depuis septembre 2000
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Notes d'écriture
Nom de code DT, vieille habitude de nommer ce livre avant
quil ne paraisse et révèle son titre : voici donc Dernier travail. Et
comme dhabitude, je créée une page spéciale dévolue à ce nouveau titre qui
paraitra pour la rentrée littéraire de septembre. Cest mon 15ème roman
(15ème et demi, si je prends en compte la réédition
« prolongée » de La Réserve, lannée passée) et le 13ème
sous la bannière Fayard, mais ma bibliographie est fluctuante, ce nest que la part
individuelle de mes livres. Si jintègre les ouvrages collectifs, les projets, la
nouvelle dInventaire-Invention, maison aujourdhui disparue, je dois
approcher ou dépasser la vingtaine de titres. Le nombre importe peu et grand étonnement
de ne pas avoir vu filer les 22 ans qui séparent mes deux toutes premières parutions de
celle-ci. Dire que jai commencé à publier avec des livres en francs ! (en
nouveau, tout de même
)
Dernier travail est un roman daspect classique, si on considère que la norme
dun livre est denviron 250 pages (ici, exactement 255 pages). On est loin du
précédent Yougoslave avec ses 559 pages en grand format (qui aurait donc
approché les 800 pages dans le format de DT). En même temps, il est important
pour moi, non pas deffacer, mais davancer dans lécriture après
lépreuve de ce vaste roman, dévolu à mon père, mais qui reste tristement
entaché par sa disparition, deux jours après lui avoir présenté « notre »
livre enfin fini. Hommage à lui : cela fera deux ans demain quil a
disparu
Donc Dernier travail, écrit rapidement, où plutôt commencé en Sicile le 19
juillet 2021, et terminé dans ma maison le 11 février dernier. Ce nétait pas
gagné, car les nombreuses occupations et imprévus auxquels jai dû faire face à
partir de lautomne précédent mont fait me retrouver à Noël avec moins de
la moitié de louvrage écrit pour une parution déjà décidée en septembre 2022,
ce qui mimposait de lavoir terminé avant mars. Mission accomplie, mais du
coup, seulement 3 notes décriture dans F de R témoignent du work in progress.
La suite désormais ne mappartient plus vraiment, même si je ne rechigne pas de le
présenter (je devrais dire que jadore ça en fait !) à tout un chacun,
libraires, professionnels du livre, journalistes et surtout lecteurs, bien entendu, en
premier plan. Grande fierté aussi à le montrer comme un très bel objet avec sa couleur
bleue, sa quatrième de couverture que je trouve intrigante. Les « seuils » du
livre, comme disait Gérard Genette, sont aussi important pour générer le fameux
« plaisir du texte », cher à Roland Barthes
(13/06/2022)
Ateliers décriture, le retour : voici la nouvelle
session de printemps, organisée par la bibliothèque départementale de la Meuse.
Lannée précédente, javais animé deux ateliers à Bar-le-Duc, lun dans la très belle
médiathèque de la ville et lautre au Centre social de la Côte Ste Catherine. Je
garde un excellent souvenir de ces deux expériences, moccuper de personnes
« éloignées de lécrit », comme on dit, mavait littéralement
vidé la tête des quelques problèmes ardus que je connaissais alors. Il faisait beau, on
portait des masques, on attendait lété dans loubli espéré de la pandémie,
mais rien ne pouvait nous éloigner du dynamisme et de la convivialité que provoque
lagencement des mots.
Jétais disposé à renouveler lexpérience, mais je voyais mon planning qui
se remplissait sans avoir de perspectives précises. Il y a deux semaines, on ma
proposé danimer deux groupes à la médiathèque de Verdun. Les séances déjà
étaient constituées : six sessions, deux chaque mercredi et jeudi après-midi
pendant trois semaines de suite : du rapide ! Par chance, les dates collaient
bien à mon calendrier, même si je sais que jaurais peu de temps pour peaufiner et
récolter les textes. Et puis Verdun, cest 160 km aller et retour, pas de train,
heureusement que jai lâme dun commis-voyageur. Lagenda, maintenant, est plein comme un uf (il
y manque les trucs « perso », les réunions associatives et choses diverses,
pas loin de doubler les rendez-vous).
