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Etonnements 2004
Vendredi soir, le vent souffle en rafales démentielles. Sur lautoroute, le
coffre de la voiture souvre brutalement. Papiers qui volent, bande darrêt
durgence, refermer, continuer. Plus tard, le vent ne faiblit pas. Aller chercher mon
fils chez la voisine. Des courants dair sengouffrent entre les immeubles, on a
du mal à marcher. Les lampadaires tanguent. Elle a peur de sortir, me demande
daller remiser sa voiture au garage. Chercher son véhicule parmi deux cents,
plusieurs parkings, vent, pluie, maugréer. Retour à la maison, un peuplier (déjà sec,
qui navait pas supporté la sécheresse de lannée passée et que je projetais
de couper) sest décapité et se retrouve à moitié sur la route. Encore en
cravate, dans le costume du travail, jentreprends de déblayer les branches dans
lobscurité.
Samedi matin, le ciel est exceptionnellement clair. Pas un souffle. Nous avions décidé
daller entretenir le verger familial, ce sera une belle journée. Remorque, outils,
tronçonneuse, un pommier à planter. Manier la pioche, la bêche. Retirer de vieilles
souches. Pioche, bêche. Cogner à la hache, éclater à la masse et aux coins de fer.
Souffles, muscles, mouvements (je pense à latelier décriture avec les futurs
bucherons). Couper un sapin mort et un acacia. Tronçonneuse, rondins. Déblayer les
branches. Dos qui fait mal. Puis, feu, chaleur, manger. Regarder la cendre, les braises.
Boire. Riesling, Rully, être bien. Parfois des oies passent haut dans le ciel, on les
entend seulement. Coups de fusils aussi dans les bois qui nous environnent, aboiements.
Samedi après-midi, retour à la maison, la tronçonneuse encore chaude, je décide
dabattre le reste du peuplier. Renfiler la cotte de toile, aller chercher
léchelle, couper quelques branches hautes, tourner autour, calculer les risques,
quil tombe sur la route dans la circulation du samedi, quil tombe sur le toit
de la maison, quil tombe sur la balançoire. Enfin se résoudre à couper seul cet
arbre de 50 cm de diamètre et haut de 8 ou 9 m encore. Peu de risque en fait, il suffit
dentailler le tronc, couper une demi tranche et tronçonner de lautre côté
jusquà ce que larbre vienne de lui-même se courber au bon endroit. Calculer
de façon à ce quil sécroule entre la haie et la balançoire, évitant à la
fois la route et sans danger pour la toiture même sil venait à riper. La
tronçonneuse miaule et débite des copeaux. Je regarde partir le tronc exactement comme
je le souhaite, bouger de quelques centimètres et commencer son long déchirement de bois
avant de sécrouler de toute sa masse, un mètre plus à gauche que je navais
prévu et venir plier irrémédiablement la balançoire.
Merde. Je reste interdit devant le portique plié, la grosse masse du fut à ses pieds.
Merde.
Et jai la sensation exacte que ce samedi 18 décembre à 16h30 précise, cest
la fin de lenfance qui se déchire, non pas celle de mes (grands) enfants qui ont
bien rit dailleurs de cette mésaventure, mais la mienne, celle dun rôle que
javais commencé à jour pour eux, mercredis qui leur sont dévolus, quinze ans
dune vie, rires, dents de lait, dessins, cartables et balançoires mélangés, rôle
du papa que jespère avoir bien joué et sapercevoir, là, à cet instant
précis, 16h30, que cette partie est jouée, finie, terminée, consommée, parachevée.
Pas de regrets non, jamais, simplement continuer à avancer et vivre, vivre, mais
lémotion, acuité exacte, comment dire, de ce qui ne sera jamais plus. Larmes et
sueur, jai ensuite débité le peuplier en rondins. Larmes. Rondins comme autant de
tranches de vies, rôles joués, à jouer. Envie de changer, de demeurer maintenant en un
seul tronc.
Pendant ce temps, quelquun (voir Etonnements du 19/12/2001) avait déposé sur la
pelouse les deux sapins de Noël traditionnels, près à être décorés.
Envie de changer, en un seul tronc.Vivre, vivre.
(22/12/2004)
Jai limpression de planer. Bon, ce nest pas nouveau, on aime à
coller une étiquette dalbatros aux poètes et autres oiseaux de plumes. Cette image
est plutôt sympathique, on peut en jouer surtout quand " les ailes de géant
qui empêchent de marcher " ont lapparence de moignons de poulet, tant on
sest évertué depuis des années à tout organiser et à se mouvoir dans un monde
de sardines connu par cur, bref, on est ordonné, disposé, accommodé, en harmonie.
Et le plaisir de passer pour un planeur sen trouve renforcé. Ceci dit, quand le
quotidien devient débordant, que loccupation vous porte sur sa rivière, si ce
nest vous qui dirigez la pirogue, on peut, oui, avoir limpression de planer.
Pirogue : impression plutôt agréable, se laisser porter, se remémorer le début du
Bateau ivre de Rimbaud :
" Comme je descendais des fleuves impassibles
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs
Des peaux-rouges criards les avaient pris pour cible
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleur. "
(15/12/2004)
J'ai passé quelques jours en Franche Comté à l'invitation de Dominique Bondu et du
CRL : 24 auteurs, 75 rencontres, c'était le contenu concret de cette vaste et
intéressante initiative des Petites
fugues très bien organisée. Le thème retenu était "le temps, la nuit" en
accord avec la capitale régionale Besançon et son beau musée du temps. Le temps, la
nuit... Jamais je n'aurais pensé que cette façon de voir les choses me retomberait
dessus comme un balancier d'horloge. En effet, les nombreuses rencontres (7 pour moi) avec
lycéens, lecteurs dans des lieux divers, librairies, bibliothèque, établissement
scolaire et même un comité d'entreprise, tous ces déplacements de pendule m'ont placé
hors temps. Quant à la nuit, la durée du jour étant si courte, il n'était pas rare de
voir la lune presque ronde dans le ciel en ressortant d'une lecture ou d'ailleurs.
Convivialité aussi car s'il est intéressant pour un auteur d'avoir un retour sur sa
propre écriture, c'est surtout le partage avec d'autres passionnés du livre qui conforte
ou modifie ses choix d'écriture. Nul doute qu'il s'amorcera une sorte de virage, encore
imperceptible, dans l'ombre presque, vaste courbe mais dont l'écriture est ainsi faite,
de temps et de nuit. Me levant chaque matin au petit jour pour écrire, je n'en avais pas
conscience. Merci à tous.
(08/12/2004)
Trouver un livre de léminent linguiste Ferdinand de
Saussure sapparente parfois à une chasse au trésor, un jeu de piste. Tout commence
gauchement : la libraire de la FNAC à qui je demande où se trouve le rayon des
bouquins de Saussure comprend de travers et menvoie chercher des livres de
maroquinerie au rayon Vie Pratique. Je commande donc le livre chez mon libraire habituel.
Cependant, quelques temps plus tard, alors que le besoin de pouvoir consulter le très
sérieux Cours de Linguistique Générale (CLG pour faire " pro " -
voir en Notes de lecture) devient urgent et impérieux, japprends que le
distributeur connaît des difficultés qui ralentissent les commandes. Je me renseigne
donc auprès dune troisième librairie pour savoir si le fameux CLG est en stock.
Que nenni. La tenancière me demande si je désire le commander, je réponds par la
négative pour éviter bien entendu de me retrouver avec une paire de Saussure. Cest
alors que Catherine (merci encore) me propose très gentiment daller quérir
lintrouvable livre dans une quatrième librairie. Jen profite pour augmenter
ma liste de courses dautres insaisissables. Ces trésors sont envoyés avec
célérité, non sans une fine recommandation de sa part : méfie-toi des ampoules
avec les Saussure à étrenner. Tout sarrange enfin : à nous deux, Saussure,
à ma botte !
(17/11/2004)
Pas détonnements cette semaine ou plutôt cette conscience que
lactualité, pourtant riche en évènements, navait rien détonnant.
Bush pour 4 ans encore : politesse des chefs détat qui congratulent le
gagnant, prudence des médias qui saluent le vainqueur dun vote démocratique. Et
Arafat, chronique dune mort annoncée : prudence des médias, il reste stable
dans lagonie. Et la marche contre le racisme, associations qui
sexcluent : prudence dans la démocratie ou la difficulté de réunir un
consensus universel sur une valeur de base. Prudence, donc, prudence partout, pour ne pas
froisser les uns ou les autres, sans doute est-ce, oui, une manifestation du consensus mou
(mot que je naime pas trop employer prudence moi aussi tant il est
utilisé indifféremment de lextrême droite à lextrême gauche dans des buts
différents). Bon, donc, restons prudent : il ne sest rien passé cette
semaine. Ah, si ! Jai terminé mon bouquin (enfin, je crois, prudence donc,
voir en Notes décriture), me suis levé chaque matin, couché chaque soir, voilà
pour les seules certitudes. Ah, si ! une autre encore, due à
limprudence : me suis fait chopé en excès de vitesse, la dernière fois
cétait il y a vingt ans, ça cest une certitude comme le trajet qui revient
chaque jour travaillé depuis 10 ans (voir en Webcam).
(10/11/2004)
Après Picasso et Matisse, Gauguin aux Marquises, cest autour de
Monet, Whistler, Turner : lexposition dhiver des ces trois peintres au
Grand Palais continue le succès bien marketé de ce genre de manifestation grand public
à visée pédagogique. Faire découvrir les interactions entre ces peintres en pleine
révolution industrielle et poétique (ce qui va de pair) et la connivence de pensée
entre Paris et Londres dans la deuxième moitié du XIX°, voilà un sujet alléchant, un
véritable roman que nous propose cette exposition. Moins spectaculaire, picturalement
parlant, que la confrontation Picasso-Matisse, elle demeure tout de même très
intéressante, surtout replacée dans un contexte artistique qui va de
limpressionnisme jusquaux confins du cubisme, mais aussi dans la révolution
romantique, symbolique de la littérature ou le souvenir de Verlaine Rimbaud à Londres
néchappe pas à lesprit.
