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Notes d'écriture 2005
Avez-vous remarqué en page daccueil le très beau voisinage de Kafka et
Beckett ? Il ny a pas de trucage, pas de montage photo, juste une question de
perspective : voir en webcam. Cest à la faculté des
Lettres de Dijon quils sont réunis avec dautres comme Perec, dessinés sur
les murs de la cafétéria. Quand jy suis allé, le lieu était désert,
cétait samedi. Les chaises grimpées sur les tables allaient très bien avec
Beckett, je me souvenais avoir traversé un jour le cimetière du Montparnasse et avoir
remarqué une mini pelle qui fouillait avec juste devant sa tombe à lui, le dépeupleur.
Retirer, nettoyer, aller vers le vide et le silence : sa préoccupation
première
Jétais donc à la fac de Lettres de Dijon un samedi, jour logique pour réunir ceux
qui sont inscrit aux cours par correspondance et qui ont généralement dautres
activités en semaine. Jai expliqué ce qui me pousse à suivre un cursus
universitaire à lâge où je nen ai plus besoin (note détonnements du
02/11/2005). Au fur et à mesure que se structurent à la fois ces études et en
parallèle mon écriture du moment, je réalise losmose entre les deux, la parenté
subtile : jécris globalement sur " lobjet
littéraire " du Curriculum Vitae et en même temps je brise sa logique qui veut
que la partie Diplôme/formation précède la vie professionnelle, soit en rapport avec.
Peu importe le chemin secret qui ma poussé confusément à le faire, à vouloir
renverser ce cartésianisme cul par-dessus tête, " mettre la cabane sur le
chien " comme on dit dans les Vosges (je crois), il y a double raison de trouver
cette note dans cette rubrique " décriture ", à la fois sous
la présence discrète mais permanente de Kafka et Beckett et celle de ma propre plume.
Donc, un samedi à la fac de Dijon, ce sont des couloirs vides, des panneaux
daffichage que lon regarde devant des salles closes, ce sont dautres
étudiants, tous moins âgés que moi et qui justifient leur inscription par
correspondance plutôt quen cursus classique par des motivations tellement
diversifiées, toutefois toutes liées à lobtention dun diplôme pour y
exercer un métier : une telle, jeune mère au foyer, envisage de devenir professeur
des écoles, une autre, danseuse professionnelle, préfère sassurer dautres
compétences, un autre encore est suisse francophone, une est ukrainienne et, après avoir
étudié le coréen, aborde en profondeur létude des Lettres Modernes...
On est samedi donc et très peu réunis : on peut se compter sur les doigts d'une
seule main, jamais plus des deux, à chaque heure devant chaque professeur. Et le samedi,
avec eux, assis sur le coin du bureau, linstitution séchappe dans ce vide,
devient aérienne, moins pesante, les lettres du fronton de la fac semblent moins
arrogantes, les salles résonnent, les paroles se font plus intimistes, et quon
évoque Genet et les Paravents ou Molière et le théâtre du XVII°, on rentre dans le
vif du sujet beaucoup plus facilement, on s'aperçoit mieux que le sujet reste
éternellement la littérature.
Et quand on sort des salles, où que l'on aille, les chemins biscornus du bâtiment
mènent toujours à la cafétéria devant Kafka et Beckett, c'est essentiel.
(21/12/2005)
Un texte me poursuit, mobsède depuis treize mois quil est terminé.
Premier jet facile, démarrage en juillet de lannée précédente, peu de souvenir
en fait, sans doute une continuité en Sicile pendant les vacances dans la maison qui se
prête admirablement à l'écriture.
Non, quant à sa réalisation, peu de souvenirs. Tout au plus reste til cet
étonnement de lavoir terminé, notifié ici même (Note de lecture du 10/11/2004),
fierté qui transparaît de cette aisance décrire, de savoir terminer, finir,
induire le mot " The end " comme dans les vieux westerns :
voilà, cest pas plus difficile que cela.
