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La vie en noir

Atelier d'écriture de Dijon


C'est assez drôle, la vie en noir : je suis étudiant à Dijon depuis trois ans, via l'enseignement à distance quand on me propose cet atelier à destination de mes congénères, coéquipiers, étudiants comme moi. J'y interviens en qualité d'écrivain donc, recommandé par la Maison des Ecrivains dans le programme Le Temps de l'université et avec l'association Arthur, dynamique mouvement qui tente de donner vie et liens entre les différentes pelouses du campus.
Six séances sont prévues les jeudi 1, mardi 6, jeudi 15 février, puis les jeudis 15, 29 mars et 12 avril 2007, à la Bibliothèque Universitaire Lettres-Droit.
Le thème général rejoint toute une série de rencontres prévues autour du noir (d'où son titre) et auxquelles s'associent la Ville de Dijon dans son Festival Temps de paroles, avec les acteurs institutionnels régionaux et l'Université.

Cette page présente les différentes séances, elle sert d'aide mémoire pour les participants et de fourre-tout sur la préparation de cet atelier. C'est évidement brut de fonderie et sans retouche, comme la totalité de Feuilles de Route...

 

1° février 2007,

Le canevas qui suit est issu de la préparation nébuleuse mais énergétique de cette première séance. C'est donc de l'a-priori. Cela s'est passé à peu près comme cela, in live (en livres ?) comme disent les rocks stars. J'espère que je n'aurai pas été trop touffu. Les participants sont des participantes : c'est devenu une constante dans l'implication de toute vie universitaire et sociale, surtout dans les domaines littéraires ; ça nous apprendra à avoir cantonné nos garçons dans les petites voitures, la mécanique et les ordinateurs...

Canevas de la séance :
18h00 – Présentation : moi, mes livres comme manifestes (avec les mots mains et fêtes dedans), insister sur le fait que je ne suis pas un pro des ateliers (quelle horreur…), pas de méthode préconçue, pas de créative writing à l’anglo saxon, on n’est pas des Raymond Carver, pas un atelier type aleph, ne rien coller, juste un canevas lâche, vaguement savoir où on veut aller (écrire du " noir " comme prétexte), les six fois qu’on va se voir ensemble et gare à celui qui me traite d’animateur : bon dieu, il va bien en ressortir quelque chose non ?
Comme preuve de ma bonne volonté : je ne connais rien à rien au noir.
Autre postulat : la présence des participants seule compte.
Pas de naïveté : j’ai une sainte trouille de ne pas savoir où aller, donc, tout est préparé (non mais, vous vous attendiez à quoi ?)…
… cependant, savoir que "Le Fleuve de l’action m’apporte les larmes, le sang et la sueur que je ne trouve jamais dans le fleuve de l’écriture. Dans ce nouveau fleuve, j’ai des rencontres d’âme à âme sans avoir à me soucier des mots. C’est aussi le plus destructeur des fleuves et je comprends sans peine pourquoi peu de gens s’en approchent " Mishima et que, au bout du compte " C'est l'affaire de l'auteur à effacer le travail. Vous mettez le lecteur dans un paquebot. Tout doit être délicieux. Ce qui se passe dans les soutes, ça ne le regarde pas. Il doit jouir des paysages, de la mer, du cocktail, de la valse, de la fraîcheur des vents. Tout ce qui est mécanique, ou servitude, ou service, ne le regarde pas du tout. " Céline.
Voilà…
18h15 – Donc, questions ouvertes : eux, sur moi, moi sur eux. Que sont-ils venus chercher dans cette galère…

18h30 – Comment on va bosser : les six séances en forme de campagne, fin prévue juste avant les élections, leur rythme " idéal ! ", deux heures avec en comprimant à chaque fois, un apport " théorique " (pouf pouf pouf…), une mise en pratique, une écriture au long cours sur le thème du noir et poursuivie sur les six séances… Flexion, extension, genoux, genoux, genoux, on reste ferme dans cette culture imphysique…
18h40 – Bon, on attaque la gymnastique : écrire, c’est quoi, ç’est fait comment la matière des mots ? C’est élastique ? On peut toucher ?
Un peu de poésie japonaise en guise de Tai Chi Chuan, décorticage de
Ils sont sans parole,
l’hôte l’invité
et le chrysanthème blanc