Turner, tout dabord, de même quon étiquette Cézanne comme annonciateur de
labstrait, joue ici le rôle de précurseur de limpressionnisme, dont Whistler
et Monet subirent linfluence. Influence de toute façon inévitable puisque le
peintre anglais à luvre abondante fut largement exposé en son temps, époque
de formation des deux artistes. Les derniers tableaux de Turner montrent une épure et un
souci de la lumière, révolutionnaire pour lépoque, cependant bien dans le style
du symbolisme puisque séloignant de la simple représentation. Dans cette
exposition pourtant, cet aspect de Turner apparaît réduit, mais il faut dire que
javais admiré au printemps dernier le musée de Londres qui lui est largement
consacré. Cette réduction cependant est bien mise en valeur. Ainsi les extraordinaires
disques solaires présents dans toute luvre de Turner prennent ici une
importance particulière dont on se rend compte par exemple dans lhistorique tableau
de Monet " Impression soleil levant ". Impressions fugitives, donc,
pour saisir les reflets changeants de leau, des paysages de brouillards fugitifs ou
de gel, des instants éphémères daurores ou de crépuscules. Ainsi Whistler
présente til une parenté évidente avec ces thèmes et ces mêmes lieux, avec ses
nocturnes par exemple. Mallarmé, ami de Whistler est présent dans cette exposition et
lon se rend bien compte combien la poésie, la peinture, toutes les formes
dart avancent de concert.
Les derniers tableaux présentés ici (en 1908, Monet est seul à Venise, Turner,
Whistler, Mallarmé ont disparu) semblent étrangement poursuivre la même quête de
couleur et dindéfini, tandis qu'une autre révolution picturale se préparait à
Paris, au bateau lavoir. Si lon devait suggérer une suite à cette exposition, elle
devrait recouvrir cette époque d'avant la première guerre, sorte de mélange des arts,
du fauvisme, de Cézanne à Proust, de Paul à Camille Claudel, peut-être, et même aller
jusquau surréalisme de Breton et de Marcel Duchamp.
(03/11/2004)
Monet
Turner
Whistley
Un sondage nous annonce que trois français sur quatre sont contre ladhésion de
la Turquie à lEurope (également la même proportion contre le port du voile).
Ainsi, sur quatre de mes concitoyens, je suis celui qui se situe résolument pour. Et
contre toute exclusion. Je me sens isolé. Pourtant je ne manque pas darguments.
Comment croire à une société capable de vanter une mondialisation dun côté et
le refus de lautre. Prôner une démocratie universelle mais avoir peur de celle-ci.
Vouloir contraindre la vie sociale à une simple société civile en ignorant les
différences de culture, de religion. On me rétorque : valeurs communes, laïcité,
droits de lhomme. Je réponds par la lassitude dentendre encore mes proches
interpréter faussement, réduire ces fameux droits dans des interdictions. Nous ne
bâtirons pas de futur sans générosité et nous nous acheminons vers des refus, des
clivages, encore et toujours. Comment croire quen dressant des barbelés, aussi
imperméables soient-ils, comment espérer que personne ne se glissera dessous pour voir
simplement comment lautre vit, et pourquoi lui na pas droit à cette vie et
cette frustration légitime que cela va engendrer. Ceux qui se glissent sous les barbelés
sont appelés terroristes par celui qui sest approprié le champ.
Lexpression : défendre son pré carré. Les terroristes, cétait les
maquisards sous loccupation allemande, puis ceux qui avaient collaboré avec les
occupants. Ce sont les Palestiniens pour les occupants israéliens, ce sont les Irakiens
pour les occupants américains, et les mêmes qui seront poursuivis pour avoir aidé
loccupant si un jour il ny a plus darmées étrangères là-bas.
Cest Che Guevara, cest une femme tondue, cest un otage brisé, ce sont
des hommes et des femmes qui se répartissaient dans la même proportion didées,
trois quarts ont peur de tout, un quart réclame limpossible : une société
universelle, non pas naïve, mais délivrée de la peur . Il y a encore beaucoup de
chemin à faire, ne serait-ce que pour comprendre que cette peur est universelle, quelle
représente un marché, un moteur formidable pour lactivité des hommes dans tous
les domaines, de léconomie à la culture et que lutter contre peut également
représenter la même valeur universelle et économique. La peur névitera pas le
danger. Nous avons déclaré la guerre au terrorisme, mais le terrorisme naît de part et
dautre des frontières et des barbelés, ou simplement dans le fait de ne pas tendre
la main, écouter lautre, chercher à le comprendre. Nous nous préparons des
lendemains qui déchantent sans avoir seulement écrit les paroles et lair de nos
musiques futures.
" Je suis une intellectuelle, jaccorde du prix aux mots et à la
vérité ; jeus à subir chaque jour infiniment répétée, lagression
des mensonges crachés sur toutes les bouches
/
On mavait traitée parmi
dautres danti-française : je le devins. Je ne tolérais plus mes
concitoyens
/
Cétait même pire parce que, ces gens que je ne supportais
plus de coudoyer, je me trouvais, bon gré mal gré, leur complice, cest ça que je
leur pardonnais le moins. Où alors il aurait fallu me donner des lenfance la
formation dun SS, dun para, au lieu de me doter dune conscience
chrétienne, démocratique, humaniste : une conscience. "
Cette réflexion de Simone de Beauvoir sur la guerre dAlgérie na pas pris une
ride et je la fais mienne. Je me sens seul.
" C'est effrayant, les épiciers retraités qui revêtent l'uniforme ! C'est
épatant comme ça a du chien, les notaires, les vitriers, les percepteurs, les menuisiers
et tous les ventres, qui, chassepot au coeur, font du patrouillotisme aux portes de
Mézières ; ma patrie se lève !... Moi j'aime mieux la voir assise : ne remuez pas les
bottes ! c'est mon principe. "
Arthur Rimbaud, né le 20 octobre 1854.
(27/10/2004)
Cela se passe dans une association de musiciens. Une association, généralement
appelée loi de 1901, dont la multitude des activités proposées, la grande variété
sociale réunit tous les Français (dailleurs, est-ce un phénomène uniquement
typiquement hexagonal ?). En effet, qui ne sest pas retrouvé un jour adhérent
dun club de bridge, titulaire dune licence sportive, passionné par la
philatélie, désireux daider son prochain dans une association caritative ?
Personnellement, la petite famille adhère au minimum à une douzaine dassociations
et participe activement à quatre ou cinq dentre elle comme membre de bureau ou pour
des rôles divers et variés qui dépassent le simple fait de se pointer dans un lieu et
à une heure précise pour assouvir sa passion du bridge, du sport ou des timbres.
Mais revenons à notre association de musiciens qui fonctionne comme la plupart avec un
bureau élu et renouvelé selon les statuts propres à chaque association et dont personne
se souvient par ailleurs pourquoi on fonctionne comme cela.
Donc, vient le temps du renouvellement du bureau mais là, il faut que je fasse entrer en
scène, la victime ou le vilain petit canard, cest selon comme on se place.
Cest une dame âgée, qui uvre dans cette association depuis 21 ans.
Cest lépouse de feu le président, disparu quelques mois auparavant, et qui
devait son statut de secrétaire parce quil était plus simple pour son mari
davoir à domicile quelquun pour lépauler dans la paperasserie, appels
téléphoniques, comptes-rendus, toute une activité importante que ceux qui se contentent
daller souffler dans un biniou, jouer aux cartes ou simplement coller des timbres en
communauté une ou deux fois par mois ne peuvent pas connaître, ni même imaginer (ce
sont généralement les mêmes qui sont adeptes du grand mouvement intellectuel
Yakafaucon).
Mais là, nous sommes entre gens qui simpliquent et quil convient de
renouveler par des élections.
Votons donc.
Et a bulletin secret, car comme se plait à rappeler le vice président avant le vote
: cest démocratique et cela permet daccepter des désillusions.
Désillusions ? Tiens donc et quelle drôle didée ! Généralement, dans
ce type délections en effet il faut un peu supplier les participants échaudés par
le travail réel au sens de "on retrousse les manches" que réclame la bonne
marche dune association, les participants donc, membres du bureau acceptent
généralement de remettre ça même sils sétaient juré de ne plus se faire
avoir (récemment javais pris de telles résolutions pour autre association qui me
tient à cur, on ne my reprendrait plus et je suis passé de secrétaire à
vice-président
). Mais dans notre cas, oui, désillusions en perspective : un
candidat supplémentaire se rajoute au dernier moment, ce qui implique quil va
falloir rayer un nom pour garder toujours le nombre statutaire des membres du
bureau : vous avez deviné qui nobtint pas assez de voix dans le dépouillement
des bulletins secrets pour rester
A sa question : mais que me reproche ton ? Silences et mines
baissées, à peine un d'entre eux laisse tomber une réplique fataliste : cest
la démocratie. Courage des lâches
On est loin des discours, intentions, émotions qui lui étaient destinées à la mort de
son mari : on ne vous laissera pas tomber
On sait pertinemment quelle
habite seule, que cette modeste activité, pourtant ô combien utile était le seul lien
quelle puisse avoir avec lextérieur. On a donc enterré deux fois le
Président, hier en grande pompe, et aujourdhui son épouse dans la fosse commune,
sans oraison funèbre, c'est à dire ni même un petit merci pour vingt années de
services rendus...
