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Notes de lecture
2002
" Sur le jadis ", de
Pascal Quignard, Grasset
On sy perd dans les derniers livres de Pascal Quignard : alors,
cest lequel qui a eu le Goncourt ? Les ombres errantes, Sur le Jadis,
Abîmes ? Allez, on vous a facilité la tâche : ils sont dans lordre,
du tome 1 au tome 3 et cest le 1, Les ombres errantes, donc, qui a obtenu le
grand machin. Sur le Jadis me fait penser à mes modestes notes
détonnements, quun philosophe érudit aurait poétisées, cest donc une
série de fragments philosophiques et dune très grande érudition. Jai
lair den parler dune façon légère mais la chose est sérieuse :
il est vrai que, quand on a mis le nez dedans, on ne peut difficilement en sortir, cela me
fait penser aux grappes de raisins en été, on grappille, on grappille, on passe
dun grain à lautre, mais ce quon retient, cest la saveur du
soleil. Ici, cest un peu pareil.
Enfin voyons, diraient les esprits chagrins (et certains libraires dépités davoir
à proposer cet ersatz de Goncourt à leurs clients), non seulement, Pascal Quignard
écrit ces petites choses décousues comme certains passeraient des heures à broder des
mouchoirs devant le vide dune fenêtre, mais en plus, il est de notoriété publique
que ce type ne travaille pas, ayant adopté une vie dermite errant. Et cest
ainsi, dans cette mise à jour consacrée essentiellement au travail (voir les autres
rubriques Etonnements et Notes dEcriture), que lon défend avec ardeur cette
prétendue inactivité : oui, travailler, cest aussi prendre le temps de la
réflexion, du dire, de lécrit et cest même les principaux rôles, teneurs,
saveurs, essences, caractéristiques des écrivains contre le grand mouvement social des
agités du bocal. Vive nous, donc
Et citons Sur le Jadis : " Nous ne sommes pas la source. Avant nous
il y eut une étreinte invisible qui ne cesse de reproduire les visibles sans jamais se
montrer à eux. Oui, la lumière solaire jaillissait avant la naissance, avant la vie,
avant les êtres. Oui, il y eut un jour avant le jour et qui dure plus loin que le temps.
Ja y a dies. "
(18/12/2002)
52 écrivains haut-marnais :
De Jehan de Joinville à Jean Robinet, Dominique Gueniot Editeur :
Quelques extraits :
Colin Muset XIIIè siècle
" Ménestrel, cest-à-dire poète musicien, joueur
dinstrument et jongleur, dorigine modeste, Colin Muset voit le jour dans notre
région, vers 1210. Son patronyme, ou plutôt son nom dartiste, convenant fort bien
à ses diverses occupations, traduit parfaitement lesprit dun homme
desprit, qualifié parfois de chansonnier : " Len mapele Colin
Muset ", écrit-il . Ce qualificatif de " Muset " évoque la vivacité
discrète du muset (musaraigne dautrefois) allant muser, museau au vent, selon
linspiration de sa muse, dans la gaieté des airs de musette (cornemuse).
A la sécurité matérielle des trouvères attachés à la cour des grands seigneurs,
Colin Muset préfère une liberté qui " après mauvais seignor troter ", le
laisse souvent " boursse desgarnie ", faisant partie de ses " gent qui vont
contant / De cort à autre et vont trouvant / Chançonetes, mots et fabliaus / Pour
gaaigner les biaus morsiaus. "
Ses écrits délimitent approximativement lespace quil parcourt, en quête de
seigneurs accueillants, " aux graz dons " : Châteauvillain, Choiseul, Clefmont,
Reynel, Sailly, Vignory
Antoine de Saint Exupéry
"
Ayant récemment obtenu le Grand prix du Roman
de lAcadémie française pour " Terre des hommes ", " Saint-Ex
reçoit de nombreuses personnalités à Saint-Dizier, où il circule à bord de son
cabriolet " De Soto " en compagnie de son ami Joseph Kessel. Antoine tient table
au " Soleil dor " et rencontre le professeur Fernand Holweck, Pierre Mac
Orlan, Léon Werth, Marie Bell, Joséphine Baker, André Luguet, Fernandel et Gaston
Gallimard. Toute cette joyeuse société se réunit au " Deauville ", hôtel et
casino des bords de Marne , où sont organisées des promenades en pédalos et se
déroulent des soirées animées !
Plus tard, à Alger, Antoine de Saint-Exupéry rejoindra son ancien instructeur
dOrconte, le capitaine Gavoille devenu chef du II/33 , dont il parrainera le jeune
fils Christian.
De 1955 à 1957, le colonel René Gavoille dirigera la base aérienne de Saint-Dizier qui
sera baptisée " Commandant Antoine de Saint-Exupéry " ; la stèle
commémorative faisant face au P.C. de la base étant dévoilée en 1956 par Christian
Gavoille, filleul de " Saint-Ex ". Le lycée de Saint-Dizier sera également
baptisé du nom de lécrivain. "
Charles de Gaulle...
" Le Lieutenant Colonel de Gaulle,
achète la Boisserie en Juin 1934. Sentant venir la guerre, il désirait posséder une
maison de campagne pour y rassembler sa famille Il la choisit parce que le paysage
austère de landes et de forêts, à la saignée des provinces de Champagne, de Lorraine
et de Bourgogne, correspondait à son esprit et à son cur.
La Boisserie soffre aux regards depuis le village. Sa tour hexagonale, coiffée de
vieilles tuiles, les murs de la maison couverts de vigne vierge, les hauts sapins sombres
entourent un grand pré planté darbres fruitiers, descendant jusquà un
vallon ou paissent des troupeaux. Jamais un lieu naura été aussi inséparable
dun homme que Colombey-les-deux églises. Cétait sa vraie, sa seule demeure.
Cest là ou quil sest retiré en 1946. Cest là quon alla le
chercher en I958.
" Sur ma maison, je regarde tomber le dernier soir dune longue solitude.
Quelle est donc cette force des choses qui moblige à men arracher ?
"
" vastes, frustes et tristes horizons ; bois, prés, cultures et friches
mélancoliques, relief danciennes montagnes très usées, villages tranquilles et
peu fortunés, dont rien depuis des millénaires, na changé lâme ni la
place. Ainsi du mien. Situé haut sur le plateau, marqué dune colline boisée, il
passe les siècles au centre des terres que cultivent ses habitants. Ceux-ci, bien que je
me garde de mimposer à eux, mentourent dune amitié discrète. Leurs
familles je les connais et je les aime.
Le silence emplit ma maison. De la pièce dangle, où je passe la plupart des heures
du jour, je découvre le lointain dans la direction du couchant. Au long de quinze
kilomètres, aucune construction napparaît. Par dessus la plaine et les bois ma vue
suit les longues pentes descendant vers la vallée de lAube, puis les hauteurs du
versant opposé. Dun point élevé du jardin, jembrasse les fonds sauvages où
la forêt enveloppe le site, comme la mer bat le promontoire. Je vois la nuit couvrir le
paysage. Ensuite regardant les étoiles, je me pénètre de linsignifiance des
choses. " (Le Salut - 1954)
(04/12/2002)
La cité Montgol, dAndré Hardellet,
NRF Poésie Gallimard
Si vous aimez les parcs perdus, les grilles rouillées, les promenades sans but,
les rendez-vous du hasard, les passantes chères à Brassens, vous aimerez La cité
Montgol et André Hardellet. Le titre générique est une courte nouvelle mais
lensemble de la publication alterne poèmes et proses et lensemble donne
limpression davoir cheminé côte à côte à laventure avec
lauteur. Les métiers et divertissements, par exemple, dédié à André Vers
(dailleurs, la bande à Fallet est souvent présente dans les dédicaces
dAndré Hardellet), est un modèle dhumour et de poésie. A lire absolument
avant de se rendre au boulot et rêver d un métier comme charmeur dorage,
chercheurs déchos, chef des baisers, voyeur (pas celui quon croit), semeur de
bruit, poseur de grillons, surveillant des glaces et même tueur de vieilles
Vous
serez gagné par cette extraordinaire tendresse, vous fredonnerez " Chez
Temporel ", et tenez, si vous voulez épater lamour de votre vie, apprenez
par cur et récitez avec un genou à terre et lil humide le serment
magnifique du Chef des baisers : " Te donner toutes les étoiles du
ciel en un baiser sur les yeux, tous les baisers de la terre en une étoile sur la
bouche. "
(27/03/2002)
Les Italiennes, Matisse et Picasso
Les deux Italiennes ont été peintes en 1916 (Matisse) et 1917 (Picasso).
Apollinaire allait bientôt mourir de la grippe espagnole, Blaise Cendrars avait perdu son
bras à la guerre, Genevoix se remettait de ses blessures : rien ne serait plus comme
avant. Pourtant, à lheure où Cendrars rencontrait Raymone et rédigeait Profond
Aujourd'hui, texte sur lesthétique de la modernité, nos deux peintres
sémouvaient au-delà de la guerre dune réalité, bien éloignée de la boue
masculine des tranchées, féminine, plus riante et chargée de soleil. Et cest dans
cette note de lecture que je veux leur rendre hommage et regarder ces tableaux cest
comme lire deux chapitres dun livre quon pourrait intituler Transfiguration du
réel. En effet, comment mieux exprimer que Matisse son extraordinaire composition avec ce
débordement du fond comme une vague (de fiction ? de réalité ?), ce qui est
la part dinterprétation, de sublimation du peintre ? Et Picasso, de quelle
façon fragmentait-il ses sensations pour restituer à chacune dentre elles son
énergie ?
La " lecture " de ces deux tableaux nous en apprend beaucoup
plus quun livre : comment glisser dans la douceur des phrases de Matisse,
comment passer dun paragraphe à un autre de Picasso, comment "décrire"
finalement, car comme le dit Claude Simon : " le concret, c'est ce qui
est intéressant, la description d'objets, de paysages, de personnages ou d'actions; en
dehors, c'est du n'importe quoi. " (13/11/2002)
" Les écrivains ", Bruno Gibert, Stock
Beaucoup décrivains écrivent sur les écrivains, ce qui semble évidemment
normal. Certains racontent avec surréalisme les affres de la création décriture
comme Eric Chevillard (" Du Hérisson ", note de lectures du
17/04/2002), avec humour comme Jacques-Pierre Amette (" Ma vie son
uvre ", note de lectures du 03/10/2001), avec irritation comme Christine
Angot (" Quitter la ville ", note de lectures du 11/10/2000). Bruno
Gibert, jeune promu des lettres depuis son premier roman " Claude ",
choisit à son tour ce sujet, dés le deuxième roman. Par ailleurs et parce quon a
le même parcours de parution, on comprend que pour lui, un tel sujet ne pouvait se
traiter que par le point de vue de lécrivain " débutant "
Question : mais jusquà quand est-on écrivain débutant, est-ce péjoratif,
neutre ? Et cest justement pour répondre à ces questions que Bruno Gibert imagine
son héros-écrivain (sic !), mêlé à la cohue dun fastueux et très
organisé salon du livre, en compagnie de gens de plume chevronnés, se posant plus donc
de questions que trouvant les réponses, constatant la persistance de ce mal implacable
quest le doute, qui rongera toujours lécrivain et que la parution du premier
roman, ses espoirs et ses déconvenues na pas résolu. On y trouve de très beaux
moments vécus et bien restitués tel ce repas entre écrivains, gens du métier,
dune même fratrie et les déclarations à lemporte pièce, vérités,
évidences dun même milieu véhiculé par sa passion. Malheureusement, lors de ce
trop long salon, le héros-écrivain insupportable (pléonasme. Ladjectif
" attachiant " correspondrait mieux - attention, marque déposée :
cest à cela quon reconnaît lécrivain professionnel, il faut bien que
jy rajoute mon grain de sel -) finit par pêter les plombs, voit son image se
liquéfier dans ses espoirs pour finir par revenir inévitablement sur terre dans son
apparence et constater que " pour renter chez lui, il prit le métro. Dans ses
vêtements flottants, il lui sembla avoir considérablement maigri. Les journaux ne
parlaient pas de lui."