En parlant datelier décriture, celui
de Saint-Dizier, terminé depuis janvier et qui figure toujours en page
daccueil, va se conclure mardi 28 juin, par une restitution officielle de cette
action où le très beau texte élaboré par les participants leur sera remis.
(23/05/2022)
Après le très beau projet Instants
Handball, dont lélaboration et les prolongements ont été fastueux, voici Instants
cuisine qui se concrétise avec une première exposition dans les Ardennes à
Donchery, dans un pôle culturel tout neuf, magnifique et spacieux. Tout cela, je le dois
à Alain Delatour, mon
complice peintre, qui me lance des défis picturaux et auxquels je dois répondre par
quelques écrits en rapport.
Nous avons ainsi continué ces jeux déchanges, initiés avec le handball, à
travers la cuisine, lidée étant, comme précédemment de faire cohabiter trois
activités dont le rapport ne coule pas de source à priori. Mêler sport, peinture et
écriture était déjà un challenge, et, de même, enchevêtrer art des lettres,
culinaire ou pictural participe de la même dynamique. Car la confrontation entre ces
trois activités distinctes nest pas évidente. Autant pour Instants Handball,
lexistant entre sport, peinture et écriture était peu marqué (quelques beaux
livres de photos, des textes anecdotiques ou des romans, des essais, mais peu de
mélange), tout restait donc à inventer, autant pour la cuisine on se heurte à des
schémas de pensées très normatifs : livres de cuisine avec photos appétissantes
et texte réduit à lélaboration dune recette
Or, lorsquon
interroge tout un chacun sur son rapport à la cuisine, ce qui vient en premier, ce sont,
non pas des recettes, mais des anecdotes, souvenirs dun plat réussi ou raté,
diners fabuleux
etc. Ainsi, notre idée est de proposer, non pas un énième livre de
recettes, mais au contraire, de détourner les plats selon nos inspirations. A
labstraction proposée par Alain, je réponds par des circonstances, des souvenirs,
des poèmes. Ceux qui chercheront des idées de plats devront faire preuve
dimagination : mais cest justement le sel dune cuisine réussie.
Pour linstant, le livre Instants cuisine nexiste pas, même si la
maison dédition (Le livre dart) est déjà retenue : avis donc aux
mécènes et autres sponsors intéressés par notre projet.
En revanche, comme pour Instants handball où nous avions commencé par une
exposition à Voiron, notre projet enfin se concrétise grâce à de très beaux panneaux
où Alain a recopié ma prose sous ses peintures : on est donc dans un art scriptural
total. Le lieu dexposition, à Donchery, est très beau et nos tableaux sont très
bien mis en valeur. Charlotte qui gère le lieu depuis septembre avec dynamisme et
enthousiasme, accueillera les visiteurs avec plaisir jusquà début juillet aux
heures douverture de la médiathèque qui jouxte la salle dexposition : 7
heures par jour du mardi au samedi, vous avez le choix (à titre de comparaison ma ville
qui compte dix fois plus dhabitants et dix fois plus demployés ouvre
seulement 24 heures dans la semaine).
Le vernissage a eu lieu vendredi 13 (nous ne reculons devant aucune superstition) :
présence du maire, des adjoints, public fourni et au préalable 3 classes ont visité
notre exposition : photos en Webcam. Jai aussi présenté mes livres et, en
primeur, la couverture du prochain.
(16/05/2022)
Châteaux, mais dabord hôtel, celui de la Villa
Modigliani dans laquelle se tenait la réunion des représentants de ma maison
dédition. Ainsi, à peine le temps de revenir de Belgique, me voici reparti à
Paris pour la bonne cause avec la parution de DT en septembre et jai grand
plaisir de retrouver des visages connus, dont certains étaient déjà présents lors de
la parution de mon premier livre, Central, 22 ans auparavant. Ça change de
lexercice obligé de la petite vidéo damateur que javais dû réaliser
deux ans auparavant pour Yougoslave, confinement oblige.
Un petit retour rapide en train à la maison avant de repartir deux jours plus tard à
Paris récupérer ma voiture laissée sur place pour un week-end riche de deux rencontres.
