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Notes d'écriture 2023
Quel bilan tirer dune année décrivain ? Quel
regard en arrière glisser sur les douze mois précédents ? Pas de publication cette
année, et limpression dun long temps casanier qui va avec. Le 4 janvier, dans
cette même rubrique, je notais seulement 3 ans vierge de tout travail éditorial, 2003,
2006 et 2013. Jy rajoute donc 2023, ce qui est finalement peu en 23 ans de
publication. Jai noté aussi comme perspective des prochains mois dans ce même
article la sortie de ladaptation dIls désertent au cinéma.
Ce fût chose faite en mai, accouchement difficile du film Lhomme debout, parce que certains ny croyaient pas
(tout de même, un film accepté par Jacques Gamblin et Zita Hanrot !). Mais je sais
gré à la réalisatrice Florence Vignon de mavoir embarqué dans les aléas
improvisés le plus souvent de cette sortie cinématographique. Au final, il reste de
beaucoup de belles choses, rencontres, lieux nouveaux, amitiés et tellement de
rires ! Tout ça devrait se prolonger en 2024.
Côté écriture, jai continué dans les trous mon roman J. Je lai
terminé en juillet, corrigé en septembre, distribué en novembre avant de le lâcher à
mon éditeur en titre la semaine dernière. Raconté comme cela, ça fait un peu
dilettante, mais cest tout le contraire, tout est mûrement réfléchi. Il pourrait
y avoir une suite à J. Je pourrais aussi commencer un nouvelle histoire
généalogique au vu de recherches récentes partagées avec mes cousins, nos familles
sont des romans, comme chacun sait.
Voilà pour le bilan. Y ajouter aussi tout ce qui a trait au statut décrivain,
animation dateliers décriture, participation au jury du festival de
lécrit. Dans lagenda, cela représente au total 23 rendez-vous pour 2023,
dans la moyenne des années précédentes.
(21/12/2023)
Le dialogue, encore, obsède mes réflexions littéraires. En
premier lieu, sa reconnaissance typographique (tirets, guillemets) organise chez le
lecteur un changement inconscient de paradigme immédiat. Mais depuis quand avons-nous
adopté ces règles dimprimerie ?
La réponse, en réalité, a peu dimportance, ce qui compte, ce sont les
générations de lecteurs, cest-à-dire, nos pères, mères, grands-parents,
arrière-grands-parents, qui ont perçu ces règles, et nous ont transmis laspect
romanesque qui en découle.
Jai la chance de compter dans ma bibliothèque quelques grands noms de cet âge
dor du roman que le XIXème siècle a révélé. Par exemple, dans lordre
chronologique, Lélia, de George Sand, édition de 1854, illustré par son propre
fils, Maurice Sand, La Reine Margot, dAlexandre Dumas, édition de 1860, et Mathias
Sandorf, de Jules Verne, en édition originale de 1885.
Premier constat, les règles typographiques du dialogue sont déjà en vigueur. Lélia
souvre sur un dialogue intérieur, facilement reconnaissable, qui saffranchit
dune ponctuation particulière. De la même manière, pour La Reine Margot le
rythme des dialogues est vif et renouvelé, ceux-ci sont théâtralisé, et
lintrigue est renforcée par les illustrations, lensemble est dans la veine du
romantisme de lépoque et laffirmation des sentiments individuels. Jules Verne
et le roman daventure Mathias Sandorf, dans la belle édition Hetzel, est
dun abord plus facile : la pagination resserrée sur 2 colonnes, qui prévalait
pour Lélia et La Reine Margot, sétale en pleine page avec des
interlignes conséquents. Les dialogues obéissent aux mêmes règles typographiques
toujours en vigueur de nos jours. Là aussi, les illustrations permettent au lecteur
dêtre en quelque sorte « guidé » vers la représentation imaginaire.
Nota : pour ces trois livres (ça doit être vrai pour tous ceux de la même
époque), chaque illustration est accompagnée par une phrase du roman, dont la pagination
est citée, permettant de relier limage et le texte.
La persistance des gravures est dans la suite de la littérature de colportage du siècle
précédent, destiné aux classes populaires peu lettrées. Au fur et à mesure que
linstruction publique progresse (Jules Ferry, années 1880), lhabitude des
illustrations va séteindre (ou être remplacé plus tard par le roman-photo style Intimité,
Confidence ou Nous deux) ou se réserver à la littérature jeunesse.
Bref, lorsque je sors de cette littérature jeunesse, les exercices obligés du collège
et du lycée ne me convainquent guère. Les illustrations qui me faisaient rêver (Les
enfants du capitaine Grant, de Jules Verne, offert par ma grand-mère en 1966, grande
édition Hachette) se réduisent désormais à un dessin de couverture généralement
moche et peu expressif. Reste lévasion des dialogues dans les forêts de pages
couvertes de signes dimprimerie, la petite récréation du tiret ou des guillemets.
Mais, par exemple, pour Le rouge et le noir de Stendhal, souvenir de
linterminable longueur de texte avant que ce ballot de Julien Sorel ose prendre la
main de Madame de Rênal, enfin magnifié par une parole isolée de cette dernière, lui
abandonnant sa main. Souvenir aussi de mes premières lectures de Dix heures et demie
du soir en été, de Marguerite Duras, où jai tenté de décortiquer la
manière dont le texte sélabore : lincipit commence par un dialogue
génial qui nous projette immédiatement dans lhistoire et ses personnages :
« Paestra, cest le nom. Rodrigo Paestra.
Rodrigo Paestra.
Oui. Et celui quil a tué, cest Perez. Toni Perez.
Sur la place, deux policier passent sous la pluie.
A quelle heure il a tué Perez ? »
Voilà, lintrigue est lancée grâce au dialogue, et de quelle manière ! Une
universitaire, Madeleine Borgomano, sest penchée sur Le dialogue dans
luvre de Marguerite Duras. Elle précise que « donner la
prééminence au dialogue, cest renoncer à placer le récit sous lautorité
dun narrateur », ce qui correspondait bien alors à léthique générale
du Nouveau roman.
Cependant, dune manière générale, la critique universitaire relate peu
limportance des dialogues dans la littérature. Du côté dun linguiste
éminent comme Gérard Genette, peu de choses, pourtant, celui qui a écrit Seuils et
qui relate en détail les habitudes des écrivains me paraissait le mieux placé. Dans Figures
III, lorsquil évoque le « récit de paroles », il fait surtout
référence au « monologue intérieur », mais curieusement, il ignore les
véritables dialogues avec leurs strates typographiques. Idem pour Figures II, dans
lequel il distingue narration et description, la narration englobant « par
défaut » les dialogues, mais Jean Genette balaie dun revers de main la
spécificité, argumentant que description et narration « mettent en jeu les mêmes
ressources du langage », ce qui est très imprécis dans la mise en page même
dun dialogue. Idem pour Henri Mitterand qui ne distingue pas vraiment la
spécificité du dialogue dans Le regard et le signe (on aurait pu le croire avec
titre pareil), préférant sattacher à ce que veulent dire les écrivains (en
loccurrence Zola, Flaubert), mais pas ce que ressentent les lecteurs à la lecture
de romans composés pour une grande part de dialogues. Du côté de Roland Barthes, peu de
spécificités non plus concernant le rapport à la parole des personnages, des ouvrages
pourtant prometteurs comme Littérature et réalité ou Le plaisir du texte semblent
botter en touche. Idem pour Milan Kundera dans Lart du roman qui répond
très évasivement : « Rendre un personnage « vivant » signifie
aller jusquau bout de quelques situations, quelques motifs, voire de quelques mots
dont il est pétri : rien de plus ». Bigre !
