depuis septembre 2000
| |
Notes de lecture 2008
Seize nouvelles, 10° Prix Wepler, Éditions Thierry
Magnier :
Petit livre de 90 pages, il rassemble seize nouvelles écrites par des lauréats
du prix Wepler. La demande avait été lancée il y a un an pour fêter les dix ans
dexistence de ce prix, crée par Marie-Rose Guarniéri de la Librairie des
Abbesses, la Brasserie Wepler
et la Fondation la Poste. Destiné à «
récompenser une uvre marquée par une audace, un excès, une singularité
résolument en dehors de toute visée commerciale », je suis ainsi très fier
davoir obtenu la Mention en 2002.
Chaque année, le prix compte un lauréat et un outsider, appelé « Mention
», sorte de Poulidor des lettres que jai grandement apprécié comme si
javais terminé en vainqueur la montée du Tourmalet. Je me suis trouvé ainsi
nominé cette année là avec Marcel Moreau, détendeur du Prix proprement
dit pour Corpus scripti, superbe compagnonnage.
On sait bien que les prix littéraires sont régulièrement morigénés, le principe
français du Goncourt ayant épuisé le concept jusquà la corde. Peu importe : ils
donnent un peu danimation à la vie littéraire et si on sait prendre un peu de
recul, ne serait-ce que parce que votre voisin de palier vous parle du dernier Renaudot,
cest toujours une occasion de plus de parler livres. Donc, de voir mon nom écrit en
tête dune liste dauteurs(bienfait de lordre alphabétique) que
japprécie grandement est toujours un plaisir, genre photo de classe où vous
figurez, genoux cagneux, yeux plissés sous le soleil au milieu dune bande de potes.
Seize potes donc : des premiers de la classe, des matheux
(François Bon), des amuseurs, des maigres, des redoublants, des filles avec des nattes.
Au total, ça fait François Bon, Eric Chevillard, Florence Delaporte, Louise Desbrusses,
Brigitte Giraud, Pavel Hak, Héléna Marienské, Laurent Mauvignier, Marcel Moreau,
Richard Morgiève Yves Pagès, Olivia Rosenthal, Alain Satgé, Vincent de Swarte, Antoine
Volodine et chacun a écrit chacun une recette parce cétait la consigne (mais il y
en a qui ne suivent pas ce que dit la maîtresse Marie-Rose, jai les noms
).
Jai écrit Mélange aux pommes, dailleurs jen ai encore bien deux
cents kilos dans mon garage, le verger à bien donné cette année. Donc si vous voulez
vous offrir la prose de seize auteurs contemporains pour Noël, cest le moment
(joffre 3 kg de pommes avec).
Cette année, pour la onzième édition, cest Emmanuelle Pagano, au volant dun
bus, qui a remporté le pompon du manège pour Les Mains gamines.
Céline Minard sur lauto des pompiers a remporté la Mention pour Bastard Battle, dont l'action, comme son nom ne l'indique pas se
passe au chef lieu de mon petit département. Elles ont neuf ans pour peaufiner une
recette pour la vingtième édition.
(19/12/2008)
La littérature française au Présent, 2° édition
augmentée, Dominique Viart, Bruno Vercier, Bordas :
Je tiens à préciser dans le titre cette mention 2° édition augmentée car
sil est bien un danger inhérent à toute étude de littérature contemporaine,
cest bien dêtre déjà obsolète à peine publiée.
Cette difficulté qui prévaut généralement est ici magistralement combattue par les
ajouts qui complètent la première édition, parue seulement en 2005. On imagine le
travail fourni pour faire vivre cette anthologie de plus de 500 pages et
qui répertorie la littérature de 1980 à 2007 : lindex des écrivains
cités compte plus de 1300 noms.
Si la volonté initiale des auteurs est de montrer lextraordinaire vivacité de la
littérature en train de se faire, cest déjà une belle
démonstration contre ceux qui la brocardent et déplorent son inanité. En face dun
tel travail, preuve est faite que cest justement ce dynamisme et ce nombre
pléthorique de publications qui empêchent dapprécier à sa mesure cette
diversité. Le monde universitaire est souvent trop enclin à
céder à la facilité et à étudier les périodes passées pour chercher un sens à ce
qui paraît aujourdhui (mais heureusement, les universitaires tels
que Dominique Viart font école et c'est très encourageant). Le
monde littéraire bouge tellement quil est difficile de retrouver ses petits et le réflexe est parfois de baisser les bras quand on ne regrette pas tout
simplement lépoque où il y avait moins dauteurs : «il est vrai que trop de
Français se croient écrivains » disait un article très récent du
Monde que jai commenté en rubrique Étonnements la semaine dernière. Cette
léthargie de la critique et des institutions est ainsi combattue par lexistence
même de ce livre. Les tenants des courants littéraires en seront pour leurs frais. Pas
de déclarations fracassantes, pas de classements intempestifs dans
ce manuel mais la simple proposition de regrouper des ouvrages en réflexions
prépondérantes, en questions sous-jacentes : les écritures de soi, écrire
lHistoire, écrire le monde, tels sont les thèmes qui assurent plus une continuité
quune rupture avec le vingtième siècle. A lintérieur de chaque rubrique, on
trouvera des sujets plus précis comme lécriture des camps ou de la guerre qui
continue à traverser la mémoire collective. Louvrage tente de donner quelques
pistes, quelques enjeux pour les années qui vont suivre et ce nest pas son moindre
mérite. Si la question de lengagement, récurrente depuis Sartre, est abordée, les
malaises du roman, la situation des auteurs trouvent ici un écho
dans un monde en pleine mutation. Comment « être de son temps » ? Est-ce que la «
séduction du récit » opère toujours ? Quels sont les « présences de la poésie » et
des « écritures dramatiques » ? Bref, « lévolution des genres » et le «
conflit des esthétiques » élèvent un débat qui a du mal à se
mettre en place actuellement dans ce « renouvellement des
questions ».
Je figure dans ce livre et ce nest pas la moindre de mes fiertés, car si la
difficulté existe pour le monde littéraire de savoir se situer,
bien entendu chaque écrivain est également inclus dans cet égarement. Savoir que Central
et CV roman figurent dans un paragraphe intitulé «
Linventaire des lieux » en rubrique « écrire le réel » ou encore dans « le
refus des réduction tragiques ou mythologiques » en rubriques « fictions et faits
divers » est un retour précieux sur la perception extérieure de sa propre écriture et la compréhension de ce qui nous échappe parfois.
Lambition de ce livre nétait pas lexhaustivité concluent modestement
les auteurs en vertu du principe quil faut résister « au vertige de tout dire». Ils propose tout de même avec audace un terme générique pour qualifier la
période que nous vivons, une "littérature figurale". Le terme est judicieux :
il met fin à la vieille bagarre de la représentation et de la mimesis qui durent
depuis Platon et Aristote (voir en note d'écriture cette semaine) ; il ajoute aussi un
double sens : le plaisir et l'exigence que prend cette littérature du XXI° siècle aux
figures de la langue.
« Le reste appartient à la lecture, au désir et à la découverte » nous
disent-ils encore en nous lâchant au seuil de la forêt des mots après la lecture
passionnante de cet essai. En route vers laventure !
(12/12/2008)
A labri de rien, Olivier Adam, édition de
lOlivier :
Quelque chose ménerve dans ce livre. Le prénom de lhéroïne, Marie,
lécriture aussi parfois sans que jarrive à savoir pourquoi. Peut-être un
peu trop dhumanité, de bons sentiments. Je ne sais pas lexprimer. Jai pas mal côtoyé la Croix rouge, cest peut-être un peu cette
compassion qui me sort par les trous de nez, une fausse résignation, une manière de se
boucher les yeux, daller se préoccuper de son prochain benoîtement (XVIème du
nom, comme de larrondissement
) avec de bons sentiments bien catholiques.
Quelque chose me plaît dans ce livre. Quil me dérange. Quil me touche comme
me touche la Croix rouge, tout ce quy font pas mal danonymes que je connais,
sans tambour ni trompette, sans apitoiement superflu mais avec efficacité. Et aussi
quOlivier Adam parle de Sangatte fermé, des clandestins en rade à Calais, de tout
ce qui continue encore plus sous le règne de qui vous savez.
On est à labri de rien, dit Olivier Adam :
j'ai bien peur que le rien s'étende encore plus, ça a déjà commencé.
(05/12/2008)
Les Coqs et les Vautours, dAlbert-Paul Granier,
éditions de léquateur :
Cest Michel Bernard, venu présenter le Carnet de route du sous-lieutenant Robert
Porchon (en note de lecture la semaine précédente) qui a évoqué ce recueil de poésie.
La préface est de Claude Duneton, auteur de Le Monument, récit qui met en scène
les destins des morts à la guerre dont les noms sont gravés sur celui de son village. Sa
découverte dAlbert-Paul Granier est fortuite mais le hasard, nous le savons, fait
bien les choses : un ami lui avait offert la plaquette des Coqs et des Vautours,
éditée en 1917 et trouvée dans un vide-greniers. Comme Robert
Porchon, Albert-Paul Granier sombrera vite dans loubli : il meurt sur le front
quelque mois après la parution de son recueil quil avait fait publier à
loccasion dune permission et sans doute à compte d'auteur.
Ce sont des poèmes de guerre. Dans le titre même, on reconnaît le patriotisme qui avait
cours à lépoque, mais la suite des textes séloigne vite de lesprit
revanchard pour atteindre un élan authentique, une volonté de comprendre labsurde
massacre en cours. Chaque poème est daté, chaque texte est un témoignage de la guerre
vu dans la distance inestimable de la poésie. Par exemple, en août 1914, aux Éparges,
il relate la fuite des civils devant limminence de la guerre qui arrive : « Les
gens sen vont, comme des gens / qui, longtemps, auraient été fous, / et qui ont
dans les yeux béants, / on ne sait quelles visions / de souvenirs ou despoirs
». A Verdun, aux Bois des fosses, la même année : « Soudain les branches ont frémi ;
/ les canons longs-gueulés ont clamé leur fanfare / dure, comme un tambour quon
crèverait. ». Au total, cest près de quarante textes qui racontent cette
expérience effroyable, si distante de la poésie et pourtant ! Comment mieux dire cette
proximité avec « la mort rouge [qui] gigote et danse comme une fille ivre de vin. »,
comment retracer linévitable destin sinon quavec des vers comme ceux-ci : «
Ô mon cur, mourir là, près des canons cabrés / dans le triomphe fou de
limmense Épopée. » ; «Seul, et me glissant parmi les tentes, / Dans le silence
revenu, / De ma main tendre et caressante / - Et si chétive - / J'ai flatté les grands
canons las...».
Il ny a rien à ajouter.
(28/11/2008)
Carnet de route du sous-lieutenant Robert Porchon, La table ronde :
En ces temps de commémoration darmistice, on pourrait passer rapidement sur ce
carnet de route écrit par le poilu Robert Porchon, un parmi tant dautres,
pourrions-nous penser dans notre frénésie à laisser glisser les sujets
dactualité dans une indifférence mécanique, provoquée par laccumulation
mémorielle des guerres et la dénonciation dhorreurs toutes plus terribles les unes
que les autres. Mais Robert Porchon, nest pas un soldat inconnu : il est
lunique dédicataire nommé sans lartifice dun pseudonyme dans
luvre monumentale de Maurice Genevoix Ceux de 14. Cest dire
combien lécrivain tenait en grande estime son compagnon de tranchée, originaire du
même pays natal. « Chez toi, Porchon, lample Beauce, les champs de blé au
crépuscule ; les corneilles dans le ciel frais au milieu des deux tours de Sainte-Croix.
Chez nous, Porchon, la Loire au fil des berges lentes
Quel sens ? Pourquoi ? »
écrit Genevoix après avoir appris la mort de son ami, lors des combats des Éparges
avant dêtre lui-même blessé, deux mois plus tard. On ne savait rien de ce soldat
qui hantait la mémoire de lécrivain jusquà ce quon retrouve son
carnet.