Cest donc cela, la petite démocratie des associations (quil serait facile de
dénoncer : elle naurait pas dû être concernée par ce vote, de mémoire de
beaucoup, elle ne figurait pas dans les candidats à renouveler, mais on na
bizarrement pas retrouvé les anciens comptes-rendus
). Petites démocraties, petits
votes à bulletins secrets qui permettent bien des petits complots mesquins, imaginés à
lavance
Son seul crime était de ne pas être musicienne, juste lépouse
du président et comme il est décédé...
En attendant, elle reste seule, qui ira la voir ?
(20/10/2004)
En 1952, deux Argentins, Alberto Granado et Ernesto Guevara décident de parcourir
l'Amérique latine sur une vieille moto baptisée "La Puissante". Diarios de
motocicleta, proposé en France sous le titre de "Carnet de Voyage" raconte
la première épopée de celui qui devait devenir plus tard le Che. Ce nest pas un
film politique, au sens dun film de parti, de partisans. Il y a juste comme point de
départ le romantisme de ces deux idéalistes. Mais si leur parti-pris de se mêler autant
des autres que de soi-même devient forcément chose publique, res publicae, alors ce
romantisme devient acte politique. Cet évident raccourci est aussi limpide que les
superbes paysages qui jalonnent le film. Même uniquement proposé en VO, il a su séduire
cinq personnes dune famille, tous âges et opinions, que le hasard et lenvie
avaient réunies dans la salle de cinéma.
Le romantisme, oui, séduit encore, non pas celui dun genre, dune école,
style hugolien mais plutôt à la manière dun Rimbaud, tourné vers
leffacement de soi ou la générosité. Il est sans doute utopie, plus que jamais
combattu : le Che fut nommé terroriste également, on sait le poids actuel de cette
appellation et les drames quelle engendre.
Je rêve dune autre perception de ce romantisme, ni angélisme, ni
diabolisation : une autre fin de ce film, quand arrive le dernier plan fixe sur le
visage véritable et vieilli dAlberto Granado, qui finit ses jours à Cuba,
jaurais aimé que se surexpose cette chanson magnifique de Brassens : mourir
pour des idées, daccord mais de mort lente
(13/10/2004)
Jai commencé à faire landouille ce matin, à 11h. Cest à dire que
je lai sortie du frigo et posée sur la planche à découper pour la débarrasser
son étiquette " véritable andouille du Val dAjol ". Que les
puristes de landouille ne jurant que par Vire viennent faire un tour dans les
Vosges : mon andouille est dune belle taille mais le lieu na pour moi
aucune importance. Halte à la ségrégation, vive les andouilles du monde entier. Ainsi
nue, peau bronzée, odeur de pied, un instant je fus tenté dappeler mon andouille
Georges, Oussama, Charon ou Saddam. Je lai piqué dans le dos, puis ébouillanté
dans un bouillon aromatisé doignons, ails, tomates, sel, poivre, épices, un
demi-verre de vin du Jura dans la casserole à mi-cuisson (excellent ! lautre
demi-verre est parti dans lestomac à la santé -pardon, à laffliction- de
Georges, Oussama, Charon et Saddam). La cuisson dure trente minutes, laccompagnement
de pommes de terre en robe des champs éponge le vin et landouille. Heure du repas,
on parle fort. Les actualités laissent apparaître Georges, Oussama, Charon ou Saddam à
la télévision, les journalistes mélangent le crime du jour, la politique à la petite
semaine, les lubies philosophiques du moment (faut-il revenir à lautorité, aux
pensionnats, aux religieux, aux voiles non pas le voile) puis passent la main à
" notre envoyé spécial dans un coin de France où il fait bon
vivre " : un clocher, une rue, un vieux sur un vélo (un coin où lon
doit savoir faire landouille). Images. On parle fort. La saucisse, les patates se
mêlent dans lestomac avec le vin du Jura. Georges, Oussama, Charon et Saddam,
quatre tranches dandouille nagent en reste dans la casserole. Je me sens lourd,
digestif. Georges, Oussama, Charon et Saddam me tapent sur le crâne plus sûrement que le
vin. Val dAjol : une autre andouille mattend dans le frigo pour une
autre occasion, suite du cadeau de Bernard en Notes décriture.
(06/10/2004)
Retour de Sicile depuis moins un mois et voilà que lEtna, dont nous voyions
chaque matin le panache de fumée tranquille et blanc, est entré en éruption. Nous
lapprenons par hasard : lévènement dure trois images et quelques
secondes, dans la réduction typiquement française de tout ce qui échappe à notre
hexagone de la plupart des actualités télévisées. Nous envoyons un mail à nos amis
italiens qui nous rassurent : cest une petite éruption. Tout de même nous
aimerions en savoir plus et Internet nous fournit la solution avec le site dINGV
(Istitutio Nationale di Geofisica e Vulcanolo)) qui propose plusieurs webcams (et même
certaines nocturnes et en infrarouge) sur le Stromboli, Vulcano et lEtna. Nous
pouvons ainsi suivre en direct la santé du volcan et regretter de ne pas être là bas
où nous aurions pu voir exactement dans le même angle la vision rougeoyante dans
lobscurité des coulées de laves.
(29/09/2004)
Fête de lhuma : comme chaque année (voir Etonnements à mi septembre 2000,
Notes décriture en 2002 et 2003) et malgré la répétition, je ne peux céder à
lenvie den parler encore, de ce sentiment de my sentir bien, chez moi en
quelque sorte. Mes enfants étaient venus pour la première fois, nous avons commencé par
être joyeusement noyés au milieu de dizaine de milliers de spectateur vendredi soir pour
y voir Tryo. Pour cette édition, la foule était plus importante encore (600
000) et lorage du samedi après-midi na pas entaché cet élan. La pluie
passée, les allées étaient à nouveau noires de monde. Je ne tiens pas en place, aussi
ai-je parfois quitté ma place au Village du livre pour me plonger dans lambiance
(pardon à ceux qui ont remarqué mon absence, mont cherché reçu la semaine
dernière une carte désopilante à ce sujet
). Lambiance était à la fête,
bien sûr mais aussi cette année une forte impression politique, une gauche qui cherche
à se rassembler, pas tiède, et qui discute, en a marre des provocations sociales et
sociétales. Jai assisté à un débat dune grande entreprise, une bonne
centaine de participants actifs évoquaient sans animosité aucune leurs difficultés que
je connais bien. Dans quel lieu, sinon celui-ci auraient-il pu échanger en toute liberté
et si grand nombre, découvrir lun et lautre cette chape de plomb de la
communication officielle dentreprise qui prend soin pour le moral des troupes de
cacher à ses employés répartis partout en France lévolution du nombre de
suicides (sans pour autant changer la manière de diriger lentreprise). Cette
sensation dun discours plus spontané et politique cette année sur la fête de
lhuma, alliée au grand nombre de participants laisse entrevoir des lendemains
revendicatifs bien au-delà de lendormissement télévisuel quon aimerait nous
faire voir et prendre.
(22/09/2004)
Le mythe de la symétrie est une vieille lune qui revient régulièrement. Y-a
til une vie parallèle et identique dans un autre système solaire ? Avons-nous
un parfait clone naturel sur terre ? Pour le temps qui nest qu'un éternel
recommencement, deux secondes peuvent-elles être en tous points identiques ? Le
mythe de la symétrie existe et la coïncidence est son mentor, lui apporte la preuve, lui
sert dalibi.
Espèces despaces, va !
Justement Perec : jai récemment découvert le site de Philippe Didion et jai été
stupéfait de découvrir un nombre impressionnant de coïncidences. Dabord les
livres qui nous rassemblent sont souvent les mêmes. Jusque là, ceci reste banal. De la
même façon, nous gerons et mettons à jour un site hebdomadaire (lui cest le
dimanche et moi le mercredi). Rien de bien transcendant, il doit y avoir beaucoup
dinternautes qui agissent de la sorte. Il habite lest de la France mais nous
sommes plusieurs millions. Comme moi, il nen tire aucune gloriole, ni aucun dépit,
nous adhérons en cela aux vertus de Brassens envers ces "imbéciles heureux qui sont
nés quelques part". Et Brassens nous conduit à René Fallet que nous admirons tous
deux.
Voyez, je dis nous car c'est assez de coïncidences déjà sans compter une dernière, la
plus précise : chacun de nous a visité lexposition Matisse Picasso et a été
frappé par le même détail dun tableau perdu parmi la centaine de toile :
lépaule masquée (ou fondue avec le fond) du tableau lItalienne de Matisse
qui fut pour moi lélément déclencheur de Paysage et Portrait en Pied-de-Poule.
Coïncidences extraordinaires, non ? Stimulantes, ma répondu Philippe Didion avec
qui un dialogue sest aussitôt ébauché entre nous, clones symétriques de la face
cachée dInternet et que je préfère appeler frères de web.
Définir Philippe Didion nest pas facile : fort
engagement perecquien, façon d'agir, aller régulièrement à Paris ou Jaligny, être
curieux, ouvert au bon sens, à la fois simple et oulipien, sérieux et pas trop,
philosophe sans doute, ne pas vouloir de grands mots vains, être discret quand un
événement comme le 11/9 nous tombe dessus, à la fois retenue et ouverture comme dans
Espèces d'espaces...
Il faut aller consulter ses notules dominicales
de culture domestique (et de villégiature exotique)
Ah, joubliais : Philippe Didion est notulographe...
(15/09/2004)
Un esprit carabin (régulièrement alimenté par un week-end annuel avec les amis de
fac de mon épouse, cette année, cétait à Verdun, il pleuvait, nous avons eu du
mal à sortir nos pattes des tranchées) me replonge de temps à autre dans
lexercice de contrepèteries, dont la jouissance tient à deux ou trois choses, le
scabreux bien entendu de linversion des syllabes, mais aussi lisolement de
celui qui lélabore, lénonce à voix haute devant des auditeurs qui ny
verront que du feu. Bien entendu, lart du contrepet, digne variation oulipienne, a
une déontologie ou plutôt une élégance, celle ne pas révéler la subtilité à celui
qui ny comprendrait rien, chercherait indéfiniment devant vous la solution
Dans une exposition de peinture, la conversation avec un peintre assez gaillard avait
glissé sur ce sujet et nous nous sommes amusés avec quelques noms de peintres
célèbres, du genre " Et Braque se marre beaucoup,
hein ? ".