Cette chape de plomb de la critique intellectuelle pose question : division initiale
entre une littérature populaire et une autre plus élitiste ? Dans son ouvrage Le
dialogue romanesque : essai de typologie, Sylvie Durrer, professeur à
luniversité de Zurich, a tendance à le penser : loralité est un
« interdit décriture » et apporte à la littérature, vécue comme
exercice dembellissement de la langue, une « dégénérescence du
littéraire ». Elle cite par ailleurs Maurice Blanchot, autre théoricien français,
qui stipule que « dans les romans, la part dite dialoguée est lexpression de
la paresse et de la routine
/
une économie et un repos (pour lauteur,
plus encore que pour le lecteur). »
Ainsi la critique française demeure sélective : elle sattache à décortiquer
essentiellement les intentions préalables des auteurs, renforçant le mythe du
« grantécrivain », mais reléguant à son ignorance le lecteur lambda.
Et moi, dans cette histoire, je fais quoi avec les participants de mes ateliers
décriture ? Je passe sous silence la part dialoguée de lécriture, de
plus en plus présente à travers médias, réseaux sociaux ? Je leur explique
quils sont tous nuls de ne rien comprendre à la littérature classique ? Je
passe sous silence lincipit cité plus haut de Duras ? le théâtre de
Molière ? de Beckett ?
(08/12/2023)
La semaine dernière jai évoqué la question du dialogue
que jai un peu plus fouillé lors des retouches du premier jet de J. Il
sagissait principalement dune simple mise en forme selon les canons
typographique du genre : bien identifier les prises de paroles des personnages à
laide de tirets cadratins, de guillemets, de locutions du genre « dit-il »
etc. Lorsque jai écrit le premier jet, je me suis peu soucié de
différencier dialogues et descriptions. Lensemble constitue à mes yeux un tout
insécable dans lequel lhistoire avance.
Mais entreprendre ce travail ma fait prendre conscience de la singularité des
dialogues, de lirruption quasi-cutanée du langage comme un bouton au milieu de la
figure du texte. La prise de paroles soudaine dun personnage provoque dabord
un indéniable « effet de réel » (comme disait Roland Barthes). Au sein
dune fiction dont le lecteur perçoit tous les signes, lambiance, le décor,
linsertion du dialogue semble doter lintrigue dune accélération
nouvelle. Le personnage, jusque-là muet, prenant corps jusqualors dans un cadre
spatial, cette fois-ci « prends langue ». Le rapport à lespace se
modifie : la description est suspendue et une brèche temporelle souvre. En
effet, le moment dune phrase dite, dune suite de répliques projette le récit
dans un immédiat où la vitesse de lecture coïncide avec la vitesse de déroulement de
laction. Autant jusqualors cette vitesse de lhistoire pouvait connaître
des accélérations soudaines (par exemple avec une phrase du genre : « Il passa les
dix années suivantes assis au coin du feu auprès de son chat »), autant ici,
cest le dialogue qui impose son tempo. Tempo qui peut dailleurs être ralenti
à volonté par lauteur, sil intercale entre chaque réplique des éléments
descriptifs, psychologiques concernant les locuteurs (genre « en disant cela, il se
tournait vers la fenêtre
etc »). Par exemple, cest le cas poussé à
lextrême chez Proust qui passe au crible les phrases prononcées dans des
disgressions incroyables, de tel manière quune simple répartie qui a duré une
seconde est reprise pendant dix ou vingt pages.
Le regard du lecteur est ainsi « poussé » dans ces impressions par le simple
truchement des signes annonciateurs du dialogue (tirets, guillemets), de telle sorte
quinconsciemment il appréhende toute sa particularité inhérente (effet de réel,
projection dans la faille temporelle, modification de la narration, du narrateur,
irruption brutale du lecteur dans la scène parlée
). Ce bouleversement de la
lecture nest pas rien. Je men suis aperçu récemment en reprenant le thème
des dialogues dans des ateliers décriture : 5 séances et une centaine de
participants différents, de quoi me faire une idée précise de notre rapport à la
perception des dialogues, ainsi que de la difficulté de vouloir saffranchir des
codes typographiques qui façonnent la lecture de la chose parlée depuis des
générations. Dautant plus que les évolutions récentes de lécriture
nont pas aboli cette singularité : au théâtre et à sa donne antique,
parfaite pour exacerber les dialogues, succèdent maintenant la BD, et depuis peu les SMS,
WhatsApp et autres réseaux sociaux qui rebattent les cartes avec dautres
particularités typographiques (bulles de BD, smileys
).
A suivre
(04/12/2023)
Les retouches de J datent déjà de 2 mois. Je nai
jamais été fan des relectures du premier jet, ou plutôt les scories et diverses
rectifications du texte tout juste terminé sépuisent au fur et à mesure dans les
enregistrements successifs du format numérique. Je nécris pas à la plume. Depuis
mes toutes premiers essais, le traitement de texte sest imposé à moi, je trouve
cela pratique, simple, je ne suis pas un fétichiste de lécriture cursive et
mindiffèrent les postures de lécrivain penché sur sa table « de
peine » (dixit Bergounioux). Avec un peu de méthode, je suis arrivé à perdre peu
denregistrements avec lordi et je nai pas la hantise de la feuille
égarée. Donc, lorsque le texte est terminé, je nai pas pour habitude de laisser
reposer le machin en question, je lenvoie aussitôt à mon éditeur. Jusquici,
jai eu la chance dune édition rapide, avec peu de corrections vraiment
importantes. Aussi généralement quelques mois séparent la remise du texte et sa
publication.
Pour J, alors que le texte était fini en juillet (voir cette même rubrique du
23/08/2024), le contact avec mon éditeur ma fait entrevoir une publication au plus
tôt pour la rentrée littéraire de septembre 2024. Du coup, rien ne pressait vraiment et
je me suis attelé à une relecture attentionnée, plusieurs passes, chapitres,
paragraphes et mots tamisés un à un. Mais cest plutôt lexpression de
« retouches » qui me vient à lesprit, je vois J comme un tissu
dont il faudrait reprendre quelques imperfections, parfaire une boutonnière, bâtir,
coudre, assembler (mon arrière-grand-père paternel était tailleur, quelques onces de
cette hérédité ont dû parvenir jusquà moi).
Par exemple les dialogues : je nai jamais été un puriste de la ponctuation,
mais force est de constater quun dialogue sinsère dans un texte à grands
renforts de « deux points, ouvrez les guillemets », de réparties annoncées
par des « répond-il », « dit-il », « continue-t-il »,
de répliques introduites par de grands tirets (attention, pas nimporte lequel, pas
celui sous le « 6 », mais le tiret cadratin, spécifique et plus long). Toute
cette organisation sinsère dans la normalité dun texte et aide le lecteur à
la reconnaissance de ces conciliabules.