Lhistoire de cette découverte est comme toujours inattendue : Michel Bernard, qui
signe ici la préface de ce carnet de route avec une grande humanité, venait
décrire son très beau livre La Tranchée de Calonne (Note de lecture du
29/03/2008), quand il a été contacté par Thierry Joie à qui les héritiers de Robert
Porchon avaient cédé ces notes pour que sa mémoire ne se perde pas. Comme beaucoup de
soldats, il avait écrit quelques impressions de guerre dans ses moments de repos et ce
carnet avait été restitué après sa mort à sa mère par les soins attentifs de Maurice
Genevoix. Sa mère, qui perdit en outre, un autre fils, son frère et un gendre en neuf
mois, a recopié ces notes et y a ajouté les lettres quil lui écrivait et celles
reçues à loccasion de son décès dont plusieurs de Maurice Genevoix.
Il faut lire en parallèle Ceux de 14 et ce carnet. Bien entendu, Robert Porchon
na pas la faconde de lécrivain mais sa sincérité est bouleversante et a
posteriori on comprend le parti pris du futur académicien pour le témoignage plutôt que
le roman afin de mieux rendre lextraordinaire sidération de ces moments de guerre.
Lire Robert Porchon, cest entrevoir latrocité, exposée ici sans animosité,
subie. Ainsi écrit-il à sa mère : « Cest de là que jai vu sauter des
morceaux dallemands hier. Eh ! bien la guerre nous rend sauvage car ce spectacle
nous a fait rire. On finit par se cuirasser contre les spectacles les plus terribles et il
faut être seul et réfléchir pour être ému. ». De la même manière Blaise Cendrars
racontera cette naissance de la barbarie dans Jai tué : « J'ai tué le
Boche. J'étais plus vif et plus rapide que lui. Plus direct. J'ai frappé le premier.
J'ai le sens de la réalité, moi, poète. J'ai agi. J'ai tué. Comme celui qui veut
vivre. ».
Ce carnet de route manquait à lhistoire pourtant fournie des Éparges. Dans ce lieu
si petit, comment ne pas penser aussi au destin brisé dAlain Fournier emportant
avec lui les secrets de son Grand Meaulnes dans une embuscade le 22 septembre 1914
et dans le même bois où se trouvaient alors au même moment Maurice Genevoix et Robert
Porchon.
(21/11/2008)
Les Années, Annie Ernaux, Gallimard
A lire la fuite des années dAnnie, on sait déjà que sous lapparente
simplicité dun sujet qui pourrait paraître bateau (un livre de souvenirs ?
recherche du temps perdu ?), on sait quon se trouve devant un grand livre. Les
critiques ne sy trompent pas. Il suffit de lire sur le Web leur enthousiasme
dérangeant. Dérangeant parce que lauteur nous englobe dans les soixante ans
quelle déroule, dérangeant parce que, doù l'on se
place, on est inséré dans cette litanie temporelle tout en sachant, par
exemple, que le web doù on se renseigne est aussi
caractéristique de notre époque, destiné à disparaître, être modifié,
nous avec
etc. Car ce qui fait la réussite de ce livre, cest la mise
à plat de nous même, notre insertion dans le vaste paysage de nos vies, être à la fois
des témoins et modestement des acteurs (comme on dit maintenant
). Finalement ce
défilement me semble dune égale épaisseur. Personnellement, je ne cultive pas la
nostalgie des années soixante (comme je lai lu parfois dans certains articles
critiques). Elles ne me semblent pas plus belles que celles que je vis maintenant. Chaque
époque menthousiasme et peut-être plus encore les lendemains que je vais vivre. Ce
bonheur est aussi présent chez Annie Ernaux, dans les amants des dernières années, la
liberté plus grande au fur et à mesure du temps qui passe. Il me semble le ressentir de
cette manière avec bien sûr, à la fois cette impression un peu triste quil y a
plus dannées derrière que devant. Finalement la nostalgie nest quun
effet comptable.
(13/11/2008)
Lamour est très surestimé, Brigitte Giraud, Stock
Voilà, je lis ce
recueil de nouvelles de Brigitte Giraud sur le thème de la séparation et crac,
prémonition ou pur hasard, dans mon entourage proche, un couple damis de trente ans
est aux proies aux affres du même acabit. Sauf quà relire les onze destins
proposés par lauteur, aucun ne correspond à la situation vécue par mes amis. Or,
dans toutes les nouvelles proposées, on retrouve par delà les lignes, la justesse de
leur souffrance, lexpression des lâchetés obligatoires de ce genre de
circonstances ou la compromission quotidienne que lon subit dans létat de
délaissement qui nous accable. Car cest bien de cela quil sagit,
au-delà de lévocation dun deuil ou de la mort annoncée dun amour, ce
sont toute nos réactions intimes et nos accommodations avec labsence, comment
compléter la moitié dorange qui vous est enlevée, comment justifier les
décisions abruptes et inconsidérées quon a prise un jour. Sujet banal, bateau
pourrait-on dire en regard de toutes les galères traversées dans la vie, navigation à
vue des écueils et lobsession de ne pas finir comme le Titanic. Lamour étant
le sujet le plus usité au monde, la fin de celui-ci est un inépuisable réservoir de
comparatifs, comparaisons, rapprochements avec le choix pléthorique du langage qui va
avec, depuis lexpression « faire son deuil », tellement banale
quelle en réduit la souffrance à une promenade de santé, jusquà
labsence du langage, dans la sidération dune rupture brutale. Brigitte Giraud
a bien su naviguer entre ces extrêmes de la langue, sachant recourir au tutoiement de
reproche adressé à un mari, à un père ou à un absent, jusquà lévocation
dune séparation à laquelle assiste impuissante mais déjà coupable une
petite fille de dix ans. On oscille du romantisme le plus échevelé à la colère la plus
rentrée, de lespoir le plus fou (un homme arrivait dans ma vie, écrit-elle dans Lhabitude)
à la déclaration la plus tendre (Le temps a passé). De Brigitte Giraud, on a
déjà lu Marée noire (note de lecture du 08/12/2004), Japprends
(Note de lecture du 26/10/2005), cest dire quelle nest pas assez
estimée à mon avis.
(31/10/2008)
Portrait de lécrivain en animal domestique, Lydie
Salvayre, Seuil
Paru en août 2007, comme mon CV roman, la revue Internet Rue89,
avait vu entre nos livres une parenté commune, celle du thème du travail. Il est vrai
que Lydie Salvayre propose une rencontre inattendue entre la littérature la plus
militante et le libéralisme le plus débridé. Dun côté, un narrateur, ou plutôt
une narratrice écrivain, dévouée jusque là à la cause dune écriture pure et
désintéressée, accepte décrire la biographie de Tobold, le roi mondial du
hamburger. Situation faustienne où le diable tente les belles âmes (pour reprendre un
autre titre de Lydie Salvayre) avec, en vedette américaine et péché tentateur,
léternel mobile de largent. Car, au départ, pour notre écrivain, il
nest question que de subsistance et cest sans doute laspect le moins
fictionnel de ce roman : les clopinettes de nos droits dauteurs ne font vivre
personne, sauf chance inouïe du best seller qui sapparente à la probabilité de
gagner au Loto. Bref, si on a fait le choix de consacrer sa vie au métier
décrivain, il faut guetter sans cesse les rares opportunités qui vous feront vivre
quelques mois tout au plus, résidences dauteurs inconfortables, ateliers
décriture aléatoires, improbables mécénats. Être alors embauchée par le roi du
hamburger qui se soucie de ses milliards comme vous des centimes de votre porte-monnaie
est une chance qui ne se refuse jamais. Et moi même dailleurs, je suis disponible
pour écrire un roman sur Liliane
Bettencourt, les aventures de Lakshmi Mittal
ou lhistoire d Ingvar Kamprad (on ne sait
jamais, des fois quun de leurs secrétaires passe par ce site
). Évidemment,
à côtoyer largent et le luxe, le pauvre écrivain finit par être non seulement
déboussolé (Je. Qui ça ? Lydie Salvayre place très justement en épigraphe
cette citation de Samuel Beckett et de LInnommable) mais aussi par être
gagné par la logique libérale qui se tient, et même qui se tient les coudes, faut-il le
constater, aussi immoral que cela soit, et cest bien cela qui fait trépigner nos
petits Besancenot. Quitte à changer de personnalité, notre écrivain adopte les tenues
du monde bling-bling mais saperçoit aussi que sous son smoking, Tobold est comme
vous et moi, pas extensible à linfini dans son enveloppe corporelle. Le roman
pourrait tourner court entre ces différences trop systématiques et le cynisme des
situations que cela impose. Cependant, il ne faut pas réduire ce livre à cette
seule visée. Derrière ce clinquant, il y a une vraie réflexion sur le rôle de
lécrivain et plus généralement sur celui de la culture dans léconomie. Les
deux sattirent et se repoussent tour à tour, dans la même journée parfois et par
les mêmes protagonistes. Et si cétait cela qui faisait avancer les choses ?
Continuons cette passionnante discussion en note décriture
(24/10/2008)
Foire aux livres dAmnesty : récolte
dautomne :
Les feuilles tombent en cette saison. Groupées en forme de livres, la récolte du
traditionnel week-end de Lire en fête avec le concours dAmnesty maura
rapporté 20 ouvrages pour la modique somme de 38 euros. Signé aussi 5 pétitions.
Dans la liste des précieuses, acquisitions, voici
Un peu de poésie dans ce monde de brutes :
- Apollinaire, Alcools,
- René Char, Les Matinales
- Raymond Queneau, Linstant fatal
Un peu de théorie dans ce monde de dilettantes :
- Littérature et réalité, textes de Barthes, Bersani, Hamon, Riffaterre, Watt
- Les sociétés anglaise, espagnole et française au XVII° siècle
- René Grousset, Genghis Khan, conquérant du monde
Un peu de rigolade dans ce monde sérieux :
- Goltlib, Rubrique à brac, Tome 1, 2, 4 et 5
(Je rappelle que je milite pour une édition en Pléiade des uvres complètes de ce
grand maître)
Quelques choix familiaux :
- Oscar Wilde, Le Prince heureux
- Ken Follet, La Nuit de tous les dangers
- Anton Tchekhov, Le Violon des Rothschild
- Yann Queffelec, Les Noces Barbares
- Yann Queffelec, Disparues dans la nuit
Quelques choix personnels
- Claire Etcherelli, Élise ou la vraie vie (ah, la littérature du travail
)
- Marguerite Duras, Détruire dit-elle
- Olivier Adam, A labri de rien
- Philippe Delerm, Traces
Un coup de cur :
- Hugues Le Roux, Ménélik et nous. Superbe journal avec photos et cartes qui
retrace laventure du Roi Ménélik auquel Rimbaud vendit des armes (enfin
essaya).Hughes Le Roux effectua un périple sur ces terres africaines en 1900, soit tout
juste une dizaine dannées après le passage de Rimbaud.
(17/10/2008)
Lhomme-ravin (suivi de Lieu-dit), Raymond
Bozier, Fayard :
De Raymond Bozier on avait lu et aimé Fenêtres sur le monde (22/09/2004)
et même effectué une lecture comparative avec le Windows in the world de
Frédéric Beigbeder qui tournait dailleurs nettement à lavantage du premier
auteur. Voici donc Lhomme-ravin et Lieu-dit : les deux se rejoignent
dans la même publication mais on apprend que Lhomme-ravin, premier élément
dun triptyque répond à Lieu-dit, également premier élément dun
triptyque précédent des « paysages avant loubli ». Les deux histoires sont
dissociées, hormis la vacuité du lieu-dit qui refuse dexister et dun ravin,
tout aussi fuyant.
