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Notes de lecture 2007
Le Désert, Albert Memmi, Folio
poche :
C'est en tant qu'essayiste qu'Albert Memmi assoit sa réputation,
notamment avec son Portrait d'un colonisé paru en France
en 1956 et préfacé par Jean Paul Sartre. Mais quand lécrivain d'origine
tunisienne et de confession juive, publie le Désert, son parcours littéraire est
déjà riche d'oeuvres romanesques comme La Statue de sel (1953), Agar
(1955) et Le Scorpion (1969).
Avec Le Désert, qui paraît en
1973, Albert Memmi écrit un roman foisonnant, aux aventures picaresques
où le héros joue de malchance et de déconvenues. En effet, dans
Le Désert ou "La vie et les aventures de Jubaïr
Ouali El-Mammi", lauteur laisse entendre que le personnage principal est un
ancêtre familial ou tribal. Il prête à son narrateur un passé de Prince déchu
qui n'a eu de cesse pendant toute sa vie de reconquérir son pays natal, "le
Royaume-du-Dedans". Le récit traverse un large cadre géographique, de lEgypte
au Maroc et du Soudan à lEspagne dans une époque encore médiévale où les cartes
ne sont pas totalement réparties entre lOrient et lOccident et où les
expéditions des grands aventuriers, comme Tamerlan et Gengis Khan viennent
empêcher les dynasties de sétablir durablement.
Le roman débute par un avant-propos qui permet de le
situer dans un contexte historique. Jubaïr a été fait prisonnier en 1400 par le
célèbre Tamerlan alors à l'apogée de son empire. Lenvahisseur, réputé pour sa
cruauté, épargne pourtant Jubaïr "beau vieillard presque sexagénaire" mais lui
demande de raconter sa vie et l'effondrement du Royaume-du-Dedans, afin qu'il
puisse en tirer des leçons pour pérenniser ses victoires et assurer un avenir à
la cité de Balkh quil a choisi pour devenir la capitale.
Jubaïr commence alors le récit de ses aventures. Le Prince, qui n'est encore
qu'un adolescent, se trouve exilé dans le désert après qu'un usurpateur ait ravi
le Royaume-du-Dedans. Il rencontre Younous qui restera, pendant de longues
années, son serviteur taciturne mais attentionné. Cette première expérience de
la solitude lui forgera le caractère et lui donnera à jamais le goût du désert
et de son dépouillement. Pour autant, Jubaïr doit accomplir le destin qu'il
s'est fixé, celui de reconquérir son pays. Son premier voyage le mène à Alger où
il ne trouve pas les appuis nécessaires. A Tunis le vizir Bologuine lui assure
sa protection. Mais les desseins dEl-Mammi passent après les guerres qui
épuisent le pays et le Prince essaie de trouver des refuges plus sûr à Kairouan
dabord, puis auprès du roi de Tlemcen et enfin en Egypte, auprès du sultan
Idriss III qui lui confie un emploi important à la cour de Fez. Il y apprend les
usages de la cour et à composer avec les personnages importants comme le Renégat
et le poète Tacpharinas. Bologuine le rejoint à Fez pour chercher un allié en la
personne du Sultan. Jubaïr retourne alors à Tunis et aide Bologuine à
reconquérir sa ville. Devenu l'ami du nouveau roi, Jubaïr est à nouveau mêlé aux
péripéties du royaume, comme la trahison du Renégat et ses projets sont à
nouveau retardés. Bologuine l'envoie en Castille comme ambassadeur. Il y
découvre un monde nouveau, chrétien, et tombe amoureux de Dolorès, protégée du
roi Pierre le Cruel qui le congédie. Sa mission est alors un échec puisque
Pierre le Cruel s'allie aux Bougiottes, ennemis de Bologuine. Pour autant le roi
de Tunis ne lui en tient par rigueur et l'envoie nouer de nouvelles alliances
vers le sud, au Pays des Faces Brûlées. Cest un succès mais malheureusement, à
son retour, Tunis est tombée aux mains des Bougiottes et Bologuine a été tué.
Jubaïr qui n'avait jamais pas perdu de vue son projet de reconquête du
Royaume-du-Dedans, perd ainsi son soutien le plus précieux. Le pays que le Roi
de Tunis tenait d'une main ferme tombe alors dans l'anarchie et Jubaïr s'allie
avec les tribus Zénètes et leur chef Al-Kahin, puis, à la mort de celui-ci avec
des brigands. Il aurait pu trouver dans ces guerriers, qui étaient prêt à
laider, un espoir de reconquête de son pays. Mais le fidèle Younous meurt au
court d'une attaque. Lassé, découragé, Jubaïr renonce à son projet et c'est au
moment où il sy attend le moins qu'il apprend que son exil est terminé. Il
revient alors dans son pays natal pour y jouir dune vie paisible.
Malheureusement, les troupes de Tamerlan envahiront bientôt le Royaume-du-Dedans.
Le récit se termine comme il a commencé, par un appendice : Tamerlan, mort en
1404 neût pas le temps mettre en uvre les conseils avisés que le Prince
El-Mammi lui avait distillés tout au long de son récit et son empire commença
son déclin. Les conseils, les déductions sur la nature humaine et sa soif de
puissance, destinés à Tamerlan pour éviter le déclin de son empire se
déchiffrent en filigrane du récit de la quête incessante de Jubaïr pour
reconquérir son royaume. Le narrateur, à la fin de sa vie aventureuse, conclut
que l'immobilité et la sédentarisation provoquent la mort de toute dynastie,
c'est la leçon qu'a retenu Jubaïr de sa passion du désert et des nomades et de
l'observation des puissants qu'il a côtoyés. De même que la reconquête du
Royaume-du-Dedans lui a toujours échappé, les destins fuient sans cesse les
individus mais se réalisent parfois au moment où lon s'y attend le moins. Par
contre, le seul triomphe définitif est celui de la mort et c'est avec cette
phrase que Jubaïr termine son récit.
(19/12/2007)
Carnet de notes (1991-2000), de Pierre
Bergounioux, Verdier :
J'avais déjà rendu compte du précédent recueil qui illustrait la décennie
antérieure (note de lecture
du 26/04/2006).