Jusquici, cette fastidieuse démarcation mennuyait, ou plutôt jétais
partisan (je le suis toujours dans une certaine mesure) de laisser lapparition des
dialogues dans le texte sans véritables règles, sur le même plan que les descriptions,
les réflexions intérieures, tout ce qui constitue « le bruit de fond » du
livre en projet. Mais ici, sans dévoiler le sujet de J, toute lhistoire de
ce roman tend vers une confrontation finale, théâtrale, dans laquelle lessentiel
est constitué dune joute verbale, ripostes, polémiques, bref de dialogues. Il me
fallait donc revoir la structure quasi-physique du texte, retoucher à la broderie de J.
Je marrête ici car le sujet des dialogues mérite à lui seul une prochaine
note décriture pour compléter le sujet.
(23/11/2023)
Les à-côtés de lécriture ou, autrement dit, les
affairements qui prolongent le statut décrivain, sont nombreux pour moi.
Certains auteurs - jen connais- sont peu attirés par la vie sociétale provoquée
par la publication. Certains déclinent toutes rencontres, non par désintérêt, plutôt
mus par la peur diffuse de se retrouver sur la sellette, de devoir expliquer ce qui se
passe dans lombre de leur création. Dautres ont peu dappétence pour
les animations quasi-sociales que les ateliers décriture proposent par exemple.
Ce nest pas mon cas, je dirai même que, plus le temps avance, plus je suis
persuadé que ces facettes, ces écritures en marges, sont essentielles pour moi.
Ateliers décriture : par excellence, cette mission est dévolue aux
écrivains. Pour certains qui ont choisi de se vouer entièrement aux Lettres, cest
même parfois leur source principale de rémunération (chacun sait que les droits
dauteurs ne nourrissent quune part infime des auteurs). La
professionnalisation de ces activités « annexes » sest amplifiée ces
dernières années et lensemble de la filière du livre respecte désormais les
préconisations en matière de tarifs de rémunération, de modalités salariales, SIRET
ou salariat
etc.
Jai expérimenté les ateliers
décriture dès 2004, emporté par lexcellent exemple de François Bon (cf
Tous les mots sont adultes, une bible pour qui veut se lancer). A cette époque, je
venais de reprendre des études de Lettres, javais une disponibilité de 2 fois 6
mois répartis sur 2 ans, jai voulu vérifier si je pouvais effectivement vivre de
mon statut décrivain. Et puis jai repris mon métier chez les télécomiques
et ces expériences nont repris que 10 ans plus tard, à Dunkerque avec lami
Alain Delatour, autour de notre projet Instants Handball, suivi dautres
ateliers ponctuels dans le cadre du projet « Écrire le travail », en
partenariat avec lacadémie de Versailles.
Le goût pour le partage de lécriture mest ainsi revenu : lycéens à
Charleville, migrants dans ma ville
etc. Depuis 2019, avec ma thèse de doctorat
terminée fin 2017 et qui marque la fin de ma reprise détudes, avec les
télécomiques qui ont fini par me mettre en retraite, je meuble ainsi quelques journées,
notamment avec lassociation dalphabétisation Initiales. Ceci pour mon
plus grand plaisir : en effet, en intervenant pour des publics quon dit
éloignés de toute culture, handicapés, migrants, usagers de services sociaux,
prisonniers (depuis peu), je me
sens pleinement à ma place. Ecrire dans des ateliers de prestige pour un public lettré
(je saurais parfaitement faire et plutôt bien même) ne mintéresse pas
actuellement.
Jai ainsi professionnalisé cette activité (ce qui fait que je ne suis pas en
retraite contrairement à ce que certains pensent), je me suis doté dun SIRET, les
différents contacts ont agrandi mon réseau (comme disent les cadres et chefs
dentreprise,) bref, je suis sollicité assez fréquemment, jai déjà mené 16
ateliers, deux autres sont programmés, sans compter les interventions diverses
quinduisent ces types de rencontre.
Hormis les intéressés, participants, associations et structures partenaires, qui
sintéresse à tous ces à-côtés de lécriture ? Personne dans le monde
des lettres si on se limite à la filière stricte du livre
auteurs/éditeurs/libraires
Juvre dans la plus parfaite indifférence
(jaurais tout de même rencontré plus de 500 personnes cette année en tant que
président du jury dun Festival de lécrit dont on fêtait la 27ème
édition). Lorsque jévoque cela dans ma sphère éditoriale, je maperçois de
létanchéité de cette activité. Cest dommage pourtant quon ne puisse
valoriser ces « à-côtés » : 10 exemplaires de mon roman Yougoslave ont
été offerts à des détenus, qui sen soucie ? Le film tiré dIls
désertent est resté anecdotique par paresse et manque dimplication. Ces
exemples sont en regard de cette indifférence pour la seule année 2023. Chaque année,
je programme une vingtaine de rendez-vous, sans que le petit monde des Lettres soit au
courant. Pourtant, cest bien cette vie souterraine, celle des associations, des
bibliothèques, des collèges, des lycées qui diffuse la lecture et lappétit pour
la chose littéraire.
(10/11/2023)
Comme dhabitude, le manuscrit en cours est affublé
dun nom de code, correspondant plus ou moins au titre qui sera retenu par
léditeur. Par exemple, jai ainsi commis VPAR (Vie prolongée
dArthur Rimbaud) en 2016, Y (Yougoslave) en 2020 ou encore DT
(Dernier travail) en 2022. Le nouveau sappelle J et le titre sera
dévoilé au moment où lédition sera annoncée.
En attendant, jai terminé le premier jet, comme on dit. Je tenais à ce quil
soit fini juste avant de partir en Colombie. Ce fut chose faite lundi 24 juillet et
jai décollé pour lAmérique Latine deux jours plus tard. Jai emporté
une version PDF sur lIpad, mais javoue que je nai pas beaucoup avancé
dans la relecture. Il y a mieux à faire en voyage et notre programme était dense.
Ceci dit, jai du temps devant moi : mon éditeur le prévoit au mieux en
septembre 2024 et je voudrais vraiment (une fois nest pas coutume) reprendre en
détail ce que jai écrit.
Jai commencé à écrire J pendant mes vacances dans les Pouilles, dans un
« trullo », vers Martina Franca en août 2022. Il ma donc fallu un an
pour le finir. Cest assez lent. Je garde de la rédaction une impression de longueur
avec parfois de longues semaines sans rédiger une seule ligne. Mais en même temps, pas
dangoisse de la page blanche. Il me semble que jai su assez tôt comment je
voulais my prendre et je suis resté fidèle à cette ligne de conduite. Le texte
est construit en deux parties que je désirais égales en longueur. Cest ce qui
sest passé.