Lhomme-ravin est une histoire qui rappelle par le thème et certains aspects
lexcellent Les Choses de la vie de Paul Guimard, (note de lecture du
20/09/2000) dont on avait adapté le film tout aussi excellent du même nom avec Michel
Piccoli et Romy Schneider. Lhistoire dun accident donc, mais le conducteur de Lhomme-ravin
en réchappe avant de glisser dans les profondeurs du ravin dans lequel il est tombé,
puis den ressortir, devenu amnésique à la suite du choc, et de subsister grâce à
des rapines dans les frigos du voisinage. Fait divers et lieu-dit particulier que le
rescapé relate par écrit dans lhôpital psychiatrique qui a fini par
laccueillir.
Le narrateur de Lieu-dit est tout aussi paumé mais reçoit un écho assez bizarre
pour moi puisque les premières pages évoquent une porcherie avec forces détails et que
cétait dans un endroit pareil que travaillait mon grand-père, jen ai
quelques souvenirs, notamment de quelques courses-poursuites avec les cochons à travers
les enclos dans lesquels nous entrions, gamins, par effraction
Les cochons sont ici
toujours sympathiquement sauvages et les sauvages qui entourent le narrateur toujours
antipathiques. Lieu dinculture mais de culture agricole, Lieu-dit est un
huis-clos entouré des murs dun hameau. Difficile de séchapper des sordides
histoires où la moindre différence est exacerbée et violement réprimée sur fond
dalcool.
Finalement, Lhomme-ravin et Lieu-dit ne respirent pas la joie de
vivre, lambiance n'y est pas folichonne et le moral tombe forcément bien bas dans
le ravin ou la soue des cochons. Mais il y a tout de même la façon de raconter, la
logorrhée étrange et laisance du récit chez ces narrateurs. Ce nest pas par
hasard si les deux narrateurs choisissent lécrit ou les livres pour communiquer ou
forger leurs personnalités : pas de leçon à donner, simplement évoquer que dans les
pires conditions, on trouve toujours à dire, histoire de retarder le moment de
loubli.
(03/10/2008)
Cocktail au curare, René Ballet, Le temps des
cerises :
René Ballet, par les bienfaits de lordre alphabétique, est installé à
côté de moi à la fête de lhuma. La première fois, cétait il y a huit ans
déjà et javais été surpris parla proximité de son nom avec un de mes trois
auteurs fétiches. Mais depuis, René Ballet est René Ballet, grand reporter
clandestin au Chili sous Pinochet (un livre relate cet épisode, Retour à Santopal),
essayiste, romancier, ami de Roger Vaillant, bref, sa bibliographie tient trois pages,
question quantité. Question qualité, cest un plaisir de le retrouver chaque
année, accompagné de son épouse qui a longtemps enseigné léconomie à
luniversité.
Cocktail au curare est son dernier ouvrage, un recueil de nouvelles à limage
de son auteur : vives, curieuses, humanistes. Parfois caustiques sans méchanceté, elles
font le lien entre un monde passé et ce présent actuel que lauteur ne cesse
dinterroger, choisissant toujours un angle original pour lévoquer : la
longue marche de Martha raconte toute une vie sacrifiée jusquau renoncement
ultime d'une promesse de bonheur, la double vie de mademoiselle Jeanne est une
chronique de loccupation, un sacré petit gagneur conte lhistoire de la
naissance dun bébé prédestiné. Nouvelles longues, flashs, scènes de théâtre,
René Ballet explore tous les styles, fouille passé et présent à la recherche de
situations où rien ne se passe comme prévu : petit poison qui sinstille en nos
vies de façon anodine et sucrée, comme un cocktail au curare. Cest efficace,
varié et cela montre la capacité de déchiffrement du monde dun auteur qui a tout
de même écrit Vertu de linconvenance et Vertu de linsurrection.
(26/09/2008)
Avec toi, Cécile Beauvoir, Arléa :
Javais découvert Cécile Beauvoir à la précédente fête de lhuma
et puis nous nous étions retrouvé à Matignon pour boire du champagne et se goinfrer des
petits fours de la République qui sont tout de même les nôtres. Mais ces libations ne
font pas oublier lécriture et Pieds nus dans le jardin paru lannée
précédente fut une véritable découverte (note de lecture du 02/05/2008). Alors là,
Cécile à nouveau retrouvée à lHuma, je me suis dépêché de me procurer Avec
toi publié en 2005. Même veine courte, 96 pages avec roman écrit sous le titre mais
seulement dans la reproduction intérieure de la couverture, comme si cette prétention
était une hésitation. Dailleurs ça na pas vraiment dimportance, roman
ou nouvelles comme celles de Pieds nus dans le jardin. Cela na pas dimportance
car on se trouve à nouveau dans le même univers, les parents coiffeurs, la sur,
les grands parents, marraine, tantes, tout un cousinage dans les montagnes
dAuvergne. Les esprits-classeurs qui distinguent roman et nouvelles pourraient dire
aussi « veine autobiographique » pour parler de son inspiration. Mais cest pareil,
quelle importance ? Plus quune veine, cest une véritable chance que son
écriture, quelque chose dun peu magique, une fée qui marque à peine ce
quelle voit avec des mots toujours justes. Mais comment fait-elle pour nous prendre
à témoin de ses confidences ? Pourquoi entrons-nous si facilement dans son jeu ?
Sortilège et charme. Lécriture est ténue, à mi-chemin entre un langage parlé et
écrit, des confidences adressées au vent ou à un absent ce qui revient au même.
Labsent, on le trouve facilement, cest le grand-père disparu et il faut
raconter le manque. Elle le dit avec tout le bonheur des années vécues quand il était
là. Les esprits-phraseurs diraient nostalgie et autres locutions comme cela. Mais
cest plus : rester au stade des mots, ce serait comme si on la comparait à ce gros
rustaud de Ronsard, mignonne allons voir si la rose
Déjà longtemps quelle
est partie, Cécile, avec ses quatre minces bouquins écrits comme si de rien
nétait. Ceci dit, ne pas se fier à une apparente simplicité décriture,
non, tout est parfaitement maîtrisé et cela force ladmiration. Alors on lit.
Après il men restera un seul et jaurais fini ses uvres complètes, la
tête chaude comme sous un casque de coiffeur, de la même manière quelle lisait,
enfant, dans le silence du salon de ses parents.
(19/09/2008)
Bob Dylan, une biographie, François Bon, Albin
Michel :
A l'heure où les libraires installent Rock'n roll, un portrait de Led Zeppelin, du
même auteur (avec, comme pour les précédents, la même interrogation lancée à la
cantonade : au fait on les mets où ces bouquins ? rayon nouveautés ? musique? romans ?)
: pied de nez au marketing, je suis en retard d'une rentrée littéraire et je lis la
biographie de Dylan (au fait, ça donne une autre possibilité de tri, le rayon
biographie...). Comme pour Proust où la bonne manière de lire La Recherche c'est
de l'accompagner de la lecture simultanée de l'oeuvre (voir ci-dessous), pour Dylan, la
meilleure façon de lire cette biographie très complète est de visionner l'excellent
documentaire de plus de 3 heures de Martin Scorsese, No direction home.
Le deuxième volet, milieu de cette trilogie du rock (peut-être pas finie...) place d'emblée Dylan au milieu d'une Amérique qui s'extirpe des années
cinquante. Comme pour la biographie des Rolling Stones qui dépeignait Londres
sensiblement à la même époque, on peut se demander si la quête de François bon n'est
pas de se constituer sa propre histoire contemporaine du monde à travers le rock. Car il
ne s'agit pas de situer juste superficiellement les légendes du rock par des
caricatures trop faciles, le souci du détail précise l'avancée en simultané de
l'électrisation des instruments de musique, l'industrie du disque, mais aussi la
situation politique de l'Amérique en proie à la peur nucléaire, aux espoirs déçus par
l'assassinat de Kennedy. Bref, c'est toute une traversée dans laquelle Dylan apparaît
comme en creux : un exemple : au milieu du livre, nous en sommes qu'à l'année 1963,
donc, juste au début de la carrière du chanteur. Mais c'est bien ce qui intéresse
François Bon : comment et pourquoi un type devient l'icône d'une jeunesse, après, quand
la notoriété est installée, c'est juste de ce statut qu'il convient de s'occuper. Mais
Dylan, dés le départ, sait bien que c'est cette période qui suivra sa notoriété qui
sera la plus difficile à assumer, alors autant refuser les étiquettes et brouiller les
cartes aussitôt, quitte à décevoir, comme les bordées d'injures qui l'assaillent quand
il joue de la Stratocaster, infidèle à la résonance acoustique à laquelle ses fans se
sont habitués. Ainsi, comme pour Rolling Stones, une biographie, François Bon a
raison de préciser qu'il s'agit "d'une" biographie : c'est à dire un choix
délibéré de présenter un (ou quatre) personnage(s) imbriqués au milieu d'une nuée de
détails qui les construisent. La littérature y a la part belle (on ne s'en plaindra pas)
: avec ce Dylan, c'est replacer aussi tout le contexte des poètes de la Beat
Génération, l'importance d'Allan Ginsberg, l'influence de Rimbaud et tout un univers
faulknérien.
(05/09/2008)
A la recherche du temps perdu, Marcel Proust, Gallimard, (Quarto) :
veille de partir en vacances, jai acheté « lunique édition en un seul
volume » comme le précise lédition Quarto, 2401 pages exactement et 1,8 kg sur la
balance de ménage. Lédition Quarto nest pas pour autant un pavé de plage
idéal : transporter sous une serviette de bain lintégrale de La Recherche, tenir
à bouts de bras cette haltère de papier et se plonger dans ses méandres sous un soleil
de feu favorise lapparition dun coup de soleil superflu à lintérieur
de la boîte crânienne et dun gonflement exagéré et disgracieux à la longue de
vos biceps. Préférez donc la couleur écrevisse des premiers jours pour vous réfugier
sous un parasol, sur une terrasse, dans un salon de jardin confortable ou nonchalamment
installé sur une balancelle. Sage et confortable décision : cest ce que ma
lectrice préférée a choisi de faire cette année sauf la couleur écrevisse
remplacée dés le départ par un beau hâle du plus bel effet - (car ce nest pas
moi qui lis La Recherche, je ne sais que « relire » - voire en Étonnements
). Ma
lectrice a toutefois rajouté une contrainte au 1,8 kg de papier, 200 gr dIpod qui
contient, entre autres dizaines dheures de musiques, la recopie de tous les CD des
Éditions Thélème. Car sa méthode de lecture est originale : elle écoute la lecture
dAndré Dussolier ou de Lambert Wilson en même temps quelle lit le texte.
Cest simple, il fallait y penser mais cest sans doute une des meilleures
manières daborder la prose du petit Marcel.
