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Etonnements 2006

En rédigeant la note de "lecture" sur le téléfilm Sartre, l'âge des passions, je me suis aperçu que cela faisait longtemps que je n'avais pas fait l'inventaire de ce que je regarde à la télévision. Les deux précédents récapitulatifs de mes habitudes télévisuelles, si j'en crois le fouillis ordonné de mon site datent du 23/05/2001 et du 28/01/2004. Avant de comparer avec ces échantillons, faisons le tour de la semaine dernière. Donc, première difficulté, se souvenir. Dégénérescence précoce de l'âge ? Je n'arrive pas à savoir immédiatement ce que j'ai fait de mes soirées quelques jours auparavant, il me faut faire un effort. Voyons, cernons la période, mettons du jeudi 7 au jeudi 14 décembre. Jeudi 7, je fus à Paris, je revins à 20h45, je ne me souviens pas avoir regardé quoique ce soit. Vendredi 7, je fus à Chalons pour récupérer ma fille au bout de cinq heures de retard d'un train qui n'eut même pas la décence d'arriver jusqu'à ma ville, puis dans la foulée, concert de guitare classique, donc néant pour la TV. Samedi, je fus à Dijon, je revins pour une joyeuse raclette familiale sans télé. Dimanche (ah, là, j'ai le programme encore en cours, c'est une aide précieuse - d'abord à propos de programme, notons que la couverture présentant un animateur célèbre est gribouillée, ne pouvant encadrer (dans le petit écran) le dit animateur que je trouve prétentieux, ce qui prouve bien que la télé exacerbe les passions, plus que la lecture - voir en Notes de lecture). Donc dimanche rien, sans doute ai-je gratouillé un peu de guitare électrique. Lundi et mardi ce fut   Sartre, l'âge des passions, 3 heures sur ces deux jours. Mercredi, ah si, je me souviens très bien de mercredi, j'ai commencé à regarder d'un œil distrait l'émission accrocheuse des Trente impostures les plus incroyables simplement par un réflexe idiot de l'avoir allumée en mangeant. J'ai continué à laisser la télé ouverte en lisant Camus (j'ai retrouvé l'exemplaire de la NRF de 1960, hommage à la suite de sa disparition - d'ailleurs le téléfilm de Sartre en parle à un moment). Dans ces conditions, mon acuité télévisuelle s'est réduit d'une bonne moitié : comptons 1 heure au total, grand maximum... Par ailleurs en reprenant le programme, je me suis aperçu que j'avais oublié le documentaire sur Arte L'Europe des fronts populaires qui m'intéressait... Et puis jeudi, qu'ais-je fais hier soir ? Ah, j'ai rédigé ma note de lecture sur le téléfilm de Sartre ! Au total, ça fait donc 4 heures en une semaine. Ajoutons à cela quelques informations glanées dans Télématin à l'heure du petit déjeuner, 1/2 heure par jour du lundi au vendredi, ça fait 2H30. Et puis le journal de la mi-journée sur FR3 parfois au repas avec mon fils, 1/2 heure, ça fait aussi 2 heures. Ajoutons le mercredi midi, jour où mon beau-père vient déjeuner et allume d'autorité TF1, me laissant épuisé littéralement après 1heure de Attention à la marche et de Jean-pierre Pernaud pour le JT : 1 heure encore. Finalement au total ça a bien fait 9h30 pour la semaine dernière..
Voyons les précédents inventaires et ce que j'y mettais (extraits) :
23/05/2001 :
-Dimanche 6 mai : rien
-Lundi 7 mai : Greysoke, la légende de Tarzan, de 21h à 23h, France 3

-Mardi 8 mai : Le huitième jour, de 21h à 23h, TF1
-Mercredi 9 mai : la prise de pouvoir de François Mitterrand + Le cerveau de Ravel, de 21h30 à 23h00, Arte
-Jeudi 10 mai : Conversation avec un président, de 21h30 à 23h, France 2
-Vendredi 11 mai : Bouillon de culture, de 23h à 0h15, France 2
-Samedi 12 mai : Plein les yeux, de 22h à 23h, TF1
A noter quelques zapping sur Soir 3 (France 3) pour les actualités. En journée, rien, sauf le mercredi, Le juste prix (20 mn TF1) en fond sonore pendant le repas. Mon audimat se décompose ainsi :
-TF1 : 3h20
-France 2 : 2h45
-France 3 : 2h
-Arte : 1h30
-M6 : rien
Je n'ai pas d'autres chaînes.
Soit 1h20 par jour. Suis-je dans la moyenne ? Il est bon de faire se genre d'inventaire : on s'aperçoit que nous sommes tout de même perméables aux fadaises (1h20 de Juste Prix et Plein les yeux) malgré 4h15 d'émissions plus culturelles et 4h de fictions. A noter que Bouillon de Culture et le cerveau de Ravel sont celles qui m'ont laissé le meilleur souvenir.

28/01/2004 :
Faut pas rêver, deux heures d’émission le mardi sur la route de la soie sur France 3, une demi-heure d’Envoyé spécial (France 2) le jeudi en fond sonore et tout en consultant Internet, quinze minutes d’une émission sur les Peaux Rouges (Arte) lors du repas de samedi soir, inévitablement entrecoupé des conversations familiales. En tout 2h45 d’émissions chopées par hasard et pour une semaine contre près de 10h en 2001 (la moyenne, d’après un récent article, n’a augmenté que de quelques pour cent en 2003 et reste de plus de 3h/jour et par habitant – donc 21 h par semaine – mais beaucoup plus aux Etats-Unis, au grand désespoir des annonceurs publicitaires français…). Pas de doute, la désintoxication télévisuelle fait son chemin chez moi…
Ce qui m'intéresse d'abord, c'est le rapport chiffré. Je me maintiens aux alentours d'une heure par jour, principalement d'informations générales donc trois fois moins que la moyenne nationale. Les apports du soir sont très limités : la "désintoxication télévisuelle" que j'évoquais en 2004 est donc de longue durée... Constat nouveau : je n'ai pas d'aversion totale pour la télévision, j'en reconnais les bienfaits puisque je la consomme avec beaucoup de modération. Cependant, il est intéressant de revenir à l'état d'esprit de 2004 où j'avouais éteindre le téléviseur lorsque la tête de Sarkosy apparaissait ou au bout d’une ou deux minutes de journaux d’actualités "par une sorte de saturation des problèmes franchouillards-franco-français" disais-je. Je n'agis plus dans cet "énervement", non pas parce que j'ai rallié d'emblée les thèses de l'UMP mais peut-être parce que la politique m'interesse davantage à l'aube des présidentielles. Peut-être aussi que ma réaction épidermique d'alors était un signe avant-coureur du passage à vide qui m'arriva six mois plus tard et m'enquiquina pendant six autres mois. J'aurais dû me méfier.... La télé sert-elle de révélateur de notre bonne santé ? Ce serait plutôt un avantage...
(20/12/2006)



Finalement, j'aime voyager, constate le pantouflard douillettement installé à son bureau et que je suis. Jugez-en : l'année qui s'écoule aura commencé en Espagne à San Sebastian et se sera terminée dans le même pays, à Sevilla. J'aurai vu aussi l'Egypte, le Maroc, Liverpool et la Sicile cette même année. Ceci pour ne citer que l'étranger, sinon, il faut rajouter Clermont-Ferrand, Mont-de-Marsan, Nantes, un nombre de villes incalculables de mon Nord-Est, de Besançon à Charleville, de Lille à Amiens, en passant par Dijon, Troyes, Nancy, Metz, le Luxembourg, Paris de nombreuses fois, des campagnes, des champs, des villes, des villages, des autoroutes, des chemins. J'aurai longé les volcans de Naples et l'Etna sicilien, les vignobles de Bourgogne, ceux de l'Alsace, du Bordelais et du Val de Loire, les abricots du Valais, les orangers d'Espagne ou du Maroc, les oliviers de partout. J'aurai arpenté des montagnes, traversé les cols de l'Atlas, des Alpes, des Pyrénées, du Jura, des Vosges. J'aurais flané sur les docks des Beatles, sur les berges de Loire, de Seine, du Léman, du Guadalquivir. J'aurai gouté la Méditérrannée, la mer rouge, la mer d'Irlande. J'aurai croisé des voyageurs identiques à moi dans les aéroports, cotoyé la foule dans les souks de Fez, conversé en anglais avec des touristes russes et mes hôtes siciliens, écouté des visites en Espagnol, tenté quelques mots d'arabe, d'italien. J'aurai effectué en voiture des trajets de deux milles bornes (elle en compte cinquante mille en quinze mois, la voiture). Je serai monté dans des cars de luxe, des autobus urbains, des minibus, des ferries. J'aurai même piloté un quad dans le désert.
Je ne sais pas pourquoi j'ai ce goût des voyages. Je suis quelqu'un de plutôt réservé, observateur, descriptif : je suis un homme du récit plus spontanément que celui du discours (voir en note d'écriture...) mais justement, c'est le discours que je recherche, le contact. Il est sans doute devenu beaucoup plus difficile, plus artificiel qu'autrefois à cause de la facilité des voyages : l'étonnant voyageur, pour reprendre le nom célèbre d'un festival du livre, n'est justement plus étonnant et au delà des apparences et des signes reconnaissable du touriste, il lui est plus difficile d'aller au contact de l'autre. Quoi, que me veut cet étranger de plus ? Non, c'est un étranger de moins qui se manifeste, un de ceux de la vaste confrérie mondiale des globe-trotters car toute ouverture vers l'extérieure est bonne, même au delà des clichés touristiques. Que je me soit essayé au Flamenco à Séville, que je sois devenu adepte des bains arabes, c'est au départ le même esprit populaire que le blues de Nouvelle Orléans et que je joue sur ma guitare électrique en Haute-Marne. Le hasard des voyages en tous sens a voulu que le musicien new-yorkais Popa Chubby vienne à une heure de chez moi dans un petit club de village jouer du Hendrix ou que j'écoute Carmen la veille de partir en Andalousie. J'irai d'ailleurs sans doute dans ce même lieu où j'ai choisi de vivre écouter la Norma de Bellini entre deux étés dans la Catania natale du compositeur. Les distances se sont raccourcies, c'est une évidence. Des cousins familiaux ont choisi de vivre au Brésil mais revoient leurs familles plus fréquemment que le banlieusard isolé. Un autre travaille en Afrique du Sud mais rentre le week-end chez lui. Longtemps j'ai cru avec condescendance que les voyages étaient un truc pour les retraités, un truc pour nos parents, que quand on travaille, vous comprenez, on ne peut pas... Cet arbitraire de l'âge et des vies bien réglées n'est plus. Tant mieux. Je me penche sur une mappemonde et je regarde déjà aux prochaines destinations, aux prochaines rencontres.
(06/12/2006)

 

