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Notes de lecture 2021
Proust 150, Société des amis de Marcel
Proust.
Belle couverture or, avec, en encadré ce titre énigmatique Proust 150. En
réalité, il sagit dun recueil édité à loccasion du 150ème
anniversaire de la naissance du petit Marcel, le 10 juillet 1871. Cet épais ouvrage de
414 pages représente les contributions de 150 adhérents de la Société des amis de
Marcel Proust, lesquels ont choisi dans La Recherche, quelques pages qui les
inspirent, agrémentées de commentaires divers, aux formes et à la longueur variables.
Lensemble est hétérogène à souhait, disparate et varié, et décuple
curieusement lattrait quon peut avoir pour luvre de
lécrivain. Il peut aussi contribuer à vaincre la réticence quon ressent
parfois à satteler à cette somme immense. Cest à la fois un exercice
dadmiration, mais surtout une formidable manière dexprimer leffet que,
par extension, toute lecture provoque en nous.
Ce recueil ma été offert par Stéphane Balcerowiak qui a longtemps coordonné la Revue
de lArdenne, avant démigrer en Bretagne où il tente de lancer à
nouveau une belle revue, cette fois-ci sur les terres de Tristan Corbière, pour faire le
pendant à Rimbaud. Et ce nest pas étonnant que Stéphane, en vrai amoureux des
lettres, se tourne également non pas « du côté de chez Swann », mais du
côté de La prisonnière pour y choisir un extrait et surtout le commenter
dune manière romanesque et remarquable, qui naurait pas déplu à
lécrivain.
(16/12/2021)
Rimbaud mourant, Isabelle Rimbaud, éditions
Manucius.
Il sagit de plusieurs textes écrits par la sur de Rimbaud qui assista à sa
longue agonie pendant deux mois et demi. Publiés après sa mort en 1921 sous le titre
« Reliques » (qui nest pas sans rappeler le fameux
« Reliquaire » que Rodolphe Darzens prévoyait dès 1891, année de la mort du
poète), il fait le pendant aux recueils annuels publiés par les amis de Rimbaud sous le
titre Rimbaud vivant.
Dans une préface, Éric Marty évoque les écrivains qui ne restèrent pas indifférents
aux écrits de la sur de Rimbaud, Claudel bien sûr, mais aussi Segalen, Benjamin
Fondane et Philippe Sollers. Tout cela incite à la prendre beaucoup plus en
considération, nous dit-il : « Les textes dIsabelle Rimbaud relèvent
dune tout autre lecture quune lecture professorale ». Lacadémie a
toujours considéré hâtivement les malversations de la réalité (supposée)
dArthur et mêlé le lien familial avec limpossibilité dapprécier
luvre du poète, ce que dément le style intelligent, souvent passionné et la
perception toujours précise dIsabelle.
La première partie est un recueil des lettres échangées avec son frère, sa mère, la
transcription des dernières volontés dArthur sous sa dictée. Témoignage poignant
dune sur qui assiste seule aux derniers instants dun frère idéalisé
et hélas, découvert trop tard. En vérité, peu de corrections ont été apportées dans
la recopie de ses lettres par Isabelle Rimbaud en vu de sa publication et les manuscrits
retrouvés lattestent.
Le second texte, intitulé « Mon frère Arthur » est plus sombre.
LorsquIsabelle lécrit en 1892, Rimbaud vient de décéder et quelques
journalistes parisiens pour la plupart tentent de surfer sur la notoriété en devenir du
poète tandis que Paul Verlaine, qui ne va pas tarder à devenir à son tour
« Prince des poètes » ladmire toujours, tant et plus. La douleur du
deuil donne à ces pages un style emphatique mais qui sonne toujours juste.
Isabelle réitère avec un troisième écrit « le dernier voyage de Rimbaud »
dont la première parution a lieu en 1897 au Mercure de France. Isabelle vient
dépouser Paterne Berrichon, lui aussi pris de passion pour le poète, et cest
vraisemblablement poussé par lui quelle relate ce « dernier voyage »
qui est le récit de celui accompli par le poète. Alors en convalescence à Charleville,
Arthur souffre terriblement et décide le 23 août 1891 de repartir à lhôpital de
Marseille qui la soigné. « Il ne devait plus sortir vivant de sa chambre
dhôpital », conclut Isabelle.
La quatrième partie propose le texte qui a dû faire le plus jaser : « Rimbaud
catholique ». Paru tardivement en mai 1914 sous le titre plus approprié de
« Rimbaud mystique », il a dû énerver les détracteurs dIsabelle
(généralement universitaires et hussards noirs de la république), vilipendée en
grenouille de bénitier, ajoutée de lerreur suprême de se mêler danalyser
les Illuminations et La chasse spirituelle, domaine réservé aux lettrés de
linstitution. Mais il nempêche que largument de celle qui le connût
dans les derniers instants se tient et son point de vue est à considérer à légal
de tous les gloseurs patentés.
(24/11/2021)
Carnet de notes 2016-2020, de Pierre Bergounioux,
Verdier.
Bien sûr, comme tous les aficionados de lécrivain, on guettait la suite des
Carnets, dont le premier tome couvre la période 1980-1990. Mais ce n'est qu'en
2006 que l'auteur commence à publier son journal. Les volumes s'enchaînent pour
rattraper le temps et, en 2012, c'est chose faite ou presque : il n'a plus qu'une
année de retard pour l'édition du volume 2011-2015 qui paraît en 2016. L'idée
cependant d'une publication acquise et volontaire a changé la manière dont Pierre
Bergounioux relate les événements quotidiens. D'abord, la narration des faits est plus
complète, plus diluée (en fait, les deux derniers tomes couvrent autant de pages pour
cinq années que les ouvrages précédents en comptaient pour dix). C'est un peu comme si
Pierre se regardait écrire et pensait à la postérité de la publication, se croyant
dans l'obligation de préciser davantage ses pensées, en bon pédagogue qu'il est. Le ton
néanmoins de ces nouveaux carnets est plus pessimiste, l'homme se recroqueville par
nécessité sur ses ennuis de santé cardiaque qui lui minent la vie depuis près de dix
ans Mais sa vie demeure aussi débordante et variée, rencontres, voyages, invitations,
tournage de films, visites. On est étonné lorsqu'il compare sa vie à une vie de reclus,
de moine perdu dans ses livres, alors qu'il fait preuve d'une grande activité. Avec la
pandémie, la course s'arrête un peu et le quotidien de Pierre rejoint celui des
confinés. Au final, il reste de ce volume l'impression d'un homme lucide en proie au
vieillissement, se demandant si sa vie jusque là rythmée entre la région parisienne et
son hameau de Corrèze, pourra continuer encore longtemps. Mais ce carnet se termine au
31/12/2020 par cette phrase : « La première jonquille a fleuri ». La vie
continue.