Mais cest sans compter une grève inopinée de la SNCF dans ma région : deux
jours sans aucune circulation à partir de ma ville, obligé de blablacarder pour me
rendre à 70 km de là et espérer une locomotive. Moi qui prenais déjà rarement le
train, parce que rien nest fiable pour notre compagnie nationale qui délaisse des
pans entiers de réseaux, me voici encore plus conforté dans mes résolutions
Enfin, voici le week-end de châteaux qui sannonce.
Le premier est à Avaray, commune du Loir et Cher. Ancienne résidence des ducs du
village, ce château, entouré de douves et dont la base date du XIIIème siècle, à
été modernisé au XVIIIème siècle, et même après, si on intègre dans le périmètre
les tours proches de la centrale nucléaire de Saint-Laurent. Demeure désormais privée,
la noblesse a fait place à un syndicat de copropriétaires du tiers-état (un tiers état
plutôt bourgeois, il y avait une Rolls-Royce garée dans la cour). Christophe Pittet, qui
est lun des habitants, my accueille pour une journée de réflexion sur le
thème du travail. Je serai accompagné dun autre écrivain, Thomas Coppey, auteur
de Potentiel du sinistre (en Notes de lecture) et de Baptiste Rappin, universitaire
et spécialiste du management. Le cadre et les échanges dans ce lieu dexception
rappellent à moindre échelle les colloques de Cerisy, où javais eu la chance
dêtre invité (voir note
décriture du 04/07/2016). Ambiance conviviale et sympathique, repas pris en
commun, ce qui nexclut pas la profondeur des échanges. Tout cela a eu lieu dans le
vaste appartement de Christophe, situé sous les combles et qui traverse le château sur
sa façade la plus longue. Avec la magnifique charpente visible sous nos têtes, nous
étions dans le
ventre de la baleine.
Mais, le lendemain, départ de bonne heure pour traverser à nouveau la France, 500 km à
accomplir jusquen Moselle, à Uckange où lassociation Des mots et débats fêtait
(façon de parler) les trente ans de larrêt des hauts-fourneaux. Devenus lieux de
pèlerinage depuis, ce château métallique se visite en souvenir de ceux qui y ont
travaillé. Là encore, cest une sorte de château érigé pour les ouvriers du
tiers état. Son ombre était présente derrière nous lors de la table ronde très bien
organisée et animée et qui a réuni Florence Aubenas, auteure du très remarqué Le
quai de Ouistreham, récemment adapté au cinéma, Denis Maillard, conseiller en
relations sociales, Jean-Louis Malys de la CFDT et moi-même. Très heureux davoir
revu à cette occasion Anne-Marie, libraire enthousiaste dAutour du monde à
Metz, que javais connu aux Sandales dEmpédocle à Besançon et suivi
dans ses pérégrinations à Niort à La Librairie des Halles.
(06/05/2022)
Règne littéraire : on pourrait imaginer la chose écrite
de la même manière que les animaux et les végétaux, une sorte dordre cosmique,
préexistant sur terre. Bien sûr, il y a eu lintervention de lhomme, mais
peut-être que le règne littéraire qui en découle ne devrait son apparition parce que
lêtre humain était là, comme une sorte de condition nécessaire et suffisante, de
la même manière que les deux autres règnes, lanimal et le végétal
nauraient pu éclore sans leau, ni lair. Imaginer ainsi un règne
littéraire en son existence propre est un objet détude assez étonnant. Chaque
écrit se suffit à lui-même comme une plante enfermée dans un herbier ou un mammifère
naturalisé. Bien sûr, lexamen pourrait remonter aux prémices de lécriture,
cunéiformes, hiéroglyphes, alphabets, idéogrammes et autres manifestations écrites,
sappesantir sur les supports, le parchemin, les tablettes dargiles, les
manuscrits de la Mer Morte, le papier, le support numérique
Revenir sur les
inventions, Gutenberg, Internet, SMS
Nos bibliothèques seraient semblables à des
serres exotiques ou à des muséums dhistoire naturelle. Nos librairies seraient
comme des jardineries ou des animaleries. Nos maisons déditions égaleraient des
fermes délevage ou des exploitations agricoles. Tout cela, oui, constituerait des
approfondissements essentiels. Mais surtout, à étudier ainsi lécriture sous la
forme dun règne littéraire indépendant, disparaitrait enfin celui qui la
conçu, lécrivain et son insupportable ego, sa postérité de pacotille et tous les
artifices qui gravitent autour du maigre petit carré de feuilles quil a conçu,
seule manifestation digne dintérêt.