Ainsi, nous pourrions faire de même avec quelques noms décrivains
célèbres :
Deux faciles :
Sur Flaubert en Egypte : Flaubert naviguait dans de faux boutres.
Sur les poètes maudits : une chute de Rimbaud nous entraîna Verlaine
Deux tirées par les cheveux :
Sur La recherche du temps perdu : les deux mêmes : Harry et moi aimons les
marquises de Proust.
Sur Marguerite : la Duras pouffe, Yann dAndréa se tasse.
A suivre
(08/09/2004)
Suisse, Milan, Florence, Rome. Apathie, divagations de lesprit pendant le
trajet. Escale : Naples retrouvée, vision du Vésuve. Enfin, Sicile :
bien-être du premier jus dorange, fruits cueillis sur larbre. Silence
des lectures. Les carreaux de terre cuite sur la terrasse, la chaleur. Fuite des vergers
par-dessus la balustrade, la maison comme un château fort. Le matin : lEtna
clair avant les brumes de chaleur, les poissons rouges sous les nénuphars. La nuit :
un bal dans le lointain, les chiens, celui du voisin qui répond (un seul mot suffit pour
le faire taire), le raffut des pies à laube, cognant sur les tuiles, frappant les
carreaux. Les chaises longues, le soleil. Allons à la plage. Allons visiter. Que
fera-ton demain ? Les routes, les autoroutes, les collines rousses, des
villages accrochés, des rues encombrées. Bruit, klaxons, triporteurs, Vespas. Zones
industrielles, portuaires, espaces. Gracie, arriverderci. Il fait chaud. Gelateria, por
favor, prego. Le four à pizza, les aubergines, bananes avocats, pastèques, tomates
mozzarella, parmesan, prosciuto da Parma. Silence des lézards, les geckos à la nuit
tombée, leurs doigts adhésifs sous la lampe, les insectes. Jeux de cartes. Feu
dartifices, repos des visages cuits en journée. Jours, nuits, moustiquaire,
lecture, écriture. Que fera-ton demain ? Chaussures de montagne, balade au
volcan, refuge à 2800 mètres. Frais, presque froid. La fatigue, les muscles qui tirent
les jours suivants. Allons à la plage, allons nous promener. Routes, autoroutes, chanter
à tue-tête des airs espagnols. Se baigner avec la vision dun temple grec au fond.
Voir Antonella de Messine à Messine, chanter jaimerais tant voir Syracuse à
Syracuse. Farniente à la maison. Violon, devoirs de vacances, lecture, écriture. Silence
sur les bancs de pierre, les lézards faufilés sous les feuilles, arroser les géraniums,
le bazilic. Le temps, le beau temps, le temps qui passe. Teresa et Sergio, leur
gentillesse, notre anglais en commun, la balade prévue puis annulée. Le temps de partir.
Bâteau, embarquer. Routes, Vésuve, Naples, Rome, Florence, Milan. Apathie,
divagations de lesprit pendant le trajet du retour. Le Léman à cinq heures du
matin, fatigue, dormir un peu. Reprendre, oublier. Reprendre, lire Barthes : Le
délice de ces matinées : le soleil, la maison, les roses, le silence, la musique,
le café, la quiétude insexuelle, la vacance des agressions.
(25/08/2004)
Moi qui vient de fêter mon anniversaire à Syracuse pour la deuxième année
consécutive (la chance dêtre né en vacances
), devrais-je dire lannée
prochaine comme Faulkner en 1944 : Jai quarante-sept ans. Jai encore
trois livres à écrire. Je suis comme une jument fatiguée, qui a encore trois gestations
devant elle, et qui ne veut pas en gâcher une pour concevoir ce quelle considère
(peut-être à tort) comme un mulet.
(18/08/2004)
Sil est peu commun dorganiser un salon du livre dans une gare désaffectée
de campagne, il lest encore plus quand celle-ci sert de décor au tournage dun
film : cest pourtant ce qui est arrivé à Wassy, dimanche 4 juillet.
Lassociation des écrivains de Haute-Marne avait réuni depuis novembre dernier
quelques bonnes volontés et engagé une étudiante (merci Alexandra) pour mener à bien
ce projet qui lui tenait à cur : rendre hommage au genre sous-estimé de la
littérature de gare, dans une gare donc. Cette manifestation, nous la voulions ouverte,
animée comme une salle des pas perdus (quelle belle expression poétique
), une
occasion de réunir lensemble des bonnes volontés associatives du département, les
artistes locaux, des animations en tout genre
etc, et surtout en premier lieu les
habitants du coin. Ce qui sous-entend de nombreuses réunions avec les intervenants en
tous genres : mairie, libraire, associations, écrivains, une foule de problèmes à
résoudre : affiches, publicités, qui inviter, quel matériel avons-nous besoin,
quelles subventions demander, car sans argent
Et, quand notre programme était à
peu près au point, quelques semaines avant, une équipe de tournage réquisitionne le
lieu pour un film à grands moyens (une comédie qui devrait sappeler " Un
vrai bonheur "). Renégociations donc avec la production pour arriver finalement
à occuper cette gare le jour prévu, pendant heureusement une vacance de tournage.
Le beau temps invité aussi ne nous fit pas faux bon, les visiteurs nombreux (800) pour ce
coin de campagne peuplé seulement de quelques milliers dhabitants. Les animations
donnèrent de la vivacité à cette journée : orchestre de jazz, voyages en
micheline, contes pour les enfants, conférences sur le thème du train ou avec nos
invités : Hervé Mestron, au titre de la fameuse collection du Poulpe, genre
rénové de la littérature de gare si on peut dire et Hervé Brugiroux, globe-trotter
infatigable et ses 230 pays visités
Fatigués justement (monter, démonter, installer une telle manifestation en un week-end
laisse des traces), mais heureux, il nous reste quelques souvenirs, des photos (en
rubrique Webcam et sur le site des Ecrivains),
la bizarre impression que tout ce que nous avions minutieusement préparé sest
envolé en une journée. Finalement, cette illusion de bâtir de telle manifestation
nest pas si éloignée que celle du tournage dun film.
(14/07/2004)
Selon Bourdieu, le marché des biens symboliques se scinde en deux logiques, celle qui
est " fondée sur la reconnaissance obligée des valeurs de
désintéressements et sur la dénégation de léconomie " et celle
qui " faisant des commerces de biens culturels un commerce comme les autres,
confèrent la priorité à la diffusion au succès immédiat et temporaire ".
Soit dit, Editions de Minuit contre Robert Laffont, pour être caricatural. Bien entendu,
la complexité des rapports à largent, au pouvoir, la perméabilité entre les deux
logiques est beaucoup plus complexe, Bourdieu en explore beaucoup daspects, à
laide dexemples précis et détudes argumentées. Lexemple typique
des multiples contradictions ou imbrications plutôt entre les deux modes de réflexions
éditoriales pourrait être Beckett qui répond à la logique du désintérêt commercial,
mais qui, succès et Nobel aidant, devient la raison économique dexister des
Editions de Minuit. Mais Bourdieu précise aussi que laboutissement des deux
logiques conduit à les faire coexister chez les éditeurs les plus importants ou dont la
réflexion est la plus poussée. Cest par exemple, historiquement chez Gallimard, la
collection de Georges Lambrichs, qui tend à la découverte et à la recherche
littéraire, voisinant à côté des locomotives qui assurent la viabilité économique.
Pour être édité dans une maison certes indépendante mais rattachée à un grand
groupe, certes très active mais dun historique familial, je retrouve notifié chez
Bourdieu avec une extraordinaire acuité la plupart des difficultés que je peux vivre,
notamment " les contradictions qui résultent des incompatibilités entre les
deux économies : lorganisation qui convient pour produire, diffuser et
faire valoir une catégorie de produits est inadaptée pour lautre. Pour être
plus précis, le Service Presse, le faire valoir donc, est inadapté à mon cas (qui
nest pas isolé, on parle entre auteurs
), mais répond par exemple
parfaitement à une logique de best-sellers. Cependant, et cest ce que Pierre
Bourdieu névoque pas comme avantage par exemple, être édité dans une vaste
maison disparate et diversifiée empêche une classification trop rapide dans un genre, un
style, ou une logique. Jai souvent pensé que si jétais chez dautres
maisons aux logiques plus littéraires, mon écriture aurait été moins libre, sans
doute, invisiblement plus contrainte.
(30/06/2004)
Jai passé le cap des 50000 connexions le " 20 juni 2004 à 21:53 de
CompleTel France, Nantes, Frankrijk " comme il est dit sur mon fournisseur de
statistiques hollandais. Cest un chiffre rond qui ne veut pas dire grand chose. Sans
doute dans linstant, jéprouve ce besoin den parler, histoire de
massurer peut-être que je ne loupe pas une information de la plus haute importance
mais il me semble que les compteurs de pages web, que je relate de temps en temps et dans
le même esprit, ne sont révélateurs de rien. En ce moment, Feuilles de route est en
baisse de fréquentation et cela ne mémeut guère, le compteur est un titre
informatif. Pourtant, je le regarde fréquemment, pluri-quotidiennement même, cest
devenu une sorte de réflexe et cest sans doute révélateur de la grande importance
que jy prête. Alors paradoxal cette attitude ? Cette importance nest pas
tant dans la baisse, la hausse, le chiffre abstrait des connexions journalières
mais, comment dire, je me sens rassuré de savoir quil y a ne serait-ce
quune poignée de lecteurs qui sy égarent. Internet est un outil bizarre et
étrange, basé sur limmédiateté, linstant, alors que la technologie
numérique permet des conservations dune longévité insoupçonnée. Avec Feuilles
de route, jai fait le pari dun journal sans doute ringard et de peu
dimportance mais qui sinscrit dans la durée, quasi dès le début
dInternet. Car nous ignorons tout des conséquences que la longévité des sites va
entraîner sur plusieurs décades, voire plus : intellectuels, organisationnels,
juridiques, généalogie active, transmission de sites aux générations futures (pourquoi
pas
), enfin tout est imaginable sauf la postérité qui est, comme disait Louis
Ferdinand Céline, " un discours aux asticots".