(11/09/2020)
Dans
tout le bleu, de Laura Ulonati, Actes Sud.
J'ai acheté ce livre parce qu'il y avait une cafetière italienne sur
l'illustration de couverture. J'ai pensé que ce serait parfait pour lire en Sicile où la
maison possède 3 mokas de différentes tailles. En réalité, je l'ai lu à la plage, le
dos au soleil, debout les pieds dans la mer en tenant ce roman à la main. Il me reste
donc l'impression d'une lecture douce, bercée par les vagues, et c'est parfait, c'est
exactement comme cela qu'il faut lire ce récit très réussi.
L'histoire est italienne bien sûr, ou plutôt se perd dans l'immigration qui a
déferlé en France pour y travailler (ici, édifier Nice à grands renforts de
manuvres). Le thème rappelle Les Derniers jours de la classe ouvrière
d'Aurélie Filippetti (livre que j'ai eu l'occasion d'évoquer fin juin à un colloque sur
l'histoire de l'immigration). L'héroïne du livre est une vieille dame, la mère de la
narratrice et aussi la veuve de l'ouvrier italien venu édifier Nice avec ses
compatriotes. Sa fille donc, conservatrice dans le principal musée de la ville, doit
s'occuper de plus en plus de sa mère qui « perd la tête » comme on dit (ma
propre mère préfère dire « perdre la mémoire », ce qui est plus juste et
plus doux).
(18/08/2021)
La ligne de front, de Jean Rolin, éditions quai
Voltaire.
Ce livre date de 1988, un temps d'avant les mobiles et le Web, la préhistoire quoi...
Jean Rolin est alors reporter et reçoit pour ce livre le prix Albert Londres. La distance
d'un christ plus tard (33 ans), ce récit intitulé sobrement en sous-titre
« voyage », n'a rien perdu de sa force d'évocation. On envie ce voyageur
donc, plutôt chevronné, capable de s'adapter à tous les aléas de son périple, et Dieu
sait si son périple, à cette époque probablement plus encore qu'aujourd'hui, est
exotique. De la Tanzanie, notre touriste nonchalant glisse jusqu'en Afrique du Sud qui
souffre encore de lApartheid. C'est peut-être parce que le point de départ était
en Tanzanie que je me suis laissé prendre dans cette histoire, moi qui me targue d'avoir
parmi mes connaissance un guerrier Maasaï. Mais ce pays est vite oublié dans la
poussière et le dénuement des chemins, comme toutes autres traces qui jalonnent ces 200
pages. Un bavardage parfois léger, toujours humoristique, sert de charpente aux paysages
et c'est là, la grande réussite de ce livre. Jean Rolin écrit magnifiquement, capable
en quelques traits de révéler des personnages hauts en couleurs chez le moindre employé
de gare, barman, policier ou femme de chambre. Un livre qui ne vieillit pas, mieux, qui
donne envie de jouer au touriste, même si ce terme est aujourd'hui honteusement décrié.
(24/06/2021)
Un garçon comme vous et moi, d'Ivan Jablonka,
Seuil.
Depuis Histoire des grands parents que je n'ai pas eus (Note de lecture du
09/2/2021), je poursuis luvre d'Ivan Jablonka, marquée par le désir de
raconter sa propre biographie familiale. Après En camping-car (note de lecture
à venir), voici Un garçon comme vous et moi, qui est une exploration du thème
de la masculinité à partir de sa propre expérience. Bien sûr, en historien zélé,
c'est à travers des références, des livres, des réflexions universitaires, qu'il
bâtit son livre, de même que sa propre enquête et des témoignages apportent une
distance, comme si l'anonyme « garçon comme vous et moi » ne relatait pas sa
propre adolescence ou sa vie de jeune adulte. L'ensemble toutefois se lit sans déplaisir
avec des passages captivants, où nous pouvons également nous projeter dans un contexte
similaire pour élaborer, nous aussi, notre propre ressenti concernant notre existence en
tant que « mâle ». Il est évidement difficile pour moi de ne pas chercher
des similitudes ou des différences de comportement, mais je me demande en même temps ce
que peuvent ressentir « les filles comme vous » à cette évocation.
(03/06/2021)
Ateliers d'écriture, de Martin Winckler, P.O.L.
format poche.
C'est un livre ramassé de 400 pages avec une machine à écrire en couverture, histoire
d'enfoncer le clou : on est là pour parler popote d'écriture, et gaiement, car
« si c'est pas l'fun, faut pas l'faire », nous dit l'auteur installé à
Montréal depuis 2009.
S'il reconnaît avoir été réticent pour animer des ateliers d'écriture au début des
années 2000, notamment à cause de « l'impressionnante activité d'un géant comme
François Bon », je jeune Winckler, arrivé au Québec a été sollicité pour cette
tâche : ainsi ce partage d'expérience.
Autant le dire tout de suite, cet ouvrage et les pistes de séances très intéressantes
qu'il ouvre, s'adressent à des habitués de la langue et déjà des passionnés de
l'écriture. Bref, pour moi impossible de m'en servir pour les « publics
éloignés » (comme on dit) qui forment la majorité de mes participants (mais bon,
ce qui me plaît, c'est aussi le démarrage d'une langue qu'on connaît peu, les
premières expressions qu'on retient, qu'on répète... Là, je m'égare, je m'égare,
revenons à Martin Winckler).
L'auteur donc, nous gratifie de séances du genre « Lettre à un absent » ou
« Mes vacances à... », qui sont autant de pensum pour dénouer
l'écriture.
Dans une dernière partie, Martin Winckler nous donne ses « histoires en
l'air », qui sont autant de textes et de nouvelles plus ou moins aboutis lui ayant
été inspirés par une démarche similaire à celles des contraintes que l'on rencontre
dans des atelier d'écriture.
(20/05/2021)
Il déserte et autres nouvelles, éditions
Buchet-Chastel.