(11/04/2022)
Perspectives, en synonyme de projets, intentions,
programmes : tout ce qui se met en place en ce début dannée concernant la
chose littéraire qui me concerne. Pour la variété des choix, on devrait plutôt parler
de vues en perspectives, trois dimensions et plus. Bien-sûr le livre en préparation
(nous en sommes au choix de la couverture, de largumentaire, quelques questions pour
le catalogue de parution (on dit booklet dans la profession), tout sachemine
à mon insu, ou plutôt, la machine est lancée. Mais le printemps est aussi le moment où
les projets déjà prévus se concrétisent, où dautres sannoncent.
Dans les choses déjà prévues, il y a une journée entière de réflexion sur le thème
du travail samedi 30 avril à Avaray (à côté dOrléans), organisée par le
« tiers lieu culturel » Dans le ventre de la baleine et dont le programme est
désormais défini : jinterviendrai en bonne compagnie, avec Thomas Coppey, qui
a écrit Potentiel du sinistre (Acte Sud, 2013) et Baptiste Rappin, enseignant et
philosophe, spécialiste du management.
Pas le temps de me reposer, je quitte la Sologne et fonce en Moselle, où le lendemain, 1er
Mai, on fête les 30 ans dusine à Uckange, jinterviendrai pour une table
ronde laprès-midi, toujours sur le thème du travail.
Tant quon est sur ce thème qui décidément marquera mon année, moi qui suis
désormais hors champ du boulot, je viens daccepter une journée prévue en novembre
sur « écrire et dire le travail », en région Hauts de France. Cest
organisé par le Centre de
Recherche et dInnovation Artistique et Culturelle du monde du travail, le tout
reste à préciser.
En revanche, ce qui est certain, cest que les rencontres
philosophiques de ma ville natale à Langres, patrie de Diderot, auront lieu du 7 au 9
octobre 2022, et auront pour thème le travail. Jy serai bien-sûr, et pas seulement
en tant que régional de létape. Tout cela vient juste dêtre prévu.
Bref, pas le temps de mennuyer (il faudra aussi que je pense à évoquer dans F
de R le Club service dont je suis président encore pour quelques mois, avant
dendosser dautres responsabilités - les dernières actions se profilent,
sy rajoute lurgence de laide aux ukrainiens, comme pour toutes les
associations humanitaires).
Les ateliers d'écriture dans la région de Bar-le-Duc sont également en programmation
pour la fin du printemps. Idem pour l'atelier de Saint-Dizier dont il me reste à
finaliser la restitution, avec le beau livre en fabrication à ce jour.
Il reste aussi un projet qui « nous » tient à cur avec lami peintre Alain Delatour,
qui a remarquablement uvré pour notre projet Instant cuisine : une expo
et des animations devraient se tenir dans divers lieux. Ça devrait déborder largement
dans le deuxième semestre. Désolé pour une programmation rapide à la fondation Louis
Vuitton, nous devrions être pris jusquen 2023 au minimum.
Jajoute un dernier projet qui se termine : dans deux jours, je vais découvrir
à Paris le fameux
fim tiré de mon roman Ils désertent
A suivre.
(20/03/2022)
Note décriture de René Fallet (Journal
de 5 à 7, 21/12/1966) :
« Écrit Charleston [Denoël, 1967] en 23 jours. Cest mon rythme, ma
frénésie. Je ne serais pas chez moi dans une histoire sil me fallait
lécrire en trois ou six mois. Alors quen trois semaines, un mois, je suis
hanté, violé, amoureux. Les amoureux savent tout un versant du fait
décrire : lobsession.
Je suis entré dans Charleston avec la peur, comme dans une arène. Écrivant comme
un dingue, un furieux, jai mieux compris, ce coup-là, la grandeur de
lécrivain, sil en a une, et pourquoi pas ? Tant de patience, de rage, de
sérieux, dabnégation (pas baisé, pas sorti, pas rigolé pendant un mois) pour une
chose dont on vous dira : « Oui, cest pas mal
» Écrivains je
vous admire autant je madmire, nous sommes quelques-uns à ne pas avoir écrit Les
Neiges du Kilimandjaro [nouvelle dErnest
Hemingway, 1936, traduite en français en 1957]. Quelle solitude que
lécriture ! On ne vit, durant des semaines, quavec des ombres qui sont
vous, et plus réelles que les vrais corps des vraies vies qui passent dans la rue.