Inventaire d’une table de cuisine, vingt-trois novembre 2006, à 15h50 : un ordinateur portable de marque IBM, noir, sur lequel il y a écrit " Inventaire d’une table de cuisine, vingt-trois novembre 2006, à 15h50 : un ordinateur de marque IBM, noir, sur lequel il y a écrit ", l'engin placé sur un set de table en plastique rose, cachant le motif d’un éléphant enfantin que l’on retrouve sur un autre set de table identique un peu plus loin à droite, vers le milieu du grand côté de la table, un coin caché par le sommet de l’écran de l’ordinateur portable derrière lequel (le deuxième set) s’alanguit une télécommande de marque Toshiba, rafistolée avec du scotch, dirigé vers la télé (hors cadre), tandis qu’à gauche de celle-ci, un épais tapuscrit spiralé est posé sur le ventre, de telle sorte que la couverture cartonnée immaculée de beige, ne laisse pas deviner que je suis le seul à savoir qu’il s’agit de CV roman, dernière version, contre la tranche duquel une deuxième télécommande grise de marque écrite en trop petit est pointée vers la platine CD (hors cadre) dans laquelle je suis le seul à savoir qu’un album de blues de Calvin Russel est inséré, contre laquelle (la télécommande) se tient un livre à apparence neuve, à couverture souple et verte, déjà cornée, on ne voit pas le titre, à savoir que je suis le seul à savoir qu’il s’agit d’un livre de grammaire, l’ensemble tapuscrit, télécommande grise et livre posé sur un set de table en plastique à motifs bleu, pour lequel je suis le seul à savoir que l’animal dessiné dessus du même trait enfantin que l’éléphant est un serpent, puis, en continuant le tour dans l’ordre inverse des aiguilles d’une montre, c’est maintenant un paquet de mouchoir au bord de la table, pour lequel je suis le seul à me demander comment il a atterri là, sans doute mon fils à midi, puis, revenant vers l’ordinateur portable, cette fois-ci par la gauche, un dernier set de table, identique au bleu, complète le jeu de quatre sets de table, deux roses avec éléphant, deux bleus avec serpent, ramenés par mon épouse, avec la sinécure de secouer les mies de pain et devoir les laver alors qu’une nappe serait plus facile à entretenir, à savoir que je suis le seul à le dire, ainsi, le serpent du dernier set que je suis le seul à deviner demeurant toujours invisible, caché en partie par un étui oblong en imitation laque, plus sûrement en véritable plastique, écrin comme celui des stylos, à l’intérieur duquel je suis le seul à pouvoir attester qu’il contient effectivement deux stylos plumes et un stylo bille, le plumier étant partiellement recouvert d’un classeur ouvert, bleu sale de petit format, long, destiné à accueillir des fiches Bristol dont une seule est visible, vierge à petit carreau, d’un bleu passé tirant vers le vert dans le restant desquelles je suis le seul à savoir que j’y rédige les résumés des cours de Lettres Modernes, le dit classeur posé sur une pile de polycopiés roses dont le seul texte visible précise " 2 bd Gabriel 21000 DIJON " et pour lesquels je suis le seul à savoir qu’ils contiennent des Cours Magistraux et des Travaux Dirigés de Stylistique, écrits tout serré et pas facile à retenir, l’ombre de l’un deux est projeté par la lampe et pour laquelle je suis le seul à savoir qu’il s’agit d’une lampe à suspension pour laquelle il faut remplir le contrepoids avec des billes de plomb, l’ombre donc se poursuivant dans la surface plane par la blancheur du revêtement mélaminé de la table, blancheur parvenant à l’ordinateur portable par l'intermédiaire d'une clé USB, très belle, recouverte de cuir (cadeau), semblable au fourreau d'un petit couteau suisse, dans laquelle je suis seul à connaître la liste exacte des fichiers textes et images empilés numériquement et qu’un petit cordon relie à l’ordinateur portable dont on voit le clavier, alternativement frappé maladroitement par deux mains à la manière de ces agents de police frappant fort d’antiques machines à écrire les dépositions et dont je suis seul à savoir qu’il s’agit de mes mains, recouvertes jusqu’à la base des doigts par un vieux tricot de laine de couleur feuilles d’automne, roux bordé de bleu, et pour lequel je suis seul à savoir qu’il sert me protéger du froid en attendant que le plombier ait fini d’installer la chaudière tandis qu’à côté de la main droite un polycopié retourné dont je suis le seul à savoir qu’il complète la même série de cours de stylistique, sert de tapis à une souris éclairée d'une lumière bleue, inoccupée pour l'instant et qui attend son heure. Il est 16h18. La table est ovale, vient d’Ikéa, nous sommes peu nombreux à le savoir, les pieds sont proéminents, il arrive fréquemment qu'on se cogne dessus en en faisant le tour, nous sommes beaucoup à avoir tenté l'expérience. Il faudrait que je reprenne CV roman, je ne suis pas le seul à le dire, je suis le seul à savoir que je n’en ai pas momentanément envie ce vingt-trois novembre 2006, 16h24.
(29/11/2006)

 

La guitare est sans doute un sujet d'étonnement chez ceux qui me connaissent, une sorte d'arlésienne qui ressort de temps à autre, un truc d'ado, une lubie qui m'a fait me procurer, à l'âge où l'on brocarde de vieux élans en leurs temps réfrénés, une guitare électrique, oui, une vraie, une qui marche au nucléaire. Il y a sans doute quelque chose de plus profond, le rapprochement entre l'exercice du blues et l'écriture est si proche qu'on ne pourrait y glisser une page (blanche, ça va de soi) ou une partition de jazz (noir, ça va aussi de soi) : allez voir en note d'écriture, cette semaine.
Ici, c'est un peu l'histoire, ma légende personnelle de ce machin qui nous a tous secoué et que décrit admirablement Rolling Stone, une biographie de François Bon, six cordes tendues au travers d'une poêle à frire avec passage du courant dedans, l'invention qu'on attendait depuis longtemps, encore plus tordue que la position du violoniste en face de la méthode du Petit Paganini.
Pour moi, avant que l'invention ne marche au nucléaire, j'avais découvert la guitare pour de vrai dans la promesse que m'avait faite mon grand-père de m'en fabriquer une. J'imaginais déjà l'allure et la sonorité d'une balalaïka, étant donné les origines slaves de la famille paternelle, toujours est-il que l'entreprise échoua mais que j'eus ma guitare comme prévu à Noël, une vraie de chez le marchand (voir en Webcam, 1 et 2 juillet 2006) et qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à la première de John Lennon que j'ai vu au musée Beatles de Liverpool. J'ai donc découvert que mon père connaissait quelques notes que je me suis empressé d'apprendre avant de retourner jouer à la Poupée de Polnareff, dont les accords simplistes (ceux d'un blues en fait, mi, la, ré...) rendaient particulièrement bien sur l'instrument baptisé "la casserole" par l'impitoyable garnement que j'étais. J'ai poussé l'apprentissage un peu plus loin en accaparant un copain de classe qui m'a appris le reste des accords et fait découvrir les Stones à l'époque où les yéyés n'en finissaient plus de s'accrocher aux branches dans la tempête anglo-saxone qui faisait rage. Du coup, le copain a trouvé aussi sa vocation : jamais il n'aurait de plus piètre élève, le plus dur était passé, il pouvait envisager de devenir prof de guitare et c'est maintenant le directeur de l'école de musique de ma ville natale. Mais tout cela est déjà raconté dans le merveilleux feuilleton Langres s'use.
C'est aussi par lui que j'ai approché pour la première fois, que dis-je touché même, l'instrument électrifié.  En effet, les petits groupes de lycéens fondés pour jouer Smoke in the water de Deep Purple, se réunissaient dans une maisonnette appartenant à mon grand-père (maternel celui-là). A un tel point que dans la noria des allées et venues, le passage incessant de musiciens et de matériels divers, la batterie dénommée pot de yaourt ou l'orgue aux allures Bontempi baptisé "le klaxon", quelques guitares s'étaient trouvées reléguées dans un placard, me laissant croire qu'on les avait oubliées là à jamais et qu'il serait facile de... Hélas ! Elles furent récupérées, bon tant pis...
En fait, je ne m'en suis jamais remis jusqu'à ce que je puisse m'en acheter une voici deux mois, une Paul Reed Smith avec micros à double bobinage (ajouté de l'indispensable ampli Fender à lampes véritables). En attendant, j'avais opté pour une acoustique à cordes acier, de celles qu'on baptise encore "Folk", (c'était alors la mode aux sabots de bois avec paille véritable dedans), une Morris qui sonne encore admirablement et dont je viens juste de changer le jeu complet. Ce fut l'occasion d'une virée à Paris avec mon cousin, nous usions du Métro pour la première fois et ne savions même pas prendre une correspondance, indécrottables provinciaux à sabots de paille que nous étions. Nous avions hanté les quartiers de musiciens qui sévissent encore autour de la place Blanche, et même étions entré chez le mythique Marcel Dadi (et c'est chez lui, il me semble, que j'ai acheté une mandoline quelques années plus tard, il faudrait que je change les cordes aussi). Bien des aventures nous sont arrivées, à ma guitare et moi, depuis l'enregistrement sur la chaîne parentale haute-fidélité Hitachi d'une cassette de douze chansons, je dois même encore avoir les paroles dans un coin, jusqu'au chansonnettes marrantes qui m'ont permis de draguer plus ou moins efficacement, et même avec réussite en dernier puisque ma fille au prénom de guitare (voir en Notes d'écriture) de même que le rejeton qui me pique mes instruments en ce moment (attention à ma PRS à double bobinage, hein ? et éteint correctement l'ampli s'il te plait), sont issus de ma dernière conquête ("come on in my sweet home, baby", comme le chantait Robert Johnson).
(08/11/2006)

 

