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Notes de lecture 2005
Létranger, dAlbert Camus, Folio poche :
Le fameux livre dAlbert Camus revient dactualité par un hasard studieux
(voire en Note décriture) et dimanche dernier, dans une intervention de
lécrivain Patrice Robin aux Petites Fugues de Besançon où il insista sur le
caractère fondateur et important de ce roman. Cest loccasion de me souvenir
aussi du moment où on ma fait découvrir Létranger. Cétait un
jour de juin, classe de quatrième, je devais approcher des treize ans. Le prof de
Lettres, on disait " de Français " navait plus de programme à
nous proposer, il a alors sorti ce roman de sa sacoche pour nous le lire. Et dès la
première phrase, dès ce fameux "aujourdhui maman est morte ",
jai suivi hors temps le personnage de Meursault. Le cours durait deux heures, nous
pensions au départ quil nen lirait que des extraits, il avait une voix
monocorde, nous le savions sujet à des accès dépressifs, plusieurs fois les cours
sétait terminés de façon bizarre ou impromptue. Cela ne favorisait pas
lattention. Mais la lecture continuait, imperturbable. Des copains avaient quitté
la salle, nous nétions alors plus tenus à assister aux cours en cette fin
dannée. On voyait un grand soleil au-delà des vitres. On entendait quelques cris
dans la cour. Jétais resté. Le prof avait continué jusquau bout de sa voix
détranger, avait prêté sa dégaine maladroite et triste au narrateur.
Jétais resté, javais attendu la suite, savoir ce qui allait arriver à
Meursault. Nous étions quelque uns à être restés. Je me souviens être ressorti comme
déboussolé. Je savais depuis longtemps le pouvoir des livres qui vous tiennent à eux
seuls dans de tels états. Des lectures denfance, Les enfants du Capitaine Grant
de Verne, Quatre vingt treize ou Les Misérables de Hugo, lIle au trésor
de Stevenson. Mais là, il sétait passé quelque chose, le narrateur, le
professeur, létranger mavaient parlé comme à un homme. Javais treize
ans et désormais, je pouvais aller moi-même à la rencontre de mes lectures.
(23/11/2005)
Le Chili sur les traces de Neruda, de Fariba Hachtroudi et Laurent
Péters, Seuil :
Comme le titre lindique cest à la fois un guide de voyage et un hommage à
Neruda. Qui, sensible au drame dAllende et du Chili en 1973, qui, na pas
rêvé une fois dans sa vie de partir sur les traces exotiques dune Amérique latine
en lutte, attiré par le romantisme dun Che Guevara ou la poésie de Pablo
Neruda ? Fariba Hachtroudi et Laurent Péters lont fait avec engagement :
Fariba est écrivaine iranienne et Laurent " compagnon des exilés de tout temps
et de tous bords ". Leur récit agrémenté de superbes photographies parcourt
un voyage dans tous les lieux qui ont compté pour le prix Nobel Neruda. On trouvera bien
sûr les traces des massacres étouffés du coup détat, les sentiments à jamais
vivants des proches qui restent comme ces mères, épouses et filles des
" disparus de Calama ", il suffit de voir et creuser à peine ce pays
magnifique où la beauté des paysages a repris ses droits. Tranquillité, fêtes et
nostalgie, la vie est la plus forte mais le souvenir de Pablo et Salvatore demeure
intangible et persistant, à jamais gravé sur les façades de Valparaiso ou dans le
retournement perpétuel des glaciers de la Patagonie.
(09/11/2005)
Les vivants et les morts, de Gérard Mordillat, Calmann-Lévy :
Autour de la vie dun jeune couple qui travaille dans une usine, Gérard Mordillat
nous raconte les drames hélas bien banalisés aujourdhui lorsque lusine ferme
et que le travail vient à manquer. Lauteur aurait pu bâtir une histoire bien
intimiste et centrée sur les inévitables replis sur soi que ce genre de situation, liée
à lindividualisme ambiant génère, il nen est rien, cest une
véritable saga faites de relations de travail, damours clandestines, de passions
sociales qui se déroule devant nous pendant 650 pages. Le parti pris de cette
générosité extériorisée est particulièrement mise en valeur par limportance
accordée aux dialogues qui restituent avec une grande vérité le langage quotidien, les
situations de tout un chacun et les inévitables passages du coq à lâne que les
rapports humains mélangent dans ce microcosme où tout se lie ensemble. Le rythme rapide
de ce livre, autant que les évènements que nous suivons au jour le jour dans cette mort
annoncée et inéluctable de lusine, nous entraîne dans une lecture continue où
les personnages se rejoignent, se séparent, vivent et souffrent. Une telle épopée
nest pas sans évoquer une sorte de Germinal moderne que Gerard Mordillat a tenté
de bâtir avec une véritable force de conviction. La vie est un combat permanent et les
derniers mots de ce roman mené à train denfer montre bien la violence de
celle-ci : " ils endurent ", dit-il, à propos de ce jeune
couple. Oui, il ne nous reste quà supporter cette société sans autre concession
que le courage quon y met.
(02/11/2005)
Japprends, de Brigitte Giraud, Stock :
Jai aimé les précédents livres de Brigitte Giraud, rencontrée aux petites Fugues
de Franche-Comté (Note de lecture du 08/12/2004), surtout Marée noire qui raconte
les difficiles vacances dune famille " recomposée " (quel mot
détestable
). Japprends, paru en septembre dernier, raconte
lenfance de la narratrice à partir du moment où elle entre à lécole, sa
vie maintenant rythmée entre sa famille et lapprentissage de la langue, plus tard
la primaire et le collège, les copines et les copains, les voisins, tout un monde qui se
découvre et qui formera les premiers souvenirs de jeunesse, les premières sensations,
émois, indignations
Raconté dune façon très vivante et très fine, petites
anecdotes qui mêlent comptines ou poèmes que nous avons tous appris, mode vestimentaire
des années soixante, télévision, vacances et loisirs familiaux, la petite fille de
français moyen comme chantait Sheila à lépoque découvre aussi les premières
blessures, les cachotteries dadultes, lAlgérie dont elle est originaire, les
rapports difficiles avec la femme nommée " celle qui nest pas ma
mère " et qui est venue la remplacer auprès de son père. Cest un livre
très fort et joyeux, très doux, on passe dune activité à une autre comme dans
cette vie qui saffirme. Brigitte Giraud nous prouve une fois encore avec ce livre la
maîtrise dun récit superbe, avec une langue simple et magnifique, on se doute bien
que la narratrice a des appointements avec lauteur, leurs tendresses se répondent
et aident à vivre. Cest ce que lon retient au final : cest un
roman qui aide à vivre. Donc à se procurer absolument !