Et puis la visite à léditeur. Bon, on sait que ce nest pas parfait mais à
fournir un texte déjà peaufiné, réfléchi, quaurait-on à partager, à se
dire ? Cest manière de recevoir limage en miroir de ce quon aurait
aimé faire, vraiment un miroir, cest cela : voir ce qui vous a échappé,
limage derrière la tête, larrière si fugitif des oreilles quon ne
peut apercevoir sans un dispositif complexe de reflets par différents miroirs en
cascades, cest ce regard que lon cherche. On retient chaque mot, chaque
hésitation, on sait que cest inassouvi. Là, il faut reprendre des scènes, ici, il
faut développer certains passages : cest ce que dit léditeur.
On repart. Il y a cette période difficile, toute en sentiments exacerbés, on est déjà
en plein dedans et ça ne facilite pas la réflexion. A cette époque, cest aussi
réaliser quon a fait fausse route : le texte fini, on voudrait quil soit
autrement, et pas seulement dans des replâtrages de chapitres, non, cest toute la
structure qui vacille et comme on est soi même une Tour Eiffel peu sûre, il faudrait
démonter lensemble du mécano, le bonhomme et le texte, tout poser par terre, alors
vraiment, vraiment pas de courage pour cela, ce nest pas le moment.
Ce qui suit sera bien des tentatives pour garder le contact avec les mots alignés.
Dix-sept versions à ce jour : je bassine tout mon entourage avec ce chiffre mais
cest plus une manière de mesurer combien finalement écrire est difficile,
tâtonnements, choses fuyantes. Le mot "replâtrage" est assez bien imagé
aussi, on pourrait voir un mur avec du crépi qui tombe, il faut refaire, décaper
jusquà la brique et quand les moellons sont visibles, il faut sattacher à
les décoller, à chaque fois un peu plus de fatigue, la tâche est gigantesque. Allez
hop, encore du boulot ! Mais ce travail a toujours été présent, régulier, même
sil est difficile et confus, il reste une base, un muret, un socle de béton, un
vague machin qui senkyste, une maladie, je laisse le choix des comparaisons. Je
parle assez souvent dobsession, cest cela : ça mobsède,
cest la première chose à laquelle je pense le matin, la dernière à laquelle je
pense avant de mendormir et ça doit bien revenir dans le profond du sommeil, je me
souviens rarement de mes rêves.
Maintenant, cest une autre période, plus calme, moins sujette aux tempêtes, du
bonheur même, on peut oser. Avec du temps pour délayer tout cela, pour lécrire,
trier chaque brique déposée. Dix sept versions
On commence, non pas à en voir le
bout, mais à apercevoir le mouvement densemble, cest à dire reconnaître ce
qui bloquait, retourner chaque brique dans les mains, chaque moellon du muret à
reconstruire, agencer le puzzle. Je ne sais pas si jai franchi une étape,
cest trop tôt pour le dire, le machin est encore mou, les mots sont mous, ce ne
serait même pas un livre qui subsiste, même pas une intention, non cest une
sensation nouvelle. Davoir compilé tous ces mots, agencés toutes ces phrases, ces
bouts de textes, cest plus une conséquence, une conclusion qui saffiche,
plutôt quune intention de départ, une introduction. Cest un état nouveau
pour moi.
Bref, jai fait récemment un tableau à double entrée pour y trouver les
cheminements secrets. Et ce que jy découvre mintéresse au sens mathématique
du terme, un peu comme si je tentais de mettre en équation lensemble du problème.
Du coup, Perec et Queneau prennent une dimension non plus ludique comme lOulipo
laissait à le penser, mais grave, sérieuse, un ordonnancement du monde, une philosophie.
Où en suis- je donc ? Jen suis peut-être à vérifier que cette théorie que
je tente dappliquer à grands coups de tableaux Excel fonctionne dans tous les
cheminements secrets de mon texte. Après, seulement après, pourrais-je enfin écrire
sans peur peut-être ?
