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Etonnements 2007 L'homme on l'appelait Bouba, c'était son surnom.
C'est marqué sous son nom véritable. Dans le journal, il y a sa photo. Je l'ai
reconnu tout de suite mais on me l'avait déjà annoncé avant. Cela se sait vite,
c'est une petite ville. Tu sais celui qui... Et bien, le pilote... On en a parlé
à la télé... Je ne le connaissais pas, il nous avait juste expliqué pendant la
visite comment fonctionnait son avion (voir même rubrique le 14/03/2007). La cabine de pilotage ressemblait à une
console de jeu vidéo, quelques joysticks pour maîtriser la formidable poussée. A
peine de quoi rentrer ses fesses sur le siège étroit. En voyant ce grand gars,
je me demandais comment il faisait pour s'asseoir dans le cockpit, avec la
combinaison de vol, le casque, les branchements divers. Il disait aussi qu'on ne
savait pas trop ce qui passerait s'il y avait une panne, c'était un avion neuf,
les simulateurs de vol viendraient plus tard mais une telle puissance, on
n'avait jamais vu. Il était parti au Pakistan, ce n'était pas là-bas que ça
s'était passé mais bien au milieu de la France comme quoi. On n'en sait pas
plus, on ne saura jamais. On a dit une chute de quatre mille mètres, un cratère,
l'avion enfoncé dans le sol.
Grève sur le tas de boulot. Période étrange. Occupée. 93 emplois. Une aubaine.
Alors s'agiter. Faire en sorte que. Travailler. Contacter. Monter des dossiers.
L'espoir. Arriver à en caser un, deux, trois, dix, douze. Encore un. Et celui-là
pourquoi pas aussi ? 93 emplois dans le marasme du boulot, de cette région
étrange et vide. Désespérée. Période de grève. Campagne muette. Pas un seul
transport en commun, jamais vu l'ombre d'un bus ici. Milieu des champs. Grève
sur tas de betteraves. Ici rien que du vide, emplois qui fichent le camp. Alors
ces 93 là, une aubaine. Vouloir encore placer un deux ou trois qui de toute
façon bientôt n'auraient plus de travail s'ils restaient. CV, lettres, dossiers.
Contacts. Ministère. Celle qui travaille chez elle bloquée par les grève. Le
bureau vide quelque part dans Paris et mes dossiers qui s'impriment à distance,
là-bas. Merveille de la technologie. Crépitements dans des salles vides.
Peut-être juste des rumeurs à entendre. Manifestations. Grogne. Campagne muette.
93 emplois dans cette région de vide. S'agiter, Faire en sorte que. Travailler
tard. Grève sur le tas de boulot. Des dossiers et des dossiers. La fois où l'on
reste seuls , deux dans le bâtiment déserté pour la nuit, un autre à 100 km de
là, seul aussi. Téléphone. Coordination. Puis le trajet, les 70 km habituels.
Quelques heures de sommeil, trajet en sens inverse. Voitures sur des routes
vides, des saisons en enfer. 93 emplois à se raccrocher. Espoir. Et le tout sur
fond de grève qu'on ne voit pas. Pas le temps. Trop de boulot. Trajets encore,
500 km dans la journée, longues routes désertes et betteraves de chaque côté.
Radio et grèves. Grogne. Téléphone incessant. Coordination. Ministère,
représentants locaux. Réfléchir à la meilleure stratégie. 93 emplois. Ne rien
louper. Arriver à en caser encore un, deux, trois. Fatigue. Heures pleines.
Nuits creuses. Lumières aveuglantes des néons. Halos des écrans. Crépitement des
imprimantes. Des dossiers. Relire. Parfaire. Rencontrer. Encore 400 km
d'autoroutes vides. Grèves. Piquets de parc le long des bas côtés. Mais
l'espoir. 93 emplois. Une aubaine. Dossiers et dossiers. Tout reprendre.
Perfection. Fatigue. Les nuits vites arrivées. Les aubes laiteuses. Arriver à en
caser un, deux, trois, dix, douze, si seulement. Des CV romans par dizaines.
Hommes et des femmes de cette région muette. Saisons en enfer. CV comme Campagne
Vide. Tout cela pendant les grèves. Le tas de boulot. Etrange époque. Mais
l'espoir.
Bon, finalement Feuilles de route a
entamé sa septième année d'existence depuis
septembre 2000. C'est moins bien que
François Bon, pionnier français d'un
Internet littéraire, c'est sans doute largement encore moins qu'en Amérique mais
c'est déjà une éternité dans l'immédiateté changeante du web. Sur l'air de "allez les
enfants, pépère va vous raconter comment
c'était le oueb au bon vieux temps de la préhistoire", on a déjà matière
historique à dire. A commencer par l'en-tête dévoyée de Feuilles de route, directement
inspiré de Blaise Cendrars et de son recueil du même titre, élaboré alors qu'il
se rendait au Brésil à bord du cargo Formose dans les années trente. Choc
historique en effet d'apprendre que c'est sous ce terme "feuille de route" qu'on
avait tenté de mettre fin au conflit israëlo-palestinien et mon site prenait
alors toute autre signification. Depuis Arafat est mort, depuis je suis parti en
Jordanie et qui l'eût cru à cette époque. Choc historique aussi que ce 11
septembre 2001, un an après l'inauguration de ces pages et la mémoire qu'il en
reste (j'avais oublié dans un coin du site ces quelques vers d'Arthur Rimbaud
recopiés dés le 12 septembre : "Tandis qu'une folie épouvantable, broie/ Et
fait de cent milliers d'hommes un tas fumants/ -Pauvre Morts ! dans l'été,
dans l'herbe, dans ta joie / Nature, ô toi qui fit ces hommes saintement !...