Où manger ? Je ne suis jamais posé la question de savoir si j'aimais aller au restaurant. Je pense que oui. J'aime l'idée de prendre la voiture et d'aller s'asseoir quelque part où l'on vous fera découvrir des plats et des vins. J'aime l'idée de se retrouver entre amis ou connaissances. Rien à faire d'autre que d'écouter et faire cette économie de gestes qui mène au goût. Ses sensations, à y réfléchir, aiguisent aussi bien l'appétit que l'envie d'écrire : j'ai toujours eu l'impression qu'on pourrait passer deux cents pages à décrire l'ambiance, les gestes, les impressions, le hors-temps particulier d'un repas. J'aime tous les lieux où l'on mange : une cafétéria et observer à la dérobée les tables avoisinantes (Entre chaque bouchée, levant les yeux. La famille assise devant : le père, la mère, la fillette. Le père tellement semblable, la cigarette au bout des doigts, le repas fini et plateau repoussé, les coudes posés. La mère juste à côté, les deux silencieux, regardant la fillette qui mange en balançant les jambes (devinant une mousse au chocolat dans un récipient transparent). Composants). J'aime manger seul, j'aime le rituel plus que la nourriture (Posant le Tupperware, la fourchette, le couteau toujours au fond de la poche droite. La lame usée coupant une tranche de pain. Ouvrant le couvercle de plastique : haricots verts et trois bâtonnets de poissons panés, baignés dans l’eau ayant suinté des légumes, détrempés, décolorés, les petits grains de chapelure maintenant agglomérés, ayant glissés au hasard des secousses de la marche et des transports en commun, s’étant rassemblés en petits flocons jaunes et irréguliers, certains s’étant dissous dans le jus, laissant voir par plaques la chair blanchâtre et striée de gris du poisson, semblable à des cristaux translucides de gypses - Composants encore).
Le hasard a voulu que je sois invité dans un restaurant prestigieux de Saulieu, aux confins du Morvan. Le hasard encore a voulu que le repas suivant au restaurant ait lieu quinze jours plus tard dans un endroit situé aux antipodes dans tous les sens du terme.
D'un côté le cadre luxueux de cette étape gourmande réservée aux touristes fortunés, beaucoup d'anglais passionnés de vins de Bourgogne, d'américains en goguette. Piscines intérieures et extérieures pour l'hôtel attenant, sauna, hammam, service de remise en forme. J'ai visité les cuisines : quatre cents mètres carrés, une vingtaine de cuisiniers, du sérieux, du professionnel, une équipe rodée. Une cave inimaginable, quelques bouteilles très rares à cinq mille euros... Le repas impeccable, service efficace et discret, la patronne, veuve du défunt Chef faisant le tour des tablées, habits de haute-couture, une retenue de bon aloi.
De l'autre, donc, quinze jours plus tard, un village perdu au fond de petites routes, il faut passer un pont quasi contemporain de Christophe Colomb, le restaurant est de l’autre côté : c’est une légende familiale. Mon épouse se souvient y être allée en 1976 pour un repas avec l’aviateur américain qui fut l’ami de ma grand-mère au sortir de la dernière guerre. Après une correspondance ininterrompue pendant trente ans, l’aviateur avait fini par franchir de nouveau l’océan et les nouvelles éparses données à Noel et à Pâques pour ces retrouvailles. Le repas fut composé des truites à la crème qui font la réputation du lieu. Et c’est exactement le même menu que nous sommes venus déguster, sauf que les truites qui furent longtemps pêchées dans la rivière qui passe sous le pont sont sans doute d’élevage comme on dit. Le repas fut impeccable de même que pour Saulieu. C'est-à-dire dans le cadre inchangé de la légende : tapisserie de trente ans d’âge de la salle à manger dans lesquels nous étions les seuls clients un samedi soir (ici, il faut prévenir et venir avant 20h car le cuisinier de quatre-vingts ans va se coucher tôt). Le mot impeccable pour moi désigne cette harmonie qui n’a rien à voir avec un cadre pour bobo. Les toilettes au fond de la cour, unique pour femme ou homme sont inimaginables, inchangées comme le reste et gardent sans doute encore les mugissements de l’aviateur qui font encore la joie du souvenir familial : l’américain, peu habitué à la nourriture et surtout à force de porter des toasts à la France avait outrepassé les limites de sa digestion. Mais impeccable c’est aussi le gris de Toul pour accompagner les truites, les dernières framboises de la saison cueillies le jour même au jardin, c’est la gentillesse de la serveuse, les charentaises de la maîtresse de maison.
Récemment, quelqu’un m’a posé cette étrange question, sachant que j’étais allé à Saulieu : est-ce que ça vaut un repas au (et de me citer un autre restaurant fin dans lequel nous étions allé ensemble) ? Je n’ai pas su répondre à la question et après avoir été dans ce dernier lieu tellement différent, je sais encore moins valoriser cette part de poésie.
(01/11/2006)

 

C'est une histoire vraie. Le type est un employé modèle, travailleur, de ceux qui savent s'adapter à la modernité permanente que désire l'entreprise à laquelle il appartient. L'entreprise, rien que de très banal : compétition internationale, le besoin permanent de se réorganiser comme tant d'autres. Le type, donc, a changé beaucoup de fois de chefs, de responsables. On sait profiter de ses compétences, de son expérience. Passé cadre, il s'occupe de relations extérieures, représente la Direction jusqu'au jour où une énième réorganisation le laisse sur le carreau, plus besoin de lui, on va faire autrement. On n'a rien à lui reprocher, il a bien fait son travail mais quoi lui faire faire ? Le Directeur des ressources humaines est à trois cent kilomètres, personne ne le connaît, il ne va tout de même pas se déplacer dans la petite ville du type. Il décide donc, car c'est son rôle, de s'occuper du type qu'on ne peut pas laisser sans rien faire. Il s'abaisse à lui envoyer un mail : dans un mois, le type est prié d'aller répondre sur une plate forme téléphonique. Bien sûr, il n'y a pas de sot métier et c'est déjà beau que le type conserve son emploi. Le type râle, ameute tout le monde. On connaît ce genre de métier, répondre à la chaîne, peu d'initiative, d'autonomie, responsabilités limitées, le contraire que ce qu'à fait le type jusqu'à présent. Tout le monde conçoit qu'on pourrait faire différemment, utiliser autrement ses compétences. Mais on ne dit rien au Directeur des ressources humaines, c'est la peur de connaître le même sort qui préside. On parle aussi en ce moment de cette employée qui dirigea une des boutiques de l'entreprise. On reconnaissait tellement ses qualités qu'on l'avait incitée à aller porter sa bonne parole et ses méthodes partout dans la région. Mais son travail disparaît aussi et, à son retour, en guise de récompense, le seul boulot qu'on lui trouve au sein de la vaste entreprise est d'occuper le poste dévolu de femme de ménage dans la boutique qu'elle dirigeait. Elle s'offusque dit-on. Le type râle. Situations intenables. Nous, on a peur, on ne dit rien. Méthodes semblables aux plus belles heures de la révolution culturelle chinoise car en plus, il faut que le type et l'employée s'abaissent à demander à "bénéficier" de ces nouveaux emplois de bonne à tout faire ou de téléopérateurs. A quand l'autoflagellation, la dénonciation publique de soi-même, les remerciements envers la structure qui permet de prendre conscience de sa propre nullité ? A qui le tour ?
Pendant ce temps, autre exemple édifiant, quelqu’un que je connais et qui a le bonheur d’occuper un poste directorial dans une autre grande entreprise m’annonce sa retraite prochaine et la manière originale dont son entreprise va se séparer avec regret de ses services en le licenciant plutôt que ce soit lui qui demande à partir : en effet, les indemnités (certainement largement dimensionnées par ses pairs décideurs) seront ainsi non-imposables ce qui n’est pas le cas d’une prime de départ octroyée en coup de chapeau final. A noter aussi le stage de préparation à la retraite tous frais payés en Bretagne avec son épouse. Question : les manœuvres et ouvriers de la même entreprise bénéficient-ils des mêmes avantages et subtilités pécuniaires ?
Histoires vraies... Qu'est-ce qui a changé depuis le temps des maîtres de forges ? Sous prétexte de mondialisation, réorganisations, c'est le leurre d'un monde qui change  mais regardez autour de vous : qu'est-ce qui change vraiment ? Et ça vous convient ? Nous, on a peur, on ne dit rien.
(25/10/2006)


Tout fièrement, un six octobre, à 9h20 du matin, je descendais le boulevard Saint-Germain-des-Près à la rencontre de mon éditrice : nous avions prévu de consacrer une paire d'heures à la correction de mon manuscrit. Tout fièrement donc, je pensais aux générations d'écrivains qui avaient parcouru le même boulevard, s'étaient assis chez Lipp ou aux Deux magots dans l'attente fiévreuse d'une rencontre similaire avec leur mentor et, plus tard, le succès arrivé, avaient maintes fois remonté le même boulevard muni de lunettes noires d'artistes (de celles qui attirent le regard immanquablement sur vous car c'est le signe d'un désir d'incognito). Parvenues à la célébrité donc, eux, vous, vos pairs, vos égaux, avaient su accepter les avatars qui en découlent, sachant à l'avance que pour le moindre de leur déplacement, il faudrait tous les dix mètres sacrifier de bonne grâce aux autographes de passants esbaudis, et montrer le meilleur de soi-même, un visage souriant ou un geste charmant de" qui a su rester simple", geste sympa ou répartie pleine d'humour qui continuerait à alimenter les conversations de ces lecteurs enchantés auxquels  eux, vous, vos pairs, vos égaux, avaient consacré une demi-seconde de leur (de votre) précieux temps, conversations qui demeureraient gravés à jamais dans les patrimoines familiaux - le jour ou feu ton arrière grand père à rencontré par hasard Maurice Genevoix en 1925 qui descendait le boulevard Saint-Germain, le jour où ta grand mère a heurté au coin de la ruede Rennes le génial Beckett en 1961 et qui promenait sa poussette à marché, oui, oui, quel homme simple et avenant...
J'étais de ceux là, J'étais aussi des leurs, moi aussi je descendais le boulevard Saint-Germain à la rencontre du succès, et pour moi aussi, le temps des lunettes noires viendrait (je réfléchissais d'ailleurs, étant de taille plutôt inférieure à la moyenne, à un périscope du type champ de course ou un de ceux vendus à la foire du Trône juché en haut de ces mêmes lunettes noires, et qui permettrait plus facilement au passant de repérer la célébrité qui se meut ainsi d'incognito). J'en étais à ces rêveries quand, arrivant dans les parages tant attendus où le cœur ne peut s'empêcher de battre à la pensée de générations d'écrivains qui avaient descendu le même boulevard, c'est à dire en vue des façades avenantes (et débordantes de terrasses) des Deux magots et du Café de Flore, des façades aussi avenantes mais moins débordantes des librairies chics dont l'apparente austérité n'a de but que de faire reculer l'effronté qui penserait entrer dans ces temples de sagesse avec l'idée saugrenue de demander France football ou le journal But ! (non, monsieur, nous ne faisons pas "cela" - air pincé, dédaigneux - mais vous avez un kiosque juste devant la station de Métro...), j'ai nommé L'Ecume des pages et La Hune.
La Hune surtout, où nous pouvons imaginer les générations d'écrivains, dans l'attente fiévreuse de leur parution pour la rentrée littéraire de septembre, rester de longues heures l'œil blanc et la truffe humide à lécher la vitrine dans l'espoir d'apercevoir ne serait-ce qu'un petit bout de couverture, oui mais de LEUR livre, bien aimé, chéri, adoré...etc. etc. On raconte d'ailleurs que certains impatients campent devant la librairie depuis le mois de juin pour ne pas louper le petit moment magique ou LEUR livre s'installera dans la vitrine, mu par les mains expertes du dit libraire extasié (le même qui revêt l'air pincé et dédaigneux à la demande incongrue de France-football ou de But !). Parfois même s'apercevoir que le dit libraire amoureux (le même qui revêt parfois l'air pincé et dédaigneux, oui, oui, il peut aussi être amoureux et distrait) a commis un impair par distraction passionnelle : "ils" l'ont mis à l'envers les cons, la couverture tête en bas ! Que dois-je faire? Entrer leur dire ? Me présenter comme l'auteur de cet opuscule ? (bien modeste et assurément sans intérêt mais il se trouve que je descendais le boulevard Saint-Germain, totalement par hasard, et je me suis aperçu que la couverture était à l'envers dans votre vitrine au demeurant fort bien achalandée). Oui mais si "ils" le retirent ? Que faire ? Donc certains campent devant La Hune et, assurément, ceux à qui par habitude où négligence nous octroyons un sou en les croyant adeptes de la cloche dans ces parages, ne sont en réalité que des auteurs prévoyants, attendant le moment magique de la sortie de LEUR livre.
J'étais ainsi, en ce jour d'octobre, le sixième, dans la neuvième heure du matin (passée de vingt minutes), juste dans les environs de ces librairies prestigieuses, quand mon regard fut attiré par un visage connu exposé dans la vitrine de la plus illustre d'entre elles, La Hune. Je m'approchai : comment n'était-ce pas ? Mais oui ! Je reconnu la couverture seyante et jaune au délicat liseré, le titre familier qui rappelle le charme et l'harmonie d'un hôte de nos jardins, et surtout le visage sur la photo présentée à côté, sympathique et décidé et qui regardait fièrement les passants (et autres campeurs depuis juin) sans même le filtre incognito d'une paire de lunettes de soleil. L'encart consacré à cet auteur occupait le quart de la vitrine avec reproduction intégrale d'un article critique (du reste excellent, celui de Témoignage Chrétien qui avait été un des premiers à encenser la deuxième œuvre tant attendue de cet écrivain).
J'en restais coi. Quoi ! Encore ce matraquage médiatique ! Mais une bouffée d'orgueil m'atteignit en même temps que le fin crachin qui se dispersait au hasard des bourrasques en ce jour d'octobre 2006 (le N°6 du mois) : oui, j'avais recemment rencontré l'auteur et bien plus tard, l'anecdote passerait à la postérité dans l'environnement familial (Tu sais ton arrière grand père - mais si, le petit teigneux qui vivait avec vingt cinq chat dans une maison juste avant qu'on le place d'office dans une maison de retraité - on raconte même qu'il avait écrit des livres - et bien ton arrière grand père à bu un thé un jour à Nancy avec....)
(11/10/2006)