(29/08/2008)
Le Poisson-scorpion, Nicolas Bouvier, Gallimard
(Quarto) :
La collection Quarto qui rassemble les oeuvres de Nicolas Bouvier est parfaite pour ce
genre d'écrivain- voyageur. Couverture souple, aspect solide, on trimballe partout les
1420 pages réunies dans ce pavé. A propos, La Recherche de Proust existe aussi
dans cette collection, 2800 pages qui donne au tranquille bourgeois Marcel et sa
petite moustache, des allures de vieux soixante-huit tard avec un tel pavé : 2 kg sur la
balance, excellent exercice qui vous donne des muscles de Tarzan quand vous le lisez sur
la plage allongé sur le dos et livre tenu devant le soleil à bout de bras. Mais on
reparlera plus tard de Proust et de la façon dont un de mes proches lit cet oeuvre
monumentale. Ici, on voyage et pas rien que du côté de chez Swann. Passons les Chroniques
japonaises de Nicolas, lues également cet été et dont on reparlera aussi plus tard
dans un package de mises à jour sur le Japon, nous voici à Ceylan, lieu d'action du Poisson
-scorpion. Action si l'on peut dire car Nicolas Bouvier a vécu neuf mois dans cette
île en 1955, dans un sale état physique et psychique, dont le souvenir l'empêchera de
relater cette aventure immobile pendant 25 ans. Et c'est peut-être sa qualité
d'écrivain voyageur et tout ce que soi même et les lecteurs projettent dans cela qui l'a
empêché d'écrire : autant l'Usage du monde, les Chroniques japonaises
occupent l'espace dévolu au voyageur qui les parcourt à pied, à cheval ou en voiture,
autant, à Ceylan, Nicolas ne quitte-il rarement sa chambre et encore pour rejoindre
péniblement un de ces bars miteux de son quartier. La seule compagnie qui finit par
devenir obsessionnelle est constituée par les myriades d'insectes, termites et fourmis
tueuses qui rongent sa chambre. Delirium tremens sans alcool, on voit des bêtes partout,
de quoi devenir fou. Mais Nicolas, à sec d'argent ne peut quitter cet endroit, les
mauvaises nouvelles s'accumulent, un amour le quitte, il trouvera néanmoins à
s'embaucher comme homme à tout faire dans un bateau qui part au Japon. Dit comme cela, il
ne s'y passe pas grand chose, mais Le Poisson-scorpion doit beaucoup à son style,
florilège de toutes les qualités littéraires de Nicolas Bouvier, et elles sont grandes,
tant par la précision de ces descriptions que par le ravissement des instants vécus,
tant par ses talents de conteur et quelques jongleries de style délicates à l'oreille.
Un reproche cependant : écrit 25 ans après sa mésaventure cingalaise, c'est du
reconstitué bien au chaud dans sa maison suisse qu'il nous propose. Je doute qu'il ait pu
écrire dans un style si parfait au moment où ça se passait.
(22/08/2008)
Atelier 62, Martine Sonnet, Le temps quil
fait.
Martine Sonnet est historienne et la profession a bien changé : fini ces rats de
bibliothèques qui hantaient des allées sombres le nez au raz du sol, perdus dans leurs
pensées, exit ces passionnés qui ressortaient triomphants un vieux grimoire poussiéreux
dune archive de province, terminé cette époque à lorgnons et teint dendive.
Place à la numérisation sans odeur, à la recherche incolore sur Internet, place au
progrès. Martine Sonnet a un blog (je préfère dire un site, parce que blog, ça fait un
peu formaté, et quun site
comme celui de Martine, cela situe son auteur ses recherches et tout un quotidien
sympathique et actif à mille lieues de la poussière des remises, caves et greniers).
Martine Sonnet avait un papa aussi et qui a travaillé à latelier 62, celui des
forges de Renault à Boulogne Billancourt. Un ouvrier donc, mais pas nimporte lequel
dans la hiérarchie queux-mêmes avaient établi entre eux, mélange dastuces
techniques, de forces de la nature, toute une noblesse manuelle qui excluait le monde des
patrons et des chefaillons (jai longtemps contemplé cette photo où lon
voyait mon père décharger dun camion avec un collègue une de ces insaisissables
et énormes meules rondes de Gruyère, quasi cent kilos, à une époque où les
transpalettes nexistaient pas). Armand Sonnet donc est une force de la nature,
forgeron de son métier, il quitte la Normandie pour travailler à lusine, embarque
sa famille et « sétablit » à Renault (sauf que contrairement aux intellectuels
maoïstes, ce nétait pas pour quelques mois voir note de lecture
ci-dessous). La vie y est rude, les conditions de travail antiques et la productivité
montre le bout de son nez avec ses absurdités comme le reproche quon fait à ces
ouvriers davoir trop constitué de stocks alors quon les a incité à produire
plus. Bref, vous le savez, cest la rengaine habituelle, toujours de la faute des
ouvriers, rarement des patrons, ou du moins, eux ont le droit de se trouver des excuses :
on appelle cela, en termes savants, de la communication interne dentreprise
Enfin, tout cela, cétait du temps où les ouvriers existaient encore. Car ils
nexistent plus. Je sais, je vous entends déjà protester, lecteur : on fabrique
bien encore des voitures chez Renault mais allez faire un tour sur le site Renault,
rubrique métiers, on vous y parle de profils internationaux, déconomies
déchelles, de coopérations locales, de stratégie logistique mondiale, de
performance, daptitudes au management. Lex-ouvrier, désigné sous
leuphémisme de « fabricant », doit être « mobile » et avoir une « vision
complète de son métier ». Le langage dentreprise a repris la main jusquà
étouffer la noblesse manuelle dont je parlais plus haut et qui nétait quun
juste retour pour ceux qui avait été écartés trop tôt du maniement de ces mots via
une éducation nationale un peu complice tout de même. Mais maintenant, tout est enfin
rentré dans lordre, plus douvriers, plus de lutte des classe. En cela, le
livre de Martine Sonnet est de la même veine que celui dAurélie Filippetti, Les
Derniers jours de la classe ouvrière, ou celui de Franck Magloire, consacré à sa
mère Ouvrière chez Moulinex : constater ce qui nest plus. La littérature
prolétarienne a vécu faute de combattants, ce sont leurs enfants qui racontent cette
époque incroyable où il y avait même des ouvriers, si, si, des vrais, avec du cambouis
sur les bras et des mains calleuses.
Mais Atelier 62 vaut mieux que cela, cest aussi limage formidable
dune époque où des provinciaux sembarquaient pour la ville et lusine,
reproduisant le petit coin de campagne jusque sur les paliers des HLM. Le livre de Martine
Sonnet y apporte cette belle nostalgie, une tendresse sans complaisance et des images
précises : à la fin du livre, Armand reste dans un coin de notre mémoire, déambulant
mains dans les poches les dimanches de repos, ouvrant la fenêtre dun chez-lui trop
exigu, prince dun monde quil avait forgé et tant dautres avant lui.
(25/07/2008)
Le jour où mon père sest tu, Virginie
Linhart, Seuil
Je travaille en ce moment sur un mémoire universitaire dans lequel il est
question de Robert Linhart, auteur du très remarqué LEtabli en 1978 aux
Editions de Minuit. Cest donc avec intérêt que jai appris la récente
parution du livre de sa fille, dautant plus que jétais intrigué de ce
quil avait pu devenir. La réponse est contenue sobrement dans le titre. Virginie
Linhart nous offre donc une biographie par effraction de son père, devenu quasi-mutique
en 1981 à la suite dune grave dépression. Biographie par effraction est bien le
terme qui convient car pour retracer la vie du dirigeant du mouvement maoïste UJC(ML,
lUnion des jeunesses communistes marxistes-léninistes, il faut aller interroger les
témoins de cette époque, compagnons de lutte de Robert Linhart et cest lui-même
qui indique quelques pistes à sa fille : Olivier Rolin, Serge July
Leffraction convient bien aussi car on saperçoit combien les adeptes de la
Gauche Prolétarienne (qui englobera la défunte UJC (ML), interdite en 1968 par décret
du Président de la république, sont à la fois exubérants en explications mais aussi
prudents quand il sagit quand il sagit dévoquer les anciennes querelles
de chapelle qui ont parcouru les mouvements gauchistes, notamment la question centrale de
Mai 1968, dont l'UJC (ml) condamnait le mouvement naissant, jugeant les manifestations
étudiantes de « petits bourgeois ». Le cas de Robert Linhart dailleurs leur pose
problème : on lui reconnaît un esprit brillant, on est désarçonné par ce qui lui est
arrivé après.
Personnellement, en discutant par ailleurs avec quelques témoins et acteurs de cette
époque, deux tendances se dégagent après la vague de commémoration qui a suivi les 40
ans de 1968. Pour certains, lexpression qui revient souvent est « règlement de
compte ». Loin de moi lidée de prendre parti mais simplement constater que les
années ont laissé des traces indélébiles dans les pensées et même si les théories
politiques ont changé avec lépoque actuelle, il est bizarre de remarquer de telles
crispations. Notons que le témoignage au fil de l'eau de Jean-Patrick Manchette dans son
journal 1966-1974 montre bien ces tensions. Les autres, et particulièrement les adultes
de maintenant qui sont les enfants des soixante-huitards, sont, comme Virginie Linhart, en
quête de sens : pourquoi et comment ont-ils été ballottés dans cette mouvance à la
fois permissive et collective. Virginie Linhart remarque bien avec humour combien les
contradictions de lépoque étaient fortes : oui pour être près du peuple
à
condition de sélever par léducation. Les enfants de 68 ont donc été
condamnés à la réussite solaire en raison dune intransigeance faussement
permissive et de cette hypocrisie qui consistait à devoir être les meilleurs en classe
pour mieux combattre le capitalisme et se retrouver du côté des ouvriers. Les enfants de
68 ont donc pour la plupart des situations enviables, ce qui va à lencontre de la
mixité sociale espérée par la gauche. De plus, par réaction, ils aiment l'ordre...
Quant aux ouvriers, la même classe dâge que les manifestants de 68 qui accède au
pouvoir à partir de 1980 prononce « les derniers jours de la classe ouvrière » (comme
dirait Aurélie Filippetti). Plus douvriers, plus de prolétaires : on a donc
résolu le problème de la lutte des classe en nen supprimant une...
(18/07/2008)
Journal 1966 -1974, de Jean-Patrick Manchette,
Gallimard :
On a dit de Jean-Patrick Manchette quil était le « père du néo polar »,
ce qui a mon avis devait le laisser froid ou tout du moins lui faire lever un sourcil
réprobateur, la formule du père Noël à la sauce néo placée partout étant bien plus
noire que le roman noir, on en a tous soupé, (même moi, quand jai découvert dans
un article sur CV roman que je critiquais le néo-libéralisme). Donc, arrière, le néo !
En avant, la vieille garde car voici un genre de chaussures bien éculées qui
savance : le journal. Quil soit de Kafka ou de Jean-Patrick Manchette le
journal a ses signes de reconnaissance, la fuite des jours, linconfort de les
enrouler dans le dénuement des tongs le soir avant de se coucher et le confort pour les
lecteurs de les dérouler après coup dans le bonheur des charentaises. Laprès-coup
pour Jean-Patrick Manchette sétale de 1966 à 1974. Que les amateurs du
quarantième anniversaire de mai 68 ne se réjouissent pas trop vite, lauteur,
pourtant pas mal versé dans lInternationale Situationniste ne consacre que quelques
lignes sur les événements. Mais dans le fil des jours et des années suivantes, les
nombreux collages de coupures de journaux, les rubriques « historiographies » dont il
émaille le récit des journées présente une France qui sennuie, balancée entre
un consumérisme inévitable et des revendications violentes. Jean-Patrick évolue dans ce
monde, également coincé entre sa chère épouse Mélissa et son fils Tristan (qui
deviendra Doug Headline et a qui on doit ce recueil), une vie conformiste donc et les
inévitables aléas du voisinage dartistes. Car le père du néo-polar en devenir
gagne sa vie en traduction, adaptation, scénarii et autres écritures alimentaires qui
vont de lérotisme pour une Cécile Desforges débutante aux épisodes des
Globe-trotters. Monde parisien donc, fait dopportunités, de petits contrats pas
toujours bien payés ni régulièrement, bref une vie à 24 ans qui débute par la
fatigue, linsomnie, la bière et les clopes à profusion pour tenir le choc et
attendre de joindre les deux bouts quand il en manque un en permanence. Fatigue et manque
dargent sont déclinés sur tous les synonymes au fil des jours. Ils marquent le
début dune vie et sans doute que le relatif silence quon imputa à Manchette
provient de ce cynisme des premiers jours usants. Mais ce journal cest aussi les
formules lapidaires avec lesquelles lauteur démonte les films vus quil
décortique en véritable metteur en scène. Cest aussi sa culture livresque,
immense, philosophie surtout, telle que lépoque la revendiquait sur fond de
marxisme. Oui, tout cela est marqué : une époque mais ce nest ni nostalgique ni
péjoratif, ni un simple témoignage de la condition dauteur ou du paysage social
français du moment. Cest sans doute un mélange de tout cela, sans concession, une
vie quoi.
