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Notes
d'écriture 2002
L'étang mystérieux, suaire aux blanches moires,
Frisonne; au fond du bois la clairière apparaît ;
Les arbres sont profonds et les branches sont noires ;
Avez-vous vu Vénus à travers la forêt ?
Avez-vous vu Vénus au sommet des collines ?
Vous qui passez dans l'ombre, êtes-vous des amants ?
Les sentiers bruns sont pleins de blanches mousselines;
L'herbe s'éveille et parle aux sépulcres dormants.
Que dit-il, le brin d'herbe ? et que répond la
tombe ?
Aimez, vous qui vivez ! on a froid sous les ifs.
Lèvre, cherche la bouche ! aimez-vous ! la nuit tombe;
Soyez heureux pendant que nous sommes pensifs.
Dieu veut qu'on ait aimé. Vivez ! faites envie,
O couples qui passez sous le vert coudrier.
Tout ce que dans la tombe, en sortant de la vie,
On emporta d'amour, on l'emploie à prier.
Les mortes d'aujourd'hui furent jadis les belles.
Le ver luisant dans l'ombre erre avec son flambeau.
Le vent fait tressaillir, au milieu des javelles,
Le brin d'herbe, et Dieu fait tressaillir le tombeau.
La forme d'un toit noir dessine une chaumière;
On entend dans les prés le pas lourd du faucheur;
L'étoile aux cieux, ainsi qu'une fleur de lumière,
Ouvre et fait rayonner sa splendide fraîcheur.
Aimez-vous ! c'est le mois où les fraises sont
mûres.
L'ange du soir rêveur, qui flotte dans les vents,
Mêle, en les emportant sur ses ailes obscures,
Les prières des morts aux baisers des vivants.
Lalexandrin est à la poésie ce que le
style Louis XV est au mobilier, un truc vaguement démodé, une sorte dincongruité
dans les vastes zones commerciales aux meubles en contreplaqués massifs, où les coupures
à lhémistiche sont aussi exotiques que les assemblages de tiroirs en queue
daronde. Plus personne nose avouer écrire de la poésie en rimes et, qui plus
est, en alexandrins. Quelques concours surannés, quelques amateurs de prosodie persistent
souvent sous les quolibets de ceux qui
Ceux qui quoi ? Je me souviens avoir lu
la critique dun professionnel, dun spécialiste, dun qui avait du
métier et de la réflexion et qui avait cru " mourir de rire " selon
ses propres mots à la lecture dun texte maladroit et un peu pompeux. Non, la
poésie daujourdhui ne peut plus être celle dhier, comme de la même
façon le nouveau roman ne sera plus, et comme, lorsquil était, lancien roman
ne devait plus être. Remarquez combien maintenant les écrits sont novateurs - avec les
sempiternelles phrases où Jean rencontre Jeanne, pardon, couche avec - on parle même de
nouveaux " réacs "
Tout cela donc na guère
dimportance. Ce que jaime bien dans le style Louis XV, cest le merisier
et ce que jaime bien dans lalexandrin, cest L'ange du soir rêveur, qui
flotte dans les vents, Mêle, en les emportant sur ses ailes obscures, Les prières des
morts aux baisers des vivants.
(25/12/2002)
Cest un article du Mag Littéraire de ce
mois et qui présente deux récits écrits sur des sujets similaires : Lart
de la sieste, de Thierry Paquot et Petit Traité de désinvolture de Denis
Grozdanovitch. On y parle aussi de Delerm, on explique ce qui les différencie par exemple
: " Delerm travaille à se distraire tandis que Grozdanovitch se distrait pour
ne pas travailler ".
Larticle explique que ces auteurs " échappent à la mécanique sociale
pour affermir un temps personnel, conçu à la mesure des plaisirs dune vie
prétendument ordinaire. Ils font uvre de résistance
". Cet article
me touche pour mêtre aussi compromis avec les méandres du travail dans Composants
et son narrateur qui sest aussi balancé entre son individualisme et les
vicissitudes du boulot.
Donc même préoccupations en apparence. En apparence seulement, car si jen crois
cet article, Thierry Paquot et Denis Grozdanovitch prônent une forme de résistance
égoïste, basée sur le plaisir, et qui ne dénonce rien, ne fait guère avancer les
choses dans ce domaine où les évaluations individuelles des salariés règnent par un
management de la trouille dans toutes les entreprises avec les conséquences qui en
découlent comme par exemple les 70% dabstentions aux élections prudhomales.
Individualisme, oui, ou plutôt solitude car il sagit de gagner ce qui fait vivre sa
famille et de cela on nen parle pas dans cet article.
De plus, il a une fâcheuse tendance de faire croire quon peut
" résister " au monde cruel en sadonnant à des plaisirs bien
égoïstes quel héroïsme que " Lhomme qui prend son temps est un
rebelle " ! La réalité est dans cette appellation nouvelle de
" rebelle ", que jai même vu sous forme de publicité dans les
couloirs du métro, mais qui nest quune mode construite parfaitement marketée
et qui présente un double avantage : endormir chacun de nous en ses peurs de ne pas
arriver à boucler ses fins de mois, lui faire croire quil résiste (un
comble
) et permettre à une frange dindividus, qui nen à pas besoin, de
gagner de largent sur ce concept ou cette mode
Devant cela, lécrivain a deux attitudes : doit-il seulement être témoin de
la réalité des choses, et en être quelque part complice, où doit-il sengager
plus, au sens malheureusement ringardisé de Sartre. Mon choix est fait, cest ce qui
justifie cette place en " Notes décriture ".
18/12/2002)
-
Gros changements en perspective : le travail
nourricier se modifie et va empiéter sur le travail de cur, lécriture. Il va
falloir que je me recentre sur ce qui est essentiel, le prochain livre à venir par
exemple. Et cest pourquoi ce site Feuilles de route risque den pâtir :
désormais les mises à jour pourraient être moins régulières, confiées aux aléas
dune actualité de boulot bien prenante. Cette semaine par exemple, il ny aura
pas de Notes de lecture.
Cette évolution ma obsédé, chagriné tout le week-end dans la posture du penseur
de Rodin. Jai été tenté de tout abandonner, de tirer un trait sur ce site tenu à
jour chaque semaine pendant deux ans. Et ce lundi, je me dépêche de bricoler une rapide
mise à jour
Bricoler nest pas péjoratif. Pour avoir tenu ce site, je sais quil ma
fallu admettre parfois la médiocrité et tenir des mises à jour de qualité inégale.
Mais je le veux comme un journal et le reflet de la vie qui est aussi bien inégale et
bricolage. Je sais aussi ce quil mapporte et la necessité de le continuer.
Je sais aussi ce que vous aimeriez : une refonte graphique de ce site lui serait
profitable. Mais je nai pas le temps, je préfère continuer à essayer de tenir ce
journal dans lacception et les imperfections dun " site
perso ".
Je nai pas le temps, je nai pas le temps, ma vie me mange, je veux que vous en
soyez les témoins en même temps que moi.
(11/12/2002)
Voilà, notre anthologie est parue ! Tandis
que je feuillette ce livre à peine sorti de limprimerie, je repense à cette année
entière qui fut nécessaire pour sa réalisation. Une année, mais en réalité, beaucoup
plus que cela tant ce projet revenait régulièrement dans les conversations parmi la
cinquantaine de membres de notre association. Et puis nous avons décidé de franchir le
pas : le prétexte était tout trouvé avec les vingt ans de notre association, de
quoi en quelque sorte donner une trace tangible à lun de nos buts qui est de
valoriser et faire découvrir ce patrimoine prestigieux. Bon daccord, on se lance
mais comment ? Comment ratisser dans le patrimoine littéraire du département ?
Comment noublier personne ? Comment rendre limportance dun
Diderot ? Comment de pas étouffer dautres auteurs moins connus ?
Lampleur de la tâche qui nous attendait réclamait un travail collectif et
ouvert : au total, vingt-cinq écrivains se sont penchés sur sa rédaction et
certainement plus dune centaine de personnes, dassociations, déditeurs
auront été consultés pour réaliser cet ouvrage. Sans ce travail collectif, jamais nous
naurions pu mener à bien cette tâche. Réunions mensuelles davancement,
échéancier, comité attentif de lecture pour vérifier la véracité historique, assurer
de la cohérence des textes entres eux, prévoir liconographie. Lannée fut
riche et occupée
Certains pensaient que le travail était trop rapide, dautres trop lents, certains
nous jugeaient pointilleux, dautres pas assez, notre livre est devenu le fruit de
toutes les passions. Si je ne devais retenir quune anecdote, ce serait
celle-ci : un des rédacteurs, plutôt timide et habituellement effacé, est arrivé
lors dune de nos réunions davancement avec un travail exceptionnel concernant
plusieurs auteurs et mavoua avec un tranquille sourire que, absorbé par son travail
depuis la veille au soir, il ne sétait pas rendu compte de la venue du jour
(04/12/2002)
(en hommage à André Hardellet et Claude Simon)
- On descend à Mourmelon.
- A Mourmelon ?
Il y a du melon à Mourmelon ?
demandait une petite fille à sa mère dans le train.
Mourmelon, mon amour melon,
ville de garnison,
sa gare,
Nizon mon amour,
ses melons.
- Soldat, quand reviendras-tu ?
Jamais ma Nizon,
mon amour,
mon melon.
Il me reste trop à lire,
à voyager,
à lire encore :
les poèmes dAndré Hardellet,
les histoires de Claude Simon.
Mon amour, ma Nizon,
Sais-tu quà Vitry le François,
(Le train sy était arrêté juste au moment où la petite fille demandait sil
y avait du melon à Mourmelon)
sais-tu que jai trouvé un jour un coqueliquot :
il est dans Histoire de Claude Simon,
comme un marque page sèché maintenant,
dans ce livre,
sur la banquette,
dans ce train,
avec juste une dame, une petite fille,
avec André Hardellet qui tue les vieilles avec douceur, pose des grillons, cherche
lécho, sème des bruits, charme lorage, les Gisèle, Fernande ou Raymonde,
et les Nizon.
Mais tu ne connais pas Vitry, mon amour, mon melon,
juste Mourmelon.
Et tu me dis :
- Soldat, quand reviendras-tu
à Mourmelon ?
- Jamais, ma Nizon,
jamais,
jai tant à lire...
(27/11/2002)
Bousculé, il y a des jours et semaines comme
cela. Remarquez que cest souvent à la même époque, le mois de novembre a
lhabitude dêtre besogneux pour conclure une année que lon sent déjà
tronquée dune quinzaine en fin décembre. Donc, besognons : enfants studieux -
enfin, ils essaient - débordés de boulot scolaire car les profs aussi veulent boucler
lannée, frénésie aussi dans lincertitude des télécommunications, histoire
de se souvenir quon possède un travail plus lucratif que lécriture, conjoint
également bien occupé. Travail, famille, cela ressemble à un mauvais début de slogan,
mais on a remplacé la patrie engluée dans une politique bien peu réactive aux
préoccupations quotidiennes par un engagement associatif plus concret : en
écriture, avec les Ecrivains de Haute Marne, histoire de faire tomber de sa tour
divoire lécrivain quon imagine au-dessus de la mêlée, en musique avec
la passion dune épouse violoniste et dune fille (idem+piano), dun fils
violoncelliste, sans oublier de se maintenir en forme : danse, gym, aïkido,
piscine : à vous dimaginer à chacun ses occupations
La maison ressemble
à un grand chantier (joubliais les pannes à répétition du chauffe-eau, le toit
pas refait depuis la tempête
) avec des partitions partout, des bouquins (et pas
seulement les miens
), les kimonos et les trépidations diverses : où ai-je mis
Satiricon, la Princesse de Clèves (ma fille), mes Jack London, le
" tambourin " que je dois jouer avec maman pour laudition de
Noël (mon fils), quest-ce quon mange ce soir (les deux), rappelle le plombier
(ma femme), personne na vu mes clés ? (moi), ya rien à la télé (tous, en
chur). Voici pour lessentiel des échanges verbaux. Donc, la patrie, la
politique passent en dernier (quoique nous nous étonnâmes (voire offusquâmes)
quaucune chaîne de télé (puisquon vous dit quil ny a rien à la
télé) ne programma le défilé du 11 novembre, la mémoire dune grande guerre ne
dépassera pas 3 générations, ce qui laisse augurer un bien triste avenir en se bouchant
les yeux du côté du moyen-orient). Tiens, en parlant de politique, jai envoyé les
demandes de subventions aux élus pour lorganisation de notre salon
" Patrimoine dArtistes " du 1° juin 2003. Et il faudra songer
à lancer le projet dune route littéraire touristique. Et je serais bientôt en
retard pour envoyer les invitations à pour venir découvrir dans les bibliothèques
locales notre anthologie des écrivains de Haute-Marne à paraître pour la fin du mois
(bel ouvrage, on en reparlera bientôt
) Oui, Novembre est bien bousculé.
Et lécriture dans tout cela ? Quest-ce qui justifie la place dune
telle bousculade dans cette rubrique ? Juste trois quarts dheure par jour, vers
6h du matin, à peine réveillé, sentir le clavier sous les doigts dans le silence avant
lagitation du monde et de soi comme élément furieusement en dedans.
(20/11/2002)
Matisse, Picasso, Picasso, Matisse. La fameuse exposition ma comblé de beaucoup de
lacunes. Ainsi, ceux quon a du classer comme éternels rivaux sont-ils réunis
dune façon très complémentaire et proche. Cest au début du siècle que se
rencontrent les deux artistes et la compagnie dApollinaire nest pas la seule
référence à lécriture quil faille retenir. A la même époque, Proust
creuse ses souvenirs et na pas encore plongé dans sa Recherche. Les
expérimentations des deux peintres sont donc en avance et bien abouties mais sans doute
la modernité pour la peinture est-elle immédiatement visible par rapport à
lécriture où elle demeure cachée dans les mots.