Jétais étonné, en sortant de chez moi, dépaysé. Je quittais tout à coup le
Londres que je me racontais. En écrivant un livre avec cet acharnement, passant sur tout,
fatigue, doutes, repas, sommeil, je dois perdre un an de vie. Tant pis. Mais putain, que
de fois ai-je dû écrire depuis mon premier roman, « Il dit », « Il
sourit », etc.
On se copie, on se répète. »
(08/03/2022)
Quelques extraits du Journal
de 5 à 7, de René Fallet (en fait, pas seulement « quelques »,
tellement cest beau
) :
23/10/1963 :
Ils sont tous « hommes de lettres ». Je me considère moi, comme un
« enfant de lettres ».
19/12/1963 :
- Quelle est votre occupation favorite ?
- Loccupation allemande.
11/02/1964 :
Je commence Paris au mois daoût, roman tout à fait populiste, où le minable,
quand même, à la fin, deviendra Perdican.
05/03/1964 :
Point final de Paris au mois daoût. Je pose immédiatement La
Marseillaise sur le pick-up pour célébrer lévènement. Ensuite, pris de
remords, je retourne le disque pour entendre LInternationale. Je mets toutes
les chances de mon côté.
27/10/1964 :
- Cest un écrivain engagé.
- Dans les Zouaves ?
20/11/1964 :
Lécrivain ne devrait servir quà gueuler au nom des autres. Cest là
son véritable sens, son utilité.
22/11/1964 :
On me dit avec gourmandise en parlant de lhéroïne de Paris au mois daoût :
« Pat !
Ah, Pat
». Si je connaissais Pat, mes bons amis, je ne
serais pas là.
29/11/1964 :
Le pédagogue est, étymologiquement, celui qui se rend à pied aux cabinets.
8/12/1964 :
Fini. Mes nerfs se détendent comme de vieux élastiques, je souffle en accordéon tombé
du premier étage. Fallet, 6 voix, Tortillard, 5. Jai donc à 37 ans cet Interallié
que mes vingt ans méritaient pour Banlieue Sud-Est. [Tortillard
désigne lécrivain Paul Tillard également en lice pour le prix]
10/12/1964 :
Mes projets : onze romans, Paris au mois de janvier, Paris au mois de février,
Paris au mois de mars, etc.
02/02/1965 :
Il y a deux sortes de littératures, lennuyeuse et lautre. On me passionnerait
si on mentretenait avec primesaut de la fabrication des verres de lampes en
Tchécoslovaquie. Si mes romans ont ennuyé quelquun, je lui demande pardon,
cest quils nont pas atteint leur but.
03/09/1965 :
Vers la préfecture de Police, plaques commémoratives diverses :
- Ici est tombé Machin, le 24 août 1944.
- Ici est tombé Chose, le 24 août 1944.
La chaussée devait être rudement glissante, ce jour-là.
29/01/1966 :
Nous ne nous embrassons plus guère, Agathe et moi. En revanche, cest à qui
couvrira Ulysse qui a horreur de ça de baisers. Nous nous embrassons par
chat interposé.
03/10/1966 :
Plaque au premier étage dun restaurant, place de la République :
« Défense de monter sur la marquise. »
07/07/1967 :
Le nouveau roman a permis à ceux qui navaient rien à dire de pouvoir enfin
sexprimer.
22/10/1967 :
Mort de Marcel Aymé. Le 12/2/66 je lui avait serré la main. Il était temps. Il peut
partir tranquille.
30/11/1967 :
Je nai pas une très belle âme, cest vrai, mais la vie est si courte.
13/02/1968 :
Le chat Ulysse, qui navait dormi auprès de moi que pendant la nuit de
lInterallié, est revenu coucher contre moi les deux nuits qui ont suivi la mort de
ma mère. Parlez toujours de coïncidence, si cela vous amuse.
12/06/1968 Thionne :
Ce mois, il y a vingt et un ans que paraissait Banlieue Sud-Est. Jai quarante
ans. Je suis triste à mort. Je nai rien que le pernod. Personne à qui parler, sauf
lui.