Paru en 2009, le recueil propose treize nouvelles de treize auteurs différents :
« Tous ont en commun d'avoir réussi la prise de pouvoir qu'est la prise de
parole », écrit dans sa préface Philippe Ségur. Évidemment, j'ai acheté ce
livre, curieux de la proximité du titre avec celui de mon roman Ils désertent.Et
bien sûr, Il déserte est la première nouvelle que j'ai lue : c'est
l'histoire d'un violoniste coincé entre son imprésario et sa passion. Nouvelle assez
hétéroclite où le violoniste voue une passion à un hippocampe qu'il trimbale partout.
L'univers de l'auteur, Arthur Dreyfus, privilégie « les mondes étranges aux
frontières troubles » et n'est pas sans rappeler Locus Solus de Raymond
Roussel.
(07/05/2021)
A la ligne, feuillets d'usine, de Joseph Ponthus.
Éditions La Table Ronde.
L'auteur, éducateur spécialisé, s'était fait remarquer en littérature par la parution
en 2012 aux Éditions La Découverte de Nous
la cité. Il y racontait le
quotidien de ceux qu'il était chargé de suivre dans son travail. Pour suivre son épouse
en Bretagne, il a abandonné son travail, mais rapidement sans le sou, il s'est tourné
vers l'intérim. Il a ainsi accumulé les missions dans l'agroalimentaire, dans une
conserverie de poissons et de crustacés, tout d'abord, puis, dans un abattoir.
Le rythme et la pénibilité des tâches qui lui étaient dévolues (vider à la pelle des
centaines de kilos de bulots, nettoyer le sang et les déchets des abattoirs, pousser les
carcasses des vaches et des cochons sur des rails) lui ont fait prendre conscience de
l'extraordinaire non-vie qui lui était imposée.
Il a décidé de noter au jour le jour les sensations et les sentiments qui le
traversaient. Plus poésie que prose, les mots vont à l'essentiel, comme pour mieux
retracer l'absence de réflexion de cette existence vouée à l'urgence et aux
gestes : L'usine bouleverse mon corps/ Mes certitudes/ Ce que je croyais savoir du
travail et du repos/ De la fatigue/De la joie/De l'humanité.
L'écriture devient un monde parallèle au travail : Et tous ces textes que je
n'ai pas écrits/ Pourtant mille fois écrits dans ma tête sur mes lignes de production/
Les phrases étaient parfaites et signifiantes/ Senchaînaient les unes aux autres/
Implacablement// Où des alexandrins sonnaient comme Hugo/ Tant sur la machine que sur
l'humanité// J'avais même dû réussir à faire rimer/ Abattoir et foutoir/ Crevette et
esperluette/ Usine et Mélusine.
Cette manière d'écrire rappelle celle de Leslie Kaplan dans L'Excès, l'usine,
paru il y a 49 ans. A noter un très beau chapitre avec la fameuse ritournelle commençant
par « Il y a » souvent utilisée (Rimbaud, poètes haïtiens ) : je
n'oublierai pas de la piller pour les ateliers d'écriture que j'anime...
Ainsi les références littéraires ne sont pas étonnantes pour Joseph Ponthus, très
grand lecteur : voir la manière dont il évoque Blaise Cendrars et la Prose du
Transsibérien dans la vidéo réalisée à l'occasion des Assises Internationales du roman
2020 : "il sagissait d'écrire à la sonorité, au martellement" (vers 8mn). Ce
fût probablement une de ses dernières apparitions publiques (via Zoom, période Covid
oblige). La littérature a ainsi perdu trop tôt un véritable écrivain prometteur.
(30/04/2021)
Journal et autres carnets inédits, de Georges
Brassens, Cherche-Midi.
On doit cette publication qui date de 2014 à Jean-Paul Liégeois. Le journaliste
est aussi celui qui avait publié le très beau Splendeurs et misères de René Fallet en
1978. Sauf qu'à l'époque René Fallet était encore vivant (pour seulement 5 ans hélas)
et qu'on fêtera le centenaire de la naissance de Brassens, disparu à 60 ans, en octobre
prochain.
Heureusement, « le temps ne fait rien à l'affaire », comme disait le
chansonnier et l'exhumation de quelques carnets posthumes aurait bien fait ricaner le
bonhomme. Le recueil propose donc le contenu d'un cahier d'écolier (cérémonieusement
appelé Journal), un carnet de la première époque (intitulé de la main de son
maître Le Vent des marécages) et trois agendas. L'ensemble est agrémenté d'une
préface de Francis Cabrel et d'un avant-propos de Jean-Michel Boris, personnage
incontournable de l'Olympia.
Georges Brassens a toujours noirci des cahiers, pour écrire ses chansons en premier lieu.
Et sans doute aurait-il trouvé prétentieux qu'on qualifie de « journal » le
contenu de ce simple cahier d'écolier d'une centaine de pages qui est publié ici. Une
centaine de pages pour étaler presque vingt ans d'existence (de 1963 à 1981) c'est peu,
et sans doute que cette activité de diariste ne lui était pas si naturelle. Il ne
cherchait pas à faire joli, ne pensait pas à la postérité, on est loin des journaux
d'écrivains, loin de Michel Leiris, des Carnets de notes de Bergounioux, on est en
revanche dans l'esprit irrévérencieux de Paul Léautaud.
Dans ces pages, en effet, figurent beaucoup de bribes de chansons, certaines seront
enregistrées, d'autres resteront dans l'ombre mais le goût de l'auteur pour les mots
crus, et pire encore, s'y affirme à chaque page. Cependant, et c'est qui fait la valeur
et le charme de cette publication, la tendresse et la bonté se cachent derrière cette
rugosité de façade. Les pages sur la mort de son père sont d'une émotion inouïe.
(21/04/2021)
Dix-neufs poèmes élastiques, de Blaise
Cendrars, édition de Jean-Pierre Goldenstein, Méridiens Klincksieck.