En visitant cette exposition, on comprend les chemins divergents quemploient Matisse
et Picasso et, comme on écrit, les analogies et les choix sont comparés avec les
procédés décriture, toute cette cuisine à laquelle on se frotte dans une
démarche universelle dart, aux sens de moyens, méthodes, expressions.
Au premier abord, Picasso nous semble avoir été plus loin de Matisse : volume,
structure, cubisme qui sannonce, il se " dépasse " au sens où
on sait combien il est difficile de repousser ses propres limites et sa liberté. Ne
dit-il pas : " jajoute, je retranche, je déplace tandis que Matisse
laisse le trait venir tout seul, se faire, refaire le modèle ". Matisse en est
conscient et répond que " Picasso brise les formes, moi jen suis le
serviteur ". Différence de méthodes et de caractères et, parce que Picasso se
dépasse, on se met à ladmirer presque plus : privilège des forts, des
visibles. Sans doute est-ce la même chose en littérature, ceux qui sont novateurs sont
bien souvent plus reconnus. Mais est-ce important dêtre novateur,
avant-gardiste ? Picasso et Matisse ont eu la chance davoir une longévité
étonnante et, plus que les chocs de peintures successifs auxquels ils ont régulièrement
confronté leurs admirateurs, ce qui me semble important cest lauthenticité
de la démarche globale : cinquante, soixante, soixante-dix ans à transfigurer le
réel. " La transfiguration du réel, cela doit encore relever du
roman ", dit Jean Rouaud. Peindre serait comme écrire un roman. Et Matisse que
lon imaginait plus timoré, plus concret, auquel on voulait moins se référer,
sublime par la couleur ce quon essaie de rendre en délayant à linfini par
des métaphores. Matisse est descriptif, on aime la description. Et Picasso, par la
liaison avec ses formes entre elles, cette destructuration, fait apparaître plus criante
encore la nécessité de bien coordonner les zones entre elles, de sattacher à la
frontière des choses, ce qui en écriture peut être lharmonie des paragraphes, des
chapitres, la structure globale du texte. Bien sûr cela offre dénormes
possibilités à lintérieur de chaque tâche de couleur, chaque coup de pinceau,
chaque narration, le choix de chaque mot.
Mais la littérature restera encore pour longtemps bien inférieure à la peinture par sa
timidité à mélanger les genres. Le peintre peut passer des dizaines, des centaines
dheures à peindre une nature morte, lécrivain refusera dinvestir le
même temps pour un même sujet (et souvent parce quil se dresse lui-même une
barrière sur le manque dintérêt dun hypothétique lecteur à ce sujet).
Résumer en deux heures de lecture un instant fugitif et minimal comme la vision d'une
nature morte est inconcevable tant on est dans le mouvement inverse avec la lecture, deux
heures de lecture suffisent à retracer lhistoire parfois de centaines
dannées. La littérature manque dimagination. En comparaison avec la
peinture, cest un peu comme si les peintres se contentaient de quelques sujets
convenus : les innombrables annonciations religieuses de la renaissance italienne
comme genre du roman, quelques portraits de notables comme des nouvelles et des natures
mortes en guise de poèmes. Pourtant en visitant cette exposition, javais parfois la
sensation quil faudrait des romans entiers et longs pour exprimer un seul des
tableaux de Matisse ou Picasso.
(13/11/2002)
Tout doit être vrai. Ce qui est dans les livres
est la vérité. Cest écrit (sous entendu, pour la postérité, la
vérité
etc.). Cette vieille idée reçue est peut-être celle qui est la plus
difficile à combattre. Deux anecdotes pour lillustrer :
Un atelier décriture devait travailler sur le thème des cheminées dusines.
Une participante commence à rédiger un souvenir lié à son père qui construisit une de
ces cheminées. Le texte sélabore, magnifié par les souvenirs, la cheminée est
immense, solide
Et puis elle rencontre un peu plus tard son frère qui se moque
delle : la cheminée de papa ? Viens voir
Et elle se trouve en
présence dune petite cheminée aussi banale que celle dune maison
individuelle. Décontenancée, elle annonce quelle doit renoncer à son texte
puisquil ne dit pas la vérité
Deuxième anecdote : un écrivain doit rédiger la biographie dun auteur
(encore en vie). Seulement, lauteur, contacté, signale quil a lhabitude
de donner comme comme lieu de naissance, un autre département proche. Doit-on
sentêter et rétablir une vérité conforme à lacte de naissance, passer
outre ? Dilemme en apparence mineur, mais qui aboutira pour le biographe à renoncer
à son texte.
Deux exemples anodins mais où la pression de lassociation vérité/écriture ont
provoqué de véritables malaises et drames intérieurs, aboutissant à labandon
définitif du texte, voir plus
Pourtant, lécriture la plus commune aboutit au
roman, à la fiction, donc à linvention, au contraire de la vérité. Comment
l'expliquer donc ? Sans doute les mots écrits deviennent immuables, on peut les
retrouver, les relire, retrouver cet agencement subtil qui les a fait sagglomérer
entre eux, donner un sens. Et peut-être en retrouvant le sens, on croit retrouver le
chemin qui mène à la vérité. Non-sens assurément et sans mauvais jeu de mots
Ce
qui est écrit donc, doit suivre cette logique, ressembler à la vérité, être
vraisemblable, et cest souvent le moteur de nos lectures et cest ce qui fait
quon peut se trouver completement déstabilisé en détectant le grain de sable, le
point de vue de lauteur, qui lui, sait ce qui est vrai. Ainsi, renoncer à la
vérité dans nos deux anecdotes serait pouvoir passer du statut de lecteur à celui
décrivain. Et à linverse, saccrocher à ce leurre (car dabord
quest-ce qui est vrai, la petite cheminée quon a eut devant les yeux, et
pourquoi pas son souvenir magnifié ?) serait ne pas arriver à franchir ce pas qui
mêne à lécriture. Jaime le vrai, la réalité, le réèl car jaime le
monde mais je suis conscient que je traque linfime différence entre ce qui existe
et mon témoignage : ce sera cela mon écriture
(06/11/2002)
Il y a quinze jours, on sétait étonné
dans cette même rubrique de la difficulté entre parler et écrire suite à
lémission en direct de Marc Voinchet Tout Arrive sur France Culture. Hier,
on a écouté la diffusion dune interview enregistrée auparavant avec Pascale
Casanova pour les Jeudis Littéraires et cest là aussi, riche
denseignements sur soi-même, sur le clivage entre parler et écrire. Non quon
veuille en sécoutant à satiété, ressembler à Narcisse, cultiver une sorte
dégocentrisme, mais simplement se comprendre, faire coller limage (et le son)
entre ce qui est déformé par la barrière du corps, sa propre pensée et ce qui en est
projeté à lextérieur. Il y a bien longtemps que le son de ma voix et mon accent
oscillant entre Lorraine et Bourgogne ne me surprend plus, pas plus que ne me préoccupe
une quelconque réticence à se livrer, tant jai la volonté de vouloir exprimer,
expliquer ce que je ressens en écrivant et par tous les moyens, parole y compris. Et
autant je suis conscient du mal que jéprouve à présenter rapidement un livre, en
quelque sorte présenter le sujet - faire sa promotion, pourquoi pas ! -en quelques
rapides secondes lors dun salon par exemple, autant en parler plus longuement comme
cette interview de quarante minutes me fait percevoir dautres difficultés. La
première étant de ne pas perdre le fil de ce que lon est en train de dire dans
limmédiat, ce qui mapparaît ardu : on enchaîne mot sur mot, on a peur
des pauses, de bafouiller, on veut en quelque sorte remplir le silence, et bien souvent la
cohérence de lidée en marche que lon doit formuler en prend un coup.
Réfléchir, parler
et voir en même temps. Voir ce qui mentoure est
peut-être ce qui me gêne le plus car à force daimer décrire
(décrire
) en détail, jai dû développer un sixième ou septième sens
exclusivement tourné sur ce qui mentoure, visages mais aussi table, micros, verre,
bouteille en plastique au point quun côté de mon esprit se met en route pour tout
retenir de cet environnement et ce, pendant que je formule et exprime mes réponses. Quand
par hasard, jarrive à faire abstraction de lenvironnement pour me concentrer
sur mes paroles, aussitôt le silence revenu, jéprouve une sorte de malaise ténu,
comment dire, pour avoir laissé échapper pendant une demi seconde cet
environnement
Pas facile et jamais content donc !
La deuxième difficulté de la longue interview tient à limpression de rabâcher
ses arguments au bout dun moment, de redire toujours les mêmes choses. Attentif que
lon est sur linstant à bien répondre à la question posée, on ne
saperçoit pas de la progression de celles-ci entre elles, ce quon pourrait
nommer le fil de lentretien. Et là, en réécoutant, je me suis aperçu combien
lensemble de cette interview était structuré. Donc, j'aurais pu globalement mieux
argumenter, jai envie de dire : ouvrir le monde, souvrir au monde en
quelque sorte.
Et autant il est ardu de faire abstraction de lenvironnement dans le premier cas,
alors quon en a fait le pain de son écriture, autant ici, on peut trouver des
solutions : demander au journaliste par exemple comment linterview sera
conduite, quels thèmes seront abordés, pour combien de temps, mais aussi
" prendre les devants ", se préparer soi-même un fil conducteur. On
se promet de le faire pour la prochaine fois !
Mais ce quon retient aussi, et ce quon aime retenir, ce sont les sept, huit
micros encapuchonnés de couleurs différentes, la petite lampe rouge du studio qui
sallume au milieu de la table, les enceintes Cabasse dans la pièce, les visages des
trois personnes attablées, à un moment le signe pour indiquer que mon bracelet de montre
tapote le plateau juste à côté du micro, sa propre main que lon voit bouger sur
les veines marron du stratifié juste à côté du verre deau qui tremblote
Ah, vouloir tout retenir !
(30/10/2002)
Jérôme Prévost ma écrit au sujet de
Composants :
" Je te repose
aussi une question à laquelle je n'ai pas encore vu de réponse sur ton site ou dans la
présentation du livre. Quelle est la recherche exacte / la mouvance dans laquelle tu
t'inscris avec ta ligne chez Fayard. En gros, j'ai l'impression que je n'ai pas encore
saisi la vraie mesure de la matière, que je lis sans comprendre. Avec
"Central", j'ai beaucoup apprécié le lien entre la forme et le fond, et je
salue la performance littéraire d'écrire sans verbe conjugué le long du livre. Il n'y
avait pas de grand contenu dramaturgique ou de rebondissements dans l'histoire, mais ce
n'était pas le but.
Dans Composants (je ne suis qu'à la page 40), je me retrouve avec un ouvrage similaire,
des descriptions qui semblent bénignes, une histoire à la base peu palpitante, et me
demande à nouveau : qu'est-ce que je n'arrive à lire pour apprécier le livre à sa
hauteur ? Quels sont les réflexes de lecture à adopter pour pouvoir apprécier la chose
comme il faut ? J'avoue que je n'ai pas lu des masses de nouveaux romans ou d'uvres
d'hyper avant-garde romanesques, alors il me manque sûrement des références.
En gros, tu fais une uvre novatrice, et comme pour beaucoup d'uvres
novatrices, les premiers lecteurs ne savent pas comment l'approcher. Je suis de ceux-là!
Si tu pouvais m'ouvrir les yeux, je pourrais mieux te lire ! "
Voilà qui est bien formulé ! Tous
les mystères, réflexes, conditionnements qui nous animent en face de la chose écrite
sy trouvent. Conditionnement, oui, dans les mots mouvance, lignes, forme, fond,
performance, contenu, rebondissements, réflexes de lectures
Réflexes de lectures,
tout est là, la chose écrite est tellement normée que nous ny faisons pas
attention : le genre, le roman, la fiction, notre approche du livre, des livres, est
conditionnée comme ces grenouilles que nous avons massacrées en cours de science en leur
faisant passer des courants électriques et voir leurs pattes remuer à leur insu. La
lecture procède des mêmes mécanismes. Quand tu dis rebondissements, histoire peu
palpitante, apprécier la chose, tu fais appel à la notion de plaisir, souvent immédiat,
qui doit suivre chaque lecture ou du moins ce qui nous a été appris : il suffit de
voir les qualificatifs de pub des livres (aventures, suspenses, frissons) pour nous rendre
compte de combien tout cela se résume à léquation simpliste lecture = plaisir. Et
quand par hasard, nous néprouvons pas ce sentiment, nous sommes déçus.
Quand on écrit, on a le choix de se plier, chercher à faire plaisir, à étonner, à
coller à cette image ou au contraire de ne pas sy coller et rejoindre la cohorte
des caricatures elles aussi normées, le poète maudit, lécrivain chiant et
intello, rejoindre dautres normes en quelques sorte. Créer lécriture, un
livre et tu le sais car tu écris aussi, cest rentrer à lintérieur de sa
tête et y découvrir une dimension autre, des paysages, une apparente liberté, ce
quon résume souvent par le vocable créativité de lartiste et dont la
manifestation extérieure de cette liberté va du conformisme le plus pur (faire plaisir
donc
) aux réactions les plus libres, voire les plus choquantes et la censure sera
là pour dire au créateur quil a dépassé les bornes.
A bas les normes donc et à bas le conditionnement, cest ce que nous avons besoin
pour créer
Mais, dautre part, nous avons tout de même besoin de normes : le livre est un
produit manufacturé dun format défini avec un nombre de pages qui nest pas
extensible à linfini et la patience du lecteur à lire nexcèdera pas
quelques heures en plusieurs fois. Ainsi jécris des romans de 200 pages, ainsi je
suis conscient que jessaie dallier ces contraintes pour écrire. Sans doute,
jécrirais plus de nouvelles étant anglo-saxon, là bas où ce genre est
prépondérant.