"). C'est donc bien de mémoire qu'il s'agit, accumulation de faits, sorte de
journal irrégulier que je ne relis que rarement sauf pour confronter ma mémoire
justement à ce qui s'est passé. Tandis que Pierre Bergounioux inscrit dans ses
Carnets de notes (note de lecture de cette semaine) sa confrontation au même réel que le mien, c'est bien de
façon numérique et en temps réel que j'effectue ce travail et c'est là peut-être
un saut générationnel ténu, discret mais qui mériterait d'être approfondi. Le
temps pourtant a déjà changé et les autres générations se sont glissées avec
naturel (parfois sans se poser de questions, dommage) dans des blogs, termes qui
n'existaient pas encore à l'origine de ce site. Un peu plus de sept ans
d'existence, ça doit bien représenter 300 mises à jour. Elles ont
été irrégulières ces derniers mois, elle reprennent un peu de vigueur en ce moment.
En réalité ce n'est pas plus, pas moins que les années précédentes mais cette
préoccupation à demeurer régulier apporte bien la preuve qu'il se passe à mon
insu sans doute une nécessaire stratification de la mémoire. La
mécanique du site est étrange, c'est un moteur à empilements de mots, divers,
noyés, répandus et, au final, une sorte d'énergie secrète qui me pousse à
continuer.
Une soirée à Matignon, ça ne peut se relater
qu'en note d'Etonnements. A l'égal de plusieurs centaines d'auteurs sur le
critère de "a participé à la rentrée littéraire d'automne 2007", ce glorieux
fait d'armes m'a valu d'être invité dans la demeure de notre premier Ministre.
Il paraît que c'était la première fois que cela se faisait, mais peut-être
avions-nous oublié dans notre mémoire collective de pareilles collusions au
grand jour entre le pouvoir politique et le secteur éditorial. Si une discrétion
gênée quant à la participation des auteurs à un tel mélange était de rigueur
(voir
l'article du Nouvel Obs), pour ma part, j'y étais, je ne me cache pas, je ne
m'en vante pas et je ne justifierai pas
davantage ma participation, mieux vaut s'étonner et relater ce moment
d'anthropologie pure puisque cette rubrique est faite pour cela.
Cela pourrait s'intituler Un dimanche à la
campagne comme le beau film de Bertrand Tavernier. On est dimanche bien sûr.
On est en province aussi. Il fait beau et le soleil matinal vous surprend en plein
visage en sortant de l'obscurité de la chambre. Il y a la Madeleine, bien
entendu, comme tous les dimanches. Madeleine est le prénom que j'ai donné une
fois pour toute à la boulangère qui passe en bas de chez moi avec sa
camionnette. Rien à voir avec Proust quoique... Avoir le pain en bas de chez soi
est un privilège qui n'existe plus guère que dans les villages et le film Un
dimanche à la campagne, raconte une ambiance de fin de belle époque, juste
avant le cataclysme de la première guerre mondiale, bref, un paysage à la
Proust, d'où la Madeleine...etc, etc... Avec le pain de "la" Madeleine (dans ma
province, on fait encore précéder les prénoms d'un article), j'achète le
journal. Dans le journal, je lis la rubrique hebdomadaire de Jean Robinet,
écrivain de 94 ans, mon Julien Gracq à moi, autre survivant d'une époque à
labours et à chevaux. Mondes disparus, dimanches à la campagne, éternels,
intemporels. En plus il fait beau. Plus tard, ce sera la livraison également
dominicale et régulière d'un autre provincial, un voisin des Vosges, le perecquien et
notulien Philippe Didion. On pourrait se
croire ici dans le "petit coin où il fait bon vivre" de Jean-Pierre Pernaut, au
journal de TF1. On pourrait vite être charrié, être traité de ringard, celui-là,
donc, votre serviteur de Feuilles de route, devient franchement out, too much,
obsolète, bobo, naïf, bref tous qualificatifs que notre époque universelle,
nivelée, pourra trouver. D'ailleurs, qu'est ce que c'est que cette dangereuse
idée de se prévaloir de la campagne, hein ? Alors que plus de la moitié de la
population mondiale est citadine. Campagnard du dimanche en plus... Dangereux
rétrograde, conformiste et réac. Mais bon, je n'y peux rien, je me réveille ce
matin, il fait beau, il se trouve que j'habite en province dans une ville
moyenne, qu'on est dimanche et que je viens d'aller chercher mon pain en robe de
chambre comme un petit vieux de l'hospice. L'imbécile heureux qui est né quelque
part, comme disait Brassens, est tombé par hasard dans le chaudron d'un petit
village gaulois, je n'y peux rien, et la race des porteur de cocardes (toujours
Brassens) m'exaspère au plus haut point.
Je ne connais les
Correspondances de Manosque
que de nom. Cette année j'ai, pour ainsi dire, participé à cette manifestation
littéraire à l'insu de mon plein gré, comme dirait l'autre. En effet, une
radio locale proche de Manosque, Fréquence Mistral, organisait une émission
littéraire dans laquelle étaient conviés les invités de cet événement. Le hasard
a voulu qu'ayant écrit un texte pour les dix ans du prix Wepler qui m'avait
honoré voici déjà cinq ans en 2002 (c'est en novembre, on en reparlera...), le
hasard a voulu, donc, que le texte que j'avais rédigé soit lu par un comédien à
l'antenne en présence de Muriel Barbery, dont le succès de L'Elégance du
hérisson constitue le phénomène de l'année dans notre monde littéraire.
L'animateur de l'émission, tout heureux de faire découvrir à cette auteure le
parfait inconnu que je suis, est pourtant tombé sur une coïncidence incroyable.
L'étonnement tient bien moins à ce que Muriel connaisse depuis sept ans le
zigoto qui anime ces Feuilles de Route qu'à ce qu'elle ait été la seule à
prendre connaissance de mon petit texte bien avant qu'il soit diffusé.
Stupéfiant non ? On trouvera le podcast de l'émission
ici : il faut fouiller un
peu pour trouver l'enregistrement : menu "coup de projecteur" puis "édition
2007". L'émission en question est celle du vendredi 28 septembre.