(26/10/2005)
Antoine et Consuelo de Saint Exupéry, un amour de légende,
Alain Vircondelet/José Martinez Fructuoso, Ed Les Arènes :
Encore une biographie ! Oui, et une double
Il faut dire que la légende
dAntoine de Saint Exupéry, déjà bien ancrée lors de ces multiples péripéties
aventureuses de laéropostale avec son ami Guillaumet, sest décuplée lors de
sa disparition mystérieuse en mission de guerre en 1944. Dés lors, lécrivain
déjà célèbre, prix Femina avec Vol de nuit, vit à linverse de Rimbaud
dont la poésie fit place à lexploration : la notoriété de lécrivain
Saint Exupéry supplante laventurier. Le conte du Petit Prince devient mythique. Or,
cette notoriété est due à la présence attentive de son épouse Consuelo, rencontrée
en 1930. Lunion qui suivi résista difficilement aux caractères indépendants et
fantasques des deux époux et à leur vie mondaine. La mort de Saint Exupéry acheva
décarter celle qui devenait gardienne privilégiée de sa mémoire en voulant la
figer dans une adoration éternelle, rôle dont elle sacquitta néanmoins en allant
sans relâche inaugurer les nombreux collèges et lycées qui portent le nom de
laviateur.
Il a fallu attendre que son fidèle secrétaire et dépositaire de sa mémoire, José
Martinez Fructuoso, ouvre les malles de souvenirs du fameux couple pour que revive cette
passion hors du commun. Cest une sorte de roman photo qui nous est conté avec de
nombreux documents inédits. Un regret cependant : les écrits de Saint Exupéry sont
bien loin et ses lettres à Consuelo négaleront jamais les Vers du Capitaine
ou la Centaine damour de Pablo Neruda pour Mathilde (note de lecture du
20/03/2005)
(19/10/2005)
Pourparlers 1972-1990, de Gilles Deleuze, Editions de Minuit :
Jai des réticences. Celle de naimer les lectures des écrivains quà
travers leurs biographies, jen ai déjà parlé (Voir Notes de lecture du
17/08/2005). Celle de ne rien comprendre à la philosophie, je ne sais pas si je lai
déjà évoqué. Cette défiance vis à vis de l'étude de la sagesse date de mon
adolescence, mollement rebelle dirait-on maintenant, en tous cas à limage rêveuse
et rêvée dun Rimbaud. Cette réserve ma valu un 8 sur 20 à loral
hypothétique du baccalauréat (et mon billet pour une deuxième année de terminale)
alors que, élève dune section scientifique, je mefforçais à grands coups
de pieds dans les tubes de la table de maintenir éveillé mon examinateur. Non, je
nai jamais rien compris à la philosophie, ou plutôt je ne faisais aucune
différence avec la littérature qui pour moi était en prise directe avec le monde et la
société, tout comme la philosophie prétendait lêtre. Car il sagit de
prétention autant il mapparaissait hautain de découvrir un monde thématique à
travers des réflexions sur la religion, lamour, la mort et autres concepts. Cela
faisait double emploi : pour moi, le monde sordonnait alphabétiquement dans
les rayons des librairies et il nous appartenait de puiser en chaque livre sa propre
philosophie. Aller à linverse me paraissait être, comment dire, contre nature, en
tous cas, aller contre leffort nécessaire, une sorte de facilité, un tri
préalable du monde, la fin de lapprentissage et peut-être la fin de
ladolescence que je refusais. Aujourdhui encore, mon âme a quinze ans et
quil puisse exister une science "de la sagesse" me hérisse. Pour autant,
luvre des philosophes est puissante et riche, les ouvertures dans la pensée
et limaginaire sont palpitantes.
Ainsi Gilles Deleuze, et pour boucler avec ma passion évoquée ci-dessus pour les
biographies, cest par un petit recueil dentretiens, dinterviews et
darticles que je le découvre. Et quun philosophe puisse sattaquer à la
psychanalyse et au barbu freudien avec lAnti-Oedipe me réjouit, et
quavec Félix Guattari, on touche à la linguistique dans Mille plateaux, voilà
qui moffre des possibilités de jeter des ponts entre littérature, linguistique,
sociologie et autres sciences humaines. Ce petit livre dentretiens me donne envie
daller plus loin, dabandonner lidée dun obscurantisme lié à la
philo. Mais de grâce, messieurs les professeurs, napprenez plus aux adolescents
cette science "de la sagesse" !
(12/10/2005)
Les Eparges (Ceux de 14), de Maurice Genevoix, Jai lu
A lheure où une adaptation cinématographique des " âmes
grises " de Philippe Claudel renforce l'inspiration des romanciers pour la
" grande " guerre, après des récits comme
" Cris " de Laurent Gaudé (Notes de lecture du 05/11/2003,
27/03/2002) et derrière les magnifiques " Champs dhonneur " de
Jean Rouaud qui a marqué le renouveau dintérêt des générations suivantes pour
les petites histoires de leurs pères ou leurs grands-pères dans la tourmente de la
grande histoire, il est bon de se replonger dans les témoignages des écrivains qui
eurent à subir le cataclysme de la première mondiale. Alain Fournier, récemment
retrouvé au fond dune forêt de lEst avec ses compagnons dinfortune,
Apollinaire, heureux den réchapper, et succombant de la grippe espagnole à son
retour neurent pas le temps de raconter lhorreur comme Blaise Cendrars dans
" Jai tué " ou Maurice Genevoix dans un volumineux ouvrage
" Ceux de 14 ", dont le dernier volet, les Eparges, raconte les
combats successifs de cette ligne de front, jusquà la blessure qui acheva la guerre
de lécrivain. On ne peut que constater lhorreur incroyable dans les pages qui
ségrènent en journal. Pluies dobus qui se complètent de véritables pluies
de chairs humaines.