Et dautres contraintes sont nos obsessions. Par exemple, dans lécriture en
général, cest la place du verbe dans la phrase qui mobsède, un simple mot
mais qui semble revêtu dune fonction de mouvement. Le fait que mon entreprise ait
décidé un beau jour de sapproprier les verbes et de les classer a été le point
de départ de Central et sans doute cela a été trop mis en exergue : je ne
voulais pas créer une performance, mais simplement rendre compte de la manière comment
on pouvait utiliser le verbe " chargé de mouvements " dans ce qui est
censé représenter le moteur de nos vies, travail et " Entreprises "
donc. Jai aussi dautres obsessions qui sont de métonner de la façon
dont sarticule chaque minute de nos vies par rapport à notre environnement,
dessayer de retenir chaque seconde de nos pensées intérieures, et comment se fait
notre dialogue intérieur, et pourquoi, et quels mots employons-nous ? Je voudrais
coller au réel comme le chewing gum colle à la chaussure et nous agace : tu vois
que la notion de plaisir est déjà loin
Et pourtant jécris des fictions,
cest marqué " roman " sous les titres de mes bouquins. Je
nen sais trop rien, je sens juste que ce que jécris nest pas la
réalité, je recherche peut être peut être la plus grande probabilité de coller à ce
quotidien tout nu. Il y a quelque temps, je me suis choisi une maxime :
" Entre le mot et la mort, il ny a quun " r " de
différence, cest juste lespace quil me faut pour respirer et vivre au
pied de la lettre ". Le " r " est donc la petite marge
derreur entre fiction et réalité, ce qui fait que le livre existe. Cest vrai
pour Composants. En choisissant cette histoire banale dun intérimaire, ce
qui me plaisait cétait de réfléchir aux choix les plus probables qui
soffraient à lui dordonner ce hangar et donc le monde
Cétait
aussi une façon daller contre ce silence que lon simpose dans les
choses les plus banales, tu sais, le gars qui rentre chez lui et qui répond à peine à
sa femme qui lui demande sil a bien travaillé, alors quil a quand même
pensé, éprouvé des peurs, des joies, des sentiments pendant 8h par jour, 35h par
semaine, 40 ans de cotisations à la Sécu, dans cette chose la plus normée au monde que
lon nomme le travail et qui nous réduit au silence. Et de répondre à mes
obsessions, qui ne sont jamais que celles de beaucoup, la fameuse boutade de
Coluche : qui suis-je ou vais-je, dans quel état jerre (étagères justement
bien nommées pour Composants...)
Ceux qui mont aidé, ont été la proie de semblables obsessions et dans leurs
lectures, jy trouve des voies et des réponses : pour en citer quelques-uns
uns, il y a Georges Perec (Espèces despaces, tentative dépuisement dun
lieu parisien), Nathalie Sarraute (Tropismes), Samuel Beckett, Claude Simon. Ce nest
quaprès les avoir individuellement lus que je me suis aperçu quon les
regroupait sous le générique du "nouveau roman "
et par-là
même, quon interdisait avec cette appellation une sorte davenir, alors
quils venaient seulement de poser les bonnes questions et à peine commencé
dy répondre. Et sans doute y suis-je sensible car je les ai individuellement
regroupés et non pas fait adhérer à une théorie littéraire incomplète, qui les juge
juste sur la forme, encore un inconvénient des genres et des normes. Sur Claude Simon, tu
vois, jai un tel sentiment dexaltation en lisant ses livres que je suis
incapable de les lire ! Comment dire ? La plupart du temps je grappille des
pages au hasard comme on mange des groseilles, mais avec un tel sentiment de bonheur que
je suis presque obligé dinterrompre ma lecture
Cest drôle,
nest-ce pas ? Mais cest aussi pour dire quil y a mille façons de
lire et que commencer un livre page 1 et arriver à la page 40 en se demandant quel est
lintérêt, nest peut-être pas la bonne méthode, cela, cest à chacun
de le sentir et de le modifier et pour chaque livre cest la même comédie que
lon doit mener, celle qui consiste à désapprendre la rigueur de ce quon nous
a enseigné : cest ce que jai dit par exemple en intervention dans deux
classes de seconde à propos de Vers Aubervilliers : on a le droit de tout
avec la lecture, lire le début, la fin, sauter des passages ne pas lire, tout avaler
dun coup
mais on a un devoir sacré envers le livre, cest essayer
dexprimer au maximum ce quil nous fait ressentir, colère, déception,
indifférence, tout exprimer et pas seulement être déçu car on na pas eu le
plaisir immédiat attendu, ce qui nest quun leurre publicitaire. Que tu
ressentes de lennui en lisant une histoire qui est si ténue, peu palpitante, comme
tu dis, est normal, je ne me sens pas assujetti à ne te donner que du bonheur immédiat
dans la lecture ! On peut éprouver toute une gamme de sentiments qui vont
jusquà lenvie de ne pas lire : ce qui ma le plus étonné
cest dêtre incapable de relire certains passages de mes propres livres parce
que je les trouve ennuyeux. Mais certains lecteurs les aiment ! Et certaines fois,
cela passe mieux ! Ce qui me plait aussi, cest cette incertitude et cette
diversité de sentiments, savoir ce qui reste du livre, comment il continue à vivre en
nous après lecture, parfois sans que lon en prenne conscience
Mais je timagine impatient (prosodie de lesprit suisse et cartésien !)
avec limpression que je nai pas directement répondu à tes questions :
Donc, quelle mouvance ? En héritage du nouveau roman ? Pourquoi pas, je ne sais
pas, je sais seulement les courants envers lesquels je me sens éloigné : nouvelle
fiction, science-fiction, polar, tous les genres trop marqués. Les auteurs actuels que
japprécie ? Tous ceux qui essaient daller au fond de leurs réflexions
par rapport aux obsessions de transcrire le quotidien, transcender une certaine
réalité : François Bon, Bergounioux, Michon, Philippe Claudel, Laetitia
Bianchi
Quelle ligne chez Fayard ? Je ne sais pas, je sais seulement que je
rencontre une écoute attentive et ce qui me plait aussi cest la diversité de
léditeur : essais, nombreuses collections, ce qui ne lenferme pas que dans la
littérature, mais dans une ouverture au monde que jessaie davoir aussi. Tu
dis que tu lis sans comprendre : jai voulu dans ma longue réponse essayer de
te dire combien nous devons chacun lutter contre tout cet ordonnancement du monde qui nous
obture lesprit. Quand on achète un livre, tout ce que je viens de te dire, quelques
clés pour entrer dans le livre en quelque sorte, ne peuvent pas figurer dans la norme
(encore une !) dune 4° de couverture restreinte, cest bien
dommage ! Quand à savoir si luvre est novatrice je préfère parler
douvrage de défrichement, tant on est seul avec son coupe-coupe pour savancer
dans la jungle des mots.
Jérôme Prévost est lauteur de
" Caromantique ", prix Arthur Rimbaud 1994 à lâge de 17 ans.
Passionné de poésie et de prosodie, il a conçu une BD " Le badaud ", éditée en feuilleton
dans le journal La croix en 2001-2002. Il fait partie de lAssociation des Ecrivains
de Haute-Marne, vit et travaille en Suisse.
(23/10/2002)
Invité à France Culture dans lémission du
midi de Marc Voinchet Tout arrive (et la semaine précédente cétait avec
Pascale Casanova pour Les jeudis littéraires diffusion le 25/10), premières
expériences de radio donc, et son corrolaire, parler.
Parler évidemment ne date pas dhier, pas de difficultés particulières pour
prendre la parole en public devant une, dix ou cent personnes, jai cette chance de
ne pas trop appréhender et ce quon nomme le trac, ce petit picotement juste avant
de parler, comment dire, me rassure plutôt.
Parler des livres par contre, de mes livres en particulier, me gène énormément, je ne
sais jamais quoi en dire.
Parler, écrire.
Ecrire, cest revenir tout le temps sur les mots, partir partout, hésiter, gommer,
chercher le mot juste. Ça se construit dans le temps, toute ma pensée est ainsi bâtie
sans réticence et sans tabous vers ces petites briques de pensées, remuées, agencées
puis transcrites en édifices bancals de mots écrits.
Et ainsi parler lorsquon vous demande de le faire, répondre à une question par
exemple, de surcroît en direct à la radio alors quon sait que linterviewer
attend de vous une parole assez précise et sans trop de " blancs ",
est forcement décontenançant. Jai limpression de bafouiller, la sensation
que ma pensée, habituée aux remodelages incessants à la recherche du mot juste
naboutira jamais, jhésite, je ne sais plus où je voulais aller, jai
limpression de répondre en marge, je casse des douzaines deuh
, je me
sens mal à laise.
Parler et ce malaise donc. Dun milieu plutôt modeste, provincial, combien
dentre nous aurons senti comme moi ce malaise distillé tout au long des écoles,
collèges, lycées, boulots, cet aboutissement quon nomme majorité silencieuse (ou
lhorrible " france den-bas "), cette réticence à la
parole, ne pas avoir " voix au chapitre ".
Voix au chapitre, mêler la parole et lécrit.
Je dédie à mon père ma parole et mes écrits, en souvenir de son bonheur dun
jour, alors quencore étranger et habitué aux langues slaves et allemandes, une
serveuse de restaurant le complimenta pour la qualité de son français parlé. En
souvenir aussi de notre joie de lui avoir offert un jour " Guerre et
Paix " en Pléiade et quil puisse le lire dans la langue adoptée. Joie
pour lui davoir eu enfin la voix et les chapitres.
(16/10/2002)
Ezra Pound donc, quen retenir ?
Américain né en 1885, ce qui le place contemporain de Blaise Cendrars, il
sinterroge (comme Cendrars et beaucoup dartistes de lépoque) sur la
façon de retranscrire la modernité de lère industrielle débutante. Installé en
Italie, il adopte des idées musoliniennes, mais tout comme Céline, cela ne nous donne
aucun droit de juger de sa qualité de poète (il est bon de le rappeler car les histoires
de censure, mise aux placards et autres inepties sont un mal récurrent dernier
acte en date lintervention du Ministère de lintérieur dans lhistoire
du livre Rose Bonbon). En prise avec le monde littéraire, il correspond avec
nombre dauteurs (jai le souvenir de lettres de Proust envers lui). Féru de
poésie chinoise, sa principale uvre (Les Cantos) rappelle par bien des
aspects la poésie tendue dextrème-orient comme les haïkus.
Cest ainsi quà travers lexcellent site Dautres espaces,
Laurent Margantin nous laisse entrevoir quelques extraits passionnants :
" Derrière la colline la
Cloche d´un moine dans le vent
Voile unique en Avril ; retour, Octobre peut-être
La barque s´efface, d´argent ; lente ;
Éclat du soleil sur le fleuve. "
Et cest cet extrait qui justifie pour moi
cette inscription sous cette rubrique dévolue à lécriture pour la présence
dun seul verbe parmi la trentaine de mots. Ce verbe au présent, situé au dernier
tiers du paragraphe, introduit merveilleusement la sensation de sérénité. Tout est dit,
à linstar des haïkus, le passé à peine entrevu et la merveilleuse foi en
lavenir et survient " sefface ", on entend la rame qui
glisse dans leau
Le destin est en marche. Le verbe est souvent lossature
dune phrase, cest lui qui donne le mouvement, la vie. Encore faut-il ne pas
trop les utiliser afin que les forces contenues en eux ne sannulent pas. Ezra Pound
lavait compris de même que les autres mots, privés du verbe, sont linerte,
lobjet, mais ce sont eux qui justifie notre présence (Cest tout lenjeu
de la modernité ?). Et cest ainsi que jai rencontré un grand poète,
que je crois reconnaître en lui cette respiration commune et que je fais mienne sa
phrase :
" Je veux démolir la rhétorique archi-détestable. Aller droit au
cur des objets "
(09/10/2002)
Ecrire des chansons est un exercice à priori
facile si lon écoute Etienne Rhoda Gil en plaisanter. On parle évidemment de
" variétés " car il ne me semble pas que Brassens ou Brel aient
facilement élaborés leurs textes. Les Stones, pressurisés par la demande ont également
collé avec aisance leurs textes à la musique. Car tout est là : doit-on écrire
sans ou avec la musique ? Entre un Brassens qui élaborait patiemment ses textes
quitte à trouver un accompagnement parfois des années plus tard et une bluette qui
sinscrit sur un thème musical, la différence est énorme. Enorme mais interessante
au point de vue des textes présentés. Dans le premier cas, la forme se rapproche le plus
de la poésie (souvent rimée car il est plaisant de laisser scander rime et rythme). Dans
le deuxième cas, la syntaxe en prend un coup, cest à la parole (et donc à
lécrit qui suit) de sappliquer à la mélodie, le sens et le sujet doivent
sy adapter : pourrait-on concevoir sur des riffs purs et durs, de parler de la
conservation du poisson aux îles Shetland ? On préferera évoquer tel amour qui
quitte le cowboy solitaire, exprimer le ras-le-bol dune jeunesse, thème redondants
mais qui répondent bien à la guitare électrique. La syntaxe, donc, va en prendre un
coup car les mots doivent coller à la musique : Téléphone, par exemple avec
" Métro cest trop " et le " trop "
répété cinquante fois pour répondre à la batterie. Verbes à linfinitif,
absence de sujet (je nai rien inventé dans Central
) permettent des
raccourcis imagés : de " prendre un enfant par la main " à
" déjeuner en paix " de Stéphane Eicher (dont le parolier est
Philippe Djian), les audaces stylistiques sont dans tous les genres.
Et les Stones dans tout cela ? Nul doute quils appartiennent à la catégorie
des textes élaborés avec la musique. Sauf que nous, ignorant ou débutant dans la langue
de Shakespeare, avons tout avalé ensemble : guitare, ronronement rauque de la basse,
grammaire, syntaxe et sens. Mothers little helper laissait deviner vaguement une
mère mais tellement éloignée de la nôtre, fondue dans les riffs, globalement comprise
et, comment dire, retenue plus par la couleur de la musique que par le sens des mots. Donc
est-ce facile cette alchimie entre musique et mots ? Sans doute pas, on ne peux
retenir que cette sorte de magie qui opère entre mots et rythme : depuis
" une souris ver-te qui courait dans lher-be " de nos propres
souvenirs jusquà la mémoire collective des vieilles chansons desclaves,
depuis la nuit des temps donc, les mots sont intégrés à nos battements de coeur.