(Ryôta 1718-1787), ce qu’on éprouve, les sensations, l’impression de temporalité, présent passé futur, le narrateur indéfini, indistinct, la place du verbe, le temps du verbe. Quel narrateur, quel temps du récit, peut-on se passer des verbes : fondement initial de toute préoccupation d’écriture…
19h00 - Séance d’écriture, distribuer plusieurs haïkus. Lecture d’abord. Ce que c'est que lire, respiration plutôt de précipitation : la lecture est le seul moment où l’on peut maîtriser son temps face à la narration, face à un locuteur si lecture à voix haute (choisir ou non d’aller plus loin, quel rythme), donc, philosophiquement comment on se rapproche de la mort (c’est osé comme extension, non ? Mais c'est le thème du noir qui oblige...)
Puis réalisation de plusieurs haïkus et relecture…

Mardi 6 février 2007,

La semaine dernière c’était haïku mais comme me faisait remarquer à juste titre Sarah sur l’impossibilité de reproduire pour nous occidentaux l’esprit oriental de ces poèmes, je ne suis donc pas venu ici pour ânonner en permanence quelques réflexions de gourou d'un air exotique donc, on embraye de suite sur une définition du roman noir : wikipédia, bien sûr, nous dit que "le roman noir se distingue du roman policier par le chemin qui mène à l'assassin ", c'est un peu réducteur. Autour de la table on préfère penser Edgard Poe comme précurseur, Baudelaire qui va avec, Shelley, Lovecraft, Le Silence des Agneaux, toute la vague du fantastique, j'y ajoute Raymond Roussel et Locus Solus, le genre est vaste. Mais ce qui caractérise le noir, c'est le cadre des stéréotypes (la vamp, le looser, le privé, le tueur sans scrupule, la femme fatale, le policier corrompu, le compagnon fidèle… et bien sûr l’opposition entre le bien et le mal...). Du coup, nous nous interrogeons sur les apports de la fiction dans le roman noir. En effet, les stéréotypes induisent une sorte de double détente fictionnelle (comme dans un fusil de chasse pour rester dans l'ambiance glauque...) puisque d'un côté nous reconnaissons facilement le policier forcement corrompu, le compagnon obligatoirement fidèle et la femme, à l'évidence, fatale, l'écrivain peut donc se glisser dans d'autres ressorts narratifs, une histoire originale, place à l'imagination et au plaisir d'écrire. Mais comme le disait une participante, l'écrivain reste prisonnier du genre et de ces poncifs (voir aussi "Stéréotypes du roman et parapharmacie" note d'écriture du 15/02/2007).
N'oublions pas cependant l'élégance du noir, comme disait Margot , oui, il y a de cela dans notre thème et nous embrayons sur une série d'extraits tous issus du noir contemporain, Jean-Claude Izzo et Thierry Jonquet. Le premier exercice d'écriture est une expérimentation nouvelle pour moi. D'ordinaire, on demande de continuer un texte à partir d'un extrait, ici, ce sont deux fin de roman et il nous appartient d'en remonter le cours, ce qui demande imagination et technique puisqu'il s'agit de rester dans la forme voulue par l'auteur. Je suis merveilleusement surpris par la qualité des textes et j'espère qu'on les retrouvera numérisés bientôt, ici ou sur le site de l'association Arthur.
A l'inverse,
puisque nous avons commencé par la fin, qui auraient d'ailleurs pu constituer des débuts comme me faisait remarquer Françoise, nous travaillons ensuite sur l'Incipit, première phrase d'un texte, importante donc puisque c'est celle qui donne l'élan a plusieurs centaines de pages... Aux exemples célèbres de Camus, Proust, à "Aujourd'hui maman est morte" et "Longtemps je me suis couché de bonne heure" suivent d'autres exemples divers et variés, malin et péremptoires comme Yann Moix "Ce que les femmes préfèrent chez moi, c'est me quitter" (Jubilation du ciel) ou magnifiquement étouffants comme chez Claude Simon (Histoire). Le travail consiste bien entendu dans les dernières minutes qui nous restent à bâtir une première phrase, un incipit donc qui nous ouvrira les portes d'un texte, nouvelle ou pourquoi pas début de roman à poursuivre pendant nos autres séances.