(06/11/2002)
" Voyez-vous ", de
Laetitia Bianchi, Verticales
Sil est un livre vraiment original et étonnant dans la profusion de cette
rentrée littéraire, voyez-vous, cest bien " Voyez-vous " de
Laetitia Bianchi. Inclassable et dérangeant, donc, on avance dans la lecture en se
demandant à quoi peuvent bien servir ces petits paragraphes intitulés Manifeste,
Télévision, A lusage des enfants, ces phrases en caractères droits, italiques,
ces points de vue dune vieille fille
Et, très rapidement, on se laisse
emmener dans cette prose vivante, comment dire, végétale, oui , cest cela,
apparentée au liseron, à la fleur sauvage indomptable qui grimpe et qui vous surprend.
Prose emplie dhumour et on reconnaît à Laetitia Bianchi, co-fondatrice de la très
belle revue R de Réel, un goût particulier pour les
mots, locutions, leurs couleurs, contradictions, bref leur poésie (A Lusage des
enfants. Rédaction, Vous traiterez un des sujets au choix. 1 Pourquoi celui qui fait un
cauchemar, dit-il AAAAAAAAAAA à la première lettre ? 2 Pourquoi, celui qui fait un
rêve, dit-il ZZZZZZZZZZZ à la dernière lettre ? Est-ce la fin ?). On
dirait du beau Perec. Mais de même que le liseron produit des effets sur le jardin et les
paysages, " Voyez-vous " garde longtemps après sa lecture un petit
goût de terre mouillée, darrosoir en zinc et de géranium.
" Voyez-vous " désordonne le monde à sa façon et reconstruit
avec bonheur un univers lumineux et coloré selon votre imaginaire : vous côtoyez votre
voisine de palier, vous regardez la télévision, des enfants jouent dans la cour de
lécole, vous râlez et manifestez avec les autres, vous riez, vous êtes triste à
petites touches discrètes, bref, vivez-vous ?
(30/10/2002)
" Vie de Joseph Roulin ", de Pierre Michon, Verdier
Pierre Michon, avec " Rimbaud le Fils " avait abordé le poète par
ses proches, notamment sa mère, Vitalie née Cuif, et marquait ainsi la volonté
dassocier étroitement lartiste, donc lart au monde qui le côtoie.
" Vie de Joseph Roulin " participe du même élan : Joseph Roulin
fut facteur à Arles et côtoya Vincent Van Gogh. Ce livre retrace ainsi la vie de ce
témoin privilégié et tente de prolonger linstant de lapparition de
lart, comment dire, de déceler ce quon nommera plus tard génie à propos du
peintre. En effet, Joseph Roulin et sa famille apparaissent sur nombre de tableaux de Van
Gogh, et semblent transcender par leurs " vies minuscules " leurs
portraits.
Mais Pierre Michon est aussi un conteur magnifique et qui, fidèle à son habitude, ne
tente pas dimposer une vérité : on se souvient de lincipit tout en
incertitude de " Rimbaud le Fils " : " On dit que Vitalie
Rimbaud, Née Cuif
", le " on dit " participant
dune rumeur persistante de la grande respiration du quotidien de lépoque.
Ici, Pierre Michon nous invite à laccompagner, tout comme Roulin accompagnait Van
Gogh (" Considérons-le, Roulin, un dimanche matin
") et la
fiction que rendent obligatoires léloignement et la distorsion du temps devient une
volonté de lauteur (" Je veux voir et entendre leur première
conversation ").
La seule certitude est la mort de Joseph Roulin, en 1903 (" date
quattestent les livres savants ") et avec sa disparition, précédée
longtemps avant de celle de Van Gogh, délivré de la matérialité des êtres et des
témoins, on peut enfin se demander comme Pierre Michon : " qui dira ce qui
est beau et en raison de cela parmi les hommes vaut cher ? Est-ce que ce sont nos
yeux, qui sont les mêmes, ceux de Vincent du Facteur et les miens ? Est-ce que
ce sont nos curs quun rien séduit, quun rien
éloigne ? " Mais la réponse est en dehors de lhomme - André Breton
disait " la beauté sera convulsive ou ne sera point " -, pour Pierre
Michon, " cest vous, chemins. Ifs qui mourrez comme des hommes -(et
lévidente allusion à Hugo " Aimez, vous qui vivez, on a froid sous les ifs")-. Et toi soleil. "
Et que se rassemblent les soleils éclatés de Van Gogh.
(23/10/2002)
" Survivre ", de
Dougal Robertson, Albin Michel
Ce livre, paru en 1973, fait partie du genre " récits
daventure ", sauf que la plupart du temps, les exploits racontés dans ces
livres sont préparés et réfléchis. Ici, contrairement au fameux Alain Bombard,
naufragé volontaire, cest un sale coup du sort, en loccurrence, une bande de
cétacés qui fit chavirer un beau jour de 1972, le voilier de la famille Roberston, en
plein océan Pacifique. Six personnes se trouvaient à bord : le narrateur et sa
femme, leurs trois enfants de 18 ans aux jumeaux de 12 ans et un étudiant qui faisait
également partie du voyage. Que faire donc quand on se trouve dans un radeau et une
barque de secours après avoir à peine réussi à collecter quelques objets en
catastrophe avant que le bateau coule en quelques minutes ? Beau sujet de roman...
sauf quon est dans un monde réel. Heureusement le vaste océan où lon est en
principe seul au monde est particulièrement poissonneux dans cette région des Galápagos
et tortues de mers, poissons volants et pélagiques semblent inévitablement attirés par
le frêle esquif, malheureusement quelques requins aussi, éloignés à grands coups
daviron.
Au total, ce sera un périple de trente-huit jours queffectuera la famille Roberston
et ce quon imagine comme inactivité et ennui est trompeur, chaque minute est
requise pour une seule occupation, survivre, trouver la pluie pour boire, le poisson pour
manger, arriver à bouger un peu pour conserver un minimum de force, parler, annuler ses
pudeurs, ses angoisses, bref tout, absolument tout remettre en question. Il fallait pour
réussir des caractères forts et des aptitudes de marin confirmé, ce que possédait
Dougal, capitaine et chef de famille. Partis pour rencontrer la terre ferme au gré des
courants en arrivant à établir un point sommaire, cest le hasard dun cargo
japonais qui mit fin à laventure. Comme dans les bons (?) récits, tout est
bien qui finit bien, on lit ce journal avec langoisse nécessaire et
linévitable fin heureuse nempêche pas le frisson de laventure.
(16/10/2002)
Lhistoire des plus grands succès
littéraires du XX° siècle, Tana Editions
Cet ouvrage collectif, sous la direction de Raphaële Vidaling, a beaucoup datouts.
Une présentation attrayante et dune grande qualité qui reproduit les couvertures
des éditions originales, une concision dans les biographies des auteurs présentés et un
excellent sujet qui permet de retracer 46 succès littéraires par ordre chronologique de
1907 à 1984. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sans jamais oser le demander est
là, sous vos yeux. Comment imaginer le destin de ces étranges couvertures
démodées ? Quelles sont les raisons dun tel succès ? Chaque chapitre va à
lessentiel et au fil des pages, on saperçoit que nombres de succès semblent
dus au hasard, écrivains débutants ou chevronnés, éditions prestigieuses ou
marginales. Pourtant, cest bien souvent la rencontre dun auteur attentif et
dune époque : "Des souris et des hommes" de Steinbeck dans la
langueur infinie de la crise économique américaine, "Une journée dIvan
Denissovitch" de Soljenitsyne dans une timide ouverture du bloc de lEst. Pour
autant, peut-on penser quil suffit décrire sur lactualité pour
construire un succès ? Idée reçue éternelle et encore aujourdhui nombreux
sont ceux qui tentent dexploiter les thèmes à la mode (qui parfois se retournent
contre leurs auteurs, Rose Bonbon
). Dautres succès sont plus
marginaux. Pourquoi le déjà vieil Albert Cohen rencontre-t'il le succès avec sa
"Belle du Seigneur" en 1968 ? Retour inattendu vers le romantisme en
pleine période dagitation et de rock ? Et "LAmant" ? Mais là,
Marguerite Duras voit poindre un phénomène nouveau : son passage à la télé en
1984 devant Pivot lui fait doper les ventes.
Il est dommage que cet ouvrage sarrête à cette date dailleurs car en
presque vingt ans, laura que propose les médias est justement exploité
jusquà loutrance et cest ce qui fait assurement le succès dun
livre. Sujet, style, personnalité de lauteur, tout est calculé dans un abominable
anglicisme : le marketing. Pendant cette agitation, certains écrivent sans soucis du
succès et cest sur ces rayonnages pleins que sappuient les têtes de
gondoles.
(09/10/2002)
"Rolling stones, une biographie"
de François Bon, Fayard
Comment résumer ces huit cents pages, première biographie sur le groupe sans
photo ? Est-ce un essai ? une biographie ? un roman ? Questions qui
restreignent louvrage : on le trouve au hasard dans les différents rayons des
librairies : côté roman (à côté de "Louie" dAlain Gerber par
exemple, également chez Fayard, biographie de Louis Amstrong), au coin essai, voire au
rayon musique. Tout cela montre les limites de la perception en face dun tel projet
littéraire : comment appréhender ces années passées à récolter des informations
sur les Stones, notes, réflexions. Cest toute une époque qui est passée au tamis,
pas seulement la vie de Keith ou Mick qui défile, cest la nôtre. Se plonger dans
louvrage, cest se regarder dans le miroir comme vous lavez peut-être
fait en tenant une guitare électrique imaginaire, un micro, les baguettes invisibles de
la batterie. Mais cest encore plus, cest lensemble du débat de la
littérature qui senglobe dedans, de nos vies minuscules qui oeuvrent dans
lombre, aux batailles dHernani actuelles, nouvelle fiction, médiatisation à
outrance, tout se tient, se précipite sous les projecteurs des Stones. Avec un tel sujet
universel, François Bon ne pouvait rester dans lapproximation, on le remercie pour
avoir remonté à la source de toute information, pour nous avoir laissé textes et
citations en anglais, pour nous avoir généreusement restitué et trié pour nous les
matériaux de base de notre jeunesse. Comment avons nous fait pour nous passer dun
tel ouvrage jusquà présent ? On peut maintenant se comprendre...
(02/10/2002)
Lambeaux de Charles Juliet, POL
Une grande partie du parcours de Charles Juliet est issu du traumatisme lié à
la mort de sa mère naturelle, lui qui ne connaissait quune enfance jusqualors
tranquille dans sa famille dadoption. Lambeaux participe à retracer cette
recherche dun passé inconnu. Ce récit est composé de deux parties. Dans la
première, lauteur imagine le passé de sa mère, dont il ne sait rien, hormis
quelle est morte de faim dans un asile à lépoque sombre de
loccupation, hormis quelques photos et un " regard doux et patient où
brûle un feu qui te consume ". La deuxième partie est le récit de sa vie,
cette quête de soi, chronologique, guettant les signes de ce désespoir confus qui
taraudait Charles Juliet même avant quon annonce la mort de sa mère à sept ans
(" Tu pleuras tant quun muscle de laine se déchira ").