(23/06/2004)
Après-midi, à Reims. Juste après midi, 12h55 précise. On a pris congé, je lui ai
souhaité bonne chance pour son entretien au Rectorat (je lai pensé, cela ne se dit
pas). Elle veut être prof. Elle peut enseigner léconomie, la gestion, le droit.
Depuis son arrivée dans lentreprise, elle a subi des réorganisations incessantes,
la dernière en date, nommée il y a deux jours pour un télétravail sur plate-forme
dappels (répondre 7 h par jour à des clients, avec des cadences surveillées, des
objectifs, des quotas à respecter, le genre de job qui vous empêche de penser, de
prendre des initiatives, juste avoir le sentiment de régresser, avoir fait le tour du
boulot au bout dun mois, mais enfin, il faut bien travailler
). Justement, le
travail : elle a montré son adaptation dans ces réorganisations incessantes. Elle
na pas pu progresser, demander une promotion : les services dans lesquels elle
a uvré, ont fermé, se sont regroupés (on dit " mutualisés ",
cest plus soft
). On ne lui donne pas sa chance, elle est découragée. Elle a
pourtant une licence, un bagage universitaire. Je suis là pour laider à préparer
son entretien pour lequel le Rectorat va sassurer de sa motivation. Elle est
découragée, il faut remonter la pente, sortir en elle des sentiments positifs,
peut-être un enthousiasme. Il est 12h55, nous avons parlé pendant une heure trente,
cétait nécessaire, elle sest exclamée : quel briefing !, en
souriant, nous étions satisfaits tous les deux.
Jarrive dans le centre-ville à 13h10, jai faim, envie de flâner un peu,
fatigue. Cest une belle journée, la plus chaude de cette fin de printemps. Ce
serait peut-être cela mon boulot, faire en sorte quil ny ait quune
seule personne par an qui réussisse ainsi à changer le destin de sa vie pour un ailleurs
plus riche, redémarrer du bon pied
Je mange un sandwich. Pour emporter ?
Oui
euh, non. Je massois et demande un café. En même temps ? Oui, tout
ensemble. Sandwich, café, boulot, rectorat. Avoir parlé, fatigue. Des passants montent
et descendent des escalators tous proches. Beaucoup de jeunes. Des robes dété, des
tenues de saisons. Travaillent ils ? Où vont-ils ? Vers quel
avenir ? Je vais à la Fnac. Je prends " Fenêtres sur le monde "
de Raymond Bozier dans un rayon. A moins que je le trouve dans une librairie, je
naime pas trop les Fnac. Puis je vois un " Pierre Bergounioux "
que je ne connaissais pas (" La ligne "), étiquette encore en
francs : comment se fait-il quil ait échappé aux yeux vigilants des employés
qui rangent, tournent et renouvellent les rayons si vite ? (il ne reste de moi,
quun exemplaire de PPPP, pas très loin de Bergounioux forcement, Central
et Composants ont dû revenir depuis longtemps chez léditeur). Cette
" ligne " est sans doute un signe : je prends aussi ce livre. Et
plus loin, " Espèces despaces " de Perec me tend aussi sa belle
couverture blanc cassé, un peu rugueuse de chez Galilée, je le prends aussi. Tant pis
pour la librairie. Cest une belle journée. Jachète aussi des mots croisés
(force 1 et 2) chez un marchand de journaux. A la librairie, lune des plus grandes
de la ville, je ne trouve aucun des livres que je viens de me procurer. Jai bien
fait. Au rayon " Bergounioux ", cette fois-ci, cest Gabriel, le
frère, avec juste un exemplaire dIl y a un, bande déchirée par un autre
ouvrage forcé contre lui. Il est 14h15, temps de repartir à Châlons où beaucoup de
travail mattend encore. Belle journée cependant et content de mes acquisitions.
(16/06/2004)
A cinq semaines décart, jaurai pu comparer lodeur du lilas à peine
fleuri à Londres avec celui de Stockholm qui commençait sa floraison. Venir en Suède
fin mai, cest se heurter au printemps qui galope : lilas mais aussi quelques
narcisses attardés qui voisinent avec les clochettes du muguet. On dirait que toute la
ville se presse, rattrape le temps de la nuit et du rude hiver : le soleil fait son
apparition vers 4h du matin et sétire jusquà 23 h. Les habitants se
regroupent à Kungsträdgärden autour des innombrables cafés pour y boirent une bière,
et manger une saucisse dans le crépuscule doux et progressif. Cette ambiance, liée à la
situation particulière dun grand week-end, a donné à mon séjour beaucoup de
charme. Je ne suis pas le seul à avoir succombé à cette délicatesse, cela est la
plus douce chose de Stockholm, cela fait penser à Venise et à des soirs sur la Tamise,
écrivait Valéry Larbaud au début du siècle. Pour connaître les trois villes, avec le
souvenir de lune encore tout frais dun mois et le bonheur davoir
arpenté la ville italienne à deux reprises, je partage tout à fait cet avis. Oui,
Stockholm à la le charme et la santé de ses grandes filles blondes, parfois un peu
austères et mélancoliques, soudainement riantes, changeantes comme le temps annoncé
maussade mais qui est resté avec obstination clair et dun bleu profond le matin. Il
fait bon se promener dans la ville déserte, les habitants ne sont pas matinaux mais la
journée dure si longtemps
Le soir venu, à Gröna lund, le parc dattraction,
les manèges tournoient au-dessus de la baltique, leau sombre emporte les reflets et
les bruits au gré du courant vers les îles innombrables, habitées de maisons soignées
au milieu des sapins et des bouleaux. Plus à lEst encore, la forteresse de Vaxhlom
marque louverture vers le large avec la Finlande en face, mais ce sont de paisibles
voiliers qui doublent ce cap, au lieu des farouches drakkars du peuple viking ou du
malchanceux Vasa, qui coula à son premier voyage, navire royal renfloué trois cent ans
plus tard, et que l'on peut maintenant admirer intact au Vasamuseet.
(09/06/2004)
S63 est un téléphone (modèle crée en 1963, sorte de gros chat bien lourd et rond).
Il a été lunique appareil, distribué pendant vingt cinq ans par les PTT bien
avant que la société ne change plusieurs fois de nom. Jai utilisé cet appareil
mythique pour un chapitre entier de Central, entièrement, méticuleusement
désossé, démonté sur la moquette bleue, donc, forcement Feuilles de route en
garde des traces (en page Central , bien entendu, et Etonnements du 04/04/2001)
Justement : jai été appelé dimanche soir par quelquun qui avait
prospecté sur Internet pour réparer un poste téléphonique S63 de couleur ivoire du
plus bel effet, acheté sur une brocante. Ainsi, mon mystérieux correspondant ne
mappelait pas pour les considérations philosophiques, entomologiques ou
littéraires de mon action sur la moquette bleue, mais parce quil sescrimait
depuis le début de laprès-midi à le faire fonctionner, doù son réflexe
(oui, cela devient vraiment un réflexe, et pour tous) de chercher des éléments dans un
moteur de recherche.
Je nai pas pu lui venir en aide, jai juste essayé détablir un
diagnostic de la panne en rassemblant mes souvenirs du temps (déjà presque
lointain : 10 ans) où je moccupais de Service Après-Vente.
Mais ce qui est intéressant, cest lesprit sous-jacent de cette brève
conversation, ses excuses réitérées pour mavoir dérangé, sa passion pour la
mécanique des objets, mais aussi cette perspective du rêve comment dire
" surajouté " : se servir dun objet aussi répandu, donc
mythique avec tout linconscient, lémotion qui accompagne les souvenirs que
lon garde de lobjet (on pense bien entendu à certains écrits de Roland
Barthes
).
Et soi-même, ce quon fait après-coup, on vérifie sur Internet :
" S63 " : des dizaines de milliers de réponses.
" Poste téléphonique S63 " et la surprise de tomber en premier sur
le site dun collègue parti dans les pays de Loire et dédié aux téléphones
anciens.
" Vieux téléphone S63 ", 675 réponses avec Feuilles de route
en bas de la première page.
De fil en aiguille, cette anecdote décousue ça me fait penser que je figure également
sur un site dédié aux brouettes (!) avec une citation (de Composants ? de Central ?).
(12/05/2004)
Je nétais jamais allé à Londres : cest maintenant chose faite à
loccasion dun week-end prolongé. Bus rouges à deux étages, taxis ronds et
massifs comme des chats, places, rues, couleurs des grandes villes. Londres et la Tamise
comme la sur jumelle de Paris mais pourquoi na ton pas construit un
Tower Bridge dans notre capitale, dans lombre de la Tour Eiffel et juste avant
léchappée vers Rouen et la Manche ? La Manche donc : la traversée
durera 20 mn, annonce une voix dans lEurostar. Le vieux rêve du tunnel est
devenu réalité et les deux surs deviennent siamoises à 2h30 lune de
lautre. Il a fait très beau (mon épouse et ma fille, 5 séjours à elles deux dans
la capitale anglaise, nauront connu que des temps cléments : le fog est-il
quune invention des frenchies ?). Hôtel à Belgrave road, long alignements
dimmeubles identiques, larrêt de bus devant un jardin ou fleurissait les
premiers lilas, à quelques minutes de Westminster, Big Ben, et la succession de places
jusquà Trafalgar. Voilà pour le décor.