Liens utiles : sur Fabula, Roman noir et fictionalité   et dans le Dictionnaire des Termes littéraires pour les stéréotypes du "noir"



Jeudi 15 février 2007,


Ecrire en conscience : Vaste programme ! Cela semble évident et nécessaire pour tout écrivain. Mais comprendre les mécanismes qui président à l'écriture n'est pas si facile dans la profusion des mots, des phrases, des paragraphes.
Allez, disons-nous que quelques règles linguistiques vous nous y aider...
Si on reprend la séparation académique entre récit et discours, ce sont surtout les verbes et les sujets qui servent à déterminer ce à quoi on a affaire, ce sont eux qui déterminent le sens de la phrase, le reste apparaissant comme un remplissage, une fois l'option décidée de quel verbe, à quel temps, et avec quel sujet.
Le choix n'est pas anodin, on engage une bonne partie des phrases à venir, paragraphes, chapitres, texte entier... C'est Duras optant pour le dialogue dans Hiroshima mon amour, Proust introduisant le personnage d'Odette en face de Swann avec un "elle" magnifié...
Rappelons quelques règles, donc, mais souvenons nous qu'en littérature toute règle DOIT être transgressée... Discours :
verbe : tous temps sauf passé simple, sujet : contient forcement des pronoms personnels de rang 1 et 2 (je, tu, et les pronoms "étendus" vous, nous).
Cas particuliers :
- le "discours rapporté" inséré dans un récit est très fréquent et a tendance à emmêler la reconnaissance des caractéristiques d'un texte.
- l'entre deux du "discours intérieur" (d'ailleurs, comment on se parle à soi-même ? Est-ce qu'on se fait des vraies phrases ?) mériterait d'être plus approfondi, étudié : j'ai l'impression que nous reconnaissons "par défaut" un "discours  intérieur" à tout passage d'un texte qui nous semble atypique, dont les destinataires de ce discours ne sont pas clairement désignés : allocutaire, narrataire,  voire même lecteur qui ne sait pas si le narrateur s'adresse vraiment à lui, par défaut donc...
récit :
tous temps mais le passé simple est le temps typique. Pronoms personnels de rang 3 (il, elle, leurs pluriels et on). Convient aux descriptions, à l'arrière fond...
Voici pour la distinction traditionnelle récit/discours qui n'est pas à négliger même si elle est trop figée, schématique. Plus intéressantes sont à observer la particularité des verbes et de leurs conjugaisons et la "couleur" des différents pronoms personnels...
verbes :
distinguer les temps de l'accompli, inaccompli, hérités du latin (perfectum et infectum). Savoir reconnaître des verbes conclusifs (action sans durée ex : entrer -sortir) ou non conclusifs.
Pronoms personnels sujets :
Quelques sensations (toutes personnelles...)

je = moi, mon enveloppe
tu = non-je- familiarité -intimité - s'adresse à un entier, un égal
il : sujet ou chose, déconsidération (L'infirmière au malade : il a pris son cachet...) il =non (je+tu)
nous : pluriel, étendu, généralité, voir politesse (nous roi de France) contient le "je "
vous : pluriel, étendu, vous de politesse, contient le "tu"
ils : extérieur pur, opinion
on : fourre tout, caméléon
Remarque : à propos de politesse, le "tu" et le "vous" ne laissent présager en rien de la politesse même si le traditionnel "vous" contient cette réserve : on peut copieusement faire sentir l'irrespect indifféremment dans l'un des deux pronoms, c'est bien connu...
Dans les exemples que nous voyons lors de cette séance, nous remarquons "l'écriture en conscience" de Nathalie Sarraute (Tropismes) qui utilise le "ils" associé à l'imparfait, temps de l'inaccompli comme l'indique son nom (c'est un temps de l'arrière plan rarement utilisé seul mais "parfait" par d'autres temps accomplis).Ce parti-pris donne un texte magnifique possédant une mélancolie, un peu distante et sombre, "un banal qui se fait beau" comme le souligne Elisabeth...
Nous enchaînons pour continuer dans la même maîtrise du texte par un texte de Raymond  Carver, "la cabine téléphonique" et le travail d'écriture proposé qui va avec : en quelques lignes, monter une anecdote qui raconte un coup de fil espéré, attendu ou alors complètement inattendu en faisant intervenir un dialogue intérieur et en faisant d'en faire varier les modalités (récit ou discours, mode et temps des verbes, essais de différents sujets…).
A la lecture des textes (très élaborés et imaginatifs !), on constate que le temps "présent", mode intemporel par excellence, et le discours direct marqués par la ponctuation, les verbes introducteurs est la forme la plus spontanément utilisée.