Et cest la lente descente aux enfers dans ce monde de silence provincial : il
se sentit à jamais responsable de ce décès, parce que sa mère avait rejoint
lasile pour une simple dépression après sa naissance et pour nen plus
ressortir. Il fallut beaucoup de courage à Charles Juliet pour aller au fond de son
esprit, presque jusquà la folie et pour comprendre cette douleur. Lécriture
laidera à extirper ces choses inavouables à soi-même (" Tu ne cesses
de moudre des phrases dans ta tête. Mais lorsque tu veux écrire, des heures
sécoulent sans que tu ne puisses tracer un mot. "). Tout le livre est
sous le signe du tutoiement, sa mère dabord, dans un passage dune grande
douceur, puis le dialogue quil entreprend avec lui-même.
Et un jour, tout ce qui apparaissait aller dans lordre des choses juste avant la
terrible nouvelle (" La torpeur de ce jour dété. Le silence. Le
bourdonnement des mouches
"), tout fini par renaître (" Tu
sors de la forêt. Les brouillards se sont dissipés. ") pour faire place à
la paix, la clarté, la confiance, une douceur humble et aimante et
lécriture comme thérapie.
(25/09/2002)
Marguerite Duras, les trois lieux de
lécrit, dAliette Armel,
Christian Pirot Editeur.
Lappartement de la Rue Saint-Benoît à Paris ou celui des Roches Noires à
Trouville, la maison de Néauphle-le-Château, Marguerite Duras ne tenait pas secret ses
lieux préférés (par exemple, entretiens avec Michèle Porte, Les lieux de Marguerite
Duras). Et puis, MD disparue, on aurait pu croire que tout ce qui la concernait allait
rentrer dans le lent sommeil de la postérité et cest sans doute ce qui finira par
arriver mais le temps encore tout proche de son silence définitif nous réserve quelques
soubresauts.
Et cest comme l'intrigue posthume dun dernier roman que surgit la reprise
prochaine par le propriétaire de lappartement quelle avait loué depuis 1942
rue Saint-Benoît à Paris. Il faut réagir vite pour tenter de conserver un dernier
regard sur ce lieu si important avant quil ne disparaisse. Cela se passe en 1997 et
MD est morte depuis un an : cest dans un appartement quasi intact que pénètrent
Aliette Armel et le photographe Alain Guillon. Retracer la vie de ce lieu nest pas
chose facile : un demi-siècle de souvenirs sy entasse depuis la vie turbulente de
laprès-guerre, des visites incessantes jusquau silence des dernières
années, tout sest accumulé " par couches, par strates, des objets qui, une
fois posés à un endroit, devenaient quasiment immuables, dans une sorte de refus de voir
passer le temps. ". Et cest donc un véritable travail darchéologue pour
tenter de conserver limage de ce qui " était resté le lieu de la permanence
de lécrit ". La suite simpose, évidente : la maison de
Néauphle-le-Château, puis lappartement des Roches noires à Trouville permettront
de compléter le passage de Marguerite Duras et la constance de lécriture
quelle aimait disséminer partout sur des tables et des bureaux comme pour occuper
lespace. Les lieux, les maisons ont toujours joué un grand rôle pour
lécrivain qui utilise souvent cette familiarité, lapprivoisement de ses
lieux pour y situer ses livres, ses pièces ou ses films. Elle considérait les maisons
comme naturellement dévolues aux femmes, dans un ancestral réflexe de gardienne du
foyer, et son uvre est traversée par ces rapports entre femmes et hommes, entre
fuites et retenues.
Le livre dAliette Armel est superbe : on se prend à en ralentir la lecture pour
quil dure encore un peu plus longtemps. On détaille les superbes photos, on revient
sur les passages qui les décrivent, on accompagne lauteur et le photographe, on
nose à peine déranger le silence installé, on attend la poussière, on imagine
quelques accords d'India Song sur le piano de Néauphle, on voyage jusqu'au bout du balcon
des Roches noires pour regarder la mer. On partage lémotion car " entre les
morts et les vivants veille un petit ange gardien. Sur le piano de la maison où nous nous
trouvions lange était blanc de cette sorte de porcelaine qui se nomme biscuit,
au-dessous dune photographie de la mère, accrochée là de son vivant ".
Aliette Armel, historienne de formation est également biographe de Michel Leiris. Elle
vient de sortir Le voyage de Bilqîs aux Editions Autrement. Site internet : www.aliettearmel.com
(18/09/2002)
" Orient exils ", Annemarie Scharzenbach, Editions Payot
Annemarie Scharzenbach, trop tôt disparue, a laissé quelques écrits de sa
courte vie daventurière. Attirée par la Perse et lorient, elle participa à
des fouilles archéologiques au moment où lAllemagne et la Suisse, son pays natal,
se trouvaient confrontés à la montée du nazisme au milieu des années trente. Son
éloignement lui permit de critiquer ouvertement cette politique.
Orients exils est une série de nouvelles qui mettent en scène des occidentaux
déboussolés par léloignement de leurs pays dorigine et par le choc
dautres cultures. Cest à la fois une uvre douverture sur le monde
mais aussi le constat dune impossibilité de sadapter complètement. Il en
ressort une grande force décriture, nostalgique, et les personnages qui traversent
ces histoires deviennent attachants par leur faiblesse. Cest aussi une formidable
leçon dhumilité pour ces occidentaux débarquant dans un contexte colonial, qui
saperçoivent que le véritable pouvoir appartient à la vacuité des déserts
traversés et quon ne bouscule pas si facilement des milliers dannées
dhistoires endormies sous des vestiges ensablés et en apparence abandonnés. En
quelque sorte, une belle réflexion qui soppose à légyptomanie débridée
telle que la connurent Flaubert et Maxime Du Camp.
(11/09/2002)
Cassada, de James Salter, Edition de lOlivier
Lire en vacances, cest aussi ne pas se prendre la tête, sévader,
chercher laventure. James Salter avec Cassada répondait à ce besoin (et pas
seulement parce quil est lauteur de Midnight Express ou de Un
bonheur parfait). On cherche donc à satisfaire cette évasion selon ses affinités.
Le récit proposé se passe pendant loccupation américaine qui suivit la deuxième
guerre mondiale et cest lhistoire de pilotes de chasse dune base située
en Allemagne. On a donc choisi ce livre parce quon habite dans une région
particulièrement concernée (les vestiges de dépôts américains à labandon dans
les bois environnants sont légions, clôtures écroulées, socles de bétons, vieilles
guérites
) et parce que les pilotes sont nombreux dans la famille, quils
soient civils (et cest parfois la surprise de les voir survoler le verger familial,
saluer dun battement dailes, têtes au vent à bord dun Morane Saulnier
317, vieux coucou dentre deux guerres, moteur en étoile et son ronronnement
formidable) ou militaires ayant uvré à la base aérienne de ma ville - et qui
accueillit Antoine De Saint-Exupéry avant quil naille se faire tuer au large
de la Corse. Donc la littérature et le ciel font bon ménage et James Salter nous propose
une histoire honnête avec une narration toute américaine, cest à dire qui sait
suffisamment ménager ses effets pour nous allécher jusquau bout. Au-delà de
lhistoire, on est venu toucher aussi ce qui demeure pour les non-pilotes
incompréhensible mais bien tentant, cette frénésie à vouloir comme Icare tutoyer le
ciel.
(04/09/2002)
" Charles Juliet en son
parcours, rencontre avec Rodolphe Barry "
Les Flohic éditeurs
Tout dabord, quelques mots sur la très belle collection " Les
singuliers " dirigée par Catherine Flohic qui vise à présenter des rencontres
avec des auteurs dont le choix bien quencore restreint (on souhaite vraiment
quil sétoffe) montre la volonté douvrir les tables de travail
dauteurs plutôt méconnus. Ainsi sont parus " La république
Nizon ", " Philippe Djian revisité " et " Pascal
Quignard le solitaire ". Chaque ouvrage est abondamment illustré et les auteurs
se livrent avec une fraîcheur souvent étonnante.
Cest le cas de Charles Juliet, rencontré par Rodolphe Barry qui lui a consacré un
film. De Charles Juliet, que connaissait-on ? Un visage un peu sévère doiseau
de proie. On partait sur lidée fausse dun écrivain plutôt tourmenté et on
saperçoit au fur et à mesure des pages quil a su se construire un bonheur
tranquille mais comment dire, pas enfermé, ouvert sur lextérieur,
sintéressant à tout, des philosophies orientales au jazz ou à la peinture. On
découvre un profond humaniste doué pour aller à la rencontre des autres, quil
sagisse de Beckett, René Char, Edmond Jabès, de Giacometti ou du peintre Bram Van
Velde. Et son uvre ne se limite pas à son principal succès
" Lannée de léveil ", mais compte aussi les quatre tomes
de journal (dont louvrage donne de larges extraits et qui donne envie de les
posséder tous et lamitié avec Michel Leiris est certainement à lorigine de
ce rapport à lautobiographie) aux textes courts comme " Attente en
automne " ou " Linattendu " en passant par le
théâtre.
" Lart est avant tout la recherche du vrai. Un artiste doit chercher à
être vrai. Il ny a rien de plus difficile car on est toujours déporté hors de
soi-même et surtout un tas de force de dépersonnalisation sexercent sur nous. Par
ailleurs nous sommes enclins à nous mentir à nous-même. Nous sécrétons et entretenons
une certaine image de nous-même image supérieure à ce que nous sommes,
valorisante, destinée à nous faire aimer et admirer. Ou bien, nous pouvons générer
limage contraire, laquelle consiste à se dénigrer dans le but de se faire prendre
en pitié de susciter de la compassion. Ecrire, cest renoncer à ce genre
dattitude, cest navoir aucune image de soi, aller au plus vrai de
soi-même au plus authentique. "
Ecrivain du silence (" Pour écrire, il faut apaiser le tumulte quon a
dans sa tête et qui provient en partie de la vie de chaque jour. Il faut écarter tout
cela pour descendre dans les profondeurs et que sétablisse le silence grâce auquel
on pourra prêter attention au murmure si faible, si vite éteint. "), Charles
Juliet a construit une écriture patiente, cohérente, avec bonheur en retrait des
gesticulations du monde. " Lart exige cet engagement, une certaine
austérité, une morale " comme il se plait à le dire et, en ces temps de
rentrée littéraire commerciale, ces citations sont une bouffée dair pur.
(28/08/2002)
Bon, on part en vacances. Et bizarrement, le rite
du choix cornélien des livres va recommencer (voir note de lecture du 18/07/2001).