12/09/1968 :
Agathe boit son thé avec force petits bruits et autres reniflements. Je me
dis : « Elle pleure. »
Non, elle se bourre de tartines.
25/12/1968 :
Ce soir, Noël des Vieux, Noël des Orphelins et autres Noëls accablants.
Ce soir, ma mère réveillonnera sous quatre pieds de terre.
Ce soir, on boit avec Georges, quand même, le champagne des vieux copains.
15/03/1969 :
Georges, à une heure du matin, saffirme gaulliste. Je me dis, sil est
gaulliste, cest quon est bourrés. On létait.
22/10/1969 :
Nous autres, on ne se suicide pas. On écrit.
19/01/1970 :
Le roman psychologique, ce nest pas difficile. Tout embrouiller, se contredire, se
répéter. Je suis un Proust à létat sauvage.
18/10/1970 :
Je suis anar de gauche à droite, tendance essuie-glaces.
22/12/1970 :
Ma chérie, je temmène à Venise. Tu rameras.
25/12/1970 :
Agathe, au lieu de passer sa vie à mes pieds, la passe à mépier.
31/12/1970 :
Vie quotidienne. Je bougonne comme tout écrivain français.
01/03/1971 :
Je mélancolise. Je plaisante lAssociation des Anciens Alcooliques. Je vais
fonder celle des Nouveaux.
30/11/1971 :
On ne devient pas adulte, on devient vieux. Nuance.
17/01/1972 :
Je penche à droite, mais baise à gauche.
24/02/1972 :
La mie ne vaut rien. On gagne sa croute, jamais sa mie.
28/04/1973 :
Il est temps de penser à mes uvres posthumes. Notre vie nest quun
intermerde.
05/02/1974 :
Au restaurant, je suis toujours, comme en amour, le dernier servi.
25/02/1975 :
Brassens me dit que je marche entre deux fesses comme entre deux gendarmes.
18/09/1975 :
Aimer, ce nest pas seulement aimer, cest aimer trop.
20/12/1975 :
Oui, les hommes sont égoïstes. Ils ne pensent quà elles.
12/02/1978 :
Je ne suis pas légoïste dont veut bien parler Agathe. Je suis simplement un peu
dur au mal des autres. Tout comme eux.
12/01/1979 :
Les vieux écrivains, comme les vieilles putes, ont encore leur petite clientèle.
26/12/1979 :
Mon neveu Gérard me prédit un cancer des broches. Je le revois quelques jours plus tard.
- Tu mavais promis un cancer des bronches ?
- Oui.
- Tu me las apporté ?
27/04/1980 :
Je nai plus, enfin, peur de vieillir. Cest fait.
12/09/1980 :
Nous avons eu peur de la vie. Jamais contents, nous avons aujourdhui peur de la
mort.
15/03/1981 :
Je ne fais pas de la littérature, je la vis hélas.
06/12/1981 :
Georges, tu ne mas pas enterré. Moi non plus. Il nous aura manqué que cela. Pas
grave.
18/12/1982 :
Les cimetières sont pleins de gens inutilisables.
Toute vie est ratée, puisquil faut la quitter.
24/01/1983 :
Pas facile à vivre, Fallet. Pas facile à mourir, non plus.
30/05/1983 :
Disque de Georges à la radio. Moi : « Oui vieux, jarrive. »
14/05/1983 :
Un rien de dérision sauve lhonneur de lhomme.
(01/03/2022)
Fin de DT, cest-à-dire fin de lécriture
en cours que jai répertoriée sous ce nom de code. Nom de code qui naura
peut-être aucun rapport avec le titre final, puisque cest sous un autre nom que
sachemine ce roman. Parution prévue pour septembre, nouvelles photos avec
linénarrable Richard Dumas, contacts serrés avec Fayard, tout cela se précise
pour mon plus grand bonheur et excitation.
Il y a peu, je ny croyais pas trop, javais pris un retard conséquent :
commencé le lundi 19 juillet en Sicile, les évènements et la bousculade imprévue dès
mon retour de vacances ne mont pas permis davancer au rythme tranquille et
serein que je prévoyais. Je me suis retrouvé après les fêtes de fin dannée,
exténué, et, en ayant levé la tête du guidon, je me suis aperçu que jétais à
moins de la moitié de la rédaction du livre début janvier, soit léquivalent
seulement dune centaine de pages.