Je possède au total trois éditions de ces 19 poèmes, celle-ci, parue en 1986,
celle qui les insère dans le recueil complet des poèmes Du monde entier au cur
du monde, publié chez Denöel et enfin, le Tome 1 des Poésies complètes et
uvres romanesques de la Pléiade. Mais l'édition proposée par Jean-Pierre
Goldenstein, présente l'avantage d'une publication universitaire critique, alors que peu
de commentaires ont été rapportés au sujet de ces poèmes élastiques. Autant, les
Pâques à New-York ou la Prose du Transsibérien ont fait l'objet de gloses
savantes, autant ces textes, parus à la même époque, c'est à dire dans les années
d'avant la Grande guerre, sont passés sous silence. Mais il faut dire que l'empreinte
aventureuse présente dans les autres titres (New-York, le Transsibérien et plus tard le
Panama en 1918) facilitent la reconnaissance de Blaise Cendrars comme un conteur de
voyages, alors que les dix-neufs poèmes élastiques sont à chaque fois singuliers.
Certains frôlent l'article de journal ou s'en inspirent (Dernière heure),
d'autres évoquent la peinture, Chagall (Portrait, Atelier), Fernand léger (Construction),
la sculpture avec Archipenko (La tête), ou Apollinaire dans Hamac, avec
cette phrase étonnante : « durant 12 ans seul poète de France », d'un
air de dire, maintenant il faut compter avec moi. L'ensemble constitue des instantanés.
Ils sont cependant importants et à replacer dans le contexte d'un poète qui
s'affirme : la plupart d'entre eux ont été écrit entre août 1913 et juillet 1914,
derniers textes avant la guerre, et rédigés de la main droite de Cendrars qui perdra son
bras un an plus tard à la bataille de Navarin. L'élan de ces poèmes a ainsi été
coupé ; à noter que pour compléter la série des 19 (en rapport avec l'année de
publication après guerre en 1919), Cendrars écrira son dernier poème Construction
en février de la même année, et cette fois-ci de sa seule main gauche. Il est à noter
encore que pour la parution, Blaise Cendrars a écrit un hors-texte, dans lequel il règle
quelques comptes avec l'avant-garde. Il précise surtout que les 19 poèmes qu'il
présente appartiennent « au genre si décrié des poèmes de circonstance ».
Le portrait que fera de lui Modigliani figurera dans l'édition originale, preuve, s'il en
fallait encore, que ces Dix-neufs poèmes élastiques constituent les premières
armes de l'écrivain rescapé de la guerre.
(14/03/2021)
Funambule majuscule, de Guy Boley, Grasset.
Je ne connaissais pas Guy Boley, c'est ma libraire qui m'a offert ce livre. Il s'agit un
tout petit opuscule de 60 pages qui se lit en moins d'une heure et qui contient une lettre
à Pierre Michon, ainsi que la réponse de l'écrivain. Ces textes sont précédés d'une
introduction où Guy Boley raconte sa rencontre avec Pierre Michon, trente ans auparavant
dans une librairie de Dijon. L'admirateur des Vies minuscules s'y était pris à
l'avance, il était arrivé de Franche-Comté où il vit toujours. Il était sûr qu'un
tel écrivain allait mobiliser la foule. En fait, il fût le seul participant à cette
séance de dédicace et il passa l'après-midi en compagnie de l'auteur dans une étrange
proximité à parler de tout et de rien.
Dans le rien que Guy Boley raconta, il y avait le fait qu'il était funambule de
profession.
Un peu plus tard, alors qu'il avait accompagné Pierre Michon a une rencontre d'étudiants
(cette fois-ci plus fournie en spectateurs), celui-ci se renseigna pour savoir si c'était
vrai qu'il était funambule. Et comme c'était la vérité, « Pierre retraversa la
travée, grimpa les marches, contourna la table, s'assit à sa place, me regarda
brièvement et me lança du bout des lèvres un sourire doux et lumineux, dont je sais
désormais que c'est ainsi qu'aux Cieux seuls les vrais saints sourient », conclut
Guy Boley.
La suite fut une longue lettre qu'il envoya à l'écrivain quelques années plus tard, le
6 juin 2000. Il le tutoie et y développe son passé de funambule, y raconte aussi comment
il est « intoxiqué par la chose littéraire », bien qu'il avoue ne pas
arriver à tracer plus de dix pages utiles par an.
Pierre Michon lui répondit vingt ans plus tard et lui raconte surtout l'époque où il
vivait misérablement à Paris, attendant « la voie royale de l'écriture » -
on retrouve la tension de cette époque difficile dans les Vies minuscules (celles
d'Eugène et de Clara).
Guy Boley, entre temps, a réussi à écrire plus de 10 pages par an : il a publié Fils
de feu en 2016 et Quand Dieu boxait en amateur en 2018.
(30/03/2021)
Cora dans la spirale, de Vincent Message, Seuil.
En fait, je m'y suis pris à deux fois pour le lire. Il y a parfois des histoires qui vous
échappent, des livres trop denses, touffus, qui vous laissent au bord du chemin parce que
ce n'est pas le bon moment pour les lire, on a besoin d'une littérature plus légère ou
d'autres choses. Et pour moi qui ait souvent écrit sur le travail, lu et recensé
l'ensemble dans une thèse, l'idée d'un narrateur journaliste qui racontait les affres
d'une salariée aux prises avec son entreprise, me paraissait surjouée, lointaine. J'ai
décroché.
Erreur.
J'ai repris ma lecture au bon milieu du livre et j'ai été happé par l'histoire de Cora
Salme. Le ton sonne juste, les mécanismes qui régissent les entreprises tertiaires (et
que je connais bien) aussi. L'intrigue avance avec efficacité pour plonger Cora dans son
effroyable spirale. Du coup, j'ai terminé le livre, puis je l'ai relu entièrement. Tout
se tient, est précis, argumenté. Les aspects psychologiques, les histoires personnelles,
les parcours de chaque protagoniste qui conduisent chacun de leurs actes sont
remarquablement cernés. Vincent Message ne juge pas, il expose les faits et, comme dans
la vie, les « méchants » s'en sortent toujours. Reste l'histoire, étonnante
mais si probable, et ce narrateur-journaliste qui n'en est pas vraiment un, démonte le
préjugé que je m'étais fait au départ.
Si ce livre était arrivé trois ans plus tôt, nul doute que je l'aurais intégré au
corpus de ma thèse avec une place de choix.
(22/03/2021)
Chroniques de la vie quotidienne, de René Fallet, éditions Les Belles
Lettres.
Il y a peu j'ai relaté le fameux film Paris au mois d'août,
inspiré par le livre éponyme de René Fallet. On y retrouvait la même poésie populaire
des années 60. Ces Chroniques de la vie quotidienne procèdent du même charme.