Pour les occupations, Londres à lavantage de proposer lentrée gratuite de
ses musées détat (hormis les expositions temporaires, dun prix prohibitif
Roy Lichtenstein à 12 euros...-) que le passé colonialiste de la Grande Bretagne
a enrichi : collections égyptiennes au British Muséum, pierre de Rosette, par
exemple. La Tate Gallery est maintenant scindée en deux : la Tate Britain, so
british, avec la societé victorienne, Gainsborough, et dont le fond Turner constitue le
principal attrait, et la Tate Modern, située dans une ancienne usine électrique aux
volumes impressionants, qui regroupe dexcellents Picasso, Matisse, autres artistes
du XX° jusquaux contemporains comme Gerhart Richter. La National Gallery est plus
internationale avec un panorama complet de peintures italiennes et hollandaises (ah, le
portrait des Arnolfili de Jan Van Eyck...) et les tournesols de Van Gogh voisinent avec
Gauguin, Seurat, Pissaro.
Et bien sûr, il y a, hors les musées, la vie, la foule, limpression de liberté,
du " tout est possible " comme à Paris...
(05/05/2004)
Du sordide dans cette rubrique ! Détrompez-vous, ce nest quun
jeu
Un vilain jeu de mots entre mes enfants et moi, un jour où la télévision nous
abreuvait dinformations toutes plus sordides et délayées par des présentateurs
arborant un air professionnel de circonstance, le mot nous a échappé. Du sordide
Ainsi, parfois nous reprenons lexpression, ça va être LE
" sordide ", taisez-vous cest les nouvelles du
" sordide "
Sordide comme synonyme dinfos de 13h, de 20h,
bref toutes celles qui passent aux heures découte maximale et qui prefèrent
consacrer de longues minutes à narrer des faits divers tous plus navrants les uns que les
autres. Non que nous soyons insensibles aux malheurs qui nous frappent, mais quel est
lintérêt social de se lamenter en commun sur la dégradation (supposée) des
murs ? Cela attise la haine et lincompréhension entre individus, ne
provoque aucune solution aux malheurs des victimes. Mais il est vrai que cette gratuité
du fait-divers provoque de laudimat, et produit beaucoup de bénéfices. La peur
ainsi provoquée devient le ciment de réflexes consuméristes, lAméricain Michael
Moore à réalisé un excellent documentaire sur le sujet avec Bowling for Colombine.
Utiliser le mot " sordide " à la place du mot " JT de 20
heures " donne une toute autre perception des choses et de leur médiatisation.
Cela provoque aussi un autre effet très rapidement : on fuit la télé à ces heures
chargées de téléspectateurs, ou on préfère dautres chaînes à laudimat
moins développé, ou encore on varie les supports, journaux, radio
etc. Il me semble
quainsi on reste beaucoup plus à lécoute sur ce qui nous engagera tous
ensemble dans notre avenir, enjeux de lEurope, problèmes
géopolitiques
etc : on écoute et on cesse dêtre figé par la peur.
(21/04/2004)
Cet après-midi de dimanche, il y aura un concert de lensemble philharmonique de
Saint-Dizier, appelé " annuel ", bien que ce ne soit pas la seule
représentation de lannée de cette vaste formation qui existe depuis cent ans. Cent
ans ! Ce nest pas rien pour une association dune ville moyenne et qui
regroupe une cinquantaine de musiciens amateurs de tous âges pour un programme souvent
bien ardu, jugez plutôt pour cette année : concerto pour piccolo en do majeur
de Vivaldi, symphonie " roulement de timbales " de Joseph Franz Haydn,
lenlèvement au sérail de Mozart, lopérette " chanson
damour " de Schubert et Carmen de Bizet.
Comme chaque année, je guetterai ma femme et ma fille aux pupitres des premiers violons,
mais il y aura un absent à côté delles : Jean Zammit, Président de cet
ensemble, est parti rejoindre dautres cieux et dautres musiques, aussi belles
on espère. Je lai appris à Brasilia, une semaine après avoir photographié à son
intention, et pour lui apporter à mon retour, la façade de la maison bleue qui abrite
lensemble philharmonique et l'école de musique de Salvador de Bahia (en rubrique Webcam). Nous navons pu assister à son dernier voyage, à
lhommage en musique qui lui a été rendu par une vingtaine de musiciens. Merci à
ma fille davoir pu y assister malgré le lycée et merci à mes enfants encore
davoir été si présents et si réconfortant auprès de lui et maintenant de
Claudine, son épouse.
Dans son appartement (dune tour de ce quartier qui a si mauvaise réputation), il y
avait accrochée sur le mur de la salle à manger, une vue de Bône, en Algérie,
doù il était originaire, et sa ville natale fut le lieu aussi de son premier
professeur de violon pour lequel il gardait toujours un souvenir ému. Jean était un
homme discret, cultivé et dune grande douceur, jaimais bavarder avec lui de
ses souvenirs denfance, pays de Méditerranée, celui de Camus quil citait
parfois. La dernière fois que nous lavons vu, avant notre départ, nous étions
tous réunis et lui si maigre sous ses draps d'hôpital, content de nous voir ensemble et
serein.
Son violon est maintenant chez son fils et il sera plus tard à Nice, enterré auprès
dune sur qui lui fut très proche. Et pour nous, restent les souvenirs de
lavoir vu si souvent devant un pupitre, assis dans un fauteuil, jouant pour lui, ou,
à de multiples occasions, comme par exemple muni dune extravagante casquette que
mon fils lui apporta d'autorité afin qu'il n'attrappe pas dinsolation lors de la
dernière fête de la musique (en rubrique Webcam encore).
(07/04/2004)
Une semaine après le Brésil. A peine le temps de se retourner que la vie habituelle
mavait déjà happé, rattrapé, au point que ce voyage ressemble à y penser à un
rêve. Ma vie habituelle est course, stress, travail, trajets, moments familiaux à
lemporte-pièce : prenons une journée, tiens, la meilleure de la semaine parce
quelle sacheva dans la musique et la danse, prenons jeudi. Voici le
programme : 6h réveil (cest lheure habituelle pour écrire, mais jeudi
est le jour où mon épouse travaille à 7h, donc, petit déjeuner en commun
),
7h-7h15, moments alternés entre la salle de bains et la chambre de mon fils (réveille-
toi !), avec joues couvertes de mousse à raser (les miennes pas encore celles du
junior), 7h30, la phrase qui tue : je men fiche, Marie-Claude va venir te
chercher dans 10mn pour le collège et tu nauras pas déjeuné ! Premier
énervement donc et sortir la voiture pour lhabituel trajet-travail (70km). Moment
France-Culture, actualités, alterné avec CD flûte-guitare, musique de Piazzolla. 7h30,
arrivée au boulot. Aérer (le nouveau bureau est une ancienne salle de repos pour
fumeurs
). Après, travail : ces inracontables moments, pourquoi ? (conseil
: lire tout Central et Composants pour l'ambiance). Repas en trente
minutes, lavantage dune restauration sur place. Reprise 12h30 : micros,
applications informatiques merdiques, projets, mises à jour, téléphone, réunion
(entretien détudiants pour des contrats dalternance, linsertion des
jeunes comme partie de mon job). Retour re-micros, projets, téléphone, coordination.
Décrochage à 18h45. Trajet du retour, 70 km (écouté le CD de Louis-René Des Forets,
récupéré la veille à la Bibliothèque municipale). Maison à 19h40. Famille : ça
va ? devoirs ? Le repas à préparer, pâtes ou assimilés. Dépêchons-nous, il
y a ce spectacle de Flamenco, danse et musique. 20h40 : bonjours à ceux que
lon connaît. Spectacle : très bien, chorégraphie énergique et
professionnelle, musiciens argentins excellents, musique de Piazzolla qui revient :
bon moment. Retour à 22h30. Le lendemain, on recommence à 6h.
(31/03/2004)
-
- Rio, Salvador, Manaus, Brasilia, Iguaçu : périple pour 15 jours de Brésil, 20000 km
d'océan, 10000 km de plateaux de terres rouges, méandres de fleuves et forets profondes,
déserts multicolores ou villes immenses, Rio, Salvador, Manaus, Brasilia et jusqu'en
Argentine en 20 atterrissages ou décollages, petit temps pour un espace immense.
D'abord Rio, cherchons Blaise Cendrars à Copacabana Palace qui a bien changé depuis les
années vingt, entourés d'immeubles, cernés des plages mythiques, filles d'Ipanema et
autre Bossa Nova, rythme et douceur, bus trépidants, massages le long des plages, pains
de sucre, ferveur et l'immense Christ qui veille au sommet du Corcovado.
Ensuite, Salvador " des nègres et des négresses ", comme aurait pu dire Blaise
dans cette époque où nous n'avions pas encore hypocritement repoussé certains mots,
Bahia donc aux églises, à la nonchalance affectée.
Puis, brutale, l'Amazonie et Manaus, du vert partout, de l'eau, Rio Negro et Amazone,
fleuves non miscibles, rafiot digne du film " la canonnière du Yang Tse Kiang
", ce qu'on a vu, dauphin, vautour, caïman, cobra, mygale, le nonchalant paresseux,
boa, toucan, perroquets, viande de tatou offerte à mon épouse dans un village, notre
guide indien qui écrase sur mon front un moustique d'un coup de machette, qui nous
annonce l'attentat de Madrid de retour à Manaus. Société mondiale
Société
mondiale, là encore niée avec idiotie et mépris par un couple de français rencontré
à l'aéroport, à qui nous apprenions la catastrophe : nous, vous savez, en vacances et
au fin fond de la jungle
Manaus enfin, la vision des bateaux serrés sur le fleuve,
les marchandises embarquées, débarquées, dans des camions ensablés jusqu'au bord de
l'eau, seuls moyens de rejoindre les contrées reculées. L'instant d'après, l'ensemble
philharmonique de la ville répétant un spectacle dans le magnifique opéra restauré qui
fut construit avec l'argent du caoutchouc.