Ainsi, le projet de renouer avec un roman du travail, élaboré et validé avec mon
éditrice risquait fort dêtre compromis pour la parution initialement prévue de
septembre, sachant que la rentrée littéraire dautomne impose une préparation bien
en amont des vacances dété. Jai bien essayé de négocier une remise du
manuscrit le plus tard possible, mais il ma fallu me rendre à
lévidence et ne pas aller au-delà de février. Il me restait ainsi moins de
deux mois pour terminer la chose, soit encore 150 pages à inventer et rédiger pour
obtenir la longueur classique dun roman. Ce qui imposait environ à
mastreindre à écrire au minimum 30 pages par semaine. Pour Yougoslave, il
est vrai que javais fourni leffort régulier dun minimum de 20 pages par
semaine pendant 20 mois. Cette fois-ci encore, jy suis arrivé plus tôt que prévu
et jai ainsi rendu ma copie vendredi 11 février, soit un mois pour écrire les 150
pages qui me restaient.
Je négale cependant pas René Fallet (dont je lis en ce moment le Journal de 5
à 7 tout juste paru), qui, pour sa part, avait commencé Paris au mois
daoût un 11 février (1964), mais qui lavait terminé le 5 mars, soit 23
jours pour écrire un roman de taille classique, donc à raison de dix à quinze pages par
jour sans trêve !
(22/02/2022)
Jusquà très récemment, jai craint de ne pas y
arriver. Lidée avait germé dans ma tête, poussée par mon éditrice qui aurait
bien aimé que je retrouve le thème du travail dans mon écriture. Même si je nai
jamais eu limpression de changer radicalement dinspiration : ainsi les
métiers de Rimbaud dans VPAR, les activités laborieuses des protagonistes de Yougoslave,
voire celles des 3 héros de Il se pourrait quun jour je disparaisse sans trace, ou
encore Journal de la canicule, mes derniers livres parlent aussi de boulot, job,
besogne. Mais il manquait probablement la dimension sociologique directe, bref,
létiquette « décrivain du travail » quon ma collé
dessus depuis mes débuts en écriture. Cela ne me gène pas, le thème du labeur est
récurrent chez moi, une source dinspiration et que ce soit RMS, Central, Ils
désertent, Composants, CV roman, tous ont été reconnus comme tels.
Seulement, encore faut-il un sujet. Or, en réfléchissant à la manière dont se sont
déroulées mes dernières années de labeur, je me suis aperçu que je ne les avais
jamais évoquées. Et quelques anecdotes me sont revenues, des souvenirs suffisamment
intrigants, interrogatifs pour ne pas les abandonner. Le livre promis a ainsi commencé à
me creuser les méninges, sous forme dun roman bien-sûr.
Jai donc commencé DT (son nom de code) le 19 juillet dernier en Sicile et
jai rédigé les premières pages, dans ce lieu et cette période qui ont toujours
été propices à linspiration. Le livre étant promis pour la rentrée
dautomne 2022, Je pensais mastreindre à une écriture régulière mais sans
plus. Le livre que jentrevoyais (que jentrevois toujours), na rien à
voir avec le précédent roman fleuve Yougoslave, cest donc sereinement que
jimaginais avoir devant moi un boulevard assez large décriture. Hélas, la
grande bousculade familiale, associative, diversifiée qui sest mise en place à
partir de septembre, a eu raison de cette perspective. Je nai pas pu aligner un seul
mot, tant mon emploi du temps a été compressé. Cest peu de dire que je
navais pas une heure à moi. Mon temps se comptait en minutes clairsemées et
volées au chaos. Jai eu un vague répit dà peine un mois avant que Noël ne
me rappelle la quinzaine désordonnée qui mattendait.