Revoilà les champignons et la forêt ! Mon
département est paraît-il le deuxième plus boisé de France après les Landes. Il
est vrai qu'il ne faut pas parcourir beaucoup de kilomètres pour trouver bien
plus qu'un bosquet mais de profondes forêts à s'y perdre, semblable aux livres
de Maurice Genevoix qu'il serait d'ailleurs temps de redécouvrir. Aller aux
champignons est une respiration, une méditation, une véritable philosophie qui
ne déplait d'ailleurs pas à mon fils Pierre, tandis que la philosophie dont il
vient d'avoir le premier cours aujourd'hui, a été jugée nulle et sans intérêt du
haut de ses 17 ans tous neufs d'aujourd'hui. Souhaitons qu'il parviendra à
dépasser ce jugement péremptoire par la cueillette des champignons et le lien
évident avec la philosophie : le nez à ras du sol au milieu des chênes géants
qui s'élèvent vers le ciel, le silence relatif des profondeurs de taillis, c'est
autant de thèmes philosophiques à aborder et qui ramènent toujours vers la
vanité humaine, son incapacité à penser un temps en accord avec les saisons. Il
doit y avoir vingt cinq ans que je parcours les mêmes chemins forestiers.
Combien ils restent inchangés est une évidence : les mêmes champignons au même
endroit depuis tant d'années. Et combien aussi les bois ont paradoxalement
changés, non pas par l'intervention humaine incessante des coupes de bois et du
débardage qui reste mesuré où je vais, mais par cette fameuse tempête naturelle
de Noël 1999 où il a fallu moins d'une heure pour que les arbres s'abattent
comme un château de cartes. Les signes sont toujours aussi visibles et pour
longtemps encore : les corolles des racines s'élèvent toujours comme des
éventails autours des troncs qui ont basculé. Mais revenons au temps présent et
à la cueillette de septembre : coulemelles cèpes de bordeaux, bolets, trompettes
de la mort à foison, mais aussi pieds de mouton et girolles. Il est tôt dans la
saison mais sans plus : je me souviens de pareilles rentrées des classes bien
mycologiques. Sur le même sujet, on consultera la
note d'étonnement du 19/09/2001, récit d'une balade juste après le fameux
attentat qui a fait basculer le monde, celle du
01/10/2003, et, en Webcam, quelques paniers de
champignons du 09/10/2005.
Pas eu de notes d'étonnements depuis deux mois.
Et pourtant il y a bien eu des motifs d'étonnements depuis, quelques
accélérations du temps que la vie vous distille de temps à autre. Quand je relis
la dernière note, je m'aperçois que les élections venaient juste d'avoir lieu,
c'était la préoccupation du moment, la campagne restait dans toutes les têtes,
avec les déclarations péremptoires, abruptes et souvent caricaturales qui
agrémentent le genre. Le débat a fait place à la vie qui continue, l'action.
Subsistent de temps en temps, quelques relents, quelques aigreurs, quelques
digestions difficiles, trop d'état, pas assez, trop vite, trop lent, trop
d'ouverture, pas assez de fermeté... Passons... La vie dans ce quelle a de plus
personnelle est également bousculée. Le travail d'abord, repris depuis mai. Puis
les examens de Licence : résultats positifs avec l'espoir de bénéficier à
nouveau d'un congé de formation pour un Master. Et puis le refus de mon
employeur. Et puis l'étonnement de finalement plutôt bien prendre la chose :
décision de mener de front et travail et Master, pourquoi pas ? Bref de quoi
s'occuper. c'est une bonne période cependant et la publication prochaine de
CV roman y est pour quelque chose : la dynamique et nouvelle équipe qui
m'accompagne chez Fayard donne des ailes et rattrape la demi-teinte de 1937
Paris-Guernica, le manque évident d'écho, l'inertie pour ce livre alors
qu'un peu partout ont fleuri des articles sur les soixante-dix ans de Guernica,
sans oublier que cela n'a pas dû arranger les difficultés de la petite maison
d'édition qui a fini par déposer le bilan. Mais il faut avancer et l'écriture
est un ressac permanent, une marée incontrôlable qui se concrétise parfois en
publiant deux livres la même année, comme si c'était facile, comme si c'était
oublier les deux, trois ans d'écriture, le ressort qui se tend lentement et que
l'on lâche sous la forme d'un livre. Et penser aussi que, qu moment où les
lecteurs me parlent de CV roman ou 1937 Paris-Guernica, comme s'il
restait ma préoccupation du moment, j'ai déjà pris les voiles : deux récits se
construisent en parallèle, sans savoir si l'un prendra le pas sur l'autre ou si
un troisième viendra interférer. Marée incontrôlable ai-je dit. Quelques phares
qui s'allument, points fixes sur l'échelle du temps et de l'espace : le havre de
paix sicilien approche, puis juste après la fameuse rentrée littéraire.
Impatience. CV. Continuer. Voguer : combien les derniers mots de CV Roman
restent d'actualité et motifs permanents d'étonnements.
Parlons dautre chose, dit Maurice Nadeau dans son dernier
numéro de la Quinzaine littéraire.
