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Notes de lecture
2009
100 monuments 100 écrivains éditions du patrimoine.
Cest un très beau livre, très lourd, très cher. Couverture magnifique,
multicolore, très chaude, rien à voir avec le sous titre austère de louvrage
«histoires de France ». Quand on louvre, on sent la colle de qualité à odeur
damande, on égrène les feuilles de lépaisseur dun buvard, on remarque
linsertion parfaite des photographies. Seule faute de goût (mais cest juste un
avis personnel) les textes sont alignés à gauche et laissent parfois une
impression de fouillis dans les pages. « Histoires de France », donc, au
pluriel, à travers cent monuments suivis par le Centre des Monuments Nationaux,
également commanditaire de louvrage. Cent écrivains pour les commenter dun
texte libre et cest pourquoi jen parle ici, puisque je suis lun deux. On
feuillette louvrage donc, classé par période, de lantiquité au XXI° siècle et
cest encore la meilleure manière de naviguer à travers ce patrimoine. On y
retrouve quelques promenades de vacances, alignement de Carnac ou Mont Saint
Michel, quelques sites parisiens qui font la joie des touristes comme lArc de
triomphe, on repère quelques manques (jaurais bien aimé trouver la Tour Eiffel,
par goût du symbole et les remparts de Langres, par chauvinisme avec ma ville
natale). On voyage surtout à travers toute la France vers une majorité de lieux
peu connus : qui connaît labbaye du Bec-Hellouin, dans lEure ? La villa Cavroy
dans le Nord ? Il a donc fallu relier ce choix éclectique avec un choix non
moins hétéroclite décrivains. Je voisine avec certains noms connus (Tiens ?
François Bon
Tiens ? Martine Sonnet
Tiens ? Robert Badinter
), cest une
grande fierté, un bon compagnonnage, une sorte de tour de France dartisans de
la plume et du clavier. Le monument que jai choisi dillustrer fait partie de
ce grand Est que je parcours souvent pour raison professionnelle : cest le
château de Coucy, dans lAisne. Et dailleurs, histoire dillustrer sans plus
attendre ma modeste participation, voici mon texte et
quelques photographies personnelles qui ne figurent pas dans ce bel ouvrage.
(28/12/2009)
Contact, de Cécile Portier, Seuil, collection
Déplacements.
Cest une histoire simple, banale, classique, quelque chose daussi
évident que Paris au mois daoût de René Fallet, lhistoire dune
rencontre et comment la vivre alors que le cur est déjà pris, une histoire
damour quoi. Et, autre point commun avec le roman de René Fallet, ça se passe
en été, pendant les vacances. Sauf que Henri Plantin, vendeur à la Samaritaine,
nest pas resté piéton de Paris pour rencontrer sa Patricia Seagrave, il sest
mué en automobiliste dans le livre de Cécile Portier. Et dailleurs pourquoi
dire « il », cest peut être « elle » aussi qui part ainsi en voiture loin de
Paris vers un destin improbable, celui dun sentiment établi ou vers une
promesse de bonheur. En effet, au bout des 669 kilomètres de ce trajet aux
chapitres marqués comme des bornes routières, le conducteur devra choisir entre
rejoindre un(e) amant(e) dans un hôtel ou rallier le lieu des vacances
familiales et des amours habituels. Incertitude donc, dés que le contact est mis
avec seul cet automobiliste équivoque, sans nom ni sexe, sorte dUlysse
aléatoire chevauchant la DS des Mythologies de Roland Barthes. En effet, comment
ignorer tout ce qui se bâtit autour du mythe de la voiture, car finalement,
cest à partir des choix que nous propose cette modernité que Cécile Portier
bâtit son récit. Et si cétait le trajet confondu à la puissance de la voiture,
la projection de toute une technologie devenue quasi immatérielle qui régissait
notre indécision, nos dilemmes, tout ce qui nous environne, le décor, quoi.
Lautomobiliste de Cécile Portier semble sarrêter où bon lui semble, retardant
linstant final où il devra opter entre un monde rationnel et sécurisant et la
folie d'une passion. Lensemble forme des situations évidentes quon a tous
vécues pendant un trajet, tropismes dignes de Nathalie Sarraute qui nous poussent
à entrer dans une église déserte, à fréquenter une auberge de passage. Et cest
bien le décor alors qui entre dans le cerveau de cet automobiliste, cest lui
qui simpose et lhumain assis dans son habitacle reçoit et subit ce quil a
lui-même contribué à créer. Il y a une parenté entre Contact et Les
Corps conducteurs que Claude Simon a publié en 1971 et qui va bien au delà
du simple rapprochement physique que le titre évoque (dans toutes les
interprétations du terme). Contact en effet pourrait être le socle
initial, lhistoire précédente des Corps conducteurs qui mélange les
souvenirs dun couple damants mais dont le thème principal et lancinant est
(comme dans toute luvre de Claude Simon) la part de mélange que provoque en
nous toutes les images que nous recevons dans notre vie.
Et voilà ! Nous croyons rentrer dans une histoire damour simple, banale,
classique et nous sommes versés dans un rêve philosophique (rêve dun espace
sans infrastructure, dit dailleurs lauteur). Pour mieux nous en convaincre
Cécile Portier propose une postface qui révèle cette intention de départ. Cest
un pari audacieux que de montrer ce que dhabitude on cherche à oublier parce
que lintention de départ se dilue immanquablement dans le récit. Cest un peu
comme effectuer la preuve par neuf à la fin dune division. Ouf, le calcul était
juste !
(17/12/2009)
Un été pour mémoire, de Philippe Delerm, Folio.
Voici un livre qui sent bon le terroir, la campagne et les vacances. On
est dans le domaine de prédilection de Philippe Delerm : plaisirs minuscules
mais ne croyez pas que cest péjoratif. Je ne suis pas de ceux qui tirent sur
les auteurs à succès simplement parce quun malentendu les a propulsés au sommet
en même temps que leurs bons sentiments. Dailleurs on a besoin des bons
sentiments, de jolis souvenirs dans notre monde de brutes. Et cest bien un tel
monde qui arrache un jour à lauteur la vie de sa grand-mère. Cette fatalité
prévisible le conduit donc sur le lieu de lenfance. Il sinstalle dans la
maison de vacances occupée uniquement par la grand-mère depuis la mort de son
mari. Maintenant abandonnée, la maison va être vendue et ce dernier été lui
donne loccasion de se remémorer des instants heureux, faits de partie de pêche
et de promenade à la campagne. Il retrouve sa cousine adorée, quelques vieilles
tantes immobiles, tout un monde provincial. Mais le village a bougé. De nouveaux
habitants se sont installés au château. Au cours de ses promenades, il se lie
damitié avec la fille de ces châtelains. Lété passe ainsi, il lui faudra
repartir, mais surtout ne rien garder de ces instants ultimes : un univers
disparaît devant vous, on le sait, ça provoque de la nostalgie. Et ça na rien à
voir avec de bons sentiments.
(09/12/2009)
Petite fabrique des rêves et des réalités, de Philippe
Claudel, Stock.
Depuis son premier roman Meuse loubli, paru en 1999, Philippe
Claudel est un auteur qui compte pour moi. Certes, il a fait beaucoup de chemin
et si je nai pas à rougir dune édition tout aussi prolifique, au moins,
rencontre-il un succès qui mest totalement étranger. Ceci dit linsuccès qui
est mien provoque des situations amusantes : la critique, qui ne me connaît
guère, a toujours limpression que je suis un nouveau venu dans le monde des
lettres, cest dune fraîcheur vivifiante
Si Philippe Claudel ne peut plus
passer pour un perdreau de lannée, autant a-t-il su diversifier ses activités.
Il a ainsi fait une incursion remarquée dans le cinéma en tant que réalisateur
dun très beau film « Il y a longtemps que je taime ». La Petite
fabrique des rêves et des réalités raconte lhistoire de ce film. Philippe
Claudel a ressenti le besoin de consigner par écrit a posteriori cette belle
aventure. Le livre est constitué de deux parties. La première, présentée sous
forme dun dictionnaire amoureux, évoque par mots clefs et ordre alphabétique,
les thèmes, les surprises, les étonnements qui président à qui sinsère du jour
au lendemain dans le monde du cinéma. On y trouvera des éléments techniques,
comme limportance du cadre, la précision des détails, mais aussi tout ce qui
constitue les rapports avec les acteurs, les membres de léquipe, la manière
dont on a envie que les choses se passent. On y trouve aussi décrits avec
sincérité et simplicité cette passion pour le cinéma, la relative solitude
possessive de celui qui a tellement pensé « son » film. La deuxième partie
présente le scénario. Bien entendu, pour qui a vu le film, on ne peut sempêcher
de le relier aux images. Mais pour moi qui me suis toujours demandé à quoi
pouvait ressembler un scénario, cest évidement très précieux. Jai alterné la
lecture des deux parties. Il me semblait quen regardant de concert les
réflexions et le déroulé temporel du film que je comprendrais mieux la démarche.
En réalité, il ne sagit pas de comprendre mais plus de constater comment un
écrivain, avec la matière des mots arrive à susciter des images, élaborer une
histoire. Il ny a finalement pas si grand mystère à cela, plutôt une somme
détonnements, de surprises, de saisissements, bref, on aurait pu appeler
également ce livre la fabrique des énergies. Je sais gré à Philippe Claudel
davoir osé ce partage généreux.
(01/12/2009)
Liquide,
de Philippe Annocque, Quidam éditeur.
Jai pratiqué la plongée pendant quelques années. Leau des mers est une
substance étrange : on ne sait jamais quelle texture on va trouver au-dessous de
la surface. Certaines fois, le temps magnifique et la « cuve doutremer pur »,
chère à Blaise Cendrars (Feuilles de route, bien sûr, poème équateur)
laisse croire à un ensemble homogène et franc. On saute joyeusement par-dessus
bord dans le liquide en fusion de la même manière quon lavait fait le matin
même ou la veille et exactement au même endroit. Et on se retrouve dans une
purée de pois compacte, particules et plancton flottant en tous sens, empêchant
la pénétration de la lumière alors qua la plongée précédente et dans les mêmes
conditions une clarté bienveillante illuminait les profondeurs. Bien souvent
cette opacité de surface sestompe au bout de quelques mètres et on retrouve
leau claire en nageant près du fond. Dautres fois cest linverse, vous
glissez avec confiance dans la transparence mais le fond est opaque. Pour en
avoir fait lexpérience, je sais que la deuxième option est sinon plus
dangereuse, du moins plus inquiétante, on ne retrouve parfois même pas ses
coéquipiers plongeurs au fond tant ce brouillard liquide est dense. Il faut
alors appliquer les consignes de sécurité, chacun doit remonter à la surface,
retrouver lensemble du groupe avant de replonger aussitôt à mi-profondeur en
appliquant toute une série de calcul de paliers : on ne rigole pas avec les
accidents de décompression dont la remontée rapide décuple les risques.
