et scellé, et j'ai su que je devais la reprendre à ce
monstrueux Moloch qu'on appelle l'histoire, car elle n'appartenait qu'à moi et je devais
en disposer en tant que telle. "
Octavio Paz, 1990 :
" La conscience de la séparation est un trait constant de notre histoire
spirituelle. Parfois, nous éprouvons la séparation comme une blessure : elle devient
alors une scission interne, la conscience déchirée qui nous invite à notre propre
examen. D'autres fois, elle prend la forme du défi, c'est l'éperon qui nous pousse à
l'action, à sortir à la rencontre des autres et du monde. "
Pablo Neruda, 1971 :
" Ce n'est qu'au prix d'une ardente patience que nous pourrons conquérir la cité
splendide qui donnera la lumière, la justice et la dignité à tous les hommes. Ainsi la
poésie n'aura pas chanté en vain. "
Le 10 décembre 1969, Jérôme Lindon recevra le Nobel pour Samuel Beckett qui déclare :
" Lindon va très gentiment affronter les navets à ma place en ce foutu jour de la
Saint Nobel "
(09/06/2004)
Cest un article de Lire davril dernier : Les éditeurs manquent-il de
rigueur ? Et lauteur, juste indiqué par ses initiales J.M.B (non, ce
nest pas Jean-Marie Barnaud
) de se plaindre quil avait reçu trois
livres illisibles en service de presse : lun pour incohérences dans le récit,
lautre pour platitude de style, enfin le dernier pour avoir trop développé une
biographie (et forcement dune façon anarchique).
En conclusion : les éditeurs qui publient trop pourraient mieux choisir leurs textes
et ainsi J.M.B de terminer : nous sommes si heureux à lire de bons livres.
Au premier abord, il semble facile de lever les arguments un à un.
Pour le premier livre, peu documenté, J.M.B va jusquà énoncer cette
sentence : je me refuse à poursuivre la lecture dun ouvrage, fut-il un roman,
lorsque lauteur na pas pris la peine de réunir une documentation même
sommaire. Sil est vrai quon nentame pas un roman sur lantiquité
en ignorant limportance de Rome ou dAthènes, le souci du détail vrai ne doit
pas obnubiler le lecteur et lenfermer dans une tour divoire de spécialistes,
ce que ne sont pas les autres lecteurs pour la plupart (ici, les questions relatives à la
vie et aux murs des albatros qui ont si gravement froissé notre J.M.B montrent plus
une connaissance de professionnel de la Ligue de Protection des Oiseaux que du simple
observateur). Cela me fait penser que, dans un précédent roman, alors que
jindiquais une nuit de pleine lune datée précisement, un lecteur poussa la
détermination jusquà aller vérifier ( et sapercevoir que cétait
véridique, car je garde toujours une collection de calendrier des PTT bien utiles
et toc !). Mais la véritable question nest pas là : elle réside dans le
fait de faire persister que ce qui est écrit doit être synonyme de vérité. Ce qui me
rappelle une autre anecdote où Michel Séonnet dans un atelier décriture proposait
à un stagiaire de modifier son texte pour le rendre plus attrayant et lautre
sy refusant par peur de trahir son souvenir
Ceci dit, lécrivain dispose
de suffisamment dartifices pour éluder les questions dauthenticité, depuis
la simple éviction des sujets demandant une trop grande documentation, jusquà la
recherche (même sommaire, dixit J.M.B.) notamment via la facilité et la complétude du
web. Ou encore de faire comme Pierre Michon dans Rimbaud le Fils, de présenter
le texte en plaçant demblée lincertitude " on dit que Vitalie
Cuif, mère de Rimbaud
" et de déplacer ainsi habilement la vérification
sur le dos du lecteur (moi, ce que jen dis
Allez vérifier vous même
).
Roland Barthes dans la Préparation au roman (Notes de lecture cette semaine) passe
très peu de temps sur ce qui semble chagriner J.M.B, (la documentation - ce que je
brocarde par lexpression " vérification scolaire de
lintrigue "). Ce qui importe, pour Roland Barthes, ce sont les notes, bien
sûr, mais celles qui ont rapport à la littérature, exemple, les haïkus.
Ce thème de la littérature nous donne une transition pour aborder le deuxième livre
critiqué pour son absence de style, qui, pour lauteur de larticle, doit se
réveler être autre chose que de la " platitude ", un ailleurs entre
le " plaisant " et " lanecdote drôle ".
Car, et cest là le malheur proposé par le troisième livre de notre journaliste,
il sennuie très vite et devoir se farcir les 600 pages dune biographie le
pompe gravement.
Donc il nest pas heureux, car il est bien entendu en résumant ses trois griefs,
quun livre doit être vrai, doit être plaisant, doit être court, en cela, nous
fabriquerons des lecteurs heureux ce qui serait le seul but de la littérature. Un jour,
un lecteur ma fait un grief similaire à propos de Composants (histoire
dune semaine dun intérimaire) en déplorant le côté noir et triste, tant il
est vrai que la vie dun travailleur précaire prête à rire et à se taper sur les
cuisses tous les jours
Voilà, il est facile de démonter les arguments de ceux qui véhiculent des clichés
aussi restrictifs que lecture = plaisir ou roman = vérité. Cependant J.M.B. pose une
interrogation intéressante sur le rôle de léditeur placé en situation
darbitre avec toute la difficulté que représente ce rôle, choisir donc écarter,
choisir donc continuer à faire persister des automatismes de lectures faciles comme celui
que semble revendiquer notre journaliste. Ce nest sans doute pas la voie à prendre
par un éditeur, ne le schématisons pas non plus dans le rôle de passeur (dont
lexpression ne me semble pas vouloir dire grand chose), peut-être ouvreur, oui,
cela aurait un sens.
De cet article, je ne préfère ne retenir quune phrase, le titre : les éditeurs
manquent-ils de rigueur ? Voilà une question qui aurait mérité être traitée
sous ses multiples aspects, et non pas réduite à la simple rigueur de la profession qui
cherche des produits calibrés et qui plaisent. Car sil est bien deux mots qui sont
frère et sur, cest bien roman et rigueur, tant limportance de la
littérature ne peut se contenter dapproximation, dune absence de prétention
au sens noble du terme, mais certes pas de rigueur au sens restrictif, mercantile et
convenu.