Drôle de printemps : un peu de politique, un peu de soleil, les esprits
s'échauffent... et le temps passe vite, si vite : dans quelques jours je reprends le
boulot pour six mois. Le congé formation de même durée se termine mais j'ai
l'impression que novembre c'était hier. Qu'aurais-je fait de ces six mois ? La dernière
année de licence bien sûr, comme si cela était naturel et c'est bien ma justification
première de ses six mois. Alors oui, du boulot régulier il y en a eu. Parfois des
semaines en janvier ou février bien remplies, week-end compris, cinq-six devoirs à
rendre, cinq-six heures pour chacun d'eux et autant de temps pour apprendre les cours par
correspondance, ni plus facile ni plus dur qu'en présentiel, une autre organisation
voilà tout. Et encore aujourd'hui, même si je me suis rendu en vélo à la plage du Der
la plus proche, à 15 km de chez moi (l'eau est déjà délicieusement bonne), j'ai bien
dû passer six heures à bosser sur un mémoire à rendre (Les Oeuvres illustrées
de George Sand...). Mais c'est du plaisir, un vrai plaisir, on ne se rend pas compte du
temps qui file. Les fastidieux et énervants sujets s'oublient vite (Ah, traduire Virgile
ou autre en Latin ! Et l'anglais à distance n''est pas le top...). Les exams approchent,
je ne regrette pas cette vie d'étudiant attardé. Je crois que c'est l'avenir pour nous
qui bosserons vieux : alterner études, formation, travail. Bien sûr cela à un coût et
en ce qui me concerne, c'est bien moi qui l'assume, je crois que c'est normal. J'espère
avoir la possibilité de recommencer l'année prochaine pour un master et des recherches,
la littérature est tellement intéressante. Je ne serai pas payé pendant ces six mois
mais qu'importe, cette liberté n'a pas de prix. Le 2 mai, donc, on m'attend déjà au
bureau, on a réactivé mes paramétrages informatiques, le lendemain je reprends le
rythme des réunions déjà. Je ne sais pas combien de temps durera cette énergie. On
verra. Je sais que je me lasse très vite du travail, de ses contraintes aliénantes et
puis je ne suis pas hypocrite, je ne sais pas faire semblant de m'intéresser quand le
boulot devient trop simpliste, réducteur. Le plus dur sera d'oublier cette vie au
quotidien dans un coin de ma tête alors que je vis en permanence dans la tentation de la
littérature, lecture ou écriture, mais mon travail est à cent lieues, pourtant...
J'aimerai par exemple me lever en réunion et déclamer le Bateau ivre de
Rimbaud...
Si j'avoue qu'il m'est arrivé de partager avec les électeurs du Front
National convivialité ou paroles, si de plus, un lecteur perspicace remarque que j'ai
déjà parlé plusieurs fois de Céline dans ces pages : alors oui, je serai pour lui un
suspect, un être malsain, un facho à éviter... C'est un vendredi 13 que j'écris cette rubrique d'étonnements,
cela va de soi. Sommes-nous superstitieux ? Moi, oui : je m'en était ouvert à Marie
Gobin pour un reportage dans Lire, il y a quelques années (les
tics et les tocs des écrivains... tout un programme). Je sais bien l'inutilité de la
chose mais chacun ses croyances (pour certains, c'est le personnage politique providentiel
espéré en cette fin de course électorale). Pour moi, je ne sais pas pourquoi, j'ai la
vague impression que cette date fatidique me conviendrait plutôt. Remarquez que ce n'est
pas le cas de tout le monde et il faut peu de choses pour nous faire basculer dans le camp
des pessimistes. Basculer, c'est le mot : je me souviens être passé un vendredi 13 à
Guignes, en Région parisienne il y a de cela fort longtemps mais je parierai que le
routier qui avait versé son camion sur le bas côté ce jour, à Guignes, s'en souvient
parfaitement et qu'il est devenu superstitieux... Mais ce vendredi 13 : tout va bien, je
me fais dorer au soleil, le printemps éclate, j'en profite pour immortaliser en rubrique Webcam le cerisier et les salons de jardin sortis depuis le début
de la semaine. Je photographie le chat aussi (qui n'est pas noir, ça porte malheur mais
j'en ai eu un qui l'était, un vrai bonheur...), l'animal donc étalé de tout son long
dans l'allée, ses petites pattes semblables à celles des lapins (qui portent bonheur),
bref le chat qui se fiche bien de savoir si ce vendredi 13 lui portera chance (et malheur
à l'un de ces merles tapageurs qui l'agacent prodigieusement).
Quils viennent de Dijon ou Urcy en Bourgogne, Valbonne ou Nice en
Provence-Alpes-Cote d'Azur, Saint-Julien-de-Coppel, région Auvergne, Damparis, en
Franche-Comte, Ognolles ou Courcelles-sur-Viosne, dans la Picardie, Meylan en Rhone-Alpes,
Rennes en Bretagne, Oignies dans le Nord-Pas-de-Calais, Nouan-le-Fuzelier ou Gièvres dans
la région Centre, ou encore de Villebon-sur-Yvette ou Bourg-la-Reine en Ile-de-France, et
Décines-Charpieu en Rhone-Alpes, Fey-en-Haye en proche Lorraine, Meyenheim,
dAlsace, ou Pontivy en Bretagne (cher à un certain Jacques
Bon), on trouvera aussi des Marseillais de Provence-Côtes dAzur, des Dolois de
Franche-Comte et jen profite pour saluer ceux que je connais :
Pascale, Emmanuelle, Raphaël, Anthony, Bernadette, Noëlle, Saadia, Mounir,
Marie-Thérèse, Alain, Maryse, Gaëlle, Nicolas, Vincent, Lynn, Colette, Edith, Marcelle,
Laetitia
J'avais eu peur d'être en retard. Dans le métro, les
hauts parleurs parlaient de la Gare du Nord fermée, incidents voyageurs, paraît-il.
J'avais du jouer des coudes pour trouver une rame sereine. Donc, je suis arrivé au salon
du livre juste à temps pour ma séance de dédicace de 19h30-21h. En arpentant les
allées à la recherche du temps perdu de mon stand, j'ai aperçu Amélie Nothomb (enfin
son chapeau...) qui faisait la même chose que j'étais censé faire, il y avait foule.