J'ai eu de bonnes notes à ma deuxième année de Licence Lettres Modernes préparée à Dijon : 15,49 et mention bien ! Si mes notes de latin et d'anglais ont juste récolté la moyenne, des options en informatique ont complété la mise : "Feuilles de route", présenté en projet Internet à Nancy, a récolté 17, une dissertation sur les Technologies de l'Information et de la Communication m'a rapporté 14. Je me suis aperçu d'ailleurs à cette occasion combien le sujet passionnait peu les foules littéraires. Néanmoins, le redoutable C2i, certificat informatique et Internet, proposé obligatoirement à chaque étudiant, me semble une excellente initiative tant il est maintenant quasi impossible d'entrer dans la vie active, disons dans le secteur tertiaire, suite logique de ces études, sans une solide approche bureautique. En deux heures d'examen vite passées, le C2i propose tout un ensemble complet de travaux pratiques : la mise en forme d'un texte de plusieurs pages avec index, sommaire, insertion d'images, la réalisation d'une étude de tableur avec graphique, une présentation de type Power Point avec animation, la création d'un site Internet complet et la réponse à un QCM de questions théoriques sur le fonctionnement d'un ordinateur et la législation du domaine. C'est musclé et j'ai beau pratiquer au quotidien l'ensemble de ce qui est proposé, j'ai récolté "que" 13,5. Je suis très fier par contre de mes notes de Lettres qui constituent tout de même le fondement de mon choix et de cette filiaire : deux 17/20 en littérature XVII° et littérature comparée, un 16,75 en linguistique avec en particulier une dissertation de linguistique synchronique où j'ai eu 20/20.
Ma réaction peut paraître puérile : quelle est la valeur de ces notes, reflets d'un système universitaire, d'un arbitraire dérisoire ? Qu'est-ce que ça représente pour un type qui reprend tardivement ses études et qui n'en a même pas besoin ? 
C'est une revanche, je le dis sans ambages. Je n'ai pas été un élève brillant. J'ai redoublé deux fois, bien sûr j'ai fini par décrocher un bac scientifique, bossé de suite, repris un an d'études techniques à la suite d'un concours, mais je garde globalement l'injustice d'un système pour lequel je n'étais  pas fait, trop fantasque peut-être. J'aimais lire, les matières littéraires, la philo, on m'a fait sentir que j'étais trop en décalage, touffu, pas assez ordonné. Et personne pour m'aider. Ceux qui ont conduit des études bien entourées et sans difficultés majeures ne peuvent pas comprendre la claque qu'on prend d'un prof qui fait semblant de dormir devant vous dans un oral de philo. D'un autre qui vous apostrophe devant tout le monde le jour du bac de sport pour sortir du bassin de natation parce que vous aller ridiculiser l'établissement avec vos performances (d'ailleurs je suis arrivé pile poil au milieu, pourquoi ceux que j'ai battus ne l'ont -ils pas foutu à l'eau ?). Voyez, je suis revanchard, l'école fabrique des frustrations que l'on ressent toute sa vie. Et c'est sans doute pour cela que j'ai décidé un beau jour de m'y recoller, histoire de clouer le bec à ceux qui rentrent dans le jeu de la performance, de l'élitisme, de la fabrique monstrueuse des égos disproportionnés. Utiliser leurs propres armes, les souffleter d'un revers du savoir fabriqué, trop souvent à tort nommé intelligence. Voici mon revers, ma bêtise crasse, mon orgueil. C'est la même morgue qui me pousse à rajouter que j'avais déjà connu un beau succès dans les années quatre-vingts en terminant dans les vingt premiers de mon concours Télécom, le nombre de participants dépassant sans doute deux milliers d'inscrits.
Voilà pour l'arrogance du personnage ! Reste que j'ai en horreur la fréquentation d'égos disproportionnés, la fierté aveugle des réussites. Paradoxal ? Pas si sûr... Une sorte de réserve, un fatalisme envers la vie m'oblige sans cesse à vouloir démonter les rouages et les mécaniques du monde, démystifier l'écriture par exemple, prouver que chacun peut y apporter et aussi bien qu'un autre. Qu'un Raphaël, patient d'un CHS, peut nous émouvoir aussi bien que Raymond Carver (voir Atelier de Dole, seizième séance).
Et puis reste dans ces études tardives, les découvertes inattendues en littérature, en linguistique, en sociologie, ce qu'on appelle sciences humaines, autrefois "humanités" et combien ce terme m'est précieux si l'on ne retient que la reconnaissance de la générosité grégaire qui la constitue.
(04/10/2006)

 

 

Il y a des notes d'étonnements plus gaies que celle-ci mais il me tient à cœur de raconter cette triste histoire. C'est arrivé à mon boulot. Deux collègues sont décédés à deux jours d'intervalle. Le premier, grand sportif, est tombé foudroyé par un infarctus pendant l'entraînement du marathon qu'il préparait. Le deuxième a mis fin à ses jours. Je ne connaissais pas du tout le premier et depuis peu le deuxième qui devait devenir très prochainement un des responsables de notre métier. Je ne l'avais rencontré que deux fois, la première fois pour un entretien en tête à tête sur l'organisation de notre travail, la deuxième fois vingt quatre heures avant, lors d'une réunion de notre équipe. Je le revois, s'esclaffant en me montrant les pages de son agenda bien rempli, tandis que nous tentions d'organiser nos futures rencontres : plages de réunion impeccablement encadrées d'un feutre fluo, jaune il me semble. Je me souviens que ce soin à marquer ainsi les jours m'avait étonné chez cet homme si pressé, nerveux et grand fumeur. Penser qu'il n'a jamais vu les jours qu'il égrenait devant moi m'obsède. M'obsède aussi de savoir que c'est bien lui qui nous a annoncé la mort de l'autre collègue, à cette même réunion, nous l'apprenant en même temps que lui le lisait sur un message électronique : son effarement à se moment là. Est-ce que ça a pesé dans sa décision finale ? On le savait malade, on a cherché des explications, on en parle entre nous dans le même mélange d'effarement qu'il avait eu, d'incrédulité aussi. On voudrait se rassurer. L'expression : ça fait froid dans le dos. De jeunes hommes qui avaient tous deux réussis parfaitement leurs vies professionnelles, tout ce que nous savions d'eux. Ceux qui sont partis à l'enterrement du premier ont appris sur le trajet le geste du second. Vodka et médicaments à ce que l'on dit, et sur le lieu de son travail, bien tard, quand tout le monde était parti pour le week-end. Cela secoue. Combien de temps faudra-t'il à leurs collègues communs pour s'en remettre ? Un enterrement le lundi, un autre le jeudi, voilà pour la semaine de travail. L'étrangeté aussi des langues qui se délient pour retracer ceux qui n'y sont plus, et deux en même temps. L'un, grand sportif, il avait beaucoup maigri dit-on. Il voulait s'installer à La Réunion, son épouse avait arrêté de travailler avec le troisième enfant. Bel avenir, tête bien faite et corps qui suit, projets. L'autre, sa tabagie, graves ennuis de santé directement liés, rien n'y faisait, il semblait s'autodétruire, nihilisme. Deux destins similaires pourtant, on lâche parce qu'on veut aller au bout de son corps individuel, d'un côté comme de l'autre, une volonté malsaine de ne pas vieillir, se figer dans une image valorisante pour l'un, un effacement pour l'autre. Mais vraiment la même application opiniâtre, maniaque : pour l'un, la course, le chronomètre à la dixième de seconde près, pour l'autre le soin à marquer les jours au feutre fluo. Avaient-ils vraiment conscience qu'au delà de leur corps individuel, il y a un corps social, familial, de travail et qui réagit pareillement, organes qui souffrent ensemble, fatigues souvent mais des joies collectives aussi.
J'ai relu depuis ce que j'ai écrit. Je n'ai pas arrêté de construire des lapsus : j'ai mis fin au blog d'Essai 1937 en réalisant combien l'écriture rapide du texte en cours m'avait semblée comparable à une course à pied dans sa brutalité. Coïncidence aussi d'avoir rédigé une note d'écriture ce dimanche, dans l'ignorance partielle de ce qui était arrivé, comment dire, juste entre deux morts : avoir écrit "
Le boulot nourricier m'a accaparé comme jamais, des collègues, des présences sans cesse autour de moi toute la journée, pendant midi aussi, pas un instant pour rêver, me laisser aller dans l'autre monde".
L'autre monde... Je parlais d'écriture bien entendu. Mon collègue avait-il la chance d'avoir un autre monde plutôt que de rechercher celui qui demeure définitif ? Mais sur l'autre monde, j'ai écrit aussi que ces derniers mois, je n'avais "pas eu le temps de m'appesantir sur mes réactions, cela aura été vraiment de l'écriture dans toute sa brutalité, sans réflexion presque". J'ai écrit aussi en mai dernier à propos de mon boulot que "L'ambiance est toujours aussi bonne, j'aime l'énergie qui s'en dégage, le rythme souvent joyeux, rapide, d'un travail quotidien rarement ennuyeux." On balance toujours d'un côté où de l'autre, il faut le savoir, garder la tête froide, en ligne de mire le mot énergie, et courir sans se retourner, pas le choix, mais surtout ne pas ignorer le grand corps social, familial, de travail, aimé à la folie.
(27/09/2006)