Les derniers jours, il est vrai, jappréhendais un peu de terminer cette histoire,
dont la fin est bousculée, mais justement, limprévisibilité de celle-ci
(suspense
) ma obligé à détailler plus en profondeur ce dénouement, mes
soirées ont donc été denses pour terminer le livre. Je suis assez content du résultat,
du moins au point de vue de la longueur (la qualité du texte demeure pour moi un
mystère impossible à appréhender) : la première partie compte 25 chapitres et la
deuxième 26, chacune comptant à peu près 150 pages. 300 pages au total donc, ce qui me
paraît une bonne taille pour un roman (Dernier travail compte 255 pages).
Il est peu probable que lensemble change de façon notable. Jai déjà entrevu
des corrections, des précisions. Je vais my mettre tranquillement et cest
peut-être lesprit qui a prévalu dans toute cette écriture : je garderai le
souvenir dun livre rédigé sans histoire, ce qui est un comble pour un
romancier !
(23/08/2023)
Juillet vient à peine de commencer mais je pense à la rentrée, déjà.
Je nai pas vu le temps passer et la sortie au cinéma de Lhomme debout maura
accaparé pendant trois mois de printemps. Le film vit ses derniers feux au cinéma. Nous
avons fêté ces ultimes séances par une projection-débat au Chaplin Saint-Lambert à
Paris la semaine dernière. Grand plaisir de retrouver Florence Vignon, la réalisatrice,
avec qui jaurai formé un tandem formidable. Grand plaisir aussi de revoir Côme
Aguiar, lauteur de la superbe musique qui accompagne le film, ainsi que
lactrice, Tatiana Goussef, qui joue avec talent Odile, la comptable de
lentreprise de papiers peints. Laventure aura été belle et les 25 000
entrées sont dues au travail acharné de toute cette belle équipe qui a défendu le film
contre vents et marées. Dailleurs le combat continue dans ladversité :
pas de DVD de prévu par la production, mais on envisage une parution quand même. Pas de
réédition dIls désertent en poche (avec une belle photo du film, ça
aurait été chouette), même si les libraires me disent que mon roman est introuvable en
petit format. Ajoutons à cela que jai prêté tous mes exemplaires dauteurs
à une librairie et quil reste 80 exemplaires seulement en édition grand format.
Les temps sont durs côté édition aussi
Mais il est temps de passer à autre chose, ou plutôt de continuer ce qui était déjà
engagé. Les ateliers décriture sont terminés, et je me suis retrouvé président
du jury du Festival de lécrit avec plus de 300 textes à lire et à choisir
pour le recueil qui sera édité par Initiales. Jai prévu de participer aux cinq
restitutions de ce festival, organisées en octobre dans chaque département participant
de notre Grand Est. Ce sera encore la course, mais cest pour moi un acte important,
militant, dinciter les publics éloignés, comme on dit, à lécriture.
Reste ma propre écriture et le roman J à terminer, avant septembre
jespère.
Reste tous les autres projets, les activités familiales, amicales, vacancières,
associatives qui remplissent déjà le calendrier, alors oui, la rentrée est là !
(07/07/2023)
Donc, Lhomme debout, en prolongement
cinématographique dIls désertent, a récolté sa part de louanges et de
diatribes. Ce qui me surprend par rapport à la littérature, cest la manière
différente dont se manifeste la critique. Alors quune rentrée littéraire
sétale sur 2 ou 3 mois, tout semble se jouer (pour la critique professionnelle)
dans la semaine où un film sort sur les écrans. Il faut dire que la vie
cinématographique sévalue en 2 ou 3 semaines (pour les films à petits budget, ne
parlons pas des superproductions). Autre différence, par rapport à la littérature, me
semble-t-il, cest limportance de certains médias et la manière dont ils
tirent à vue sur les films qui sortent (parfois on se demande sils ont été
regardés : certains papiers se trompent dacteurs, voire
dintrigues
)
Dans les critiques négatives pour Lhomme debout, citons Télérama : «
le film, adapté dun roman de Thierry Beinstingel, savère trop
écrit » ; Le Monde : « (la réalisatrice) vide son film de toute
substance politique, préférant sépancher avec mélancolie sur cette vieille
France des PME qui aime prendre son temps à la pause déjeuner. ».
Autant, je ne commente pas les commentaires exprimés gratuitement par les spectateurs,
autant je ne me gênerai pas envers ceux qui sont rémunérés pour le faire. Prétendre
quune adaptation dun livre est « trop écrit » est assez comique,
dune manière générale. Montrer la « vieille France des PME » pourrait
également être amusant si un ton méprisant, voire injurieux, ne sy cachait pas
derrière, avec une méconnaissance totale de la province, surtout quand on rajoute que
cette bonne vieille « France des territoires » (comme on dit maintenant)
« aime prendre son temps à la pause déjeuner ». Halte aux cadences
infernales, a-t-on envie de répondre, ce qui entre en contradiction avec un film qui,
paraît-il, est vidé de toute substance politique. Cest drôle, ce nest pas
ce que les articles de LHumanité ou de la Nouvelle Vie Ouvrière en disent
Pauvre petit monde de critiques professionnels dont la vue étroite est toujours
dépassée par les films quils maltraitent. Il paraît que Michel Blanc tient en
grande estime le fait de se « prendre Libé sur la gueule » ou dêtre
vilipendé par Télérama, cela prouve la qualité intrinsèque dun long métrage.
Je connais aussi beaucoup damis qui courent voir les films estampillés « à
éviter » par ces médias, sûrs dy trouver un intérêt.
Autant Babelio récolte en partie
les critiques des livres, autant ici cest AlloCiné qui joue ce rôle (mais dune manière un peu bizarre.
Les excellentes critiques de Lofficiel des spectacles ou de Ciné Série ne sont pas recensées et la façon dont les notes
sont agglomérées est assez obscure : les critiques des spectateurs plafonnent à
2,7 sur 5 alors que 46 commentaires argumentés donnent une moyenne de 3,7
).
En fait, que ce soit pour le livre ou le film, on voit bien que deux « idées de la
France » saffrontent, lune citadine et lautre provinciale. Or,
jai écrit Ils désertent dans ce monde où je vis, le seul que je connaisse,
celui que le sociologue Benoît Coquard nomme « les campagnes en déclin » (Étonnements et Notes décriture du 11/07/2020), et reprocher au film ou au
livre ce quil nest pas (ou ce quon voudrait quil soit) est hors
sujet.
Comme le dit un lecteur dIls désertent : « ce roman est aussi un
hommage aux commerces de Province (Jean-Pierre PERNAUD sort de ce corps !!!), à la vie
sur les routes et dans les hôtels, à la réussite sociale... En fait, c'est un
livre sur nous, notre époque dans ce qu'elle a de bon et aussi de moins bon. ».