Et sans transition, le lendemain, Brasilia la moderne, capitale boudée par les
fonctionnaires et les touristes, pourtant ce rêve si réel du Président Kubitschec et de
son architecte Oscar Niemeyer. Brasilia, vie rêvée, et merci à Jean-Marc et Sophie,
sans lesquels nous n'aurions pas mis sur pied ce voyage.
Iguaçu aux chutes inimaginables, incursion en Argentine et Paraguay si proche.
Fin du voyage ? Non, visions qui persistent : richesses, misères, jeunesses, l'impression
que tout est possible, retenir l'enthousiasme de Marisol qui croit si fort en son pays
(Lula au pouvoir comme un Mitterrand vers 83, état de grâce peut-être déjà
finissant
) et se souvenir des impressions de Cendrars à son premier voyage : rien
n'a changé depuis 1924, émotiao Brasil
(25/03/2004)
-
-
- Au début du mois (note détonnement du 04/02/2004), je citais le journal de
Michel Leiris et les sensations quil éprouvait, notamment pendant
loccupation, comme suffisamment proches de ce qui se passe actuellement. Ainsi,
serions-nous entré dans une guerre sans le savoir ? Il est vrai que la devise
Liberté Egalité Fraternité sest peu à peu changée en Travail Famille Patrie
avec notre gouvernement actuel comme aux heures sombres de lhistoire. Bien entendu,
à cette époque, nous étions en guerre et une armée étrangère envahissait nos murs,
ce qui fait une sacrée différence. Vraiment ? Dans notre société devenue mondiale
où nimporte quelle nouvelle peut parcourir la terre dans la minute qui suit, la
donne a évidemment changé : nous suivons une actualité et bien que nous
nadhérions pas ou peu aux bouleversements mondiaux en cours, force est de constater
que des événements comme la guerre en Irak, la situation Israël Palestine, pour ne
citer queux, influent sur la teneur générale dun discours et du langage qui
y est associé. Les conséquences de ce langage guerrier sont sous-estimées : peu
importe finalement que la France se soit opposée à la guerre, les mots
"terrorisme ", "check point ",
" attentats ", " voitures piégées " vrillent
notre cerveau et y développent des sentiments semblables aux autres sociétés plus
belliqueuses : recherche effrénée de la sécurité, loi concernant le voile, sans
compter les réactions qui sy associent et divisent les avis.
Cest ce qui me laisse à penser que nous sommes malgré nos réticences en guerre,
déclenchée par dautres, une guerre dont nous ne pourrons agir dessus si nous ne la
nommons pas. Nous sommes ainsi dans limpossibilité de développer les
indispensables réactions pacifiques, négociatrices. Seul nous atteint comme un immense
malaise le langage guerrier qui sy développe et que Gabriel Bergounioux nous livre
magistralement dans son livre " Il y a un " (en Note de lecture).
(25/02/2004)
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-
- "Un enfant sur dix ne sait pas lire le best-seller de l'année", c'est le
titre de ce qui est annoncé comme une " opération " et qui fut effectuée par
une grande chaîne de distribution de biens culturels en décembre dernier. Pour chaque
livre acheté, une part était reversée à des associations oeuvrant dans la prévention
de l'analphabétisme, 120 000 euros ont ainsi été récoltés.
- "Un enfant sur dix ne sait pas lire le best-seller de l'année", voilà qui
résume bien non seulement ce qu'on annonce arbitrairement comme une faillite du système
scolaire, mais aussi la pauvreté culturelle de notre société et plus profondément
encore, d'une façon tellement caricaturale l'absence de perspective, espoir, avenir de
cette même société. Bien-sûr on ne peut que se réjouir de la somme versée, de cette
belle idée de
de
de
allez, vous avez deviné le mot comme moi, bien
conditionné que nous sommes
de solidarité ! Solidarité, solidarité, belle idée
de départ récupérée par les gouvernements de passage et destinée à combler les
manques de leurs politiques, se donner bonne conscience : opération " Pièces jaunes
" avant les élections (de toute façon, il y a toujours un avant les élections)
patronnée par la femme de notre Président, opération " Lutte contre le cancer
" alors que le budget général de la recherche et dont dépend celle-ci a été
considérablement réduit, opération hyper médiatisée " Téléthon " (au fait
se souvient-on pour quelle cause, au bout de tant d'années). Opérations donc, au sens
guerrier du terme, du même type qu'opérations militaires
Il est très difficile de
s'exprimer sur ce sujet sans passer pour un sans cur, un radin (tout de même 120
000 euros pour des associations de prévention de l'analphabétisme, ce n'est pas
rien
). Oui, on a donné, on a bonne conscience, on oublie sa voisine de palier dont
le mari est à l'hôpital. D'ailleurs il est assez extraordinaire de s'apercevoir du choc
qu'a provoqué la canicule et des décès qui y furent liés, non pas tant pour l'horreur
supposée de ces situations d'abandon individuel, mais il fallait réagir vite,
récupérer cette histoire dont les causes profondes risquaient de réveler ce qui n'avait
pas été fait depuis des années, manques de moyens des hôpitaux, restrictions
budgétaires endémiques
etc, pourrir la vie politique
Raffarin a donc été
tapoter les mains des petites vieilles (pardon, écart de langage collectivement
incorrect
de nos aînées) dans les hospices.
- Mais ce n'est pas ce dont je voulais parler à propos de "Un enfant sur dix ne sait
pas lire le best-seller de l'année". Le choc, c'est bien la première partie de la
phrase, voilà l'idée généreuse de cette grande chaîne de biens culturels, la
deuxième partie (le best-seller de l'année) est sans doute moins glorieuse et trahit
l'idée que la culture est machine à faire de l'argent (trahit aussi le véritable enjeu
de cette librairie : faire vendre plus, si besoin est, en utilisant la corde sensible de
leurs clients). Ainsi, le livre est résumé dans la vente de best-seller. Cet acteur
important de la culture,donc qui fait poids dans ce domaine, répand l'idée qu'il semble
inconcevable qu'un lecteur digne de ce nom (culpabilisation en prime) ne puisse pas lire
un des best-seller de l'année. Les autres livres sont rayés (retirés des rayons et
c'est hélas une réalité). Peu importe le contenu, souvent fallacieux et tendancieux de
ces best-seller, la seule perspective offerte à ceux qui apprennent à lire est cet
étonnement stupide " un enfant sur dix ne sait pas lire le best-seller de l'année
" et qu'il se dirige vers ces lectures insipides, qui ne remetteront jamais rien en
cause
Ou comment, de l'ouverture à une idée généreuse, réussir à continuer à
se refermer le monde à travers nos illères
Pour illustrer mes propos, en page d'accueil cette semaine et webcam
du jour, photo de ce qui se trouve à gauche de mon bureau : information scolaire de
Robert Doisneau et l'effigie d'une école en platre offerte par mes nièces alors qu'elles
étaient en Guadeloupe.
(11/02/04)
- Michel Leiris racontait très souvent ces rêves dans son journal. Encore faut-il
pouvoir s'en rappeler à son réveil. Justement en voici un qui m'a laissé un souvenir
précis sans doute car il touchait de près à l'écriture et parce que l'ambiguïté du
sens ravirait bien des Freudiens en recherche de " l'interprétation des rêves
", le fameux classique du psychiatre autrichien, étudié à mon époque en classe de
seconde.
Cela se passe à mon travail, dans un de ces lieux anonymes (un central ?) peuplé, il me
semble, de techniciens et d'employés divers. Il y en a un, installé un peu plus loin, un
de ceux qui passent parfois, qui s'installent sur un coin de bureau, qui remplissent
quelques papiers mystérieux, se connectent à des micros portables, règlent des affaires
commerciales ou techniques avec leur mobile, nomadisme (devenu de plus en plus répandu)
oblige.
- Je suis avec ma collègue actuelle que je quitte car le nom de cet intervenant de
passage m'évoque un écrivain, Michel Quint, je crois savoir, et qui m'autorise à
l'interpeller aussitôt sur son activité d'écrivain. Il acquiesce, un peu surpris, du
même type d'étonnement que je manifeste quand on vient me rappeler cette double
existence (et l'importance énorme que j'y y mets, cette méfiance, mise en garde, jardin
pas secret mais réservé). J'enchaîne aussitôt sur des choses éditoriales, la bonne
tenue de l'éditeur Joëlle Losfeld, toutes remarques incongrues en ces lieux, qu'il ne
dément pas, sans toutefois m'encourager à continuer, occupé dans son travail. Le Michel
Quint de mon songe est blond, plutôt petit. Et dans la réalité ? J'ai l'idée de lui
offrir mon dernier livre que je vais chercher dans un de ces antiques casiers de bois aux
usages indéfinis d'autrefois, vestiaires, boîte à outils, entrepôts de papiers divers.
Je reviens vers lui en posant un exemplaire qu'il ne regarde pas, occupé à téléphoner.
Je suis surpris de son indifférence jusqu'à ce que je m'aperçoive soudain que
l'exemplaire de mon dernier roman s'est transformé en son ouvrage à lui. Je fonce donc
vers le casier avec un peu d'appréhension : tous mes exemplaires se sont identiquement
fondus. Je suis profondément interloqué et je me réveille.
- Etonnant, n'est-ce pas ? Questions, explications ? Pourquoi Michel Quint ? Ne sais pas.