Bizarrement, car on lit suffisamment toute lannée pour ne pas se préoccuper de la
lecture suivante qui va remplacer le livre en cours. Mais lire en vacances nest pas
pareil. Il faut emmener plein de livres par peur de manquer. Et puis, il y a les auteurs
fétiches, ceux que lon a découvert sur une plage et quil faut trimballer
depuis comme un pèlerinage (leurs livres, pas les auteurs). Donc il y aura forcement un
Maurice Genevoix. Sans doute on relira La maison de mon père par sa fille Sylvie
(note décriture du 16/08/2001), surtout parce quon a dans la même collection
éditée par Christian Pirot, Les trois lieux de lécrit dAliette Armel
concernant Marguerite Duras. Et même quon lavait acheté il y a longtemps
pour ces vacances. Car, étrangeté suprême, il y a parfois des livres que lon
achète pour cette occasion estivale. Par quel mystère ? Donc, Duras aussi. Et tant
quon est avec elle : La vie matérielle (en poche, ça ne prend pas de place,
on ne va pas sen priver). Enfin, je me suis promis de passer à la bibliothèque
pour choisir du côté de Sarraute et Francis Ponge, il y a chez eux un rapport au
langage/objet/quotidien/tropisme et je sens confusément que mon écriture à besoin de
quelques confrontations similaires. Evidemment, toute cette liste sera au moins doublée,
au moins hésitée, remise en questions plusieurs fois (et le Cendrars, je
l'emmène ?). Une seule chose est sûre : Rolling Stones, une biographie de
François Bon qui nous tient depuis un mois (et cette chance de découvrir avant tout le
monde) sera également du voyage car vraiment, mais vraiment
(chut ! trop tôt
pour en parler
).
(31/07/2002)
Le nom sur le bout de la langue, de Pascal Quignard, Folio poche
Ce court livre se compose de trois textes : Froid dIslande, où
lauteur apprend la commande dun conte lors dun dîner. Ce conte sera
Le nom sur le bout de la langue, deuxième texte. Petit traité sur Méduse, le
troisième texte est en quelque sorte lexplication philosophique du conte, son
argumentation. Ainsi ces trois récits forment le comment, quoi et pourquoi dun
texte. Le " quoi " (le conte) aurait pu se suffire à lui-même et
ainsi laisser aux critiques le " pourquoi " et à lauteur, le
" comment (-jai-écrit-ce-conte) ", titillé par un
journaliste en mal de confidences (et bien habile car le personnage passe pour être
discret). Il nen est rien et Pascal Quignard nous offre la totalité : la
cuisine de lécriture, le plat et la vaisselle qui suit
Voici pour la forme.
Pour le fond, cest le langage qui est visé, " cette expérience du mot
quon sait et dont on est sevré est lexpérience où loubli de
lhumanité qui est en nous nous agresse / Le nom sur le bout de la langue nous
rappelle que le langage nest pas en nous un acte réflexe. Que nous ne sommes pas
des bêtes qui parlent comme elles voient " . Tout semble dit mais
Pascal Quignard, à qui on a parfois fait le reproche de lérudition (sic), va plus
au fond des choses : " le poème est lexact opposé du nom sur le
bout de la langue. La poésie, le mot retrouvé, cest le langage qui redonne à voir
le monde, qui fait réapparaître limage intransmissible qui se dissimule derrière
nimporte quelle image, qui fait réapparaître le mot dans son blanc / qui
reproduit le court circuit en acte dans la métaphore. ". Lérudition
névite pas lhumour et Froid dIslande est une scène désopilante
au cours dun repas qui mêle la naissance de lidée de cette écriture où les
premières réflexions très sérieuses alternent avec le comique dune situation où
un dessert glacé résiste à toute tentative de découpe.
(24/07/2002)
Le nageur dans la mer secrète de William Kotzwinkle, Actes Sud
Je relis rarement les livres et celui-là ne fait pas exception. Jaime au
contraire me souvenir de limpression, de la trace laissée par la lecture, quand on
saisit à nouveau le livre dans la bibliothèque. Et cette lecture est déjà ancienne,
vers 1998. Pourtant, il reste une langueur, une mélancolie surprenante de fraîcheur en
tenant le format allongé, typique dActes Sud. Le très beau tableau de la
couverture mate (La présentation au temple dAndréa Mantegna) y est certes
pour quelque chose tant il correspond bien à la couleur du livre. Et cette couleur est
pastel, sépia, demi-teinte avec une histoire bien triste, celle de lenterrement
dun nouveau né. William Kotzwinkle (né en 1938 et qui a également réalisé la
novélisation dE.T. de Spielberg) aurait pu tomber dans le pathos, le
misérabilisme. Il nen est rien et on garde le souvenir dune belle sobriété
et dune efficacité qui rappelle celle de Raymond Carver. Sans relire, toutefois, on
ne peut sempêcher de feuilleter et retrouver au hasard certains beaux passages :
" - Cest une bien jolie boîte, dit Diane. Sa voix était calme à
présent. Le cercueil se trouvait entre eux, sur la banquette, et lespace dun
instant, Laski sentit lodeur sucrée de la mort où était-ce celle du
bois ? Ce parfum délicat lui parvint de nouveau alors quils roulaient sur la
route, longeant la rivière et les champs. La journée était dune douceur
inhabituelle pour la saison, des écharpes de brume grise flottaient sur la rivière, et
la neige commençait à fondre sur les accotements de la chaussée. Il ny a
plus que nous deux, de nouveau, dit Laski. "
(17/07/2002)
Ecrire de Marguerite Duras, Folio poche
Il y a ce titre implacable et la belle photo de Duras en couverture, stylo plume
entre deux doigts, main cachant la bouche, et cette extraordinaire impression, vague au
fond du regard, yeux sans voir, tournés vers les mots au fond du crâne.
Ecrire cest quatre textes regroupés par MD en 1993. Ecrire,
cest dabord ces notes décriture, certaines suffisantes ou naïves qui
énervent un peu comme son caractère obstiné, sûre delle et dautres plus
intimes, sentimentales place des maisons, des appartements dans lécriture,
dautres encore, raccourcis saisissants démotion, de vie et de quotidien en
une seule phrase (Moi, qui ne prie pas, je le dis, et certains soirs jen pleure
pour dépasser le présent obligatoire à travers une télévision de publicité,
maintenant orientée vers lavenir des yoghourts et des automobiles). Ces notes
jalonnent le texte Ecrire bien sûr mais aussi La mort du jeune aviateur
anglais, qui au départ est un film. Ici, cest une nouvelle, très belle, et on
retrouve avec plaisir et intérêt ce qui motive également une recherche personnelle (Vers
Aubervilliers par exemple) : comment rendre un moment fugitif en quinze ou vingt
pages, cest à dire comment extrapoler en une lecture de trente ou quarante minutes
un évènement qui a duré dix fois moins. Pour Marguerite Duras, la répétition de la
scène initiale (la tombe de laviateur au cimetière de Vauville) sentrelace
avec le souvenir du jeune frère mort et placé dans une fosse commune en Indochine et
tente dépuiser toute lémotion ressentie. Le texte qui suit, Roma est
un dialogue entre un homme et une femme, inconnus " de passage " dans
un hôtel, un texte quil conviendrait de jouer ou au moins de lire à haute voix et
qui garde une sorte de nostalgie comme on peut en éprouver en visitant des villes en
touriste, être comme on dit, " de passage " (on retrouve un peu le
thème de Dix heures et demie du soir en été avec lEspagne). Le nombre
pur et lexposition de peinture semblent un peu effacés en regard des
textes précédents.
(10/07/2002)
Graveurs denfance de Régine
Detambel, Folio Poche
Au hasard dune librairie, jai feuilleté cette édition-poche et tout
de suite jai su que ce serait un livre pour mon fils. Lui, grand déplaceur
dobjets devant léternel (Ah ! le couteau à huîtres que lon
retrouve régulièrement dans des endroits incongrus - hier encore cétait dans le
jardin- ou le gant de vélo qui réapparaît sur le sol du garage
) et on le
comprend, à son âge, on était pareil, même plus jeune à quatre pattes devant le
tiroir de la cuisine déballé, on se souvient que le batteur à ufs était un avion
-. Donc, il a suffi de feuilleter le sommaire de de ce livre (le stylo à bille
cristal, le porte-mine à crayon rentrant, la colle pâte en pot et
autres sous-main décor planisphère) pour savourer à lavance cette
complicité qui nous unirait père et fils autour de ce livre. Ainsi, pendant plusieurs
soirs au coucher, nous avons instauré ce rite : je lui énumérais la liste magique
et il choisissait les chapitres et lordre dans lequel je devais les lui lire :
par exemple, dabord le bracelet caoutchouc blond puis la perforatrice à
récupérateur de confettis. Car bien que du haut de ses onze ans, ce soit un fervent
lecteur solitaire, on peut trouver aussi beaucoup de plaisir à partager ensemble la
lecture dun texte agréable. Et combien sont frais et ciselés ces petits chapitres
propres à tromper lennui des heures de cours au travers de ces objets
décoliers. Comme Prévert quand le porte-plume redevient oiseau, Régine Detambel
sait rendre " au Rapporteur sa poésie darche, au compas son allure de
lent patineur ". Merci donc pour ces irremplaçables moments de lecture
tissés avec mon fils.
(03/07/2002)
Un cachalot sur les bras de Bernard Mathieu, ed Joëlle Losfeld 2002, ed
Presse de la Renaissance 1992
Mais comment font les Editions Joëlle Losfeld pour sortir de lombre ces
écrivains comme Bernard Mathieu ou Michel Quint (Notes de lecture du 05/06/2002) ?
Les articles qui encensent Bernard Mathieu sont devenus nombreux suite à cette
réédition. Cest le juste retour dun roman, passé quasiment inaperçu, le
premier que javais découvert de cet auteur, il y a plusieurs années et qui
mavait poussé à acquérir dautres ouvrages comme Cargo, Sahara été
hiver et Dépeçage en ville.
Ce quil y a de fort dans ce récit, cest le sujet qui est larchétype de
lidée géniale dont rêve chaque romancier. En effet, quoi de plus fort
dimaginer un pauvre flic, seul représentant de ladministration, perdu sur une
île tropicale, confronté à léchouage dun énorme cétacé, à
lindifférence et la passivité de la population. Obligé donc de trouver un moyen
de se débarrasser de cette viande encombrante qui va pourrir très vite sous le soleil.
Ajoutons à cela, les tribulations de ce pauvre flic, toujours perdant et perdu, jamais à
sa place dans la vie entre ses collègues et sa femme qui vient de le quitter.
Lévidence, la force de cette intrigue nous oblige à constater que le véritable
cachalot à se débarrasser est le poids de ses désillusions. Mais linconvénient
dun sujet aussi génial tient justement dans sa clarté : on attend
lauteur au tournant, saura-t-il être à la hauteur de son histoire ? La
réponse est oui, indiscutablement.
Ajoutons à cela que Bernard Mathieu, en véritable globe trotteur, sait très bien nous
restituer cette ambiance particulière, cette léthargie quasi permanente, cette façon de
tourner toujours en rond que jai toujours trouvé un jour ou lautre chez
chaque îlien quil soit Corse (et le souvenir de cette soirée à jouer au tarot
avec linstit du village et ses copains dans les hauteurs de la Balagne), quil
soit Guadeloupéen (et, quand on les reçoit en métropole ou quand on part là-bas,très
vite cette inévitable mélancolie même dans la joie des retrouvailles). On pense à ce
quon nomme le "fiou" à Tahiti ou aux Marquises, cette envie de ne rien
faire.
Donc, Bernard Mathieu mérite quon le lise. Et cest tant mieux quil ait
réussi à refiler son "cachalot " quil avait sur les
bras depuis dix ans pour une nouvelle édition.