(28/06/2008)
La Ferme de Navarin, Gisèle Bienne, Gallimard
(L'un et l'autre) :
De Navarin, je connais le monument imposant : pyramide surmontée de trois statues de
soldats, art militaire dans l'esprit du sacrifice qui présida à d'autres monuments
virils comme l'ossuaire de Douaumont. Ici, donc, on rappelle au passant (plus certainement
d'ailleurs à l'automobiliste ou au camionneur) qu'en 1915 eu lieu un des épisodes de la
grande guerre. C'est dans cette bataille que Blaise Cendrars perdit le bras droit. Je
connaissais déjà l'histoire et le lieu de Navarin a l'habitude de rythmer un de mes
parcours professionnels que j'effectue souvent entre Châlons (où fut soigné
Cendrars) et Charleville. Dans l'ordre, on passe par Attigny, pays natal d'André Dhôtel
(longtemps signalé par une pancarte que les pluies ont effacées), on frôle Roches et la
ferme d'Une Saison en enfer de Rimbaud enfin, on arrive soudain dans la monotonie
des champs sur la protubérance orgueilleuse et guerrière du Monument de Navarin.
Quand j'ai découvert La Ferme de Navarin,ouvrage tout juste paru au rayon des
nouveautés avec la photographie reconnue de Blaise Cendrars, je savais forcement que ce
jalon littéraire, cette borne kilométrique allait rejoindre un des rayons de ma
bibliothèque. Gisèle Bienne est venue présenter son ouvrage chez François Larcelet,
excellent libraire de ma ville. La passion pour Cendrars qui l'anime est la même que la
mienne et je comprends l'émerveillement de sa découverte de la Prose du
Transsibérien paru en 1912. Pour Gisèle Bienne comme pour moi, voisins des lieux de
cette grande guerre, on ne peut qu'être particulièrement touché pour cette époque où
l'éloge d'une poésie de la modernité commencée avec Baudelaire, exacerbée avec
Rimbaud et joyeusement continuée avec Apollinaire et Cendrars allait se perdre dans
l'horreur deux ans après la parution des Pâques à New York et de la Prose du
Transsibérien. On connaît le sort d'Apollinaire et d'Alain Fournier, on sait comment
les rescapés comme Maurice Genevoix ou Cendrars ont été marqués, on connaît la chape
de silence imposée par Breton et les surréalistes sur l'inhumanité que toute une
génération avait vécue.
Gisèle Bienne retrace parfaitement toute cette tension et tente, comme tous ceux qui
connaissent ce passé et ces lieux, de trouver un signe, une explication, une raison à
l'inexplicable carnage humain. Mais la barbarie est enfouie sous le sol de Navarin, dans
les cimetières proprets qui jalonne les vallons. Cendrars écrivait en 1913 : j'ai des
chats sauvages plein la bouche. C'était une confiance optimiste en l'homme, en son propre
avenir qu'il fallait y déchiffrer. Deux ans plus tard, la main qui avait écrit cela
explosait sur le sol de Navarin, emmêlée parmi tant d'autres débris humains.
(21/06/2008)
Désordre, un journal, de Philippe De
Jonckheere, Publie.net :
Cest un vrai livre : jai acheté le fichier pdf sur publie.net, 400 pages pour un prix dérisoire et je
lai imprimé sur 200 pages en recto-verso et relié : ça ma pris une
demi-heure. Jaurais pu aussi le lire sur écran mais jai préféré cet aspect
traditionnel du livre. Car cest bien ce qui fait lattrait de publie.net : on
est à la croisée des chemins, soit on garde le réflexe du livre avec tout ce qui passe
comme inconscient dans nos lectures, feuilleter un livre, le soupeser, le poser dun
endroit à un autre, soit on choisit la lecture numérique, le monde à portée
décran. (et pareillement avec nos portables de moins en moins lourds, le poser
dun endroit à un autre).
Jai rencontré quelques fois Philippe De Jonckheere : nous avons en commun des amis
et des lieux, Saint-Dizier, Remue.net, du réel et du virtuel. Nous avons aussi en commun
dêtre de cette génération qui a découvert linformatique quand elle est
apparue, c'est-à-dire à lâge adulte, contrairement à nos propres enfants
(souvenirs des miens qui ont su manier une souris bien avant de savoir écrire). Nous
avons ouvert chacun une fenêtre sur un Internet encore en friche à lépoque, il y
a quasi dix ans. Et toutes nos accumulations se sont figées tout récemment en une sorte
de journal via publie.net.
Désordre, cest donc le site de Philippe.
Jy vais régulièrement : me surprennent alors les prouesses technologiques, les
mises en pages audacieuses, incomparables, le désordre apparent. Il me manquait un lien
pour relier ces lectures parcellaires, Désordre, un journal me le propose. On
entre alors dans la dimension dun Kafka, dun Michel Leiris, dun Pierre
Bergounioux, dun Charles Juliet que lauteur a dailleurs rencontré.
Cest aussi une dimension de lecture autre que celle qui préside aux artifices
techniques du site Internet. Nos réflexes de lecteur sy accomplissent en plein : on
senfonce dans les mots, les phrases, les paragraphes, page après page, on
senfonce comme dans une motte de beurre, cest une matière et non une
virtualité. Cest bien lensemble des mots qui font sens, donnent cohérence :
on entre dans le domaine millénaire des écritures mais ne nous y trompons pas,
cest aussi via loutil Internet que ce sont constituées ces pages.
Lensemble donc forme un tout indissociable. Alors, quoi de plus dans Désordre,
un journal ? Le fait dajouter une cohérence, un suivi chronologique, une
histoire dInternet, dirait François. Mais au-delà de la froide histoire comptable
des jours qui passent, cest tout ce qui rend Philippe attachant : son souci des
autres, en premier lieu sa famille, ses enfants, ses drames personnels. Son humanité
aussi, pas le genre Mère Teresa non plus : une anecdote résume bien sa propension à se
glisser dans un quotidien daventures : il escorte un informaticien hongrois malade
aux urgences accompagné par deux traductrices tchèques. Et cest toute la vie
actuelle, difficile, polyglotte et polymorphe qui défile devant nous alors que ny
faisions même plus attention. Miracle de l'écriture...
(13/06/2008)
Lettres à son frère Théo, Vincent Van Gogh, l'imaginaire, Gallimard :
D'abord, saluons cette excellente initiative de Gallimard qui fait joindre un DVD au
livre présenté et le tout pour un prix modique. J'ai ainsi, dans la même collection, le
Manuscrit trouvé à Saragosse de Jean Potocki avec le film correspondant , tourné
en 1964, Un Thé au Sahara de Paul Bowles et le film de Bertolucci, Le Festin nu
de William Burroughs et le film de Cronenberg. Je n'ai pas eu encore le temps de les
regarder, ni de lires les livres (je le ferai à ma retraite, comme disent les gens, ce
qui signifie pour moi 90 ans, tant je n'ai pas envie de me préoccuper de ces artifices
sociaux...)
Lettres à son frère Théo est accompagné de l'excellent film de Pialat, le
peintre étant sobrement, donc magistralement interprété par un Jacques Dutronc bien
inspiré. Le film raconte les derniers moments de Van Gogh à Auvers-sur-Oise mais est
tout à fait dans l'esprit des lettres à Théo puisque les relations et
l'interdépendance entre les deux frangins y est très bien retracée. Du coup, regardant
au même moment le film et lisant le livre, ma lecture a été bousculée par d'incessant
allers et retours entre la vie à Auvers et les moments précédents. Rien
d'extraordinaire cependant : la lecture d'une correspondance, généralement éditée de
manière chronologique m'a toujours parue devoir être effectuée dans un relatif
désordre en s'appuyant sur des éléments biographiques. Pour Van Gogh, c'est par exemple
partir de l'instant où il se tranche le lobe de l'oreille et lire les lettres qui
précèdent ou qui suivent. Pour Rimbaud, c'est suivre ces pérégrinations de pourvoyeur
d'armes au profit du roi Ménélik. Tout en sachant bien entendu que les biographies ont
été écrites avec l'appui des correspondances. Tout se reboucle, mais ce qui semble
important finalement, c'est l'imaginaire que nous glissons entre les interstices à
reconstituer ces vies rêvées.
Un dernier mot : j'ai lu ce livre dans ma chambre d'hôtel de Dijon (voir rubriques Coincé
devant hublot et Mer de supermarché de la semaine précédente). Évidemment,
le décor spartiate de ma chambre à dû répondre à celles de Van Gogh dans sa pension
à Auvers-sur-Oise ou celles d'Arles qu'il a immortalisé dans un tableau (voir en
Webcam). C'est cette impression de silence, sobriété et calme que j'aimerai garder comme
souvenir de cette lecture.
(06/06/2008)
Voyage autour du monde, Louis-Antoine de
Bougainville, Pocket
Entamé en 1766, le fameux voyage de Bougainville et surtout lépisode
tahitien donneront lieu à de vives polémiques à son retour. Polémiques qui se
déplaceront sur le champ philosophique avec les tenants de « lhomme naturellement
bon » et ses détracteurs. Thèses rousseauistes, émerveillement naïf du médecin
botaniste Philibert Commerson (qui accompagna Bougainville et donnera son nom à la
fameuse plante), interrogations de Diderot avec son Supplément au Voyage de Bougainville,
grains de sable de Voltaire dans la mécanique, ce débat est lun des plus fameux
des lumières.
Le récit du navigateur sera irrémédiablement perturbé par ces considérations
philosophiques. Luniversité à pris lhabitude depuis de prêter ainsi au
navigateur une adhésion sans condition à lhomme naturel. Mais rien nest
moins certain. A lire en détail les précautions dobservations dont sentoure
le navigateur, à relire les passages où il dépeint la cruauté des indigènes, à
observer les incessantes comparaisons entre le système tahitien et les sociétés
occidentales de lépoque, il nest pas sûr que la volonté de Bougainville
était de défendre les thèses du fameux « bon sauvage » que la vogue de
lexotisme avait érigé en modèle. Plus hypocritement, dans notre société
corsetée par la religion, la thèse dun état de nature permissif permettait de
justifier dun libertinage également en vogue. Pour Bougainville, les enjeux
étaient autres : envoyé avec une lettre de mission du Roi, limpact politique de la
possession de Tahiti devenait important dans la course aux colonies qui venait de
commencer entre lAngleterre et la France après le Traité de Paris en 1763. Comment
aurait-il pu présenter cette île autrement quun paradis et une « nouvelle
Cythère » dans ces conditions et risquer de ne plus bénéficier de lappui du Roi
pour ses futures expéditions ?
Et puis, résumer le Voyage autour du monde par ce seul épisode tahitien est réducteur.
Il faut lire lensemble du récit, les arrivées à Buenos Aires, Montevideo, à la
Terre de Feu. De plus, le récit commence par un très intéressant rappel des grandes
dates de la navigation. On y apprend par exemple que le navigateur français Paulmier
voyagea au Brésil en 1504, 12 ans à peine après la découverte de Christophe Colomb et
quil ramena en France le fils du chef dune tribu avant den faire son
héritier. Du coup on peut se demander pourquoi ce navigateur est rarement cité dans
notre histoire de la navigation. Mais ce qui pourrait passer pour un oubli innocent a une
explication : Paulmier na jamais rapporté de découverte, ni de biens terrestres à
la France (Le Brésil venait dêtre découvert par les Portugais 4 ans auparavant)
contrairement à Jacques Cartier, par exemple qui, trente ans après Paulmier, «
découvrit » le Canada.