(26/05/2004)
Si le Planétarium de Nathalie Sarraute m'a particulièrement intéressé
grâce à un schéma préalable à l'écriture du livre (voir en Notes de lecture), une
autre représentation picturale entrevue dans le cadre de mon travail nourricier m'a
obsédé pendant quelques jours, au point d'en arriver à dresser le plan d'un ouvrage que
je sens poindre et dont le sujet me réclame. Il s'agit de 3 cercles. L'éloignement, le
rapprochement, les superpositions, les lignes de failles de ces trois figures
représentent bien sûr quelque chose, un état, un évènement, une suite, et, malgré
que l'activité de mon boulot ne m'ait pas donné l'occasion d'explorer tous les
enchevêtrements possibles, j'ai dû passer au total une dizaine d'heures à réfléchir
sur les figures géométriques obtenues par les mouvements et leurs significations. Il en
résulte un plan de 15 chapitres, ce qui me semble être l'exploration quasi-complète des
possibilités qu'offrent les interactions de ces trois cercles.
Ainsi raconté, tout semble simple. C'est évidemment sans apprécier la composante de la
littérature et du langage, l'évolution des lois que nous nous édictons pour arriver à
comprendre les interactions de ce qui nous semble être des réalités et qui ne sont sans
doute que de petits arrangements fictionnels. Ceci pour minimiser non pas le poids de la
figure géométrique qui sert de départ à la réflexion esthétique préalable du livre
(l'intention, donc) mais simplement de dire pour prendre acte, que la photographie
géométrique d'aujourd'hui ne sera certainement pas celle qui sera à la fin de l'ouvrage
(si j'y arrive...), l'important étant les mouvements d'ensemble de ces géométries.
Le schéma (soleil qui rayonne) de Nathalie Sarraute pour le Planétarium me
semble conforter ces vagues idées. En effet, la totalité du livre paraît avoir été
construit autour du début, clairement indiqué au centre et point de départ, récit qui
semble s'architecturer de façon chronologique donc, alors qu'un évènement notable du
récit, qui servira de trame en quelque sorte, ou plutôt de logique, n'apparaît pas
clairement, même sous la forme d'un des multiples rayons. Ainsi, ce déplacement de
l'intérêt est une illusion d'optique qui cache certainement les intentions de départ de
l'auteur (et c'est tant mieux, car s'il existe une loi à reconnaître comme véritable,
c'est bien la méfiance et la non-divulgation de ces intentions). L'important dans le
" soleil " de Nathalie Sarraute est contenu dans les marges, ce qu'elle a su
traduire dans le ton de l'ouvrage, les mots et expressions qui lui ont servi de guide :
possession, conquête, jalousie, vide, joli, néant, puisés au hasard dans la grande
variété des locutions qui jalonne sa figure géométrique. Il semble bien que c'est
l'ensemble et la complétude de son étude, le thème de l'épuisement (cf. par analogie, Tentative
d'épuisement d'un lieu parisien de Georges Perec) qui a retenu Nathalie Sarraute,
d'où le titre magnifique et total du Planétarium.
Globalement, l'expérience que je vais essayer de mener avec mes trois cercles part de la
même tentative. A suivre donc
(19/05/2004)
Claude Simon (extrait d'une Interview de Jean Claude Lebrun, L'humanité -13/03/1998) :
" On fait comme on peut. On joue avec des alternances, des oppositions, des
assonances, des dissonances, etc. Par exemple, quand j'introduis au milieu d'un récit de
guerre des citations de Proust, cette conversation paisible et quelque peu comique avec la
marquise de Cambremer (que le lift s'obstine à appeler Camembert) sur la terrasse du
Grand Hôtel, à Balbec, à la même heure (cinq heures de l'après-midi) où Rommel a
lancé son offensive (et peu importe que l'une et l'autre aient lieu à quarante-cinq ans
d'intervalle: en ce moment même où nous avons cette paisible conversation, il y a dans
plusieurs endroits dans le monde des gens qu'on tue)... De plus ce passage apparemment
futile est peut-être le plus grand tour de force que l'on ait jamais réussi en
littérature : aux différentes nuances des couleurs que prennent les mouettes posées sur
l'eau (et que dans la conversation on compare aux "Nymphéas" de Monet) on peut
sentir au fur et à mesure de la lecture le passage du temps. De plus encore, il y a
parfois des chevauchements, des sortes d'échos. Par exemple, dans "le Jardin des
plantes" après un compte rendu militaire de combats sur la frontière belge où sont
énumérés des noms de blockhaus (noms de lieux-dits parfois pittoresques), au paragraphe
suivant, l'un des personnages de Proust s'exclame : "Comme ces noms sont jolis
!" à propos cette fois de noms de villages normands dont on ne peut s'empêcher de
penser que, peut-être, pour des soldats américains ou anglais, en 1944, ils ont aussi
été synonymes d'enfers. "
(12/05/2004)
" On écrit, on écrit, et que dire là-dessus ? J'ai devant moi, une
feuille avec un gribouillis, des ronds, des cercles avec écrits dedans des mots comme
Télé-achat, standardiste, bonbon à Nicolas, flic, inspecteur, Marie-Claude, chat,
chien, soupirail, enfant Kévin, voisin, sa femme, salade, présidente. C'est un projet de
bouquin, pour moi, cela veut dire quelque chose. Cela ne veut surtout pas dire que ce
bouquin verra le jour. Il est trop tôt, il faut que les pages s'écrivent jour après
jour, que les idées deviennent obsédantes jusqu'à oublier l'endroit où on a garé la
voiture, qu'on se dise un beau jour qu'on a basculé et on termine. "
Cest la première Note décriture de Feuilles de route, elle date du
13 septembre 2000. Central était sorti depuis 15 jours chez Fayard et La
réserve depuis cinq mois aux Editions Guéniot.