Jeudi 15 mars 2007 :

Nous avions décidé, lors de la dernière séance d'aborder le contexte de l'édition.
Ce fut fait et en voici le canevas :

Petit point sur l'édition en 2007
- l'organisation du monde littéraire " moderne " date du XIX° :
Au départ, l'initiative des éditeurs organise le secteur. Les instances professionnelles et les processus économiques sont issus de cette organisation : Contrats, syndicat des éditeurs, des libraires, des Gens de Lettres, Maison des écrivains…
Les éditeurs historiques demeurent encore les plus importants: Gallimard, Fayard, Albin Michel, Flammarion. Les " petits " éditeurs se sont multipliés.
- point en 2007 :
Mort annoncée du livre mais qui résiste : augmentation des sorties (dilution apparente des tirages…)
Adaptation aux enjeux libéraux : regroupements financiers. Hachette, Le Seuil, Albin Michel, Gallimard… Le secteur de l'édition reste un " petit secteur " en moyens humains (10000 personnes ?), mais fort demandé et qui jouit d'un prestige intellectuel.
Réticence aux médias nouveaux (Internet)
- un schéma pour comprendre :
Sur un livre : 30% va à l'éditeur, 30% au distributeur, 30% aux libraires, 10 % à l'auteur.
L'éditeur, en tentant de diriger le processus de distribution assure ses revenus et maîtrise la concurrence. Les libraires indépendants sont démunis face aux " chaînes " du livre (et, fait nouveau, à la vente Internet (cas d'Amazon, qui demande 30% sur les commissions…).
L'auteur, à l'origine du livre, est le grand perdant d'un point de vue économique et ne peut assurer ses revenus avec ses seuls droits d'auteurs.

Le processus d'édition
Dans l'absolu : rédaction du livre, envoi aux maisons d'éditions, édition… Mais concurrence : par exemple Gallimard reçoit 6000 manuscrits par an par la poste. Les chances sont minimes mais existent. Ce qu'il faut retenir : un très bon manuscrit est quasi-toujours repéré (Ex : Voyage au bout de la nuit). Corollaire : au bout de la 15° lettre de refus, se remettre en question, votre livre auquel vous avez consacré un ou dix ans, ne vaut pas tripette (votre livre, pas vous !) Comment les maisons choisissent-elles ? Lecteurs et comité de lecture (ex Gallimard), travail en solo (ex Fayard). Processus moins avouables (contrats à compte d'auteurs, attention aux leurres d'Internet…). De toute façon, un lecteur n'a que quelques minutes ou une heure ? pour se convaincre de la possibilité d'édition dans une ligne éditoriale. Importance (relative) de la cooptation, copinage…
Vous êtes retenus ! Il doit y avoir un contrat à compte d'éditeur (bannir toute autre forme de contrat…) mentionnant, pourcentage de droits, à-valoir, droits de préférence, droits dérivés, adaptation, date de remise du manuscrit, nombre d'exemplaires d'auteurs…etc. Questions à se poser, où, quelle collection, quelle visibilité, quel service de presse associé ?
Généralement, retravail sur le manuscrit : passages à revoir…etc. Très riche d'enseignement, ne pas se braquer contre. Par exemple, il est parfois difficile de supprimer un passage auquel on tient pour des raisons personnelles : se poser la question de leur pertinence vis à vis du lecteur. Bannir absolument toute généralité ou avis personnels… se méfier des phrases qui nous paraissent jolies. Tout cela est plus facile à dire qu'à faire. Remarque importante : le plus gros de ce travail a déjà été entrepris avant l'acceptation du manuscrit sinon, il n'aurait jamais été accepté. La correction ne concerne que les " scories ", le mouvement général du texte, des choses qui vous ont échappé, place des chapitres, où commence vraiment le texte ? où se finit-il ? bref, toutes ces choses.
Manuscrit définitif accepté : épreuve de la correction : fôtes d'orthaugrafe, tournures, régionalismes, incompréhensions diverses. Phase exaltante si l'on travail de concert avec le (la ) correcteur. S'ensuit la première épreuve, qu'on relit et renvoie : important, c'est le texte quasi-définitif que vous validez. Puis deuxième épreuve et bon à tirer dont on n'entend jamais parler sauf si vous le réclamez. La quatrième de couverture est généralement rédigée par l'éditeur.
Service de presse : signer les exemplaires juste avant le lancement. Et enfin, attente fébrile…
Nota : dans une maison d'édition, on a affaire à l'éditeur, au correcteur, à la secrétaire, à l'attachée de presse, au directeur financier, au manutentionnaire, au coursier… Très petite maison d'édition : tous les rôles sont confondus…