(02/10/2002)
Avez-vous des fêtes foraines chez vous ? Barbe à papa, merguez, auto tamponneuses,
et le fameux Tourbillon Blanc (Vous en voulez encore ? Ouiiiiiiii (la foule
)
Alors en arrière maintenant et roulez, roulez jeunesse !).
La fête de lHuma, cest un peu tout cela, ce quon nomme une ambiance
bonne enfant dés larrivée, le premier sandwich demandé et le bénévole qui vous
tutoie derrière un bar. Cette année, jétais au Village du livre pour y dédicacer
Composants (et Central), ce qui explique larrivée au soleil, le
sandwich avant daller sasseoir bien gentiment derrière une pile de bouquins.
On arrive, on se pose, on salue ses voisins, on repère les noms. Bien entendu, on ne
connaît personne mais les livres rapprochent et donnent souvent loccasion de
converser avec les autres écrivains. On sapproche de vous : une boisson, un
café ? Voilà ce qui sappelle être bien accueilli. On discute, on lie
connaissance et sans quon sen aperçoive les visiteurs sont là, passent
devant vous. Certains sarrêtent : on " fait
larticle " comme sur la foire, celui-là repart sans vous en prendre
un : tant pis ! Composants ou Central nest pas ce quil
cherchait ; un autre est enthousiaste, cest agréable ! On fait connaissance
avec plaisir : celle qui soccupe du prix du premier Roman de Chambéry et
loccasion de discuter de ma participation en 2000. Et Christine
dInventaire/Invention. Et Maryse Dumas, et Jean-Pierre Burdin, ladmiration
quon a pour leur engagement. On fait le tour des étals aussi : Ah !
Maxime Vivas ! (note de lecture du 23/05/2001). Et Laetitia Bianchi, recommandée par
Remue-net pour son roman Voyez-vous et cofondatrice de lexcellente revue R
de Réèl. Aliette Armel (note de lecture de la semaine dernière) qui sort Le
voyage de Bilqîs. Le hasard alphabétique avait aussi bien fait les choses :
jai cotoyé René Ballet (qui présentait Retour à Santopal, sur son
expérience de grand reporter dans la dicature de Pinochet) et son épouse et qui
mont gratifié de leur très agréable compagnie.
Cétait à mille lieue du salon guindé du Figaro où " coincé entre
Beigbeider et Stéphane Bern, (javais) l'édifiant sentiment d'être un
extra-terrestre " (note détonnement du 29/11/2000). Voilà, je suis
reparti heureux de la Fête de lHuma, belle journée qui sest conclu par une
conviviale assiette de spaghetti chez les italiens du Village du Monde. Va bene !
(25/09/2002)
" Quand on écrit, il y a comme un
instinct qui joue. Lécrit est déjà dans la nuit. Ecrire serait à
lextérieur de soi dans une confusion des temps : entre écrire et avoir
écrit, entre avoir écrit et devoir écrire encore, entre savoir et ignorer ce quil
en est, partir du sens plein, en être submergé et arriver jusquau
non-sens. "
( Marguerite Duras, La vie matérielle)
(18/09/2002)
Cest une amie qui ma parlé à juste
titre du caractère oscillatoire de lécrivain, partagé entre doute et bonheur.
Oscillatoire, le mot est bien choisi. On pense à mouvement sinusoïdal et pour moi qui ai
pas mal bossé sur lélectronique, on pense à toute ces forces électriques qui
résultent de tels effets : courbes aux dessins comme des vagues, vibrations de la
lumière, périodes, amplitudes, équations, tout un monde de maths pas si compliqué que
cela car justement cest ce qui séduit : le mouvement oscillatoire nest
jamais que la transformation dune rotation en translation avec tout ce que cela
apporte comme philosophie : apparente immobilité de celui qui semble
" tourner en rond " mais qui avance quand même. On est donc dans
le vif du sujet.
Le vélo est lun des plus visibles et simples mécanismes où lon se rend
compte de leffet de ce couple rotation-translation. Et les expressions vont
avec : pédaler dans la semoule, rester dans le peloton, séchapper, tout ce
qui nomme lincessante part dhésitation " oscillatoire ".
Ce nest certainement pas par hasard que le vélo a séduit beaucoup
décrivains dans ce monde de doute. Il y eut même une course cycliste organisée
par René Fallet, les boucles de la Bresbre. André Hardellet et beaucoup dautres
ont pratiqué ce sport et " le petit vélo à guidon chromé " cher à
Perec nest jamais resté bien longtemps remisé " au fond de la
cour " des écrivains. Hélas, la petite reine est maintenant souvent ternie par
des histoires de dopage, de même que certains confondent aussi dopage médiatique avec
littérature. Ainsi passent les modes : les VTT à 18 ou 21 vitesses ont remplacé
nos anciens vélos à 3 vitesses et plus personne nose monter sur une de ces
bicyclettes de grand-mère de peur davoir lair ridicule. Ce qui est tout de
même assez injuste car ces cycles maintenant dépassés avaient atteint les principaux
atouts de leur apogée technique (dynamos, doubles plateaux et alliages légers) au milieu
du XX°, à une époque où émergeait Beckett, Duras, Simon. Raccourci un peu douteux
mais qui nous permet dimaginer de la même façon une certaine ringardise du nouveau
roman, également brocardé par quelques auteurs (les mêmes qui font du VTT ? qui se
dopent au marketing ?). Donc, choisis ton camp, camarade : le mien est
résolument celui des vieux clous et des pinces à vélos.
(11/09/2002)
Chaque livre raconte deux histoires : celle
que lon construit patiemment pour le lecteur et une autre plus intime, cachée,
formée de conglomérats de souvenirs, de réservoirs démotions qui
nappartient quà soi et qui serait impossible à verser directement aux
lecteurs. Les deux histoires sont comme deux toiles émeris frottées lune à
lautre, voulant aller chacun de son côté, freins qui nous empêchent
davancer, de trouver ce quon nomme le souffle, ce quil nous semblait
avoir perçu avec Central et Composants. Du coup, de là à imaginer que ces
sujets étaient plus faciles, mieux choisis
Mais sans doute pas non plus. Sans doute
avons-nous levé les réticences, réussi à soulever légèrement les deux abrasifs pour
y glisser un peu donguent (baume au coeur ? ou "onguent pour la brûlure
ou le secret d'empêcher les Jésuites de brûler les livres" comme l'écrivait
l'académicien langrois Jean Barbier d'Aucour en 1664 ?), la mémoire est prompte à
effacer les problèmes résolus.
Quelque fois, cest moins facile, on ne trouve pas le mouvement, on sacharne à
continuer, chaque mot arraché est comme une victoire, un pansement sur les éraflures
provoquées par le frottement des deux histoires. On cache ses plaies, on enjolive et
cest peut-être en cela quon ne peut écrire que du roman, cest à dire
une transfiguration du réel, peu importe alors quon sen défende en employant
des formes différentes.
(04/09/2002)
Faire le point sur lécriture en
cours : cest la tâche que lon sétait assignée pendant les
vacances. Et on avait emmené une vingtaine de pages dune histoire en cours, en
proie, juste avant de partir à des sentiments bien contradictoires. Faut-il continuer
lécriture qui samorce ? Car il samorce quelque chose, un machin
que nous nommerons désormais mystérieusement JJ
Amorce, pèche, poisson, on pense à René Fallet, pêcheur devant léternel, on
pense à Maurice Genevoix (La boîte à pèche), auteurs fétiches, venez à moi,
laissez-moi voir ce qui se cache sous la surface de leau et dans les profondeurs des
mots que lon aligne.
Voilà. On a fait le point, donc, pendant les vacances. On a décidé de continuer JJ
comme dhabitude poussé par le courant invisible des phrases qui se forment en
bouillonnant. Pour linstant JJ nest que lasticot accroché à
lhameçon, quelque chose de ténu, fragile comme une histoire, un récit, un roman,
un poème, un livre. Et les doutes sont restés malgré cette décision de continuer,
daller jusquau bout, des doutes comme le risque de voir se décrocher
lasticot et peut-être sans plus dimportance que cela, le laisser tomber, ou
le risque de vouloir le saisir, en changer pour un autre plus vigoureux, tomber à
leau et s'en noyer. Car écrire est mortel, au sens dune question de vie ou de
mort, on en est de plus en plus persuadé comme de la fuite du temps : il me reste
encore quarante ans pour le faire si lon est optimiste (ou moins si lon est
pessimiste). Et moi qui ai beaucoup écrit sur le travail, décompte de nos heures
fractionnées en 35 h par semaine, 37 années et demie de cotisation pour la retraite,
savoir quil ny a aucune barrière de ce type pour écrire, aucune retraite,
oui, cest une révélation et la sensation, comment dire, dexister en dehors
d'un compte social. Ecrire, cest vider une rivière à la petite cuillère,
cest à dire quelque chose de vaguement inutile pour le monde mais tellement vital
pour soi.
(28/08/2002)
Parler,
accoucher, articuler, avouer, babiller, bafouiller, balbutier, baragouiner, bavarder,
bégayer, bredouiller, causer, chevroter, communiquer, confabuler, conférer, consulter,
converser, débattre, débiter, déblatérer, déclamer, dégoiser, déparler, deviser,
dialoguer, dire, discourir, discuter, disserter, écorcher, émouvoir, énoncer,
entretenir, fasciner, frapper, giberner, gueuler, haranguer, impressionner, intervenir,
jaboter, jacter, jargonner, jaser, jaspiner, langueyer, nasiller, ordonner, palabrer,
parlementer, parloter, pérorer, prononcer, rabâcher, raconter, radoter, relater,
retracer, révéler, s'abandonner, s'adresser, s'entretenir, s'épancher, s'expliquer,
s'exprimer, se confier, se mettre à table, proposer, soliloquer, vider son sac
Ecrire,
accoucher, avancer, barbouiller, calligraphier, communiquer, composer, consigner, copier,
correspondre, crayonner, créer, dactylographier, démontrer, donner, dresser,
écrivailler, écrivasser, élucubrer, énoncer, exposer, exprimer, faire, fixer, forger,
former, gratter, graver, gribouiller, griffonner, informer, inscrire, libeller, mander,
marquer, mettre, minuter, montrer, noter, orthographier, ponctuer, pondre, poser,
produire, publier, recopier, rédiger, révéler, scribouiller, soutenir, sténographier,
sténotyper, taper, tartiner, tracer, transcrire, travailler
Voilà quelques-uns uns des synonymes des verbes parler et écrire.
On en tire quelques enseignements : tous les dictionnaires donnent toujours un nombre
de synonymes plus important pour parler que pour écrire (ici 70 contre 56). Ainsi, la
communication verbale vers autrui semble à priori plus riche (plus facile ?) que
lécrit. Et parler, comparer au verbe penser offre lui-même plus de synonymes (82
contre 68 dans un même dictionnaire). Cest comme si la parole en se développant
ajoutait encore à la pensée. Ce qui nest pas le cas de lécriture, du moins
dans cette logique comptable. Mais les livres, les milliards de mots alignés,
stockés ? En fait, lécriture garde la trace de la parole, est parfois faite
pour cela. De la même manière, pourrait-on imaginer le nombre de milliards dheures
de paroles et de sons échangés depuis laube de lhumanité. Souvent, nous
considérons que seule lécriture est noble, elle nous distingue du langage parlé
utilisé et parfois de manière très élaborée par dautres animaux. Mais le fait
comptable est là : parler double la pensée et en induit lécrit, pas
linverse.
Quand on regarde plus attentivement les synonymes de parler, ce qui surprend, cest
limportance accordée à lexpression physique : tonalité, manière comme
haranguer, bredouiller, tout ce qui sert à la fois à renforcer leffet de la parole
en quelque sorte mais qui parfois rend le codage de la parole inintelligible aussi
(bégayer). Quand on les lit en vrac on est surpris par la violence expressive de cette
masse de verbes et la passion quon y met.
Pour écrire, parallèlement à limportance physique de la parole, cest la
gestuelle de lécriture qui ressort et son difficile apprentissage (barbouiller,
calligraphier on peut dailleurs se demander si lère de
linformatique ne va pas reléguer ces verbes dans loubli ou effectuer une
transmutation de ces synonymes ) ou les allusions aux outils de lécriture (gratter,
crayonner, sténotyper). Et là encore, cest bien le geste qui transparaît à la
lecture " en vrac ".
Ainsi, cest comme si les synonymes de ce quon imagine comme étant
lessence même de notre rapport au monde contenu dans ces verbes, une sorte
dallégorie noble de notre condition dhumain, se réduisaient finalement à
des préoccupations terre à terre, freinés que nous sommes par nos capacités physiques
à parler, à écrire.
Communiquer, énoncer, exprimer sont les synonymes communs de ces deux verbes. Sans doute
parce quon remonte un cran au-dessus, au pourquoi du " parler "
et de l " écrire ". Exprimer et son préfixe
dexpiration vers lextérieur, communiquer et cum, "avec". Cum,
circum, cercle infernal et obligatoire de notre instinct grégaire, cum pour
"faire avec" les autres, "faire avec" nos subterfuges, ruses, et
artifices que sont parler et écrire.
(31/07/2002)
Je croise un collègue dans un couloir et qui me montre malicieusement sa sacoche :
- Sais-tu ce que jai dedans ?
- Non (évidemment
).
- Et bien ton bouquin !