" Je voulais faire un site le plus simple possible. C'est fait : fond sobre,
caractères sombres. Une page de bouquin en quelque sorte. ". Cette
profession de foi était du même jour (en Etonnements) et la première Note
de lecture portait sur un livre de voyage Un atoll et un rêve. Combien ce
titre est prémonitoire, le rêve du virtuel, vagues dInternet, et la volonté d'un
site comme une île pour y prendre pied chaque semaine.
Depuis, ce moteur à trois temps (lire, écrire, s'étonner - avec photos parfois en Webcam-
) fonctionne cahin-caha, pétarade, s'époumonne, grince ou chante, mais tourne, vit.
C'est la partie mises à jour, avec son résumé en Actualités, sorte
d'humeur du moment (et que l'on reçoit chaque semaine en s'inscrivant à la liste). Les
vieilles huiles usées, les outils, les traces des voyages passés s'accumulent dans le
garage en Archives.
Depuis, d'autres livres, écrits sont venus s'ajouter à Central et La
Réserve, et c'est avec impatience et fierté que j'ai construit pour chacun d'eux
une rubrique d'articles de presse et de notes, et augmenté la vie Bio - Biblio.
Toute cette agitation, amoncellement résume ma vie de naufragé volontaire sur Feuilles
de route (et cet emprunt à Blaise Cendrars ma paru lévidence même, en
parlant dîle...), avec en sous-titre et pour ne jamais loublier
" Tentative dexposition de travail littéraire à la vue de
tous ".
Exposé, surexposé, sousexposé, finalement la vie tourne autour de ces intranquillités.
La vocation de ce site est ce déséquilibre, un site purement personnel sans
préoccupation esthétique ou graphique, nos chapelles délaissées, un dénuement
darchipel désert, le souvenir d'Ile au Trésor comme première lecture de
gamin, ou la recherche de Paul Gauguin et Jacques Brel aux Marquises qui sortent à cinq
heures.
Je revendique ce seul au monde, avec mercredi comme unique compagnon des mises à
jour hebdomadaires.
(05/05/2004)
" Rien à écrire ", disais-je la semaine dernière. Et puis sans
en avoir vraiment envie, jai repris le texte sur lequel je travaille depuis janvier,
au départ, simplement pour le remettre en forme, par souci de vraiment le terminer,
"en éliminer les scories", bref, ce que Roland Barthes nomme la
"gestion", "writings", dans les cours quil donna au
collège de France de 1978 à 1980 sur la préparation au roman (on en reparlera
).
Sans toutefois y associer, comme Barthes, la connotation péjorative dont il entoure ce
travail " de gestion, pur entretien " par rapport au travail créatif.
Car quand ce dernier fait défaut, cet " entretien de
lécriture ", peut-être que je déprécie aussi dans lexpression
qui sy rapporte du " rien à écrire ", devient le seul lien, le
pas à pas, la mécanique traversée dune solitude dédifices paragraphiques
qui ne disent plus grand chose. Sattaquer à la pile, au mot à mot, à la phrase
na rien au départ de réjouissant, sauf quon peut parfois, à force de
frotter lettre contre lettre comme des silex, faire jaillir des étincelles, non pas au
sens de lidée géniale et lumineuse, simplement une lueur qui aide à avancer
jusquà la prochaine virgule, au prochain point, dans cette lenteur si bénéfique
au texte. Ainsi, sans sen apercevoir, on pense que le texte peut être terminé et
non plus bâclé, lidée latente de le reléguer, le faire mourir en quelque sorte,
lenfouir sous dautres écrits ratés séloigne, il devient convalescent
et, soi-même faisant corps avec lui, déjà mieux, en espérant que cela dure.
(21/04/2004)
J'ai fini un texte avec soulagement. Ce n'est pas une victoire. C'est le soulagement
d'avoir fini quelque chose qui demeurait pesant. Quand l'écriture se passe bien, il y a
cette sorte de ralentissement dans l'acte, l'impression que les mots se délayent dans le
temps, en touches incertaines, en lavis successifs comme dans l'aquarelle. Ici, je n'ai
rien ressenti de tout cela, rien qu'un soulagement en écrivant les derniers mots d'une
chose compacte. C'est un texte assez court, 90 pages tout de même, une fausse bonne idée
de départ comme on dit, du moins il me semble. Quand l'écriture se passe bien, j'y pense
souvent, dans la journée, en voiture, je me remémore les derniers mots écrits et ceux
là viennent facilement à l'esprit, je cherche des pistes pour continuer. C'est une joie.
Ici, les mots étaient pesants, il y avait cette sorte d'amnésie totale à essayer de me
rappeler où j'en étais.
J'écris ces lignes à peine le texte terminé depuis cinq minutes. Ce sont des
impressions à chaud comme on dit. Sans doute, je relirai plus tard ce texte manqué pour
le rendre plus présentable, éliminer les scories et le proposer à qui l'attend, non
sans l'avoir prévenue de mes difficultés, je ne pourrais pas les passer sous silence, il
me semble que ça relève de l'honnêteté
Quelques jours plus tard et rien à enlever de ce qui fut dit à chaud. Soulagement
toujours de cesser un texte qui ne me disait plus rien. Mais mieux vaut rester devant le
grand vide du " rien à écrire " et pourtant terriblement angoissant. Etre
ainsi fait. Ne pas se poser la question de s'il faut l'accepter ou non, c'est comme cela.
Attendre une renaissance. Et merci à ceux qui le comprennent et qui m'encouragent de
quelques mots.
Allez ! Terminons cette note d'écriture par une ouverture à d'autres que le repli sur
soi et citons Alexandre Dumas : " seul le romancier est impartial : il ne juge pas,
il montre ".
(14/04/2004)
Un exercice presque oulipien, histoire de délier la langue. Deux
contraintes à respecter : le nom de lauteur en lecture verticale et aller le
plus vite possible dans la rédaction. Si vous vous appelez Bob Roi ou Léo Py,
recommencez huit fois...
Tu n'aurais pas pu
Habiter ailleurs ?