Il faut visiter Les Eparges. Je lai fait lannée passée : coin de
campagne lorraine ; de loin, des collines douces et chevelues de forêt se laissaient
approcher par des routes tranquilles, bordées de vergers. Cétait la récolte des
mirabelles, des familles entières venaient sans doute comme chaque année remplir des
cageots de ces fruits dor. Nul ne pouvait imaginer le drame et le fracas qui
sétaient déroulés dans ces lieux quatre-vingt dix ans auparavant. Mais en
gravissant les crêtes, on sapercevait bien que les bosquets et les bois renouvelés
avaient poussé sur un relief entièrement façonné par les millions dobus qui y
tombèrent.
Cest ce que nous a fait partager Maurice Genevoix. Et celui qui dût plus tard sa
notoriété à des romans sylvestres comme Raboliot finit par donner limage
dun homme bien sage et bien tranquille dans des campagnes sereines ou dans la
profondeur de la Sologne quil affectionnait. Fausse image car il na eu de
cesse après Ceux de 14, de montrer à chaque livre la sauvagerie de lhomme et de
son ridicule en face de la puissance de la nature qui efface malgré tout les traces
immondes de ses guerres passées.
" Cestois un temps fort calamiteux et misérable " : cette
phrase dun calviniste de Millau, placée en exergue dun de ces romans
" La motte rouge " ou le " héros " Sanglar, le
bien nommé, fait régner la terreur dans des contrées jusque là paisibles résume bien
la barbarie ancestrale de lhomme. Mais la dernière phrase en montre tout
lespoir : " dans la paix du soir, la voix avait repris son
chant ".
(05/10/2005)
Le tiroir à cheveux, dEmmanuelle Pagano, P.O.L
" Jai brossé, tiré, tiré ses cheveux entortillés dans tous les
sens. " Cest un livre qui se coiffe, un roman de sensations, à peser,
évaluer, regarder tout ce qui se passe chez la narratrice et ses deux enfants :
Titouan qui sapproche du four, Pierre, si différent quil faut un harnais de
spéléo pour quil tienne assis. La narratrice aimerait être donc être coiffeuse,
et cest par cet angle quEmmanuelle Pagano réussit cette histoire, sans doute
banale, la rencontre avec cette mère célibataire et ses deux enfants dont lun est
handicapé. Bref, le genre de personne quon a tous croisé dans sa vie sans se poser
des questions outre mesure sans se demander comment elles vivent leur quotidien. Et ce
quotidien est fait de sensations, dactions surtout sans trop se poser de questions
de toute façon, la narratrice, coincée entre ses deux enfants, sa mère possessive et
son père, un gendarme brutal, na pas le temps de sen poser. La langue
dEmmanuelle Pagano rend particulièrement bien ce quotidien dépourvu de
philosophie, elle laisse voir sans tomber dans le voyeurisme le misérabilisme ou le
pathos, cest le parcours de la dignité quelle raconte au-delà de cette
histoire. Le sujet emporte cet élan et combat le quotidien et la bêtise humaine dans un
élan généreux, sans relâche et sans repos, comme le fait cette héroïne de roman et
oui, vraiment ce mot dhéroïne force le respect. Ne jugeons pas, regardons sans
compatir, le monde est brutal et complexe, sachons lui résister : cest ce que
semble dire avec maestria Emmanuelle Pagano jusquà sa dernière phrase où la
narratrice se demande à propos de son fils différent " si ce sont les
gendarmes du village qui viendront me le prendre. Un bon roman de cette rentrée
littéraire 2005.
(28/09/2005)
Isabelle de dos, Jacques Serena, Editions de Minuit.
Jai lu ce premier roman de Jacques Serena, qui date de 1989, sur une plage de
Sicile. Plage familiale, levant mon nez du livre pour regarder la mer bien sûr, quelques
familles agglutinées autours de parasols, à ma gauche au loin dans la brume, le dôme de
lEtna. Jai le souvenir davoir apprécié dans des conditions similaires
sur le sable (hormis le volcan : cétait en Corse), les Bestiaires de Maurice
Genevoix. Il ny a aucun rapport, sauf que les lieux où lon a lu ces livres
demeurent en nous, parfois comme des révélations (lOr de Blaise Cendrars sur une
terrasse brûlante de soleil, une nouvelle de Beckett, lue dans un Mac Donald
).
Je ne sais pas si le livre de Jacques Serena me laissera un souvenir identique. Si cela
est, ce sera sans doute différent de la sensation de plénitude, comment dire,
davoir senti la respiration paisible de la lecture (et de lécriture) de
Maurice Genevoix et de ses bestiaires. " Isabelle de dos " na
pas un souffle tranquille et régulier, ce roman est plutôt entrecoupé de syncopes et
garde encore la sensation, un mois après la lecture, de ces expirations, soupirs prompts
aux malaises. Lhistoire y est bien sûr pour beaucoup : on ne peut raconter une
rupture sentimentale en train de se faire sans laisser éprouver cette sensation
douloureuse. Mais la douleur chez Jacques Serena, bien quaiguë, est magistralement
intégrée dans les gestes de tous les jours, le décor banal dune cuisine,
dune chambre, dun jardin. Elle résiste, elle est élastique au milieu de
choses inertes et quotidiennes, au milieu des gens et de la vie. Elle hésite, elle se
calque sur les pensées perturbées du narrateur. La langue du livre rend compte à la
fois de leffort du narrateur pour se souvenir de tout. " Elle est seule,
assise seule à la table de la cuisine, la petite cuisine rustique
" :
lincipit donne le ton, la langue va faire corps avec les émotions du
narrateur, se raccrocher à quelques mots, sen imprégner, les diluer à
linfini. Cest une sorte de mauvais rêve qui y est raconté, on avance dans
lhistoire mais on croit à chaque instant quon va se réveiller, que tout sera
comme avant et Isabelle de face.