 

Qui suis-je ? Voilà un étonnement digne de ce nom. Ma manie de me photographier dans des autoportraits fugaces (les mettre en ligne un jour...), ma manie de mettre à fond des Stones en voiture, ma première guitare une Morris de 1976, ma manie de parler fort au téléphone (disent mes collègues), mon irritabilité (disent mes proches),  mes grimaces, mes chansons à dix-huit ans, mes lubies, mes blagues vaseuses (disent les mêmes proches), ma gaieté, ma concentration douloureuse et mâchoire en avant, mon accent anglais qui fait rire (encore les proches), ma robe de chambre sans regret les matins des dimanches devant le camion de pain, mes emportements, ma tendresse (toujours les proches), mon goût du soleil, mes mains froides en hiver qui tapent sur ce clavier en gants de soie, mes CD de Mozart ou de Carlos Jobim, ma passion des voyages, mon penchant pour les chambres d'hotels de zones périphériques, mes cours de latin, mon plaisir d'être en atelier d'écriture, mon ordinateur, mes textes en cours, mes paroles qui résonnent quand je suis seul, mes champignons et mon couteau en bois de senteur, ma vieille cotte bleue les samedis au verger, le Coteau du Layon les mêmes samedis,  mon poids à surveiller, ma remorque à la déchetterie, ma tondeuse à gazon, rarement mes cravates, mes grognements en réunion de boulot,  mes pointes à 190 pour voir (c'est rare...), ma guitare électrique toute neuve, une PRS Singlecut et un ampli Fender à lampes, manquait plus que cela...
(20/09/2006)

 

Non, vraiment, la longue glissade des jours ressemble à un casse-gueule. Je n'aime pas ce temps qui file si vite, le temps de rien faire, même pas raconter, encore moins celui de tenir à jour ce site. Glissade des jours, chute du temps, entraînement irrémédiable d'une pesanteur des durées, sensation d'un déplacement de soi. Le temps et le temps, le climat et la minute, je n'avais pas remarqué jusqu'à présent cette homonymie. La conversation anodine du temps qu'il fait et celle évitée de celui qui file. C'est l'heure d'été maintenant. Partout on craint d'entraîner le temps dans sa chute. On a peur d'une fracture de canicule.
(25/07/2006)

 

Etonnements qui s’estompent : bah ! retrouver les amis de Remue.net pour la Nuit Remue est déjà une vieille habitude, on pourrait verser hommage dans l’ancienneté, la révérence aux fondateurs (ceux du canal historique comme ils disent en guise de clin d’œil) – quel danger ! - mais non, rien ne s’estompe, le but du jeu, c’est remuer encore, s’étonner toujours. Donc on prend plaisir, on s’étonne soi-même par timidité ou discrétion de ces éclats soudains de rire : c’est bon de revoir François, Ronald, les Dominique(s), Yun Sun, Laurent, Patrice et les autres. Dommage, Philippe Rahmy n’est pas là. S’étonner c’est découvrir de nouveaux visages, des noms sortis de la mémoire pour un jour, une semaine, un mois et qui réapparaissent soudain : ah, oui, alors Christine Genin, c’est vous ? Et Fred Griot ? Trop bref échange, pas retrouvé dans la cohue, disparu à nouveau pour un jour, une semaine, un mois, dans la grande soupe de Remue.net. On m’accroche d’un nom en guise de sésame : Philippe Didion… Exclamation, puis conversations ponctuée de silences dans la nuit chaude, au dehors, toutefois moins étouffante à l’intérieur. Finalement, ce n’est pas trop étonnant, on est en pays connu, lectures, plaisir d’écouter ces textes, boire un verre, parler. Rien d’étonnant non plus de se rendre compte que parler est plus difficile qu’écrire, on le sait déjà, mais on franchit le pas, on parle, on évoque : la nuit remue ma nuit., titre aussi magnifique que " Nu précipité dans le vide ", mais là aussi, pas eu le temps de le dire à Sereine Berlottier qui était présente aussi. Finalement, on s’étonne quand même, le temps passe si vite, nos courses solitaires, ai-je été assez présent, attentif à Remue.net ?
(21/06/2006)

 

Je suis un vieil étudiant, j'ai déjà expliqué cette étrangeté qui me pousse à retâter tardivement du système scolaire (voir même rubrique, le 02/11/2005). Ces deux dernières semaines ont ainsi été occupées par les examens de la session de juin auxquels je m'étais inscrit. Pourquoi m'infliger de telles épreuves ? Certes, des parcours moins contraignants existent et  pourraient m'apporter en apparence la même connaissance. En apparence seulement car ces universités du temps libre, dégagées de toute évaluation apportent-elles le même niveau de représentation des études choisies ? Nous sommes dans un système où l'examen final est perçu comme la communion d'une église. Il est étrange de remarquer d'ailleurs combien l'état laïc, farouchement défendu par l'Education Nationale, est prompt à reproduire les adoubements mystérieux qui permettent à l'homme de pénétrer chaque jour un peu plus dans la sacralisation de la Sainte Etude... C'est typiquement français. D'ordinaire, je n'aime pas les arguments qui tentent hâtivement à préjuger d'une spécificité de pays, mais il me semble que notre histoire, et pas seulement depuis Jules Ferry, est pétrie de cette rigueur, ce rigorisme même, qui encense la vérification pointilleuse du savoir. Donc, mise en examens...
D'abord les couloirs, le mimétisme de la trouille des candidats, rires nerveux, cigarettes, l'attente de l'heure prévue, les derniers regards inquiets sur les cours remballés à la hâte quand s'ouvre la porte. On pénètre dans la nef, on choisit son prie-dieu. Les professeurs réquisitionnés pour l'office, nous rappellent quelques règles liturgiques, la carte d'étudiant à présenter, l'interdiction de sortir pendant la première heure... Ils ont des mines graves, reproduisent le schéma qu'eux-mêmes ont vécu. Certains surveillants agressifs ont du mal à cacher les humiliations qu'ils ont eux-mêmes subies autrefois et qui remontent à la surface. Ils interdisent de s'approcher du saint bureau, de saisir soi-même les copies normées qu'il faudra remplir. Les pauvres ! Et dire qu'ils ont choisi de rester à vie dans cette pénitence... On planche donc, et c'est sans doute le seul moment où l'étudiant prend conscience de la matière, sa matière, celle qu'il est entrain de valider, qu'il s'agisse de linguistique, de mathématique, d'économie, la spécialité ainsi matérielle prend la forme d'un trou noir, pas seulement provoqué par l'oubli que la trouille a généré, mais dans la sensation d'une pesanteur incroyable, la matière donc, concentrée à l'extrème à l'instar des phénomènes célestes du même nom... Mais les pensées doivent revenir vers un terre-à-terre plus prosaïque, dicté par la Méthode. Prenons l'exemple de la littérature : la Méthode prendra forme d'une pensée organisée en trois parties, elles mêmes subdivisées en trois sous-parties et la préoccupation de l'étudiant, sa seule chance de pouvoir montrer qu'il a retenu l'enseignement proposé sera de lui appliquer la Méthode, la seule, la vraie, l'unique. Sa pensée dérive ainsi vers le correcteur qu'il imaginera en proie à un dilemme très simple en face de sa copie : est-ce que la Méthode est respectée ? Quelle note vais-je lui mettre ? Les idées géniales qui seront développées (Beckett a t'il vraiment compris Proust ? De quel côté tombe le cheval qui meurt dans la Route des Flandres de Claude Simon ?) seront lues d'un œil distrait, la note, la notation chiffrée, docimologique, le sézame, la marque du Saint Graal n'en dépend pas, d'ailleurs il est peu probable qu'une idée géniale et novatrice apparaisse dans un tel devoir, entre nous, un universitaire l'aurait déjà eu et tiens, pourquoi pas moi, ha, ha, ha... (pensée du correcteur). La Méthode, dans son rouleau compresseur à écraser les mouches, est bien rassurante : elle sert à faire perdurer un système qui lamine le moindre soupçon horizontal d'une pensée novatrice, elle garde l'élévation verticale de la pensée comme une fusée à Cap Carnaveral ignore les préoccupations terriennes. C'est pourquoi, on a pu, parmi les riches débats universitaires contre le CPE, recueillir quelques inepties du genre, les patrons, c'est tous des pourris, les ouvriers yzonka s'unir (ou inversement selon les opinions politiques de chacun), et sans qu'aucun des étudiants ou professeurs interloqués puisse imaginer un jour devoir endosser le costume du patron, ni pire, sans jamais se demander qu'elle était cette société où l'on est obligé de différencier de plus en plus, jeunes et moins jeunes. Et c'est cette pirouette qui me permet de revenir à mon point de départ : je suis un vieil étudiant, j'ai choisi une formule avec examens car c'est la seule reconnaissance qui est proposée dans l'élaboration d'une vie humaine. C'est à dire, dans l'idée qu'on s'en fait, apprendre d'abord, puis oublier et avoir un boulot, enfin, attendre la retraite : voici l'éternel plan en trois points que la vie nous propose. J'ai choisi de ne pas le suivre, ou du moins, de modestement en mélanger l'ordre. Et vous, suivrez vous aveuglement la Méthode ?
(06/06/06)

 

 

J'ai donc repris mon travail après une interruption de six mois. C'est l'étonnement parmi mes collègues : déjà six mois ? Il est vrai que pour eux il n'y a eu aucune cassure dans le rythme des jours. J'ai retrouvé mon bureau, la petite équipe avec laquelle je travaille, d'autres encore. L'ambiance est toujours aussi bonne, j'aime l'énergie qui s'en dégage, le rythme souvent joyeux, rapide, d'un travail quotidien rarement ennuyeux. J'ai retrouvé cela avec un plaisir évident. Bien sûr, il y a eu des changements : dans notre entreprise les réorganisations sont incessantes, regroupements, fusions, extensions ou disparitions de services, nous sommes aux premières loges avec notre équipe chargée de suivre (ou mieux d'anticiper) les changements d'emplois à commencer par nous-mêmes en premier lieu. Le travail donc a repris de plus belle, je pars de chez moi à 7h30, je suis revenu plusieurs soirs passé 20h30. Contrairement à mes autres collègues, je me suis trouvé changé : d'abord ce rythme soutenu me convient parfaitement, les actions s'enchaînent au point que les jours passent comme une poignée de minutes, j'ai même l'impression que je pourrais aller plus vite encore. Avant, je devais être dans l'attente de mon départ, il me semblait que j'étais moins rapide, moins pragmatique, moins pressé. J'ai l'impression que mon entourage de travail perçoit cette frénésie : on me regarde avec étonnement, on s'inquiète, on me demande si la reprise n'est pas trop dure. Quelle drôle d'idée, bien sûr que non ! Parallèlement, c'est moi qui me trouve dur, comment dire, endurci, c'est un sentiment étrange et nouveau. La vie me presse, c'est vrai : ce nouveau livre que je dois rendre dans les prochains mois est arrivé au moment où j'allais disposer de moins de temps (voir en Notes d'écriture). En effet, le hasard fait bien mal coïncider le calendrier : je dois mener de front ces journées besogneuses de 12 heures, l'atelier d'écriture de Dole à 220 km de là, la rédaction du texte, les révisions et les examens à la fin du mois, les inévitables travaux d'entretien des deux maisons et de leur environnement qu'impose la belle saison. Je prends sur mon temps de sommeil : levé chaque matin à 5h ou 5h30, la course est rapide et incessante jusqu'au coucher souvent tardif. L'été sera ainsi : matinal, réveil en même temps que l'exaltation des merles de mon jardin et l'obligation d'être en forme de suite. Une joie, vraiment... Seule ombre au tableau, la mise à jour de Feuille de route pâtira peut-être de ce programme chargé, ne m'en veuillez pas si elle devient ainsi plus irrégulière.
(10/05/2006)