(26/06/2002)
Vagabond des mers du sud de Bernard
Moitessier, Jai Lu Poche
Comme beaucoup dentre nous, jai eu plusieurs fois de ces beaux rêves
romantiques et le désir dembarquer pour traverser un océan, une mer, une vaste
étendue deau, me retrouver seul face aux éléments comme on dit. Et puis le rêve
a pris fin après quelques tours de voilier, quelques désallages en catamaran sur de
leau douce et même si le lac en question était le plus grand lac artificiel
dEurope, même si des rafales dorage de force 6 ont parfois singulièrement
compliqué les choses, il nempêche que je me suis tout de même rendu compte que
finalement, le vent la mer et moi nétions pas fait pour vivre ensemble. Maintenant,
je me contente simplement de jouer avec mon cerf-volant, daimer la mer et les
poissons en plongée sous vingt mètres deau.
Mais, de ces rêves abandonnés, il reste tout de même la nostalgie de quelques lectures
comme Le bonheur sur la mer de France et Christian Guillain et bien sûr, les
livres de Bernard Moitessier. Jai choisi de citer Vagabond des mers du sud
pour la beauté du titre, jaurais pu tout aussi bien y rajouter les mémoires du
navigateur avec Tamata et lalliance ou La longue route. Tous les
livres de cet extraordinaire navigateur - qui refusa de terminer une course en solitaire
alors quil se trouvait en tête et décida de continuer, racontent la même aventure
humaine, mais sans jamais lasser car il était un conteur hors pair. En effet, il faut
saluer lexploit de faire partager lunivers somme toute restreint dun
bateau et décrire sans lasser cette répétition des jours sur la mer, en attendant
lescale bienvenue. Bernard Moitessier y arrive en démontrant jusquà la
précision de la vis les éléments techniques qui composent son bateau (les lattes en
cuivre de la coulisse tenaient encore par les quelques vis des extrémités
), et
fait un roman passionnant de la conception à la réalisation dun voilier. Et bien
entendu, limaginaire fait le reste avec les analogies entre écriture et navigation
que cette passion inassouvie a laissé en moi (Je suis entré en écriture au long
cours! Soulagement que cette respiration lente, puissante, régulière, phrases
quotidiennes retrouvées avec plaisir. Ecriture au long court, voilier équipé première
catégorie pour traverser les océans, on irait jusquau bout du monde
-
Notes décriture du 21/06/2001). Merci donc à Bernard Moitessier davoir
prolongé linfini nos mers du sud à tous.
(26/06/2002)
Autoportrait au radiateur, de
Christian Bobin, Gallimard
Cet autoportrait est en fait un journal qui commence le samedi 6 avril 1996 et se termine
le vendredi 21 mars 1997. Christian Bobin ny raconte pas un déroulement
chronologique ni son regard du monde en mouvement (comme dans Le théâtre des opérations
de Maurice Le Dantec, Note de lecture du 24/01/01), il se place volontairement dans une
introspection où la plus infime particularité des jours constitue
lévenement : bouquet de tulipe, regard dun enfant, temps quil
fait, musique écoutée
(Cest en quelque sorte ma rubrique étonnements qui
devient ici quotidienne). Tout est prétexte à des réflexions philosophiques qui mêlent
à lenvi la rhétorique, thèses et antithèses (Ce nest pas un journal que je
tiens, cest un feu que jallume dans le noir. Ce nest pas un feu que
jallume dans le noir, cest un animal que je nourris. Ce nest pas un
animal que je nourris, cest le sang que jécoute à mes tempes
) ;
les effets de style "pensée de Confucius " et les références mystiques
abondent (La bétise est comme un roc sur lesquelles les eaux de Dieu viennent battre en
vain
). Il faut dire que cet ouvrage suit le deuil dun être cher à Christian
Bobin et qui fut raconté dans son livre précédent en 1996. On y retrouve
dailleurs le tutoiement destiné à La plus que vive. Ainsi, le côté qui peut nous
paraître égoïste, retranché du monde, indécent, (voire presque jaloux quon
serait en regard de lapparente délectation de cet état par lauteur) est-il
finalement quun livre des passages en face dun évènement important de la
vie, le genre de journal quon ne relira jamais, mais sans doute était-il important,
vital de le faire pour Christian Bobin. On a tous notre Autoportrait au radiateur,
pétrifié dans limmobilité et la mélancolie.
(12/06/2002)
Effroyables Jardins de Michel
Quint, éditions Joëlle Losfeld
Voici un livre étrange : malingre (60 pages), édité chez un petit éditeur, il
avait tout pour passer inaperçu. Et pourtant, il a fait lobjet dun incroyable
succès. Bien entendu, on peut citer ses qualités littéraires : un bon style, une
histoire originale mais ce ne sont généralement pas (et cest dommage) des
éléments qui favorisent le succès. Alors, cest étrange et cest pour cela
quon la lu.
Lhistoire est attachante : un fils nous raconte que son père est clown, à sa
grande honte. Et puis un jour, un ami de son père lui raconte laventure quils
ont eue pendant la guerre, responsables dun sabotage et arrêtés par les Allemands.
Echappant de justesse à la mort, cest ainsi que le père deviendra clown pour le
restant de sa vie. Cest bien écrit, cest court, le thème du clown, passer du
rire aux larmes comme dans la vie est forcement et littérairement efficace.
Nempêche quon ne comprend tout de même pas cet engouement, ce consensus un
peu forcé et obligatoire qui rappelle celui, exagéré et devenu démagogique,
dAmélie Poulain. Souhaitons quun tel travers qui échappe évidemment à la
volonté de son auteur ne se produise pas.
(05/06/2002)
Après-coup, de Maurice Blanchot, éditions de Minuit.
Maurice Blanchot demeure hermétique pour moi : jai tenté de lire lAttente,
loubli (titre merveilleux) mais sans parvenir à accrocher. Le personnage
volontairement effacé de Blanchot me fascine dun point de vue philosophique et
cest justement mon problème : jaborde toujours les lectures par
laspect littérature, rarement par la philosophie, sans doute par manque de
connaissance. Et sans doute je réagis à linstinct, à la poésie, ce qui me semble
éloigné de la réflexion, donc de la philosophie.
Après-coup est composé de trois textes, lidylle, le dernier
mot et après coup.
Lidylle est une nouvelle ou le principal protagoniste est confronté à un
monde parfait en apparence. Cest limage la plus forte que je garde de ce
recueil, quelque chose détrangement rémanent et de dérangeant, comme une nouvelle
de Carver.
Et puis vient Le dernier mot (et qui fait immanquablement penser au Premier mot
de Bergounioux), texte surréaliste qui rappelle le film Le sang dun poète
de Cocteau (ou encore Nadja de Breton, note de lecture du 13/03/2002) et la
bibliothèque de ce récit, celle extraordinaire de Florence avec son escalier double dû
à Michel Ange.
Enfin, après-coup justifie la présence des deux textes précédents (regroupés
sous le titre Le Ressassement éternel) puisquil sagit de commentaires
à leur sujet. Tout en prévenant au préalable le lecteur pour quil ny ait
aucune méprise (" Jabomine les préfaces
Noli me
legere
Tu ne me liras point
Je ne subsiste comme texte à lire que par la
consumation qui ta lentement retiré lêtre en écrivant
").
Tout de même, sur Le dernier mot, qui date de 1935, Maurice Blanchot nous explique
son obsession de lanéantissement, du non-né qui marquera toute sa
littérature. Et sur Lidylle, le fameux thème des travaux dérisoires
qui jalonnent ce texte sur lillusion dun monde parfait, évoque les camps
concentrationnaires (on pense à Perec W ou le souvenir denfance, les
shémas du sport, culte du corps parfait - note de lecture du 06/06/2001) et la fameuse
question : peut-on écrire après Auschwitz ?
(29/05/2002)
La littérature sans estomac, Pierre Jourde, Lesprit des Péninsules
Quest-ce quon se marre ! (Bon, daccord, à condition
davoir lesprit macho, genre salle de garde, blagues sur les blondes et
autres
) Pierre Jourde, cest dit sur la quatrième de couverture, renoue avec
le genre du pamphlet et attaque les " textes indigents ". Cela me
rappelle Jean Barbier dAucourt, illustre académicien langrois pour lequel je viens
de plancher afin de linclure dans une anthologie des écrivains de Haute-Marne qui
sortira pour la fin de lannée (fin de la publicité
). Notre académicien
critique naura eu de cesse de dénoncer les jésuites depuis une moquerie stupide de
quelques-uns uns dentre eux à son égard. Donc, idem quelques siècles plus tard,
on sinterroge pour Pierre Jourde sur lévènement déclencheur de tant de
courroux (maux de dents tenaces ? cors au pied ?). Jai lu la plupart des
livres critiqués dans louvrage : Angot, Beigbeder (ah ! bien trouvé la
formule " cest toto qui écrit un roman "!), Christian Bobin,
Pascale Roze, Olivier Rolin, Jean Philippe Toussaint
Bon, cest vrai que
lintérêt de certains ne nous fera pas nous rouler par terre (voir Notes de lecture
du 11/10/2000 , du 06/12/2000). On rigole donc plus aisément devant les blagues de
potache que notre facétieux auteur nous distille, mais
Car il y a un (voire plusieurs) mais.
- Premièrement. Au petit jeu du : " je vous isole un passage dun
livre, vous allez voir comme cest cucul
", on est tous perdants.
Exemple : " Une tour en rase campagne ressemble à un navire en pleine
mer. Elle doit être attaquée de la même façon. C'est plutôt un abordage qu'un assaut.
Pas de canon. Rien d'inutile. " Voilà qui serait sanctionné par
lauteur par (je le cite) : les petites formules sèches mécaniquement
débitées sur le canevas sujet-verbe-complément, labsence de métaphore, le choix
constant des termes les plus plats (les verbes " être " et
" avoir " par exemple) participent dune volonté de
désinvestissement. Bon, lextrait est de Victor Hugo dans quatre-vingt-treize
- Le second " mais " tient dans le rapport quon a avec la
lecture : Pierre Jourde part dun postulat simpliste, tout ce quécrit
lécrivain est vrai, chaque mot vaut son pesant dor, il sadresse à moi,
je ne pige que dalle donc, cest lui le mauvais puisquil prétend que ce
quil écrit est vrai
Un peu faussé, non ?
- Le troisième " mais " est ce que Pierre Jourde impose à la
lecture : elle est là pour distraire, obligatoirement et rien dautre (cela me
fait penser à lobscurantisme de certaines villes tenues par le FN où le seul
programme culturel est le théâtre de boulevard).
- Le quatrième " mais " est quil est aussi difficile à
Beigbeder de plaider contre la pub en vendant des centaines de milliers dexemplaires
parfaitement markétés quà Pierre Jourde de se faire son accusateur en utilisant
autant de slogans bien vendeurs (" Il est beau le qui-qui, Jean Philippe
Toussaint ", ça fait un peu Big Dil ou pub de gâteaux pour chiens non ?)
- Le cinquième " mais " me concerne particulièrement, puisque je
revendique le fol espoir dêtre un jour lauteur le plus chiant du monde, titre
enviable qui donnerait ô combien matières à Pierre Jourde. Et mon égo, hein ?
quest-ce quil en fait de mon égo ! Bernheim, Beigbeder,
Beinstingel
pourvu quil ne travaille pas par analogie de nom
Mais, bon, Pierre Jourde sent tout-de même confusément " quil y a
quelque chose de pourri au royaume du Danemark (Skakespeare) " : dictat
dun certain milieu, influence démesurée de certains critiques, genres, écrivains
et quil est temps de démolir tout cela. Il part donc, comme Don Quichotte rejoindre
ses moulins (Cervantes). Notons tout de même quil sattache à apprécier
certains auteurs comme Valère Novarina, Eric Chevillard, petits drapeaux flottants aux
vents sur la lande et quil a découvert comment ? Pourquoi ? Période de
rémission de ses cors aux pieds ? Notons aussi que lon est parfaitement
injuste : certains passages sont particulierement sérieux, argumentés, analysés
(pourquoi sur Houellebecq ?).