J'ai fini par trouver mon stand et l'endroit idoine qu'on m'avait installé, une table
posée contre l'allée passagère avec une pile de mes livres et, appuyée dessus, ma
photo en deux fois plus grand que ma vraie tête avec mon nom dessous comme une marque de
camembert. J'ai salué tout le monde et comme il y avait une chaise derrière tout le
montage table+ livres + photo, j'ai supposé qu'elle m'était réservée et je me suis
assis. J'ai salué Thierry Carmes, auteur d'une interessante trilogie ésotérique dont
deux tomes sont déjà parus : le Chant et la Complainte des arcanes. Nous avons
plaisanté et imaginé que notre éditrice commune ne choisissait ses auteurs qu'en
fonction de leurs prénoms. Un passant s'est arrêté devant moi. Nous avons fait
connaissance. Sympathique, ce Loïc.
J'ai tenté de le retenir le plus longtemps possible pour que s'arrêtent d'autres curieux
comme chez Amélie Nothomb mais il a fini par partir après m'avoir fait dédicacé un
livre. J'étais content de ce premier contact par rapport aux professionnels de l'édition
de mon stand qui se seraient sentis obligés de s'excuser du manque de monde avec les
arguments habituels : les gens n'achètent plus de livre, il y a désintérêt pour la
vraie littérature de qualité supérieure que je personnifie...etc, etc. J'avais donc
l'impression d'avoir rempli mon contrat donc en vrai professionnel, car vraiment
personnellement, cela ne me gêne en rien de rester seul dans mon coin comme un chien
abandonné, les oreilles tombantes et la truffe humide, avec ma photo devant moi en deux
fois plus grand et mon nom en marque de camembert. Il y a tellement de choses à faire en
restant assis à observer les passants, à s'impregner de l'ambiance bruissante, à
regarder les autres stands, à dégouliner un peu aussi car il faisait très chaud et
j'avais le poil mouillé. J'ai demandé une gamelle d'eau. Après avoir feuilleté
quelques livres (il y en a beaucoup dans ce genre de distraction), après avoir gaiement
bavardé, 21h est vite arrivé. Avant l'heure c'est pas l'heure, après l'heure c'est plus
l'heure. J'avais rempli mon contrat en bon fonctionnaire. Je me suis autorisé à quitter
le stand et je suis parti faire un tour dans le salon. Il y avait toujours foule devant le
chapeau d'Amélie. Je suis allé rendre visite avec plaisir à des éditeurs avec lesquels
j'ai travaillé. J'ai croisé des connaissances perdues de vue. J'ai eu des pertes de
connaissances en croisant des gens qui me disaient quelque chose. Cette femme en robe
noire avec un badge, je suis sûr l'avoir déjà rencontrée. Je me méfie, je ne suis pas
physionomiste pour deux sous, et même pour un seul. Mais je ne l'ai pas abordée, je ne
voulais pas me prendre une veste supplémentaire, déjà qu'il faisait si chaud. Après un
coup de fil pour se localiser, ma fille m'a rejoint et nous avons continué d'arpenter les
allées en plaisantant comme nous le faisons souvent tous les deux en regardant les poses
et les clichés de ce monde. Qui porte son verre bien haut. Qui rit trop fort. Qui tient
sa cigarette bien en évidence (ah, la bravade d'enfreindre la règle dans un lieu
public...). Qui interpelle à voix haute : il faut "abssssolument" que je te
présentes... Et puis d'un coup la fatigue, la soif. Nous avons des journées chargées,
elle et moi. Nous sommes repartis dans la tiedeur d'un soir de printemps. En rejoignant
son logement d'étudiant, nous avons continué à plaisanter. Je jappais comme un chiot
pour la faire rire. La nuit, j'ai peut-être rêvé de ma photo en deux fois plus grand et
de mon nom en marque de camembert, je ne m'en souviens pas. Ce qui est certain, c'est que,
le lendemain, en voulant changer l'ampoule, j'ai cassé en deux le pied de la lampe
halogène.
" Ce matin d'avril, je déploie mes pétales veloutés et
aussitôt je suis toute surprise d'avoir la couleur de l'azur. Je regarde les autres roses
qui sont rouges, jaunes. Suis-je donc anormale ? Ce mercredi 21 mars, ce sera le printemps. Et malgré la météo qui
prévoit un temps maussade, les quelques giboulées de pluie et de neige mêlée ne
donneront pas l'illusion d'un retour de l'hiver. D'ailleurs, d'hiver, il n'y a jamais eu.
Je me souviens avoir remarqué début janvier, alors que les chiffres du mois n'avaient
même pas atteint la dizaine de jours, la floraison des premières primevères, de
quelques pâquerettes téméraires. Il n'y a pas eu d'arrêt de la végétation, les
cyclamens étaient encore fleuris. Les jonquilles (qu'on ramasse par brassées dans les
bois alentours) ont succédé aux perces-neige avec un mois d'avance. Ces derniers n'ont
eu de l'hiver aucune croûte blanche à percer. J'aurais presque pu laisser les géraniums
dehors. D'ailleurs, je l'ai fait, j'ai juste couvert les balconnières d'un film antigel.
Je n'ai pas pu tailler les rosiers, je m'y suis pris trop tard, d'habitude, j'attends les
premiers jours de mars mais les feuilles étaient déjà grandes et vernissées. Les
pucerons, même pas décimés par quelques gelées, sont déjà réapparus. Les magnolias
élèvent leurs fleurs somptueuses, les prunus s'éveillent en mauve, un petit cognassier
est fleuri depuis février. Les abeilles s'éveillent gaillardement. Bref, c''est le
printemps !
J'ai le choix ce mardi 13 mars, chiffre porte bonheur : le bonheur donc
d'aller écouter un poète de grand renom dans la librairie de ma ville ou de partir à la
découverte du nouvel avion de chasse de la base aérienne toute proche et pour lequel je
suis invité. Evidemment, on pourrait croire qu'entre poésie et symbole guerrier, il n'y
a pas de question à se poser quant au choix à faire.