Cest cette position inconfortable du narrateur que Jacques Serena arrive à rendre
avec le choix fuyant des mots. Cétait un premier roman : le ton était donné,
à couper le souffle bien évidemment. Il reste tous les autres à lire...
(21/09/2005)
Le vent, Claude Simon, Editions de Minuit :
On appréhende souvent la lecture de Claude Simon, réputé auteur difficile. Connaissant
ma passion pour cet écrivain, il arrive quon me demande par où commencer dans son
uvre. Proust, ardu, touffu, à luvre également grandiose et complexe,
semble plus facile à débuter tant il suffit, et même il paraît indispensable, de
suivre le cheminement chronologique du début à la fin de la Recherche. Claude
Simon ne donne pas la même image dune uvre suivie. Tout comme pour Proust, on
reconnaît la précision extrême de ses descriptions, sans toutefois y ajouter une
linéarité. On lui affecte des obsessions comme lépisode de cet inconscient
officier-cavalier tué pendant la deuxième guerre mondiale, récurrence qui ne
traverse pas seulement que la Route des Flandres. Par où commencer donc ?
Sous-entendu, quel livre arrivera à ne pas désarçonner le lecteur ? Tout comme
Proust pour la mémoire, Claude Simon travaille dans un élargissement de ses
descriptions, certains épisodes semblent former une trame décousue dans le roman,
pourtant, au fur et à mesure de la lecture, une cohérence densemble nous indique
le motif récurrent et le tissu scriptural nous apparaît dans toute sa beauté.
Le vent obéit à cette structure commune. Lintrigue, qui mêle un notaire et
un narrateur imprécis, (sorte de témoin " détaché " au qui
transparaît toujours dans son uvre), est destinée à raconter lhistoire
dun personnage venu prendre possession dun petit héritage de vignes dans une
ville (du midi ?) qui semble en permanence balayée par le vent. Son installation
dans un hôtel miteux, ses fréquentations avec les gitans qui ont investi la ville et
dautres personnages dont les destins et les secrets semblent inextricables dans ce
microcosme, contribue à nouer une ambiance qui se précise peu à peu. Particulièrement
révélateur du style de Claude Simon, sans toutefois arriver au lyrisme extraordinaire de
la Route des Flandres, effectivement, ce court roman peut
constituer une bonne approche.
(31/08/2005)
Le rivage des Syrtes, Julien Gracq, José Corti (et
Pléiade) :
La semaine précédente, je me vantais en tant quinconditionnel des biographies.
Sil existe un roman que lon ne peut séparer de la vie dun homme,
cest bien Le rivage des Syrtes. Et pourtant
Il a fallu que Julien Gracq
refuse le prix Goncourt en 1951 pour que cette uvre soit à jamais liée avec son
auteur. Ce fut beaucoup de remous et une vie entièrement changée pour un épisode très
bref de la vie mondaine où un écrivain, simplement fidèle à la juste pureté de la
littérature, authenticité revendiquée lannée précédente dans La
littérature à lestomac, aille au bout de ses convictions, de même que le jury
Goncourt dans lequel siégeait encore Colette qui fut un des plus ardents défenseurs
désirasse également saluer un livre exceptionnel. Car le Rivage des Syrtes est
une uvre dune qualité rare. Par la beauté de la langue, lambiance
extrêmement bien racontée dun pays imaginaire poussé inévitablement vers la
guerre. Bien sûr (retour à la biographie
), cest toute la débâcle de 1940
que lauteur, incorporé à lépoque à subi
Mais ce roman dune si
belle intelligence évoque les mécanismes subtils qui pousse un pays à la guerre.
Antiquité, période actuelle, chacun trouvera écho dans ces contrées et ces lieux si
magnifiquement racontés. Gabriel Bergounioux a publié récemment Il y a un, livre
dont les thèmes sont similaires, et que javais beaucoup apprécié (note de lecture
du 25/02/2004), à une époque où la guerre dIrak nen était quà ses
débuts prometteurs.
(24/08/2005)
"René Fallet, le braconnier des lettres",
biographie, Michel Lécureur, Ed Les Belles Lettres :
Jai un faible pour les biographies. Une sorte de facilité qui me pousse à
connaître un auteur dabord par sa vie avant que par son uvre, et
javoue, dans un sentiment et une jubilation vraiment proche du commérage propre à
une marchande de poisson sur un marché de village. Oui, jaime à connaître les
derniers potins qui ont présidé à lécriture, sans doute pour chercher parfois à
me reconnaître dans les affres de la création avec un plaisir non-dissimulé quand
je retrouve quelque travers commun à lauteur étudié : ainsi, je serais
aussi comme lui ? Linaccessible étoile descend un peu vers moi, cela
rassure cette propension maladive au peu de confiance en moi
Jen sais aussi
les inconvénients : Proust mapparaît comme un bourgeois dipien, Barthes
comme un universitaire sensible, Beckett comme un désespéré à lhumour so
british
etc, etc. La lecture sen trouve parfois affadie, pleine de préjugés,
Proust se révèle impossible sans trahir la cause du peuple ou presque ! Jen
connais aussi les avantages : en mêlant vie et uvre, on comprend mieux les
infatigables tournures du corps et de lesprit dans leur ensemble, on entrevoit une
cohérence, même dans les uvres les plus secrètes : jamais Beckett ne
ma paru plus compréhensible après la lecture du monument de James Knowlson (dont
la bizarrerie de lexistence me poussa à lire le volumineux ouvrage, ici même en
Sicile, il y a trois ans Notes de lecture du 27/08/2003).
Bref, voilà : je dédie cette petite introduction à AM, chez qui je me suis
procuré la biographie citée en objet, et qui a la chance, lincomparable don de
pouvoir lire une uvre complète sans chercher à savoir comment vit ou a vécu
lauteur, ce qui me semble être pour moi labsolue pureté de la lecture !
