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Notes d'écriture
La réforme des retraites, cétait prévisible, menace
dêtre houleuse. A la veille où la manie française de descendre dans la rue
reprend du service, il est bon de se rappeler ce que disait Pierre Viansson-Ponté dans Le
Monde, deux mois avant Mai 68, dans un article intitulé « La France
s'ennuie », lui-même faisant référence à une expression du poète Lamartine
après la révolution de 1830, « La France est une nation qui s'ennuie ».
Avons-nous vraiment changé ? Il suffit de remplacer dans l'article Vietnam par
Ukraine, les morts au Biafra par les migrants noyés, télévision par réseaux sociaux,
ainsi apparaît, réactualisée 55 ans plus tard, les préoccupations d«une petite
France presque réduite à lHexagone ».
« Ce qui caractérise actuellement notre vie publique, cest lennui. Les
Français sennuient. Ils ne participent ni de près ni de loin aux grandes
convulsions qui secouent le monde, la guerre du Vietnam les émeut, certes, mais elle ne
les touche pas vraiment. Invités à réunir « un milliard pour le Vietnam », 20 francs
par tête, 33 francs par adulte, ils sont, après plus dun an de collectes, bien
loin du compte. Dailleurs, à lexception de quelques engagés dun côté
ou de lautre, tous, du premier dentre eux au dernier, voient cette guerre avec
les mêmes yeux, ou à peu près. Le conflit du Moyen-Orient a provoqué une petite
fièvre au début de lété dernier : la chevauchée héroïque remuait des
réactions viscérales, des sentiments et des opinions ; en six jours, laccès
était terminé.
Les guérillas dAmérique latine et leffervescence cubaine ont été, un
temps, à la mode; elles ne sont plus guère quun sujet de travaux pratiques pour
sociologues de gauche et lobjet de motions pour intellectuels. Cinq cent mille morts
peut-être en Indonésie, cinquante mille tués au Biafra, un coup dEtat en Grèce,
les expulsions du Kenya, lapartheid sud-africain, les tensions en Inde : ce
nest guère que la monnaie quotidienne de linformation. La crise des partis
communistes et la révolution culturelle chinoise semblent équilibrer le malaise noir aux
Etats-Unis et les difficultés anglaises.
De toute façon, ce sont leurs affaires, pas les nôtres. Rien de tout cela ne nous
atteint directement : dailleurs la télévision nous répète au moins trois fois
chaque soir que la France est en paix pour la première fois depuis bientôt trente ans et
quelle nest ni impliquée ni concernée nulle part dans le monde.
La jeunesse sennuie. Les étudiants manifestent, bougent, se battent en Espagne, en
Italie, en Belgique, en Algérie, au Japon, en Amérique, en Egypte, en Allemagne, en
Pologne même. Ils ont limpression quils ont des conquêtes à entreprendre,
une protestation à faire entendre, au moins un sentiment de labsurde à opposer à
labsurdité, les étudiants français se préoccupent de savoir si les filles de
Nanterre et dAntony pourront accéder librement aux chambres des garçons,
conception malgré tout limitée des droits de lhomme.
Quant aux jeunes ouvriers, ils cherchent du travail et nen trouvent pas. Les
empoignades, les homélies et les apostrophes des hommes politiques de tout bord
paraissent à tous ces jeunes, au mieux plutôt comiques, au pire tout à fait inutiles,
presque toujours incompréhensibles. Heureusement, la télévision est là pour détourner
lattention vers les vrais problèmes : létat du compte en banque de Killy,
lencombrement des autoroutes, le tiercé, qui continue davoir le dimanche soir
priorité sur toutes les antennes de France.
Le général de Gaulle sennuie. Il sétait bien juré de ne plus inaugurer les
chrysanthèmes et il continue daller, officiel et bonhomme, du Salon de
lagriculture à la Foire de Lyon. Que faire dautre? Il sefforce parfois,
sans grand succès, de dramatiser la vie quotidienne en sexagérant à haute voix
les dangers extérieurs et les périls intérieurs. A voix basse, il soupire de
découragement devant » la vachardise « de ses compatriotes, qui, pourtant, sen
sont remis à lui une fois pour toutes. Ce qui fait dailleurs que la télévision ne
manque pas une occasion de rappeler que le gouvernement est stable pour la première fois
depuis un siècle.