A la question (qu'on ne me pose jamais...) "Quelle qualité -
capacité, don, aptitude que vous ne possédez pas - aimeriez-vous avoir ?", je
répondrais dans hésiter : être entièrement bilingue. Être aussi à l'aise dans ma
langue maternelle que dans celle que j'aurai choisie, penser, imaginer dans cette langue,
en comprendre les subtilités, l'étymologie, la comparer avec l'autre et parler, oui
surtout parler. L'étude des langues en France possède ce paradoxe scolaire : depuis
l'apprentissage de la sixième, voire maintenant depuis l'école primaire, l'élève qui
retient facilement les nouveau mots, qui lève le doigt pour répondre, est bien sûr
sollicité mais très rapidement, chaque enseignant le délaisse puisqu'il sait qu'il
détient la réponse au profit de ses camarades moins sûr d'eux dans des classes
surchargées. Je connais ainsi un lycéen qui obtint 18/20 à son bac d'anglais, épreuve
écrite, en n'ayant jamais eu l'occasion d'échanger une véritable conversation. Sa note
reflète sa connaissance en vocabulaire, grammaire, syntaxe comme s'il s'agissait du latin
ou de toute autre langue morte (pardon, on dit langue ancienne ou disparue, euphémisme et
langue de bois...). Je n'ai jamais atteint de tels niveaux de notation quand j'étais au
collège ou au lycée et les paroles des Beatles ou les Stones sur les pochettes des 33
tours ont complété mon apprentissage. Car c'est l'anglais que je connais le mieux. J'ai
tout oublié de mon allemand scolaire et, à l'étranger, comme tout le monde, j'apprends
sur le tas à prononcer dix formules de politesse dans les pays que je visite : les
"gracie mille" et "gracias" italien et espagnol,
l'"obrigado" du Brésil ("obrigada" si on est une femme), le
"choukran" en arabe. L'anglais qui m'est plus familier, n'en est pas moins
difficile, je suis capable d'échanger une ou deux phrases sans trop chercher mes mots,
comprendre une conversation si l'accent n'est pas trop prononcé et le débit rapide :
exit donc habitants de Manchester et Liverpool, new-yorkais et la plupart des américains.
A l'écrit, c'est un peu moins pire et je préfère lire directement en anglais plutôt
qu'une mauvaise traduction. C'est valable pour des articles courts de quelques pages
mais l'accumulation d'un roman va vite me fatiguer. J'estime que je connais dans un texte
à peu près soixante pour cent des mots, le reste se fait par déduction. A force on
finit par un peu entrevoir l'imagerie de l'anglais, pourrait-on dire, sa force
d'évocation directe qui m'attire beaucoup.
En 1911, à Dresde, a eut lieu la première exposition universelle
d'hygiène et qui accueillit plus de cinq millions de visiteurs. A cette époque, Pasteur
et la vaccination étaient encore proches, la médecine faisait de grands progrès, bref,
tout ce qui pouvait améliorer la santé était bienvenu. Il y avait beaucoup à apprendre
pour une population concentrée dans les campagnes, les réseaux d'eau existaient peu, les
puits, les maladies des animaux, quelques règles élémentaires et faciles à mettre en
uvre, sans oublier de s'occuper d'une industrialisation récente qui tirait sur la
corde de la santé des travailleurs. Et puis, comme à chaque fois que se profile un
marché économique, on chercha à tirer parti de cette mode qu'on appela hygiéniste,
sous le prétexte généreux mais lucratif, d'améliorer les conditions de vie et qu'on
mélange parfois faussement avec la notion de progrès, d'industrialisation. Réseaux
d'eau donc, électricité, tout pour le confort de la ménagère et de ses enfants. Ce
n'est pas une époque si lointaine. Je me souviens des lampes à pétrole d'éclairage
chez mon grand-père et j'ai connu Albert Kritter, ingénieur hydraulique et écrivain,
qui a ventilé l'eau sur tous les robinets de mon département (voir toutes rubriques de
ce site dans les archives du 12/03/2003). A l'époque où l'on parle de logements
décents, il est bon de se rappeler, sans pour autant se dire que c'était le bon temps,
que tous ceux de ma génération, pas si canonique que cela, ont connu, dans leur prime
jeunesse, un seul point d'eau par appartement et la joie de se laver sur l'évier devant
tout le monde. Je n'aime pas la neige. C'est blanc, c'est froid, ça mouille. C'est une vieille
plaisanterie familiale qui ressort à la mauvaise saison : souvenir d'une soirée
vosgienne où ces états d'âme avaient soulevé une hilarité partagée entre amis. Un
bon souvenir donc. C'est étrange car il est vrai que je n'aime pas la neige, mais
profondément, j'en éprouve même un dégoût nerveux au départ. Pourtant j'en ai déjà
profité maintes et maintes fois. Je sais skier, enfin, je passe à peu près sur
n'importe quelle piste. Des souvenirs oui : des virées en solitaire en ski de fond, avec
juste le crissement de la neige et les sapins comme témoins, des balades en groupe dans
le même sport, le plaisir des haltes et des plaisanteries, la bienfaisante fatigue aussi.
Et l'ivresse de la piste : dérapages, bosses à sauter. Je suis un clown à la neige,
paraît-il. J'oublie de descendre du télésiège, mes chutes sont spectaculaires, dignes
d'un vidéo gag. J'ai même déraillé la fermeture de ma combinaison de ski à 2000 m et
je me suis retrouvé presque à poil en bas de la piste avec le vent qui s'engouffrait
dans mes habits. Je dois la bosse que j'ai sur le nez à un accident de luge, tout
enfant. La luge avait continué de glisser sans moi : je m'étais encastré dans un arbre.