Idem pour le film Lhomme debout, je ne résiste pas à citer en intégralité
le commentaire dun spectateur :
« Dans le film de Florence Vignon, il n'y a pas de coup de feu, pas de cascade, pas
d'explosion ni d'effets spéciaux, il n'y a même pas une scène d'amour, un sein
dévoilé, deux bouches qui se mêlent. On pourrait craindre de s'y emmerder tant ces
ingrédients sont comme des passages obligés du cinéma et s'il n'y a pas ça, alors qu'y
a-t-il ? Un film où l'on est avec les personnages, des personnages dans lesquels nous
nous reconnaissons, qui nous parlent de nous, de nos corruptions souterraines, de nos
humiliations acceptées, de nos révoltes repoussées. C'est une histoire simple, comme
dit Sautet, mais ici avec un décalage à la Blier où on rit souvent, avant d'être
emporté par l'émotion. C'est fascinant comme le cinéma se préoccupe de réalisme quand
il met en scène des fusillades et des explosions immenses, alors même que nous n'en
croisons presque jamais, avec cette obsession de vouloir faire croire au spectateur que
c'est VRAI, c'est à dire réel. Le cinéma de Florence Vignon est tout à l'inverse. Il
ne se préoccupe pas de montrer le réel à l'identique (ce qui malgré ce que l'on veut
nous faire croire, est impossible, et absurde) mais de le montrer tel qu'elle le voit, le
ressent, avec ses couleurs et ses cadres à elle, avec son regard, cette chose qui manque
si cruellement au cinéma qui se veut imiter le réel. Et c'est justement pour cela qu'il
touche si fort, si intimement, sans avoir besoin de sortir les armes de la violence
physique et des désirs sexuels. Juste nous raconter à travers deux parcours ordinaires
(mais qui grâce à ce regard sont extraordinaires) des combats ordinaires (mais qui
grâce à ce regard nous paraissent soudain essentiels). Et qui posent toujours la même
éternelle question : face à la violence du pouvoir, (ou du capitalisme) doit on se
soumettre jusqu'à se nier, ou faut-il dire non, résister, se révolter au risque de tout
perdre ? La réponse des personnages nous emplit de joie et d'émotion, lorsqu'ils
finissent par faire ce qu'au fond nous ne sommes guère capables, nous simples
humains. »
Ça, cest une opinion ! Et gratuite en plus. Je propose que Le Monde rémunère
de vrais spectateurs pour faire le boulot de leurs faux journalistes condescendants. Un
jour jécrirai un pamphlet « Le cinéma à lestomac », en
prolongement de « La littérature à lestomac » de Julien Gracq (en Note
de lecture).
(09/06/2023)
Lhomme debout (voir épisodes 1 et 2 publiés les 2
et 24 mars 2023) est désormais sur les écrans depuis le 17 mai. Le film est encore
disponible dans une centaine de salles pour près de 300 séances. Le bilan des quinze
premiers jours est inespéré : 20 000 entrées.
En réalité, cest très peu pour un film. Car la sortie aura tout de même connu
bien des difficultés : désintéressement manifeste du producteur, abandon des
distributeurs potentiels et suppression unilatérale du budget destiné aux projections
(plusieurs centaines de milliers deuros rayé dun trait de plume). A titre
indicatif, le budget total du film est au départ minuscule, à comparer avec celui 30
fois plus important que Jeanne du Barry
Bref, on sest retrouvé au 36ème dessous à un mois de la sortie, sans
argent, ni perspectives.
Mais la réalisatrice, Florence Vignon, a remué ciel et terre, et Orange studio, en
charge du film, a monté en catastrophe une petite équipe avec quasiment aucun moyen pour
assurer une sortie minimale à Lhomme debout. Rendons hommage à ce
revirement inattendu : en un mois, la petite équipe aura réussi à entrainer les
salles indépendantes, repères des vrais cinéphiles, et quelques chaines de majors ont
suivi, UGC, Pathé Gaumont, CGR, MK2, histoire de ne pas louper le coche.
Quant à moi, jai tenté comme jai pu de venir en aide et dêtre
présent si possible pour défendre Lhomme debout.
Et le mot « défendre » nest pas de trop : jaurai au
moins appris dans cette histoire que les avis sont tranchés. Deux opinions semblent
irréconciliables à travers la presse et les critiques des spectateurs. Mais cela nous
entrainerait trop loin, cela fera lobjet dune future note décriture
sans doute
(03/06/2023)
Le Croisic : ce lieu est repère de la famille de Claude
Chabrol qui y possédait une maison. Le réalisateur nous a quitté depuis 13 ans, mais
son épouse et ses enfants y viennent toujours. Ainsi, cest par
lintermédiaire de Thomas Chabrol (qui tient un rôle dans Lhomme debout)
que Florence Vignon a pu proposer une avant-première dans cette ville. Le cinéma
associatif Le Hublot fêtait ce week-end ses 30 ans dexistence, la
programmation était ainsi toute trouvée. De fil en aiguille, la librairie Les
Cerfs-Volants, ouverte depuis à peine 6 mois, sest associée à
lévènement : Cécile Maistre-Chabrol a dédicacé jeudi 13 avril son récit Torremolinos
où elle raconte son parcours denfant de la balle, et samedi, jy ai présenté
Ils désertent en compagnie de Florence Vignon.
Le lendemain, très belle journée également, avec trois films programmés pour
lanniversaire du cinéma, et nous avons pu admirer, avant notre avant-première, Empire
of light, merveilleux film de Sam Mendes, magistralement interprété par Olivia
Colman. Laction se passe dans un cinéma de bord de mer, exactement comme au
Croisic !
Faire son cinéma, donc, lexpression aura été multiforme ce week-end. Faire son
cinéma et raconter sa vie, lhistoire du livre et du film Lhomme
debout ; faire son cinéma et côtoyer ceux qui lont fait, ceux qui continuent
de le faire dans tous les métiers, du bénévole au comédien, du projectionniste à la
réalisatrice. Faire son cinéma, soirée et dîner avec Jacques Gamblin : se
souvenir dun article
de Madame Figaro où Bernard Quiriny le voyait interpréter le VRP dIls
désertent onze ans auparavant.
Faire son cinéma : jai longtemps estimé nêtre quun spectateur lambda.
Peu assidu aux salles obscures, jaime « faire un film » à mes
interlocuteurs en racontant que Titanic doit être un des derniers que jai
vu. Cette plaisanterie nest pas exacte bien-sûr, mais la programmation dans ma
ville me donne rarement envie. Dune manière générale, entre les blockbusters et
les comédies franchouillardes, jy trouve rarement mon compte. Pourtant, je suis
« bon public », enfin, je me définis comme tel, capable de plonger dans les
images dès la première minute, parfois de verser une larme ; jestime avoir
des goûts éclectiques.
Dans mes premiers émois cinématographiques, figure Rêve de singe, le film
onirique de Marco Ferreri qui réunissait étonnamment Gérard Depardieu et Marcello
Mastroianni. Je lai vu à sa sortie en 1978 avec une amie, nous avions vingt ans
(devenue infirmière, elle a tragiquement disparu plus tard dans une mission humanitaire).
Quelques mois après, alors que je me morfondais à Paris, javais ressenti un
incroyable dépaysement et une grande quiétude après la projection du film de Mizoguchi,
Les contes de la lune vague après la pluie. Là encore, souvenir
particulier : cétait au Lucernaire, aucune ouvreuse navait guidé mes
pas vers la petite salle où nous nétions quune poignée de spectateurs. Dans
la quasi-obscurité, javais entendu une petite musique derrière une porte,
javais cru que cétait là
et je métais retrouvé sur une scène,
en face dune violoniste qui donnait un concert. Évidemment, la porte avait claqué
lorsque je men étais retourné discrètement.