Vingt ans depuis l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl, le 26 avril 1986. A cette époque, qu’en avons-nous retenu dans le mouvement de nos vies ? Des images de télévision sans doute, des commentaires de café de commerce, des inquiétudes vite dissipées : Tchernobyl, c’est loin, c’est à 1800 km d’où nous habitions. Printemps 86 donc, une catastrophe de plus prise dans l’agitation du quotidien. Je venais de revenir dans ma ville après un an de cours d’électronique et autres techniques de télécommunications, je commençais un nouveau travail dans un Central téléphonique, je ne cherchais pas encore à écrire dessus, d’ailleurs l’écriture était encore dans cette parenthèse que la construction d’une vie neuve occulte. Je venais d’emménager dans une maison, c’était le premier logement que je partageais avec celle qui allait devenir mon épouse quelques mois plus tard. Tout semblait se bâtir comme un lego, facilement, dans ces coups d’accélérateur que la vie donne parfois. Nous étions dans l’action, tendus vers tout ce qui nous arrivait de nouveau, d’enthousiasmant. Il fallait apprendre à partager les passions, celles qui nous étaient communes et les autres, issues d’un passé, d’habitudes, d’activités que nous avions connus séparément.
Ainsi la musique : elle pratiquait le violon dans plusieurs orchestres, dont l’un de folklore polonais. Une tournée était d’ailleurs prévue en juillet dans le pays d’origine. Elle partit avec sa mère qui chantait également dans la chorale de l’orchestre. Quelques semaines à parcourir l’Est du pays, la région des lacs, des montagnes, le berceau du folklore et des plus beaux costumes, chorégraphies époustouflantes et cette musique qui déjà tirait vers l’orient. Nouveaux spectacles mis au point et que j’apprécierais à regarder les années suivantes. A son retour, je me souviens nous avons évoqué Tchernobyl, qui pour moi était déjà retombé dans l’oubli : on leur avait interdit de manger des fruits rouges en Pologne à cause de l’explosion. Simple anecdote. Nous avons oublié. Nous avons continué à bâtir cette vie avec frénésie : enfants, bonheurs, nos métiers aussi.
La maladie s’est déclarée quelques années plus tard. Une première alerte. Encore un peu de bonheur ensemble et puis sa mère est partie à la récidive. Nous avons toujours pensé que Tchernobyl y était pour quelque chose. Dans ceux qui ont fait partie de cette équipée, cette année-là, trois sont partis prématurément suite à des cancers rares et fulgurants, survenus sans facteur de risque. Bien d’autres ont été malades, dont plusieurs de la thyroïde juste après. La tristesse de la maladie, la lutte pour vivre encore un peu, empêchent de réfléchir avec sérénité mais il y a déjà trop de coïncidences autour de ce voyage, quinze à vingt jours à cinq cents kilomètres de Tchernobyl,  à peine deux mois et demi après la catastrophe. Mais à quoi bon remuer ses peines ?
(26/04/2006)

A l’arrivée, coupé du vieux monde originel, nous en gardons les oripeaux, shorts de touristes, épaules dénudées sous la chaleur (comme nous ne le ferions pas dans nos villes...) et surtout nos sourires qui se veulent avenants. Et eux comment les perçoivent-ils ? Eux, nous ne les remarquons pas pour ce qu’ils sont, nous sommes tributaires de nos crispations, état laïc, droits de l’homme, du travail, nous leur serinons si nous en avons l’occasion : et chez vous les femmes comment sont-elles considérées ? Et cet enfant qui travaille ? Et les règles de sécurité de cet artisan rémouleur ? Le printemps verdoie partout, oiseaux, travaux des champs à la charrue à main. Pauvres gens ! Le moyen age de chez nous. On nous explique que le pays a opté pour l’agriculture, des aides sont apportées pour freiner l’exode rural. Dans les médinas, la cohue des ânes fait place à l’espace. Odeurs fortes, étals de viandes en plein air et le respect de la chaîne du froid alors ? Des marchands nous apostrophent, nous sommes riches mais réticents à ouvrir le porte-monnaie, toujours soucieux d’obtenir le meilleur prix, négocier jusqu’à l’euro près. Le pays est paisible. Nous nous asseyons aux terrasses de cafés dans le soir. Une bière ? Pas d’alcool ici. Bon. Nous nous habituons à leurs thés fort et sucrés : ça ne va pas arranger nos kilos superflus. Nous regardons la foule qui passe, l’extraordinaire diversité : mais comment font ses deux jeunes filles pour s’entendre, l’une voilée jusqu’au pied et l’autre vêtue comme chez nous ? Le muezzin appelle à la prière du crépuscule. Ablutions cinq fois par jour, ils prétendent qu’ils sont plus propres que nous. Des phrases nous reviennent, Dieu est l’opium du peuple, halte aux signes religieux ostentatoires. Le temps passe. Un dernier coucher de soleil et le lendemain, à l’aéroport, certains râlent parce qu’il faut remplir une énième fiche de police. Ils z'ont pas le droit, le passeport devrait suffire. Retour chez nous. L’heure d’été s’est fondue dans le décalage horaire. L’avion fait une dernière embardée au moment d’atterrir : une grève déclenchée une heure avant perturbe le trafic. Retour au CPE, nos chiffres, nos sondages, nos déclarations politiques. Sacré vieux monde !
(12/04/2006)

 

Se dire pour, c'est soutenir l’injustice, la grosse part de gâteau toujours pour les mêmes.
S’avouer contre, c'est chercher la chimère de l'emploi inusable, rentrer dans le rang.
En parler en bien ou en mal, c'est embrasser le conformisme sécuritaire.
Voir l’école au départ.
Guetter à la fin le premier emploi.
Choisir au milieu : seront gagnants les mieux lotis par leur origine.
Dans l’origine, compter aussi sur les gardiens de l’institution.
Les écouter qui vous rassurent (vos enfants y arriveront toujours) et qui gavent en secret leurs progénitures des savoirs prémâchés mais prérequis.
Et deviner les autres tapis dans l’ombre, les opportunistes partisans d’ordres nouveaux et étriqués.
Et rabâcher l’inconscience de mes idéaux.
Ne pas oublier pas sur les côtés, les oubliés, les internés, les pas-le-droit-au-travail, les pas-de-culture non plus.
Et lire dans le journal que le Sénat déboute un projet de loi sur l’égalité femmes/hommes.
Et regarder la télé où chacun compte ses petits porteurs de drapeaux.
Et découvrir une manifestation anti guerre en Irak cachée par l’actualité : à peine quelques manifestants en France.
Ne pas jouer leur jeu.
Ne pas avoir peur. Jamais.
Fatigué du vieux monde.
(22/03/2006)



J’ai joué un peu de guitare à mon adolescence comme beaucoup. Mon prof était un copain de classe qui m’impressionnait par son aisance aussi bien à cet instrument qu’au piano. Il est devenu directeur de l’école de musique de ma ville, et je me vante ainsi d’avoir été son premier élève ou d’avoir suscité sa vocation. Cela, je l’ai déjà évoqué dans Feuilles de Route et on retrouve ce personnage dans Langres s’use, par ailleurs.
Tu sais tout ça bien sûr, tu dirais en riant que je radote un peu.
Des souvenirs, j’en ai plein liés à la guitare, comme par exemple la " Morris " acoustique, achetée à Paris avec mon cousin. Provinciaux, c’était la première fois que nous prenions le métro seuls, nous ne savions pas comment faire pour changer de ligne. Ce même cousin apprenait la clarinette et la basse. Une petite maison inoccupée, appartenant à notre grand-père commun fut repeinte, un vieux piano désaccordé fut trimballé à la brouette du garage où il moississait jusque là, un groupe fut créé. Je n’y participais pas, je jouais mal et je n’aurais pas eu la constance des répétitions. Il y eut quelques représentations avec un accordéoniste du coin, prof de musique d’un lycée professionnel. Je revois ces scènes dans les bals des villages comme ceux que j’évoque dans Paysage et portrait en pied de poule, quand éclataient les premiers riffs de Honky Tonk Women effaçant la série de valses musette et qui marquaient le retour de notre génération sur la piste de danse. Autre souvenir d'un copain qui hantait aussi nos petits groupes et que j’avais retrouvé un soir au hasard de notre service militaire : soirée Dylan à s’écorcher les doigts jusqu'au sang dans une piaule kaki avec treillis et rangers. J’ai gardé le goût de m’être essayé sur quelques répliques de Fender ou de Gibson, le son que ça faisait de plaquer les accords. J’ai conservé aussi la déception de n’avoir jamais possédé de guitare électrique.
Aujourd’hui, c’est toi, qui t’essaye à la guitare. Je t’ai prété (attention, je te dis bien prété, pas donné…) la Morris qui sonne toujours aussi bien. Et rien n’a changé dans l’apprentissage qu’on propose aujourd’hui : l’introduction de Stairway to heaven de Led Zep fait toujours son petit effet. De temps en temps, je plaque quelques notes, je retrouve d'instinct cette résistance un peu brutale et brouillonne des manches électriques, celle aussi de ne jouer que quelques accords qui ne mènent pas très loin. Très recemment, comme tu t’accroches un peu en ce moment, tu as ressorti la " petite ", celle " du grand-père " comme nous l’appelons, enfin " de mon arrière grand-père " comme tu as dit hier. Pas celui que j’avais en commun avec mon cousin, mais le père de mon père, disparu en 1976, petit homme un peu rude qui parlait peu, maitrisant mal le français. Le cadeau de cette guitare m’est précieux, c'est le seul souvenir qui me reste de lui et je l'avais reçu pour un Noël. En réalité, il voulait m'en fabriquer une. Menuisier habile, il savait construire de ces instruments slaves traditionnels et autres balalaïka de son pays. Je ne sais pas pourquoi il a renoncé, toujours est-il que, comme il m’en avait promis une, j’ai eu droit à cette guitare modeste, avec Mexico écrit de travers sur le manche. Mon père aimait aussi y jouer quelques notes, sa manière de me raconter une histoire avant d'aller dormir. Il y a bien longtemps qu’il ne l’a pas saisi. Elle est restée un long moment ma seule guitare et même comparée avec la Morris qui sonne bien, on est séduit par sa petite dimension, sa touche facile et aussi par un son de casserole, comme je me plais à dire, mais vraiment particulier et chaleureux. Il y a aussi la belle guitare classique de ta maman qui sait jouer un répertoire ardu. Nous n’arriverions pas à suivre ses partitions, c’est un autre monde... Maintenant , il y a donc ce partage avec toutes les six cordes de la maison en boyaux ou en métal. Relais familial… Pour moi, c’est comme si je prenais la suite de mon père, lui même ayant pris la suite… mais je t'ennuie avec toutes ces histoires ! Il n’empèche que la guitare électrique jamais possédée me manque toujours. Je sais que tu en désires une et  qu’un jour… Tu me la prèteras, hein ?
(08/03/2006)