Inventer des
Errances, des
Rencontres, des
Récits,
Y
Baigner
Et,
Immanquablement,
Ne pas
S'énerver
Totalement,
Imaginer
Nos
Gueules
Émerveillées s'allonger sur la
Lande |
Terrible
Hantise
Issue d'
Évènements
Réels ou non
- Raconte pas ta vie -
Y aurait-il que
Bing de Beckett, l'
Elan
Immature et
Nubile,
Soudain
Tous
Imberbes,
Nouveaux,
Gelés dans l'
Entrecroisement de la
Langue |
Taureaux
Hispaniques
Immobiles, infernaux
Et
Rage au cur
Roulant des noms d'ici : Goncalves
Y
Banditeros
Et moulins à vent
Importants, emportant
Nos
Silences du cur
-T'as qu'à te taire !
Inspirer, expirer, ça passera -
N'empêche, ta
Gouaille avait
Emu
Les taureaux |
Tarte Tatin ? Alors je fais une tarte Tatin ? Planté dans l'
Herbe, je la vois en haut du balcon, n-
-Imbée de lumière, c'
Est vraiment le printemps.
Rotor de la tondeuse qui tourne enco-
Re,
Y compris les primevères que j'ai tondues.
Ben, pourquoi que tu... Désignant l'
Espace redevenu
Immaculé vert,
Ni fleurs,
Sans couleur.
T'aurais pu éviter de... S'accoudant au soleil, fermant les yeux,
Inspirant : ce qu'il fait beau...
Ne durera pas, lui dis-je. Oh, toi !
Garde ton pessimisme ! Tu n'auras pas de tarte Tatin.
Elle referme
La fenêtre. |
(07/04/2004)
Ne pas écrire, être en panne dencre sèche, est paradoxal pour
celui qui écrit justement ces lignes. Nempêche que Feuilles de route constitue
depuis quelques semaines le seul lien qui me rattache à lécriture. Le seul. Avec
cette impression quon ne pourrait peut-être jamais plus écrire. La mort, quoi. Un
sentiment dabandon, une impuissance. Il y avait cette histoire commencée depuis le
début dannée, je continue à me mettre à ma table jessaie de continuer puis
jabandonne sans un mot : sans doute une fausse piste, ou peut-être se dire que
cette histoire en cachait une autre, comme dhabitude. Mais lautre cest
quand et qui me dira que cest la bonne ? Cette absence, non pas
décriture, mais comment dire, lélan, le mouvement qui met en branle tout le
corps, cerveau, cur, viscère, cest cela dont jai besoin. Ce nest
pas la première fois que cela arrive, bien-sûr.
Cette fois, ce qui me fait peur, cest que lautre vie (certains diraient, la
" vraie ", la professionnelle, celle qui rapporte la paie à la fin du
mois) saccélère parallèlement, non dans cette exaltation que lon ressent
parfois à travailler dans la perspective, les résultats attendus, mais plutôt dans une
préoccupation de chaque instant des méandres kafkaïens que le travail se plait à
tisser. Ce qui me fait peur, cest que ce " vrai " travail
devienne si accaparant et usant (journée moyenne 7h30 à 19h30, et tendues
)
quil mempêche de puiser lénergie nécessaire pour redémarrer
lécriture. En même temps, cet intérêt nouveau me donnera peut-être matière à
inspiration, tant il est vérifiable que vie et écriture se lient deux-mêmes.
(31/03/2004)
Partir
et puis revenir
Bon : comme Blaise Cendrars,
jai lespoir de relancer la machine écriture dans ce changement radical hors
de la " vieille Europe ". Blaise revenait gonflé à bloc
(" mes journées seront bien remplies. Je nai pas une minute à perdre.
Jécris. "). Vingt jours de trajets avaient de quoi donner une dimension
et un élan différent au temps. La dizaine dheure davion, le décalage qui
perdure et lenvironnement familier vite retrouvé à ce côté perturbant :
ai-je seulement rêvé ce voyage ? Blaise, donc, certain de son élan et son plus
grand succès (Lor) avait suivi. Rien nest pareil. Incertitude et pot
au noir comme si lavion avait traîné derrière lui ce calme des vents en
traversant léquateur pour me glisser de nouveau dans mon hémisphère habituel.
Blaise avait limagination et les aventures toutes neuves des pionniers à raconter
(pour Lor et Sutter le Californien, il emprunta ses paysages au Brésil).
Aujourdhui tout est découvert, la fiction a ce goût de rance, les aventuriers
demeurent déternels policiers intergalactiques aux morales éculées.
Laventure nest peut-être plus que ce quotidien enchâssé dans nos vies, à
dix mille lieues du Brésil. Comment faire le lien avec lattrait, le mouvement
incomparable des terres traversées ? Oui, cétait peut-être quun rêve
Nest quand même pas un songe la phrase qui fait plaisir (critique de PPPP cette
semaine) : il ne se passe rien, mais lécriture riche et rigoureuse rend ce
rien réellement splendide. Allez vers ce journalier, habituel, banal, défricher et
déchiffrer ces terres vierges
(25/03/2004)
Partir. Partir comme Blaise Cendrars, quatre-vingts ans plus tard, pour la même
destination. Le Formose, cargo de 1924 remplacé par l'avion, le temps va si vite, hélas.
Et le même état d'esprit, la même impatience, on dit qu'il fuyait Europe, lassitude,
pot au noir, écriture. Allez ! On a prévenu ici, dit au-revoir à tous, agité des
mouchoirs, l'éditeur annonce un autre papier pour le dernier livre paru : gardez-le moi !
Brésil attends-moi ! Je reviens, je serai autre.
L'océan est d'un bleu noir et le ciel bleu est pâle à coté
La mer se renfle tout autour de l'horizon
On dirait que l'Atlantique va déborder sur le ciel
Tout autour du paquebot c'est une cuve d'outremer pur
La forêt est là et me regarde et m'inquiète et m'attire comme le masque d'une
momie
Je regarde
Pas l'ombre d'un il
Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t'en
Tu m'as dit si tu m'écris
Ne tape pas tout à la machine
Ajoute une ligne de ta main
Un mot un rien oh pas grand chose
Oui oui oui oui oui oui oui oui
(04/03/2004)
Morne plaine, Waterloo, encore une dérive du langage guerrier peut-être.