Ce sont des articles journalistiques car, ne l'oublions pas, René Fallet est arrivé dans
le monde des lettres par le journalisme, grâce notamment à une lettre de recommandation
de Blaise Cendrars. Aux premières années de vaches maigres et de rubriques
« chiens écrasés » ont succédé des collaborations plus régulières grâce
à la la plume alerte et la faconde de l'auteur, mieux reconnu : ainsi Le Canard
enchaîné au milieu des années 50, ainsi Le Quotidien de Paris dans les
années 70, mais aussi Le Monde libertaire ou Franc-tireur. A juste
titre, son épouse, Agathe Fallet, signale dans un avant-propos qu'à cette époque, les
journaux n'hésitaient pas à s'entourer d'esprits critiques (et René était passé
maître de toutes les audaces pour dénoncer les prétentions d'un soi-disant progrès).
Cela a bien changé, hélas...
Qu'il aborde l'actualité, l'affaire Dominici, les écrits catholiques de l'académicien
Daniels Rops (qui s'en souvient aujourd'hui ?), les politiciens Lecanuet ou Poujade
(qui s'en souvient pareillement?), les édiles trouvent rarement grâce auprès de lui. Un
article « côté misère » fustige les « Marie-Chantal » qui
s'évertue à la charité : « Un état où l'on fait la quête pour soulager
quelques misères est un triste état », écrivait-il en 1956. Que dirait-il de
notre période ou la charité donne des spectacles comme les enfoirés aux restos du
cur... Il titille nos mémoires courtes (Federico Garcia Lorca fusillé), s'indigne
des Halles qui disparaissent par une formule élégante : « le cur hélas
n'est pas classé monument historique ».
Bref, à lire, un jour de confinement, ce qui ne saurait tarder...
(16/03/2021)
Les orchidées, de Patrick Mioulane, Rustica Dargaud ; Les
orchidées, d'Alice Skelsey, Time-Life ; Les orchidées, de Brian Williams
et Jack Kramer ; Orchidées, démons et merveilles, de Takashi Kijima ; Orchidées
de culture, d'Helmut Bechtel, Petit Atlas Payot.
Évidement, l'originalité des titres ne prime pas pour les livres dévolus à
l'orchidophilie, comme à ceux consacrés au jardinage ou au bricolage. En revanche, ces 5
ouvrages sont de qualité inégale ou, du moins, répondent à des préoccupations
différentes.
Si vous cherchez à vous extasier sur la beauté photogénique des fleurs, Orchidées,
démons et merveilles de Takashi Kijima répondra à votre attente : grand
format, clichés artistiques habilement mis en page, peu de textes, évoquant tous la
beauté, la grâce, l'émotion suscitée, les ressemblances. Mais en revanche, vous ne
trouverez aucun conseil pour vous lancer dans la culture de votre nouvelle passion.
D'un format aussi grand et agrémenté de fort belles photos, Les orchidées de
Brian Williams et Jack Kramer indique en sous-titre « comment connaître et cultiver
les 200 plus belles espèces ». Une préface de Marcel Lecoufle, le pape de nos
orchidées françaises, décédé en 2016 à 103 ans, agrémente ce livre d'origine
britannique. La première partie du livre propose les techniques de culture, l'entretien
des plantes et la seconde partie, en proposant d'alléchantes photos, donne envie d'en
posséder bien des variétés, d'autant plus que chaque vignette propose toujours quelques
conseils pratiques.
Le livre d'Alice Skelsey chez Time-Life répond aussi à ce double enjeu. On peut
néanmoins déplorer que la deuxième partie qui répertorie les espèces soit
agrémentée de dessins bien moins réalistes que des clichés, mais le livre reste
agréable et bien conçu.
Moins clinquant est le livre de Patrick Mioulane, Les orchidées, qui s'apparente
à une brochure de moyen format. Mais en moins de cent pages, l'un de nos meilleurs
jardiniers français expose avec simplicité et concision des techniques de culture et
trois chapitres dévolus aux orchidées du débutant, de l'amateur et du chevronné (où
d'ailleurs j'apprends que depuis trente ans je n'ai pas dépassé la case
« débutant »). La classification rapide en orchidées botaniques et hybrides
est un plus. On peut regretter toutefois l'absence d'une photographie pour chaque espèce
proposée, mais plusieurs planches montrent cependant bien des plantes communes en
jardineries. Bref, c'est un ouvrage populaire et pratique, et la manière dont les pages
sont écornées montre que je me suis beaucoup référé à lui.
Enfin, pour terminer, voici le petit atlas Payot sur les « orchidées de
culture » (à noter qu'il existe dans la même collection Orchidées d'Europe que
je possède également et qui est dévolu aux espèces sauvages de nos régions). D'un
format de poche, ce petit livre uniquement illustré de clichés est bien pratique pour
identifier quelques unes des plantes les plus emblématiques. Et les conseils de culture
ne sont pas en reste.
Au final, en feuilletant à nouveau la plupart de ces ouvrages que j'avais délaissés, je
me suis aperçu que je ne suivais pas certains conseils à la lettre : j'arrose avec
de l'eau calcaire et je ne fais pas de distinction entre les serres froides tempérées ou
chaudes. Mais probablement que le plus grand changement entre ces livres qui datent de
plus de trente ans sont liés aux variétés et à l'hybridation qui se sont décuplées
depuis que les orchidées sont devenues des plantes aussi répandues que les autres.
(09/03/2021)
Enfantillages, de Pierre Bergounioux, L'Herne.
Enfantillages, oui, car ces souvenirs et ces notes sont issues des premiers âges. Mais
c'est l'adulte qui parle, celui dont la vie est bien remplie de livres, dont le labeur est
terminé, et qui se retrouve face à l'interrogation qui le poursuit sans relâche depuis
son adolescence : avoir échappé au monde provincial, voué à demeurer arriéré et
inculte. Ici, l'angle choisi est celui de l'enfance confronté au monde, aux premières
questions que l'on se pose, et que seuls les adultes on l'imagine ainsi dans les
premières années seront à même de répondre. Or, les réponses ne viennent pas.
Ou partiellement : il y a les « quantités de doryphores, de hannetons, de
Piérides » attrapés chez le grand-père, mais s'échappe toujours « les
grands voiliers, le Machaon, le Flambé », en symboles de la connaissance toujours
imparfaite et du monde, vu comme « une entité terne, à dominante bise, peuplée de
gens lents ».