(30/05/2008)
Les Outils, Leslie Kaplan, P.O.L.
"On pense avec des livres, des films, des tableaux, des musiques, on pense ce qui
vous arrive, ce qui se passe" est-il écrit sur la quatrième de couverture. C'est
cette boîte à outils, boîte à penser que nous propose Leslie Kaplan avec cet ouvrage.
On ne peut justement s'empêcher de penser et trouver bien des similitudes entre le
parcours de cet écrivain et celui de François Bon. Le même départ dans la littérature
: Sortie d'usine pour François et L'Excès l'usine pour Leslie, et la même
année, en 1982. Le même goût pour un réel et son langage (Mécanique pour
Francois) et les Ateliers (d'écriture) en commun. Ce livre écrit en 2003
participe aussi au même élan que celui de François Bon et de son Tous les mots sont
adultes, écrit en 2000. Au départ, ce recueil sous-titrait "méthode pour
atelier d'écriture mais le sujet est largement dépassé, c'est évidemment un manifeste
de (bonne) conduite de la littérature et de son usage. C'est dans le même esprit qu'à
travaillé Leslie Kaplan. Le sujet est transcendé et si un chapitre traite explicitement
des ateliers d'écriture dans une rubrique intitulée "Politique", cela montre
bien l'implication du rôle qu'un écrivain peut avoir dans le monde social. Le
compagnonnage des premiers chapitres (préférons les mots de convergence, de regroupement
- je me méfie toujours de la terminologie militante...), "avec la fiction",
"avec les écrivains", "avec les cinéastes" marque finalement un
établi ou les clés à molette ont pour nom, Kafka, Blanchot, Duras. C'est du solide,
c'est du Facom, disent les artisans. On acquiesce, l'oeil connaisseur sur l'écrou à
serrer, le petit tour de vis à donner pour régler une littérature, non pas dans un
fonctionnement rigide mais au contraire pour lui donner du jeu et au final une précision
horlogère.
(17/05/2008)
Pieds nus dans le jardin, Cécile Beauvoir, Le
temps qu'il fait :
Qu'elle soit pieds nus dans le jardin, en baskets à la Fête de l'Huma ou en
escarpins à Matignon, Cécile Beauvoir est à l'aise partout et distille un magnétisme
rare. J'ai eu l'occasion de m'en apercevoir justement à la fête de l'Huma où sa pile de
bouquins a disparu à la vitesse de l'éclair tandis que mes piles toutes neuves de CV
roman faisaient tapisserie à côté. Revue à Paris puis à Clermont-Ferrand, je ne
désespère pas la retrouver au bord de l'océan par hasard, car Cécile est aussi fuyante
qu'elle est gaie : un rire d'elfe, trois petits tours pieds nus dans le jardin et puis
s'en va. Ce qu'on retient d'elle intrigue forcément : en partage, son nom avec Simone
(mais attention Simone est la numéro "de"), en partage notre admiration commune
pour René Fallet (elle y ajoute Walt Whitman), en partage nos rires à Matignon, en
partage nos livres échangés.
Et justement, Pieds nus dans le jardin réapparaît dans ma besace un jour de long
trajet en train : petites nouvelles tendues, claquantes comme des draps au vents. Dés les
premiers mots, Cécile nous emmène, nous kidnappe, on est ravi dans de sens du rapt, du
ravissement cher à Marguerite Duras. C'est subtil, on s'en aperçoit pas, on la suit
comme un peu hypnotisé. Ce sont des histoires ténues, des soirées, des amis, des
amoureux, des balades, des gestes, des pots de fleurs, des pull-overs, des musiques, des
photos, des coins sous les arbres, des remises, des maisons jamais finies. On est entre
deux, on se demande toujours ce qui manque, un petit goût de nostalgie, un mot sur la
langue, un air oublié, la délicatesse bleue des Forget-me-not. Bref, c'est du Raymond
Carver, de la réalité mais pas celle que l'on brusque, celle qui est là comme cela,
évidente, admise : on ne se pose pas de question, on suit Cécile. Et à lire ces
nouvelles dans ce train, il m'apparaissait évident qu'il ne pouvait y avoir de meilleur
lieu que ces paysages d'entre deux villes qui défilaient par la vitre du compartiment et
entraient en résonance avec les mots. De retour à la maison j'ai lu Envie d'amour,
le tout premier, paru aux Editions de Minuit : c'est la même veine. Alors bien sûr,
nous, ses lecteurs, attendons la suite, comme déposés au bord du quai et attendant le
prochain train. All truths wait in all things, comme disait Walt Whitman.
(02/05/2008)
Le Déjeuner des bords de Loire, Philippe le Guillou, Folio
poche :
Le déjeuner en question rassemble lauteur de livre et Julien Gracq à qui il avait
pris lhabitude de rendre visite dans sa maison de Saint-Florent. Avec la disparition
récente et forcément inévitable de Julien Gracq à 97 ans, on ne peut sempêcher
de penser à une muséification (ça existe comme mot ?), une idolâtrie exagérée du «
grantécrivain ». Mais il faut dépasser ce sentiment et puiser à travers ces lignes ce
qui justement en constitue le contraire. Julien Gracq apparaît en retraite (au sens
propre et au figuré) dans son coin de province et nous donne limage dun
personnage bien simple et malicieux, une sorte de Monsieur tout le monde, profondément
honnête et droit, intéressé par tout et surtout la littérature,
dune gaieté qui tranche avec laustérité et la solennité dans laquelle la
muséification (je persiste
) du monde des Lettres la enfermé. Et cest
dans cet esprit que Philippe le Guillou, profondément inspiré par ces rencontres, en
tire tout bénéfice pour sa vie décrivain : « cest sur son instigation, sur
ces traces presque » que lauteur se rend sur la scène dun Balcon en
forêt dans les contrées ardennaises
après avoir fait un crochet devant la tombe de Rimbaud à Charleville. Chacun ses
mentors, moi cest Rimbaud direct, ou André Dhôtel qui me guide dans ces pays (où l'on n'arrive jamais). Peu importe : ce quil faut
retenir, cest que nous avons tous besoin de guides, dune démystification en
les approchant de plus près. Que ce soit Gracq à Saint Florent ou lombre de
Rimbaud à Roches, il nous faut avaler cette proximité, la digérer et en restituer le
sens à travers le décor. Car, bien mieux que les personnages fossilisés par notre monde
médiatique, ce sont leurs empreintes, le grain de la pierre dans lequel ils se sont
couchés qui nous en apprennent le plus sur eux
et donc sur nous même puisque
cest lenjeu de notre idolâtrie, fétichisme, admiration, révérence, culte,
dévotion, prosternation, attachement, respect, piété, ferveur, agenouillement, passion,
extase
Jai volontairement dilué cette liste de synonymes pour que lon
se rende bien compte de nos réticences à vénérer quoique ce soit dans notre monde
laïc. Avec Philippe le Guillou et bien d'autres, nous passons
outre et nous avons raison.
(29/03/2008)
Parabole, William Faulkner, Pléiade, tome IV :
Jai la chance de recevoir en cadeau de Noël, anniversaire ou autre, un album
Pléiade. Cette fois-ci cétait le Tome IV de Faulkner. Je croyais avoir tout
compris, avoir tout lu, de cet auteur, du moins les uvres principales dans cette
réduction bien française que la précipitation et la théorisation de la littérature
provoque en nous : il nen est rien, jai découvert Parabole.
Parabole est un roman de la première guerre mondiale. Faulkner la publié en
1954. On sait que lécrivain sest engagé tardivement en 1918. Laction
se déroule donc sur un front indéfini mais qui sétait désembourbé des
tranchées lorraines de Verdun pour répandre lensemble des troupes alliées dans
une vaste région, en Picardie et en Champagne. A Maurice Genevoix et à Roland Dorgelès,
dautres écrivains se succèdent donc pour raconter la tragédie. Aragon, par
exemple, évoquera dans Le Roman inachevé cette époque qui suivi lépisode
du Chemin des dames. Mais les lieux de Faulkner sont imprécis, Chaulnesmont (Chaumont ?),
Vienne-la-Pucelle (Domrémy ?). Tout cela compose une France dopérette où la
misère de la population prend des allures de production hollywoodienne avec la compassion
des militaires alliés sur fond de rigidité et de rudesse militaire. Cest, bien
sûr, caricatural car ce récit qui raconte histoire dune mutinerie durement
réprimée, est magnifique. Magnifique car on retrouve lélan, le souffle qui
caractérise Faulkner, précisions des sentiments, des scènes comparables aux plus belles
pages de Proust ou de Claude Simon, rien de moins. Claude Simon dailleurs : comment
ne pas penser à La Route des Flandres, autre guerre, autre
génération, vécue également par un écrivain mais dont lévocation semble
si proche, chevaux et grand foutoir dune débâcle pareillement ressentie.
Sest-il inspiré ce Nobel de 1949, notre Nobel de 1985 ? La Route des Flandres en
effet a été écrit 6 ans après la parution de Parabole.
On ne parle pas assez de Parabole en France pour lequel lécrivain reçut le
prix Pulitzer tout de même. Peut-être parce que laction se situe justement
en France et quil prend pour cadre la première guerre mondiale. Peut-être
aussi par chauvinisme et stupide patriotisme devant un «allié» qui décrit la guerre
dans notre pays (et les petites mesquineries franchouillardes que lon perçoit à
travers les lignes) tandis que la place dhonneur revient à des auteurs français
comme Maurice Genevoix, Dorgelès et autres à qui on reconnaît le seul droit de pouvoir
parler de «cette connerie la guerre» comme disait Prévert.
(29/03/2008)
Comment cétait, Anne Atik, Point :
Le titre rappelle Comment cest, oeuvre de Samuel
Beckett, et cest bien entendu les « souvenirs sur Samuel
Beckett » qui compose le sous titre et le contenu de ce petit
opuscule. Anne Atik, épouse dAvidgor Arikha, ami du Prix Nobel de littérature, a
donc partagé lintimité parisienne de lécrivain, jusque dans ces derniers
moments. Ces pages sont le récit des visites entre le couple et Samuel, les «
tu-me-reçois-je-te-reçois » auxquels dailleurs ne participait pas son épouse
Suzanne. Il faut dire que les descentes à la Closerie des Lilas, Coupole et autres lieux
parisiens laissaient les deux amis souvent bien imbibés. Voilà pour le folklore. Pour le
reste, de même que Philippe Le Guillou prenait des notes après ses rencontres avec
Julien Gracq, Anne Atik semble avoir fait de même, histoire de consigner leur
indéfectible amitié envers ce personnage célèbre qui redoutait dêtre reconnu
dans la rue, ce qui arrivait fréquemment. Et comme dans le livre de Le Guillou,
ladmiration ne frise pas lidolâtrie : cest un type profondément humain
que ce Beckett qui nous est donné à voir. Le bilinguisme dAnne Atik éclaire
cependant dune vision particulière notre irlandais qui a toujours nourri son
inspiration des deux côtés de la Manche : les extraits des auteurs anglo-saxons
évoqués par le grand Samuel montrent lorigine et la finesse de sa culture
poétique.
(29/03/2008)
Souvenirs désordonnés, José Corti (Chez José Corti bien sûr)
:
Encore un livre de souvenirs parisiens : ceux de léditeur José Corti. Qui na
jamais ouvert un livre de José Corti ne sest jamais confronté à la délicate
opération de découpe des pages à lancienne car notre éditeur possédait
lélégance de confectionner des livres non massicotés. Jai plusieurs fois
succombé à ce plaisir car cela en est un. Quand on est, comme moi, un lecteur au lit, il
faut avoir en permanence un couteau sur sa table de nuit et effectuer la gymnastique de
découpe, le livre tenu dune main, accoudé sur un matelas instable, le couteau tenu
de lautre main essayant de fendre sans bruit les feuilles sans réveiller toute la
maisonnée quand laction se déroule au milieu de la nuit. Autre plaisir : on est
certain que le livre na pas été lu avant vous et vous pouvez parfois vous procurer
des livres doccasion en sachant exactement où le précédent propriétaire à
abandonné sa lecture.