Morne plaine pour dire qu'il ne se passe pas grand chose.
Plus grand chose donc, côté écriture où le texte commencé en janvier stagne, non pas
par manque de conviction, tarissement des idées, mais comme si j'éprouvais le besoin de
marquer une distance, faire le point, après quatre-vingt pages, plus de moitié
pourrait-on dire d'un récit qu'on pressent assez bref. Et sans être capable d'imaginer
une possible édition à ce stade, vraiment. Je retrouve en cela les sensations,
sentiments qui me font toujours me demander si le texte présent n'en cache pas un autre.
Ce manque de perspective s'ajoute bien évidemment au bon choix de l'expression "
morne plaine ".
Morne plaine aussi dans les critiques de Paysage et portrait en pied-de-poule, sans doute
injustement et injustifiées, voir par exemple le bel article de La quinzaine, mais
certainement que cet étirement des semaines de début d'année, jours encore lents et
sombres, y est pour quelque chose, le silence de l'éditeur, mais là aussi est-ce à moi
de provoquer le dialogue, ce que je fais toujours avec une réticence bougonne et timide.
Il n'empêche que j'ai la désagréable impression, non pas que les autres livres chassent
le mien, je n'ai pas cette folle prétention parmi les 600 qui paraissent à la même
période, mais que se révèle d'une façon encore plus criante les promotions, la
recherche médiatique (sans doute PPPP n'entre dans aucune catégorie suffisamment
signifiante, significative). Reste comme perspective donc la seule voie d'une
persévérance, accumulation, ce long couloir qu'on nomme une uvre (là aussi, hors
prétention) quand la médiatisation arrive à atteindre l'ensemble, généralement vers
la fin, lorsque l'auteur atteint un âge avancé et que cette agitation surprend, pour ne
pas dire ennuie ou contrarie.
Voilà pour morne plaine, deux explications. Sans doute faut-il y ajouter une troisième
qui est importante, l'attente d'un voyage essentiel à venir (on en reparlera) ou morne
plaine prendra le relief de pains de sucre...
(25/02/2004)
Séance de dédicaces, d'abord le lieu : l'excellente librairie de François Larcelet à
Saint-Dizier, avec la chance de l'avoir dans ma ville et pour connaître la plupart de
celles de Champagne Ardennes (ce sont mes repères, mes églises), seules deux ou trois,
à Reims, dans des villes trois à cinq fois plus grandes pourraient rivaliser avec elle,
jamais la dépasser, ni en choix, ni en compétences et conseils (saluons au passage
Liliane, plus de quarante ans de passion des livres
). Pour enfoncer le clou, la
librairie se nomme " L'attente l'oubli ", comme indiqué sur son auvent vert.
C'est là que j'y ai par exemple rencontré pour la première fois Michel Séonnet,
Philippe de Jonckheere et tous ceux qui composent l'équipe de l'Entre-tenir, association
également inventée par François Larcelet et qui n'existe que pour et par les habitants
de la ville.
A 15 heures, un samedi, la librairie est encore calme, le temps de discuter et de regarder
dans les rayons. Puis, ils viennent. La plupart, parents, amis car c'est aussi l'avantage
de présenter le nouveau livre dans sa ville. Discussions, rarement sur le livre, je
n'aime pas raconter cette chose informe et fuyante qu'est mon écriture. Pourtant, parfois
quelques inconnus ou des passionnés, ce qui fait à mon sens l'intérêt de ces
rencontres : pouvoir échanger, non sur mon livre, mais sur d'autres ou sur l'écriture en
général. Et comment nous parlons de nos expériences des livres. L'une me dit que cela
lui fait drôle de rencontrer l'auteur d'un livre que l'on va lire. Posture de
l'écrivain. Des questions aussi : le temps de l'écriture, l'inspiration comment ça
vient, comment c'est venu. Réponses fuyantes (le sait-on ? pourra-t'on jamais le savoir
?). Bref, l'inversion des questions et des réponses. C'est drôle d'être dans cette
représentation, le costume que l'on endosse, ce statut. Mais jamais, jamais s'autoriser
à prendre le pouvoir sur les mots, comment dire, comprendre le sentiment d'imposture de
Faulkner et relaté par Michon ou Bergounioux.
La nuit qui a suivi, la question m'a réveillé : comment c'est venu. L'impossibilité que
j'ai eue d'y répondre, non par coquetterie, mais en y réfléchissant, tout a été
tellement progressif. Pourquoi avoir eu l'idée de garder mes poèmes dès onze ans avec
ce souci de les dater, et comment la lecture est venue, ce sentiment de mener une quête
parallèle à ce que je pouvais grappiller au collège, au lycée. Et cette semaine
passée à camper en ermite avec un livre comme seul compagnon. Et le roman commencé à
vingt ans comme une évidence à peine établi dans un travail, dégagé du souci
financier. Et le même repris dix ans plus tard. Et l'habitude prise d'aller au salon du
livre de Paris juste pour voir, sentir l'architecture de l'édition, sans projet précis
mais le désir bien installé. A partir de 1996, tout ce qui s'amplifie : 2 récits par
an, l'habitude est prise depuis de noircir depuis 500 pages annuelles. Et toujours les
lectures, la quête. Sans doute que ce sentiment d'avoir laissé les choses venir et
s'installer est réponse difficile à la question, pas ou peu d'initiatives envers les
éditeurs. J'aurais pu avoir conscience de ce désir de façon plus aiguë, fac de lettres
peut-être, d'autres voies plus incisives, rapides. Ce qui est passé est ainsi. Ce qui
est présent, c'est le type qu'on vient voir à une signature et qu'il faudrait relier au
nom qui figure sur les couvertures.