En relisant le long article que j'y avais consacré, je
m'aperçois que c'est le même enthousiasme qui préside à la lecture longue de
plus 1200 pages et 3000 jours que j'ai entrepris depuis ces semaines. Chaque
soir je me glisse dans cette répétition des jours qu'un autre a vécu en
parallèle de moi. Je ne sais pas trop expliquer cet engouement qui me surprend.
Le journal, puisqu'il s'agit bien de ce genre littéraire, a déjà été maintes
fois utilisé et je souviens par exemple de la traversée du siècle dans le
Journal 1922-1989 de Michel Leiris (note de lecture du
04/07/2001). Mais
cette fois-ci, c'est cette proximité des jours que j'ai également vécu dans
toute cette conscience. Proximité aussi d'organisation identique avec famille,
enfants, lessives, valse de la banalité et de la vie matérielle. C'est un
peu comme si quelqu'un me racontait en lieu et place ce que moi même j'ai dû
ressentir au même moment, toute ces difficultés que nous impose le quotidien
"appliqué à la vie moderne" pour reprendre une expression chère à
1937 Paris-Guernica. Je
revis cette période par journal interposé, je suis la valse hypnotique des
jours, la météo du moment, les pensées les plus prosaïques, les moments
difficiles qu'on se rappelle : le 1er janvier 1998, pour moi, jour extrêmement
triste d'un deuil familial annoncé, Pierre Bergounioux évoque,
au même instant, le souvenir d'une pareil épreuve et termine sa chronique par
cette expression étrange que j'avais alors tellement ressentie au même moment
"nous entraîner dans la vallée des ombres de la mort". Par contre, dans le tome
précédent, un certain jour de décembre 1983, toujours aussi triste pour moi,
n'avait été constitué que de la considération la plus ordinaire du quotidien.
C'est sans doute ce qui fait la grâce de ma lecture : que quelqu'un ait pu
avoir, non pas les mêmes pensées, mais vivre et dépenser la même énergie en même
temps que moi. J'ai ainsi l'impression étrange de pouvoir récupérer dans la
proximité de ces pages une volonté, une hardiesse, un courage pour la suite des
aurores à vivre. L'auteur a écrit la fuite des jours et son rapport à ma place. Ce
n'est pas rien, ce n'est pas innocent et c'est sans doute avec cet état d'esprit
que j'explique ma lecture passionnée et opiniâtre de ce nouvel opus.
Pour autant, et c'est ce qui fait également l'intérêt de ma lecture, les
différences sont visibles. Il me semble que, si l'impression d'être en dehors du
siècle, "out of time" doit nous être souvent commune, Pierre Bergounioux, sorte
d'aîné neuf ans plus vieux que moi, fait déjà partie d'une demi-génération de
plus qui a
du mal à s'expliquer avec celle qui forme ma référence. Le peu
d'attrait pour l'informatique (et ces Carnets de note en sont la preuve)
montrent déjà la limite et l'irruption soudaine du numérique dans nos vies :
j'étais dedans très vite et exclusivement, mais pas lui. De même, les révélations qui ont façonné sa vie
depuis 1967 sont en dehors de mes préoccupations : j'étais trop jeune, mais pas
lui.
De cette bascule des années, on peut distinguer pour soi-même quelques
réflexions et qui rejoignent même parfois la politique et l'air du temps :
comment, en étant prof de gauche, on participe avec naïveté à l'incompréhension
d'un "sous-prolétariat" (c'est le terme qu'emploie l'auteur) qui devient encore
plus marqué dans les années quatre-vingt dix. Et comment, soit même, prof de
gauche et partisan forcément de l'ascenseur social, on a su préserver ses
intérêts personnels, la réussite scolaire de ses propres enfants, simplement
parce qu'on était "dans le système", qu'on savait ce qui était bien, au bon
moment, pour la suite des études tandis que tant de familles ne bénéficient pas
de cette connaissance de spécialistes. La faillite de la gauche (Ce
grand cadavre à la renverse, note d'écriture de cette semaine) est peut-être
le résultat de ses dissensions, de cette différence entre la volonté
philanthropique du départ et l'aboutissement tangible, réel et finalement
modeste d'une société qui dénigre la culture au profit de la consommation. Et
qu'apparaisse cette fracture, ici vécue comme en filigrane dans la suite des
jours, révèle la personnalité exigeante et généreuse de l'auteur.
J'apparais dans ce Carnet de note, un 23 septembre 2000 : je venais de
publier Central et je l'avais envoyé à Pierre Bergounioux et qui m'avait
très gentiment répondu. Et comme il est étrange de faire irruption, à la page
1231, dans cette vie silencieuse, racontée au jour le jour pendant dix ans et
lue, en ce qui me concerne, depuis une dizaine de semaines avec un intérêt
lent et fervent.
(04/11/2007)
Foire aux livres d'Amnesty, Lire en fête
d'octobre 2007 :
S'il est vrai que cette rubrique a pêché un peu dans
les dernières mises à jour, la lecture n'en continue pas moins. Je suis un
lecteur du soir, même très tard (la nuit dernière, en rentrant d'une
soirée, il devait être deux heures du matin mais c'était la même ferveur de
lecture, en ce moment, c'est Carnets de notes 2 de Pierre Bergounioux).
Tout cela illustre bien la
difficulté de rendre compte avec régularité de la chose lue. Pour corser la
difficulté, je me rajoute un peu de livres avec le traditionnel Lire en fête qui
accueille les non-moins traditionnels étals des bouquins d'occasion que propose
avec régularité Amnesty International.
Cette année, c'est à la MJC du Vert Bois qu'a eu lieu la manifestation, occasion
de rappeler quelques événements de début octobre qui ont défrayé l'actualité.
Vitres étoilées par les jets de pierre, pièces noircies par l'incendie,
événements des cités dit-on, c'est dans ce décorum que la culture vient
reprendre la place (troisième lettre) qui lui est due dans le sigle MJC, et
les Jeunes (deuxième lettre) sont plus attristés qu'ils ne le disent dans la
déliquescence de cette Maison (première lettre) qu'on appelle France.