Le livre de Philippe Annocque appartient assurément à la même alchimie délicate
de la plongée.. Le « Liquide » quil propose est clair, poétique, on sent les
prémices dune belle plongée mais quelques particules inquiétantes flottent en
suspens, inquiètent : des prénoms, Pierre, Estelle, Suzanne Alexandrine, autour
desquelles un univers vogue au gré des courants sans quon arrive, à ce stade, à
bien voir les contours, les formes, la faune environnante. Et puis, au fur et à
mesure de la descente, lambiance devient plus transparente, on distingue les
rochers du fond, acérés, vifs, finalement assez inhospitaliers. Cest à la
remontée que tout se joue : on revient sur les pages précédentes. Explication du
monde. De celui dun narrateur qui tente de comprendre ce qui lui est arrivé
jusquà présent, les femmes, la famille, sa vie. Mais comme dit lauteur, «
comprendre quoi ? ». Le livre ainsi entre dans les hésitations mais comme dans
nos vies, résumées à des hypothèses : et si javais dit/agi/pensé autrement,
quest-ce qui aurait changé ? Bref, les petits enchaînements qui entraînent vers
les grandes ruptures sont passées au crible. Et on peut se demander, si, dans
tout cet univers, liquide, fuyant, épousant par lâcheté ou facilité la forme du
dernier récipient trouvé, il reste quelque chose de la plongée et dailleurs
pourquoi avais-je évoqué cela au début sinon par simple analogie avec lélément
liquide ? Est-ce quon risque un accident de décompression mentale à la
redescente- remontée (où est-on ?) du voyage vertical dun livre ? Peut-être
Mais il reste aussi le mouvement et la plongée est pour linstant la seule
manière de réaliser le vieux rêve dIcare : on est hors pesanteur, on vole entre
deux eaux. Le livre de Philippe Annocque restitue cette sensation, cette étrange
beauté du geste de planer et se fondre dans lentourage et ce nest pas là son
moindre mérite.
(25/11/2009)
Journal littéraire, Tome 3, février 1940, février 1956,
de Paul Léautaud, Mercure de France.
Ce troisième tome termine le Journal de lécrivain. En février
1940, la France revient de lexode dans la stupéfaction de sa défaite et la
difficile période de loccupation commence. On mesure à travers ces pages,
combien ces années furent difficiles : pénurie de lalimentation, combines pour
épargner, ici du café, là du tabac, tous deux chers à Léautaud. Marie Dormoy
investit le jardin en friche de Fontenay pour tenter dy faire pousser des
légumes. La vie littéraire continue cependant, rythmée par une collaboration
chaque jour plus présente. Brasillach, dont Léautaud reconnaît lesprit
brillant, et Drieu La Rochelle qui tente de récupérer lécrivain dans la NRF
quil dirige alors. Mais cest de Bernard, devenu directeur du Mercure de France
dont lécrivain se méfiera le plus. Il finira par être renvoyé dailleurs de la
revue pendant ces sombres années. Pour autant, ces premières années de retraite
(à soixante-dix ans tout de même) demeurent intellectuellement riches : invité
régulier dans les déjeuners quorganise la richissime Florence Gould, il
bénéficie aussi des colis dapprovisionnement de sa protectrice, colis qui
demeureront bien utiles au-delà même de la fin de la guerre, la situation
économique de la France tardant à se relever. Soupçonné de collaboration,
Léautaud sinsurge contre les procès expéditifs de lépuration. Ces dernières
années sont aussi marquées par le renoncement à lamour, bien que, jusquau
début de ses quatre-vingts ans, il montrera un appétit libertin, certes
inassouvi, mais il demeurera curieusement entouré de jolies femmes. A partir des
années cinquante, il est vrai que les entretiens radiophoniques réalisés avec
Robert Mallet lui assurent un succès tardif mais prodigieux : on admire sa
jeunesse desprit et sa libre pensée. Aspirant toutefois à plus de solitude dans
ces dernières années, sa santé décline. Marie Dormoy, pourtant souvent
maltraitée par le caractère impossible de lécrivain, sera sa dernière présence
fidèle. Cest elle qui le conduira à la Vallée aux Loups, la maison de repos de
son ami le docteur le Savoureux, cinq semaines avant sa mort. Dans ce dernier
tiers de vie, il est aussi manifeste que Paul Léautaud a pris tout à fait
conscience que ces chroniques quotidiennes constitueront lessentiel de son
uvre.
Il est étrange de résumer en quelques lignes les seize dernières années de vie
de Léautaud, dautant plus que ce troisième tome est celui qui ma pris le plus
de temps à lire. Étrange, oui, davoir ralenti ma lecture comme si, comme dans
la vie, il mavait fallu me laisser conduire par le rythme moins alerte de la
vieillesse. Il y a des scènes pathétiques comme celle de la mort de sa vieille
guenon, étrange singe venu par hasard vingt-et un ans plus tôt dans le jardin de
Fontenay, devenue vieillissante et que lécrivain noie de ses mains déjà
affaiblies. Voilà : jai terminé les 6000 pages de ce Journal, au total
plus de 8000 avec ses propres uvres et les biographies annexes que jai lues en
trois mois et les dix CD des entretiens que jaurai écoutés. Cela aura été un
moment important de ma vie littéraire de cette année. De temps en temps, il est
certain que sa silhouette de guingois, son rire sarcastique viendra occuper mes
pensées comme le souvenir dun vieil oncle disparu.
(13/11/2009)
Léautaud, de Claude Courtot, Artefact.
La collection Artefact présente des biographies grand format,
abondamment illustrées et dévolues aux auteurs du XIX° et du XX°. Celle de Paul
Léautaud a le mérite de donner un panorama assez complet de sa vie par un
florilège de pages choisies du Journal littéraire, du Petit ami,
de trop rares autres écrits, compensés, il est vrai, par une approche thématique
et exhaustive de Claude Courtot. La reproduction de nombreuses photographies et
la qualité de la composition est un des atouts de ce livre. On sy réfère, on y
puise, on tente de jalonner un parcours entre images et textes qui deviendrait
vite fuyant si lon ne devait se résoudre quà tenter de la circonscrire dans la
somme que représente les trois tomes du Journal. Complément indispensable
à la lecture, de même que le livre de Philippe Delerm (Maintenant, foutez-moi
la paix), le livre de Claude Courtot apporte ainsi un éclairage
supplémentaire, façon lampe de bureau un peu chic, à cet écrivain qui avait
lhabitude décrire à la plume doie et à la lueur de deux banals chandeliers.
(13/11/2009)
Maintenant, foutez-moi la paix, de Philippe Delerm,
Folio.
Philippe Delerm est un inconditionnel de Paul Léautaud. Après tout, ce
nest pas très étonnant. On connaît le goût de lauteur pour les plaisirs
minuscules, genre première gorgée de bière, et Léautaud, en casanier quil
était, répondait tout à fait à lidée quon se fait dun bonheur ordinaire, dont
lerreur consisterait à croire quil se bâtit dans une précipitation échevelée
de gaieté alors quil ne peut exister que dans laccumulation de joies éparses
et économisées. Le livre de Philippe Delerm est dabord un hommage et une
restitution des lectures du Journal Littéraire, et de son volume
duvres, soit les quatre pavés du Mercure de France que javale avec
gourmandise depuis lété, additionné pour lui comme pour moi des 10 CD des
conversations avec Robert Mallet qui mont distrait lors de mes trajets nombreux
dans les plaines champenoises ou picardes. Bref, jai les mêmes « repères
bibliographiques » quil indique en fin de livre. Lidée dailleurs de résumer
toute cette somme dinformations que ma boulimie de lecture arrive à ingurgiter
ma traversé lesprit. Il aurait fallu annoter bien des passages sur les huit
mille pages au total et le courage ou plutôt lorganisation ma manqué : au
final, je naurai su délayer ces lectures que dans quelques mises à jour
successivement consacrées à Léautaud. Seul le volume des uvres comporte
un précieux index des personnages cités dans le théâtre de Maurice Boissard mais
on rêve à une publication numérique du Journal Littéraire qui permettrait
en quelques clics de retrouver toutes les occurrences concernant un des
innombrables écrivains cités par Léautaud. Philippe Delerm s'est donc collé à ma
place quelques années auparavant à dresser un panorama de cette écriture prolixe
et cest dans une trame schématique quil dresse un portrait de lécrivain : on
trouvera, comme pour la série des Martine à la ferme, à la montagne ou en
vacances, Léautaud confronté à sa mère et à la mort, à lamour et au bonheur, au
style et à la publication, aux animaux et au progrès, à la politique et à la
sincérité, à la solitude et à son image. Chapitres incisifs de Delerm, mais
cest Léautaud quil laisse parler à travers lui. Au final, cest un portrait
qui se dessine, multiple comme auront été les représentations quont fait de lui
les plus grands peintres, Matisse, Marie Laurencin et Émile Bernard mais aussi
les nombreuses caricatures de son ami André Rouveyre. Car cest peut-être le
seul manque de ce livre de ne pas avoir assez insisté sur sa fréquentation du
milieu artistique, de Picasso à Dubuffet.
"Maintenant, foutez-moi la paix", sont les derniers mots prononcés par Léautaud
avant de mourir. Cest dire le caractère du bonhomme mais aussi, contenu dans ce
dernier mot, cest la faconde heureuse de lécrivain que nous cherchons aussi
peut-être à éprouver.
(23/10/2003)
uvres, de Paul Léautaud, Mercure de France.