De là, peut-être, vient ma passion pour les films asiatiques (et pour la violoniste
qui partage ma vie) : jai ainsi vu dernièrement et beaucoup aimé Asako, Séjour
dans les monts Fuchun, So long my son. Mais d'autres cinémas d'ailleurs
m'attirent : j'ai découvert récemment les films d'Ida Lupino et le touchant The
Bigamist.
Bref, suis-je réellement le spectateur naïf que jaime incarner ? Je fais
mon cinéma
(21/04/2023)
Les Islettes, cest un joli nom pour ce village de 700
habitants situés en Argonne, dans la Meuse à lOuest de Verdun, tout près du
département la Marne. Il me faut une heure pour my rendre par un dédale de petites
routes, désertes et campagnardes : un vrai régal lorsque jy suis allé la
première fois le 30 mars : forêts et chants doiseaux, coucous sur les
bas-côtés, quelques fermes isolées aperçues dans la trouée dune clairière.
Je my suis rendu pour la première séance dun atelier décriture,
destiné préparer le traditionnel Festival de lécrit organisé par
lassociation Initiales. Lannée dernière, cétait à Verdun,
lannée davant à Bar-le-Duc et cette année, voici les Islettes pour un
public en situation de handicap, hébergé en foyer.
Les participants sont venus en force cette année, 12 personnes, grâce au soutien de
Francine, qui mène seule la bibliothèque du village. Et 12 personnes fragiles mais
enthousiastes, heureuses quon sintéressent à elles. Un vrai bonheur.
Latelier durera 4 séances et, comme dhabitude, je le relate dès à présent
dans une page spéciale dévolue à la
rubrique Ateliers décriture :
découvrez les 2 premières séances !
(14/04/2023)
Lhomme debout, suite (voir épisode précédent),
mais sûrement pas fin
Les choses avancent uniquement parce que la réalisatrice Florence Vignon est pugnace,
sinon, en labsence de distributeur, le film se résumerait à une sortie dite
« technique » dans une seule salle à Cavaillon, prévue le 17 mai prochain
(pourquoi là-bas ? mystère
) : cest la seule solution proposée par
le producteur.
Quel est ce cinéma où on se soucie si peu de la sortie dun film sur grand
écran ?
Seraient ainsi annihilées les années passées à trouver les financements, à élaborer
le scénario, à trouver les acteurs adéquats, à faire les repérages, sans omettre la
musique, le montage, la qualité des prises de vues. Seraient oubliés les moments où
lon tourne vraiment, le travail déquipe, les dizaines et dizaines de noms qui
défilent dans le générique de fin, toute lactivité débordante ce que jai
découverte lors de ma journée à Valence.
Seraient rejetés tout le travail et la passion de Florence Vignon, actrice, scénariste,
réalisatrice, 30 ans de cinéma, 3 récompenses dont 2 Césars. Seraient également
passés sous silence le rôle de VRP fatigué de Jacques Gamblin (idem, 30 ans de cinéma,
14 récompenses dont 5 Molières et 3 Césars) et le rôle de sa jeune responsable,
interprétée par Zita Hanrot (César du meilleur espoir féminin en 2016).
Cest évidemment inadmissible, un vrai scandale
Donc, nous nous agitons, surtout Florence, qui a la délicatesse de mappeler
plusieurs fois par semaine pour me tenir au courant des derniers développements. Je tente
de laider comme je peux, modeste auteur dun roman adapté, sans aucune
connaissance cinématographique. Jélabore des argumentaires, je sollicite des
cinémas, jassiste avec elle aux projections quelle arrive à dénicher toute
seule : lundi 20/3, cétait dans les locaux de la SACD à Paris, applaudissements,
enthousiasme, comme à Tours en fin d'année et et aux 7 Parnassiens le mois dernier. Le
dimanche 16 avril, ce sera au Croisic, tout le monde soudé autour du film, Florence,
Jacques Gamblin, Thomas Chabrol et moi.
Voilà : le côté glamour du cinéma nest quun leurre. Ici, cest
le métier de saltimbanque qui prime : agiter nos clochettes et faire en sorte que ce
film ne passe pas inaperçu, au sens propre.
Dans mon livre et dans ce film, cest lhistoire dun vieux VRP qui vend du
papier-peint et dune jeune responsable qui doit le convaincre de partir en retraite.
Intrigue commune, ordinaire comme notre vie même. Ordinaire en effet est ce cinéma où
on se soucie si peu de la sortie dun film sur grand écran ; singulier est le
résultat qui nous oblige à jouer nous-même, Florence Vignon et moi, les VRP pour
proposer notre
« toile ».
Quelle splendide mise en abyme ! Lexistence de ce film et son importance sociale se
justifient ainsi delles-mêmes.
(24/03/2023)
Lhomme debout : cest le titre du film
adapté de mon roman Ils désertent.
Laventure de ce film a commencé (il y a maintenant 9 ans !) sous le titre Léchappée
belle et jai eu la chance dêtre invité à une journée de tournage à
Valence, 2 ans auparavant, fin avril 2021, en pleine pandémie (voir en Notes décriture et en Webcam le 07/05/2021).
Mais le cinéma est une chose complexe et, depuis 20 mois, nous attendons la sortie de ce
film. Je dis « nous », car jai noué depuis une belle relation avec la
réalisatrice Florence
Vignon. Nous nous tenons en effet au courant très régulièrement des aléas de cette
sortie qui se fait attendre.
Pourtant tout est achevé, montage, version définitive et jai suivi avec bonheur et
attention toutes les étapes, depuis le premier visionnage en salle en mars 2022,
jusquau dernier montage du film, à sa première projection publique à Tours le 26
novembre sous le nouveau titre Lhomme debout (choisi par Florence et
moi) dans le cadre des 50 ans de la Cinémathèque Française, dans une version encore
techniquement imparfaite.
Et enfin, il y a eu le lundi 13 février dernier la toute première projection de
lultime version déposée de Lhomme debout. Pour cet évènement, nous
avons sollicité, Florence et moi, nos relations : il sagissait de remplir la salle
parisienne de 250 places des 7 parnassiens réservée à cet effet par la production. Pari
tenu ! Au jour J et à lheure idoine, jai eu le plaisir daccueillir
beaucoup damis et de connaissances (et je mexcuse de ne pas avoir été
suffisamment présent dans cette cohue
). Grand plaisir aussi à revoir Claudio et
Sylvia, universitaires turinois, passionnés de littérature et de cinéma, avec qui nous
avons passé des heures délicieuses les 2 jours précédents.
A linstant de vérité, devant toute léquipe et la plupart des acteurs, dont
Jacques Gamblin et Zita Hanrot, les personnages principaux de Lhomme debout, nous
avons retenu notre souffle, jusquà ce que quelques rires percent lobscurité
(il ne sagit pas dun film comique mais lhumour et lironie ne sont
pas exclus pour signifier lâpreté du monde du travail). Dans lombre,
furtivement, je guettais les visages et les expressions de mes voisins. Les yeux
semblaient happés par lécran, quelques sourires, aucun bâillement, ni de mines
renfrognées
Et, à la fin, les applaudissements étaient nourris !