Arpenter le nez au raz des bacs de livres semblant une occupation plus
tranquille,
voici donc quelques trésors de lecture dénichés ce jour.
En éditions classiques : Sur la scène comme
au ciel, de Jean Rouaud, Lettres à Lili Brik (soeur d'Elsa Triolet)
de Vladimir Maiakowski, Deux marie Ndiaye (En famille et Rosie
Carpe), Pavese dans la collection des lieux de l'écrit (je possède
déjà Claude Simon), Michel Tournier Vendredi ou les limbes du
Pacifique, Azakel de Boris Akounine, une biographie Je, Gauguin de
Jean Marie Dallet, un livre sur les trésors retrouvés de la
fameuse Revue des deux mondes, chère à la plupart des écrivains du XIX°, les notes sur la photographie de Roland Barthes,
La Chambre claire.
Pour la passion sicilienne,
voilà Le Guépard
de Guiseppe Tomasi di Lampédusa et quelques livres pour une égyptomania
familiale comme La
Malédiction des pharaons de Tom Holland, Imhotep, de Pierre Montlaur,
Des dieux, des tombeaux, des savants, le roman vrai (sic!) de
l'archéologie, de C.W.Ceram et enfin pour varier de pays, Confucius, du
remarquable écrivain japonais Yasushi Inoué.
En éditions de poche : Les milles et une nuit, Lettres à
Sophie Volland de Diderot, Le perroquet de Flaubert de Julian Barnes, La Machine molle
de William Burroughs, Je m'en vais d'Echenoz (avec un supplément
sous forme d'entretien "dans l'atelier de l'écrivain"), Sanctuaire, de
Faulkner (un des grands chocs des lectures adolescentes de Pierre
Bergounioux qui affirme dans ses Carnets de notes 2, justement cités plus
haut, qu'il avait écrit à
l'éditeur pour avoir osé publier un tel livre). Pour ma fille
absente et ses études d'histoire, le volumineux recueil universitaire de l'Etat
du monde en 1492. Mon fils,aux goûts éclectiques, aura choisit
aussi Le portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde, Danse macabre, de
Stephen King, Vampire junction de SP Somtow, L'antéchrist de Nietzsche
avec un commentaire marrant de celui qui l'avait offert au précédent
propriétaire : "Bon courage, Nietzsche est dur. Sur un mur de Los Angeles,
quelqu'un a marqué "Dieu est mort !" (Nietzsche) et quelqu'un a répondu "Nietzsche
est mort" (Dieu)".
Au total, donc, vingt-six livres pour 39 euros, soit 1,5 euros le livre à
rapprocher avec les 43 acquis en 2001 pour 330 francs (eh oui, toute une époque,
les francs !) ce qui correspond à 1,17 euros, soit une augmentation de 28% en 6
ans, donc une moyenne de moins de 5% par an, calculs stupides d'apothicaire : à
combien estime-t-on le bonheur de lecture ?
(24/10/2007)
Les Bienveillantes, Jonathan Littell,
Gallimard :
Décidément, je suis à contre courant de la rentrée littéraire de cette année
(on ne croirait pas que j'y participe à cette rentrée 2007...). Cette semaine,
je parle aussi en rubrique Étonnement de Muriel Barbery et de L'Élégance du
hérisson et voici maintenant l'autre succès de chez Gallimard, couronné par
le Goncourt de l'année précédente avec la polémique que l'on sait, la passion
que chacun y a mis concernant la morale de pouvoir présenter la deuxième guerre
mondiale du côté des bourreaux allemands, de surcroît par l'intermédiaire d'un
personnage cynique et qui ne regrette rien. Là encore, comme pour Catherine
Lépront, je garde de ce volumineux roman, des impressions, cette fois-ci, non
pas liées au printemps avec lequel j'avais lu Esther Mésopotamie, mais
dans la chaleur et la quiétude régénératrice de mes vacances en Sicile. Sans
doute, ce que je me souviens le mieux, c'est de ces après-midi à la plage où je
lisais ce livre, assis au bord des vagues, les pieds dans l'eau et le soleil qui
me brûlait la nuque. Souvenir aussi de cet italien qui m'avait abordé, intrigué
de me voir porter ce volumineux roman. Il ne parlait pas français et je n'aligne
pas dix mots dans sa langue, nous avions juste échangé quelques onomatopées
sportives, seul terrain pour lequel, il nous avait semblé avoir des
connaissances communes. Je lui citais Fausto Coppi, il répondait Jacques
Anquelil, à Zambrotta ou Del Pierro, je répliquais Zidane et Thierry Henry, à
Buffon (prononcé bouffonne), je faisais valoir son homologue Barthes (prononcé
bartesse... Tiens c'est drôle, deux gardiens de but aux noms d'hommes de
lettres... lettres = but à atteindre ?). Et nous avons bien entendu évité tout
deux de parler de Materazzi et du coup de boule de Zinédine. Mais je
m'éloigne des Bienveillantes. En fait pas tant que cela, car le contenu
du livre est justement fait de cette matière : comment nos actes les plus
anodins peuvent avoir une signification autre, voire, dans le contexte de cette
deuxième guerre, révéler l'horreur absolue qui nous hante depuis. Loin, me
semble-t-il, l'idée de Littell de diminuer, banaliser cette infamie collective.
Mais il ne faut pas être dupe : ceux qui ont participé de près ou de loin à ces
atrocités (et dans n'importe quel camp) sont encore parmi nous, ne regrettent
pas toujours, n'en sont pas toujours névrosés, de même que si une telle
abomination se reproduisait, qui peut affirmer à priori que sa conduite serait
irréprochable ? C'est ce fil conducteur qui traverse les mille pages de ce récit
fouillé, argumenté, historique. Et ce qui en fait son mérite, c'est une volonté
d'aller au bout des raisonnement collectifs, de mettre à nu les comportements,
les décisions prises, de savoir également que certains crimes n'ont pas été
empêchés, pire, qu'ils ont été commis en toute conscience et sans remord. Les
Bienveillantes sont un regard, celui d'oser se regarder sans complaisance,
celui, à la fois, de croire à la sauvagerie de l'homme et à sa possible
rédemption, celui d'admettre que toute l'horreur vécue pourrait recommencer
demain et que nous pourrions en être, cette fois-ci, les bourreaux.