Finalement, le pamphlet est lart de la caricature (ha, ha ! Christian Bobin, le
ravi de la crèche
), si cela peut redonner (comme dirait Marie (Redonnet) une autre
victime de Jourde) un peu de vigueur, de fraîcheur ou de naïveté à la littérature,
pourquoi pas ? Mais au fait, la littérature a-t-elle besoin de vigueur, de
fraîcheur ou de naïveté ? Dautre chose ? Zut et crotte de caniche ! on
tourne en rond
(22/05/2002)
Nathalie Sarraute, qui
êtes-vous ? Conversations avec Simone Benmussa, Ed La Manufacture
Ces conversations sont regroupées par thème : les voyages, les autres, limage
de soi, Raymond
Comme toutes conversations, certains passages nous paraissent plus
évasifs, moins intéressants : nous sommes venus par lintermédiaire de ce
livre pour en savoir plus sur Nathalie Sarraute. Cependant, on en apprend beaucoup sur
linfluence de Raymond, et par-là même sur le doute dans lécriture qui
jalonne la vie quotidienne de lécriture. Dans un chapitre intitulé " Les
dit-il, répond-elle
", on aborde bien le constat effectué autour des
dialogues, dun certain classicisme de la narration, et de sa remise en cause qui
na cessé dêtre entrepris depuis les premiers textes et les premiers
" tropismes ". On voyage ainsi au cur de ce que lon a
cristallisé par la suite sous le générique du Nouveau Roman.
Louvrage se termine par le texte dune conférence de Nathalie Sarraute qui fut
prononcée pour la première fois en 1970, puis dans plusieurs universités
étrangères : Le langage dans lart du roman. Les explications, très claires,
nous entraînent dans la réflexion née de la banalité apparente du langage (Comme un
domestique bien stylé, il (le langage) est uniquement destiné à rendre service et il
narrête jamais de servir) et résume simplement quelle fut la démarche
propre au Nouveau Roman (Les tenants de ce que lon a appelé le Nouveau Roman
(
) affirmaient que le roman étant un art comme les autres, la substance dont il est
fait, le langage, en est lélément essentiel). Cependant, lanalyse de
Sarraute tempère cette importance de la forme (et des purs et durs qui disent que
" le seul contenu du roman cest sa forme ") car " il
faut se résigner : le langage quoiquon en fasse, signifie. Alors
comment empêcher le langage au romancier dêtre un simple instrument, une pure
transparence ; lempêcher dêtre astreint à dhumbles
besognes ; lui donner cette qualité de la parole essentielle que MallarMé opposait
à la parole brute, et qui le met à la place dhonneur ? "
Cest clair et limpide tout comme à la fin de son exposé Nathalie Sarraute nous
gratifie dune explication du premier tropisme (le IX) quelle a écrit, avec
une formule qui résume tout le mystère nécessaire de lécriture (Quest-ce
que cela signifie ? Je ne me suis jamais posé cette question dangereuse).
(15/05/2002)
Neil Young dOlivier Nuc, Librio musique
Pourquoi achète-t-on des livres ? Vaste question et bien des
réponses :je naime pas sortir dune librairie sans livre, ce livre
nétait pas cher, je le cherchais depuis longtemps
etc.
Là, cétait à Reims, je suis sorti de la Fnac (excusez-moi, amis libraires - Ô
temps modernes : on erre dans une galerie marchande, on se retrouve à la Fnac
-
), donc, je suis ressorti de la Fnac avec Ecrire de Marguerite Duras en livre de
poche et ce fameux Neil Young, collection Librio à dix balles (la balle vaut
0,152 euro). Les deux livres de petits formats entrant facilement dans ma poche, voilà
une autre raison dacheter des livres, avec le prix modique, et puis on en
vient enfin au fait en feuilletant le Neil Young, jai lu quil avait
chanté Imagine de Lennon en réponse à son interdiction sur les ondes
américaines pour cause de message pacifiste lors du grand show télévisé dix jours
après le 11 septembre.
La biographie est rédigée de façon très classique en chapitres qui retrace la
carrière du Folk Singer, avec un évident parti pris pour sa pêche et sa jeunesse
éternelle en face de qui, les Crosby, Still et Nash apparaissent certainement faussement
comme de bedonnants quinquas.
On acquiesce quand même, tant on a été nourri au petit lait du bucolique Harvest
(et Décade, on se souvient de lavoir acheté dans ce magasin de Chaumont
dés sa sortie vers 77, 78, à lépoque on se déplaçait en moto Honda 125 K4
une pièce de collection qui stagne toujours au sec dans mon garage, je la vends,
faites-moi des propositions ici -, à moins que ce soit avec la 4L de ma frangine, bref, toujours
est-il que Décade est perdu depuis de nombreuses années). Revenons à Harvest
car je crois que cest le départ profond de cette passion pour Neil Young surtout à
cause de lenvironnement de photos bucoliques qui jalonnent lalbum et qui font
penser à La route de Madison (ça y est, je lai placé !), voir dans
cette même rubrique ma note de lecture du 20/03/2002). Donc son allure de poète
dégingandé me plait (à lépoque on disait baba cool, maintenant ce serait
grunge ?). Et puis finalement, jai peut-être tout simplement acheté cette
biographie en préparation à la lecture du monument Stones quon attend avec
impatience en septembre chez Fayard
(08/05/2002)
Le grand secret de Claude Gubler.
Claude Gubler fut le médecin personnel de François Mitterrand et il eut la
mauvaise idée de publier un livre sur la maladie du président qui devait
lemporter. Il fut censuré en 1996 notamment pour violation du secret médical et
son livre Le grand secret fut interdit de vente dés le lendemain de sa parution. Le livre
révèle un Claude Gubler cependant très dévoué à François Mitterrand, mais qui eut
lindélicatesse (et léditeur, lopportunisme) de faire publier son livre
dix jours après la mort du Président. Ajoutons à cela une époque très sensible à la
protection de la vie privée (suicide de Bérégovoy en 93, " livré aux
chiens " (F Mitterrand)).
Aujourdhui la censure sapplique toujours majoritairement pour les ouvrages
politiques, le Général Aussaresses vient den faire les frais. On peut toutefois se
demander si le délit dincursion dans la vie privée nest pas en train de
passer aux oubliettes depuis lépisode de la mort de la princesse Diana : les
" affaires ", HLM de Paris et autres se polarisent sur des scandales
politicaux-économiques, et le " tout le monde est pourri " (sauf
moi
) nempêche pas de regarder de la réality-TV et autres lofteurs
La
censure a cela de gênant, cest quelle est difficilement applicable depuis
Internet et présente aussi un inconvénient majeur, celui dalimenter des rumeurs
qui sont, on le sait bien, récupérables avec une redoutable habileté par le FN. Rendons
hommage à Mathieu Lindon avec Le Procès de Jean-Marie Le Pen, censuré lui aussi. Et
terminons sur un ouvrage qui nest pas censuré, le programme électoral de Le
Pen : au moins, lélecteur sait à quoi sen tenir et cest au grand
jour quon pourra choisir, entre obscurantisme et démocratie.
(01/05/2002)
Brest-Jérusalem, Olivier Six, Journal sur internet
On nen parle comme dun livre tant on sy est plongé malgré les
difficultés de la lecture sur écran. Ces chroniques quotidiennes de Jérusalem sont
suivies depuis huit mois par Olivier Six. Huit mois suivis plusieurs fois par jour avec
les difficultés que lon perçoit pour la mise en ligne quotidienne dans les
restrictions dun état en guerre (22 avril : il va falloir que je me trouve
un autre fournisseur d'accès à Internet, si je ne peux plus sortir pour acheter des
cartes. Pratique, ce système de cartes. On achète, on gratte, on trouve un identifiant,
un code, et un numéro de téléphone. Et zoumba... sauf si on ne peut plus sortir...).
Qui est Olivier Six ? Un archéologue parti étudier les antiquités de
palestine ? Un employé de laide humanitaire ? Un journaliste ?
Certainement un peu des trois mais une chose est sûre, ce sont les circonstances qui lui
font réaliser un peu de chaque métier, rien nest calculé, intentionné. Il suffit
de lire son journal dés les premières pages et avant le 11 septembre pour
sapercevoir quil a subi les aléas des évenements avec toutefois une acuité
et une prémonition au départ de profiter de sa présence à Jérusalem pour témoigner.
Le journal passe de lespoir au désespoir (07/03/2002 : On en oublierait
presque que le temps est magnifique, ciel bleu, douceur, petit vent sympa ;
21/04/2002 : Je suis rentré de Naplouse tard. Fatigué. Fatigué du trajet, des
heures d'attente sous la pluie au check-point, fatigué de devoir évacuer un site de
livraison de nourriture comme des voleurs sous la menace des armes, fatigué de l'océan
de destructions, de ces villes fantômes que je vois une par une...), lhumour
et lironie aide à vivre au quotidien (13 mars : Check point sur la route
de Ramallah:
il demande à un vieux qui se trouve à une bonne quinzaine de mètres
de la tour de présenter ses papiers. Armé de ses jumelles, il se penche pour lire le
papier que le vieux essaye de tendre vers lui. Totalement grotesque et surréaliste. Nous
étions morts de rire.) en face des évenements de lHistoire et ses
contres-vérités (12 septembre : Ici, contrairement à ce que jai pu
entendre, personne na fait la fête, et je nai pas entendu les coups de feu
soit-disant tirés pour célébrer lévénement..) et nos petites
préoccupations françaises paraissent bien lointaine (11 avril : Faut pas
négliger l'essentiel.... Loft-Story revient sur les écrans ce soir!).
Mais donnons à Olivier Six en guise de conclusion ses premières phrases écrites en
septembre 2001, car il na de cesse depuis de respecter sa ligne de conduite avec un
grand courage : "Je parlerai des palestiniens, je parlerai des israéliens. Je
n'éluderai pas la colère, les larmes ou les espoirs. Pas même le sang. Bien sûr, j'ai
des préjugés. Des sympathies. Des indignations. J'essaierai juste d'être le plus
honnête possible. Je serai un autre regard, si j'ai un peu de chance, et sinon je me
contenterai d'être juste un regard de plus."
(24/04/2002)
Du hérisson, Eric Chevillard,
Editions de Minuit :
Cest un livre énervant : on le prend, on lit quelques paragraphes
curieusement séparés au milieu des phrases sans parvenir à savoir ce que veut
lauteur avec son " hérisson naïf et globuleux ". On
laisse reposer une nuit.
Puis le lendemain, obsédé par lidée dune signification dans toute chose, on
reprend le livre (et tout de même un bouquin chez Minuit, ce nest parfois pas
facile dy entrer même chez le grand Beckett) : on re-feuillette.