Ce volume complète à merveilles les opulents tomes du Journal
Littéraire. Préfacé par Robert Mallet, il comprend la quasi-totalité des
récits de Paul Léautaud, qui ne fut pas un auteur si prolixe que ça. Présenté
dans un ordre pas forcément chronologique, ce volume comporte Le Petit ami,
Passe-temps I et II, Propos dun jour, Amours, In Memoriam, Lettres à ma mère,
le théâtre de Maurice Boissard I et II. En réalité, à la lecture du Petit
ami ou de In Memoriam, dont les circonstances de rédaction, de
publication ont été abondamment cité dans son Journal Littéraire, on se
trouve presque dans un pays de connaissance. On sait déjà lhistoire quil va
raconter. De plus, le style de Léautaud était justement de ne pas en avoir,
comme il disait, persuadé et souvent à juste titre que ses meilleurs
morceaux avaient été rédigés dans la rapidité et lentrain. Si bien que
lensemble des récits qui composent ces uvres est de la même trempe que ce
quil relatait dans son Journal. Le Petit ami, bien entendu, ouvre la
série et raconte en partie les démêlés dun naïf avec les « créatures » fort
légères qui peuplaient la Belle époque. En partie car le livre se conclut ou
plutôt se prolonge avec la dernière rencontre de ce même narrateur avec sa mère
et laffection ambiguë entre celle-ci, encore jeune et belle, et son fils. In
Memoriam est aussi un morceau de choix : dans ce court récit, Léautaud
raconte sa fascination pour la mort, sa curiosité morbide à courir dès quil
peut veiller sur un cercueil encore ouvert
jusquà celui de son père. Une fois
réglé sa parenté directe, Léautaud découvre tardivement les plaisirs de lamour
et peut alors sépancher sur ce thème : voici Amours où lauteur se livre
tout nu si lon peut dire et Propos dun jour qui regroupe (tout comme
Passe temps) des aphorismes sur le sujet. Paul Léautaud se vantait de les
avoir écrits au fil de leau sur un coin de table alors quil était occupé à des
tâches ménagères. On y trouve quelques réflexions biens senties, parfois
surprenantes, parfois terribles mais, à bien y réfléchir
Par exemple : « la
jalousie, comme les maladies saiguise avec le soir », « il arrive un âge où on
nose plus dire à la maîtresse la plus tendre : maimes-tu ? », « il ny a pas
que les filles publiques. Il y a les filles bourgeoises. ». De fil en aiguille,
finalement on lit toutes les 1800 pages de ce recueil. Les inconditionnels
termineront par les féroces chroniques de théâtre, écrites sous le pseudonyme de
Maurice Boissard, et qui lui valu parfois quelques inimitiés justifiées par un
franc-parler, souvent désopilant, il faut le reconnaître. Je préfère dans
Passe-temps II, le propos intitulé Vacances dont le début vaut son
pesant de cacahuètes : "Vacances ! Voilà un sujet neuf ! Nous allons tâcher de
nous y distinguer. Et dautant plus que nous sommes désintéressés à la question.
».
(14/10/2009)
Journal Littéraire, Tome 2, juin 1928 février 1940, de
Paul Léautaud, Mercure de France.
Tout dabord, je ne peux résister au plaisir dindiquer la réaction du
célèbre notulien Philippe Didion à ma précédente note de lecture
concernant le premier tome de ce Journal littéraire : « jai acheté les trois
tomes du Journal de Léautaud dès leur réédition au Mercure en 1986. Jen ai
terminé la lecture en 1998, je ne regrette aucune minute de ce long périple. »
Si ma lecture sapparente à une boulimie ou à un sprint, 3 mois pour ces 6000
pages, la dégustation et la promenade de Philippe Didion mapparaît pourtant la
meilleure façon de se plonger dans ces soixante années de Journal.
Ce deuxième tome, rédigé entre 56 et 68 ans évoque la plénitude de lécrivain.
Cest lépoque des amours certes tardifs mais ô combien charnels et passionnés
avec « le fléau » Anne Cayssac, une liaison qui durera 19 ans. Cest aussi, à
partir de 1933 la rencontre avec Marie Dormoy. Et cest aussi la première femme
qui sera plus intéressée par lécrivain que par lhomme, constate Léautaud. Le
rôle de MD, comme il la nomme souvent, sera essentiel dans la reconnaissance
littéraire de lécrivain. Cest en effet Marie Dormoy qui recopiera la totalité
du journal, tâche peu facile. Dans les entretiens radiophoniques avec Robert
Mallet, Paul Léautaud reconnaîtra que son écriture, essentiellement effectuée à
laide de plumes doie pas toujours bien taillées, ne pouvait être déchiffrée
que très difficilement. Pendant cette époque, lécrivain assiste à la montée du
nazisme et aux tensions davant-guerre. Lorsque celle-ci éclate, devant
lavancée des allemands aux portes de Paris, il refuse dabandonner ses nombreux
animaux et de partir en exode. Cette débâcle est magnifiquement racontée et en
détail. Le hasard a voulu que je lise ces pages au moment du documentaire
Apocalypse sur cette époque précise, ce qui lui donne un relief tout
particulier.
(30/09/2009)
Journal Littéraire, Tome 1, novembre 1893 juin 1928,
de Paul Léautaud, Mercure de France.
Premier tome de limposant Journal littéraire mijoté par Paul
Léautaud, celui ci a d'abord été édité en dix-neuf volumes dans le Mercure de
France, sous la direction de Marie Dormoy qui a travaillé à le recopier
depuis les années trente. La parution a commencé en 1954 du vivant de l'auteur
(trois parutions au moment de sa mort) et s'est poursuivie pendant douze ans. Ce
n'est qu'en1986 que l'édition actuelle, plus maniable, a été élaborée. Le
Journal littéraire commence deux ans après la mort de Rimbaud. Et cest
dabord à Verlaine que se rapporte une des premières anecdotes de Léautaud. En
1894, âgé de 22 ans, il fait porter discrètement un bouquet de violettes à
Verlaine assis à la terrasse dun café. Très vite, le jeune Paul Léautaud
collabore au Mercure de France qui a accepté quelques uns de ses vers. Mais
cest une anthologie des Poètes daujourdhui, entamée en collaboration
avec un autre écrivain, Van Bever, qui lui donnera un rôle véritable. En 1901,
il effectue son fameux voyage à Calais dans lequel il revoit sa mère et cette
aventure lui inspirera une partie du Petit ami. En 1912, il sinstalle à
Fontenay dans la maison quil ne quittera quà sa mort. En réalité, résumer ce
premier tome en donnant quelques indications biographiques est une tâche
difficile. Rien ne remplace la lecture de ses pages, prendre le temps de se
glisser dedans, de restituer un monde que traversent les derniers feux du
Symbolisme avec Rémy de Gourmont, Alfred Valette, Paul Valéry, Marcel Schwob.
Cette première partie de vie voit séteindre le XIX° siècle, les vieilles
querelles romantiques. Paul Léautaud raconte dans ses entretiens que son père,
souffleur à la Comédie française, lui a présenté Victor Hugo mais qu'il a refusé
plus tard d'aller aux obsèques du grand homme, trop occupé à ses jeux d'enfant.
Mais déjà dautres poètes apparaissent, comme Guillaume Apollinaire, et Léautaud
est à lorigine de la publication de La Chanson du mal aimé. Amitié de
courte durée : la guerre arrive, Apollinaire sengage comme tant dautres et
mourra en 1918. Les années passent et, au seuil des années folles, Paul Léautaud
approche la cinquantaine. Cest le temps des amours passionnément physiques avec
"le Fléau", Anne Cayssac, par ailleurs mariée. Pendant tout ce premier tome,
nous assistons à léclosion littéraire de Léautaud, notamment avec Le Petit
ami, Amours, puis avec des chroniques de théâtre sans concession,
écrite sous le pseudonyme de Maurice Boissard. Cest aussi lépoque où le Prix
Goncourt le taquine : certains jurés de cette académie, comme Lucien Descaves,
charmé par Le Petit ami, le presse décrire à nouveau pour obtenir le
prix. In memoriam, récit de la mort de son père, est déjà en cours, mais
Paul Léautaud renâcle aux prix littéraires, et considérera plus tard dans ses
entretiens radiophoniques qu «un écrivain qui reçoit un prix est déshonoré».
(18/09/2009)
Persépolis, de Marjane Satrapi, monovolume, édition
l'Association.
Rien à voir avec les 6000 pages du Journal littéraire de Léautaud
sinon que javais emporté également cet ouvrage en Sicile, je crains toujours de
manquer de lecture (d'ailleurs, anecdote : j'ai lu que Obama avait emporté en
vacances 2300 pages de romans, récits et autres livres à lire, forçant
l'admiration de tous : petit joueur...). Rien à voir, donc avec ce Journal
littéraire et pourtant, tout comme Paul Léautaud, Marjane Satrapi raconte sa
vie quotidienne (de petite fille aisée au contraire du maigre employé du Mercure
de France). Persépolis est connu surtout depuis son adaptation en film
danimation, qui plus est, primé à Cannes. Persépolis est au départ une
bande dessinée, publiée en quatre tomes entre 2000 et 2003. Il existe un
monovolume paru récemment et plus attrayant daspect. Passons sur
linterprétation quon a faite de Persépolis : le succès aidant, on a cru
que lhistoire de lIran se résumait au port du voile obligatoire et à la juste
revendication simpliste de la liberté pour nos esprits occidentaux. Mais il faut
regarder plus attentivement chaque dessin pour en apprécier les détails. En
plongeant dans les scènes dessinées en en noir et blanc, remarquables de
sobriété et de vérité, cest naturellement un retour très réaliste vers les
impressions que j'avais ressenties lors de mon voyage en Iran, effectué un mois
avant les élections. Je retrouve dans les dessins et les textes de Marjane
Satrapi toute lambiguïté persane devant son histoire récente, la révolution
tant désirée pour faire partir le Shah devenu un tyran qui se transforme en
cauchemar avec la restriction des libertés et la guerre Iran-Irak, les exils
inévitables (surtout des classes aisées et aristocratiques auxquelles lauteur
appartient, les autres classes plus populaires nont pas eu cette alternative).
Il manque bien entendu dautres tomes à écrire avec la réélection dAhmadinejad
mais surtout avec les élans dune population jeune, née au cours de la
Révolution islamique et de la guerre. En réalité, la BD Persépolis de
Marjane Satrapi, même si lactualité la rend encore plus réaliste, appartient
déjà à lhistoire mais elle a montré une des voies pour bien la raconter.