(14/12/2005)
Ecrire, cest sans doute aussi un statut, vaguement une posture. On peut la
refuser, on peut ergoter à linfini sur les termes plumitifs (suis-je un auteur, un
écrivain, un écriveron, un écrivant, un tout ou un rien ?), nempêche que
vient un jour ou lautre, sous prétexte que des petits cubes de papiers sont sortis
des illuminations de nos cerveaux, vils copieurs de Rimbaud, nempêche quon
vient vous solliciter pour relier ces choses publiées avec dautres activités, en
discuter, les partager. Et que lon sappelle Gracq ou Blanchot, dans la mesure
souvent incomprise de la discrétion, la réponse est : oui, bien entendu, on
partage. Parce que cest prévu au départ, en admettant quil y ait un départ
à lacte saugrenu décrire, parce que cest inclus au plus profond,
cest enchâssé.
Donc, partageons.
Et parmi ces partages envisagés, latelier décriture fait bonne mesure.
Dautant plus quil peut fournir quelques subsides institutionnalisés que ne
négligera pas lauteur ( ou lécrivain, lécriveron, lécrivant)
pour peu quil tente de consacrer beaucoup de temps à son métier (ou loisirs, art,
passion, vice). Cette juste valorisation dune réflexion et dun travail
entrepris depuis des lustres est souvent " juste ", justement ajustée
par des arcanes bassement administratifs qui aimeraient bien par ailleurs la voir
disparaître, de même que les mots (sauf les leurs, frileux et emmitouflés), réaction
contre laquelle se bat la Charte des
Auteurs Illustrateurs Jeunesse, par exemple.
Mais revenons à nos moutons
Et avec pertinence, rappelons que la tâches des plumitifs (auteurs, écrivains,
écriverons, écrivants) est de libérer les troupeaux quune institution tentera
déduquer pour lEducation Nationale, de garder pour les prisons ou pour les
asiles départementaux (autant garder cette nomination puisquelle est encore
inscrite sur bien des frontons de bâtiments orgueilleux).
Voilà pourquoi je sévis aussi dans des ateliers décriture. Disons pour le partage
de la langue.
Voilà pourquoi jen parle aujourdhui : jai recommencé lun
deux dans une classe de seconde au Lycée Diderot de Langres. On y parlera
damour et de littérature, donc de Roméo et Juliette de Shakespeare. On y a surtout
écrit, en guise de mise en bouche, sur les exquis Exercices de Style de Queneau. Un blog a été créé à cette occasion.
Il y a aussi, dans ce même établissement, une classe de BTS que jai déjà
retrouvé deux fois avec plaisir. Il y aura aussi un atelier dans un Centre hospitalier
spécialisé à Dole à partir de janvier.
Et tout cela, ça se suivra en rubrique Atelier
décriture, évidemment.
(07/12/2005)
Grâce à Stéphane Gatti, réalisateur intervenant dans la belle association L'Entre-tenir, l'occasion m'a été offerte de
revenir sur les lieux de Central, cinq ans après sa publication. Cette idée me
trottait dans la tête depuis longtemps, envie de revenir aux sources peut-être de la
première écriture, moi qui connais quelques difficultés pour aboutir un travail amorcé
depuis dix-huit mois, ce nest pas mon rythme habituel, je suis beaucoup plus rapide.
En plus, le sujet qui me préoccupe, devenu obsession et pour lequel dix sept versions
dun texte ont déjà été élaborées, est proche, une sorte de troisième volet
trilogique à Central et Composants. Tout concourrait donc à revenir sur
dans ce " Central ", ce milieu téléphonique jamais vraiment quitté.