Après, jai eu la chance déchanger avec beaucoup. Jacques Gamblin est très
heureux du résultat ; il paraît même quil considère ce film comme lun
de ses plus beaux rôles ! Tatiana Goussef, qui joue Odile, la comptable et ses
« cliquetis de colliers » (Ils désertent, p. 53) ne tarit pas
déloges sur la direction dacteurs et la perfection de tous les seconds
rôles. On vante la qualité de la prise de son, des images magnifiques sous la direction
dAurélien Marra, de la musique de Côme Aguiar, et la belle chanson de Mercedes
Sosa qui prend aux tripes (voir Pendant le week-end, de lami Piero).
Bref, ce très beau film si poétique avec tant de talents ne peut que me réjouir :
je suis un fan absolu !
Il est donc voué au succès et on me demande sans cesse quand et où le voir
sauf quaucun distributeur na pour linstant levé le petit doigt
pour le proposer en salle !
La défection dOrange Studio a réduit à néant lexistence de ce film, les
efforts de 9 années de préparation, le tournage et tout le travail dune équipe
pourtant expérimentée et talentueuse (pas moins dune dizaine de récompensés et
de nominés au César uvrent dans ce film). Cest un peu comme si vous aviez le
dernier ouvrage tant attendu de Patrick Modiano (qui a obtenu le Nobel de littérature en
2014, au moment où Florence Vignon décidait de ce film) et, que, une fois le livre
fabriqué, léditeur décidait de ne pas le vendre en librairie
INCOMPREHENSIBLE
La suite, on espère, sera plus favorable
Il faut quelle le soit !
(02/03/2023)
Jai lâme dun romancier. Et plus ma pratique
avance, plus cette tension se renforce. Dans mes premiers écrits, cette particularité a
peut-être été masquée par létiquette quon ma collée
d« écrivain du travail ». Central, Retour aux mots sauvages et
dernièrement Dernier travail ont mis en avant ma capacité à témoigner des
conditions professionnelles, à travers mon vécu notamment, ce qui fait quon a plus
retenu dans les romans que jai écrits, la partie documentaire que lapport
fictionnel.
Mais pour autant, cet apport fictionnel existe. Pour faire court, cest ma capacité
à laisser mon esprit divaguer, à inventer des personnages, des situations, bref, tout ce
qui fait lessence dun roman au sens classique.
Mes premiers livres ont cependant été marqués par ma réticence à légard des
formes traditionnelles. Jai été assez subjugué par les interrogations du Nouveau
roman, jusquà refuser de nommer mes héros de fiction principaux, comme dans Ils
désertent. Cet exemple est intéressant, car il montre les limites dune telle
exigence : pour ladaptation cinématographique (dont on va parler bientôt), il
a bien fallu les nommer.
Mais jai évolué et je ne rechigne plus à désigner les personnages qui traversent
mes récits : je bascule ainsi de plus en plus dans le côté obscur de la force
romanesque, en jeune padawan que je suis toujours.
Et justement, je me faisais la réflexion de lapport des rêves à mes romans. Comme
tout le monde, je dors et je rêve la nuit. Je fais partie de la catégorie des dormeurs
sans problème, tendance couche-tôt, lève-tôt. Me réveiller est souvent un bonheur, je
saute du lit avec entrain, surtout lorsque jai limpression davoir été
marqué par un rêve. Bien sûr, on ne se souvient pas toujours des images qui défilent
dans notre cerveau endormi. Mais certains songes nous imprègnent durablement. A force
jai fini par repérer ce qui fait mouche pendant mon sommeil. Ce sont généralement
des situations qui me donnent une impression de déjà vu. Par exemple je ressens toujours
beaucoup de satisfaction dans un rêve dans lequel je participe à une course à pied, ce
qui est assez récurrent. Quelque fois aussi je vole ou je bondis sur les toits, mais si
le mouvement me procure du contentement, les lieux que je traverse en songe sont
importants et me marquent : souvenir dun garage automobile, dune ferme
avec une charpente immense, dun hôtel gigantesque où je me perdais dans les
ascenseurs. Tous les rêves ne sont pas agréables toutefois : parfois jai un
train à prendre, ou je dois me rendre impérativement quelque part et des embûches
nombreuses mempêchent de le faire, des proches sexaspèrent de mon retard. Ce
qui est surprenant dans mes rêves, cest la logique qui englobe chacune des actions,
lapparente cohérence qui rend lensemble plausible.
Parfois, lorsque les rêves sont suffisamment puissants, on se réveille avec lenvie
de les continuer. Cest généralement au milieu de la nuit et on tente de poursuivre
laventure onirique dans un état de semi-conscience.
Souvent, on se réveille aussi à la fin dun cycle de sommeil, et on se laisse
porter par une insomnie tranquille en attendant dêtre à nouveau dans les bras de
Morphée. Cest à ce moment précis, dans cette attente sereine, que jessaie
de penser au roman en cours (J en ce moment). Je me remémore le dernier chapitre
écrit et je tente de continuer lintrigue. Ça ne fonctionne pas à tous les coups,
mais lorsque jy arrive, je suis capable les jours suivants de coucher sur le papier
tout ce que jai imaginé. Et là, plus question de témoignage ou dexpérience
personnelle à transcrire, ce que je relate est une fiction rêvée, ou un rêve de roman,
ce qui décuple encore ma sensibilité pour la fabrique de limaginaire.
Ainsi, mes romans sont inventions. Toutefois, comme pour les rêves que je fais, ils ont
lapparence du plausible, de la logique, les lieux et descriptions sont essentiels.
En fait, écrire un roman, cest mettre au clair des illusions, des reflets de nuit,
des éclats de lune.
(01/02/2023)
La réforme des retraites, cétait prévisible, menace
dêtre houleuse. A la veille où la manie française de descendre dans la rue
reprend du service, il est bon de se rappeler ce que disait Pierre Viansson-Ponté dans Le
Monde, deux mois avant Mai 68, dans un article intitulé « La France
s'ennuie », lui-même faisant référence à une expression du poète Lamartine
après la révolution de 1830, « La France est une nation qui s'ennuie ».
Avons-nous vraiment changé ? Il suffit de remplacer dans l'article Vietnam par
Ukraine, les morts au Biafra par les migrants noyés, télévision par réseaux sociaux,
ainsi apparaît, réactualisée 55 ans plus tard, les préoccupations d«une petite
France presque réduite à lHexagone ».
« Ce qui caractérise actuellement notre vie publique, cest lennui. Les
Français sennuient. Ils ne participent ni de près ni de loin aux grandes
convulsions qui secouent le monde, la guerre du Vietnam les émeut, certes, mais elle ne
les touche pas vraiment. Invités à réunir « un milliard pour le Vietnam », 20 francs
par tête, 33 francs par adulte, ils sont, après plus dun an de collectes, bien
loin du compte. Dailleurs, à lexception de quelques engagés dun côté
ou de lautre, tous, du premier dentre eux au dernier, voient cette guerre avec
les mêmes yeux, ou à peu près. Le conflit du Moyen-Orient a provoqué une petite
fièvre au début de lété dernier : la chevauchée héroïque remuait des
réactions viscérales, des sentiments et des opinions ; en six jours, laccès
était terminé.