(26/08/2009)
La Route, de Cormac Mac Carthy, éditions de lOlivier.
Deux millions dexemplaires vendus quon nous signale. Dune manière
générale, je me méfie de ce type dannonce quand elles ne ménervent pas
carrément : la quantité na jamais été un signe obligatoire de qualité, ça a un
petit côté impoli, genre, je laisse le prix sur le cadeau. Le livre se laisse
lire, avec toutefois un air de déjà vu quant à lintrigue : la vieille rengaine
de la terre détruite par un cataclysme a déjà fait lobjet de nombreux livres et
films du même genre. Toutefois, ici, rendons hommage à la délicatesse de
lauteur de ne pas nous dit comment cela sest passé. Ça a eu lieu, cest tout
et cest pourquoi un père et son fils, rares rescapés, arpentent des routes avec
tout un bric-à-brac dans un caddie, sautant de maison en maison pour trouver
leur subsistance dans des cuisines dévastées, des placards déjà visités avant
eux. On est ainsi plongé dans un monde hostile, avec un enfant qui grandit quand
même dans un environnement misérable que son père essaie de lui cacher tant bien
que mal. Voitures abandonnées, carcasses carbonisées, odeurs de mort, cadavres
abandonnés et survivants désespérés, personne ne sait où aller ni pourquoi. Le
livre vous tient de la même manière quune aventure sur une île déserte
puisquici, tout est vide et que la survie dépend de chaque minute. Île au
trésor sans trésor, on lit quand même ces dialogues abrupts, ces descriptions
tronquées. Pas de pathos : on est dans un autre monde, le monde daprès. Et tout
est à réinventer au bout de la route.
(31/07/2009)
Rockn roll, un portrait de Led Zeppelin, de François
Bon, Albin Michel.
Voilà le dernier opus de la triologie du rock de François Bon. Il fait
suite à Bob Dylan (Note de lecture du 05/09/2008) et auparavant aux Rolling
Stones (Note de lecture 02/10/2002). Ceci dit, cette trilogie peut encore
évoluer, tétralogie et pourquoi pas jusquau décalogue, lhistoire de la musique
est fertile en rebondissements. Ce nouveau volume, comme les précédents, place
la légende de rock stars au milieu de la France profonde, interroge lépoque
dans laquelle ils se sont immiscés et ce nest pas là son moindre attrait. Si
les Stones ont été les premiers a révéler ce qui avait bougé en nous dans les
années soixante, si Bob Dylan a symbolisé la lointaine Amérique en profonde
mutation, Led Zeppelin montre la formidable machinerie du rock qui a compris
tout ce quelle pouvait gagner comme dollars sur le dos dune génération avide
de déchaîner sa propre jeunesse. La recette gagnante associe deux requins de
studio comme Jimmy Page et John Paul Jones, capables de révéler deux symboles
populaires, le cantonnier Robert Plant et le maçon John Bonham. François Bon
insiste sur cette particularité : comment passer du monde du travail le plus
basique à celui des paillettes, comment transformer un salarié en artiste et
ainsi donner du rêve à tous bien avant les pâles reality show et les stars
academy. Comment se transformer en artiste : et dailleurs, cest peut-être le
propre parcours de François Bon qui saccumule ainsi au fil de son uvre
conséquente. A celui qui était destiné au travail technique, raconté dans
Sortie dusine et ses premiers livres, a succédé lécrivain des lectures
publiques, l'artiste en littérature et aux expérimentations nombreuses notamment
avec des musiciens, une transformation semblable et cest ainsi sa propre
biographie qui transparaît dans cette trilogie du rock.
Led Zeppelin ma toujours laissé froid. Sans doute ai-je entendu les riffs
efficaces, lors des samedis soirs de province, dans les virées à Chaudenay avec
mes cousins : cétait la pleine époque du Led. Mais javais découvert auparavant
les Stones et les Beatles avaient complété un paysage qui me suffisait.
Stairway to heaven, cétait décidément trop caricatural. Javais vingt ans
mais jétais déjà trop vieux pour Led Zep, trop éloigné, presque parti. Rien ne
me rattache à ces titres, tandis quil me suffit de fredonner Angie ou
Cry baby cry, pour que tout un monde se découvre, une adolescence qui, comme
chacun sait, ne se referme jamais vraiment.
(19/07/2009)
1978 de Santiago H. Amigorena, P.O.L.
Étrange livre et étrange auteur, celui qui se présente sur le site de
léditeur comme né à Buenos Aires en 1962, et qui écrit 1978, lhistoire
dune année scolaire pendant laquelle un étrange lycéen étranger arrive dans une
classe de première, remarqué en premier par un de ces copains de classe,
narrateur du dit-livre dont lintrigue est le vécu au fil des jours de ces chocs
des cultures et de la culture en face du lycéen hyper doué, incompris des profs,
bousculant idées et concepts, capable de pleurer sans se retenir, amoureux
platonique de toutes les filles et tout cela simbriquant dans la vraie vie
celle que jai bien connue car jétais la même année en terminale pour la
deuxième fois - il en faut des comme moi -, cétait bien, le livre 1978,
et lannée 1978.
(26/06/2009)
La Chambre des parents, de Brigitte Giraud, Fayard.
Cest le premier roman de Brigitte Giraud, paru en 1997. Jai déjà
évoqué dautres livres ultérieurs de cette auteure que japprécie : Marée noire
et A présent (Note de lecture du 08/12/2004), Japprends (26/10/2005) Lamour
est très surestimé (31/10/2008). Relater un premier roman à dix ans de distance
est un exercice forcément différent que de le faire au moment où lon découvre
cette plume nouvelle. Je retrouve la langue précise et déjà travaillée qui a
suivi dans les autres livres. Preuve que ce premier roman était déjà très abouti
et maîtrisé. Lhistoire est celle dun homme qui sapprête à sortir de prison.
Il a tué son père et tout le récit consiste à tenir le lecteur en haleine et à
dévoiler les raisons de ce parricide. Cela tient en 150 pages denses et bien
rythmées. Je lai lu un dimanche après-midi dune traite dans une chaise longue
au soleil de mon jardin. Les circonstances dans lesquels nous lisons les livres
sont tout aussi importantes que les histoires quils racontent. Bref, pour moi,
ce premier roman à lhistoire, pourtant pas très joyeuse, restera synonyme de
jardin, dévasion bucolique, quelques heures volées au temps et ne pas avoir à
le regretter face à cette prose sensible et intelligente.
(17/06/2009)
Naufragé volontaire, dAlain Bombard, Le livre de
Poche.
La lecture est décidément bien surprenante. Pourquoi ce livre mest
tombé sous la main et pourquoi jai eu envie de le lire ? Sans doute la passion
pour la solitude, la rêverie. Eh oui, jai été beaucoup marqué par Stevenson et
LÎle au trésor (surtout la version en bande dessinée du journal Pilote).
Laventure dAlain Bombard est pourtant tout sauf une expérience de poésie
irréfléchie. Il sagissait pour le scientifique de prouver quon peut survivre
dans lAtlantique sans eau embarquée, avec un minimum de nourriture, dans un
canot pneumatique dont le concept, à lépoque, était peu répandu. Lépoque,
cest en 1952 et Alain Bombard, médecin, est marqué à lépoque par le peu de
chances de survie des matelots en cas de naufrage, retournement, etc. Le livre
est un témoignage de ses convictions quil cherche à prouver : que lon peut se
laisser dériver par les courants marins jusquà aborder une terre ou rencontrer
un navire, que leau douce nest pas un problème, on peut la trouver dans les
poissons, que justement les poissons abondent pour se nourrir et que leau de
mer nest pas un poison. Après quelques expériences en Méditerranée, il finira
par traverser lAtlantique en solitaire, prouvant ainsi ses théories. Le livre
raconte donc au fil des jours les espoirs et les enseignements de cette longue
attente avant de toucher terre. Il y a très longtemps, avant même le premier mot
tracé de mes livres, disons à mi-chemin entre lécriture et LÎle au trésor
de lenfance, javais en projet une histoire qui raconterait les péripéties dun
type qui tente de survivre avec quelques vivres pendant quelques semaine dans
une grande bassine en fer posée au milieu du carrelage de sa cuisine avec
interdiction de poser le pied sur le moindre carreau bien entendu. Jaurais dû
tenter lexpérience et raconter mon témoignage de naufragé volontaire, comme
Alain Bombard.
(05/06/2009)
Doucement, de Gabriel Bergounioux, Champ Vallon.
Doucement est le troisième livre de Gabriel Bergounioux a publié chez
Champ-Vallon. Les deux premiers, Il y a un et Il y a
de, jeux de mots homériques, (Notes de lecture de Feuilles de route
les 25/02/2004 et
29/11/2006) laissaient déjà entendre un projet global et de long terme. On
attendait Il y a trois et voilà Doucement, sur la pointe des
pieds, qui vient bousculer cette essor trilogique, cet élan chronologique. Non,
ce nest pas forcément une suite. Doucement sintègre discrètement dans
ce présent éternel qui semblait lapanage des deux premiers récits. Bien sûr, la
guerre évoquée dans les deux premiers textes prenait alors toute sa ressemblance
non feinte avec lépopée antique, manière de bousculer un récit que les fictions
des siècles suivants avaient rendu temporel, marqué du sceau des siècles jusquà
laboutissement vénérable des romans du XIXe, lapothéose proustienne et les
modernités qui sétaient répandus partout dans le monde à la suite, de Faulkner
à Beckett. A la guerre étrange, donc, qui se déroulait dans les deux premiers
livres, succède une paix non moins inquiétante. Laction, si lon peut parler
ainsi de cet enchaînement de gestes dun narrateur improbable, conduit un
travailleur au fond dune mine pour y accomplir une tâche indéterminée. Seul
compte le trajet, les hésitations dans cette descente dans les entrailles de la
terre. Dans quel but ? Lesprit cartésien entrevoit le pire : tout cela cest
manière de se séparer à bon compte dune humanité devenue trop encombrante. Et
pour preuve ce « gardien aveugle » qui lagresse à la fin. Mais peut-être que
notre esprit devenu par trop dialectique en oublie-t-il les mythes qui
transparaissent derrière cette descente aux enfers, Cerbère, Minotaure,
cyclopes. Et comme pour les deux autres livres, la tentation est grande de voir
un retour à lépopée de ce livre contemporain. Voilà une des déductions
multiples que délivre cet étrange récit. Car il y a bien dautres emboîtements
encore à saisir. Est-ce un livre sur le travail ? Tout ly indique mais non pas
dans un pragmatisme brutal, plutôt un concret qui ferait sens, familier, des
gestes, une quête : on travaille pour vivre, pour avoir le droit de vivre,
lavait-on oublié ? Mais ici, dans cette signification sociale, le travail
apparaît alors dans toute son inhumanité : travailler et ainsi avoir le droit de
vivre, cest aussi fabriquer sa propre mort, cest la mettre en scène et on
entrevoit bien dailleurs les actualités qui courent et qui influent comme le
recul de lâge de la retraite parce quon vit plus vieux. Corollaire : est-il
imaginable pour une société de constater linutilité dune partie de la
population par linactivité. Quel est le seuil tolérable ? Doucement pose
clairement le problème. A ce titre, louvrage de Gabriel Bergounioux devrait
figurer au recensement que jeffectue dune littérature contemporaine sur le
sujet du travail mais il y fera figure dOVNI : personne na encore évalué ainsi
dans un ouvrage de fiction notre rapport philosophique à lactivité humaine. Ce
n'est pas là son moindre mérite. Mais il y a beaucoup d'autres richesses dans ce
livre, une vraie mine d'or. L'une de ses plus remarquables qualités tient à
notre rapport au langage, ici, saisi, tourmenté, brutalisé, décollé à coup de
pic comme le charbon sur un front de taille. Une matière ainsi que ces mots que
lon modifie lentement, imperceptiblement depuis Homère, jallais dire
doucement.