Car ces « enfantillages » sont tout, sauf ceux que le titre laisse
entrevoir : le discours de Pierre Bergounioux est égal à ce qu'il sait faire :
la langue est parfaite, apprise, scolaire au sens d'une rédaction d'école corrigée par
le maître. Ce n'est pas une critique : l'exercice requis, abondamment illustré
d'insectes est une magnifique leçon de choses. Ce n'est pas non plus un reproche :
c'est la manière éternelle d'écrire de son auteur qui regrette sans doute l'aventure et
les approximations des premiers âges (les « Mââârcel Prouste » de mon
petit-fils de 22 mois raconté en Étonnements cette semaine).
(01/03/2021)
Parlons travail, de Philippe Roth,
Folio.
Il s'agit d'un recueil d'entretiens liés à l'écriture et à luvre que
l'écrivain américain Philippe Roth a eus avec un certains nombre de ses pairs. Et
d'emblée la traduction française de ce titre me plaît : Parlons travail. On
va droit au but : préoccupations d'écriture, comment, où et pourquoi les livres se
font. Cela m'évoque l'expression « parler popote » que j'utilise volontiers
pour échanger moi aussi avec d'autres auteurs (et combien cet exercice de partage est
essentiel pour moi, s'aider mutuellement, comprendre le vaste mystère de la création).
Cela m'évoque aussi le Profession romancier de Murakami (note de lecture du 04/06/2020), on ne cherche
pas à finasser : écrire est un métier.
Les écrivains que Philippe Roth a réunis dans cet ouvrage sont de la même génération
que lui et liés à ses centres d'intérêts, notamment la place du judaïsme,
l'holocauste, le parcours des écrivains dans cette Europe marquée par la guerre. C'est
pourquoi on y retrouve Isaac Bashevis Singer, juif polonais et prix Nobel de littérature,
Aharon Appelfeld, juif roumain, Milan Kundera, né en Moravie, l'italien Primo Levi, qui
fût emprisonné à Auschwitz, Ivan Klima, tchèque comme Kundera, l'irlandaise Edna
O'Brien.
(16/02/2021)
Histoire des grands parents que je n'ai pas eus,
d'Ivan Jablonka, Points Seuil Histoire.
Le père d'Ivan Jablonka, à l'instar de Georges Perec, a perdu ses parents, Matès et
Idesa, dans les camps de concentration. Leur petit fils Ivan, historien de formation, part
dans ce livre sur les traces de ses grands parents qu'il n'a jamais connu. Sa quête est
évidente pour cet universitaire : « mon projet prend forme assez vite, je vais
écrire un livre sur leur histoire ou plutôt un livre d'histoire sur eux »
écrit-il dès le troisième chapitre. Pour cela, il agit en
professionnel : archives, entretiens, lectures, mise en contexte, raisonnement
sociologiques. Son père lui fournit des photos, des lettres : « il me dit tout
ce qu'il sait, c'est à dire pratiquement rien ». Il est né en 1940 à Paris. Trois
ans plus tard, ses parents sont arrêtés, conduits à Drancy, puis à Auschwitz. Comme
Perec, que peut-il se souvenir ? Comment les familles d'accueil l'ont-elles protégé lui
et sa sur en attendant la fin de la guerre et de la persécution des juifs ? Car
Matès et Idesa étaient juifs et polonais, de surcroît révolutionnaires dans leur pays,
acquis aux idées communistes, alors qu'elles se heurtent à des courants fascistes et
antisémites. Il quittent la Pologne et arrivent en France en 1938. Comme beaucoup, ils se
rendent à Paris, s'intègrent. Matès s'engage même chez les légionnaires pour servir
la France à la déclaration de la guerre. La débâcle le renverra à Paris. Les lois
juives les repèrent, les arrêtent, on connaît la suite et la fin inéluctable.
Le grand mérite d'Ivan Jablonka est justement d'avoir honoré leur mémoire en ne
laissant aucun détail au hasard. Il a essayé de tout recouper, de tout vérifier,
rapports, listes, rencontres de vieux résistants, de voisins encore vivants qui les ont
connus. Il s'est rendu en Pologne sur leur trace. Il a fini par constituer l'histoire la
plus plausible qui soit pour ses grands parents, tenté de reconstruire jour après jour
leur vie, de donner chair à leur existence. Et c'est une véritable réussite.
(09/02/2021)
Correspondance 1981-2017, entre Pierre
Bergounioux et Jean-Paul Michel, Verdier.
Avec Bergounioux, c'est toujours la même histoire : enfance à Brive,
conscience à 15 ans que ce monde provincial est arriéré, départ pour Paris et se vouer
à la quête d'une connaissance infinie. Et, de la même manière, sa rencontre avec
Jean-Paul Michel ne peut se jouer que dans ce même contexte. Elle a lieu en classe de
terminale dans leur Corrèze natale, dans le moment crucial où l'avenir (et le départ
pour Pierre) est déjà programmé. Les deux amis connaîtront un destin, non pas
exceptionnel, je n'aime pas ce terme, mais une existence entièrement vouée à la chose
écrite. Pierre Bergounioux devient prof en région parisienne et accumule les livres.
Jean-Paul Michel, agrégé comme lui, s'établit à Bordeaux, embrasse la poésie et fonde
les éditions William Blake and Co.
La correspondance commence (du moins dans ce qui est proposé dans ce recueil) en 1981.
Jean-Paul Michel a créé ses éditions cinq ans auparavant, publié ses premiers poèmes
en 1974, et Pierre Bergounioux s'apprêtait à faire paraître son premier roman Catherine,
trois ans plus tard. Les deux sont témoins de leurs avancées : « Ta mue
d'écrivain est faite » écrit Jean-Paul Michel en 1987 à Pierre Bergounioux qui
s'étonne toujours en retour de la « fraîcheur émouvante » du poète
(23/01/1993).
Cette correspondance est variée, simples billets ou cartes postales, ou longues lettres
qui prennent parfois une demi-douzaine de pages dans ce livre. La communion de pensée
entre les deux hommes est totale, marquée bien sûr sous le sceau de l'enfance et de la
révélation, mais aussi de leurs intérêts communs, de leurs passions, Höderlin ou
Faulkner. C'est aussi une traversée de la modernité : Pierre s'étonne du TGV qui
emmène Jean-Paul à « 250km/h » et à partir de 2010 les courriels deviennent
prédominants.