(18/02/2004)
Deux métiers qui sont prenant : l'alimentaire et l'écriture. L'alimentaire des
télécoms qui bouscule, journées longues pas assez pour tout voir, tout faire
sollicitations diverses, hiérarchie, collègues, projets divers, fourre-tout de la
politique RH qui ne se donne pas les moyens, donc, justifier, trouver des solutions,
subterfuges, tracasseries typiquement bureaucratiques et françaises. Bon.
De l'autre, l'écriture qui avance régulière, chaque matin, ce site qui continue à se
mettre à jour, un autre monde, un autre métier, vraiment.
Les deux mondes sont hermétiques généralement sauf quand un livre paraît donc
forcement m'expose. La semaine dernière, un article qui me concernait (une page complète
dans un journal local !) a été diffusé dans la revue de presse de mon entreprise, ce
qui m'a valu quelques réflexions gentilles, des demandes de livres, mais paradoxalement
j'avais du mal à recoller à tout ce qui me rappelait cette autre dimension tellement
éloignée et incongrue dans la bousculade des jours. J'ai l'impression d'éluder, de
refuser de parler de ce qui est pourtant vital pour moi. D'abord, j'en parle très mal. Je
suis toujours dans cette incapacité de présenter à brûle pour point ce que je fais et
le temps qui passe, les bouquins qui s'accumulent n'aident pas à cela. Par où commencer
? Depuis combien de temps j'écris ? Comment résumer le livre tout juste paru ? Les
autres ? Les liens entre eux ? Pourquoi quand on me parle de passion je m'emporte,
réplique " métier ", parce que le mot me semble plus lourd d'importance, moins
sujet à l'abandon ?
En 2000, lors de la parution de La Réserve ou Central, j'étais aussi dans une période
professionnelle assez intense mais il me semble que je ne l'avais pas vécue comme telle.
Chaque article de ces premiers livres parus me semblait une nouveauté à partager avec
ceux qui m'en parlaient. Là, loin de moi de vouloir jouer les blasés, mais si la presse,
les retombées me paraissent aussi importants, ils ont perdu de leur nouveauté et j'ai
parfois du mal à adhérer à l'enthousiasme de ceux qui m'en parlent, l'occupation des
jours fait aussi le reste et je reprends facilement le cours professionnel avec le risque
d'avoir froissé mes interlocuteurs. Et sans doute suis-je déjà dans le livre futur.
Pour autant, il me semble que les deux métiers cohabitent de façon assez équilibrée
dans ma vie personnelle, bien sûr, il y a la fatigue, mais de toute façon, elle est
preuve de temps qui passe et, pour l'avoir vécue, elle est plus malsaine et plus profonde
dans le désuvrement que dans l'occupation.
(11/02/2004)
Quelques photos numériques donc, car il faut bien reconnaître que l'écriture parfois
ne peut se substituer aux hasards d'un appareil numérique emporté avec soi, même si la
manière de l'utiliser peut sembler étrange et incohérente, ces vues gardent pour moi un
inexprimable attrait : me souvenir d'un excellent moment passé à la fac de lettres
d'Orléans. C'est pourquoi, ce que j'ai attendu avec tant d'impatience se retrouve en
notes d'écriture. Et les photos en page Webcam (quel mot
)
histoire de se souvenir qu'on a inauguré cette rubrique d'images près de deux ans
auparavant, et qu'elle serve à nouveau.
(04/02/2004)
" dans cette ambiance de relaxation alanguie et sous cette torpeur solaire qui
baignent les choses et les êtres, une grande tension couve, qui est d'ordre
spécifiquement pictural, tension qui provient du jeu et des rapports des éléments entre
eux. ".
" tout doit être construit, composé de parties qui forment un tout : un arbre comme
un corps humain, un corps humain comme une cathédrale ".
" C'est en rentrant dans l'objet qu'on rentre dans sa propre peau ".
Dans les réflexions de Matisse on ressent l'intérêt pictural, la relation évidente à
l'espace qui est la préoccupation première du peintre. Ainsi, l'immédiateté du regard
empêche de percevoir une profondeur temporelle. De prime abord, car il me semble que la
perception n'est pas si simple. Sans doute ce qui nous fait vibrer devant une toile, c'est
de sentir cette profondeur sous jacente, comme si le regard d'un portrait trahissait un
passé, la composition d'une nature morte un souci de reconstitution historique, une
crucifixion dans l'art religieux perçue comme une promesse d'avenir.
C'est pourquoi les reflexions de Matisse touchent également les écrivains qui ont un
rapport puissant au temps. Le temps : c'est aussi pourquoi les peintres dépassent les
écrivains, pouvant aller de l'abstraction au figuratif et vice versa, car l'espace n'a
qu'un rapport indirect avec le temps, tandis que le souci de l'écrivain et de la lecture
est cette incessante relation avec lui, accélération, fixation sur un moment
particulier, saut de plusieurs années, siècles, l'écrivain semble tenir le sablier du
monde entre ses mains.
Et de même que l'intérêt d'un tableau n'est ressenti que quand son aspect le moins
naturel (le temps) semble perceptible, de même la lecture d'un livre devrait être
améliorée si l'espace, l'élément le plus difficile à rendre donc, vient faire vibrer
les pages. La description, il n'y a que ça de vrai, comme dirait Claude Simon.
Pour résumer cette alchimie subtile entre les deux arts, c'est dire : peindre le temps,
écrire l'espace.
La phrase ci-dessous de Picasso me semble résumer aussi cette tension et cet enjeu
universel, c'est pourquoi j'y rajoute les parenthèses : "Faire un tableau (écrire
un récit) c'est engager une action dramatique au cours de laquelle la réalité se trouve
déchirée".
(28/01/2004)
Si je regarde mon bureau, il y a un bloc note (cadeau de labo médical), un jeu de
carte (à mon fils), deux piles (pour game boy ? - dans ce cas, encore à mon fils),
une cassette audio (Blind Faith - à moi) un gadget à trombones (sans trombones), un
stylo bille bleu. Et lécran avec ce que je viens décrire. Et
lordinateur. Et limprimante. Le tout sur un bureau sans style, le tout dans ma
chambre, à côté de la table de chevet et sous la table de chevet (donc au pied du lit)
le livre Picasso et Jacqueline (en notes de lecture, cette semaine je
sais, encore Picasso
). Et dans ce beau livre, de belles photos, et sur les photos
(la plupart prises dans la villa La Californie) un désordre immense, incroyable,
mais, comment dire, dont chaque objet rappele la créativité de Picasso. Tableaux bien
sûrs, mais masques, poteries, tout ce qui est réalisé, ce qui est en cours, ce qui
servira plus tard en un amoncellement disparate qui vient se glisser partout, sur la table
à manger, contre les assiettes du repas.