Les souvenirs de José Corti sarrêtent en 1965 comme il est indiqué sous le titre
mais les trois petits points qui précèdent cette date montrent que la remontée des
souvenirs sest approchée de sources improbables. La rivière tumultueuse qui a
été sa vie a connu un grand barrage : la mort de son fils Dominique, résistant tué en
44 par les allemands et qui fut son grand malheur. Il y fait allusion plusieurs fois et on
y trouvera les sources et la motivation de son engagement au côté dune
littérature dexception comme le concevait également Jérôme Lindon et ses
Éditions de Minuit : rien de commun était la devise
inscrite autour de son emblème, une rose des vents. Éditeur de Gracq avec
son fameux refus du Goncourt avec Le Rivage des Syrtes, ce livre de
souvenirs bien entendu y fait allusion mais on sent une proximité plus grande avec le
chaleureux poète René Char. Mais cest bien André Breton, René Crevel et le
surréalisme qui assurèrent les débuts et la renommée de la maison, José Corti le
souligne, tout cela de façon désordonnée mais sans oublier personne.
Mais José Corti est aussi un lieu, la proximité de la Sorbonne, du Luxembourg, du
Panthéon, la rue de Médicis, la rue de Monsieur le Prince. Pour
le provincial que je suis jai longtemps cru que la vie de ce quartier se situait
entre le boulevard Saint Germain et la Fontaine Saint-Michel où javais fêté la
victoire de la gauche en mai 81. Depuis peu je me suis excentré vers cette direction.
(29/03/2008)
La Tranchée de Calonne, Michel Bernard, Ed La Table Ronde :
Qui connaît Michel Bernard ? Quel est le nom ? Quel est le prénom
? Peu importe, lensemble Michel+Bernard gagne à être connu. La Tranchée de
Calonne est un livre remarquable à plus dun titre. Michel Bernard est un
érudit discret, doublé dun géographe, triplé dun poète. Si lauteur
fait référence à Maurice Genevoix, à Alain Fournier cest dabord leurs
talents décrivains quil admire. Si Alain Fournier, romantique dun seul Meaulnes, disparu dans les affres de la guerre puis retrouvé avec ses
compagnons de combat il y a peu au fond dune forêt meusienne, si cet écrivain donc
possède une légende qui force le consensus, il nen est pas de même pour Maurice
Genevoix qui commit lerreur den réchapper et de raconter ce désastre même
avec le plus grand des talents. Erreur oui, car peu décrivains se réclament
maintenant de Maurice Genevoix, devenu obsolète, passé de mode, condamné aux oubliettes
dune prose vieille France, de la même manière quon évoque lAnatole du
même nom. Jéprouve cependant pour ce dernier écrivain la même admiration
quil me semble percevoir chez lauteur de La Tranchée de Calonne.
Pourtant si on ajoute à ce penchant fâcheux dun classicisme hors dâge, les
errances du Général de Gaulle qui jalonnent ce livre, on aurait vite fait dans nos
jugements péremptoires et stupides de cataloguer ce Michel+Bernard et moi avec dans le
clan des conservateurs gâteux (si jajoute en plus que jadmire Céline, je
deviens irrécupérable
tant pis
). Mais le fil conducteur de cet ouvrage est
lorrain et géographique. La tranchée de Calonne, les héritages dun royaume
davant la révolution, le bouleversement terrible des guerres qui à chaque
génération balayaient lEst ont marqué ce pays ingrat, que Michel Bernard et
moi-même apprécions au même titre que Genevoix et Gracq aiment la proximité de la
Loire. Nous sommes provinciaux et géographes, c'est-à-dire libres comme lair pur,
véhiculés éternellement par des pensées horizontales, attachés à rien dautre
quun coin de ciel souvent gris, une herbe plus verte quailleurs. Ne vous y
trompez pas : cette évasion, cette liberté despace est assurément le contraire du
chauvinisme. Et cest pour cela que Michel+Bernard me plaît car tout dans son
écriture reflète cette universalité, cette humanité sans arrière-pensée. Et la
poésie ! Car de surcroît, son écriture est fine, ciselée,
réfléchie, précise à la manière dun Gracq géographe. Lorsquon
mavait demandé ma « bibliothèque idéale » lors de la Fête du livre de Bron, cette Tranchée
de Calonne métait venue à lesprit sans hésiter. Lors de la
présentation que javais faite, je nai pas eu le loisir dévoquer cet
ouvrage mais jy tenais : cest maintenant chose faite.
(29/03/2008)
Correspondance Arthur Rimbaud (réunie par Jean-Jacques Lefrère), Fayard :
Cest le livre qui manquait à tout passionné rimbaldien dont je fais partie. En
effet, cet ouvrage de 1000 pages réunis lensemble de la correspondance de Rimbaud,
ce qui en soit nest pas une nouveauté, mais complète celle-ci par les articles de
presse, les correspondances entre poètes au sujet du fameux Arthur. Le tout classé dans
lordre chronologique. Et on découvre beaucoup de choses. Ou plutôt, à défaut de
faire de passionnantes découvertes sur le mystère du grand poète trop tôt disparu,
cette correspondance (autour de Rimbaud donc) nous en apprend énormément. Et
dabord, en ces temps où lon enterre parfois facilement le livre au profit
dune inévitable numérisation immatérielle de lécrit, il faut prendre ce
machin en main : la belle couverture souple, le papier vieux jaune, les nombreux
fac-similés de lettres qui émaillent ce recueil et les deux kilos pris en main (vérifiés sur la balance de ménage), on peut
louvrir maintenant et mesurer sa vie. Sétonner par exemple que lépoque
de sa poésie nexcède pas 250 pages, les 750 suivantes étant réservées à son «
silence » et en premier lieu à sa nombreuse correspondance familiale effectuée à
partir dAden ou du Harar. Dans cette disproportion, on conçoit bien
lagacement de Rimbaud quand on faisait allusion à sa vie passée de poète, qui ne
fut finalement sans aucune commune mesure avec limplication quil eut à faire du commerce en Afrique. Mais louvrage de Jean-Jacques
Lefrère en apprend plus : limposture de sa poésie disproportionnée avec sa vie
dhomme est bien le fait de ceux qui lont côtoyé, en premier lieu Verlaine, dont la correspondance avec Ernest Delahaye,
notamment montre bien le mythe que lon a commencé à construire simplement par le
fait de sa disparition et de son absence de nouvelles. Et on voit aussi comment se
continue sa légende auprès dune génération de poètes qui se réclamaient de lui
et à laquelle il avait définitivement tourné le dos.
Jai toujours bizarrement pensé que la vraie vie de poète de Rimbaud commençait en
Afrique dans le langage abscons des affaires, à la manière de la brutalité des
marchands de la place Ducale à Charleville quil avait tant
moqués. A Moka, au Yemen ou en Abyssinie, à
bien y regarder les notes, factures, reçus, tout ce langage de représentant de commerce, d'import-export de café ou d'armes, tout que ne nous épargne pas
Jean-Jacques Lefrère dans son souci maniaque de la précision, à bien y regarder donc,
cest peut-être ce quavait tenté de retranscrire Arthur dans son grenier de
Roches. Et la saison en enfer, cétait peut-être traduire limpossibilité temporelle et limpasse mythique de la
poésie dalors dans sa tentative de décrire le monde : quil
vienne, quil vienne, le temps dont on séprenne.
(29/03/2008)
Le Roman inachevé, Aragon, Poésie Gallimard
Comme son nom ne lindique pas, le Roman inachevé est une autobiographie
dAragon (pardon, on dirait maintenant une « écriture de soi » comme le veulent
les euphémismes universitaires
). Le vieil Aragon donc, nétait pas si vieux
quand il a entrepris de raconter sa vie. Âgé de 59 ans, il avait toutefois assez de
recul et daura pour jouer sa vie à rebours et la décliner, genre « vie dun
poète consacré ». Et sa vie tient en trois parties comme les trois qui composent son
ouvrage, simple non ? La première raconte jusquà la guerre de 14-18 et son
engagement dans les derniers combats en Picardie. La deuxième raconte la vie errante,
notamment celle quil connut avec Nancy Cunard, riche héritière des paquebots du
même nom. La troisième est consacrée à sa vie avec Elsa, tout dévoué à son amour.
Chaque partie est scindée en section de plusieurs poèmes, soit thématique et
révélateur dune époque comme sa conclusion optimiste Prose du bonheur et
dElsa, soit chronologique comme dans La guerre et ce qui sen suivit.
Simple encore, nest-ce pas ? Chaque section est donc composée de plusieurs poèmes
qui mêlent des styles différents, vers rimés, libres, quatrains réguliers, poèmes
irréguliers, rythme différents, rares alexandrins, vers impairs plus fréquents et bien
entendu les vers aragoniens à seize pieds qui constituent sa marque de fabrique. On
trouvera matière à bien des chansons reprises par seulement par Jean Ferrat. Simple
toujours, nest-ce pas ? Ou ça devient moins simple cest que ce Roman inachevé nest finalement quun recueil de poèmes, bien achevés, et que la clarté du vieil Aragon, son apparente
simplicité sest perdue dans une complexité bien plus réelle quil ny
paraît. Et en multipliant les signes les allusions, les chausses trappes et autres
petites parenthèses, Aragon en raconte bien plus sur sa vie. De quoi alimenter des
générations et des générations duniversitaires et de faire plancher
dautres générations détudiants qui reproduiront ce quon leur a dit
quil avait voulu dire. Pendant ce temps-là, Aragon, assis sur son nuage avec Elsa,
nous regarde avec malice et se marre
(29/03/2008)
Qui se souvient de la mer, Mohammed Dib, Minos, La différence
Le titre sonne comme le roman de Ralph Ellison, Homme invisible pour qui chantes-tu ?
Dailleurs ce nest peut-être pas quune impression. Dans un pays en
guerre civile, il sagit de devenir invisible et le narrateur est un peu comme celui
de Ralph Ellison, une sorte de anti-héros à lénergie inépuisable qui semble se
débattre dans un milieu picaresque. On pourrait aussi le comparer à Bardamu de Voyage
au bout de la nuit. Le narrateur donc de Mohammed Dib se débat dans un pays où des
explosions soudaines éclatent nimporte où, où des murs se construisent et se
déplacent tout seuls et où des personnages fantastiques et inquiétants jalonnent la
ville comme les Spyrovirs. Des Minotaures et des Statues complètent les personnages. Le
narrateur essaie de trouver refuge dans un monde souterrain (comme le héros de Ralph
Ellison) mais il sait que la mer, éternelle et qui borde la ville en guerre constituera
son ultime recours. Voici pour lintrigue
On sait que Mohammed Dib, auteur algérien publie son livre en 1962, lannée ou les
accords dÉvian mettent fin à la Guerre entre son pays et celui dont il a choisi
dhonorer la langue. Et la portée de Qui se souvient de la mer est tout
autre. Les aspects fantastiques deviennent autant de moyens pour dénoncer la violence au
moment même où lauteur et ses compatriotes la subissent. De même que Picasso
peint Guernica au cur de la guerre dEspagne, Mohammed Dib devient par
la littérature le poète qui dénonce lhorreur. Et ce rapprochement entre
luvre de Dib et celle de Picasso nest pas fortuit. Les deux transcendent
la réalité, la remplacent par un symbolisme (le mythe du Minotaure existe chez les deux
artistes) et forcent admirablement le regard ou la lecture afin quon en retiennent
que la quintessence des sentiments de peur, dhorreur et dimpuissance
queux même ont vécus et éprouvés au moment où ils réalisaient leurs
uvres.