(29/05/2009)
Le Lys dans la vallée, d'Honoré de Balzac, Folio.
Rien à voir avec lIran de la semaine dernière, sauf que cest dans ce pays que
jai lu ce Balzac, mon premier Balzac. Je nai pas suivi lexemple de François
Bon qui la découvert à ladolescence. Le personnage de lécrivain fort en
gueule et prolifique a du me faire peur à lépoque. Mais le héros du Lys dans la
vallée, Félix, est tout le contraire. On prétend même que ce roman serait une
autobiographie de Balzac. Peu importe. Lessentiel, ici, cest le XIX° qui parle
: les amours platoniques entre Mme de Mortsauf et Félix sont teintés dun
lyrisme construit, parfois ampoulé, mais efficace à retracer les pièges de la
passion. Lhéroïne ressemble à celles de George Sand, cest une femme
passionnée, libre mais consciente à outrance de son devoir de mère et dépouse.
Lissue fatale est au bout de lusure de cet amour malheureux et refoulé entre
Félix et Mme de Mortsauf où sauf la mort pourra séparer les deux amants bien
sages. Drame romantique donc, histoire cent mille fois rabâchée de lamour
impossible dont le dernier en date est ce « Je laimais », dAnna Gavalda
récemment adapté en film. Le Lys présente lavantage dêtre un des tous premiers
modèles du genre. Mais il présente surtout limmense talent de diluer la
complexité des sentiments dans une logorrhée qui na rien à voir avec une
sécheresse de plume convenue (et somme toute stupide) avec laquelle on se croit
obligé des restituer les sentiments de notre XXIe siècle débutant. Bref : mieux
vaut lire le Lys que de pâles imitations commerciales. Sans compter que
lintérêt de cette histoire tient tout autant dans la description de cette
époque paradoxale de la restauration de la monarchie avec Louis XVIII. Des
nobles donc souffrent et espèrent devant vos yeux ébahis : époque révolue qui
finalement fait plus rêver que notre contemporain aride.
(22/05/2009)
Iran, Guide évasion, Hachette.
J'ai la fâcheuse habitude de choisir mes
destinations de voyage en fonction des guides touristiques. Ou plutôt de leur
absence... Je regarde le rayon des pays et quand l'un d'eux me semble faiblement
représenté, je sais que c'est là qu'il faut aller : le touriste ne sera pas
fréquent et les contacts avec les habitants seront beaucoup plus profonds. Exit
donc les endroits recommandés du Guide du routard où l'on vous vante dans le
détail le meilleur glacier de Venise, le coin réputé et les astuces pour
échapper à la foule qui font qu'on se retrouve tous à la même heure en pleine
cagna, chacun s'interpellant, qui avec son accent de Marseille, qui avec
l'intonation de la banlieue parisienne. J'ai parfois béni ma destination par
quelques astuces imprévues, quelques hasards. Je me souviens de tel camping en
Italie qui n'acceptait pas les cartes de crédit : il fallait aller retirer de
l'argent à la poste du coin mais, au final, ce fut une semaine de rêve avec des
familles italiennes tranquilles (si, si, ça existe...) sans entendre un seul mot
franchouillard. Je me souviens de m'être réfugié par hasard lors d'une averse
dans un bistrot à la réunion et avoir pris un repas sympathique avec les
habitués du lieu. Depuis le temps que je vais en Sicile, je sais qu'il ne faut
jamais aller à Taormine, tant vanté sur les guides (sauf pour des concerts le
soir dans le merveilleux théâtre antique). Au Maroc, Essaouira m'a déçu. En
France, Rocamadour est devenu un piège touristique. Haro sur les guides !
L'année passée, le Yémen était peu pourvu en brochures et l'Iran, cette année,
ne proposait que deux guides : Lonely Planet et le guide Hachette. J'ai acquis
ce dernier que je n'ai ouvert que dans l'avion qui m'emmenait à Téhéran.
Feuilleté plutôt : je ne regarde jamais en détail. On y trouve toujours des
itinéraires, le Nord, le Sud, quelques pages d'histoire, les arts et la cuisine.
Force est de constater que le guide Hachette me convient dans ce style. Je
n'aime pas déambuler guide à la main, et relever la moindre contrariété avec le
commentaire que peut faire un guide local (j'ai rencontré un type comme cela,
très malheureux au final). Bref, j'aime savoir que j'ai un guide à portée de
main à la condition de ne jamais l'ouvrir, c'est étrange. On trouve dans celui
d'Hachette, quelques insertions intéressantes : "avoir 20 ans en Iran" ou "quand
le parc fait son show" et qui retrace avec justesse les loisirs publics et la
gaieté des habitants. Finalement, c'est au retour que j'aime à m'y plonger.
(17/05/2009)
Chroniques caissières, dEugénie Boillet, Éditions den bas.
Paru en 2004, cinq ans avant les
Tribulations caissières dAnna Sam, rendons à Eugénie Boillet la primeur
davoir en premier évoqué la condition des hôtesses de caisse de nos
hypermarchés. Dans ce livre drôle et fin, le quotidien de nos superettes est
passé au crible, depuis les astuces pour fidéliser la clientèle jusquaux
lettres de protestations de consommateurs qui nont que cela à penser et en
passant, bien sûr, par les caissières que lon regardent sinstaller, discuter
parfois, effectuer le passage répétitifs entre leurs mains de nos articles de
consommation, subir notre indifférence au mieux, au pire notre agressivité. Mais
au-delà de la répétition des jours, cest un monde terriblement humain qui se
dessine, avec ses aversions (la cliente surnommée la puante) mais aussi ses
drames et ses tendresses (ce vieil homme qui revient faire ses courses tout
seul, sa femme étant morte). Les hôtesses de caisse sont les témoins privilégiés
de nos vies et elles méritent bien quon partage aussi un peu la leur. Voilà
donc un livre qui évoque encore le travail avec un grand souci dauthenticité.
Lévolution des métiers vers les emplois de service au client rend moins barbare
lévocation du travail, du moins telle quelle pouvait être pratiquée dans une
littérature ouvrière tournée vers le monde inconnu de la production. Ce passage
« vers le client » assure lindispensable relation entre le lecteur, forcément
client, et lécrivain, évoquant trop rarement le deuxième métier « alimentaire »
de sa vie. En tous cas, depuis la lecture de ces belles Chroniques caissières,
je fais attention à ne pas rester indifférent aux hôtesses de caisse de ma
superette.
(17/04/2009)
Bananes de Königsberg, Alexandre Vialatte, Julliard
Dans la série disparate des chroniques et autres écrits dAlexandre Vialatte que
me propose ma bibliothèque municipale, jai choisi de relater les Bananes de
Königsberg. Hormis ce titre décalé qui me fait penser à un brocanteur de
livres que je connais et qui emballe toujours sa littérature doccasion dans des
cartons de bananes, sous ce titre décalé donc (comme le portent tous les
ouvrages de Vialatte) se cache le récit de lécrivain qui fut correspondant en
Allemagne à lépoque des procès de Nuremberg. Dune manière chronologique, ces
Bananes de Königsberg traversent toute lépoque allemande de 1922 à 1949.
Cest dire combien le témoignage de Vialatte est précieux. Le récit de sa
jeunesse dans une Allemagne folklorique pas très éloignée de celle de Kafka dans
une première partie intitulée Le Carnaval Rhénan précède la montée du
nazisme dont le titre évoque bien le tour de passe-passe politique dHitler :
Des fakirs à la svastika. Mais cest la partie de Ces messieurs de
Lunebourg qui est la plus poignante car elle rend compte de la chute, de la
défaite à travers les procès dont Vialatte fut le témoin privilégié. Tous les
historiens qui soccupent de cette période moderne devraient avoir lu ces
Bananes de Königsberg, car cest ainsi quAllah est grand.
(10/04/2009)
Le Marché des amants, Christine Angot, Seuil
En écho à ma note de lecture de la semaine précédente, ce marché des amants
navait pas été prévu par Frédéric Andrau, lui-même occupé à écrire Quelques
jours avec Christine A. à la même époque me semble-t-il. Coïncidence
pourtant, si Frédéric Andrau rêvait de kidnapper le sujet Angot à la Foire du
Livre de Brive, cest dans ce même lieu que le véritable sujet Christine
rencontre un certain Doc Gynéco, point de départ dune intrigue de marché qui
prend la suite dune chronique people de foire. Loin de moi lidée de
transformer ces notes de lecture en ramassis des petits avatars germanopratins,
aussi jirai droit au but, à la littérature donc, ce qui sera vite fait. Ce
quil y a de bien dans ce livre : une (des) histoire(s) damour, ce qui reste le
sujet universel imbattable, raconté ici dans une sorte de love in live ; les
tirs croisés de la vieille génération (Angot) avec celle qui suit (les rappeurs)
; un beau portrait pour Doc Gyneco ; les dialogues durassiens qui tentent de
retracer un mouvement réaliste. Ce quil y a de raté : la même chose, la façon
de raconter les histoires damour qui terminent mal en général comme dirait
Catherine Ringer : Angot- narrateur-auteur est tellement calculatrice et
dépourvue dhumour quil est impossible de laisser le lecteur croire un instant
à tout ce fatras, on voit toutes les ficelles des marionnettes en fluo ; les
dialogues de roman feuilleton : à la belle époque de Confidences et dIntimité,
on faisait mieux. Le reste cest de la psy à deux balles, cela ne relève même
pas de la dénonciation dun univers des livres surfait (au fait, existe-t-il ?