En résumer écrire et franchir le premier pas : quelques sentiments personnels…
Diluer en soi les barrières psychologiques : l'intention initiale, les sentiments, la manière, le choix du sujet.
Se poser des questions sans concession : est-ce que le sujet sera original ? traité de façon inédite ? avec un style neuf ? est-ce que c'est intéressant et pour quel lectorat ? Pour quel éditeur ?
Savoir refuser d'envoyer soi-même un manuscrit qu'on juge innabouti.
Ecrire et peser chaque mot, Bannir absolument toute généralité ou avis personnels. Se méfier des phrases qui paraissent jolies.
Connaître où on envoie son manuscrit et pourquoi (et si possible à qui).
Se méfier des sirènes malveillantes (importante maison d'éditions recherche auteurs… Tu parles…)
Ne pas faire une affaire personnelle des lettres de refus.
A l'inverse, ne pas prendre l'écriture " par dessus la jambe ", genre, j'ai écrit une petite bafouille sans importance…

 

Jeudi 29 mars 2007 :

On commence par une petite partie théorique, c'est devenu une habitude. Et d'abord par un complément chipé dans un cours de Stylistique sur "les instances d'un texte littéraire", inspiré de Beneviste sur l'enonciation littéraire.

1°) Ecrivain, narrateur, personnages, narrataire, lecteur :
A travers ces cinq instances, on réalise le schéma complet d'un travail littéraire :

L'écrivain : on le connaît, c'est vous et moi, intervenant ou participant d'un atelier d'écriture
Le narrateur : Point de départ de tout récit. Choix du récit ou du discours, choix des temps, choix des voix narratives, des pronoms-sujets : il ? Je ? Autre ?
Les personnages : constituent le corps du récit, l'intrigue. Personnage ou absence de personnage. Bref, la trame de fond de l'histoire.
Le narrataire : lecteur fictif "convoqué par l'écrivain".   Rarement pris en compte lorsqu'on écrit. Pourtant très important car il est le dernier maillon avant le lecteur. C'est l’éditeur en phase finale qui assure le lien entre le narrataire et les lecteurs habituels de la collection dans laquelle vous allez être édité : d'où le travail de correction, très important pour rendre le texte compréhensible et raccourcir cette distance narrataire-lecteur.
Le lecteur : en espérant qu'il y en ait beaucoup...

Beneviste laisse entendre que ces instances réalisent un schéma complet et chronologique de la création d'un texte littéraire. En réalité, ces cinq phases sont en permanence présentes à l'esprit de l'écrivain : c'est donc une sorte d'oscillation entre chaque phase tout le temps que le texte se construit. Ainsi, écrire "en toute conscience" consiste à réaliser dans quel état (instance) nous nous trouvons à chaque instant. Cette appréhension de la "conscience d'écriture" aide à surmonter les difficultés de structure que l'on trouve inévitablement dans la construction d'un texte au long cours.

Voir aussi la   Note d'écriture du 29/11/2006.

2°) Ecrire avec Régis Jauffret et ses Microfictions (Gallimard, janv 2007)
Extrait d'une critique de Télérama :
" .../... Une microfiction, selon Jauffret, c’est une page et demie, pas plus, une petite histoire qui raconte beaucoup. Maître de l’attaque et de la chute, il va au plus pressé, à l’essentiel, à rebrousse-poil, par déflagrations anticonformistes, par frappes (phrases) chirurgicales. Exemple : " Je connais la misère, et la respecte. Le spectacle de la pauvreté est sans charme. Il peut atteindre le moral des plus fragiles d’entre nous. Mais nous devons l’endurer avec dignité. C’est notre devoir de riches. " Ses narrateurs, il faut bien en convenir, ne nous ressemblent guère – quoique... Tous pervers, égocentriques, alcoolos, dépressifs, bestiaux – des antihéros. Jauffret leur invente quelques scènes, mêle mélancolie et violence, écrit en négatif un bonheur à l’odeur rance ou qui n’a jamais existé. Amours moribondes, sexualité torturée, relations parents-enfants déjantées, racisme très ordinaire : Jauffret souffre et écrit le bêtisier qui nous sert de société, une " humanité moderne " étranglée par les humiliations, les mensonges, les terreurs. Ses personnages sont au choix pharmacien cupide, mollasson du cerveau, gens du show-biz épris de charité et de tentes monoplaces, prof avili, papy libidineux, journaliste prostitué, mère idem, cadre inférieur, touriste abonné au crétinisme, accro de télé, pétasse miteuse – et, aux côtés de tous ceux-là, des gamins déboussolés. L’auteur plonge dans l’immonde, décrasse les clichés, et sans pudeur, avec acharnement même, revendique un peu d’amour. Il y a, au fil de ses histoires qui souvent flirtent avec la fantaisie ou l’incongru, comme des relents de tendresse pour l’enfance, ces vies à peine écloses et déjà maltraitées, déjà dévoyées..."