(10/10/2007)
Esther Mésopotamie,
Catherine Lépront, Seuil :
Lire un livre au printemps (quand ? mai ?
juin ?) et en parler quelque mois plus tard, sans aucune note est un exercice
étrange. Un peu comme passer au tamis quelque chose. Le plus lourd reste : or du
gravier des fleuves, cailloux des lentilles, grains de blé dans la farine. Le
nom des personnages m'échappe, sauf celle qui ne figure pas dans le livre et qui
s'appelle Esther. C'est l'histoire d'un trio réuni au hasard de la vie. Il y a
un savant, sorte d'historien spécialiste de la Mésopotamie, qui parcourt
régulièrement le Moyen-Orient pour ses recherches et son travail. Il y a une
étrangère, d'un milieu modeste, qui est devenue en quelque sorte la
concierge du pied à terre parisien que possède le savant entre deux voyage. Il y
a une autre femme qui est devenue au hasard d'études qu'elle a abandonnée
l'assistante du savant. Les deux femmes vivent dans le mythe d'une inconnue
qu'elles imaginent, Esther, inconnue dont le savant semble épris. Ce mystère
devient un jeu entre les trois personnages jusqu'à ce que la maladie de
l'assistante pousse chacun à dévoiler ses peurs, ses sentiments et ses cartes, à
trier en quelques sorte la part de fiction de la réalité, comme je viens de
trier les souvenirs de cette lecture déjà lointaine. Le plus important pour moi,
ce sont les impressions que laissent une telle lecture : non pas une oeuvre
impérissable et c'est tant mieux car c'est une histoire intimiste, nostalgique
qui me laisse un goût tranquille, non pas un grand bouleversement de l'âme, mais
l'impression d'avoir lu quelque chose de bien fait, bien écrit. De Catherine
Lépront, je me souvenais d'un petit livre
Lou,
chez Inventaire-Invention et qui doit faire partie du modeste leg que j'ai
fait à la bibiothèque municipale de ma ville, quelques années auparavant. Par
moment, en fouillant au hasard des rayons destinés au prêt, je les retrouve.
(10/10/2007)
Si par une nuit d'hiver un voyageur, d'Italo Calvino, Points Seuil :
Dans la préface de l'édition, Paul Fournel, que l'Oulipo relie à Italo Calvino, a cette
très belle formule à propos de ce roman "qui raconte par le menu comment les
feuilles viennent aux arbres". Livre des cycles multiples, arbre, homme, papier ou
lecteur, écrivain, livre ou réalité, fiction, évasion, c'est donc le livre du
mouvement perpétuel, de la loi mathématique universelle, forcement oulipien.
Donc, je ne l'ai pas lu. Du moins pas entièrement. Et quand bien même je le ferai, la
petite histoire conçue pour cela continuerait à me hanter. Je ne l'ai pas lu
entièrement, je suis en cours, ne sais pas si je le finirai, mais le plaisir que j'y
prends est manifeste. Et pour cela je suis pile dans le sujet car Si par une nuit
d'hiver un voyageur apostrophe le lecteur : "tu vas commencer le nouveau Roman
d'Italo Calvino. Détends-toi..." commence malicieusement l'auteur car c'est un livre
où la mécanique de nos lectures est démontée. Mais ce n'est pas un essai théorique
sur l'habitus de la lecture, comme diraient les sociologues, quelque chose, donc, de
chiant, c'est au contraire, comme dirait, sur le même ton, un autre oulipien Raymond
Queneau dans Courir les rues, battre la campagne, fendre les flots, c'est, donc
subversif et gai, couleur de "caca aviaire" des pigeons son poème
"Propreté", cela rongeant nos habitudes et tics de lecteur. Je m'égare ?
pas tant que cela car nos us et coutumes de lectures ne sont pas si simples que cela et
obéissent à des lois séditieuses qui nous dépassent. Prenons le titre : Si par une
nuit d'hiver un voyageur et déjà nous voilà glissé dans une histoire dont nous
voulons connaître la suite, une fiction qui correspondrait à ce que nous lecteurs
espérerions y trouver. Mais Italo Calvino va plus loin : le récit s'interrompt
brusquement, il semble y avoir une erreur de pagination, d'imprimerie, dit-il à
l'attention du lecteur supposé, nous donc, contraints d'aller chez le libraire trouver
une suite et une lectrice qui fait rebondir le récit sur une autre histoire menée en
parallèle...etc., etc... Ainsi tout le récit est construit à la manière de ces rêves
ébauchés pendant la nuit qui nous obsèdent le matin parce que leur trame s'est
brutalement interrompue. Lire, c'est l'infini semble nous dire Italo Calvino : "tous
les livres continuent bien au-delà"... Alors bien sûr que je vais continuer le
chemin avec Italo Calvino, parti trop tôt, trop envie de savoir ce qui arrive si par
une nuit d'hiver un voyageur...