Donc, trichons !
Voici René Fallet, tonton de cur pour moi (voir pourquoi en Notes de lecture sur Paris
au mois d'aôut du 23/07/2003 - juste sous celle de Beckett citée plus haut... ) et
braconnier des lettres, comme le dit Michel Lécureur, auteur par ailleurs dautres
biographies sur Marcel Aymé, Barbey dAurévilly (au programme de la licence de
lettres modernes première année
) et Raymond Queneau. Vous nen saurez pas
plus : les auteurs de biographies ont-ils droit à leurs propres biographies ?
Nous apprenons néanmoins parmi les remerciements que Agathe Fallet, épouse de
lécrivain et gardienne du temple, a joué un grand rôle dans lélaboration
de celle-ci à qui elle est par ailleurs dédiée. Cest donc avec un plaisir non
dissimulé que je me suis précipité sur cette lecture, René Fallet représentant un des
trois écrivains fétiches (fondateurs ?) pour moi (les deux autres étant Maurice
Genevoix et Blaise Cendrars
).
Cette biographie est une première : pourtant, il me semble déjà tout connaître de
lécrivain qui na pas beaucoup ménagé de secrets dans sa vie avec, par
exemple, le recueil dentretiens de Jean-Paul Liégeois (Splendeurs et misères de
René Fallet) ou les trois tomes de ses Carnets de jeunesse, voire
lexcellente revue des librairies Initiales
qui lui est consacrée et qui demeure encore consultable en ligne. Cependant, il manquait
plusieurs dimensions à la vie de lécrivain, notamment son importance en tant que
journaliste exhaustif, capable de narrer lépopée du tour de France dans Miroir
du cyclisme, un évènement de jazz dans Jazz-Hot, un fait divers dans Libération
ou un article littéraire dans le Canard Enchaîné (dailleurs Michel
Lécureur a également publié lensemble des articles écrit par René Fallet dans
ce journal , Chroniques Littéraires du Canard Enchaîné 1953-56, Ed Les
Belles Lettres). Cest maintenant chose faite et lexhaustivité de ce travail
est complété par une bibliographie très précise comportant articles, filmographie,
émissions de radio ou de télévision. Un oubli cependant : la présence de Bernard
Dimey, auteur de linoubliable chanson Syracuse (à deux pas de mon lieu de
vacances
) et que lécrivain rencontra dés 1947.
La personnalité très ordonnée et comptable de René Fallet a sans doute permis de mener
à bien ce travail d'entomologiste qui est le propre d'un biographe, travail qui aurait
peut-être gagné à présenter certains chapitres autrement
(" Londres " évoque à peine lattrait de René Fallet pour la
ville
) mais ce ne sont que quelques remarques dun passionné de
lauteur ! Et justement, le but est atteint, envie de le relire bien sûr,
encore et toujours (la dernière fois, cétait LAngevine en début
dannée) et surtout envie de découvrir le fameux Journal de René Fallet,
postérieur aux Carnets de jeunesse que Michel Lécureur cite et qui demeure encore
inédit, il me semble. Sera t'il publié un jour ?
Et puis envie de lire un ouvrage dAgathe Fallet qui a sans doute beaucoup de choses
passionnantes à dire ainsi que son neveu, Gérard Pussey. Alors, la suite ? On
attend, on attend...
(17/08/2005)
Ni en Etonnements,
ni en Notes décriture,
ni en Notes de lecture,
ni en Webcam,
un texte à suivre dans ses imperfections, en élaboration chaque semaine pour une durée
indéterminée,
dans l'instant brut de l'émotion : Langres s'use
(18/05/2005)
" Mouvements par la fin ", de Philippe Rahmy,
Cheyne Editeur :
Philippe Rahmy est atteint de la maladie des os de verre. " Enfant quune
caresse suffisait à briser, jai grandi sous un casque, sanglé à un matelas.
Malgré ces précautions, pas un os qui ne se soit rompu, pas un tendon, un ligament sans
couture ou plastie. ".
Le ton, la raison dêtre de ce livre sont donnés : ce recueil (et jamais le
mot recueil na si bien fait sens, rassemblement de feuilles éparses), ce recueil
donc, a comme sous-titre portrait de la douleur, portrait comme tentative de donner unité
et visage, mots à la douleur.
Rassemblement, respiration, attendre...
La douleur dans le livre de Philippe Rahmy est toute à cette unité : elle arrive,
vous montre son visage jusquà en déformer le pire " grain de poussière
dans un rayon de soleil, la mort est tout pour moi ", elle " met à
son emprise de fluidité ", elle fait corps avec le corps " douleur
entre les troncs sans écorce caresse mes mains ", elle est depuis le début
lindispensable compagne : " la douleur est le chemin libre dun
nouvel amour. Mille tourments subis, mille baisers en retour ".
Quand la douleur perd son visage (cest le paradoxe de la nuit, on allume pour
voir le noir et il disparaît), alors le corps revient, on peut souffrir et les mots de
lauteur deviennent rares, lapidaires : " Jai soif
Je
crie
La tête te fixe
". Mais nulle complaisance envers soi, nulle
concession à sa vie dhomme : " Mouvements par la fin " est le
contraire dune plainte " le corps est un fourreau pour la seule agonie,
fendu quand se cambre le long pli de la révélation du cur, la douleur sortie de sa
gangue. Assez de pleurs. "
On ne sort jamais indemne dun livre, celui-ci reste longtemps en vous, des heures,
des jours peut-être comme une empreinte en creux, un fossile, la trace dune très
ancienne disparition, ce qui demeure entre les mots de Philippe Rahmy. Jacques Dupin qui
signe la postface en signale limportance : mouvements par la fin, mouvements à
rebours de lécriture
Avec émotion : merci Philippe, frère de cristal.