Bien sûr, il y a eu quelques contacts, quelques autorisations à demander, prévenir mes
anciens collègues et faire une visite préparatoire à la venue de Stéphane Gatti,
chercher les clefs pour pouvoir entrer partout
Et retrouver cette bizarre compacité
de lair à lintérieur de salles de plus en plus vides, sorte de lourdeur
empreinte des ronronnements de la climatisation, alimentations électriques des
commutateurs électroniques, pressurisation pneumatique des câbles. Avec ce qui avait
déjà changé, mais empiré encore plus depuis : ne plus croiser personne dans
lescalier, dans les couloirs, narpenter que des pièces dépeuplées. Au
total, je naurai aperçu que huit collègues sur deux jours, avant, nous
nétions jamais moins de trente à quarante à arriver le matin, le parking était
vite rempli, il fallait se garer à lextérieur. Stéphane na eu que
lembarras du choix dune place en arrivant avec sa voiture remplie de matériel
audiovisuel, caméra, pieds, microphones, perches, projecteur et autres. Nous étions
trois mais à peine avons nous réussi à troubler létrange pesanteur du lieu.
Jai refait la visite du Central, telle que je lavais parcouru au hasard de
visites de classe, mais surtout dans les trajets que javais retracés de mémoire
pour écrire mon premier roman. Etrange pesanteur, oui, un peu fantastique de pouvoir
rentrer à nouveau dans lambiance de mon livre, exacte et inchangée. Enfin
si : un peu plus abandonnée encore. Anecdote extraordinaire : pénétrer dans
la salle de réunion (
rarement utilisée, le mobilier
rangé, attendant les participants : des tables trapézoïdales reliées deux à deux
et formant un ovoïde, sur le pourtour, environ vingt chaises. Central,
p 28) et retrouver sur le paperboard la même ramette de papier, pas même au quart
utilisée. En la feuilletant, retrouver mon écriture à loccasion dune
session de secourisme effectuée ici il y a plusieurs années. Et dire que telles pièces,
salles de réunion, se veulent le symbole de la communication interne de toute grande
entreprise
Nous sommes montés ensuite jusque sur le toit, cela faisait plus de dix ans que je
ny avais pas mis les pieds. Dans un coin, à côté de la trappe, sy
trouve encore une vieille feuille de journal, craquante et jaunie, datée de 1985, et une
latte blanchie de cageot, sans doute de quoi allumer un feu (Près de la porte, un
barbecue rouillé ayant appartenu à un locataire, symbole inattendu, convivial devant
l'ouverture du ciel, tranchant sur le monde replié des bureaux - Central, p 39).
Javais remarqué ce détail à mon premier passage mais je ne lai pas montré
à Stéphane, trop occupés que nous étions à monter tout le matériel sur le toit.
Cétait le but ultime de ce voyage, notre modeste Everest, il avait neigé la
veille, à peine, mais le vent dEst glacial fouettait nos trois visages tout en haut
et nos trois paires de mains crispées sur les pieds lourds de la caméra, sur la perche
tendue du micro et sur lappareil numérique que javais pris soin de ne pas
oublier. Lassociation lEntre-tenir travaille cette année sur la notion de
frontière et, dans cette ville qui sest tellement modifiée depuis lécriture
de Central, il était intéressant de se poser la question de nos
frontières : où les place ton ? Quest-ce qui change vraiment quand
on les bouge ? Vu du bien nommé Central, lespace qui nous environne est
encore en pleine mutation, le complexe nautique est terminé depuis un an, mais le cinéma
est encore en construction. Lusine qui sy trouvait (partout,
des entrepôts, des parkings, des unités de fabrications, des bureaux, le quartier ayant
éclaté, poussé ses murs pour agrandir l'usine en son temps et répondre au succès
commercial, à la croissance Central, p 40) est partie à
la périphérie de la ville, jen parlais déjà dans le livre, mais ce qui est
nouveau ce sont ses bâtiments qui ont tous été vendus, il y a aussi un supermarché qui
sest construit, quelques logements de standing. Finalement, il faut cinq ans pour
changer le visage dune ville. Et combien pour sauver encore la face : ici, on
ne produit plus, on consomme, on se distrait jusquà quand ? Vu du toit,
il y a de lagitation, des grues bougent, on entend le bruit de marteaux piqueur, un
camion apporte une toupie de béton, partout des casques de chantier. Déplacements qui
contrastent avec la léthargie intérieure du central, chaises vides, abandonnées,
cartons un peu partout, le ménage aléatoire. Si lon est optimiste, on peut penser
que tout est un éternel recommencement : lagitation du Central il y a quelques
années contrastait aussi avec lusine qui débauchait, vendait ses locaux.