(11/04/2007)
Microfictions, de Régis Jauffret, Gallimard :
C'est mon bibliothécaire qui me prévient alors que j'emprunte Microfictions,
de Régis Jauffret : " Moi, je suis pas allé au bout. J'en ai lu une centaine. Vous
me direz ce que vous en pensez". A la maison, je feuillette donc le livre :
microfictions, oui, c'est bien cela, chaque texte fait deux pages maximum. Alors combien
peut-il y en avoir dans ce pavé de 1000 Pages ? Chacune est rehaussé d'un titre, souvent
accrocheur : on se glisse dans les premières phrases et comme le texte est court, on va
jusqu'au bout. S'ensuit alors une étrange sensation : le dégoût, le cynisme comme pour
la première "Albert Londres" qui tente de donner une déontologie
journalistique à des scènes de torture télévisuelles. Ou la tristesse, le
malaise : qui n'a pas ressenti sa propre histoire familiale de français moyen dans
"pauvre cons" ou dans "Tourne disque". Ou le voyeurisme, la tentation
des tabous dans nombre de microfictions qui mettent en scène l'égoisme et l'obsession de
nos fantasmes. Humour aussi : on rit dans la dernière nouvelle "Zoo" où
l'auteur, en guise de point final, se met en scène avec une joyeuse dérision. Bref, on
peut comprendre que ces microfictions nous surprennent, nous déstabilisent comme mon
bibliothécaire. Car Régis Jauffret nous rend une liberté de lecteur à laquelle nous ne
sommes pas habitués : en nous infligeant 500 textes courts, c'est une invitation à le
suivre tout en sachant qu'on prendra forcément distance, qu'on flanera en route, qu'on
continuera ou pas et par des chemins de traverse. Et dans chacun des textes, c'est bien à
nous qu'il rend le pouvoir des sensations éprouvées. A travers sa prose policée et
correcte comme une photographie bien cadrée, il nous propose de réaliser nous-mêmes la
mise au point, la focale, la distance que nous voulons donner à ses scènes. Après
lecture, il nous reste un goût amer et persistant dans la bouche qui pourrait bien
s'appeler solitude. Et peut-être que c'est là où se situe l'intention de Régis
Jauffret : nous donner conscience que ce que nous éprouvons de façon solitaire : rage,
fantasmes, brefs, tous nos sentiments intimes sont communs. Petites misères
inatteignables, qu'on ne peut partager mais qui nous relient aux autres à travers nos
propres microfictions. A ce prix, oui, on peut comprendre ce que Régis Jauffret a
déclaré dans une interview : ce n'est pas un défi, juste une question de
générosité.
(04/04/2007)
Foire aux livres d'Amnesty, édition 2007 :
Cela fait longtemps que je n'ai pas parlé de mes acquisition à la foire aux livres
d'occasion, réalisée au profit d'Amnesty : dans cette même rubrique (en archives), on
trouve la liste des 43 livres acquis le 11/04/2001, 14 pour Lire en fête 2004, une
allusion en avril de la même année dans une note d'écriture où je racontais que
j'avais même dédicacé un de mes livres trouvé dans un des paniers de cette brocante !
Ce week-end, donc, aucun de mes bouquins, quelques uns d'auteurs que j'ai déjà
rencontrés et ça fait toujours bizarre de voir leur noms sur des couvertures normées
Gallimard ou éditions de Minuit parmi d'autres. Cette année donc, je me suis procuré Le
Médianoche amoureux de Michel Tournier, Tu ne t'aimes pas de Nathalie
Sarraute, Moteur d'Yves Ravey, Le Monde à peu près de Jean Rouaud, Le
Chant général de Pablo Neruda et Histoires de Jacques Prevert dans la
catogorie poésie, La Tentation de Saint Antoine de Flaubert, La Télévision
de Jean-Philippe Toussaint, Naufragé volontaire d'Alain Bombard, et un livre
complètement oublié, Un homme se penche sur son passé de Maurice Constantin
Meyer, auteur haut-marnais qui fut prix Goncourt en 1928, trois après Raboliot
de Maurice Genevoix et quatre ans avant le ratage au même prix de Céline pour Voyage
au bout de la nuit. Mon fils s'est également procuré autant de livres, mon épouse
le Colonel Lawrence de Maxime Benoît-Jeannin, histoire de boucler notre histoire
de la Jordanie et sa fibre violoniste lui a fait déniché six livrets de partitions de
poche des quatuors à cordes de Beethoven et un autre d'un concerto brandebourgeois de
Bach. Décidément, on trouve de tout à la foire d'Amnesty, comme à la Samaritaine,
vieille pub que ne démentirait pas Henri Plantin, vendeur au rayon pêche du même
établissement et héros de Paris au mois d'aôut de René Fallet.
Et le tout pour vingt euros, à peine deux de plus que pour 1937 Paris - Guernica (oui,
mais quel livre !).
Il est vrai qu'en cette époque de Salon du Livre de Paris, on parle beaucoup d'Internet,
de la place raflée aux libraires, de la disparition programmée du livre. On parle
rarement des livres d'occasion, de ce qui remet dans le circuit ces petits tas de
feuilles. Pourtant cela démontre bien que le livre est un objet particulier, vivace au
point d'en perdurer au delà des premiers lecteurs. Et puis ça me fait toujours rêver
d'imaginer celui qui l'a lu avant moi, qui a parfois laissé des traces, annotations,
soulignements, son nom même sur la page de garde. Cet insondable mystère, pourquoi n'en
parlons-nous jamais ? Voilà un infra-ordinaire qui aurait bien plu à Georges
Perec, voir préface du livre du même nom recopiée cette semaine en Note d'écriture. Au
lieu de cela, nous préférons parler chiffres, statistiques, classements et c'est comme
cela que je me suis aperçu que ceux qui lisent plus de 25 livres par an, (ce qui me
semble un minimum...) sont considérés comme de "très gros lecteurs", 13 % de
la population, paraît-il, en voie de diminution constante. Avec plusieurs milliers de
bouquins sans doute dans mes bibliothèques, j'appartiens bien entendu à cette catégorie
d'extraterrestres au teint vert, à l'oeil myope et fatigué, à la lippe bavante sur des
pages imprimées éternellement ouvertes. Je me suis aussi amusé à comptabiliser mes
Notes de lectures : il y en a plus de deux cents depuis 2000. La tendance est à la
baisse de la quantité mais les textes que j'y consacre sont plus longs et fouillés car
la Note de lecture, me semble-t-il, évolue pour moi vers un genre plus large et plus
personnel que le simple rapport à l'histoire racontée. J'y mets dedans toutes mes
préoccupations du moments, craintes, espoirs, obnubilations, et sans doute j'espère que
ces sensations me seront restituées plus tard lorsque je tacherai de me souvenir
vaguement non pas de ce que j'ai lu, mais de comment et pourquoi je l'ai lu.