 

Je n’avais pas envie d’écrire de note d’étonnements. Elles sont généralement plus le reflet de mon quotidien que les autres Notes d’écriture ou de lectures. Et pourtant mon quotidien a été bien bousculé ces deux dernières semaines, de quoi dire : voyage en Egypte, un saut à la montagne, une journée de ski, quelques retrouvailles familiales, neveux, nièces, des allers et retours à Paris, au Luxembourg, dans les Alpes, un devoir prenant (en sociologie). Voilà pour le quotidien... et la fatigue… Allez ! un peu de courage : je voulais donc parler d’Egypte ou plutôt de Mer Rouge. L’Egypte, je la connaissais déjà à travers un voyage traditionnel Pyramides, Louxor, Karnak, Abou Simbel, effectué en 2001 dans le désert touristique qui avait suivi les évènement du 11 septembre. La Mer Rouge, c’était repos et farniente et je n’ai pas été déçu : mer à 23°, plage à 26°, sollicitude du personnel de l’hôtel… Sharm El Sheikh, Côté Sinaï, comme sa sœur Hurgada, côté Afrique, est entièrement dévolue au tourisme. On y trouve un aperçu formidable de l’habitus touristique international propre à éveiller la curiosité du plus blasé des sociologues (je préparais déjà mon devoir…). Grande majorité de Russes excentriques et brusques, d’Italiens bruyants et bons enfants, de Français suffisants et énervés, d’Anglais flegmatiques et pâlichons. Tout ce petit monde se retrouvait sur la plage et aux repas : autres moments sociologiques, le Russe n’est pas frileux, toujours le premier à l’eau, l’Anglais reste fidèle aux toasts, l’Italien ne peut se passer de musique sur le sable, le Français se précipite au buffet et épie ses voisins en râlant… Il y a aussi les Egyptiens, tous aux services du moindre d’entre nous, parlant avec aisance plusieurs langues, cultivés et efficaces, souvent surpris lorsque je les remerciais en arabe…
On va là bas pour plonger : les fonds marins sont parmi les plus beaux du monde. Il n’est pas besoin d’être un fils à Cousteau pour apprécier toute cette profusion. Un simple masque et c’est déjà la féerie dans quelques mètres d’eau. Poissons-ange, poissons-papillons, poissons-perroquet : les noms révèlent déjà leurs beautés multicolores. Les fonds de coraux sont également magnifiques. Hélas, l’intensification de la plongée abîme énormément cet écosystème très lent à se reconstituer. Alors que nous faisions particulièrement attention au moindre coup de palme, j’ai vu des bateaux mouiller très près des récifs, laisser descendre sans vergogne soixante plongeurs d’un coup, certains mêmes s’équipant de leur harnachement sur la bordure de corail… Du coup, je n’ai pas plongé avec bouteille, je ne voulais pas me retrouver dans cette ambiance surpeuplée, factice et destructrice. J’ai préféré passer mes journées à effectuer quelques coulées en apnée qui m’ont permis tout de même de voir le très beau poisson lion, sorte de rascasse à nageoires magnifiques mais venimeuses, de déranger quelques raies pastenagues sur les fonds sableux, d’aller en bordure des courants où se rassemblent les poissons pélagiques de haute mer, bancs de carangues placides, barracudas curieux à l’œil rond et aux dents inquiétantes. J’ai aussi taquiné un très beau mérou, seigneur magnifique qui s’est laissé admirer à l’entrée de sa caverne à 5 mètres de fond. La prochaine fois, j’irai nager avec des dauphins…
(28/02/2006)

 
Mon deuxième livre s’appelait Trottoirs et potagers. Enfin, j’aurais aimé que ce soit mon deuxième roman, juste après Central. Mais les deuxièmes sont toujours plus difficiles à élever que les premiers (à l’inverse des enfants) et l’inachèvement de ma reflexion conduisit à un bouquin bancal : l’éditeur me proposa d’y travailler encore, je lui fournis plus tard un autre manuscrit, rien à voir, édité sous le nom de Composants. Trottoirs et potagers est resté dans l’état, le sujet et le travail souterrain que j’entrevoyais s’est rebouché.
J’y ai pensé en arrivant à Clermont-Ferrand avec ses chaussées éventrées par les impressionnants travaux d’installation d’un tramvay. Sur l’autoroute, un peu avant, les panneaux indiquent le récent parc Vulcania et rappellent la nature volcanique de cette région. Est-ce le vieux rêve du réveil de ces laves refroidies qui incite à creuser ainsi la principale ville de la région ? La peau endormie de la terre a donc tremblé un matin sous les bulldozers. Quelques mois plus tard, elle frémissait toujours à chaque coin de rue quand je descendais à pied vers le centre. Un machefer remué des profondeurs, distribué à la hâte pour permettre aux riverains de pouvoir continuer à accèder à leurs rues, étalait sa couleur noire, caractéristique des roches volcaniques, ce qui tranchait avec les flaques de givre résiduelles. Je pensais aussi à ce hasard (est-ce vraiment un hasard ?) qui me fait voyager souvent auprès des volcans. Le Vézuve de Naples et le camping installé juste en face, à Pozzolli, dans le cratère d’un de ses petits frères, l’Etna et la maison louée sur ses flans, les balades en forêt tropicale pour gravir en long et en large la Soufrière de Guadeloupe, le Piton des neiges de la Réunion qui entra en éruption juste avant que l’on reparte l’année précédente (il faut fouiller dans les archives webcam, les traces de ces voyages ne manquent pas). Clermont-Ferrand donc, j’y ai débarqué pour une journée bien remplie à la fac de Lettres et autres spécialités des Métiers du livre. Débarqué est le bon terme tant traverser ces rues en travaux ressemble à des passages de rivières, gués de fleuves et autres chemins d’initiation. D’abord, débarqué chez Elisabeth qui m’accueillait le lendemain pour un atelier d’écriture (voire exercice proposé à ses étudiants dans la rubrique adéquate). Trottoirs et potagers, jardin semblant vivant comme une herbe hiémale, la maison d’Elisabeth et Nicolas est une grande bâtisse généreuse qui, par mimétisme sans doute avec les travaux voisins, accueillait des couvreurs, leurs outils étalés sur une table de ping-pong. Contre le mur, il y avait un vélo rose à sacoches vertes (celui d’Elisabeth) et, à côté, une paire de skis de fond, de marque Rossignol (ceux de Nicolas ?). Généreuse est le mot car, en plus de leur sympathique accueil et de la soupe " de mère de famille (nombreuse) " qui m’attendait, la maison héberge également deux chirurgiens tchétchènes en formation à la faculté de médecine toute proche. Générosité aussi d’Élisabeth avec qui je suis descendu à pied le lendemain matin à la fac, moyen sans doute le plus efficace pour sentir la respiration d’une ville. Clermont-Ferrand (il me semble y être passé il y a longtemps mais n’y avoir gardé aucun souvenir) est une ville qui semble s’être agrandie en permanence. Les immeubles en béton des années soixante-dix s’imbriquent dans ceux de pierre des années trente ou cinquante, eux-mêmes s’enfilent jusqu’au cœur de la ville avec ses maisons en lave sombre (voir Webcam). Ressentir une ville en deux soirs, une journée et une matinée est sans doute trop peu. On procède par analogie. Michelin est pour Clermont-Ferrand ce que Miko est à ma ville de Saint-Dizier (à plus grande échelle pour Clermont). Ses ateliers se sont égayés dans la ville. En repartant le lendemain, nous sommes passé, comme inévitablement, devant une de ces vastes usines. Analogie encore, plus lointaine avec Manaus qui s’enrichit autrefois avec la production des hévéas du Brésil au point de construire une réplique de l’Opéra de Paris en pleine Amazonie sur une place pavée de latex. " Le caoutchouc décidément ", comme dirait Eric Chevillard, titre de son excellent récit (Editions de Minuit), assez difficile à placer dans une conversation ou dans un texte, je profite de ce bavardage. En repartant donc, le lendemain, il neigeait un peu, je repartais avec Françoise en direction de notre pays langrois (natal pour moi, d’adoption par amour de Diderot et du XVIII° pour elle), on ne voyait plus le soleil froid sur le Puy de Dôme et qui lui donnait ce petit air magique de gardien doré de Clermont-Ferrand. Nous avions prévu une halte dans l’Allier sur les traces de René Fallet, mais ceci est une autre histoire à venir…
(01/02/2006)
 
C’est une photo froissée que je retrouve dans une poche cachée de mon confortable et chaud manteau d’hiver (je suis plutôt du genre frileux). Je reconnais de suite l’assemblée des Ecrivains de Haute-Marne qui pose dans un cadre bucolique, certainement ce lieu un peu magique appelé Source bleue et qui nous réunit la plupart du temps. Il y a du soleil, nos peaux sont blanches, nos yeux plissés par la luminosité. Il y a des écharpes, des manteaux, c’est encore tôt : 15 mars 2003 est indiqué sur la photographie. J’ai dû la récupérer à la dernière réunion d’automne, on se passe des photos, on s’en donne. Ces clichés sont une habitude et l’un d’entre eux figure généralement quelques jours plus tard dans le journal avec un petit article qui indique que l’association des Ecrivains de Haute-Marne s’est réunie, est toujours dynamique, a des projets… Bref, vie locale. Mais ce qui me frappe tout de suite, hormis l’incongruité de retrouver soudainement cette photographie, c’est que figurent au premier plan, deux personnes assises côte à côte et qui ne sont plus de ce monde. Elles sourient pareillement, nous semblons être un peu en retrait d’eux (mon visage figure au dernier rang). Il n’y a rien que de très normal, notre assemblée est plutôt âgée, la fatalité finit par user ses victimes. Les deux qui ont disparu l’année passée à quelques mois d’intervalle étaient malades. L’un fût maire de ma ville et sa disparition a tenu l’actualité le temps de quelques jours. J’ai appris plus tard la disparition de l’autre, femme discrète. Mais le fait qu’ils soient placés sur cette photographie au premier rang et nous derrière nous laisse voir, comment dire, comme un étrange sort chronologique à suivre et comme si une connivence secrète nous avait poussé à les installer ainsi. Ils sourient, résignés… et c’est nous qui passerons un peu plus tard au premier plan. Je regarde cette photo et j’éprouve un étrange sentiment de tendresse de voir cette assemblée qui meurt petit à petit : depuis sept ans, cinq ont disparu, c’est dans l’ordre des choses et c’est ce qui étrangement participe à mon affection : aucune rébellion à avoir, juste la logique du temps. Certains ont fait l’objet de quelque hommage dans Feuille de Route comme Albert Kritter (Etonnements, notes d’écriture et de lecture du 12/03/2003) ou Yvon Regin (actualités du 10/10/2001). C’est pourtant toujours une déchirure ceux qui partent pour ceux qui restent, même dans cette attente raisonnée de leur disparition. Déchirures et photo froissée que je remet à nouveau dans le secret de ma poche. Rangé le soleil, les arbres, les mort et les vivants. Je remonte la fermeture et le col, je suis à Paris, il pleut, il y a du bruit mais cette tendresse va m’accompagner chaudement pour le reste de la journée.
Je n’ai pas tout dit : au premier plan sur la photo, il y a aussi un de ceux que j’apprécie le plus, en tant qu’homme et en tant qu’écrivain, vraiment un grand, notre légende à tous… Et il est toujours là. Et je pense justement qu’il vient de fêter ses 93 ans ce mois-ci. Et que j’ai lu encore ce matin sa chronique hebdomadaire dans le journal local. A lui, secrètement, bon anniversaire.
(25/01/2006)