- Lequel ? (cette question qui me vient naturellement aux lèvres désarçonne
toujours linterlocuteur qui pense - comment dire - que lon fait corps
avec le livre au point quil ne peut en nexister quun seul et il est vrai
que jai déjà trois livres (et bientôt quatre !)).
- Cest La réserve. Cest Untel qui me la prêté, alors tu vois,
je lemmène en vacances, je pars ce soir !
Une semaine plus tard, à la bibliothèque de ma ville, cest une amie :
- Ah, dis donc, tu sais que je fais circuler ton bouquin, La réserve. Je lai
déjà prêté à
Cest drôle comme les livres circulent, vivent en quelque sorte leur vie propre.
Pour La réserve, ce nest pas trop étonnant : cest un livre
écrit pour les habitants de mon département, de ma région, une histoire assez reposante
et drôle pour donner envie de faire circuler le livre à la famille aux copains
etc.
Mais ce qui étonne, cest cette faculté mystérieuse contenue dans les mots
dun livre, un machin invisible qui nous fait prendre un jour un bouquin pour le
prêter. Cest à la fois très gratifiant car on ne prête que ce que lon a
aimé. On se sent donc bien naturellement fier. Mais les autres ? Central par
exemple ? La lecture est certainement plus ardue et on va hésiter à le faire
circuler, dautant plus que l'on n'a pas forcément cherché à procurer du plaisir
pour le lecteur, du moins pas en première intention comme pour La réserve et
ainsi, il devient plus difficile de trouver un motif pour prêter ce livre à moins de
bien connaître linterlocuteur et ses goûts. Ce que je raconte est bien banal, mais
il nempêche que ce qui métonne, cest cette véritable vie multiple que
possèdent les livres. Je croyais en avoir fait le tour un jour en retrouvant mon livre
chez un soldeur (Etonnements du 03/10/2001 ), et ainsi avoir accompli le cercle total de
la distribution : vente en neuf dabord puis vente doccasion, mais
cétait sans compter les livres qui continuent de circuler avec les mots, libres
comme lair, imprévisibles.
(24/07/2002)
Cest trois expressions glanées dans la revue MUL (Macramé, Urbanisme, Littérature).
Deux définitions proposées par le créateur de la revue, Marc Alizart :
" USINE :../... Expression et lieu incontournable du mal-être social à
la fin des années 90, alors que 80% de la population travaille désormais dans le secteur
tertiaire
. "
" BLANCHE (écriture) : Concept théorique justifiant labsence de
talent littéraire et/ou lintérêt que lécrivain porte aux classes
défavorisées. Ex : Jai fait la vaisselle. ".
Une, rapportée dOlivier Cadiot, dans la même revue :
" Je naime pas la maladresse surjouée. Le héros moderne idiot. Roman
néo-réaliste french-touch: dernière figure du héros idiot. Version délavée,
délavée de Beckett. LInnommable en Tintin. "
Et pourquoi, on en parle :
Les deux premières minterpellent car dune part, mes bouquins Central et
Composants décrivent un monde douvriers, donc, plus ou moins
dusines. Dautre part, on y trouve par exemples des phrases du genre : Hier soir, en touillant les haricots et les restes du rosbif du midi
donc des considérations identiquement minimes que Jai fait la vaisselle.
Et la pensée dOlivier Cadiot enfonce le clou : héros moderne idiot, roman
néo-réaliste
Je ne sais pas pourquoi je vous parle de cela, personne ne ma demandé de comparer
mes bouquins et surtout pas à ces phrases, mais quand on écrit et que lon doute
(ce qui me semble étroitement enchevêtré), on éprouve le besoin de chercher des points
dappui, savoir à qui on ressemble, à quelle " école " on
appartient, même si lon sinsurge en théorie contre tout classement ou toute
comparaison.
On cherche donc de vagues analogies comme celles contenues dans ces phrases, du moins, il
semble
Et on prend en pleine poire lacidité contenue dans ces formules lapidaires :
la phrase que lon a extraite, isolée dun bouquin que lon a conçu, pour
lequel on a peiné, semble idiote, on voudrait presque la retirer, on se sent minable.
Ces trois phrases enserrent, classent, trient : 80 % dans le tertiaire, mais mes
oncles, mes parents, mes voisins, électriciens, boulangères, soudeurs, retoucheuses,
routiers, faut-il que je restreigne les pages que je consacre à ces anonymes en
vertu de la sacro-sainte statistique qui répartit nos vies et comble nos vides ? Et la
fameuse écriture blanche, quelle est la couleur de celle que lon fait ?
Rouge ? Noire ? Cest sans doute la " blanche " parce
quon porte un intérêt à une " classe défavorisée " - de
nêtre que 20%
- (on dit " France den-bas "
maintenant). Donc, on na pas de talent, puisque cest le corollaire de
lécriture blanche
Dailleurs " blanche ", cest
une couleur, une consistance, peut-être devrait-on appeler cette écriture une écriture
transparente, celle qui ne rend compte de rien de digne dintérêt. Mais qui juge au
fait de ce qui est digne dintérêt ? Et Beckett, na-t-il raconté que
des héros idiots ? De même que les péripéties de Don Quichotte, Pantagruel et
Gargantua ne seraient que des idioties héroïques ? Et Proust, qui passait son temps
à regarder sa madeleine et sa tasse de thé avant quelle plonge dans leau de
vaisselle, faisait-il de lécriture blanche ?
Donc, ces déclarations péremptoires ont limmense avantage de provoquer moult
questions sans réponse. Avec elles, rien ne permet de se situer, de retirer ses doutes,
de se rassurer. Cest sans doute certainement mieux puisque, au fond, on naime
pas les comparaisons.
Au final, ces trois expressions nous entraînent à nous souvenir dune visite chez
un voisin, la semaine dernière, un ouvrier dusine dorigine étrangère, qui
me racontait tous ses efforts pour discuter, raisonner ses collègues tous perméables aux
discours extrémistes (tiens, on retrouve les 20%, score FN aux élections
), mais
sans doute nest-il que le " héros idiot dun mauvais roman
néo-réaliste french-touch
". Et en plus, je suis sûr quil
" fait la vaisselle "
(17/07/2002)
SP, Service de Presse, cest bien sûr le choc de
découvrir ses bouquins ! Cette joie que lon partage et puis, parce
quil faut bien sy mettre, sasseoir, se tourner vers le mur, et commencer
ce travail de dédicace. Journalistes, libraires, écrivains, des connus, des inconnus,
ceux auprès de qui léditeur a recommandé le bouquin, les noms que lon
apporte avec soi. Et pour chacun deux trouver la formule, les usages,
lhommage, la signature. Mais comment faire passer dans quelques mots manuscrits tout
ce quon pourrait croire contenu dans le livre mais qui apparaît presque subitement
comme insuffisant ? Comment dire dans lécriture crispée (on na plus
lhabitude décrire autant) que ce livre est le plus important quon ait
fait, comme était le précédent, comme sera le suivant ? Comment imprégner
lencre, en faire le prolongement de son sang, parce quécrire est une question
de vie ou de mort. Certains le savent, des amis, des gens avec qui on a pris
lhabitude déchanger ou simplement parce quils ont déjà écouté,
compris ce que vous aviez à dire. Mais les autres ? Ecrire à un nom inconnu de
vous, mais en deviner daprès la sonorité, la couleur, laccueil quil
réservera à votre livre, y mettre tous ses espoirs. Le savent-ils quécrire, pour
vous, cest ne pas mourir ? Mais tout cela se fait dans lallégresse, joie
de préparer son stylo préféré (à la fin de la journée, le réservoir dencre
était vide
), plaisanteries quon lâche entre deux dédicaces, réponse au
téléphone (la fille qui demande conseil pour faire cuire le rôti à 200 km de
là !). On reprend un exemplaire, on écrit " hommages
à
". On est heureux.
(10/07/2002)
Ecrire est une imposture. Il y a des phrases qui
vous viennent comme cela, comme des conclusions. Celle-ci, je men souviens très
bien, mest venue alors que jarpentais une rue de Paris, enfoncé dans mes
pensées. Et conclusion de quoi ? Plutôt une impression diffuse, presque un malaise
que lon ressent quand on écrit et que lon pourrait résumer par : et de
quel droit, jutilise les mots pour écrire ? Ce matériel noble que je triture
sans vergogne, que jagence en phrases, que je monte en paragraphes comme on bâtit
un mur, de quel droit donc achever ces maisons bancales ?
Un peu plus tard dans la soirée, je men suis ouvert à un autre écrivain,
dune autre manière, en disant que " javais limpression de
voler les mots en écrivant ". Elle ma juste répondu : toi, tu dois
être dun milieu populaire
Ce qui est vrai. Et les images dune
bourgeoisie décriture ont défilé devant moi, un monde heureusement en voie de
disparition mais que je perçois sans doute encore comme interdit.
(03/07/2002)
La tentation de lîle déserte : il y a un chapitre de Composants
qui commence comme cela. Pourquoi ai-je choisi cette phrase obsessionnelle et quel rapport
avec ce livre ? Je ny avais jamais vraiment réfléchi, cela faisait partie
pour moi des mystères de la création comme on dit - et il faut quil y en ait,
cest vital -, une de ces phrases qui viennent et qui vous tombe dessus. Et puis, par
quel autre mystère je me suis mis à penser au rôle de défricheur, rôle quasi
obligatoire et convenu, qui convient de tenir quand on associe les deux mots :
littérature contemporaine. Oui, ce rôle de défricheur, ce mot me plaît. Aller au
devant de la forêt des mots. Tailler à grands coups de machette pour se frayer un
passage dans une jungle. Des images bien sûr. Et derrière, sentir le poids des sentiers
battus et rebattus, étendues policées, chemins, routes, autoroutes. Plutôt que de
désapprendre, empêtré des les réflexions passées à vouloir recréer, projeter ce qui
finalement existait déjà, en quelque sorte aller vers une large et consensuelle
transamazonienne, mieux vaut finalement le rôle du naïf, de lignorant, celui qui
fonce dans laction et taille dans la forêt des mots. Sans cette fraîcheur, le
Douanier Rousseau aurait-il pu imaginer son tigre ? Et
tout cela, finalement, cette difficulté à avancer, manier la machette, contre toute
fatigue, je men aperçois maintenant, se résume dans cette locution La tentation
de lîle déserte. Oui, tentation davancer encore et toujours, se
retourner et dire à ceux qui attendent que le passage soit praticable, à vous
donc : venez ! nous allons faire encore ensemble quelques mètres
(26/06/2002)
Il y a toujours dinévitables moments où il
faut parler de " son " écriture à vos collègues de travail. La
dernière fois, cétait pour prévenir de ce jour de liberté envisagé pour aller
à Paris " moccuper de mon deuxième métier ". Jai pris
lhabitude de nommer ainsi ce travail " décrivain " et de
le nommer ainsi aisément (même si, certains, comme Michel Chailloux, par exemple, se
demandent qui peut bien mériter ce vocable " décrivain "). Et
la locution "deuxième métier " place dentrée de jeu cette
occupation à pied dégalité avec celui, le premier métier, donc que je partage
avec mes collègues et notre fâcheuse habitude, éthique, à le considérer comme le plus
sérieux du monde. Dabord parce quil permet de gagner sa vie ce qui nest
pas franchement le cas de lécriture. Il est ainsi nécessaire en employant
"deuxième métier " de couper court aux clichés de ce qui ne devrait
être quune passion, un machin sans importance et non lucratif, un amusement comme
un autre, comme on ferait de laquarelle dans un cercle de peinture ou du vélo dans
un club de sport. Car comment faire comprendre que lécriture ne nous amuse pas et
quon ne la prend pas par-dessus la jambe. Comment faire passer cette idée que cette
" occupation " est une question de vie ou de mort pour soi, sans doute
la chose la plus importante de votre vie.
Et on sent bien quil y a silence autour : un écrivain, ça impressionne comme
un martien, un type un peu bizarre. On me demande alors ce que jécris, combien
jen vends (ça, cest une question récurrente et qui me désarçonne toujours,
tant nest pas là ma préoccupation), ce qui va sortir, de quoi ça parle et
cest la que les choses se gâtent : comment dire quon écrit des trucs un
peu bizarres, pas communs, un peu ennuyeux ? On sen tire par une
pirouette : tu vas rire, cest lhistoire dun type qui
Et ça
sarrête presque aussitôt car mes intrigues sont maigres, il ne mintéresse
pas tant que de raconter linracontable : situations banales, gens çà qui il
narrivent jamais rien. La vie quoi
Je perçois alors le gouffre entre
limage vivante, agréable (jespère) quon peut avoir dun
collègue, et celui qui prétend écrire des trucs chiants. Je sens bien quon me
regarde bizarrement, je force le trait, je plaisante sur le peu dintrigue, je me
brocarde Et jentraîne mes collègues à croire que ce nest pas important
alors que cest tout pour moi et je loupe mon coup. Mais comment lintégrer à
ce rapport quotidien que lon a avec ses collègues, qui vous regardent rire, bosser,
exactement comme eux et essayer de leur faire croire que pour vous il y aurait un quelque
chose en plus que vous aimeriez partager tant cela déborde. Autour de moi, on change de
sujet, on reparle de boulot, le vrai, le premier, celui qui rapporte, je me sens
malheureux.
(19/06/2002)
Ecrire sa biographie, son autobiographie
donc. Et quoi en dire ? On peut faire comme François Bon, proposer trois biographies
de simple à très complète. Bien entendu, il y a la solution de facilité :
reproduire la petite phrase succinte de présentation de lauteur qui se trouve sous
la quatrième de couverture. On peut y rajouter quelques interviews. Cest ce que
jai fait pour la précédente page autobio et que lon reprend largement par
paresse. Quelques traits dhumour ont fini par me lasser (virée la photo de soi en
clown, ça fait Effroyables jardins de Michel Quint - voir en Notes de lecture du
05/06/2002) car les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures. Parler de soi est
toujours très complexe (même si comme le dit la chanson, parlez moi de moi, ya que
ça qui minteresse
). Finalement, nous avons une vision complète et historique
de nous - pour glisser dans Lapalissade et nous navons pas toujours
conscience que le lecteur ou autre qui vous découvre na quune vision
partielle, celle laissée uniquement dans les mots et que le " né à Langres en
1958 " ne révèle pas le petit grain de beauté posé délicatement sur la
fesse droite de votre serviteur. Voilà bien le problème : restituer limage en
mouvement que lon connaît de soi par un cliché fixe et cest peut-être pour
cela quil y a des photographes spécialisés en écrivains (voir même rubrique
juste ci-dessous) afin de laisser entrevoir la vie passionnante et trépidante de ces
étranges coléoptères.