Maintenant cela séchange et peut-être dans quelques années on peut espérer aussi
une vie nouvelle pour le vieux bâtiment. Est-ce cela la frontière ? Un balancier
permanent entre le trop vide et le trop plein ?
Et lécriture apporte ses frontières également : celle tenue entre la
réalité et la fiction, la porosité entre ce qui nous entoure et ce quon tente
den restituer, mettre des mots où on ne les attend pas, cétait aussi les
mouvements de Central. Jai pris quelques photographies. En les regardant, les
phrases du livre me reviennent, jai envie dune unité, d'une page à rajouter dans la rubrique " Central ", Internet permet cela. Jai envie aussi de
ce texte comme note décriture, dans son témoignage et son authenticité. Pour
marquer, prendre date, comme on dit. Et prendre acte : un livre nest jamais
vraiment terminé.
(30/11/2005)
Ecrire cest aussi évaluer. On peut le faire au sens éditorial du texte, dans le
sens destimer, de calculer, de prévoir (un chiffre de vente par exemple). On peut
aussi évaluer dans son synonyme de juger, trancher, conclure. Généralement, ce
nest pas la même personne qui écrit et évalue. Cest préférable car on
manque de recul pour sapprécier soi-même et en vertu de quoi, de quels critères.
Imaginons un texte produit par un élève, appelons-le " rédaction "
(un peu bas et désuet) ou " dissertation " (un peu haut et
prétentieux). Cest au professeur dévaluer lélève, on dit
" corriger ".
Le sujet est issu du cours et le cours du moment : cest Létranger
dAlbert Camus. Il sagit de bâtir une petite nouvelle autour dun extrait
du roman. Voici pour la consigne qui est à lexercice ce que la valise est au
voyage
Au total, lélève aura rempli quelques pages au stylo plume bleu et
remis lexercice idoine au jour prévu. Quelques jours plus tard, les copies doubles
lui sont restituées, agrémentées de feutre rouge, ce qui prouve que le cramoisi est au
professeur ce que lazur est à lélève. Dans un coin, il y a la note, le seul
élément retenu par ladministration, repris des dizaines de fois sur différents
états et savamment calculé afin quil " entre " dans la moyenne
du dit élève. Cest donc également la note qui devient lintérêt principal
de celui-ci, avec la petite originalité dune précision chiffrée (et raturée) qui
indique le nombre de fautes subsistant dans le devoir, petite précision que
lélève sempresse daller comparer avec ceux de ses copains et, par
exemple, de rapporter à ses parents, après la traditionnelle question
" combien tas eu ? ", le petit détail amusant comme quoi
lélève Machin dont le père, pourtant fort en orthographe, et qui lui a corrigé
sa " rédac " aurait laissé une trentaine de fautes
Généralement, laffaire sachève bien vite (surtout si la note correspond aux
attentes familiales) par une lecture distraite de ce qui a été écrit au feutre rouge,
portant sur ladéquation ou non du seul respect qui trouve grâce aux yeux de celui
qui porte la charge la pédagogie, le respect de la consigne. Et le livre dans tout
cela ? Refermé, parti aux oubliettes et avec, la narration si extraordinaire
dAlbert Camus, glaçante et limpide. Et plus personne pour essayer de savoir si le
dit élève avait tenté de comprendre les petits mécanismes de cette écriture, tenté
den retracer latmosphère : ce nétait pas dans la consigne.
Glaçant et limpide, létranger nest pas celui quon croit
(23/11/2005)
Ecrire nest pas païen, et ce que jai affirmé la semaine dernière paraît
pour le moins exagéré, tant lémancipation admise de la littérature apporte comme
contre-exemples. Parmi eux, la célèbre formule " la religion, opium du
peuple " naurait pu être annoncée et transformer ainsi les générations
sans la pérennité de lécriture. Idées, sciences humaines, lhomme
naurait pu étendre luniversalité de son savoir sans lécrit et
celle-ci, alimentée sans cesse, ne peut se ligoter à des entraves telles que la stupide
affirmation, écrire nest pas païen, sous-entendu, écrire est une occupation
pieuse et dévote.