Jamais lacte de création na été si visible, compact, dense, lourd,
mesurable, matériel. Paysages et portraits
Et je pense à ce que jécris, cet écran et ces lignes solubles, virtuelles qui ne
laisseront pas de traces physiques. Tous les objets décrits devant lordinateur et
qui, comment dire, ne touchent pas cette création, ninfluent pas dessus.
Lordinateur éteint, rien ne semble sêtre passé. Pas de traces temporelles.
Je métais même aperçu, juste avant de me rendre chez léditeur en
septembre, que je navais jamais édité une seule feuille de Paysage et portrait
en pied de poule, le " manuscrit " (si ce mot a encore un sens)
avait été fourni par courrier électronique.
Que peut-on en conclure ? Rien. Beaucoup dévidences. Que la créativité est
indifferement matière ou soluble dans lair. Que le travail du peintre, du
plasticien, est forcément visible, construit. Que le travail de lécrivain est
obligatoirement via lécriture. Et que les repères traditionnels (le stylo, le
cahier, le manuscrit
) disparaissent. Reste le livre, but à atteindre, qui demeure
immuable. Et toutes les tentatives de virtualisation qui sont restées jusquà
présent vaines laissent à penser que lobjet livre nest pas loin dêtre
aussi matériellement parfait que lest un instrument de musique comme le violon ou
une création de Picasso.
(21/01/03)
Cest reparti ? Ce serait reparti ? Restons prudent
La semaine
dernière, jexpliquais que je ne pouvais rester longtemps en apnée, cest à
dire sans écrire. Donc, cest reparti : lever tous les jours vers 6h (plus tard
les week end tout de même
) et trois-quarts dheure décriture matinale.
Le récit en cours trotte dans la tête depuis plusieurs mois, je lai retenu depuis
lautomne, pour des raisons de charge de travail, corrections du livre qui paraît ce
mois, nouveau job, travaux dans la maison, autant de bonnes raisons pour mêtre
persuadé que finalement, cela attendrait les vacances de fin dannée. Ce qui fut
fait et, comme toujours en pareil cas, je ressens une impatience, une fébrilité. Une
peur aussi : non, les mots ne viennent pas facilement, le texte sélabore à
lintuition, je suis dans la phase où tout est possible, y compris labandon,
le renoncement dune réflexion sous-jacente de plusieurs mois. Peur donc, peur que
si je renonce quest-ce qui va remplacer ? Et comment vivre le vide en
attendant. Et leffort qui me paraît surhumain dattendre à nouveau
létincelle. Et comment vient-elle ? Et si elle ne venait plus jamais ?
Questions, angoisses
Mais en attendant, le texte est là, se construit patiemment,
lentement, beaucoup plus lentement quautrefois il me semble, et on dirait que
cest une constante depuis le premier livre. Peser chaque mot, pesée des âmes, de
mon âme, comme en Egypte, dans le culte des morts et passage vers lau-delà. Mais
quel est cet au-delà vers lequel je suis contraint de toujours aller ?
En attendant, ce nest pas facile, la fatigue de jouer deux travails différents et
prenants. Se coucher tard, se lever tôt, être toujours efficace et pressé. Jai eu
un coup de fatigue ce week-end. Inquiétude de mes proches. Tu ne pourras pas continuer à
te lever tôt, te coucher tard. Mais que faire ? Je sais le choix quils
feraient, dans lincompréhension dun élan mais qui pour moi est vital. Donc,
continuer encore et toujours
(14/01/2004)
Parce que javais envie dexpliquer un peu plus Paysage et portrait en
pied-de-poule, voici une interview " off ", histoire de préparer
un article à venir. Les questions sont dAnnie Massy, professeur de Lettres,
écrivain et journaliste à La Croix Hebdo. Larticle sera conjointement écrit avec
Gil Melison, journaliste, présidente de lAssociation des Ecrivains de Haute-Marne.
Tes derniers romans montraient une recherche dans l'écriture très poussée. Celui ci
semble revenir à une écriture plus sobre (commune ? Connue ?...). Est-ce parce que tu es
arrivé au bout de ta recherche ou que tu as constaté l'échec du nouveau roman ou de
l'écriture blanche ?
En réalité, je crois que lécriture de PPPP est aussi élaborée que pour Central
et Composants. Bien sûr, labsence de sujet pour Central ou le recours
systématique au " on " pour Composants laissaient croire à
une volonté " de recherche " plus marquée. Pourtant, le narrateur de
PPPP nest toujours pas nommé, à peine se fait-il sentir, entendre par un
" il " que jai voulu le plus rare possible. Lensemble peut
paraître cependant plus convenu, je crois que lhistoire, malgré sa banalité, avec
lépisode de la mort de la mère, la progression romanesque plus classique, ajoute
à cette impression.
Pour autant, ce nest absolument pas un revirement, un constat de léchec du
nouveau roman ! Jamais je nai pensé que le nouveau roman conduisait à une
impasse et cest même tout le contraire : Claude Simon, Nathalie Sarraute ou
Beckett, que je cite en exergue dans PPPP, nont fait quexplorer des
pistes, montrer des voies quil nous appartient de poursuivre. Le nouveau roman est
encore aujourdhui - surtout aujourdhui dans ce monde de marketing et
duniformisation - une formidable ouverture au monde. Ce qui a tué le nouveau roman,
cest son nom absurde : avec une telle appellation, il était forcé de
disparaître rapidement afin que lon puisse voir derrière lui le mouvement
incessant de la littérature. Donc, non, je ne suis pas au bout de " ma
recherche ", elle ne fait que commencer, il me semble. Quant à lécriture
blanche, je ne sais pas trop ce que ça représente, on y inclut Annie Ernaux, jy ai
déjà vu cité Tanguy Viel ou François Bon, cest à dire autant dauteurs qui
poursuivent une quête différente, y compris dans la forme. Lécriture blanche,
pour ce que jen sais, se caractérise par des phrases sobres, sans effets, avec peu
dadjectifs. Tous les auteurs que lon classe dedans bizarrement, dune
manière ou dune autre ne répondent pas à ces critères. Par exemple dans PPPP,
lemploi que je fais des adjectifs pour trouver celui qui convient le mieux à la
description dun paysage est à linverse dune " écriture
blanche " .