(28/03/2007)
Un homme dans la poche, Aurélie Filippetti, Stock :
Cest une histoire dadultère et ça commence quand cest déjà
fini, avec lévidence que ça devait se terminer comme cela : amour impossible,
chacun chez soi. Seulement, plus facile à faire quà dire pour une fois, aussi
faut-il écrire cette histoire pour en conjurer le sort. Cest donc une narratrice
qui le fait, lamante plus jeune dun homme rangé, et leur destin était
scellé dès le début. Tentative dexorcisme du chagrin provoqué par la rupture,
compréhension, psychanalyse et deux doigts de psychologie permettent à lamante de
trouver la part du père disparu dans cette relation, la part aussi dune histoire
familiale ouvrière abjurée au profit dun vertige bourgeois et attirant.
Voici pour lintrigue. Ma pauvre fille, tu nes pas la première (ni la
dernière) à qui arrive ce genre dhistoire, ont envie de dire les mamans de tous
poils... Pour le style qui en découle il est évident quon tourne vite en rond dans
ce genre de drame : le choix de sadresser à lancien amant avec un
" tu " complice et de continuer à lui servir des " mon
amour " grands comme la main, montrent une fraîcheur de ton et non pas une
naïveté car la narratrice qui avait compris dès le départ ce chemin de croix en
accepte toutes les conséquences et les souffrances. Mais bon, il faut bien se résoudre
au point final. Donc, après celui-ci quen retiendra-t-on ? Sans doute pas
grand chose et ce nest pas péjoratif, simplement que ce genre daventures
extra conjugales est voué à loubli. Lhomme dans la poche, cest met ton
mouchoir là-dessus et oublie-le.
Si jai lu aussi ce roman, cest parce que cétait le deuxième
dAurélie Filippetti que javais remarqué pour le premier Les derniers
jours de la classe ouvrière, paru en 2003 (voir Notes de lecture du 26/11/2003),
thème un peu semblable à ma première préoccupation également. Et je sais aussi
combien il est dur de sévader du premier sujet qui vous colle à la peau, celui du
" travail ", de la condition ouvrière. Or, était-ce véritablement
une évasion ? Amour et travail sont intrinsèquement mêlés : nous y projetons
avec un égal enthousiasme nos espoirs sociaux. Cest sans doute cet aspect
quil convient de retenir dAurélie Filippetti, par ailleurs fortement engagée
politiquement.
(21/03/2007)
La vie de Céline, de Frédéric Vitoux, Grasset :
Oui, après avoir lu les souvenirs de Lucette Destouches, veuve de Céline, ou
Céline à Meudon (dans cette même rubrique en Janvier), j'ai eu envie de continuer par
une biographie un peu plus exhaustive. Celle de Frédéric Vitoux est très complète de
la part de ce passionné de l'écrivain. N'y voyons pas admiration de tout ce qu'à fait
le docteur Destouches mais compréhension d'une histoire en marche qui m'intéresse au
plus haut point, surtout au moment où paraît mon roman 1937 Paris - Guernica.
Car Céline, en 1937, vient de faire paraître Mort à crédit depuis quelques
mois. L'insuccès relatif de ce nouveau livre, après le choc du Voyage au bout de la
nuit quelques années auparavant explique l'aversion de l'écrivain pour un Front
Populaire qui lui a volé la vedette en quelque sorte. L'échec toutefois rapide de ce
gouvernement le jette comme tant d'autres français dans le désarroi, la tentation de
l'antisémitisme : on connaît la suite, les pamphlets
etc. C'est donc d'abord cette
époque qui m'intéressait dans cette biographie. Et le mécanisme très bien étudié par
Frédéric Vitoux qui montre comment beaucoup d'intellectuels français (Céline était le
plus célèbre mais beaucoup ont par la suite tenté de faire oublier leurs sympathies,
prudence, prudence
) ont pu faire le jeu de l'exacerbation des nationalismes. Ce qui
m'intéresse et qui dépasse cette biographie, c'est donc la similitude entre cette
époque et celle, préélectorale que nous vivons. Le programme économique de la gauche
reprend les mécanismes qui ont présidé au Front populaire dans la réutilisation des
déficits publics, par exemple ou la tiédeur vis à vis de l'international et, par
ailleurs, les crispations sur l'immigration rappellent les nombreuses lois nationalistes
de l'époque
Méfiance donc, car s'il semble inévitable que des écrivains ou
intellectuels prennent position pour l'un ou l'autre pourvoyeur de solutions à nos maux
politiques, n'oublions pas que l'époque, me semble-t-il, n'a jamais été aussi proche
que ce milieu des années trente
Ceci dit, la biographie de Céline ne se résume pas à cette époque trouble mais il est
fascinant de comprendre la personnalité de l'écrivain, qui fut brisé par la guerre de
14 comme tant d'autres, Maurice Genevoix ou Blaise Cendrars.
(14/07/2007)
Journal extime, Michel Tournier, éditions La Musardine :
J'aime les journaux, carnets, les correspondances...etc. Carnets de notes de
Bergounioux, journal de Kafka, correspondance entre Céline et Gallimard... C'est sans
doute pour cette raison que j'ai emprunté ce Journal extime à
ma bibliothèque Municipale. Et pour la beauté de son titre bien sûr. C'est donc bien un
journal, ou plutôt, il est rédigé sous un aspect mensuel qui lui donne une fausse
chronologie. En effet, les évènements ne sont pas forcément conjoints et, par
déduction, nous nous trouvons parfois confronté à des évènements récents et d'autres
plus anciens. J'ai même eu le hasard et le plaisir de communiquer à un professeur de mon
université une anecdote qui concernait le passage de sa thèse vers la
fin des années 70 ("deux heures extrêmement brillantes") ou
m'apercevoir que nous partageons la même excellente photographe, Sophie Bassouls, que
j'ai revu très récemment.
A part cela ? Il s'agit d'un journal, c'est plaisant à lire. Michel Tournier m'apparaît
quelque peu comme reclus et embourgeoisé dans son presbytère. On pourrait résumer ce
recueil à cela si la mort et l'humour ne jalonnait pas ces pages avec un parfait
équilibre. Ce qui laisse à cette entreprise qu'on imagine un peu simpliste, dénuée
d'intérêt littéraire, une autre dimension : écrire un journal comme preuve non pas de
sa propre vie, mais de sa non-mort. Le journal extime dans son sens latin de exsistere,
sortir de terre...