Donc, découvrez en rubrique Bio le coté biologique et sans OGM de votre serviteur.
Et en rubrique Biblio, le début dune uvre comparable à la Sagrada Familia
de Gaudi, kitch et inutile mais quand on bâtit son église...
(12/06/2002)
Je pensais quil restait un peu de temps pour cette séance photos prévue pour le
lancement de Composants. Et puis le photographe ma rappelé :
cétait très urgent, je ne pouvais pas me déplacer sur Paris, il est donc venu
dans ma ville. Nous nous étions donnés rendez-vous devant la mairie parce que cest
facile à trouver et parce quil y a un petit parc pour des photos extérieures. Il
est arrivé, nous sommes allés boire un Perrier à la terrasse dun café proche.
Cest marrant, certains photographes se sont spécialisés dans les écrivains :
un écrivain, ça doit avoir une tête spéciale
Donc quelques photos dans le parc. Puis dans mon jardin. Puis mon salon transformé en
studio. En tout, une heure et demie pour nous deux, quelques pellicules pour lui, quelques
poses et sourires crispés pour moi. Etre photographié nest jamais très agréable
sauf le moment où jétais allongé sur mon fauteuil de jardin pour quelques photos
genre " portrait-de-lartiste-se-reposant " (pardon, un écrivain
ne se repose jamais, il médite sur son prochain livre
) et que je pensais à la
dernière séance en 2000 qui avait eu lieu dans le petit parc Récamier en plein St
Germain des Prés, lieu certainement beaucoup usité. Je pensais aussi à lil
professionnel de mon photographe, repérant la moindre tâche de lumière, le moindre
éclat parasite, traquant une réalité qui se doit dêtre idéale. La photographie
sapparente en cela à la description : prendre ce qui existe comme réalité et
le restituer. Que ce soit par écrit ou visuellement, nous cherchons pareillement soit à
laide de métaphores, soit en traquant ajoutant des lumières, des couleurs, à
restituer une ambiance qui nous semble la plus proche de la vision distordue du réel que
nous avons.
(05/06/2002)
Descriptions, descriptions
Je suis un maniaque de la description. Je ne peux pas
mempêcher de décrire en détail, daller au fond des choses : si je
commence à parler du clavier que je suis en train de martyriser pour cet article, il faut
que je décrive le claquement des doigts sur le clavier, la différence entre le bruit sur
les touches carrées (dont certaines sont noircies sur le côté parfois presque
entièrement comme le K peut-être parce quil est rarement utilisé) et la grande
barre de lespace qui résonne de façon plus métallique et que je frappe avec le
pouce de la main droite, le majeur se chargeant de toutes les autres touches à
lexception de lindex de la main gauche uniquement dévolu au A. Voilà pour un
début simple début de description qui pourrait continuer par la règle en bois de
quarante centimètres (seulement trente-neuf centimètres sont gradués par millimètres
en petits traits blancs presque effacés) et ainsi il est tentant de saisir lobjet
(je le fais : silence dans la salle vide, on entend plus les petits clac clac pendant
trois secondes
) et de vous dire que le dit clavier mesure quarante centimètres
plus huit centimètres ce qui fait un total de quarante-huit centimètres, et encore ne
vous ais-je que trop peu parlé de sa couleur dominante ivoire et de linscription Siemens
Nixdorf blanche sur fond vert, on peut être plus précis mais cela risquerait de nous
entraîner facilement sur vingt pages
etc
etc
Tout cela pour citer la réflexion dun élève dune classe de seconde que je
provoquais volontairement sur mon texte Vers Aubervilliers (Inventaire/invention) :
" Peut-être quil y a trop de descriptions
".
Oui. Et là, on se revoit au même âge, sautant de fastidieuses pages serrées et
noircies de Flaubert, Balzac, Zola, guettant lembellie dun dialogue. Et
comment expliquer que soi-même, on a du mal à relire complètement certaines
descriptions dont on est tout de même lauteur. Car on les a vécue comme un passage
initiatique (tiens, le mot " passage " désigne aussi quelques pages
dun texte, ce nest pas un hasard
) vers autre chose et se relire devient
alors inutile : linitiation a déjà eu lieu. Un exemple caricatural est cette
description de trois postes téléphoniques dans Central,
qui dure tout un chapitre et ce sentiment puissant que lon avait eu à
lavance, cette sensation quil fallait que cela arrive, que le livre ne pouvait
continuer sans cette fastidieuse leçon de chose. Le passage a eu lieu, je nai
jamais relu cette partie du texte, cétait devenu inutile. Et cest peut-être
cela, linterêt et lambiguité de la description : une apparente
inutilité, quelque chose de fuyant, un vide, un trou danti-matière mais sans
lequel le texte perd son sens. (29/05/2002)
Cest un Mac Do classique, à Troyes -
juste à côté de lespace Argens dans lequel se déroule chaque année en octobre
un salon du livre de la jeunesse (le deuxième après Montreuil) -. Décoré de
lamérican way of life bien entendu, en loccurrence le thème est
lautomobile : quelques plaques minéralogiques des différents états, pompes
à essences, voitures américaines, un décor pourtant assez chiche et sobre. Jy
passe de temps en temps au hasard doccupations professionnelles ou autres comme
cette fois où javais mon micro portable, létablissement était désert,
cétait le matin, jattendais quel rendez-vous ? Jai commencé à
écrire dans la salle vide, environné de quelques bruits de ménage et des conversations
réduites au minimum des quelques employés. Le texte était peut-être
" Composants ", ou une nouvelle en cours, je ne sais plus. Il me
semble me souvenir que j'avais toutefois pas mal écrit, avec cette satisfaction que même
dans des lieux divers on peut le faire, il suffit de le vouloir en quelque sorte. On pense
à Nathalie Sarraute qui à longtemps écrit dans des cafés. Certainement aussi
voulais-je retrouver la sensation extraordinaire que javais eue en lisant une
nouvelle de Beckett dans un Mac Do similaire, cétait à Reims, comme si le lieu
était particulièrement approprié à cette lecture.
A Troyes, pas très loin du Mac Do, il y a la Fnac. Fnac, Mac Do : tout ce quon
dénonce parfois, qui a souvent fini par demeurer les seuls espaces en centre ville où
lon peut errer. Une récente étude affirme que le nombre de librairies est passé
de 2000 à 200 en France en 20 ans. Cette absence est remplacée par rien :
dautres vides, vastes surfaces standardisées Fnac et Mac Do, suffisamment grands,
ordonnés, maîtrisés et ennuyeux pour que lon puisse sattabler et écrire
comme cela un beau matin. Et lon peut se demander quelle est linfluence de
telles vacuités sur la densité des phrases, la teneur, la charpente et le contenu de
notre écriture.
(22/05/2002)
On voit poindre linstant du vide. Avec bonheur. On a rempli ses objectifs comme on
dirait dans un langage dentreprise. Les bouquins avancent bien. Pour
lun : corrections rendues à lheure, le récit qui se dessine bien pour
septembre et pour lautre projet collectif des écrivains de Haute-Marne, les textes
arrivent là aussi dans les délais. On est fier, on a limpression de maîtriser le
foutu temps qui passe si vite. A un point quon commence à imaginer linstant
du vide, cest à dire le moment où tout ce qui sera engagé ne dépendra plus de
vous mais des autres, une phase dattente en quelque sorte. Que va-t-il se
passer à ce moment là ? Va-t-on commencer autre chose ? Comment le cerveau
va-t-il combler ce vide ? Quelle alchimie subtile se produit-elle en nous, liée à
ces changements de rythmes : la créativité du récit, la phase dorganisation,
un il sur la montre, un autre sur les textes ? Et le repos quand
vient-il ? Et quelle est la part des saisons, de lété qui vient, dans ces
rythmes changeants ? Questions, questions
Nempêche que jaimerais
bien être conscient à la seconde où se produira le plus infime changement de molécule
de mon corps qui caractérisera cet instant du vide pour me propulser vers une longue
remontée, construction patiente, chimique et organique et qui mamènera à
élaborer un nouveau récit.
(15/05/2002)
" Faire son show ",
lexpression est dune de mes nièces, et plus généralement dune
génération de moins que la mienne. Et justement, cest cette génération que je
suis allé rencontrer à Chaumont avec deux classes de seconde qui ont étudié Vers
Aubervilliers. Editer aujourdhui, comment ça vient le machin bizarre quon
nomme inspiration, comment on fabrique un livre, les rôles de chacun, combien on
gagne : jai tout dit, jai parlé, parlé, jespère aussi que
jai écouté, bref, jai " fait mon show " comme dirait ma
nièce.
Quest-ce quon retient de tout cela ? Des visages, des qui rigolent, des
qui sennuient, des qui écoutent aussi
Je ne sais pas pour eux, mais moi
jai aimé y être, jaurais voulu leur dire tellement plus, jai terminé
en insistant bien que la nébuleuse qui concerne la chose écrite, lecture, écriture,
quelle leur appartient à eux dabord et quil faut se lapproprier
sans complexe. Oui, on a le droit de dire quon naime pas, oui, on a le droit
de commencer un livre nimporte où, oui, on a le droit de lire ce quon veut,
dabandonner, de reprendre. Oui, oui
Et par-dessus tout, on a le devoir de dire
ce que lon ressent, ce que lon pense à ses profs. Quest-ce quon
retient ? Celui qui dit : je nai pas aimé, il y a trop de descriptions
(et comment lui dire que même soi par moments on na pas envie de se relire pour les
mêmes raisons ?). Et celle qui a aimé, qui le redit en sortant, et merci, merci,
merci que lon répond. Et les quarante dédicaces, chacune personnalisée parce que
cest important, on y tient et on tient aussi à ce que lon sache que le mot
" amicalement " que lon écrit avant la signature est
réfléchi, mûrement, gravement, ce nest jamais galvaudé.
Amicalement, donc.
(08/05/2002)
Les élections présidentielles ont été aussi loccasion de citer les mots
assassins des candidats : le "détail " de lhistoire de Le Pen
à propos des fours crématoires et les "odeurs" de Chirac au sujet des voisins
de palier étrangers du brave français. De tout temps, les mots de la politique ont été
abondamment commentés, condamnés parfois, et à juste raison : on ne dit pas
nimporte quoi, diffamation, incitation à la haine, des lois existent et cest
tant mieux. Toutefois, la réserve avec laquelle il faut sexprimer (ou écrire)
provoque des effets pervers : tourner sept fois la langue dans sa bouche avant de
parler, cest bien, mais lidée répandue que " parler de politique
fâche ", vous brouille avec vos voisins, est indécent, etc, de même
quil est indécent de révéler combien on gagne (Ben tiens, tant quon y est,
mon métier francetélécomique me rapporte 2200 euros par mois, comme cela, vous
saurez
), tous ces non-dits amènent des soupçons, des incompréhensions, et
surtout, provoquent des tabous, parfois visibles dans lapplication dune
censure officielle (voir en Note de lecture cette semaine) mais plus pernicieusement dans
les mots tabous que lon sinterdit soi-même de ce fait. Un exemple ? Un
électeur de gauche bien pensant ne prononcera pas le mot " les
arabes ", à cause de la connotation raciste en France (par contre sur le plan
international, monde arabe
etc, cest admis
). Et ces mots que lon
sinterdit profitent au langage dextrême droite qui les récupèrent, forment
un discours partisan : " Le Pen dit tout haut ce que les gens pensent tout
bas "
Et que disent les gens tout bas ? Par exemple que
" ce sont les Arabes qui sont racistes ", phrase que lélecteur
de gauche aura du mal à répéter parce quil pense quon va croire quon
va lui attribuer cette ineptie, que cest " celui qui dit qui y
est "
Donc pour résumer cette simple pensée que lon aura entendu
dans la rue, que lon veut répéter simplement parce quon sélève
contre, on utilisera souvent cent subterfuges, mille citations, dix mille mots plus
pédants les uns que les autres (on appellera cela " élever le
débat "
) afin que lopinion publique soit persuadée que ce
nest pas vous qui pensez cela, et surtout, afin déviter de prononcer la
locution fatidique : les Arabes. Il est par ailleurs assez étonnant de constater que
le langage séclate sans complexe dans la narration du sexe dont les écrits
abondent sous prétexte de revendiquer une liberté de pensée et dagir.
Lélecteur (de gauche comme de droite) y retrouve avec nostalgie quelques vieux
préceptes des années soixante-dix, cétait le bon temps
Mais pendant ces
temps nouveaux et actuels, " Le Pen dit tout haut ce que les gens pensent tout
bas "
Et il nous appartient à nous " les gens " de
dire tout haut et sans tabous quon veut un Le Pen profil bas.
(01/05/2002)
A priori, il ny a pas grand chose en
commun entre Jehan de Joinville, chroniqueur de Saint Louis (et haut-marnais...) au tout
début du XIV° siècle et Olivier Six qui tient un journal en Palestine. Sept cents ans
les séparent, la terre et son lot de guerres ont déjà bien fait tourner les
générations.