(11/05/2005)
Georges Bouche, 1874 1941, catalogue du Musée
dArt Moderne de Troyes
Ce catalogue illustre lexposition consacrée au véritable Georges Bouche, en 1999,
génie de la peinture et ami des arts (se méfier des pâles imitations
américaines
). Jai remarqué seulement les toiles de Georges Bouche, lors de
ma dernière visite. Je suis pourtant un habitué du splendide Musée dArt Moderne
de Troyes, avec ses toiles fauvistes, que complètent quelques néo-impressionnistes,
pointillistes et cubistes. De Matisse à Derain, choisissez votre artiste préféré. Pour
ma part, c'est forcément Henri Hayden, dont la proximité d'Ussy-sur-Marne et de Beckett
emporte mon émotion.
Dans la salle qui est consacrée à Georges Bouche, le premier réflexe est de
sexclamer devant lévidente absence de sens que provoquent ces toiles :
étalages docre, de brun, en apparence répartis de façon si épaisses que
lensemble ressemble à quelques toiles maculées de boue. Il a fallu que je
mapproche de létiquette dun de ces tableaux quasi-monochromes et que je
lise quil sagisse dun intérieur pour métonner davantage, me
reculer suffisamment et mapercevoir de lextraordinaire travail de Georges
Bouche : oui, un intérieur à peine visible, dans une pénombre ocre, mais tellement
chargé d'intensité et de vie... Sa peinture est épaisse, spatulée, de près, le
peintre ne peut rien voir, il doit sans cesse se reculer pour apercevoir le fruit de son
travail. Et encore, ces visions sont-elle fugaces, tracée dans la profondeur de la
peinture. Cest cette densité qui laisse apparaître lémotion dun bras
nu, comme dans ce portrait de femme assise ou lidentité si fragile du peintre dans
un autoportrait tout en fuite. Georges Bouche, contemporain de ceux qui firent le plus
avancer la peinture, est resté un cas isolé, marginal, souvent incompris dans ses
audaces picturales et anti-académiques. Il convient de lui restituer une place solitaire
mais importante.
(04/05/2005)
"Poèmes suivi de Mirlitonnades", de Samuel Beckett, Editions de Minuit
Cest tout sauf une anthologie. Certains parlent, pérorent avec la poésie, ce ne
fut jamais le cas de Beckett. Ainsi, ces poèmes tiennent-il dans un recueil de 47 pages.
Il nen sont pas moins extraordinaires et on retrouve dans leur concision, les
thèmes et les préoccupations de Samuel Beckett. Il ny a rien à rajouter, le
laisser dire, dire les choses, mais avec quels mots
Ainsi quelquefois/comme
quelque chose/de la vie pas forcement.
(10/04/2005)
"Pablo Neruda en noir et blanc", Somogy,
Editions dart.
Ce recueil de photographies, paru récemment en mai 2004, a son intérêt à la fois par
linédit des clichés puisés dans linestimable fondation Pablo Neruda,
clichés dont certains furent mis à mal dans la mise à sac de la maison du poète par
les militaires, mais aussi par la qualité et loriginalité des textes. Ainsi
Alexandro Cansesco-Jerez retrace lamitié des deux Pablo, ainsi Volodia Tetelboim,
qui fut lami du poète, commente les photographies présentées, en nous les
replaçant très précieusement dans leur contexte historique. Cet ouvrage, réalisé avec
le soutien de la Maison de lAmérique Latine, précise également lattachement
profond de Neruda à la France sans toutefois sappesantir sur cet aspect. Présenté
chronologiquement, cest un ouvrage à posséder pour bien saisir la portée de ce
poète universel.
(30/03/2005)
" Les vers du Capitaine " suivi de " La centaine
damour ", Pablo Neruda, Gallimard
Les vers du capitaine, titre énigmatique, trouvent leur raison dans lanonymat qui
préside à leur diffusion en 1952. Envoyés de La Havane par une mystérieuse Rosario de
la Cerda, cette suite de poèmes damour lui a été écrite par celui quelle
nomme " le capitaine ". Dix ans plus tard, Pablo Neruda révèle
lartifice de cette étrange lettre préface des premières éditions : il en
est bien lauteur et son silence sexplique par " le
climat désolé et brûlant de lexil qui lui avait donné le jour ".
Dix ans plus tard, " la vie qui réclama son explosion secrète me limpose
aujourdhui comme présence de lamour inaltérable ". En effet,
Mathilde Urrutia, a qui ces poèmes sont destinés, vit maintenant au grand jour avec le
poète, contrairement à leurs premières rencontres à partir de 1949, où Pablo Neruda
était encore marié à Delia del Carril.
Le climat de clandestinité de ces amours plus ou moins secrètes est bien dans la vie et
lesprit du poète chilien de même que le romantisme de ces amants réfugiés par
exemple en 1952 à Capri.
Les vers du capitaine sont à limage de sa poésie, à la fois dépouillés de
virtuosité, mais, comment dire, en prises directes avec les sentiments et les
ambiances : magnifiques.
La nuit dans lîle
Toute la nuit jai dormi avec toi
près de la mer, dans lîle.
Sauvage et douce tu étais entre le plaisir et le sommeil, entre le feu et leau.
Très tard peut-être
nos sommeils se sont-ils unis
par le sommet ou par le fond,
là-haut comme des branches agitées par le même vent,
en bas comme rouges racines se touchant.
Peut-être ton sommeil
sest-il aussi dépris du mien
et sur la mer et sur sa nuit
ma-til cherché
comme avant toi et moi,
quand tu nexistais pas encore,
quand sans tapercevoir
je naviguais de ton côté
et que tes yeux cherchaient
ce quaujourdhui
pain, vin, amour, colère
je toffre à pleines mains
à toi, la coupe
qui attendait de recevoir les présents de ma vie.
Jai dormi avec toi
toute la nuit alors
que la terre en sa nuit tournait
avec ses vivants et ses morts,
et lorsque je me réveillais
soudain par lombre environné,
mon bras senlaçait à ta hanche.
La nuit ni le sommeil
nont pu nous séparer.
Jai dormi avec toi
et ta bouche au réveil,
sortie de son sommeil
ma donné la saveur de terre,
dalgues, donde marine,
qui sabrite au fond de ta vie.