Il me semblait pourtant avoir un éditeur germanopratin, jamais senti cet
environnement là). Reste donc le beau portrait de Doc Gyneco. Total général : 15
mn pour écrire cette rubrique, 2h pour lire les 318 pages. Même pas mal
On en
ressort intact comme après un épisode de Plus belle la vie. Une petite faim ?
Allons voir ce quil y a dans le frigo
(03/04/2009)
Quelques jours avec Christine A, de Frédéric
Andrau, Plon
Avant même douvrir le livre, pour peu que vous vous intéressiez à lagitation
médiatico-pseudo- culturelle, vous savez que le Christine A, cest Angot. Sujet
Angot donc pour reprendre le titre dun de ses livres et lauteur, qui sait bien
quen face de lui il aura des lecteurs appâtés par le voyeurisme, ne fait pas
dans la finesse. Ne tournons pas autour du pot : il était une fois donc, un
auteur qui cherchait une idée géniale pour produire un livre pas trop fatigant
(je veux dire ne nécessitant pas des recherches sur la civilisation perse ou
autre bizarrerie intellectuelle) mais remarqué et lucratif, cet auteur donc, à
linstar de celui qui a une idée géniale et qui dépose un brevet au service des
inventions, cet auteur donc (trois fois) a une idée géniale (deux fois) : écrire
sur le sujet du sujet Angot. Ça marche. Ça marche et y compris pour moi, car
Frédéric Andrau résume bien notre agacement mais aussi notre délice a se plonger
dans la lecture dun auteur qui revient de temps en temps en brandissant le
vieux concept éculé de lautofiction-que-non-ce nest-pas-moi-que-si
quand-même-vous- memmerdez-à la-fin (mais je men fous tout ce que je veux
cest vendre des livres). Angot, donc, je lai lue et je me sens dans la peau
dun fumeur qui a réussi à arrêter (pour moi cétait suite à une overdose :
Vu du ciel, Not to be, Sujet Angot, Linceste, Quitter la ville (notes de
lecture des 04 et 11/10/2001) : quest-ce que ça fait du bien de respirer à
nouveau sans fumeuses fumées! Non que ce soit plat, ce type de livre, au
contraire bien piquant, un énervement, un style musclé à la gonflette mais dont
on se lasse, question de santé. On peut donc comprendre la rechute que jai eu à
lire ce succédané édulcoré avec moins de nicotine toutefois Quelques jours
avec Christine A. Simple retour à la perversité du voyeurisme. Frédéric
Andrau, pour reprendre la comparaison avec la cigarette, utilise étonnamment les
mêmes arguments que les ligues anti-tabac : je démasque le marketing Angot pour
mieux combattre laddiction à Angot. Soit. Lhistoire est simple : le narrateur
soustrait le sujet Angot à sa sortie de la fête du livre à Brive, tête à tête
qui tourne vite en rond dans la campagne du centre de la France. Soit. Tout cela
pose tout de même la question de limposture des écrivains à défaut que ceux-ci
aient trouvé une posture authentique. Cest valable pour Angot, pour Andrau :
son livre nest pas dénué de talent. Son style est une imitation dAngot, en
plus fin, plus durassien donc. Dailleurs il le dit bien : nest pas Duras qui
veut. Pastichons donc. Et Duras convient admirablement à lironie du genre, voir
Patrick Rambaud. Cest bien français, donc pas très fin mais toujours drôle
comme un jeu de mot laid. Rien que le titre et le « Christine A », évoque le tic
Duras. Toutefois abusivement : il ne me semble pas que Marguerite ait utilisé
autant de ces initiales, sauf dans Lol V. Stein. Mais cest plus ses
aficionados, en premier lieu Yann Andréa et son M.D. (note de lecture du
14/03/2003) qui exagèrent le procédé. Bref, tout cela, appliqué à Angot, est de
la même veine que celle quapplique un autre Frédéric (Beigbeder) : je dénonce
la pub dans 99F à grand renfort de pub pour moi-même. Ici, cest Andrau à
travers son narrateur qui dénonce Angot. Le premier mot de Quelques jours
avec Christine A est donc le « je » narratif et les derniers mots sont placé
dans la bouche de Christine A : parlez-moi de vous, dit-elle en sadressant au
narrateur. Comme on est dans le mythe de lautofiction, on rejoint aisément
lauteur qui espère que ce roman lui rapportera des clopinettes, qui sont comme
chacun sait, de petites clopes. Quand je disais que ça avait un rapport avec le
tabac et laddiction
(27/03/2009)
Dominique, dEugène Fromentin, Folio.
Dominique, dEugène
Fromentin, met en scène un personnage principal au prénom éponyme qui vit retiré
du monde, comme désireux doublier jusquà sa propre existence. Cette vie
ascétique cache toutefois un lourd secret. Le narrateur, qui devient lhôte de
Dominique de Bray, est témoin dun événement qui va provoquer ces révélations.
Alors quil revient du chevet dun vieil ami, Olivier dOrsel, gravement malade,
Dominique évoque ce passé quil partagea avec ce compagnon de jeunesse. Il était
encore adolescent lorsquil séprit de Madeleine, la cousine dOlivier. Le
mariage rapide de celle-ci avec M. de Nièvres provoqua limpossibilité de cette
liaison mais Dominique continua au fil des années déprouver les affres de la
passion tout en continuant à voir Madeleine. Au fil des rencontres, celle qui a
tout deviné des sentiments de Dominique se met en tête de le guérir en lui
offrant une amitié basée sur la respectabilité de son statut dépouse. Mais
leurs rencontres ne font quexacerber leurs sentiments au point où laveu, tant
de fois repoussé, devient inévitable : cest Madeleine qui succombe à la
déclaration. En même temps, cette confession signe la fin brutale de leurs
relations : la raison, lattente et le remords ont fini par triompher de leur
amour idéal.
Dis comme cela, lintrigue paraît dun autre siècle. Et pour cause :
Dominique fut écrit en 1863. La même année, Baudelaire publiait Le
Peintre de la vie moderne et annonçait dautre temps quil naurait
malheureusement pas le temps dapprécier et que réaliseraient plus tard le jeune
Rimbaud, âgé à lépoque de neuf ans et qui devait sans doute déjà singer les
bourgeois de la place Ducale de Charleville. Dominique est ainsi le
testament du romantisme. Dailleurs, la prose, magnifique au demeurant, restitue
une intrigue où la sagesse dame le pion à la passion échevelée et aux grands
sentiments hugoliens. On trouve bien ça et là les artifices, les poses et les
lieux du romantisme : le désert hostile, la campagne envers qui le poète a de la
condescendance. Mais on ne sent plus les affres de la souffrance dun
Chateaubriand : on sachemine vers un nouveau monde, progrès et raison. Pour
autant, ce texte, dabord publié en revue, est bien dans la lignée du monde
ancien : il est dédié à George Sand (Eugène Fromentin fut un habitué de Nohant).
On peut aussi, à la manière universitaire, dire quil appartient au sous-genre
romantique du « roman personnel » comme Le Lys dans la vallée de Balzac
ou René de Chateaubriand, ancêtres des romans autobiographiques et de
lautofiction ; cest la « recherche passionnée du moi » comme lévoquait
Joachim Merlant, premier théoricien du « roman personnel » en 1905.
On peut ajouter aussi quEugène Fromentin fut un peintre plus productif
quécrivain, orientaliste, il réalise par exemple la même année quil publie
Dominique un de ses tableau les plus célèbres La chasse au Faucon. Son
talent de paysagiste est particulièrement mis en valeur dans les descriptions de
Paris ou des campagnes qui constituent le cadre de Dominique.
Mais tout cela ne restitue pas ce qui fait le charme réel de Dominique :
une très belle histoire damour, à faire pleurer dans les chaumières. Je suis
surpris quil ne soit pas encore adapté au cinéma.
(21/03/2009)
Tendre bestiaire, Bestiaire enchanté, Bestiaire sans oubli, Maurice
Genevoix, Folio.
Jai eu beau chercher dans mes notes
de lectures depuis 2000, il me semble que je nen ai jamais faites pour ces
livres. Cest étonnant, car sil existe des livres formateurs, cette série est
pour moi emblématique.
Je ne sais pas si je ferai de mon Bestiaire domestique une suite comme
la fait par trois fois Maurice Genevoix : dabord , Tendre bestiaire en
1969, puis lannée suivante Bestiaire enchanté et encore un an plus tard
Bestiaire sans oubli. Ce que je sais cest ce que je dois à ces recueils
de Maurice Genevoix, à leur découverte il y a plus de vingt ans, cétait en
Corse, lecture sur des plages désertes dans la douceur des premiers jours
doctobre, aboutissement dun long périple qui nous avait mené dabord en Italie
pour la première fois. Le bonheur de leur lecture reste lié à jamais à ce voyage
heureux.
Raconter ces bestiaires me place dans la même perplexité que dévoquer celui que
je viens de publier : des histoires danimaux et que peut-on dire de plus. Cest
à chaque lecteur de pénétrer dans ces univers qui portent pour nom le castor, le
lièvre, la girafe. Cest à lui de suivre le cerf au fond des bois, de plonger
sous les pierres avec la truite, dêtre le chien en arrêt devant un hérisson «
strict, hermétique, de toute part acutée ». Cest à lui découter la prose
magnifique de Maurice Genevoix, le vocabulaire précis, la grammaire impeccable
davant la première guerre où le jeune auteur se vouait à un destin lettré :
cacique (premier) à lENS. La Grande guerre justement aura décidé dun destin
différent : il en réchappe et témoigne. Ces bestiaires sont donc un
remerciement, curs qui battent : un merle chante après une nuit de bataille, on
est encore vivant. Maurice Genevoix franchissait la barrière du grand âge quand
il a écrit ces livres : « jétais à lâge des Mémoires, des derniers messages
accordés, de la dernière bouteille à la mer. », écrit-il dans « le lézard ».