Et pourtant ! Jehan de Joinville a raconté Louis XI en croisade : déjà
Jérusalem était un enjeu et même si le " bon " Saint Louis dépeint
par lauteur avait une générosité bien brutale et une ferveur religieuse
quon qualifierait dintégriste actuellement, lauteur a su retracer au
jour le jour, et pour la première fois dans un français usuel, un témoignage de la vie
quotidienne. De même, cest clairement le même enjeu pour Olivier Six (on peut
également regretter la même actualité de violence et les faux prétextes à celle-ci à
travers les religions).
Bien sûr, beaucoup dauteurs ont déjà témoigné face à lactualité.
Certains avec bonheur comme Michel Leiris (Journal 1922-1989 - et en particulier
les journées de la libération de Paris vécus au côté de Sartre), dont toute
luvre est traversée par lautobiographie, dautres avec moins
beaucoup moins dobjectivité (et de réussite) comme Maurice Le Dantec (Le
théâtre des opérations) qui sapparente plus à un commentaire nihiliste de
lactualité. Mais ces impressions de lactualité, mêmes exprimées sur le
vif, ont toujours été publiées forcément à posteriori, y compris
actuellement : cest ainsi que le livre En direct de Patrick Bouvet,
consacré à lévènement du 11 septembre perd tout lattrait de son titre,
publié six mois après.
Ainsi, à travers ces exemples on mesure la difficulté de témoigner, doù
lintérêt dInternet qui abolit la distorsion de temps : on apprend les
nouvelles en même temps que lévénement, et surtout, sans les filtres médiatiques
et institutionnels ou selon le classement par importance de lactualité. Une
nouvelle forme se créée ainsi. Toutefois la réussite de ceux qui sy risquent
comme Olivier Six dans son entreprise tient beaucoup à la persevérance et la
régularité des mises en ligne malgré les difficultés quil nous fait entrevoir.
Cest tout à son honneur de réussir une telle gageure. Dautant plus
quil est facile de percevoir déjà la qualité et limportance dun tel
témoignage, sorti de limmédiateté des écrits, et projeté dans le futur.
Justement le futur. Il semble important quune telle somme de textes puisse trouver
par la suite une édition traditionnelle. Même si Olivier Six nentrevoit pas
darrêter son journal, plongé ainsi dans une actualité permanente, il y aura de
toute façon un moment, un évènement qui arrêtera, changera le cours, la logique, la
ligne de conduite préalable. Pour Michel Leiris, cétait la vieillesse, pour
Maurice le Dantec, la venue de lan 2000, pour Patrick Bouvet, la fin de la pression
médiatique. Souhaitons pour Olivier Six et tous ceux qui souffrent autour de lui que cet
évènement soit la paix.
" Je prierai les lecteurs de ce mien labeur qu'ils veuillent prendre en bonne
part tout ce que j'y ai écrit. " Mémoires du Sire de Joinville
Jehan de Joinville : note de lecture du 16/05/2001
Michel Leiris : note de lecture du 07/04/2001
Maurice le Dantec : note de lecture du 24/01/2001
(24/04/2002)
Epigraphe : courte citation quun auteur met en tête dun livre, dun
chapitre pour en indiquer lesprit (Petit Robert). Donc, par mimétisme, pour mon
premier roman " Central ", javais mis celle de Raymond Carver
quon admire : Passer en coup de vent. Ne pas s'éterniser. Passer sa route.
(Les feux).
Et là, pour le deuxième récit chez Fayard, après avoir connu les affres de
lhésitation pour un titre (Notes décriture du 20/03/2002), je me croyais
tranquille jusquà la publication, mis à part les habituelles et attendues
corrections. Il a fallu que je tombe sur cette belle phrase dEric Chevillard (Du
hérisson) et qui mystérieusement tombe pile poil (je devrais dire " pile
piquant ") avec ce que lon sapprête à publier : " Quelle
expérience de conscience cest dordonner le monde à sa guise durablement en
le nommant. Nous en détenons les composants, les matières premières, les éléments,
précipités dans les mots qui les désignent et de la sorte manipulables
facilement. Il revient à lécrivain de varier les combinaisons. Sil ne
le fait pas, qui sen chargera ? ".
Moi qui navais rien prévu comme épigramme, et qui finalement trouvait le procédé
dun conformisme un peu naïf, voilà que jhésite, jhésite
(17/04/2002)
Il sest passé un évènement extrêmement important quil convient de relayer
dans cette rubrique : le Parlement International des Ecrivains, représenté par
Russell Banks, Breyten Breytenbach, Bei Dao, Vincenzo Consolo, Juan Goytisolo, Christian
Salmon, José Saramago et Wole Soyinka, a organisé un voyage en Palestine dans le but
premier de soutenir les auteurs menacés par la guerre quels que soit leur camp.
Il convient de relayer en Notes décriture cette initiative tant je suis persuadé
que lengagement au sens de Sartre dans le plus profond de lhumanité est
indivisible du travail de lécrivain et qui est la justification de cette rubrique.
Le pouvoir des mots est immense et on a pu sen rendre compte par les polémiques que
cette visite a forcément provoqué dans les deux camps (polémique émotionnelle et
inévitable de ceux qui sont partie prenante de cette guerre et à bout de nerfs). Et le
pouvoir des mots étant immense, il a suffit dun seul dentre eux, Auschwitz,
prononcé par le Prix Nobel José Saramengo à lencontre dIsraël pour
déclencher les plus vives protestations. On comprend cette indignation mais on comprend
aussi José Saramengo tant on ne peut concevoir pour un écrivain un seul mot qui puisse
être tabou. La délégation sest empressée de se désolidariser collectivement de
lécrivain peut-être aurait-il fallu un peu plus expliquer linexplicable et
quen face des douleurs, on peut persister et signer la traduction de ses émotions
sans se censurer soi-même, sinon, cest lessence même de la littérature que
lon bâillonne.
Pour plus de renseignements on peut consulter le site du Parlement International des Ecrivains.
(10/04/2002)
Eh oui, webcam installée, CLIQUEZ ICI
(03/04/2002)
Samedi, cétait la session de
printemps des Ecrivains de Haute-Marne à la Source Bleue de Villiers-sur-Marne. Un bien
grande expression pour juste le plaisir de se retrouver et partager ensemble le plaisir
des mots. Mais un cadre splendide, romantique à souhait, le château de Chateaubriand,
bien que plus majestueux, a quelque chose de compassé, presque dartificiel à
côté de cette résurgence étonnamment turquoise en toute saison. Le restaurant qui nous
accueille est un ancien moulin à eau autrefois spécialisé dans la fabrication de pâte
à papier. Par un étrange retour aux sources (cest le cas de le dire
), nous
avons pris lhabitude dy venir, nous les représentants de produits finis en
pâte à papier, bien reliés et ornées de nos pérégrinations imprimées.
Et comme dhabitude, pour une vingtaine dentre nous, cest une ambiance
bonne enfant qui nous fait dérouler un ordre du jour plutôt lâche et émaillé de
plaisanteries diverses. Le chahut urbain (et particulièrement justifié et apprécié
cette année
) du salon du livre de Paris est déjà loin, calme, silence soleil, air
vif, le temps dune balade traditionnelle au bord de leau, de quelques photos
et dun repas joyeux, il est temps au café déchanger à nouveau sur quelques
projets en commun, qui nous tiennent à cur ou qui sont indispensables à la bonne
marche de notre association.
Et nous repartons, à la fin de laprès-midi, chacun dans notre véhicule en
promettant de se revoir à lautomne. Dans la voiture je repense à cette chose
étrange quest la passion de lécriture, quon imagine solitaire, qui est
toute autre et qui mérite cette note décriture.
(27/03/02)
Je suis en plein dans les corrections de mon livre qui doit sortir pour septembre. Parmi
ces rectificatifs, erreurs de style, compléments, élisions, chasse aux répétitions et
autres, mon éditeur se demande si le titre que jai choisi ne serait pas un peu trop
abstrait, enfin, bref me demande de réfléchir à un nouveau titre. Ce que jaccepte
dautant plus aisément et avec enthousiasme car je suis persuadé que
lécriture est paradoxalement un travail déquipe et lauteur, le nez
dans le guidon, na certainement pas le recul nécessaire pour apprécier toutes les
conséquences de ce quil écrit. Donc, voilà pour le principe.
Et après tout, un titre ce nest que quelques mots sur une couverture, souvent
quelques-uns contenus entre les pages et quil faut accepter de remettre en cause
aussi facilement que ceux du texte. Cest ce que lon se dit, comme cela
gaillardement, avec toutefois une inquiétude diffuse, à priori inexplicable
Un titre, ce nest que quelques mots
On va en trouver un autre
Voyons
Réfléchissons.
Ah ! Ben ça ne vient pas facilement
On demande conseils à des amis, dautres
écrivains
Et qui vous répondent avec raison quun titre est une chose
vraiment personnelle, quil faut sentir
Oui, quil faut sentir
Du coup, on comprend mieux la façon dont le premier titre était venu, assez rapidement
comme pour les précédents, disons, avant la moitié de lécriture, comme si on
éprouvait le besoin de nommer la chose encore informe que lon modelait.
Et là, sans titre, comment nommer le machin quon est en train de revoir, corriger,
compléter ?
Que quelques mots à changer pourtant
On tente quelques propositions, à moitié
satisfait, et léditeur, lui aussi est à moitié satisfait et lon découvre
que, finalement, le titre dun livre est une chose entière, indéfectible,
inoxydable, un nez en plein milieu de la figure de votre bouquin.
Et plus on cherche, moins on trouve, le temps passe, linconfort aussi.
Etre en deux titres nest pas chose facile : dans le ménage de printemps de mon
bouquin, jai retiré le toit, jai peur quil pleuve dedans, que les mots
se délayent. Et comment vais-je faire pour vous inciter à acheter mon bouquin
" XXX " qui paraîtra à la rentrée littéraire ?
(20/03/2002)
Donc, cet énervement à propos de cet expo sur le surréalisme à Beaubourg, des
commentaires dans les journaux, de cette phrase à la radio qui disait à peu près ceci
" Lhéritage du surréalisme ? Les auteurs interrogés
(lesquels ? ) pensent quil faut moins de querelles de chapelles et peut-être
donner plus de rêve, moins de quotidien ".
Oui, nous vivons dans un monde ou fichtre, ce serait bien dêtre un peu optimiste
dans cette morosité ambiante ! Quand Central parut en septembre 2000, la
tendance était à la reprise économique, plein emploi espéré, les critiques voulaient
de loptimisme et réclamaient déjà plus de belles histoires, moins de quotidien
puisquil saméliorait
Jétais évidemment sensible à la critique
moi, qui proposait un roman un peu noir, je me sentais en quelque sorte coupable de
pessimisme
Et puis, la reprise fut un feu de paille, on retrouve le chômage,
linsécurité, le 11 septembre pour couronner le tout et la tension permanente au
proche orient. Mais il faut continuer à distraire le citoyen, donc on continue à
proposer du rêve, du Loft Story, du rire, du divertissement, du Jean Marie Bigard, de
lAmélie Poulain, du Seigneur des Anneaux, du Harry Potter. Plus de rêves,
quoi ! Donc moins de quotidien
On nous en rabat les oreilles...
Et bizarrement, je me demande comment on peut réduire un mouvement qui démultiplia
toutes les formes dart en plus de
Moins de
Je suis désolé, le prochain roman sera aussi noir que le premier, du moins, cest
ce quon me dit, car pour moi il na pas de couleur : il est transparent,
blanc, opaque, filtré, émulsifié des rêves, transcendé du quotidien, il procède
" de la même puissance hallucinée de susciter l'illusion des choses que
"Central" " comme dirait François Bon. Finalement, un vague
machin surréel
" La beauté sera convulsive ou ne sera pas " André Breton (Nadja)
(13/03/2002)
Bien sûr, on a tout pour être
heureux : bonne santé, famille joyeuse, boulot qui marche, écriture qui passionne.
Donc, on est heureux.
Bien sûr.
Et puis vient le doute, le machin qui revient, on lévite, on se cache
derrière lhumour, les formules (un doute mhabite
) mais bon, chaque
semaine, sinstalle un peu plus le machin : est-ce quon mérite
dêtre heureux ? Nest-ce pas indécent ? Ne va-t-on pas le payer
très cher un jour ?
Nous voilà pris au piège, lesprit gamberge comme on dit, on évalue les malheurs
possibles, largent qui manque, la santé, la mort de proches âgés. On a parfois la
sensation dune catastrophe imminente. Du coup nous voilà morose : vite !
il faut trouver une explication
On attribue cela à la pluie incessante, à la
politique qui nous les brise (car nous avons la mémoire courte sur lorigine de nos
maux
). Tout cela rejaillit sur lécriture : on na pas envie
davancer, on écrit peu, du coup, cela nous rend encore plus triste, on peut
maintenant se dire : je ne suis pas heureux
Je suis déprimé... Ma famille me
trouve ronchon...Que faire ? Et ainsi, repartir à la conquête du bonheur
(06/03/2002)
Ne meurs pas, dormeur du val !, cest le titre dun maigre recueil
inédit que jai écrit entre août et novembre 1998. Placé sous le signe de
Cendrars (encore et toujours : " Si je dois être tué, bien
mais je
veux vivre ! ") il contient dix neuf poèmes
" hélas-en-toc ! " et débute par une préface qui fixe
lobjectif :
" Le Dormeur du val est lun des sonnets les plus connus de Rimbaud.
Imagé et au vocabulaire simple, il a été appris et continue de lêtre
par de nombreux écoliers. Nous oublions souvent les poèmes de nos dix ans, mais
je garde intacte dans ma mémoire lémotion que me procura la première lecture du
Dormeur.
Jétais guimauve dans lenfance, petit val, je moussais de rayons.
Jétais soldat dans la cour de récréation, vingt fois on meurt, vingt fois on se
relève.
Ce jour-là, il y eut cassure au dernier vers et le soldat resta allongé, avec ses deux
trous rouges. Pour léternité.
Chaque fois que je relisais ce poème, je me demandais si Arthur aurait pu, avec les
mêmes mots ou dans un contexte différent, donner un autre sens à lhistoire, une
chute heureuse.