Bref, je me suis retrouvé la semaine dernière avec lobligation davancer
coûte que coûte si je veux respecter la publication actée en septembre prochain. La
parution dun livre en cette période impose dalerter les représentants de
léditeur, deffectuer le service de presse pour les journalistes largement
avant lété. Et il faut corriger le livre, choisir la couverture, les
argumentaires, fabriquer le bouquin
Pour toutes ces raisons, mon éditrice a réduit
mes prétentions dun mois, tandis que je proposais de remettre le bouquin terminé
fin mars. Me voici ainsi dans lobligation de terminer le tout en six semaines et,
comme le livre nest avancé que de moitié (au mieux), cest peu de dire que je
dois me coller à la « table de peine » (selon lexpression de
Saint-Bergounioux) pour réaliser au minimum 30 pages par semaines. Malgré tout, cela
avance (guère le choix) et je devrais pouvoir y arriver à cette perspective éditoriale
prévue pour lautomne 2022.
Car, ce quil y a de formidable et de très enthousiasmant, cest la manière
dont la machine de guerre éditoriale se met en marche : celui avec qui
je travaille depuis quinze ans ma appelé dans la foulée, lexcellent
photographe aussi, tout se met en place, simbrique dans laventure
éditoriale nouvelle.
(18/01/2022)
« Le camion est un
Berliet, un dix-neuf tonnes. Le capot proéminent et carré qui recouvre le moteur arrive
aux épaules de Léo lorsquil se tient debout à proximité, et les roues
impressionnantes, pneus de gomme noire entourant des jantes de tôle fixées par des
dizaines dénormes boulons, lui montent à la taille. Assis derrière le volant, il
est difficile de bien voir ce qui se cache à lavant, aussi, au bout des pare-chocs,
deux tiges flexibles sont surmontées chacune dune petite boule en liège, de la
dimension dune balle de ping-pong, recouverte dune couleur vive.
Lorsquelles bougent, cest quon a heurté un obstacle, un muret ou un
autre véhicule. Les manuvres sont toujours délicates. Le camion est peint en jaune
crème pimpant. A larrière de la cabine, le fourgon nest pas constitué du
châssis habituel en bois surmonté dune toile. Il est rigide et étanche, percé
douies pour assurer la ventilation des fromages. Ceux-ci sont refroidis par des
pains de glace que lon empile dans un frigo situé entre la cabine et lespace
de chargement. Un jour, une passante interpelle mon père : Vous avez une fuite à
votre camion. Et elle désigne la petite coulée deau aménagée sous la glacière,
qui évacue la fonte de la glace. [
]
Léo grimpe dans son camion toujours de la même manière : un pied sur le
marchepied, la main droite agrippée au montant de la portière, puis il jette sur la
banquette sa petite valise de carton bouilli qui contient sa trousse de toilette et
quelques affaires de rechange pour plusieurs jours, sassoit, saisit limmense
volant et fait un dernier signe en souriant. Son camion lemmène jusquau plus
profond des routes, jusquau centre des villes. [
]
Les trajets mènent toujours vers lOuest, la Normandie, lAquitaine, la
Bretagne. Des lieux reviennent souvent dans les conversations échangées entre Léo et
Yvette. Je rentrerai jeudi soir, je vais à Caen. Cette semaine, ce sera Agen. Je vais à
Bordeaux, à Nantes, à Rennes. Je pousse jusquà Quimper, je descends vers Limoges,
je remonte au Havre, je passe par Clermont-Ferrand. A force la géographie française lui
devient familière. Encore maintenant, Léo est capable de situer nimporte quel
endroit, dénumérer les étapes pour y arriver, dévoquer la beauté
pittoresque dun centre-ville ou la difficulté dy accéder avec un camion. Au
début cest un temps sans autoroute. Néanmoins, les routes les plus longues
aboutissent souvent à la mer ou à locéan : Brest, Cherbourg, La Rochelle
rappellent à Léo que la fuite va toujours vers lOuest, vers lOccident,
jusquà buter contre les vagues. A-t-il le temps de penser parfois, lorsquil
est ainsi stationné sur un parking devant un rivage, à ceux qui sont partis vers le
continent américain ? Sa famille de Backa Palanka vers les États-Unis ? Sa
tante Julia vers le Brésil ?
Un été, il memmène avec lui en Normandie. Le 14 juillet tombe au milieu de la
semaine, les dépôts sont fermés, on ne peut livrer le gruyère. Nous en profitons pour
visiter les plages du débarquement. Sur les parkings des touristes, je suis fier de
descendre dun camion. »
(Yougoslave, p. 496 à 498)

(08/01/2022)
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