(07/03/2007)
Sur la route de Janis Joplin, Jeanne-Martine Vacher,
Seuil
(et San Francisco 1965-1970 les années psychédéliques, Barney
Hoskyns, Castor Music, Les destins brisés du rock, Bruno de Stabenrath, Scali)
Autant le dire de suite, les trois livres cités sont inégaux. On s'attachera
surtout à la biographie de Janis Joplin de Jeanne-Martine Vacher. Je l'ai déjà écrit
plusieurs fois, je suis un fana des biographies. Cette fois, pas envie de me justifier
quand à mes motivations, le goût du people, du voyeurisme n'est pas vraiment ma tasse de
thé, au pire un penchant de type concierge, au mieux la volonté de comprendre le monde
à travers quelqu'un, auteur, artiste, quidam de tout poil qui a représenté vaguement
quelque chose, a été à la croisée de quelques chemins, d'ailleurs souvent par hasard.
Au pire, donc, ce sont Les destins brisés du rock, galerie morbide de
toutes les morts violentes vaguement assimilées à la musique et qui renforce les
stéréotypes du genre (pour Janis Joplin, la nana en stéréo remplace le stéréotype,
d'ailleurs voir en Notes d'écriture cette semaine "stéréotypes et
parapharmacie", tout un programme...). D'ailleurs l'auteur Bruno de Stabenrath qui se
présente en tenue de nightcluber accompagné d'une jeune femme accorte revendique le
cliché de la petite aristocratie encanaillée, malsain tout cela, il y a des jours où on
se demande pourquoi tant de leurs ancêtres ont échappés à la Révolution...).
Au milieu se situe l'étude de murs (comme disait Flaubert à propos de Madame
Bovary) de Barney Hoskyns, un des piliers de la critique rock et fameux témoin de ces
années psychédéliques : on trouve dans son livre, la fameuse mouvance Haight-Ashbury,
qui a engendré la vague hippie (sur l'époque, on peut se référer aussi aux films
tourné en super 8 par Monica Neven-Dumont, mère de certains membre du groupe A
Subbtle Plague, regroupés dans un documentaire La vie en Rose, présenté
sur Arte il y a 10 ans...). Mais on y apprend rien de plus que dans la bio de Janis
Joplin, le fameux Big Brother qui l'a accompagné à ces débuts et qui resta à
jamais son principal groupe, ou les autres figures du psychédélisme, de Jefferson
Airplane et Grace Slick à Country Joe et Grateful Dead.
Car il est de ces biographies qui marquent, à commencer par leurs auteurs : dans le
domaine, on pense à François Bon, et son Rolling Stone, une biographie, 600
pages, mais surtout quinze ans de collecte sur le sujet. Jeanne-Martine Vacher, quant à
elle, a adopté la technique de Jérôme Michaud-Larivière dans Aujourdhui,
Blaise Cendrars part au Brésil (Notes de lecture
du 24/03/2004), c'est à dire partir non pas au Brésil, mais aux États-Unis, sur les
traces de son sujet, en l'occurence la fameuse chanteuse. Il en sort un livre très
attachant, rédigé de façon chronologique et racontant chacune des 31 journées de cette
quête qui l'a menée du Texas à New-York en passant par Hollywood et bien sûr San
Francisco. On mesure de cette façon, le choc culturel qui nous sépare, mais aussi la
distance entre les rêves qui subsistent de cette utopie du Flower Power et la réalité
sur place. Les interviews de nombreux témoins, quinquagénaires pour les plus jeunes,
assoient cette époque révolue. Reste la trace de Janis Joplin, comme en creux dans le
paysage, où plutôt en relief tant sa personnalité subsiste ainsi. Joie de vivre
extraordinaire, brûler la vie par tous les bouts, on peut faire adhérer tous les
clichés du genre tant elle colle à cette vision. Pourtant l'auteur sait très
bien nous faire sentir les limites du personnage (ou l'absence de limite ce qui revient au
même) mais également montrer des facettes moins tape à l'il que l'idéologie
collante du rock sauvage, littérature et culture moins bruyante donc que l'héroïne de
l'héroïne. Morte en 1970 quinze jours après Jimi Hendrix (Notes
de lecture du 08/11/2006), en pleine jeunesse comme son idole Otis Redding qui est
repéché en 1967 avec son avion quelques jours après avoir enregistré le très
chaloupé et prémonitoire Sitting on the dock of the bay. Comme eux donc, cette
brutale sidération la confine aux mythes, elle échappe ainsi à la naphtaline, tout
comme le guitariste et le soul-man, avec les preuves sonores qui restent d'eux. Grâce au
livre de Jeanne-Martine Vacher, vous n'écouterez plus de la même oreille Janis chanter
Ball and Chain, Summertime ou Piece of my heart.
(15/02/2007)
Céline à Meudon, David Alliot, Ramsay :
Ouh là ! Je sais que je m'engage sur un terrain glissant en parlant de Céline.
Déjà que je l'ai associé dans une note d'écriture la semaine dernière à Günter
Grass qui avait défrayé la chronique récemment en parlant de son engagement de jeunesse
aux derniers jours d'Hitler. Cette odeur de souffre ne m'empêche pas de laisser ouvert le
nez et les yeux devant un moment important de la littérature. C'est presque une question
d'éthique : comprendre et replacer dans le contexte l'auteur du Voyage au bout
de la nuit, livre ô combien important, paru dix ans après la mort de Proust, écrit
dix ans avant la deuxième guerre, sous le choc encore récent de la première. Rien ne
m'horripile plus que la cécité de certains : oui, il faut ignorer LF Céline en bloc. On
trouve ce genre de monologue partout sur le Net et c'est aussi ce que m'avait déclaré un
collègue de travail il y a quelques années qui, entre parenthèse, est capable de
défendre bec et ongles l'entreprise qui l'emploie et d'accepter en bloc toutes
compromissions. Arrêtons tout de suite les frais : je ne partage pas, n'ai jamais
partagé les convictions politiques de Céline.