Seuls quelques centaines de milliers de Français ne sennuient pas : chômeurs,
jeunes sans emploi, petits paysans écrasés par le progrès, victimes de la nécessaire
concentration et de la concurrence de plus en plus rude, vieillards plus ou moins
abandonnés de tous. Ceux-là sont si absorbés par leurs soucis quils nont
pas le temps de sennuyer, ni dailleurs le cur à manifester et à
sagiter. Et ils ennuient tout le monde. La télévision, qui est faite pour
distraire, ne parle pas assez deux. Aussi le calme règne-t-il.
La réplique, bien sûr, est facile : cest peut-être cela quon appelle, pour
un peuple, le bonheur. Devrait-on regretter les guerres, les crises, les grèves ? Seuls
ceux qui ne rêvent que plaies et bosses, bouleversements et désordres, se plaignent de
la paix, de la stabilité, du calme social.
Largument est fort. Aux pires moments des drames dIndochine et
dAlgérie, à lépoque des gouvernements à secousses qui défilaient comme
les images du kaléidoscope, au temps où la classe ouvrière devait arracher la moindre
concession par la menace et la force, il ny avait pas lieu dêtre
particulièrement fier de la France. Mais ny a-t-il vraiment pas dautre choix
quentre lapathie et lincohérence, entre limmobilité et la
tempête ? Et puis, de toute façon, les bons sentiments ne dissipent pas lennui,
ils contribueraient plutôt à laccroître.
Cet état de mélancolie devrait normalement servir lopposition. Les Français ont
souvent montré quils aimaient le changement pour le changement, quoi quil
puisse leur en coûter. Un pouvoir de gauche serait-il plus gai que lactuel régime
? La tentation sera sans doute de plus en plus grande, au fil des années, dessayer,
simplement pour voir, comme au poker. Lagitation passée, on risque de retrouver la
même atmosphère pesante, stérilisante aussi.
On ne construit rien sans enthousiasme. Le vrai but de la politique nest pas
dadministrer le moins mal possible le bien commun, de réaliser quelques progrès ou
au moins de ne pas les empêcher, dexprimer en lois et décrets lévolution
inévitable. Au niveau le plus élevé, il est de conduire un peuple, de lui ouvrir des
horizons, de susciter des élans, même sil doit y avoir un peu de bousculade, des
réactions imprudentes.
Dans une petite France presque réduite à lHexagone, qui nest pas vraiment
malheureuse ni vraiment prospère, en paix avec tout le monde, sans grande prise sur les
événements mondiaux, lardeur et limagination sont aussi nécessaires que le
bien-être et lexpansion. Ce nest certes pas facile. Limpératif vaut
dailleurs pour lopposition autant que pour le pouvoir. Sil nest
pas satisfait, lanesthésie risque de provoquer la consomption. Et à la limite,
cela sest vu, un pays peut aussi périr dennui. »
Pierre Viansson-Ponté, « La France sennuie », Le Monde, 15 mars
1968.
(18/01/2023)
2022 aura été une année de
publication pour moi avec Dernier travail. Ceci dit les années sans édition sont
plus rares que les années avec. Si je fais le compte depuis 2000 et mes 2 premiers romans
cette année-là, seuls, me semble-t-il, 2003, 2006 et 2013 auront été vierges de
parution. Toutes les autres années auront été occupées par des publications de
nouvelles, des éditions en poche, numériques, des participations à des ouvrages
collectifs, des rééditions augmentées ou des travaux universitaires, lorsque ma thèse
était encore en cours. Ma bibliographie doit approcher une trentaine dopus divers
et variés, ce qui double presque la liste « officielle » de mes romans.
Et 2023 alors, année sans rien ? Peut-être, si on excepte le travail en cours, le
roman au nom de code J, qui avance tranquillement et (jespère) sûrement. Ce
travail cependant restera dans lombre, et aucune publication nest prévue dans
les prochains mois, mais sait-on jamais ? Lannée nouvelle sera en revanche (je
lespère fortement aussi) lannée de sortie de ladaptation dIls
désertent au cinéma. Car le film existe : il est magnifique. Jespère
donner des nouvelles très bientôt.
(04/01/2023)
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