(29/03/2008)
La Soumission, Amin Zaoui, Le Serpent à plumes :
Jusquà présent la colonisation avait marqué les écritures dAfrique du Nord
(Albert Memmi Portrait du colonisé - voir du même auteur Le Désert, note de lecture du 19/12/2007). La guerre et ce qui sen
suivit, comme aurait dit Aragon, a achevé de façon brutale cette
période (Mohammed Dib, Qui se souvient de la mer). On pourrait croire que les
générations qui suivent vont trouver une véritable identité arabo-musulmane. Force et
de constater quune littérature de passage sest révélée dans une double
culture francophone et arabe.
Amin Zaoui, né en 1956 dans lOuest algérien, à Msirda, dans la région de
Tlemcen, est particulièrement révélateur de ce renouveau du roman maghrébin
francophone. Son choix décriture francophone est en effet libre et non imposé
comme létait ceux des générations précédentes et il écrit également en arabe
(« Je fais partie de cette génération qui à eu la chance dapprendre le français
et larabe en même temps », confiait-il à un journaliste de Liberté (article du
14 novembre 2002) mais la langue française lui permet daborder ses propres désirs
décriture avec une plus grande liberté « Écrire en français moffre
lopportunité décrire ce que je suis ». En effet, inconcevable dans une
identité purement arabe, certains de ces ouvrages sont parfois interdit dans son Algérie
natale.
Le roman La Soumission est particulièrement révélateur dune telle tension
identitaire. Cest lhistoire dune famille typique évoluant en huis-clos
dans les habitudes et les schémas traditionnels dictés par la religion. Le père est le
gardien des textes sacrés et religieux, la mère est toute dévouée à son fils qui est
également le narrateur. Or le père a adopté une fillette et espère en faire une
nouvelle épouse à sa puberté. Les textes religieux sont ainsi interprétés pour
justifier ses projets. Dun autre côté le narrateur découvre une tout autre
littérature comme Plexus dHenri Miller et la confrontation de ces deux
mondes avise une tension sexuelle qui sera source de conflit et de pouvoir. Car il
sagit bien dune soumission, à la sexualité dune part mais dont la
femme est toujours victime dans lhypocrisie dune société arabe qui demeure
archaïque.
Ainsi, dans cette dénonciation, Amin Zaoui personnalise un renouveau de la littérature
francophone dAfrique du Nord depuis les figures tutélaires et habituelles de Memmi
ou de Dib. Mais cest par la crudité des thèmes abordés, inimaginables auparavant,
quil provoque une réelle révolution. Celle-ci cependant mesure encore le chemin à
parcourir : elle ne demeure quune écriture de revendication qui a pris la suite de
celle de la colère envers la colonisation puis la guerre. Souhaitons aux générations
suivantes dinventer une littérature de plénitude, identitaire et heureuse.
(29/03/2008)
Les rêveries de la femme sauvage, Hélène Cixous, Galilée :
Hélène Cixous, femme, juive et vivant en France, na que peut de rapport avec Amin
Zaoui, homme musulman, toujours attaché à lAlgérie. Mais cest Alger et Oran
qui les rapproche. Avec Les rêveries de la femme Sauvage, et son sous titre
scènes primitives, Hélène Cixous évoque lAlgérie de sa jeunesse quelle
quitta il y a maintenant plus de cinquante ans, alors quelle était adolescente. Ce
livre effectue un retour dans ce passé lointain avec une acuité et une sensibilité
onirique qui rappelle à la fois les élans fantastiques de Mohammed Dib, le conte et la
faconde dAlbert Memmi et les tensions perceptibles dAmin Zaoui. Dans un
quotidien symbolique exacerbé, lauteur précise par exemple les contradictions
quont provoquées le cadeau dun vélo mixte offert à son frère et les
railleries des voisins arabes. Elle revit sa position dinconfort, obligée
daller dans un lycée français antisémite et anti arabe, déchirée dans une
famille où son père disparaît trop vite et où sa mère refuse de se situer dans les
éternelles tensions dune Algérie en pleine montée des troubles identitaires.
Hélène Cixous dans ce livre réinvente une langue magnifique (il faudra bien que la
langue me porte où je veux nous trouver moi pensais-je, je suis « inséparabe »)
et conclut admirablement les livres de littérature francophone du Maghreb que je me suis
attaché à dépeindre depuis décembre : cest bien la créativité de la langue
issue dune double culture qui permettra de poursuivre lhéritage des mille et
une nuits.
(29/03/2008)
Circuit, Charly Delwart, Seuil :
Avec Joël Egloff, Charly Delwart est l'autre auteur avec qui j'aurais un échange
lors de la Fête du livre de Bron. Circuit
est son premier roman. D'emblée, je suis frappé par la similitude du titre avec ceux
que j'ai déjà utilisé pour ma trilogie sur le travail, Central, Composants et CV
roman. Circuit commence aussi à la troisième lettre de l'alphabet. Circuit, cela
fait circuits imprimés, tout comme Composants approche les composants
électroniques. Circuit sonne comme Central aussi, c'est un cercle, une
boucle. Dans Central, le premier mot était "central" et le dernier
aussi, comme si entre ces deux noms il ne s'était passé que peu de choses pendant les
248 pages du livres. Dans Circuit, l'incipit et la dernière phrases sont
pareillement significatifs : "Il est debout fixe devant le bâtiment dont il a
poussé la porte" et 346 pages plus loin, on trouve : "Il fait un pas en
avant, les horizons imprécis. Du plus. De l'immédiat. Devant." Faibles
mouvements.
Pourtant, le narrateur qui se prénomme Darius comme le héros antique qui deviendra le
terrible fantôme dans Les Perses d'Eschyle, a vécu, s'est imposé dans une course
effrénée comme trafiquant d'histoires, fabriquant d'actualité sur une chaîne
télévisée d'information. Profitant d'une méprise, comme dans le roman de Joël Egloff,
on le prend pour un autre, Darius s'octroie un bureau et finit par trouver sa raison
d'être et de travail en comblant petit à petit le vide d'un emploi usurpé. Avec brio,
Charly Delwart nous entraîne dans la frénésie de l'information à toujours renouveler.
Mais l'auteur est tout sauf naïf pour nous donner à lire une simple fiction haletante.
On ressent un malaise à regarder Darius jouer son imposture, mais de même, Charly
Delwart ne se met-il pas en abîme dans le rôle d'un auteur à la manière de Faulkner
qui a toujours considéré son métier d'écrivain comme un imposture. Cette ambiguïté
est renforcée par le choix des personnages exotiques. Hormis ce Darius Brissen, bien
singulier, le narrateur doit inventer sans cesse de nouveaux personnages qui vont
alimenter l'actualité et les fausses informations qu'il invente d'abord puis très
rapidement met en scène. Mais c'est aussi le rôle de l'auteur d'inventer ses
personnages. Ainsi, au fil des page, si une sorte de CV en creux de Darius Brissen s'est
construit, faussement étayée par une société qui invente constamment sa propre
réalité, c'est en fait le CV de Charly Delwart, nouvel écrivain véritable, qui nous
est donné.
(27/01/2008)
L'homme qu'on prenait pour un autre, Joël
Egloff, Buchet Chastel :
C'est le genre de truc qui nous est tous arrivé : on vous prend pour un autre. Ainsi,
je me souviens d'un samedi après-midi, dans ma ville natale où je ne réside pas : un
type m'avait accosté au supermarché. Une joie de me revoir vraiment. Des "comment
vas-tu" avec emphase, des "et que deviens-tu" qui incitent à la
confidence. Je m'étais laissé aller devant tant de gentillesse, j'avais répondu avec
entrain " et bien comme tu vois, ça va, ça va..." tout en cherchant dans mes
souvenirs le nom du type, un camarade d'école primaire ? un copain de lycée ? Et puis,
tout en donnant quelque précisions sur ma vie puisqu'on me le demandait si aimablement,
je vis la tête du type changer : visiblement j'avais du répondre de travers à une de
ses nombreuses questions. Comment, vous n'êtes pas ? Vous ne travaillez pas à ? Non,
non... Reculs gênés de part et d'autre, retour à un vouvoiement distant et policé
alors que la seconde précédente nous nous donnions de grandes tapes dans le dos...
Joël Egloff reprend donc ce thème. Mais ce qui passe pour être occasionnellement
un comique de situation devient vite difficile à vivre, bis repetita. Le narrateur que
l'on prend toujours pour un autre n'a d'autre choix que de subir ces quiproquos et surtout
l'acharnement avec lequel l'institution, le facteur par exemple, l'affuble d'identités
différentes. Car la perte d'identité est bien au centre de ce roman. Traité d'une
façon ironique, cette histoire finit cependant par laisser poindre l'inquiétude et
l'aliénation de toute une vie subie : le narrateur éternellement pris pour un autre est
rejeté malgré de réels efforts pour s'intégrer à toute situation nouvelle parce que
justement, il est un autre et que le passé qui lui manque finit toujours par révéler la
supercherie par défaut, pourrait-on dire. Il va ainsi jusqu'à perdre un foyer, une
épouse et des enfants, qui n'étaient pas les siens. Anti-héros picaresque, le narrateur
énergique et toujours en mouvement de Joël Egloff rappelle celui de Homme
invisible pour qui chantes-tu de Ralph Ellison et la fuite éperdue qu'il entame pour
fondre sa différence et sa négritude dans une Amérique faite pour les blancs. Car si le
devoir social collectif impose à chacun une identité, il provoque par réaction le droit
individuel à pouvoir cultiver sa propre différence et qui est finalement le véritable
sujet de ce roman.
Un débat aura lieu avec Joël Egloff, Charly Delwart (Circuit, Seuil - article à
venir) et votre serviteur sur ces thèmes inépuisables de l'identité de l'homme... avec
ou sans CV, samedi 9 février 2008, 15h30.
(20/01/2008)
L'Usage du monde, Nicolas Bouvier, petite
bibliothèque Payot :
Partant au Yémen, il était naturel que j'emmène le livre initiatique d'un des plus
grands écrivains voyageurs. Naturel et bien proche de la façon moderne dont les
européens que nous sommes partent à la découverte du monde dans la tradition d'un
Blaise Cendrars, même si de l'eau à coulé sous les ponts, parfois disparu depuis comme
celui de Mostar. Car la façon dont nous appréhendons le voyage reste la même. Qu'il
soit bref ou lent comme celui d'un Nicolas Bouvier, qu'il soit actuel ou qu'il date de
plus de cinquante ans comme le récit de l'Usage du monde, le voyage délaie
souvent le choc initial de la découverte d'autres contrées, gens, habitudes, moeurs.
L'Usage du monde commence dans ce qui s'appelait à l'époque la Yougoslavie, et
juste au sortir de la guerre, sous l'exaltation et l'élan des partisans de Tito, dans la
volonté de se démarquer d'une URSS qui tentait de déployer son influence. Et c'est
alors le premier choc de cette lecture car moi qui suis fils de yougoslave combien de fois
j'ai alors tenté d'imaginer ce qu'avait pu être la vie de mon père et de ses parents
dans la province de Bosnie dont il est originaire. Et là, Nicolas Bouvier apporte tout
son regard, sa compréhension devant lesprit slave que jai tenté de deviner
dans les quelques anecdotes que ma famille paternelle distillait avec parcimonie, toute
entière tournée vers son intégration en France et loubli des origines. Car à
lépoque où Nicolas Bouvier pose le pied sur la terre natale de mon père, toute ma
famille a déjà fuit les aléas de la guerre et trouvé tout juste refuge en France
après avoir traversé la moitié de lEurope. Le voyage à lenvers
quentreprend Nicolas Bouvier placera ma lecture de lUsage du Monde comme
devant un miroir. Est-ce que mon père a ressenti aussi comme lui que « la vertu
dun voyage cest de purger la vie avant de la garnir » ?
(09/01/2008)
|