Pierre Bergounioux a rédigé une préface pour l'édition de cette correspondance.
J'aurais aimé trouvé un texte également (postface?) de Jean-Paul Michel, lui qui s'en
alla trouver Sartre en 1966 à dix-huit ans avec le premier livre qu'il avait fabriqué en
tant qu'éditeur, lui qui rencontra André Breton la même année.
(02/02/2021)
Erza Pound en enfer, de Pierre Rival, éditions
de l'Herne
L'auteur, Pierre Rival, est un voisin, de même que Michel Bernard, comme quoi
les écrivains n'habitent pas tous les grandes villes et résident aussi dans les
« campagnes en déclin » comme dirait Benoît Coquart. J'ai ainsi rencontré
Pierre Rival à diverses reprises, notamment dans la librairie de ma ville. C'est là que
j'ai acquis cet Erza Pound en enfer.
Autant dire que ce livre est polémique à plus d'un terme. L'enfer dans lequel glisse le
poète d'origine américaine est l'Italie fasciste de la seconde guerre mondiale.
Admirateur de Mussolini, Erza Pound animera des émissions radiophoniques dans lesquelles
il vitupère et expose sa haine des juifs (deux sont d'ailleurs traduites à la fin du
livre). Écrire sur une personne aussi peu recommandable est déjà un défi en lui-même,
l'auteur s'exposant par le sujet même à la critique, la même qui prône un silence
absolu en ce qui concerne Céline ou Brasillach. Lorsqu'on rajoute à l'ouvrage un avant
propos rédigé par Michel Onfray, philosophe pamphlétaire, on conçoit que cet essai
soit né sous de sulfureux auspices.
Mais la genèse de l'ouvrage est différente d'un coup médiatique, concocté à la
va-vite. Pierre Rival porte ce livre en lui depuis quarante ans. Proposé à Denis Roche
pour le Seuil à la fin des années 70, le livre s'est perdu dans les méandres d'une vie,
l'idée cependant d'une « biographie romancée » est restée, ainsi que la
volonté de « retourner contre Erza Pound les procédés rhétoriques du poème
épique » ou comment le génial poète des Cantos a-t-il pu embrasser la cause
barbare de l'antisémitisme.
Pierre Rival a eu l'intuition de construire son récit avec le même lyrisme d'une
« chanson de geste » : il en précise l'intention dans sa préface, et le
réalise dans les 10 chants qui constituent les chapitres. Les éléments biographiques
ainsi se déroulent pendant la période noire du poète, de 1943 à 1945. Un épilogue
précise cette vie, depuis son incarcération volontaire en asile pendant 13 ans, jusqu'à
ses derniers moments, alors que, revenu d'Amérique, il devient « le patriarche de
la poésie contemporaine », notamment en France, ou il a la décence de ne jamais
s'exprimer.
La plupart des critiques trop peu nombreuses qui ont relaté ce livre restent
prudentes : à tenter le diable en enfer, on ne sait jamais trop ce qui va se
passer... Alors, on reproche à Pierre Rival de ne pas citer suffisamment ses sources ou
de ne pas être assez novateur. Pour ma part, j'ai lu ce livre avec un grand intérêt.
Bien écrit, imagé à souhait, il m'éclaire d'avantage sur celui dont la pierre tombale
m'avait intrigué un jour de visite au cimetière de Venise.
(25/01/2020)
J'avance masqué, de Georges Perec.
C'est une note de non-lecture, car ce manuscrit de Georges Perec n'a jamais été
retrouvé. Pourtant il existe, quelques uns l'ont eu entre les mains chez Gallimard,
puisque l'éditeur Georges Lambrichs le refusera en 1961, de même que Le Condottière,
proposé un an auparavant (lui en revanche a été retrouvé et édité trente ans
après sa mort en 2012). On ne sait donc pas précisément ce que contenait J'avance
masqué. On peut cependant se faire une idée assez précise du thème de ce livre.
L'auteur en fait allusion dans un des textes qui précède l'élaboration de W ou le
souvenir d'enfance, paru en 1974. L'édition de ses uvres dans la
Pléiade évoque en effet un « petit carnet noir », rédigé en 1970, dans
lequel Georges Perec pose les bases de W : « Je suis né le 7.3.36.
Combien de dizaines, de centaines de fois ai-je écrit cette phrase ? Je nen sais
rien. Je sais que jai commencé assez tôt, bien avant que le projet dune
autobiographie se forme. Jen ai fait la matière dun mauvais roman intitulé Javance
masqué, et dun récit tout aussi nul (qui nétait dailleurs que le
précédent mal remanié) intitulé Gradus ad Parnassum. ».
Il y aura donc eu deux versions de J'avance masqué, le suivant au titre latin
n'étant peut-être qu'une tentative pour inverser la décision de refus par Gallimard de
la première version. L'expression latine est intéressante. Gradus ad Parnassum, signifie
la « Montée au Parnasse ». Le Parnasse est cette montagne culminant à plus de 2000
mètres au centre de la Grèce. Placée sous la divinité d'Apollon et des neufs muses,
elle est par essence la montagne des arts. Le Gradus est ainsi un ouvrage
pédagogique surtout utilisé pour la théorie poétique et la musique. Mais cette
locution latine répond surtout à J'avance masqué, qui n'est que la traduction
française d'une fameuse injonction latine prononcée par Descartes en 1619 : Larvatus
prodeo. Le jeune philosophe de 25 ans exprime ainsi sa volonté de hausser la voix, de
proposer une vérité, à l'exemple des acteurs de théâtre antique qui s'avançaient
masqués sur la scène pour déclamer leurs réflexions. Bien-sûr, au delà de l'image,
il faut retenir que celui qui parle, ne colle peut-être pas vraiment à celui qui
élabore le discours. En d'autre terme en littérature : il ne faut pas confondre
l'auteur et le narrateur.
L'époque à laquelle J'avance masqué a été écrite, juste après Le
Condottière, montre en effet cette dualité qui devait constituer l'obsession de
Perec. L'intrigue même de ce roman dévoile le rôle du masque : le héros est un
faussaire essayant de reproduire le fameux tableau d'Antonello de Messine qui constitue le
titre de ce récit : masque de Zorro, masque de fer, hommage à tous ceux qui cachent
leur véritable identité...