La veille en lisant la revue des libraires Page, il était cité, mais comme bien d'autres
auteurs. Et que veulent dire mon dernier livre et le sien ne faisant qu'un seul ? En même
temps que cette réduction, il y avait cette ambiance double des deux métiers qui
cohabitent, et tellement vraie, tellement celle que j'éprouve
(04/02/2004)
- Inventaire télévisuel : force est de constater que je consacre de moins en moins
de temps à regarder la télévision. Le mot " consacre "
dailleurs semble mal approprié, la TV tombe de son piédestal, le temps nest
pas loin où je finirai par me demander ce que fichent les deux écrans de verre stériles
et inesthétiques dans la maison. Je me faisais cette allusion lautre jour en
remarquant par une inhabituelle soirée dennui (ou plutôt une habituelle soirée de
spleen où rien de ce que lon envisage semble la peine dêtre tenté
fatigue, donc
) que je nenvisageais nullement dallumer le petit écran,
même uniquement pour le fond sonore. Ainsi, me serais-je déshabitué ? Jai
retrouvé un inventaire télévisuel (Etonnement du 23 mai 2001) et qui ma donné
lidée de recommencer lopération deux ans et demi plus tard
Jai
donc repris le programme télé de la semaine dernière pour vérifier ce que javais
regardé. Résultats : Faut pas rêver, deux heures démission le mardi
sur la route de la soie sur France 3, une demi-heure dEnvoyé spécial
(France 2) le jeudi en fond sonore et tout en consultant Internet, quinze minutes
dune émission sur les Peaux Rouges (Arte) lors du repas de samedi soir,
inévitablement entrecoupé des conversations familiales. En tout 2h45 démissions
chopées par hasard et pour une semaine contre près de 10h en 2001 (la moyenne,
daprès un récent article, na augmenté que de quelques pour cent en 2003 et
reste de plus de 3h/jour et par habitant donc 21 h par semaine mais beaucoup
plus aux Etats-Unis, au grand désespoir des annonceurs publicitaires français
).
Pas de doute, la désintoxication télévisuelle fait son chemin chez moi
Pourtant, en me remémorant plus près ma semaine télévisuelle, je me suis également
aperçu de gestes réflexes nouveaux, comme par exemple avoir éteint le téléviseur
lorsque jai vu la tête de Sarkosy et avant même découter ce quil
disait. De plus en plus dailleurs, je coupe les journaux dactualités au bout
dune ou deux minutes, par une sorte de saturation des problèmes
franchouillards-franco-français qui y sont évoqués : voile ou laïcité,
obnubilation devant les malheureuses 130 victimes dun accident davion et qui
efface 30000 décès du tremblement de terre iranien du jour au lendemain. Bref, un
énervement, une sorte de refus de cette médiocrité, lactualité du sordide, le
sensationnel du désastre quotidien, linsécurité en bas de chez moi, tout et qui
mapparaît tellement typiquement français et rétréci que jen viens à
espérer du fond du cur que lon propose (je ne sais par quelle tour de magie
parlementaire) laccession à une identité européenne et que je puisse abandonner
une nationalité qui maintenant me ferait presque honte
Mes propos sont-ils durs,
ingrats sans doute ? Tant pis, jassume les conséquences de mes émotions, mais
revendique ce coup de gueule
Et finalement tout cet énervement avec pour point de départ cet anodin inventaire
télévisuel. Car, ne loublions jamais, médias et surtout TV sont les relais
pernicieux dune société qui sait très bien comment diriger les heures de liberté
des 35 h de ses habitants actifs, les lâcher devant une connerie genre Bigdil, les faire
se démener une fois par an au Téléthon (et oublier le restant de lannée, la
misère
). Cest cette société étriquée, manipulée que je refuse, et par
respect pour lhomme.
- (28/01/2004)
" Plutôt que l'éclatement d'une guerre mondiale, ce qui caractérise notre
époque n'est-il pas un enfoncement progressif dans une guérilla généralisée ? Guerres
locales qui en apparence s'éteignent et se rallument, terrorisme sous toutes ses formes
(pirateries, kidnappings, massacres d'otages, attentats à la bombe
etc.),
développement de l'insécurité sur le plan du crime de droit commun, aussi bien que sur
le plan politique
"
Ce texte qui colle à l'actualité internationale, a été écrit quarante ans plutôt, le
18 décembre 1973 (Journal de Michel Leiris).
Le monde change
"
l'attitude des français
/
: abandon complet, soumission au
vainqueur, réactions policières, toutes les formes de la lâcheté. L'on a cette idée
mystique qu'après être redescendu au plus bas, il doit nécessairement s'opérer un
redressement
/
Vie à l'étouffée, à l'étuvée, comme sous un boisseau ou
derrière un masque. Impression de brouillard pénétrant juqu'à la liquéfaction. Comme
une pluie tenue mais persistante dont le ciel ne se débarrassera jamais, le temps coule.
"
Ce texte qui colle à l'actualité nationale, ambiance locale et autre sarkosysmes
sécuritaires, a été écrit soixante trois ans plus tôt, le 6 juin 1941, à Paris,
pendant l'occupation (Journal de Michel Leiris).
Le temps coule
(21/01/03)
-
- - Papa, je sais ce quil faut que tu écrives pour avoir du succès !
Jécoute, soudainement intéressé. Mon fils, une de ses revues à la main :
- - Il faut que tu écrives des lipogrammes
- Et lisant la revue :
- " Lauteur dun lipogramme se donne pour obligation de ne pas
employer une ou plusieurs lettres de lalphabet dans son texte ".
Regarde (me présentant sa revue) : ils citent même Raymond Queneau
- Ils auraient pu citer Georges Perec : dans son roman La disparition, il
ny a pas un seul e et cest sans doute la voyelle la plus répandue. Tu te
rends compte de lexploit sur tout un roman !
Pierre, songeur (et conscient des capacités de son père
)
- - Euh, oui
Cest un peu difficile pour toi
- Il séloigne
Puis revient, lair triomphant :
- - Je sais ! Tu nas quà tentraîner avec des lipogrammes
faciles : par exemple, écrire tout un texte sans un seul z
(14/01/2004)
40000 visites pour Feuilles de route à lavant-dernier jour
de 2003. Le 18 janvier dernier, cétait la barre des 20000 que javais
franchie. En fait cela ne veut pas dire grand chose. Au début dInternet, les taux
daudience étaient vécus comme autant de perspectives de notoriété, voire comme
darguments commerciaux pour placer son entreprise sur le Web. La vision planétaire
apportait des perspectives de développement quon relayait et confortait en citant
les exemples (non vérifiés) de telle boîte qui avait décuplé son chiffre
daffaire, de telle autre qui était passée de lanonymat aux feux de la rampe.
Au bout de quelques années dexpérience, les rapports entre le compte de visiteurs
et le développement apparaissent moins évidents. Prenons le cas de Feuilles de route :
site mis à jour (en principe) de façon hebdomadaire, ce qui ajoute semaine après
semaine des éléments nouveaux, des mots-clés, venant accroître sa visibilité dans les
moteurs de recherche : tapez par exemple " Jean Planque, François
Dagognet ", vous irez sur Feuilles de route, mais ce nest pas
forcement les micro-articles perdus dans le site sur ces deux amateurs dart que vous
cherchez
Bref, comment estimer ? Et quoi dabord ? Se rassurer, se
faire plaisir en cherchant à savoir qui sont les fidèles des fidèles ? Chercher à
savoir combien de lecteurs potentiels (donc dacheteurs
) viennent dans le
sillage ? Ce nest pas de but de Feuilles de route. Pourtant je continue
de regarder chaque jour le nombre de connexion, cest un chiffre qui me rassure quand
il oscille dans la moyenne. (Et pourquoi ? Pour éluder quelle angoisse?) Quand le
chiffre est plus haut : je cherche par quel hasard on vient chez moi, référencement
dans une revue ? un article de presse ? Plus bas : cest que vous
êtes en vacances ! Cela paraît une boutade mais il est vrai que la fréquentation
baisse le week-end, et les intitulés des sites dentreprise me laissent penser que
beaucoup sévadent sur le Net pendant les heures de boulot. Cest un
phénomène qui est mal étudié (car bien entendu tabou, se distraire au travail) mais
qui serait très intéressant à analyser par un sociologue
Oui, mais revenons à nos comptes, combien ? Question : comment estimer le
chiffre dun site mis à jour chaque semaine ? et combien viennent chaque
mois ? tous les six mois ? Allez, estimons à 200 le nombre de visiteurs
réguliers
200 sur 40000, on voit bien que les chiffres ne racontent rien
Internet en a tout de même effrayé plus dun par cette facilité comptable de
compter les intrusions dans votre vie virtuelle et nombreux sont ceux qui ont renoncé à
étaler leur expérience sur le Web peut-être à cause de ce vertige des chiffres. 40000
peut être vécu aussi comme 80000 yeux qui vous regardent
Mais Feuilles de route est surtout une sorte de journal qui mapprend
beaucoup, il me semble que jai dépassé le stade de savoir sil est
bénéfique ou non dexposer ainsi son image, de connaître si cela sert ou non le
regard quon aimerait donner de soi. Et puis cette question de lacceptation de
soi induit un préalable : celui de se reconnaître dans cette sorte de réflexion
virtuelle. Car celui que je regarde chaque jour " devant le miroir de la
salle de bain (ou plutôt juste une glace entourée dun liseré de plastique vert
vif, le sommet étiré en une protubérance trouée par la vis fixée au-dessus du
lavabo)
/
visage enduit de savon à barbe, puis le glissement lent du rasoir
Paysage et portrait en pied de poule, p 155 " est
jusquà présent toujours un autre, compagnon familier mais parfait inconnu.
(07/01/2004)
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