Je me souviens encore du nom du pré en pente que nous dévalions à Langres, le Champ des
surs. Plus tard, en essayant des dérapages sur neige avec la Renault 4 de ma
frangine, je m'étais retrouvé en travers entre deux congères, impossible ni d'avancer,
ni de reculer. Je fais rire donc... mais à quel prix ! Car les inconvénients de la neige
sont nombreux : les bouchons sur la route, le prix prohibitif des locations, le froid, les
queues aux télésièges, les mines renfrognées des voisins. Beaucoup de contraintes pour
peu de plaisir en somme. On me rétorquera que je ne suis pas obligé. Mais, en bon père
de famille, comme dirait l'autre, la neige représente souvent quelques jours de vacances
tous ensemble. Et encore des souvenirs. La peur mêlée de fierté devant sa propre
progéniture qui vous dépasse en vitesse, les mains réchauffées de mes deux neveux
antillais pas vraiment habitués au climat. Par dessus, c'est aussi l'idée enfantine du
plaisir des flocons, bonhommes de neige, batailles de boules.
2007 sera l'année du cochon chez les chinois. La transition est facile pour vous
parler d'un véritable écrivain qui me tient à cur. Enfin, une écrivaine, une
auteure comme on dit maintenant (je ne me ferai jamais à cette déformation artificielle
de la langue...). C'est une amie donc, une amie grand-mère, une amie grand-mère
écrivain et cochonne. Ourse cochonne c'est son pseudo quand elle m'avertit de la mise à
jour de son site, en principe tous les mois. Car en plus, elle surfe, la grand-mère
écrivain et cochonne ! Et avec talent : je vous conseille de vous rendre sur son site www.cochonnet.org. Evidemment, l'animal rose est son
totem, elle en connaît tous les détours, elle a poussé son groin dans pas mal
d'endroits. Journaliste, femme politique même (ce n'est pas réservé qu'à
certaines...), on la voit de temps en temps débarquer au volant de son cabriolet de sport
rouge, arborant de temps en temps une tenue excentrique, collant rouge flamboyant ou
chapeau digne de la Reine d'Angleterre, c'est dire... Car la tranquillité n'est pas son
fort, du moins en apparence : son entourage a dû renoncer depuis longtemps à attendre la
femme sérieuse qu'elle se devait d'être. Nous y avons gagné en fantaisie, joie de vivre
et amitié. Mais il ne faut pas se fier qu'aux apparences, elle sait bâtir du solide, du
concret. Elle a su se montrer à la fois capable de s'occuper d'une étude juridique
pendant plusieurs dizaines d'années, et, entre deux reportages, d'assumer la
comptabilité de l'Entreprise multimédia d'un de ses fils, voire d'un dentiste. Elle fut
aussi Présidente des Ecrivains de Haute-Marne et c'est grâce à elle que des salons
littéraires virent le jour dans tout le département, grâce aussi à sa volonté que se
réalisa l'ouvrage anthologique 52 écrivains de Haute-Marne. Côté écriture
Gil Melison, son vrai nom, utilise parfois le pseudo d'Even Gil (sic !) pour quelques
nouvelles érotiques et généralement joyeuses. La liste de ces recueils est éclectique,
des publications nationales à ses carnets de voyages réservés aux proches, de la
poésie la plus pure aux projets les plus inattendus comme cet ouvrage sur les jardins
haut-marnais. Il faut absolument suivre sur www.cochonnet.org,
le feuilleton Du Hard ou du cochon, dont les trouvailles langagières, l'univers
déjanté et la joie de vivre évoque un Rabelais égaré chez les Schtroumfs. S'il est
des textes sur Internet qui devraient trouver leur prolongements dans des livres en chair
(rose) et en os (jarret de porc ?), assurément Du Hard ou du cochon est
sans doute celui que je rêverais de posséder, imprimé bien entendu sur du papier à
charcuterie.
J'ai quelques réticences récurrentes à propos d'Internet. Non pas que j'en conteste
le bien fondé, je n'y serais pas visible autrement. Je me souviens de Tanguy Viel, dont
la jeunesse laissait imaginer une réceptivité plus grande à l'outil Web mais qui finit
par abandonner l'idée d'un espace personnel. Cette décision m'a toujours intrigué,
continue d'ailleurs à le faire. Et puis l'exemple des autres écrivains, François Bon
bien entendu, mais aussi rejoint par d'autres utilisateurs tout aussi dynamiques,
constituent des niches où la créativité s'imbrique constamment dans la littérature.
Les structures aussi ont dépassé depuis longtemps notre étonnement (d'où la place en
cette rubrique), des premiers modèles économiques associant livre et internet comme
Inventaire-Invention qui doit bien exister depuis près de dix ans maintenant, jusqu'à la
communauté Remue.net. Et que le Web ait repoussé les frontières, nous en voyons les
avantages tout autour de nous. Blog de tous poils, échange MSN... Des liens se sont
crées, parfois retendus. C'est un beau-frère resté en Guadeloupe qui converse
souvent avec ses quatre enfants installés en métropole, c'est une cousine qui a pu
chaque jour montrer à sa toute jeune progéniture leur père qui travaille en Afrique du
Sud. Comment tiendrait-on autrement ? Je ne conteste pas la richesse de ces liens et si
MSN contribue à augmenter la fréquence des échanges avec sa famille ou ses amis, loin
de moi de honnir le Net, de regretter le bon temps du téléphone S63 cadran. Je ne suis
pas passéiste. Le web est donc partout dans tous les échanges et a forcement
redistribué les cartes de l'économie : le paysage de l'édition, de la distribution et
des libraires en sait quelque chose. L'expression "on n'a pas le choix" est
réelle pour chaque secteur professionnel, de l'administration à l'usine, du moindre
café-tabac perdu en campagne française à une plate-forme de télé opérateurs du
Maroc. Alors d'où me vient cette réticence que j'ai bien du mal à formuler ?
Disons que ce pourrait-être la volonté de rester un peu en deçà, un peu à la traîne.