 

Je suis Moniteur de secourisme depuis dix-sept ans. Et c’est grâce à l’engagement de toute une partie de ma famille dans cette solidarité du secours à autrui que j’ai pris goût aux gestes qui sauvent depuis plus longtemps encore. Depuis quelques années, j’allie une autre passion que je pratique aussi, pour former des plongeurs au secourisme, formation qui est obligatoire au-delà d’un certain niveau de plongée autonome. Nous nous sommes donc retrouvés une douzaine samedi dernier, venus de tout le département. J’appréhende toujours un peu ces journées, mais ce petit trac qui disparaît dès la première minute est de même nature que celui que j’éprouve en commençant un atelier d’écriture, par exemple. A force, on s’habitue, je trouve même cette crainte bénéfique car elle oblige à mieux préparer encore l’intervention que l’on s’apprête à faire. Le secourisme s’apparente au théâtre. Je l’avais déjà évoqué dans Central, puisque j’ai également dispensé autrefois des formations dans mon travail.
Le secourisme vécu comme un plus, utile dans la vie et pas uniquement au Central. La méthode surprenante, même pour les habitués. Se mettre en situation. Faire comme si. Jouer au théâtre. Sortir du rôle tenu au boulot. Devenir un autre pour ses pairs. Untel, agent des lignes, s'allongeant par terre et simulant la douleur d'une fracture. Une autre, secrétaire, se précipitant, endossant le rôle du sauveteur, transcendée, saisissant la main de ce collègue, posant la sienne sur le ventre, vérifiant la respiration. Geste inconcevable dans la convenance des heures de bureau.
La respiration artificielle aussi, le bouche-à-bouche, imaginant d'autres corps à corps et les plaisanteries fusant quand le tour d'une femme arrivant pour répéter sur le mannequin simulant un bel athlète.
Progresser selon un programme bien établi. Réviser. Bouger. Parfois, en croiser d'autres vaquant à leurs occupations, comme le grand dégingandé s'arrêtant et hochant la tête en nous voyant démontrer le dégagement d'urgence d'un véhicule en feu dans le parking. "
Je retrouve ainsi cette progression, ce théâtre, ces mises en situation d’urgence, les gestes à faire rapidement, dans un certain ordre, de telle manière. J’aime cette utilité immédiate, cette projection dans la fiction d’un accident, pas forcément grave, non, simplement savoir qu’un simple malaise pourrait le devenir. En plongée, la moindre situation préoccupante peut évoluer très vite, une mer déjà formée, du courant, des plongeurs à récupérer rapidement, le danger des bouteilles mal arrimées, de l’échelle métallique qui cogne contre la coque, de l’hélice, sans compter tout ce qui peut arriver en profondeur, accidents de décompression, panne d’air, morsures, brûlure du corail, la houle qui vous projette contre les rochers… Samedi dernier, deux plongeurs ont évoqué l’accident auquel ils ont assisté l’été dernier. Leur souvenir le plus fort : l’hélicoptère au-dessus du Zodiac descendant d’abord le Médecin puis le matelas d’évacuation au bout du treuil. Ce n’était pas trop grave, mais impressionnant. Ainsi on touche à la fiction mais rien à voir avec celle de la télé qui fait toujours marrer le moindre pompier présent tellement il y a d’invraisemblances. Ce n’est pas vraiment de la fiction que l’on cherche, mais sans doute quelque chose, une éventualité qui doit se rapprocher du réel, donc du roman sans doute. Et pour cela, nous nous mettons dans des opérations de théâtre. Quand je commence un " cas concret " comme nous appelons ce genre de situation, c’est une véritable petite scène que je joue avec un supposé blessé. Après il faut reprendre et expliquer geste par geste, comme on le ferait de chaque réplique de théâtre. Ô Roméo, Roméo, pourquoi es-tu Roméo ?
La respiration artificielle évoquée dans Central a un peu évolué depuis. Hygiène oblige, chaque mannequin est doté de plusieurs " visages " et nous en attribuons un à chaque participant qu’il gardera pour toutes ses démonstrations de bouche-à-bouche. La suite donne l’occasion d’une procession particulièrement insolite et que n’aurait pas renié Duchamp ou les Surréalistes (voir en Webcam).
(18/01/2006)

 

Je suis venu l’année précédente à l’animation d’ateliers d’écriture. C’était un hasard. Un lycée forestier avait eu mon adresse, m’avait posé la question. Je n’en avais pas pratiqué, n’y avais même jamais pensé mais il était bien tentant d’y répondre et de se frotter à cette expérience. Et puis Vincent, jeune prof de français du Lycée de ma ville natale et dans lequel j’avais usé mes fonds de culottes trente ans auparavant m’a contacté également un peu plus tard et je me suis retrouvé avec ces deux premiers essais que j’ai particulièrement appréciés et qui m’ont beaucoup apporté (Voir en Ateliers d’écriture). Aussi quand Vincent m’a demandé de renouveler l’expérience pour la rentrée 2005/2006, j’ai accepté avec beaucoup de plaisir ce retour à nouveau dans mon lycée de jeunesse (voir aussi en Webcam, cette semaine). J’ai déjà rencontré trois fois sa classe de seconde. Chaque atelier est bien sûr différent. Nous avons convenu d’axer notre travail sur le théâtre qui occupe une place importante dans les œuvres étudiées. " Roméo et Juliette " de Shakespeare a été largement étudié pendant le premier trimestre et a fourni l’occasion de revoir la fameuse scène du balcon par exemple réécrite en s’inspirant des "Exercices de style" de Queneau ! Cette année la disponibilité de la classe oblige à des séances de cinquante-cinq minutes par demi-classe d’une quinzaine d’élèves. Cette contrainte me perturbe un peu car je n’aime pas laisser au hasard la préparation de chaque séance. Or, cette rapidité oblige à une préparation légère, l’ensemble des lectures éventuelles, explications préalables à l’atelier ne peut prendre qu’une dizaine de minutes au maximum, le reste du temps demeurant dévolu à la production d’écriture des participants. Vincent qui connaît sa classe parfaitement est ainsi d’un grand secours : c’est ensemble que nous devons préparer ces mini-séances. Ainsi, pour la semaine dernière, nous avions la prétention folle de leur faire écrire une pièce de théâtre en quatre actes et donc en moins d’une heure, inspirée des histoires d’amour contrariées, façon " Roméo et Juliette " ou à la manière de " L’école des Femmes " de Molière qu’ils avaient également étudié. Pari tenu ! Chaque demi-classe, elle-même divisée en quatre groupes a su mener à bien non seulement la création théâtrale avec didascalies et dialogues mais aussi, a su choisir en quelques minutes un sujet fédérateur et surtout le rédiger dans un optimisme commun et un enthousiasme communicatif. Le résultat est parfois surprenant, mais complet et cohérent.
(11/01/2006)

 

L’année 2006 sera politique ou ne sera pas, ai-je prétendu en notes d’écriture. Ce n’est pas étonnant, d’ailleurs plus rien ne nous étonne, c’est bien le propre de la politique de lisser les choses publiques à travers le filtre des pouvoirs : des lois, des règles, un consensus, une avancée moutonnière, la participation requise de chacun dans l'effort perpétuellement prôné par nos dirigeants. Notons au passage que le mot "partage" a disparu du vocabulaire commun, pas seulement retenu par les mains crispées de quelques privilégiés, mais aussi modéré dans une pseudo charité que l'on nomme "solidarité" et qui nous implique moins qu'une éventuelle répartition de nos richesses : à chacun de rentrer chez soi après avoir couru pour le téléthon...
Histoire de se secouer un peu, histoire de rajouter des plis disgracieux à nos costumes de citoyens polis, histoire d’aller s’asseoir un instant dans une ornière hors des chemins rebattus, histoire d’en appeler à l’Histoire ou à nos histoires, nous devrions nous livrer chaque matin à un exercice salutaire, petit atelier d’écriture individuel, petit exercice quotidien de reflexion citoyenne, dont la consigne pourrait être : dans l’actualité du moment, choisissez quelques motifs d’étonnement (d’où la présence de cette rubrique) et rédigez une (des) question(s) ouverte(s) commençant par " pourquoi ", avec au moins une corrélation ou une analogie pour chaque question, ce qui prouve qu’on essaie de réfléchir un peu tout de même… Le tout sans chercher à trouver une ébauche de solution, une idée de réponse, ce qui n’est pas si facile que cela… Se référer donc à Marguerite Duras dont on parlera beaucoup cette année : " laisser tout dans l’état de l’apparition. ".
Je commence (source : journal local) :

  • Pourquoi n’y a t’il qu’une augmentation de 6 embauches sur 1000 pour les moins de 25 ans dans la baisse comptabilisée du chômage ? Corollaire (lu également ce jour) : pourquoi incite t’on les médecins qui prennent déjà leur retraite à 65 ans à repousser l’âge de leur cessation d’activité ?
  • Pourquoi n’a t’on pas cité le nom de Sylvain Schiltz dans l’article qui signale un autre SDF mort dans sa voiture à Lyon comme si celui-ci était le premier, un cas isolé ? Corollaire : pourquoi ne parle t’on jamais de la mort des SDF en été ?
  • Pourquoi des lycéens, auteurs d’une brochure sur le respect, doivent-ils toujours justifier de cette qualité aux adultes et pas l’inverse ? Corollaire (dans le même journal) : pourquoi un club de troisième âge qui vient de fêter ses 25 ans d’activités n’a t’il eu comme programme que des voyages entre eux, à l'écart du monde proche ?
  • Pourquoi certains députés UMP déplorent-ils une dérive droitière et sécuritaire de leur propre parti ? Corollaire (même édition, article voisin) : Pourquoi la Préfecture de Police se sent-elle obligée de préciser que les 4500 gendarmes et policiers pour la Saint Sylvestre ont reçu " des consignes de fermeté pour dissuader et réprimer tout acte de violence " ?

(04/01/2006)