Les guérillas dAmérique latine et leffervescence cubaine ont été, un
temps, à la mode; elles ne sont plus guère quun sujet de travaux pratiques pour
sociologues de gauche et lobjet de motions pour intellectuels. Cinq cent mille morts
peut-être en Indonésie, cinquante mille tués au Biafra, un coup dEtat en Grèce,
les expulsions du Kenya, lapartheid sud-africain, les tensions en Inde : ce
nest guère que la monnaie quotidienne de linformation. La crise des partis
communistes et la révolution culturelle chinoise semblent équilibrer le malaise noir aux
Etats-Unis et les difficultés anglaises.
De toute façon, ce sont leurs affaires, pas les nôtres. Rien de tout cela ne nous
atteint directement : dailleurs la télévision nous répète au moins trois fois
chaque soir que la France est en paix pour la première fois depuis bientôt trente ans et
quelle nest ni impliquée ni concernée nulle part dans le monde.
La jeunesse sennuie. Les étudiants manifestent, bougent, se battent en Espagne, en
Italie, en Belgique, en Algérie, au Japon, en Amérique, en Egypte, en Allemagne, en
Pologne même. Ils ont limpression quils ont des conquêtes à entreprendre,
une protestation à faire entendre, au moins un sentiment de labsurde à opposer à
labsurdité, les étudiants français se préoccupent de savoir si les filles de
Nanterre et dAntony pourront accéder librement aux chambres des garçons,
conception malgré tout limitée des droits de lhomme.
Quant aux jeunes ouvriers, ils cherchent du travail et nen trouvent pas. Les
empoignades, les homélies et les apostrophes des hommes politiques de tout bord
paraissent à tous ces jeunes, au mieux plutôt comiques, au pire tout à fait inutiles,
presque toujours incompréhensibles. Heureusement, la télévision est là pour détourner
lattention vers les vrais problèmes : létat du compte en banque de Killy,
lencombrement des autoroutes, le tiercé, qui continue davoir le dimanche soir
priorité sur toutes les antennes de France.
Le général de Gaulle sennuie. Il sétait bien juré de ne plus inaugurer les
chrysanthèmes et il continue daller, officiel et bonhomme, du Salon de
lagriculture à la Foire de Lyon. Que faire dautre? Il sefforce parfois,
sans grand succès, de dramatiser la vie quotidienne en sexagérant à haute voix
les dangers extérieurs et les périls intérieurs. A voix basse, il soupire de
découragement devant » la vachardise « de ses compatriotes, qui, pourtant, sen
sont remis à lui une fois pour toutes. Ce qui fait dailleurs que la télévision ne
manque pas une occasion de rappeler que le gouvernement est stable pour la première fois
depuis un siècle.
Seuls quelques centaines de milliers de Français ne sennuient pas : chômeurs,
jeunes sans emploi, petits paysans écrasés par le progrès, victimes de la nécessaire
concentration et de la concurrence de plus en plus rude, vieillards plus ou moins
abandonnés de tous. Ceux-là sont si absorbés par leurs soucis quils nont
pas le temps de sennuyer, ni dailleurs le cur à manifester et à
sagiter. Et ils ennuient tout le monde. La télévision, qui est faite pour
distraire, ne parle pas assez deux. Aussi le calme règne-t-il.
La réplique, bien sûr, est facile : cest peut-être cela quon appelle, pour
un peuple, le bonheur. Devrait-on regretter les guerres, les crises, les grèves ? Seuls
ceux qui ne rêvent que plaies et bosses, bouleversements et désordres, se plaignent de
la paix, de la stabilité, du calme social.
Largument est fort. Aux pires moments des drames dIndochine et
dAlgérie, à lépoque des gouvernements à secousses qui défilaient comme
les images du kaléidoscope, au temps où la classe ouvrière devait arracher la moindre
concession par la menace et la force, il ny avait pas lieu dêtre
particulièrement fier de la France. Mais ny a-t-il vraiment pas dautre choix
quentre lapathie et lincohérence, entre limmobilité et la
tempête ? Et puis, de toute façon, les bons sentiments ne dissipent pas lennui,
ils contribueraient plutôt à laccroître.
Cet état de mélancolie devrait normalement servir lopposition. Les Français ont
souvent montré quils aimaient le changement pour le changement, quoi quil
puisse leur en coûter. Un pouvoir de gauche serait-il plus gai que lactuel régime
? La tentation sera sans doute de plus en plus grande, au fil des années, dessayer,
simplement pour voir, comme au poker. Lagitation passée, on risque de retrouver la
même atmosphère pesante, stérilisante aussi.
On ne construit rien sans enthousiasme. Le vrai but de la politique nest pas
dadministrer le moins mal possible le bien commun, de réaliser quelques progrès ou
au moins de ne pas les empêcher, dexprimer en lois et décrets lévolution
inévitable. Au niveau le plus élevé, il est de conduire un peuple, de lui ouvrir des
horizons, de susciter des élans, même sil doit y avoir un peu de bousculade, des
réactions imprudentes.
Dans une petite France presque réduite à lHexagone, qui nest pas vraiment
malheureuse ni vraiment prospère, en paix avec tout le monde, sans grande prise sur les
événements mondiaux, lardeur et limagination sont aussi nécessaires que le
bien-être et lexpansion. Ce nest certes pas facile. Limpératif vaut
dailleurs pour lopposition autant que pour le pouvoir. Sil nest
pas satisfait, lanesthésie risque de provoquer la consomption. Et à la limite,
cela sest vu, un pays peut aussi périr dennui. »
Pierre Viansson-Ponté, « La France sennuie », Le Monde, 15 mars
1968.
(18/01/2023)
2022 aura été une année de
publication pour moi avec Dernier travail. Ceci dit les années sans édition sont
plus rares que les années avec. Si je fais le compte depuis 2000 et mes 2 premiers romans
cette année-là, seuls, me semble-t-il, 2003, 2006 et 2013 auront été vierges de
parution. Toutes les autres années auront été occupées par des publications de
nouvelles, des éditions en poche, numériques, des participations à des ouvrages
collectifs, des rééditions augmentées ou des travaux universitaires, lorsque ma thèse
était encore en cours. Ma bibliographie doit approcher une trentaine dopus divers
et variés, ce qui double presque la liste « officielle » de mes romans.
Et 2023 alors, année sans rien ? Peut-être, si on excepte le travail en cours, le
roman au nom de code J, qui avance tranquillement et (jespère) sûrement. Ce
travail cependant restera dans lombre, et aucune publication nest prévue dans
les prochains mois, mais sait-on jamais ? Lannée nouvelle sera en revanche (je
lespère fortement aussi) lannée de sortie de ladaptation dIls
désertent au cinéma. Car le film existe : il est magnifique. Jespère
donner des nouvelles très bientôt.
(04/01/2023)
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