Comme il ne se décidait pas, un jour, je pris la plume à sa place. Mais il y a des mots
terribles soldat dont on ne se remet pas. "
Voici donc lun des dix-neufs poèmes
remodelés et contenant les mêmes mots que le Dormeur :
La montagne a étendu la nuque. Verdure,
Des herbes dargent pâle sous le soleil baignant.
Le cresson dort ; glaïeuls aux haillons accrochant
Les bouches nues : cest une tranquille nature.
Lenfant berce sa poitrine. Mousse
ouverte.
Fiers rayons dherbes. Bleu, rouge, vert, le parfum
Luit dans le soleil et souriant dans la main :
Cest un somme qui sourirait dans sa tête.
Comme un trou, il dort chaudement, nu,
droit ou
Il chante au son dun jeune malade, ou
Le trou a frissonné. Il est dans la rivière.
Il fait lit froid sur un soldat, petit val
frais.
Follement les deux pieds font un pas de côté.
Il dort où il ne pleut, narine dans la lumière.
(27/02/2002)
Dés les premières pages de son dernier
livre, Patrick Chamoiseau évoque les quimboiseurs. Cela me rappelle la première
maison de mon beau-frère, louée au milieu de la campagne et en plein pays blancs-Matignon.
Des quimbois sous forme de petits sacs de tissus remplis de graines, plumes et
autres substances magiques étaient suspendus au-dessus de chaque porte et censés
protéger la maison desprits malfaisants. De même, il nétait pas rare de
rencontrer dans le coin une poule sacrifiée ou une bougie au centre dun carrefour.
Tout de suite, nous avons tendance à railler ces pratiques moyenâgeuses et provinciales.
Mais nous faisons de même pour conjurer les éventuels sorts de ce que nous ne
maîtrisons pas toujours comme par exemple lécriture !
En effet, comment interpréter autrement que superstitions la pava de Gabriel
Garcia Marquez (dans cette même rubrique au 18/07/ 2001), le stylo Schaeffer modèle noir
utilisé depuis 21 ans par François Bon, voire, en ce qui me concerne à chaque fois que
je passe au-dessus dun canal "
l'eau si attirante. Guetter les
poissons. L'un apparaissant alors la journée faste en tous points
. "
(Central p 94).
Et vous ? Il suffit de regarder les pages dannonces de voyance dans les
journaux gratuits des grandes villes pour se persuader que magie et superstition ne sont
pas des phénomènes provinciaux et reculés.
Alors, rions, rions, comme mon beau-frère en me faisant visiter sa maison, mais quand il
la quitta quelques années plus tard, les quimbois navaient pas été
décrochés. On ne sait jamais
(20/02/2002)
Au ski, on est toujours entre deux. Entre
deux vacances, entre deux vallées, entre deux montagnes, entre deux skieurs, entre deux
télésièges, entre deux repas, entre deux skis, entre deux bâtons, entre deux chutes,
entre deux écritures. Oui, justement, entre deux écritures, on y est : on attend
les corrections dun texte à paraître en septembre. On sétait promis
décrire un autre récit et puis on ny arrive pas. Cette impuissance est
quelque chose de connu, presque de familier maintenant après un grand récit, quelque
chose qui vous a monopolisé quelques mois, accaparé vos pensées parfois nuit et jour.
Cest peut-être un défaut de jeunesse décrivain, quoique depuis le temps de
mon premier grand récit, cela ne se soit jamais démenti. Il me faut quelques mois
dhésitations entre deux grands textes, une sorte de passage obligé. Je pourrais
attendre, éviter ces déconvenues, mais jai limpression quelles sont
nécessaires, que jai besoin de ces souffrances car parfois, oui, cest des
souffrances de ne rien sentir se pointer à lhorizon. En attendant, parfois on
brode, on construit des textes plus petits, des nouvelles. Tiens, justement, coincé dans
mon télésiège à côté de ces deux femmes (une mère et une fille ?) qui se
demandent si à larrivée elles vont retrouver le père ou le mari, tiens justement,
si jécrivais une nouvelle ?
(13/02/2002)
Comment écrire la jeunesse ? Ou
plutôt comment traduire cette illusion ? Prenons le problème à
lenvers : quest-ce qui fait montre dancienneté, de vécu ?
Une prose trop sévère, paradeuse dexpérience, donneuse de leçons, sans doute. A
contrario, est-ce quun humour potache suffit pour donner le change ? Ou un
langage enfantin (Quand javais cinq ans, je mai tué) ? Des expressions
chébrans ? Une action volontairement basée sur fond de rave dans une usine
désaffectée ?
Je ne crois pas : il faut lire Perfection de LJH (voir en Notes de lecture du
04/05/2001) ou Banlieue Sud Est de René Fallet (Note de lecture
daujourdhui) pour avoir une idée honnête de comment écrire la jeunesse.
Linconvénient cest que LJH a du écrire son bouquin vers 20 ans et René
Fallet vers 19 ans, ce nest pas du jeu !
Reprenons, donc, comment écrire la jeunesse quand on est moins jeune ? Pierre
Bergounioux a écrit sur ce sujet (Larbre sur la rivière) ou plus souvent,
Maurice Genevoix (Agnès, la Loire et les garçons), mais on devient forcément un
peu décalé, soit en virant vers la nostalgie, soit en utilisant un langage qui, de toute
façon, racontera le récit, comme à côté.
Finalement, ce quil faudrait arriver à faire, cest rendre la chose
" jeunesse " neuve dans toutes ses facettes (éclat de rire, doute,
étonnement) et dans toutes les attitudes possibles. Mais là encore, on est dans
linterprétation de létat, donc déjà passé du côté des procédés, de
lexpérience et ainsi, du vieillissement.
En conclusion, écrire la jeunesse est insoluble dans l'encre passé vingt ans.
(30/01/2002)
Pierre Michon, (extraits dun
entretien à propos de Flaubert, Magazine Littéraire, sept
2001) : " Ecrire cest résoudre cette énigme intellectuelle
quest lincipit, avoir sa chute et faire quil y ait entre les deux
quelque chose qui nest pas nimporte quoi. "
Cest évidemment réducteur car il sagit dune phrase puisée dans ce
long article du Magazine Littéraire. Et la phrase est lapidaire, laisse à penser
quun livre ne serait quun espace de remplissage même sans
" nimporte quoi ". Cela laisse à penser également que
lincipit et la chute sont déterminés (" mais surtout, jai prévu
la chute ", " pour le reste, javais le texte de ma première
phrase dans la toponymie qui na pas bougé depuis le tout premier jet ").
Pourtant larticle est tout le contraire dune réduction, cest une
formidable plongée dans le mécanisme décrire de Pierre Michon qui précise que
les premières pages de La Grande Beune, par exemple, nont cessé de bouger
et quil " appartient à la famille des écrivains qui ont besoin de se
sentir tirés par quelque chose qui na pas été écrit avant, qui na pas
été décidé ". Donc, pas de plan, pas de scénario. Mais reste lincipit
et la chute déterminés, même si remodelés.
Dans un dernier récit, jai déplacé lincipit pour des raisons de
temporalité (je voulais un récit parfaitement linéaire) et la chute, oui, je la
" sentais " dune certaine façon. En fait, tout prend corps avec
le récit, pour former cohérence (corps, errance ?). Quand, comme Pierre Michon, on
donne la part belle à des " vies minuscules ", donc banalement
prévisibles, la chute simpose et ne peut être que labsence
dextraordinaire des gens ordinaires. Et cest lespace entre une première
phrase quon nommera incipit et une dernière phrase quon nommera chute qui
sera non pas " nimporte quoi " mais justement extraordinaire,
hallucinatoire au point de borner entre cet incipit et cette chute, un livre, un objet,
travail de lécrivain. Cest ainsi que je comprends larticle de Pierre
Michon.
(23/01/2002)
Le fameux questionnaire de Proust ! On
la tous fait, on sait que nos réponses varient dans le temps. Feuilles de route est
un peu comme le questionnaire de Proust avec ses questions qui reviennent chaque semaine :
note de lecture ? décriture ? quest-ce qui vous a étonné ?
Le questionnaire de Proust lui, se termine toujours par votre devise favorite ou votre
proverbe préféré (ou encore " Your favourite motto " comme
dans lalbum dAntoinette Faure complété par lécrivain entre 1884 et
1887). On peut citer aussi la " phrase du jour " et hebdomadaire de
François Bon dans Remue.Net qui dure depuis septembre 97 !
Bref, toute cette diversion pour dire que je me suis inventé une citation, devise, phrase
du jour, proverbe, my favourite motto, donc :
" entre le mot et la mort, il ny a quun " R "
de différence, cest juste lespace réèl quil me faut pour
respirer et vivre au pied de la lettre. "
And you, your favourite motto ?
(16/01/2002)
Mercredi 2 janvier 2002 fut une
journée faste : jai reçu par courrier les vux dun inconnu qui a
apprécié mon roman Central et jai découvert un peu plus tard sur le Net,
larticle de Serge Bonnery (Chantiers.org)
également sur Central.
On rougit devant tant de compliments. On est forcément heureux même si lon sent un
décalage entre ce qui est raconté et lobjet-livre quon a créé.
Pourquoi ? Ce nest pas de la fausse modestie : au contraire, devant
lécriture, on est orgueilleux comme un coq, on dresse ses ergots, on fait face et
on est fier.
Mais son propre livre raconté, apprécié, on se demande presque qui en est
lauteur, on aimerait le connaître, il nous semble tellement différent de ce
quil est dans la vie, parfois bête comme ses pieds, inculte, franchouillard. Quand
on me demande de parler de ce que jécris, je ne sais jamais quoi dire : selon
mon humeur, je rétorque que jécris des trucs chiants et compliqués, je men
tire par une pirouette en prétextant, soit que je suis comme cela, compliqué également,
soit que je suis tellement différent, plein dhumour et léger en face de mes
écrits parfois noirs et lourds.
Mais jamais je ne suis tant démuni quand il faut parler de Central (ou dun
autre écrit).
Dire quoi ? Cest lhistoire de
De quoi déjà ?
(Jai résolu le problème depuis longtemps avec lassociation des écrivains de
Haute-Marne en me plaçant lors de salons à côté dune collègue et nous vantons
chacun les livres de lautre !)
Pourtant, jaime ce lien pour moi indispensable entre celui qui écrit et celui qui
lit, mais quand jécris, je deviens lautre, le créateur dune sorte de
boule pâteuse, dune aberration de la nature, dune chose qui me dépasse en
regard de ce que jidéalise, un machin forcément toujours un peu à côté,
décalé, inracontable.
Du coup, on comprend Beckett qui a répondu laconiquement à la question
" pourquoi écrivez-vous ? " : Bon quà ça
Le
" ça " qui exprime le magma confus de lécriture et le
" bon " comme on se dit " bon, jai
fini
", une fois que les mots nous semblent pétris en forme de
(bon ?) pain
(09/01/2001)
René Fallet avait lhabitude de
dresser un bilan méthodique de lannée écoulée (Carnets de Jeunesse). Il y
décrivait dune façon comptable et précise ce quil avait écrit pendant
lannée, ce quil avait lu, les films quil avait vus, ses rencontres, ses
acquisitions
etc.
Ainsi, à sa manière, voici un bilan de 2001 qui sachève, mais plutôt
chronologique que thématique :
Janvier : morosité, il faut avaler le refus par léditeur de " Trottoirs et
potagers ", même si, à la réflexion, cela était pleinement justifié.
Février : Moral toujours plat, toutefois vie plus saine, histoire de vérifier le bon
adage : bien dans son corps, bien dans sa tête. Voyage en Guadeloupe et traces de Saint
John Perse.
Mars : " Un dernier soir ", nouvelle à la manière de Raymond Carver,
paraît chez Inventaire-Invention. De quoi se requinquer mais un commentaire imbécile
glané sur le net me laisse aux trente-sixième dessous.
Avril : Ménages de printemps : refait mon site Feuilles de route et la chambre de ma
fille. Visite à la CGT à Montreuil. Commencé une nouvelle " Vers Aubervilliers
" et " Composants " un texte à partir dun catalogue de
fournitures industrielles.
Mai : Moral en hausse, on bosse, on bosse
Ecriture épurée, bonhomme amaigri de 8
kg. Tout va bien. Salon des écrivains de Haute-Marne à Joinville.
Juin : Tout va bien, ça se confirme : " Vers Aubervilliers " accepté et
apprécié par Inventaire-Invention avec à la clé un petit livre pour octobre, pour moi
qui navait rien de palpable pour 2001, cest la joie. Visite de lexpo Brouillons
décrivains à la BNF. On continue " Composants " à un rythme
soutenu.
Juillet : été, tranquillité, boulot : " Composants " avance bien et
prend la tournure dun roman.
Août : Voyage en Italie, Venise, Ravenne et repos. Grande forme. On rêve à un autre
voyage pour novembre.
Septembre : Rentrée des classes, devoirs avec les enfants, champignons les mercredis
matins (pas grand chose cette année). Les avions tombent du ciel, le monde bouillonne, on
reste égoïstement joyeux dans un nouveau bureau aménagé dans la maison.
Octobre : Joie ! Joie ! " Composants " est accepté par Fayard, parution
projetée dans un an. Mois chargé : forte implication dans Lire en fête, parution de
" Vers Aubervilliers ". On sinitie à la lecture publique. Acheté
un violon à ma fille, un nouvel ordinateur. Ecrit une nouvelle " Mercredi
" (sur Remue.net).
Novembre : 150 ans après Flaubert et Maxime Du Camp, voyage en Egypte : merveilleux !
Décembre : Corrections régulières et matinales de " Composants "
dernier chapitre à revoir entierement. Noël à Mont de Marsan : pluies verglaçantes,
froid et foie gras. Quittons lannée le cur gai et vive 2002 !
(01/01/2002)
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