Non pas pour rester au fond ( je n'ai jamais eu la gloriole du cancre) ou pire revenir en
arrière, mais juste parce que j'ai l'impression que le mouvement qui pousse l'ensemble
des utilisateurs internautiques à adopter la nouveauté permanente (travail collaboratif
- qui, entre parenthèse, existe depuis dix ans, j'en faisais le Marketing à une
époque -, fil RSS et autres), ce mouvement donc me rappelle l'inévitable course au
progrès débutée au XIX°. Outils nouveaux, exaltations... Mathématiquement, ce
mouvement demeure vectoriel, unipolaire, philosophiquement engagé dans une seule
direction et c'est bien là que le bat blesse. On me rétorquera que c'est faux,
l'universalité nous garantit pouvoir et contrepouvoir. Oui sans doute mais sait-on
prévoir, réfléchir aux conséquences de la connaissance exhaustive et instantanée
qu'on nous propose, de surcroît, de plus en plus dirigée ? Orson Welles avait semé la
panique aux Etats Unis en 1949 avec la Guerre des Mondes, c'est ce type de réaction
collective qui m'inquiète. Déjà on perçoit l'inégalité et les tensions entre ceux
qui détiennent l'information et les autres. Oser prétendre qu'Internet sera en mesure
d'apporter une même communication, compréhensible par chacun en fonction de sa propre
sensibilité (qu'on imagine forcement démocratique) est un dangereux leurre et attise les
tensions. De plus, individuellement nous savons déjà bien nous limiter dans les apports
de l'information en masse qu'on nous propose : l'un refusera la télé, l'autre le
parti-pris d'un journal. Or, collectivement nous ne réagissons pas comme cela, nous avons
tendance à avaler l'ensemble du gâteau. Bref, j'ai peur de la vaste manipulation où
nous conduit la structure de plus en plus formelle et rigide qui se construit non pas
autour de nous, mais avec nous, avec notre assentiment dans la mollesse des consensus du
Web. J'ai du mal à expliquer cette position arqueboutée mais j'y tiens, c'est sans doute
ma façon de me doter de garde-fous et le fou est toujours dérisoire. Le
fonctionnement pépère de mon site (qui d'ailleurs est visible puisque vous y êtes
!) demeure pour moi suffisant. On y voit parfois ringardise, on pense que je pourrais
améliorer le côté bricolo mais je n'ai pas le temps et surtout pas l'envie pour les
raisons philosophiques évoquées plus haut. Ce qui m'intéresse n'est pas la logique de
l'amélioration, de l'esthétisme et du progrès mais celle de l'accumulation, de la
réflexion, de l'écrit qui tout de même existe dans ces pages élaborées avec un
programme de dix ans d'âge mais dont la mécanique est parfaitement huilée. Et
accessoirement, d'y réfuter cette course à la modernité. Intrinsèquement, mon site Web
existe donc je suis.
Il est d'usage de faire valoir ses bonnes résolutions en début d'année. Je l'ai
déjà fait maintes et maintes fois. Intentions d'actions... D'étonnements ? Pourquoi
pas. J'avais estimé que 2006 serait politique l'année passée. Que dire de 2007 ! Elle
le sera forcément. Attendons nous aux coups bas... Mais pas seulement ! Soyons positifs
car la politique est nécessaire. Si le CPE a provoqué un débat, tant mieux. On agite de
vieux spectres devant nos yeux, on sait que, comme tout nouveau changement et peu importe
le parti, on pressent qu'il y aura rupture. Ne soyons pas angéliques, prêts à dire oui
à tout, ou buté pour refuser tout changement. Il faudra transiger, débattre, admettre,
se ranger, opter. L'important est de savoir jusqu'où on sera prêt à aller. Dans chacun
de nous, il y a une part prête à avaler des couleuvres, nos politiques le savent bien,
mais aussi des points d'achoppement irréductibles. Etre de gauche ou de droite n'a guère
de sens, les positions de principes et le principe des positions irrémédiables n'ont
jamais fait avancer le schmilblic. S'il fallait par exemple descendre dans la rue pour
conserver l'abolition de la peine de mort, j'espère que nous serions nombreux à le
faire. Mais en revanche, je me sens à l'étroit dans mon tricot de marcel français, je
me sens seul à réclamer ma nationalité européenne avant celle de me sentir hexagonal.
Je dois être un des rares à défendre une imposition plus large, à vouloir étendre le
nombre de contribuables d'une manière significative quitte à faire rentrer dans le
calcul les prestations sociales... Chacun de nous à son côté obscur, ses arguments
originaux, son côté facho, ses hérissements. Méfions-nous de nos jugements hâtifs :
on a failli écarter à jamais du Panthéon des Lettres l'auteur du Voyage au bout de
la nuit à causes de ses stupides convictions politiques. Rien ne me déplaît plus
que l'aspect visqueux, malsain et crasseux de l'extrème droite, rien ne m'inquiète plus
que l'obligatoire solidarité veinée de judéo-chrétien dans un pays qui sut rester
crispé sur la question du voile et d'une laïcité empesantie. Les Restos du Cur
deviennent une institution, fêtent chaque année leur anniversaire comme n'importe quel
supermarché. Pour un peu, nous trouverions cela normal. Qui pose la question, non pas du
libéralisme mais de la consommation effrénée ? J'avais fait un atelier d'écriture il y
a deux ans pour une classe de seconde et nous avions abordé la question de la publicité.
Celle-ci était tellement imprégnée dans le crâne de chacun avec la consommation qui va
avec qu'il n'est pas venu à l'idée d'un seul élève qu'on pouvait se permettre de
porter un jugement négatif sur elle. Elle est là, comme tout. Comme Internet. Et
d'ailleurs Internet, hein ? Si on se posait la question ? Et si la course à l'information
était réversible sans pour autant retouner vers l'obscurantisme ? Et si on en profitait
pour élever le débat sur des questions encore plus philosophiques mais dont en entrevoit
bien les prolongements ? La vie a-t-elle un coût maximal ? Peut-on nationaliser le corps
humain ? A l'inverse, permettre un actionnariat économique de l'individu ? Quel
investissement, quel effort sommes nous prêt à mettre pour tout ce qui touche à nos
vies, l'amour, la famille, l'écriture, que sais-je encore ?
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