Alors jai reçu ton baiser
que laurore mouillait
comme sil marrivait
de cette mer qui nous entoure.
les mains de Pablo et Mathilde
(20/03/2005)
" Javoue que jai vécu ",
Pablo Neruda, Folio poche :
" Peut-être nai-je pas vécu en mon propre corps : peut-être
ai-je vécu la vie des autres ", écrit Pablo Neruda en introduction à ce
recueil de souvenirs. Bizarrement, le titre et ses deux " Je "
viennent presque démentir cette affirmation. Titre formidable, épitaphe dun poète
qui disparaît juste après son ami Salvador Allende dont il raconte la disparition en
semblant connaître davance son destin : jécris ces lignes hâtives pour
mes Mémoires...
Titre formidable, cest laveu du bonheur, de celui qui nhésita jamais à
vivre, donc à décider, choisir, abandonner, aimer.
A lire ces mémoires à la Réunion, à 10 000 km de chez moi, dans cet exil permanent que
représente les DOM ou les îles, jamais complètement intégrées, cest une
région solitaire où la terre est pleine docéan, comme dit Neruda, on comprend
mieux cette mélancolie, nostalgie permanente du poète : Jaime ce bout de
terre que tu es parce quentre les prairies planétaires je nai point
dautre étoile En toi se répète et multiplie lunivers ou encore que
filent leur destin, la nuit, le vent, le monde, moi qui ne suit en toi que cette eau qui
memporte et sans toi je ne suis rien de plus que ton rêve.
Exil permanent, donc, au destin similaire d'homme public et politique que l'îlien
Saint John Perse. Autant la poésie de l'un est puissante, profonde, autant celle de Pablo
Neruda qui se considérait comme " le roi des niais au pays des
niais " est plus simple et chargée démotions, à la manière dun
Jacques Prévert dont il avait un peu le visage lunaire. Mais lhomme est aussi plus
attachant, moins hautain et distant que Saint John Perse qui rédigea sa biographie pour
le volume de la pléiade devant lui être consacré à la troisième personne, et qui
nhésita pas à inscrire tout ce qui pouvait le valoriser. Pourtant, hormis les
différences, ce qui relie André Malraux, Saint John Perse et Neruda, cest la
présence dune uvre importante et qui place lécrivain avant
lhomme politique, ce qui me semble être tellement dans lordre des
choses
Neruda demeure par contre attaché au destin impitoyable de lAmérique
Latine, poète des opprimés, il a offert au monde un parcours et une vie romantique au
sens noble de ce terme : l'attente permanente des beaux jours.
(09/03/2005)
" Fou civil " dEugène Savitzkaya, Les Flohic
Editeurs :
" Il paraît que lamour, lorsquil surgit dans une vie bien réglée
mais qui ne demande quà se dérégler par simple mécanisme naturel, comme le
capitule lâche ses graines, il paraît que lamour nous conduit sur la voie du
déshonneur. Pour quitter son épouse, on quitte le foyer familial, la maison quon
habitait, lorganisation dont on est en partie responsable. Et on prend un autre
chemin avec une autre femme dont on sest épris. On prépare dautres plats, on
marche dans dautres rues, on accomplit dautres gestes et parfois les mêmes
gestes dans un ordre différent, on se couche à dautres heures, on porte un autre
regard sur le ciel, on a un autre visage et peut-être même un autre port de tête, on
fume plus, on boit plus, on pleure plus, on rit plus, on rame plus et sur des eaux
inconnues, on baise dautres lèvres. Et on ne trouve aucun déshonneur à
ça. "
Le ton est lancé : Eugène Savitzkaya est un fou civil.
Je cite cet extrait car dans ce remarquable livre, il est question dhonneur, oui,
dhonneur de vivre, de choisir sa vie et den assumer les hésitations, les
tergiversations, les galères, mais vivre, choisir dêtre " celui qui
mange seul (et qui) aurait bien tort de se passer de décorum ", choisir la
métamorphose dun cloporte " comme le cloporte, je ne veux pas
savoir de quoi demain sera fait, car demain je le compose et tant dautres cloportes
avec moi avec ce qui tombe par terre et que lair corrompt à merveille. Et ne compte
ni les jours, ni les mois, ni les ans. ", choisir dêtre " parmi
les herbes couché à côté dune femme dont le cur bat "
Cest lun des derniers livres publiés par Catherine Flohic, ce qui veut dire
que vous ne le trouverez quau hasard de librairies (les bonnes) qui ont gardé dans
leurs rayons quelques raretés remarquables de cet acabit.
(02/03/2005)
"Moi et lui", dAlberto Moravia, Folio Poche
Une histoire de " réunion " lue à la Réunion. Réunion entre Moi et
Lui, cest à dire lauteur et son sexe, au vu dun dialogue et
daventures picaresques
Ce fameux roman dAlberto Moravia, règle des
comptes à ceux qui pensent que lintellect peut se substituer au corps, où plutôt,
comme le dit lauteur, éponger lidée prétentieuse de la sublimation
idéalisée des idées que le paillard attribut désublimise sans vergogne. La portée du
roman de Moravia au-delà de la farce, est particulièrement profonde :
lorganisation, la construction, la durée du monde quelle soit politique, religieuse
ou simplement grégaire nest jamais quune contradiction face à
limmédiateté de lindividu, qui de toute façon, fera le choix de
linstinct (de survie ?). Moravia rappelle que nier tout ou partie de soi
cest se déshumaniser. Un pour tous, tous pour un en quelque sorte
Dans le
roman, cest la belle Fausta qui aura le dernier mot et Lui avec.
(23/02/2005)
"Quand tu aimes, il faut partir", dAlina Reyes, Gallimard
Dabord cest le titre qui mattire, première phrase dun poème de
Blaise Cendrars (Je me souviens avoir eu un doute, ayant vu quon lattribuait
à René Char dans un site dédié à la poésie, mais le fameux poème " tu es
plus belle que le ciel et que la mer " est bien de Cendrars
dans Feuille
de route évidemment, 3° poème rédigé à bord du " Formose " qui
lemmenait au Brésil).