Mais hormis ce qui constitue probablement l'intention initiale de J'avance masqué, nous
ignorons le contenu et la structure de ce « mauvais roman » pour reprendre le
qualificatif de Perec. Il indique seulement quelques lignes plus loin dans son petit
carnet noir : « Dans Javance masqué le narrateur racontait au
moins trois fois de suite sa vie ». Quelle était ainsi la version qui s'approchait
le plus de l'auteur ? Aucune ? On peut supposer que cette mise en abîme était
similaire à celle que l'on retrouvera plus tard dans W ou le souvenir d'enfance, ou
même, sous un jour plus formaliste, dans La Disparition ou Les Revenentes.
Quoi qu'il en soit, c'est tout à fait pérécquien de vouloir donner une note de lecture
à un livre qui n'en possède pas. J'ai ainsi tenu un discours de plusieurs paragraphes,
aidé par les ressources de Jean-Luc
Joly et Mariano D'Ambrosio. Et j'ai même donné à ce J'avance masqué
de Georges Perec une existence tangible : j'ai réalisé un montage photographique
pour présenter mes bons vux cette
année grâce à ce roman perdu.
(18/01/2021)
Revue Rimbaud vivant, N°59,
Les amis de Rimbaud.
A la suite de Vie prolongée d'Arthur Rimbaud, je suis intervenu plusieurs fois,
notamment à Charleville, puis à Paris auprès de l'association internationale des Amis de Rimbaud. Bien-sûr,
même si je participe peu à la vie de l'association, je regarde toujours son activité
avec le plus grand intérêt.
Ainsi, l'association édite depuis longtemps une revue désormais annuelle, intitulée Rimbaud
vivant. J'ai ainsi reçu le N°59 pour l'année 2020, offert aux adhérents. C'est
une revue de belle facture, de presque 300 pages, avec, en couverture, le sobre et beau
portrait du poète dessiné par Fernand Léger. Bien entendu, ce type de revue (je
possède aussi le numéro double 56/57) s'adresse plutôt à ceux qui connaissent déjà
en détail la vie du poète, la nébuleuse rimbaldienne et ses spécialistes.
A lintérieur, hormis les avant-propos et la vie toujours intéressante à
découvrir de l'association, on y trouve une quinzaine d'articles, tous aussi passionnants
les uns des autres. Entre autres, j'ai ainsi lu la « tentative d'incarnation de
Vitalie Rimbaud », par Patricia Bonnin, tentative qui essaie de donner à la jeune
sur d'Arthur, disparue à 17 ans, une consistance plus mûre que celle qu'on lui
octroie habituellement. J'ai aussi lu « Paterne Berrichon, agitateur ridicule mais
incontournable », de Camille Grandon, dont le titre résume l'importance de ce
beau-frère posthume, mari d'Isabelle Rimbaud, trop souvent injustement décrié :
sans lui, Rimbaud serait resté dans l'ombre. Rimbaud en Afrique continue bien-sûr
d'alimenter les études : Philippe Oberlé consacre un article sur les relations
entre Arthur et les frères Borelli, Jules, explorateur de lÉthiopie que Rimbaud
côtoiera souvent, et Octave, que Rimbaud rencontrera au Caire en 1887. Pierre Lemarchand
propose une très belle biographie orientée de Patti Smith (« rêves de
Rimbaud ») : l'artiste est désormais incontournable dans la sphère
rimbaldienne et a acquis la petite maison de Roches, située à l'emplacement de la
célèbre ferme familiale, lieu d'écriture d'Une saison en enfer.
Toute ces lectures éclectiques donnent une idée large de notre poète national et valent
bien mieux que le coup médiatique visant à l'enfermer avec Verlaine au Panthéon. A
suivre...
(11/01/2020)
Petit
éloge du running, de Cécile Coulon, éditions François Bourin.
La romancière à peine trentenaire Cécile Coulon est déjà une auteure prolixe
et une coureuse à pied chevronnée, premier marathon à 28 ans, celle qui avoue
«avaler » quarante kilomètres par semaine, a décidé de consacrer un Petit
éloge du running à sa liste déjà longue de publications. Bien entendu, ce petit
livre, découvert grâce à un attaché de presse de Fayard, ne pouvait que me combler.
Tout d'abord, liste de ce qui nous relie et nous sépare :
- Moi aussi, je suis marathonien, sauf que j'ai couru mon premier 42 à 60 ans, soit 30
ans de plus que Cécile et j'ai mis aussi une heure de plus. A noter que quatre ans
auparavant j'avais tout de même terminé un trail de 46 km avec 1000 m de dénivelé sur
les sentiers caillouteux de la montagne de Reims en 6h pile...
- Moi aussi j'ai pour livre de chevet le magnifique Autoportrait de l'auteur en coureur
de fond de Murakami.
- Moi aussi je suis persuadé que courir permet de donner du souffle à l'écriture.
- En revanche, je dois être un des rares à courir en chaussures fivefingers qui donnent si bien la
sensation de courir pieds nus (si, si, j'ai fait le marathon avec).
En fait beaucoup de point commun et peu de différences, ce qui fait qu'à chaque page lue
de ce Petit éloge du running, j'opinais du chef d'un air satisfait et mieux
encore : à la fin de ma lecture, j'avais envie de courir sans attendre...
« Ce texte se déroulera comme une épreuve sportive », annonce Cécile dans
sa préface. De ce fait, les chapitres sont organisés comme tels : le premier est un
échauffement et le dernier s'achève après la course (« être enfin
soi-même », écrit l'auteure). Entre ces deux extrémités, ravitaillements
réguliers, premiers kilomètres, mi-chemin, derniers kilomètres, bref, ceux qui ont
déjà participé à des semi-marathon, des épreuves de dix ou vingt kilomètres, des
courses « nature » se retrouvent dans cette ambiance si particulière et
festive où vous êtes environnés d'humains en tenue fluo et en baskets, soufflant et
ahanant sous l'effort.
Ce opuscule est ainsi très complet, avec des aspects historiques, sociologiques, avec une
belle bibliographie, des listes de films consacrés à la course, même si (il me semble)
je n'ai pas trouvé trace de Courir de Jean Echenoz, consacré à Zatopek ou
quelques références à Joyce Carol Oates qui aime bien émailler sa prose d'allusions au
running.
(05/01/2021)
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