Est-ce une parenthèse dans une uvre multiple ? As-tu un plan de ton uvre
à venir comme certains auteurs ou écris-tu selon le sujet qui t'inspire à un moment
donné ?
A la première lecture, le mot uvre me choque par la prétention quil entend
apporter. Pourtant, si cest pour parler de laccumulation décriture,
alors oui, je mefforce à la prétention avec le plus de force possible. Parfois
jai limpression que labsence de cette quête décriture, ce serait
la mort assurée. Quel orgueil, donc ! Ecrire sans prétention, ce serait trouver un
sujet à un moment donné et sy coller, sans trop réfléchir. Ce nest pas ce
que je cherche. Ecrire à un moment donné, cest écrire à chaque instant :
comme labsence décriture représente pour moi le péril, je ne reste pas
longtemps en apnée, et jécris beaucoup. Pourtant, entre Composants et PPPP
il y a eu des tentatives avortées, même un récit parvenu au tiers qui a été
abandonné. PPPP sest imposé dans ce cheminement, peut-être par la volonté
de décrire les rouages dun monde contemporain que je nai toujours pas
compris. Donc pas de plan à venir mais jamais de sujet pris au hasard, comment dire, il y
a une logique inéluctable, souvent ignorée au départ, qui mapparaît quà
posteriori et qui relie le nouveau avec tous les livres précédents.
Y aurait-il deux courants dans cette uvre qui s'étoffe : un sur la Haute-Marne
(avec La Réserve et celui ci), un autre sur le monde industriel et sa négation de
l'humain ? Ou alors quel est le lien entre ville/campagne, industrie/agriculture, monde
fermé/monde ouvert ? Va-t-on retrouver ici cet humour grinçant de la Réserve ?
Peut-on dire que ce roman est inspiré par la Haute-Marne ? Ou sinon quoi ?
La Réserve, publié en 2000, a été écrit vers 1997, dans lidée den
faire une satyre des défauts qui jalonnent un petit département rural cherchant à
saffirmer. Cest presque du théâtre dans lesprit de Molière,
cest fait pour divertir ceux qui sont aux premières loges, cest à dire, les
haut-marnais qui vivent en permanence les petits moyens, les petites politiques, les
petits intérêts. PPPP prétend à une audience plus large, est plus du côté de la
poésie, comment dire, vers la nostalgie, dans la décompression dun monde qui
disparaît. Jy parle de la ruralité, celle de mon pays denfance, bien sûr,
mais celle aussi que je traverse souvent entre Châlons et Troyes ou Charleville, vastes
étendues regardées par Rimbaud, par Beckett aussi dans sa maison dUssy sur Marne.
Je ne pense pas quil y ait le côté campagne et le côté urbain (tout comme René
Fallet se reconnaissait dans deux courants, la veine beaujolais et la veine whisky).
Finalement, dans les trois derniers livres, le projet est quasi le même, comment fait-on
pour exister quand on est coincé dans le paysage, quil soit celui, vertical, des
usines et des villes, ou celui, horizontal, des champs.
Peut on parler, en plus du romanesque (?) de livre à message ? Un message qui serait
humain, sur le respect de l'individu, sur sa liberté nécessaire et contrariée par le
travail par exemple ?
Sil y a message, il sera tourné vers lhumain, respect de lhumain
contrarié par le travail, mais plus généralement contrarié par la fuite du temps, la
vie, le seul fait dexister peut-être (et on rejoint encore Beckett
). Comment
être un portrait englué dans un paysage et le titre prend toute son importance
Comment ce roman (est-ce le terme correct ?) a-t-il germé dans ta pensée ?
Je me souviens très bien du moment où ce livre sest mis en route :
cétait juste après avoir vu lexposition Matisse-Picasso. Je nai pas
très bien compris pourquoi. Il y avait la volonté de ces deux artistes de chercher en
parallèle un chemin, une explication, une façon dinterpréter la réalité à
laube de lart abstrait et qui me fascinait. Mais il mapparaît
maintenant clairement une autre dimension, dont jétais très conscient
intuitivement au départ et que ce chemin décriture a éclairci. Cet élément est
contenu dans un tableau de Matisse, intitulé lItalienne. Cest un portrait sur
un fond relativement uniforme, vert et neutre. Matisse fait déborder ce fond sur
lépaule de lItalienne comme un voile. Il ny avait aucune raison pour
quil peigne ce débordement, mais il la fait, et maintenant je comprends mieux
comment dans nos vies, le fond, le paysage " déborde ", vient
interferer sur ce que nous sommes et cest vrai que raconter, illustrer ces
interférences entre ce que lon est et ce que lon subit est un de mes thèmes
favoris. Mais cela montre aussi comment lintention de départ arrive à
séchapper dans un récit et cest à mon avis une étape saine et obligatoire
dans un travail de création. Cest cet éloignement qui me permet même de pouvoir
révéler maintenant cette étincelle initiale.
En ce moment, c'est le rythme d'un roman par an, effréné lorsque l'on sait tes
responsabilités professionnelles et associatives, sans compter ta vie de famille. Comment
fais-tu ?
Ecrire serait comme une douce maladie, un kyste bienfaisant qui repousse sans cesse. Un
est terminé, un autre prend la place, sans compter tous les ratés
Cest
difficile à expliquer mais la vie qui va autour sadapte forcement.
(07/01/2004)
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