Jai trente ans de moins à lâge où je rédige mon bestiaire, jai dautres
visions, dautres approches, je suis dune autre époque et mon côté « vieille
France » sest acoquiné des Rolling Stones à lâge où Maurice Genevoix
combattait aux Éparges. On nécrit plus comme lui et cest ainsi, le monde a
tourné. Il reste cependant lintacte émotion intemporelle que procure ces
lectures.
(13/03/2009)
Marge brute, de Laurent Quintreau, Denoël.
La référence à Dante est multiple et manifeste dans ce roman, depuis une
citation de La Divine comédie placée en épigraphe, jusquà larchitecture
des chapitres semblable aux cercles qui structurent luvre de Dante et en
passant par le nom dun des protagonistes de cette histoire, Alighieri. Toute la
trame de ce roman est organisée dans une réunion dun Comité de direction dune
multinationale. Chaque participant simmisce dans un cercle et poursuit un
dialogue intérieur pendant que se déroule la réunion. Les haines et les
attirances se dévoilent ainsi en secret. La référence à Dante marque la
littérarité de ce texte et nest pas sans rappeler LExcès-lusine de
Leslie Kaplan, organisé en cercles de la même manière (bien quétrangement, il
ne me semble pas quelle ait jamais clairement exposé cette affinité).
Cette relation à La Divine comédie constitue sans doute laxe détude
essentiel de Marge brute, à la fois dans les parcours initiatiques que le
travail contemporain induit, mais plus généralement dans la distanciation entre
le travail et la « comédie » quil provoque (Lauteur cite La Comédie humaine
dés le premier chapitre). Travail des cadres, relations de pouvoir et de
subordination constituent les thèmes hélas contemporains de cette description du
monde du travail. Lauteur est également présenté comme un « salarié dune
grande entreprise de communication », tiens ça me rappelle ce que jécris sur
mes quatrièmes de couverture
(06/03/2009)
Nancy Cunard, de François Buot, Pauvert.
Récemment paru en septembre dernier,
cette biographie dont jai découvert lexistence directement sur létal dun
libraire ma tout de suite attirée : Nancy Cunard fut lamour malheureux
dAragon, celle qui a précédé Elsa et pour laquelle le poète a failli mourir à
Venise et a détruit son manuscrit de La Défense de linfini à Madrid
(titre magnifique !).
On découvre ainsi en détail à travers ces pages le destin de Nancy, née sous les
meilleures étoiles, celles particulièrement lumineuses qui éclairent les nuits
des océans au dessus des somptueux paquebots de la Cunard line (qui existent
toujours, si le cur vous en dit, vous pouvez partir faire un tour du monde,
prochains départs en janvier 2010
).
Cet héritage familial a bien servi la jeune fille délurée comme sa mère, et qui
a été habituée très tôt à naviguer sur la terre chaloupée des réceptions chics
et bien arrosées. Aristocratie anglaise et mariage dintérêt en 1916 ne lui
résistent guère et cest ainsi quelle a connu au milieu des années vingt, la
clique des surréalistes (dont on essaie de nous faire croire aujourdhui la
pureté et le désintéressement de leur engagement, tu parles, si le groupe
surréaliste existait de nos jours il défraierait les chroniques people les plus
stupides
). Voilà donc Aragon qui entre dans sa vie de petite fille riche. La
suite, on la connaît
En fait, pas tant que cela ! Car Nancy, qui aurait pu se
contenter dêtre uniquement rebelle à sa condition de naissance avant de revenir
dans le droit chemin comme tant dautres, est à la fois sensible et
intelligente. Elle se lance dans lédition et crée Hour Press, elle défend la
cause des noirs et publie une magnifique anthologie (Negro) dont jaccepte bien
volontiers un exemplaire original quun riche mécène voudrait bien me donner.
Lors dun concours de poésie quelle organise, elle découvre un auteur tout neuf
qui lui envoie une plaquette (Whoroscope) : cest Beckett.
Toute sa vie ne devient alors que le reflet dengagements entiers, à lopposé
politique de son milieu dorigine, engagements quelle mène sans concession :
correspondante de presse pour la guerre dEspagne, elle héberge des réfugiés et
alerte lopinion sur les conditions déplorables de leur accueil en France.
Engagement total aussi pendant la guerre où elle tente de réunir des écrits
poétiques (Poèmes pour la France). On mesure en parallèle le cynisme de
certains surréalistes dont André Breton, peinardement réfugié à New-York, qui
critique violement cette initiative par amis interposés (décidément, je nai
jamais réussi à trouver sympathique lauteur de LAmour fou et de
Nadja
). Cette époque est aussi manière de renouer avec Aragon, quelle
admire toujours, bien que celui-ci restera très discret à ce sujet, par égard
pour Elsa, sans doute. Tombée dans loubli et les excès après la guerre, Nancy
Cunard, égérie des garçonnes des années trente, ne parviendra jamais à avoir une
reconnaissance quelle aurait certainement méritée, y compris sur le plan
littéraire. Elle meurt dans la misère, à linverse de son destin. Elle avait
pourtant deux dons de naissance : être une femme, être née riche. Elle aurait pu
sen contenter mais elle sest conduit avec la liberté dun homme et a renié sa
classe : ce sont des fautes impardonnables. On se sent bien con dappartenir à
un tel monde
(06/02/2009)
La Loi des rendements décroissants, Jérôme Mauche,
Seuil (Déplacements)
Il y a peu de livres qui traitent
de la littérature du travail même si, depuis le début du XXI° siècle, les
écrivains ont montré un intérêt grandissant dont les critiques littéraires se
font parfois lécho. Toute proportion gardée, cet engouement reste limité et
encore plus sil sagit de mettre en jeu directement la langue des entreprises.
Nicole Caligaris y est parvenue magistralement à travers le théâtre avec LOs
du Doute. Pour autant, lexemple de Jérôme Mauche, connu pour ses
publications poétiques, est également significatif dans La Loi des rendements
décroissants. Son projet, quil explique dans une postface fait suite à «
Une lecture, un trimestre durant, de divers magasines et de journaux
[économiques et professionnels] à vocation informative rapportant des faits, des
mouvements, des évolutions et des anticipations aussi.» (p. 187). Le résultat
est composé de « deux cents morceaux » explicités dans la quatrième de
couverture comme un « travail de langue » et « tout ce qui est cité ici est
renversé, léconomie politique, les notes de service, les micros anecdotes du
quotidien de lentreprise ». Le résultat est un ensemble de petits poèmes en
prose, élaborés à partir de la langue professionnelle. Le premier dentre eux
donne le ton dune langue qui semble senrouler autour dun vocabulaire
spécifique au monde du travail :
« Pourvoyeur économique en poste dingénieurs, de commerciaux, de
consultants, un certain moteur de recherche aspire à la trappe des liquidités
les postulants en nombre supérieurs aux deux doigts de la main. Et du
dispatching des compétences, outre la croissance et la prospérité pour tous,
adresse un salut catégoriel qui fait la ronde du personnel, si du moins on a
rentré dedans les bonnes infos du jour et non des racontars interrelationnels ou
des rogatons encore humains. »
Cet extrait révèle un travail du langage qui donne sa spécificité et sa
littérarité au texte. Les mots employés habituellement par le monde
professionnel sont agglomérés entre eux mais à la différence de « la langue de
bois » dentreprise, le choix des assemblages révèle un sens ambigu et donne un
mouvement et une interprétation originale à ces poèmes en prose qui sortent
ainsi du monde du travail (le dernier mot (humains) participe grandement à cette
échappée). Ici, lemploi des termes professionnels est particulièrement édifiant
car il révèle au sein même de la langue dentreprise plusieurs registres de
langue : du registre soutenu pour les expressions quon devine plus utilisées
par de grands spécialistes (dispatching, interrelationnels) au registre
populaire des abréviations (infos) en passant par le registre courant que nous
comprenons tous (croissance, prospérité). Les décalages introduits par des mots
comme « rogatons », le jeu des expressions (« un salut catégoriel qui fait la
ronde au personnel ») montre par antithèse la liberté de création de lauteur,
sa jubilation devant laction de reprendre à son compte les mots acides des
entreprises.
(30/01/2009)
Homme invisible, pour qui chantes-tu ? de Ralph Ellison, Grasset (Les
Cahiers rouges)
Il paraît que Ralph Ellison fait partie des
lectures dObama. Jen profite donc pour évoquer cet écrivain et son uvre
emblématique parue sous le titre Invisible man en 1952 et que jai lue il
y a trois ans dans sa version française. Cette approche universitaire était liée
à Céline (Voyage au bout de la nuit) et à Günter Grass (Le Tambour).
En effet, ces trois uvres sont considérées comme un remake moderne dune
littérature picaresque. Anti-héros que le Bardamu de Céline, lOscar de Günter
Grass et le narrateur jamais nommé de Ralph Ellison, chacun possède une faconde
savoureuse autant que désespérée à linstar des ceux qui combattent les moulins
à vent (les puristes vous diront que Don Quichotte nest pas un roman
picaresque).
Le narrateur de Ralph Ellison traverse le récit avec une énergie qui semble
vaine : cet « invisible man » est lhomme noir, condamné à demeurer quasi
transparent pour la société américaine. Au fil de ces nombreuses péripéties,
fuites et aventures où la poursuite des noirs semble être un sport national, le
héros de Ralph Ellison finit par se soustraire du monde malgré lui et termine
dans une cave obscure, devenant invisible pour de bon.
Au début du premier chapitre, le narrateur assiste à lagonie de son grand père
et ses dernières paroles sont pour lui (p. 48): « Fils, quand je serai parti, je
compte sur toi pour continuer le combat. Je ne ten ai jamais parlé, mais notre
vie, à nous, est une guerre et du jour où jai rendu mon fusil, à la
Reconstruction, je suis devenu un traître pour la vie, un espion dans le pays de
lennemi. Tâche de vivre dans la gueule du loup. Je veux que tu les noies sous
les oui, que tu les sapes avec tes sourires, que tu les fasses crever à force
dêtre daccord avec eux, que tu les laisses te bouffer jusquà ce quil te
vomissent ou quils éclatent. ». Après cette entrée en matière que le narrateur
ne comprend pas tout de suite, commence alors un long parcours initiatique mais
qui terminera dans lombre et la nuit.