Donc, Alina Reyes avec ce roman au beau titre nous livre plus quun roman, une part
évidente de sa vie. La plupart du temps les écrivains ont des difficultés à mélanger
le roman avec la part dautofiction, (ce que je me suis aperçu avec
"Central", par exemple, en refusant de donner un sujet ou un nom au narrateur -
et à tous les personnages d'ailleurs). Ici, lauteur écrit sans retenue
" roman " sur la couverture et, dès le 3° mot, (ce que Jaime)
introduit la première personne du singulier qui ne quittera plus le livre, jusquau
dernier mot qui est aussi bizarrement le 3° mot avant la fin (Je laime). Donc le
livre fait une boucle et le mot aimer prend toute son importance comme par ailleurs dans
lensemble des livres dAlina Reyes. Le JE aussi jinsiste- car si
personnellement je lai bien refusé dans mes livres, force est dadmettre que
quand justement " il faut partir ", cest la seule chose
indivisible qui vous accompagne alors quon propose limage extérieure devant
son entourage de quelquun qui part se disperser encore un peu plus dans le monde.
Justement, cest lintérêt du livre : sentir vivre quelquun de
libre, dont le choix de vie est sans entraves (je nai pas dit sans liens) à
lexacte présence de Cendrars. Il y a forcement une authenticité que la vie ainsi
racontée laisse découvrir. Pour cela, cest beau.
(02/02/2005)
"Donna Amalia et autres nouvelles", dElsa Morante, Folio
poche :
Elsa Morante a vécu une vie libre et passionnée. Considérée " au premier
rang des lettres italiennes " comme lindique la biographie de ce petit
recueil, ajoutons quelle fût légérie et la compagne dAlberto Moravia,
il nen fallait pas plus pour que je ressorte de la librairie, ruiné par les 2 euros
de ce court récit de nouvelles (petite parenthèse marketing : la collection folio 2
euros nest quune opération commerciale de plus, elle nest pas élan de
générosité destiné dapporter de la lecture bon marché à tous. Par exemple, ce
récit est lui-même issu dun recueil " le châle andalou ",
chez Folio également
Deux euros, trois nouvelles, ainsi cest coup double pour
léditeur). Donc, trois nouvelles, choisies pour " lunivers magique
de lenfance ", dixit encore léditeur, trois nouvelles qui me
permettent dapprocher le style dElsa Morante. Une seule ma beaucoup
convaincu, cest la " grand-mère ", lhistoire dune
femme déçue par la vie qui sinstalle dans un endroit isolé avec pour seuls
voisins, un jeune homme et sa mère acariâtre. Ce qui doit arriver arrive, la femme et
lhomme se marient, fondent une famille, la mère devenue grand-mère quitte le
domicile, puis revient et rencontre ses petits enfants avant de disparaître tragiquement.
Ce récit est sans complaisance, dune grande sobriété de ton, d'une grande
richesse de sentiments. Lutilisation rare des prénoms que lauteur a
attribués à ses protagonistes ajoute comme toujours cette impression de progresser dans
le récit sur la pointe des pieds. Les descriptions fondent lossature auditive et
émotionnelle du lecteur comme par exemple cette superbe phrase : "les pièces
étaient vastes et à moitié vides, de sorte que les pas sur le carrelage de terre cuite
avaient des résonances métalliques".
Rien que pour cela, 2 euros, ce nest pas cher payé.
(19/01/2004)
Le Marin de Gibraltar, de Marguerite Duras, J'ai lu :
J'écris une note de lecture sur un livre que je n'ai pas terminé. J'ai dû le commencer
au printemps 2004, il me semble même dans l'avion qui m'emmenait au Brésil, peut-être
les jours suivants sur les vols intérieurs de la compagnie Varig, entre Rio et Salvador
de Bahia, Bahia ou Brasilia, au-dessus des méandres des fleuves de la foret amazonienne,
avant d'atterrir à Manaus, aux confins du Paraguay ou de l'Argentine, j'ai sans doute
trimballé le livre un peu plus tard à Londres ou à Stockholm, je ne me souviens plus
très bien, ce qui est sûr c'est qu'il m'a accompagné en Sicile en été, ce qui est
sûr c'est que je n'ai pas le souvenir d'avoir terminé ma lecture, livre inachevé donc.
Question stupide : quand un lecteur ne termine pas un livre, ce livre est-il inachevé
aussi pour l'auteur ? En fait cette question n'est sans doute pas si naïve. Les quelques
mois passés entre le moment de cette lecture fuyante dans des endroits fuyants et cette
note de lecture me laisse le souvenir d'une ambiance typiquement Duras comme celle de
"Dix heures et demie du soir en été".
Le marin de Gibraltar est au départ l'histoire d'un couple qui passe ses vacances en
Italie, à Florence, et que le hasard, l'ennui plutôt, le désir de changement parvient
à séparer. L'homme se retrouve dans un village de pêcheur sur la côte, sur la
suggestion d'un automobiliste qui les a véhiculés pour rejoindre Florence. Et c'est
tout. Pour moi l'histoire se termine dans cette volonté de cet homme de changer de vie.
Que le titre "le Marin de Gibraltar" raconte sa rencontre avec une femme riche
et seule qui navigue dans le monde entier pour retrouver le marin du titre ne m'intéresse
pas plus que cela. La liberté nouvelle acquise par le narrateur le rend disponible et
sans doute ce qui m'intéressait alors de lire c'était la façon dont il arriverait à se
libérer de ses liens. Ainsi, réponse à la question (quand un lecteur ne termine pas un
livre ce livre est-il inachevé aussi pour l'auteur ?) : les intérêts se bâtissent
différemment que l'on soit lecteur ou écrivain, l'important est de trouver le terrain
d'entente, ici, le style direct, inimitable de l'ennui solaire vu par Marguerite Duras...
et qui rejoint peut-être le mien au travers de mes tentatives de lectures ?
But atteint : la fuite, l'inachevé...
(04/01/2005)
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