Voyons, voyons : je sais, cest oulipien comme truc ! On compte les mots
des paragraphes : il doit bien y avoir une contrainte entre deux tirades, voire entre
les mots qui séparent deux " hérisson naïf et globuleux ". Plus
tard on lit une interview dEric Chevillard qui récuse être disciple de Perec. On
reprend, on se laisse prendre par le récit (surtout parce quon se reconnaît dans
le portrait de lauteur à sa table de travail). On lit, on trouve ça
génial (si, si, on a compris, donc on est génial !) : le hérisson est le
petit grain de sable qui empêche lauteur de se concentrer, cest
lexagération de sa mégalomanie, cest la Mouche du Coche de La
Fontaine, cest le Cachalot sur les bras de Bernard Mathieu (prochainement
en Notes de lecture), cest le piquant de la poésie
etc. Et cest normal
que cette bestiole, de la table dEric Chevillard, me saute à la figure par bouquin
interposé
Ah, Ah, on a compris ! Et les paragraphes aérés sont autant de
respirations, procédés ingénieux pour relancer lintérêt du lecteur sur cet
exercice pas facile : arriver à construire un récit à la limite de la distorsion
avec ce hérisson naïf et globuleux qui revient régulièrement comme le raton laveur de
Prévert. Il est vrai que vers la fin, le récit lasse un peu, on se demande qui cela
peut-il bien intéresser à part les scribes rivés à leurs tables de travail. Et cet
auteur, un tantinet nombriliste, nous énerve, nous dérange soudainement.
Lauteur ? Ou son bouquin ? A moins que ce soit son hérisson ? Trop
tard donc, la bête est en nous
(17/04/2002)
Un été autour du cou de Guy Goffette, Gallimard
Voilà quon nous présente cet ouvrage avec la prestigieuse couverture or de chez
Gallimard comme le premier roman de Guy Goffette. Et voilà quen ouvrant le livre,
on découvre quil ny a pas assez de deux pages pour décrire les nombreux
écrits de ce premier romancier. Bien entendu, cette habitude décrivain chevronné
se sent dans le style de Guy Goffette. Les tournures de style, la poésie, les habiletés
pour donner de la vigueur au récit sont indéniables et ne déparent pas la collection
qui nous a déjà bien habitués à des récits joliment tournés. Car le thème pourrait
paraître banal : lapprentissage amoureux dun gamin de douze ans,
lidée nest pas vraiment novatrice. Lhistoire donc, grâce à cette
maîtrise du récit se lit bien. On peut regretter toutefois une fin abrupte, peut-être
trop conventionnelle comment dire que lon devine à lavance et qui paraît
bâclée. Mais sans doute suis-je sévère en vertu de cette fausse publicité marketing
qui nous prône un premier roman. Mon il !
(10/04/2002)
Le Gardien du verger de
Cormac McCarthy, Ed de l'Olivier
Un vieux fou, un gamin désuvré, un trafiquant dalcool, un noyé,
des chasseurs, quelques filles, quelques gars aperçus dans des cafés, des stations
services, des masures, le tout au milieu dune campagne vide. Cest
lunivers que décrit Cormac Mc Carthy. Les maisons semblent posées là par
hasard : un vieux bar appuyé contre un précipice et qui finira par sy jeter,
une cabane en planches, une citerne sur laquelle on tire dessus, tout semble
sordonner pourtant dans une logique du vide bien compréhensible, bien cohérente
où les destins des uns et des autres finissent toujours par se croiser. Cormac Mc Carthy
est un maître de la description et de lambiance. Le récit senlise un peu
puis retrouve une articulation commune entre tous ces parcours et il persiste finalement
le goût un peu tendre et aigre dun formidable éloge des vies marginales, des lieux
oubliés, des temps effacés, tout ce quon résume par le mot
" sauvage ".
(03/04/2002)
Cris de Laurent Gaudé,
Actes Sud
Cest le premier roman de Laurent Gaudé, paru il y a tout juste un an. La belle
couverture où lon devine des ombres marchant aux combats de 14-18 et le titre court
mais expressif placent tout de suite lenjeu. Encore un livre sur cette guerre et on
se demande quels chocs dans la mémoire des générations antérieures provoquent encore
linspiration près de quatre-vingt-dix ans après. Gris est construit sur les
dialogues intérieurs dune poignée dhommes au front. Il y a aussi celui qui
en revient mais qui demeure hanté par ce quil a vu. Les monologues
sentrecroisent et tissent leur histoire commune, scandée à coup dattaques,
de replis, rythmée par les cris de fou de lhomme cochon, un soldat don ne
sait quel bord et qui survit perdu entre deux tranchées. Laurent Gaudé a construit ainsi
un roman efficace, une sorte de journal de guerre collectif en décrivant un monde et des
esprits au bord de la folie.
(27/03/02)
Sur la route de Madison de Robert-James Waller, Albin Michel
Pourquoi le nier ? Jai un côté fleur bleue (parfois fâcheusement
larmoyant) et quand je suis tombé sur ce best-seller lautre jour à la
bibliothèque, je nai pas pu mempêcher de revoir Clint Eastwood et Meryl
Streep dans le film du même nom.
Tout au long de ma lecture, des images de ce film mont accompagné car il est vrai
que ce roman de Robert-James Waller est construit avec une efficacité toute américaine,
cest à dire visuelle et scénariste. Mais au-delà de lomniprésence des deux
héros, cest aussi une société rurale américaine décrite et surtout une façon
de dépeindre un été particulier et vide qui minteresse. Il y a, oui, osons le
dire, du Claude Simon pour la précision des descriptions, du Marguerite Duras pour
lambiance (mais comme je suis un peu obnubilé par mes auteurs préférés,
jai peut-être tendance à les voir partout
). Robert James Waller dont
cétait le premier roman devrait publier une suite cette année, dix ans après,
donc.
(20/03/2002)
Nadja dAndré Breton, Folio poche
Cest un livre culte pour moi comme " antimémoires "
dAndré Malraux (voire même rubrique, le 04/12/2001) et que jai lu à peu
près à la même époque vers le milieu des années 70.
Comment suis-je arriver à acheter Nadja de Breton ? Est-ce le lycée qui me
donnait à cette époque quelques maigres références ? Je crois plus à un
enchaînement : Prévert et surtout Raymond Queneau que je lisais avec assiduité et
qui mont entraîné vers les surréalistes.
Et quel souvenir je garde de lhistoire ? Il y a cette femme qui mélangeait les
sensations et que Breton décrit avec une insistance clinique. Bien entendu, maintenant je
ne peux mempêcher de penser à lexpérience psychiatrique de Breton à
Saint-Dizier en tant que soignant, son jeune âge, sa passion de la poésie et la
découverte de la psychanalyse à la même époque. Il est quasi certain que, dans ces
circonstances quelquun à Saint-Dizier lui a inspiré Nadja.
A priori, donc, jai peu de souvenirs de ce livre mais il demeure la sensation aiguë
que cette lecture fut un moment important. Le seul réel souvenir que jen garde,
mais qui ne ma jamais quitté est cette dernière phrase qui clos le livre et que
jai toujours retenu : " La beauté sera convulsive ou ne sera
pas ". Maintes fois retournée, la phrase continue à me séduire et se
révéler différente. Je men souviens régulierement.
Jai toujours ma vieille édition Folio. Je la feuillette. Je ne me souvenais plus de
lassociation du texte et des photos qui ouvre tellement de perspectives. Je retrouve
quelques bouts de papiers que javais lhabitude de semer entre les pages avec
des inscriptions absconses, des références certainement récupérées entre les pages
(" ainsi fait le temps, un temps à ne pas mettre un chien
dehors " ; " Georges Charles Huysmans
" en rade ", " là-bas ").
Je feuillette " mon " Nadja, et je retrouve la formidable
perspective de mes sentiments intacts. La lecture est une magie, un miracle.
(13/03/2002)
Lange sur le toit de
Russel Banks, Actes Sud :
Inévitablement, on pense à Raymond Carver tant est présent et presque
envahissant lauteur américain que lon préfère mais aussi car Russel Banks
aborde des thèmes similaires : décrire une société américaine banale, à travers
des instants cruciaux de leurs " vies minuscules ". Ces nouvelles
mettent en scène souvent des relations toujours difficiles entre générations
différentes, des divorces multiples, des ouvriers itinérants (la jeune barmaid et son
patron quinquagénaire, le plombier qui assiste la fille de son ex-femme dans les derniers
moments de sa mère, le couple dagriculteurs qui se déchire dans une nuit
mémorable
). Ce sont des situations tendues, chargées démotions, une vision
aussi de cette société américaine, ces ouvriers si mobiles, ces vies déboulonnées en
permanence. Chez Banks, toutefois, les situations évoluent parfois dune façon plus
abrupte que chez Carver.
Et il y a le style, comment dire, typiquement anglo-saxon aussi que lon retrouve, le
genre " nouvelle " tout dabord qui possède là-bas une
reconnaissance inconnue en France, les phrases courtes, les situations presque visuelles,
toute une ambiance habilement racontée et peut-être, le plus important, la facilité
déconcertante avec laquelle les auteurs américains semblent passer de la fiction à la
réalité et sans (apparemment) de querelles de chapelles comme chez nous entre adeptes de
la " nouvelle fiction " et tenanciers théoriques dun réel pur
et dur et parfois hâtivement assimilé au Nouveau Roman.
Russel Banks est devenu en 2001 le 3ème Président du Parlement International
des Ecrivains, organisation qui soutient des écrivains persécutés dans leurs pays, leur
offre des résidences au sein de " villes refuge ".
(06/03/2002)
Rimbaud de Jean-Jacques Lefrère, Fayard
Rimbaud de Pierre Petitfils, Julliard
Passion Rimbaud de Claude Jeancolas, Textuel
Rimbaud dArabie dAlain Borer, Seuil
Rimbaud le Fils de Pierre Michon, Folio
Cinq biographies de Rimbaud pour dire que le poète na pas fini de
fasciner...
Commençons donc par la plus récente, celle de Jean-Jacques Lefrère, très complète,
plus de mille pages, la fameuse nouvelle photo de Rimbaud qui nest quune
anecdote dans cette mine de renseignements que procure le livre. Sous une apparence
classique et chronologique, cette biographie a le mérite de déborder et de rejoindre la
création du mythe Rimbaud. On y apprend entre autre beaucoup de choses sur le caractère
de ses proches, sa mère Vitalie, sa sur Isabelle et plus tard lappropriation
du poète par son mari Paterne Berrichon.
La biographie de Pierre Petitfils, publiée en 1982, ne fait pas dans la modestie :
" Voici pour la toute première fois, dans toute sa rigueur et pleinement
exhaustif, le résultat de trente années de recherches... " Lauteur
qui nhésite pas à qualifier la vie de Rimbaud de tragédie grecque, montre
bien le magnétisme quexerce encore le poète.
Je reconnais toutefois plus facilement Alain Borer comme
" spécialiste " de Rimbaud, tant sont nombreux et variés les
ouvrages de l'auteur parus sur le sujet. Et en particulier, je suis plus sensible à tout
ce qui touche au silence du poète définitivement parti en Afrique comme Rimbaud en
Abyssinie ou Rimbaud dArabie.
Passion Rimbaud continue légitimement la belle collection imagée de Textuel, un
peu fouillis mais tellement agréable à feuilleter.
Toutefois, je garde une émotion particulière à relire lexcellent Rimbaud le
Fils de Pierre Michon, petit essai intimiste, plongée dans lunivers du poète,
tout en tremblé et incertitude face aux monuments biographiques avec son fameux
incipit : " On dit que Vitalie Rimbaud, née Cuif... "
(27/02/02)
Biblique des derniers gestes de Patrick Chamoiseau, Gallimard :
On regarde avec circonspection ce gros pavé de 773 pages, puis, tout de suite, cest
le choc : une langue fluide et colorée, une narration chatoyante et sans
longueur : les 70 premières pages passent comme un souffle dalizé en haut
dun morne, on est conquis, ravi.