Les Microfictions ont été écrites durant dix mois, à raison parfois de trois ou quatre textes par jour. " J’ai travaillé dans un seul mouvement, tout repentir m’était alors impossible. Je m’y suis coulé totalement. Ce n’est pas un défi, juste une question de générosité, et puis d’énergie, de santé, de colère. La force me venait de l’écriture elle-même. Je ne suis pas du genre à vivre avec mes personnages. L’un chasse l’autre. "
Ce qui s'inscrit tout-à-fait dans notre thème "la Vie en noir"...

Voir aussi, sur régis Jauffret, les Notes de lecture et d'écriture du 04/04/07

Jeudi 12 avril 2007 :

Et voici déjà notre dernière séance ! Notre "Vie en Noir" se termine dans une étuve : il fait chaud et les salles annexes de la bibliothèque sont stupidement conçue comme une serre, sans climatisation bien sûr... On devrait obliger l'architecte lauréat du marché de ces bâtiments admistratifs néo-futuristes à habiter un an ici !
Bref, nous pous retrouverons dehors sur les bancs et au grand air pour écrire nos derniers textes...

Au menu, une partie théorique basée sur la réécriture avec le très bel exemple des deux textes de Camus, La Mort heureuse et L'étranger, que l'on trouvera en Notes d'écriture du 20/12/2006

Et pour la partie qui va nous conduire à écrire, j'ai pensé que l'humour cloturerait bien cette Vie en Noir. Je propose donc un maître en la matière en la personne de René Fallet qui plaît beaucoup en ce jour de printemps.
Il faut dire que quand, comme René Fallet, on est capable d'écrire ce qui suit, l'écriture en est comme facilitée...

" C'était une petite fille blonde avec des yeux de porcelaine qui conservaient l'enfant comme un oiseau entre les mains. "

" Au ciel de fin janvier montait comme étouffées les fumées du quartier avec leurs pauvres gestes de feuilles mortes " - Banlieue Sud Est -,

" L'aventure commençait, on se sentait l'âme comme un rideau à fleurs " - Le Braconnier de Dieu-...

" je voudrais une tombe avec un numéro dans le dos comme un joueur de hockey, sans fleur ni larmes et que la Toussaint se mue en 14 Juillet "-Carnets de jeunesse

" Et sur ces paroles, le Christ s'éleva avec la majesté d'une fusée à Cap Carnaveral. Baboulot et Quatresous suivirent du regard, impressionnés, cette Ascension qui n'était pas sans rappeler celle, fulgurante, de Fausto Coppi durant le Tour de France de 1952. - le Braconnier de Dieu

" Mère Pampine, posée sur paillasson comme un caca de dinosaure, comme un monticule de tripaille dans un recoin d'abattoir, une méduse ballottée là par une marée prosaïque " Paris au mois d'août -

" dans son arrière-boutique, la fleuriste cultivait des arrières pensées " - Le Triporteur

En complément, pour les inconditionnels de René Fallet : page spécial sur le musée de René Fallet sur ce site...

et quelques Notes d'écriture du 08/02/2006 : car il faut s'attendre à tout de la part d'un auteur capable d'écrire que " La littérature se pratique tantôt avec les mains, tantôt avec les pieds. On dit aussi : embrasser la littérature ou faire des pieds et des mains… "

 

Merci à toutes pour vos participations dynamiques et bonnes continuations dans tous vos projets estudiantins et autres !