Obama est en plein jour : qu'il nous noie sous les oui, qu'il nous sape avec ses
sourires, qu'il fasse que notre monde stupide éclate.
(23/01/2009)
Pour une femme de son âge, de Dominique Fabre, Fayard.
Comme dhabitude, je suis à contre courant de la rentrée littéraire. Je lis ce
recueil de nouvelles qui date de cinq ans et lauteur a publié
depuis au moins trois autres livres. Javais
rencontré Dominique Fabre à loccasion dun service de presse. Nous avions en
commun chacun une parution pour la rentrée littéraire de janvier 2004. Pour
une femme de son âge pour lui et Paysage et portrait en pied-de-poule
pour moi. La proximité assez compliquée de nos titres nous avait fait échanger
un peu sur cet exercice périlleux du service de presse et du choix de nos titres
ultérieurs car devoir écrire une dédicace dun livre qui sintitule Pour une
femme de son âge à une journaliste influente nest pas chose aisée...
Nous nous étions revus quelques mois plus tard à loccasion dun de mes passages
à Paris dans un café (vers lopéra Bastille, je crois me souvenir),
histoire dévoquer notre appartenance à la même maison dédition. Dailleurs
cest quelque chose quon devrait faire plus souvent :
prendre le temps de se poser deux heures et de discuter de cuisine éditoriale
entre auteurs.
Depuis donc, Dominique Fabre a fait son chemin, moi le
mien. Le Matricule des anges lui a consacré un dossier spécial en
septembre 2005 et jai eu droit dans le même mensuel (le seul dailleurs
consacré à la littérature contemporaine) a deux pages dinterview deux ans plus
tard pour la parution de CV roman. Sans doute que la parution prochaine
de Bestiaire domestique maura fait relire le recueil de Dominique Fabre
avec une attention toute particulière. Mon chemin décriture mavait éloigné de
linstantané décriture que provoque la nouvelle (bifurcation vers lhistoire et
Picasso avec 1937 Paris Guernica ou la reprise de mes
vieux démons de notre place au travail avec CV roman).
Avec Pour une femme de son âge, on mesure toutefois tout la complexité de
ces « shorts stories » dont lagencement est souvent aussi complexe,
voir plus, que celui dun roman. On a lhabitude de
déconsidérer le genre devant le roman qui demeure dans linconscient de beaucoup
dauteurs un aboutissement, dû sans doute à ce quon
conçoit être comme seul héritage prestigieux de la littérature française, ce qui
nest pas le cas dans la culture anglo-saxonne ou celle des littérateurs russes
ou japonais. Mais sans doute suis-je trop enclin à classifier en genres moi
aussi, simplement parce que le sous-titre nouvelles
est indiqué par léditeur ou parce que le format (qui sera le même pour
Bestiaire domestique) est tacitement celui du genre chez
notre éditeur ou parce que chaque texte est précédé dun titre. Pourtant,
à lire linterview de Dominique Fabre au Matricule des
anges, cest le mot roman ou romancier qui revient le plus fréquemment comme
espace large de la fiction.
Larpenteur affectif : cest ce qualificatif aussi qui est employé à propos de
Dominique Fabre. Et cela convient admirablement à Pour une femme de son âge,
tant il est vrai que le narrateur déclenche lintrigue de chaque histoire dans
la confrontation à un extérieur familier, quartiers
dAsnières, endroits de passage ou périphérie de la
capitale tentaculaire, là où des rencontres ont lieu, un père absent, des
voisins originaux, des camarades décole. Lextraordinaire tient justement dans
cet affectif énoncé avec pudeur et humour. Il est aussi dans cette langue
capable de se replacer dans le contexte de ladolescence et de lenfance dune
manière si légère et pourtant si juste. On ne peut pas raconter ces nouvelles et
cest sans doute un des aspects qui montre la réussite dun livre quand on ne
peut le résumer en disant, cest lhistoire de
ou jai voulu raconter
Ici,
cest vous, cest moi, cest quelquun qui vous prend à témoin comme dans un
texte de Raymond Carver. Pas de grandes phrases
vraiment, mais elles sonnent tellement justes.
(18/01/2009)
La Condition littéraire, Bernard Lahire, éditions La Découverte.
Sous-titré la double vie des écrivains, javais eu
déjà envie de me procurer ce lourd bouquin de 620 pages lors de sa parution en
2006. Les recherches que je mène sur la littérature contemporaine mont rendu
cet ouvrage indispensable, je lai donc acquis hier et jai commencé à
ingurgiter la somme de documents que cet essai propose. Cette note de lecture ne
pourra être, dans un premier temps, que générale. Cette étude sociologique
dresse un panorama de la « condition littéraire » en France, donc des conditions
de vie de ceux qui écrivent. Si le titre évoque un parallèle judicieux avec
louvrage dAndré Malraux, cest plutôt du côté de Jean-Paul Sartre dans son
texte L'Existentialisme est un humanisme quil faut trouver un postulat
de départ : « S'il est impossible de trouver en chaque homme une essence
universelle qui serait la nature humaine, il existe pourtant une universalité
humaine de condition ». Il nest pas inutile de remonter si loin pour évoquer le
rôle, somme tout, modeste des littérateurs de tous poils qui uvrent aujourdhui
Et le texte du philosophe présente lavantage de lier lindividuel au collectif.
Cet antagonisme naturel traverse en effet tout le livre.
Délimité en parties logiques, louvrage aborde tous les aspects de la création
écrite, de la définition initiale du « jeu littéraire » que chaque écrivain
accepte jusquaux situations prosaïques de réalisation que cet engagement leur
impose. Cette deuxième partie étant en effet la plus fournie, elle délimite un
constat qui semble évident mais quil fallait ordonner : lécriture ne nourrit
pas son homme, sauf rares exceptions. Cela explique en partie le sous-titre « la
double vie des écrivains » puisque la plupart sont amenés cumuler un autre
emploi plus rémunérateur pour pouvoir continuer à exercer leur « jeu littéraire
». Or, à cette réduction économique, je préfère que cette « double vie » évoque
au sens de Sartre une dualité individuelle et collective : cest bien lessence
de lécriture, solitaire, personnelle, vouée à disparition avec son auteur qui
fabrique les circonstances de la vie collective quil va bâtir autour. La
difficulté de se nommer (voir en note détonnement ce même jour), le choix des
moyens de subsistance comprenant ladhésion ou le refus dun système qui sest
bâti à lintérieur de la communauté littéraire, cest peut-être là où le « jeu
littéraire » existe enfin, la partie de réussite isolée transformée en belote,
en bridge, en rami, voire même en
tarots divinatoires bien souvent
Le mérite de ce livre est dexister, davoir été très sérieusement élaboré à
travers un panel dinterviews et la récolte de cinq cents
questionnaires. Bernard Lahire, pourtant, en sociologue prudent,
ne prétend pas à lexhaustivité. A peine peut-on lui reprocher davoir réalisé
cette importante étude à linitiative de la Région Rhône-Alpes, qui la
financée. Plus largement, les institutions nationales ou régionales concernées
cherchaient-elles une juste reconnaissance dun travail (au demeurant
remarquable) ? On le devine parfois au détour de crispants renvois dascenseur
de la part dauteurs ayant bénéficié de subventions
Mais ce nest jamais quune
réalité quil faut prendre en compte dans les aspects contemporains qui
régissent la politique culturelle. Interventions diverses, ateliers décriture
(souvent décriés), résidences dauteur (peu adaptées), salons du livres
(toujours honnis) composent un paysage littéraire qui a le mérite dexister
encore.
(09/01/2009)
Bilan 2008 des notes de lecture :
En 2006, j'avais comptabilisé 14 notes de
lecture dans un précédent bilan. En 2007, seulement 12 livres avait été
consignés tandis qu'en 2005, il y en avait eu 23 et 25 en 2004. En 2003, 34
notes mais 43 en 2002. Cela signifie-t-il que je lis de moins en moins ? Pas si
sûr... en 2008, j'aurais évoqué 36 livres mais je sais en avoir dévoré plus que
cela. A vue de nez, c'est à dire aux alentours du bureau sur lequel j'écris,
j'en compte une bonne quinzaine déjà lus mais qui n'ont fait l'objet d'aucune
note. Et encore, ceux qui se trouvent ici ne représentent qu'une petite partie
de ceux qui sont en train d'être lus, disons dans une période de un à six mois,
c'est à dire le temps que ces bouquins traversent la maison, aillent du pied du
lit à ce bureau, dans une des bibliothèques, dans un placard, sur l'accoudoir
d'un fauteuil selon des chemins secrets, comme si chacun d'eux était doué d'une
vie propre. Dresser une telle bibliographie fluctuante serait intéressante
mais sans doute fastidieuse. Dans le travail de recherche que j'effectue sur la
littérature du travail, la bibliographie est la première action à entreprendre
et c'est sans doute la tâche la plus ardue. Dresser une liste de livres, les
choisir, les lire, les comprendre, les comparer. On comprend que ce travail est
la première aventure qui arrive à tout livre : l'histoire de sa propre lecture
en quelque sorte.
Dans les livres qui m'auront marqués en 2008, on trouvera La Tranchée de Calonne
de Michel Bernard, qui est aussi à l'origine de la
publication du Carnet de route du sous-lieutenant Robert Porchon,
Les Années d'Annie Ernaux,
Bob Dylan, une biographie, de François Bon et Atelier 62
de Martine Sonnet. Dans les livres plus courts mais tout aussi beaux, j'ai
lu Lamour est très surestimé de Brigitte
Giraud, Pieds nus dans le jardin
et Avec toi, de Cécile Beauvoir. La littérature française au Présent, 2° édition
augmentée, de Dominique Viart et Bruno Vercier
et la Correspondance Arthur Rimbaud (réunie par Jean-Jacques Lefrère)
se révèlent indispensable. Auront été également passionnants,
Le Journal 1966 -1974, de Jean-Patrick Manchette et bien
entendu L'Usage du monde, de Nicolas Bouvier.
(04/01/2009)
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