Dépaysé, pas trop suite à plusieurs voyages en Guadeloupe dans ma famille créole, mais
on retrouve justement tout ce que lon a deviné, senti, cette difficulté
dêtre dans une île, (autrefois cinq ou six voyages en Corse avaient fait percevoir
une réalité insulaire équivalente ) ce rattachement obligé à " Mère
patrie " comme dit Chamoiseau, cette façon dêtre à la fois simple
et complexe, et le passé, lesclavage, la négritude, lidentitaire qui
plombent tous les rapports humains entre blancs, nègres, békés, métros,
noirs-marrons, coolies, zindiens, métis, chabins.
Lhistoire débute par lannonce prochaine et prophétique de la mort de
Balthazar Bodule-Jules, vieil indépendantiste convaincu. Sen suivent une cohorte de
visiteurs venu lassister dans une hospitalité toute créole et ainsi débute le
récit de sa vie (Ce roman rappelle La traversée de la Mangrove, de Maryse Condé
ou plusieurs témoins retracent la vie dun personnage un peu mystérieux qui vient
de mourir).
Actuellement, le vieux rêve indépendantiste sest remplacé peu à peu par celui de
la possession dune BMW flambant neuve quon pourra exhiber devant sa case et
ses voisins.
Et cest peut-être le message que veut faire passer Patrick Chamoiseau : celui
dun retour aux sources, vers ceux dont on a tellement compris les combats, comme
Césaire ou Senghor, quils sont devenus évidents, admis, comment dire, tellement
peu porteur de nouveautés en face du consumérisme et du marketing soporifique envoyé
par la métropole. En plus, ces discours réveillent les éternelles vieilles plaies.
Autant de réticences donc. Mais enfin : il faut y retourner encore et encore. Et
faire leffort quand on est noir de peau comme Balthazar Bodule-Jules daller
vers Saint John Perse, quand on est blanc daller vers Edouard Glissant ou Patrick
Chamoiseau, fraternellement.
(20/02/2002)
Linvitation, de Claude
Simon, Ed de Minuit :
Cest lhistoire de quinze personnages ("
chacun dans leur
pays des hommes importants
") invités officiels dans un pays qui
nest pas cité (mais il est facile de reconnaître la Russie). De ce séjour banal,
il ny avait pas de quoi en faire une histoire, sauf pour Claude Simon où la magie
opère grâce à un style toujours aussi précis. Ce court récit (94 pages), paru en
1987, et sans doute pas étranger au voyage effectué en 1984 en URSS à l'invitation de
l'Union des écrivains, nous livre encore une fois toutes les caractéristiques de la
langue extraordinairement riche et particulière de lauteur : les fameux
participes passés qui donnent mouvement et rythme aux descriptions, les parenthèses
(voire les parenthèses à lintérieur de parenthèses) qui marquent le souci
constant de la précision, les " ou ", " ou
plutôt ", points dinterrogation, qui donnent force au récit ou
relativisent le poids des mots choisis, qui semblent indiquer autant de voies possibles au
lecteur. Sil y avait un premier récit de Claude Simon à conseiller, ce serait
peut-être celui-ci ou Lherbe ou Tramway (Note de Lecture du
15/04/2001) avant La Bataille de Pharsale (Note de Lecture du 27/06/2001) par
exemple ou La Route des Flandres (Note de Lecture du 28/03/2001).
Vous lavez deviné : je suis un inconditionnel de Claude Simon.
(13/02/2002)
Banlieue Sud Est de René
Fallet, Folio poche (ou éditions Domat pour les bibliophiles
) :
En 1947, âgé de dix-neuf ans, René Fallet publie ce premier livre. A priori
rien ne prédestine ce fils de cheminot, banlieusard de Villeneuve Saint Georges et
fervent de petite reine à devenir écrivain sinon la passion déjà dévorante des mots
et la chance de raconter sa jeunesse de zazou qui a traversé la guerre avec sa veste à
carreaux et sa chemise américaine sur fond de jazz et Charles Trenet. La chance oui, car
on est dans lexubérance de limmédiat après-guerre, dans une période
quon ne nomme pas encore existentialisme (bourgeois et de bon ton) mais plutôt joie
de vivre populaire. Et le talent de René Fallet fait le reste, le livre devient un
succès. Pour autant, le succès ne monte pas à la tête de René Fallet qui en profite
pour assouvir sa boulimie de littérature. Car cest bien de la naissance dun
écrivain quil sagit. De grand talent, jinsiste : son premier
incipit (" Je suis le type qui possède lamour. Dun seul mot je
le donne, dun seul geste je larrache
") ne démentira
jamais un caractère un peu frondeur et qui na peut-être jamais eu la place
quil méritait dans le cénacle des lettres. Cétait un véritable écrivain,
jinsiste : cest à dire celui pour qui tout dans la vie est littérature
et vice versa. Il demeure pour moi léternel écrivain de la jeunesse, laissons-lui
la parole pour conclure : " M René Fallet, dix-neuf ans, termine son
livre en cette nuit de Noël 1946, Noël sans neige, Noël qui sonne faux. Le froid
déambule comme chez lui dans cette chambre dhôtel où leau est coupée, le
radiateur en panne. M René Fallet, entend ronfler sa voisine. Pourquoi nest-elle
pas au bal ? Lorsquil aura écrit le mot " fin ", il se
lèvera, prendra ses gants et son pardessus, ira dans les bistrots des Halles
".
Allez, on te suit, René !
(30/01/2002)
Lhomme Atlantique de Marguerite Duras, Edition de Minuit
24 pages et 17 minutes de lecture, voici pour la forme du texte (Jérôme Lindon, patron
de Minuit, était vraiment le premier grand éditeur à prendre le risque de monter des
publications si courtes, on pense aussi à Beckett
). Lhomme Atlantique est
lhistoire dun amour sur fond de marine océanique et de lidée
quon pourrait en faire un film parce que " écrire est trop
dorénavant ".
Que retient-on dun quart dheure de lecture ? Le style inimitable de
Duras, le passage incessant entre le vous et le je et la magie qui opère,
indéfinissable (il est pourtant facile dans un texte si court de repérer mot à mot les
effets de style, méthode, etc
). Lensemble reste insaisissable, les procédés
sont invisibles, courent sous le texte comme une rivière sous la glace. On ne retient que
la beauté pure comme un torrent gelé, des haïkus de rivages et docéan, une
langueur dans les sentiments. On referme le mince livre avec la même plénitude
quau retour dune balade dans le vent, sur une plage.
Bien sûr, on cherche à en savoir plus, on sait quil y a eu un film du même nom
avec Yann Andréa, on fouille, on replace le tout dans la biographie connue, exposée,
superficielle, mais ce nest pas ce qui est important. Limportant reste 24
pages, 17 minutes de lecture et, comme dit Duras, " ne cherchez pas à
comprendre ce phénomène photographique, la vie ".
(23/01/2002)
Un peu de bleu dans le paysage, de
Pierre Bergounioux, Verdier
Huit textes forment ce récit.
En même temps (ou presque) paraissait Le premier mot et Simples, magistraux
et autres antidotes chez le même éditeur, et B17G chez Flohic (Voir
Note de lecture du 31/10/2002). Auteur fécond donc, Pierre Bergounioux, et pour notre
plus grand plaisir car il distille sa mémoire avec une tendresse non dissimulée. On
sy retrouve donc tous dans ces " vies minuscules ".
Mais que retient-on, principalement de Un peu de bleu dans le paysage? La
Traction 15, le deuxième texte (et cest ce qua également retenu la plupart
des critiques (élogieuses) de ce récit)
Si François Bon nous invite à entrer
dans le garage familial (également Citroên) avec Mécanique (Ed Verdier),
Pierre Bergounioux nous convie le temps dune balade au volant de ce corbeau
imposant, aux lignes rondes et luisantes que tous les quadras et plus ont vus tourner dans
leur ville, leur campagne et leur jeunesse.
Finalement, on saperçoit que nous cultivons tous un de ces indispensables souvenirs
mécaniques et lexploit de Pierre Bergounioux est de transcender cette nostalgie,
nous faire sentir la vitesse de cette traction, allèger en quelque sorte le poids des ans
qui nous en sépare.
Nous accélérons au rythme des pistons et des bielles rustiques, nous nous envolons
Et cest la vision dune Ford 17M qui la remplace, alors qu'entassés à
5 militaires dedans, nous fonçions à tombeau ouvert. Je revois laiguille du
compteur qui frolait le 170, le bruit infernal, la route en pente, étroite et bordée
darbres. Souvenir finalement amer et frayeur rétrospective : nous aurions pu y
rester, la voiture était vieille et peu sûre (plus tard son conducteur lachevera
sur le parking de la caserne en faisant tourner son moteur à larrêt,
accélérateur coincé à fond).
La puissance de la littérature cest aussi de faire resurgir des souvenirs oubliés
qui nous parlent et sadditionnent au plaisir de lire. Merci donc à Pierre
Bergounioux davoir ajouté un peu de bleu dans mon paysage.
(16/01/2002)
" Bateau ivre "
dArthur Rimbaud
" Comme je descendais des Fleuves
impassibles,
Je ne me sentais plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.
J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands et de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais. "
Dans ces deux premières strophes de Bateau
Ivre, écrit en 1871 à dix-sept ans, tout est dit, tout est prémonition : la
vie dexplorateur dArthur Rimbaud quelques années plus tard, ses commerces
aventureux, jusquau silence brutal du poète jeté à la face du monde moderne et
bruyant
Et cest bien la force dun tel poème, tellement puissant, tellement porteur
dune magie secrète quil na pu que se réaliser pour son auteur.
Et magie aussi pour le lecteur : il est quasi impossible de le lire à voix basse,
dés les premières rimes, on a envie de le crier, de le jeter hors de soi.
Alors, seulement après, apaisé, on se laisse porter, " bateau frêle comme
un papillon de mai "
(09/01/2002)
Ma mission Gauguin aux
Marquises, de Pierre Bompard, Ed des deux miroirs
Ne cherchez pas : ce livre est introuvable et lauteur oublié depuis
longtemps ! Je ne me souviens même pas où jai déniché ce trésor : un
bouquiniste de Saint-Germain ? Une foire au livres dAmnesty ? Mais, je lai
dit, il sagit pour moi dun trésor : Pierre Bompard (1890-1962), peintre de la
marine, est parti en 1958 aux Marquises avec pour mission de donner une sépulture
correcte à Paul Gauguin.
La simplicité de ce récit agrémenté de photos, la découverte de cette région du bout
du monde, ses habitants pittoresques, les descendants de Gauguin, le souvenir du peintre
disparu en 1903 et encore présent dans les esprits cinquante-cinq ans plus tard, le
travail entrepris pour rénover la tombe, cest tout cela qui constitue la richesse
de cette lecture.
Lexemplaire que jai est agrémenté dune dédicace de madame Juliette
Bompard, le 22 octobre 62 et qui remercie avec émotion le premier acquéreur de "
lintérêt porté aux voyages de son mari ". Pierre Bompard en effet disparut
lannée de la publication de son livre.
Laissons le conclure sa vie avec la dernière phrase de son récit : " Les amarres
sont enfin larguées, le gros ventre du navire sest lentement, lentement détaché
du quai, tiré, poussé par les petits remorqueurs
/
Jai bouclé ma
boucle. Je range maintenant mon coffret de souvenirs : un joli coffret en bois de rose
serti de coquillages de corail et de nacre, à lintérieur doublé de satin bleu
doutre-mer, où jai déposé les quatre fleurs blanches recueillies
lautre matin sur le tombeau de Gauguin ".
(01/01/2002)
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