Céline à Meudon est le recueil sans doute le plus complet qui existe sur les
dernières photographies du docteur retranché dans sa maison pour les dix ans qui lui
restent à vivre. Fini l'écrivain ? Non, en dix ans ce sera Féerie pour une autre
fois, D'un château l'autre, Nord et Rigodon. Mais
désormais l'image du vieux grincheux qu'il tente de donner, transparaît dans le
capharnaüm de ce coin de banlieue. En effet, comme le signale David Alliot "A
partir de 1957, les journalistes prennent le chemin de Meudon. Le retour en grâce de
l'écrivain se double d'un retour médiatique. Céline leur donne ce qu'ils sont venus
chercher. Du spectaculaire et de l'épate." C'est sans doute ce petit voyeurisme
qui m'incite à regarder ces vues. Céline est parfait dans "ce personnage
d'anti-héros, pire que nous, pris dans un univers chaotique, pire que le nôtre, dans
lequel il entreprend un voyage infini, jalonné de rencontres, qui lui permettront d'être
tantôt la victime de ce monde, tantôt son bénéficiaire". Chrystel Pinçonnat
en définissant ainsi la littérature du genre dans Echos picaresques dans le roman au
XX° siècle ne pouvait donner meilleure définition de Louis Ferdinand Céline
Bardamu Destouches pour nous, les "vieillards-nés" ainsi qu'il se
plaisait à nommer ses congénères.
(24/01/2007)
Histoire de l'édition française, en 4 volumes, Promodis :
C'est à la bibliothèque municipale que je consulte cette imposante
encyclopédie de l'édition parue en 1986. Le tome trois m'interesse particulièrement
pour un travail en cours sur la littérature du XIX°. La taille des volumes, leur
classement en rubrique "dictionnaire" interdit de les emprunter. Dommage. Moi
qui n'ai jamais trop prisé les travaux sur table, je suis bien obligé de repérer les
textes qui m'intéressent, de photographier certaines pages, subtilité que m'a suggérée
Alain Vezin en véritable historien de l'aéronautique (voir Jaguar, le félin
franco-anglais en action, notes de lecture du 11/10/2006), technique préférable aux
photocopies qui reviennent cher dans ce genre d'endroit, d'ailleurs le grand format de
l'ouvrage est peu pratique.
J'ai tenté de me le procurer sur Internet, mais les quatre tomes sont vendu 750 euros
dans leur format initial. On trouve aussi chaque volume dans un format plus petit, (une
réédition Albin Michel me semble-t-il ?) à 40 euros pièce, ça fait encore une somme
pour l'ensemble. Mais c'est le prix de la qualité historique et de l'exhaustivité de ce
panorama de l'édition en France. Tout y est magistralement décrit en détail. Par
exemple, pour le volume qui m'interesse, la démocratisation de la lecture est validée
par des statistiques et des témoignages. On y apprend les grandes manuvres
éditoriales, la réaction des écrivains qui se regroupent, on compare avec les pays
voisins. Les autres volumes feuilletés à la hâte sont du même acabit. Technique,
organisation, évolution sociologique, statut des différents acteurs : tout est passé au
crible. C'est tout à fait le genre d'ouvrage qui nous amène à mieux comprendre la place
du livre dans notre société. Ce regard historique qui remonte bien avant Gutenberg et
s'arrête à la parution de l'ouvrage est précieux dans un monde où on ne cesse de
constater la déliquescence du tissu éditorial actuel. Le regard que nous fournit cette
encyclopédie est vivifiant. Nous sortons du pessimisme : ah bon, ce n'est que cela, nous
ne sommes en train de vivre qu'une évolution de plus de notre histoire du livre. Tant
mieux !
(17/01/2007)
Bilan 2006 des notes de lecture :
J'aurais fait quatorze notes de lecture l'année passée. Peu importe de savoir
si cela est peu, assez, ou pas mal. Ce qui m'intéresse c'est l'éclectisme de ces notes :
j'aurai ainsi commenté une étude sociologique, trois biographies, quatre romans ou
récits, une pièce de théâtre, un journal, un livre historique sur un avion de chasse,
trois ouvrages sur Jimi Hendrix, un recueil d'entretiens de philosophie et même un
téléfilm sur Sartre. Ce qui pose bien le rôle des genres et notamment leur classement
dans l'espace classique des librairies. J'ai fait attention avec un soin maniaque à la
parution à mon prochain livre qui doit être le plus clair possible et le plus tranché,
non pas pour le figer dans un style mais justement car il est révélateur de cette
diversité que nous affichons tous. Proposé sur l'étal des librairies, je n'ai pas envie
de le retrouver dispersé un peu partout. Car tout auteur a ce schéma bien installé dans
sa tête : j'écris, je publie et mon livre est vendu en librairie. Aucun auteur ne pense
spontanément qu'on pourra l'acquérir via le Net, Amazon ou autre. En ce moment, une
polémique court entre l'espace traditionnel des libraires et cette vente internautique et
il est juste de se poser des questions sur ce partage. Au libraires, le conseil, le
toucher et la proximité sont un avantage indéniable mais la dispersion des genres les
dessert dans l'espace restreint des rayons. Au sites Web, l'avantage de trouver rapidement
l'oiseau rare et sans critère de genre mais l'absence de contact nous manque. On a eu
l'habitude ces dernières années de prévoir la mort annoncée du livre. Il n'en est rien
et encore moins de l'écrit. Enfermé dans nos critères de format et de style auquel je
participe (ah, le roman de 200 pages en 14x22cm...), nous avons feint d'ignorer tout ce
qui nous semblait moins noble. Savez-vous que nous recevons chaque semaine dans notre
boîte aux lettres l'équivalent d'un roman en quantité de lecture à travers les
prospectus publicitaires ? Nous tous qui avons fixé les règles de la qualité, de ce
qu'il faut lire ou non, sommes prisonniers de ces poncifs et les combats que nous voulons
mener ressemblent parfois à l'attaque de moulins à vent. Car ne l'oublions pas, la
littérature est là pour témoigner de la société par un regard singulier, ne
renversons pas les rôles, ce n'est pas à nous de forcer ce regard en déformant la
réalité. Qui sait ce que j'aborderai dans ces notes en 2007 : le prospectus de la
semaine du blanc de mon supermarché ou un comparatif des programmes télévisuels ?
(10/01/2007)
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