Ce nest pas ce sens que je voulais donner, mais plutôt lidée
dexaltation mystique que la littérature porte en soi depuis ses débuts. Païen
vient de paganus, paysan et par extension, se dit des anciens peuples polythéistes. La
terre na eu de cesse de sélever pour y trouver des dieux, des éthers et y
emporter ses inventions humaines comme lécriture. En effet, dès lantiquité,
la société est sublimée dans la littérature : les légendes, lIlliade et
lOdyssée, la chanson de Roland, la Bible évoquent un monde imaginaire, déifié.
Cette première apparition de la fiction, dés le départ, et sans doute avant dans les
allégories scripturales des grottes préhistoriques comme à Lascaux ou dans la vallée
de la Vézère, rejette la réalité aux orties, et donne à lécriture le beau
rôle de lapparition du surnaturel et de la transmission du sacré. Ainsi les
scribes égyptiens pour assurer le passage de la mort par la magie des hiéroglyphes,
ainsi les moines copistes pour examiner la société à travers le filtre des religions.
Lécriture devient un piège au fur et à mesure que les sociétés organisent les
rituels, entrent en concurrence et en guerre pour faire valoir leurs explications depuis
le mystère de lapparition organisée de lhomme jusquà
lacceptation de sa propre mort individuelle. Lécriture a du mal à
sémanciper, à ne plus parler de ses dieux et de ses peurs, mais de lhomme,
construit au contact des autres hommes. Pourtant, ce mouvement, ébauché depuis
lemblématique " frères humains " de François Villon ne
sarrêtera plus : la narration de la société se révèle comme substance
principale du livre au siècle des lumières. Limaginaire ne précède plus la
société mais la suit. Pour autant, les mondes idéaux ou inaccessibles continuent en
parallèle jusquà aujourdhui. Le fantastique dHarry Potter et avant, la
SF ne contribuent-ils pas dans ce même élan dannuler nos craintes
ancestrales ? Le roman pourrait être une tentative de réconcilier le réel et la
fable. Il devient au XIX° siècle, une querelle des anciens et des modernes,
larchétype dun différend jamais résolu entre la fiction issue de la
sublimation des légendes avec la description de lhomme enchâssé dans sa
société. Madame Bovary présentée comme une étude de murs et la volonté de
trouver un nouveau roman au milieu du XX° sont caractéristiques de cette tension. Ce
raccourci historique se veut sans vergogne cavalier et très incomplet. Et tout cela à
cause dune vague idée, écrire nest pas païen
(16/11/2005)
Sans doute ne saperçoit on pas assez ce que lécriture révèle comme
rituels. Sasseoir à la table de travail à heure fixe, décomposer les mêmes
gestes qui président à lécriture, et avant, tourner autour, employer les mêmes
chemins qui mènent à la page à écrire. Rituels au sens de cérémonials, non pas la
grande pompe ni lapparat mais le dénuement propre au sacré, la cellule du moine,
nos croyances et nos religions sont contenues en ces rites. Même si lon est athée,
incroyant, septique ou agnostique, on néchappe pas à la règle, aux parages et
parades du rituel, à lapparition miraculeuse de ce qui nous échappe : la
messe est dite pour tout le monde.
On peut narguer cette liturgie, la jeter aux orties, démonter un à un ces principes
judéo-chrétiens, il nempêche que lécriture a partie liée avec le mystère
et les détours employés pour la cerner sont autant de pèlerinages. Dans une enquête
précédente du magazine Lire à laquelle javais participé (Les tics
et les tocs des écrivains, par Marie Gobin, Lire, février 2004, voir en page PPPP), les rituels, forts répandus parmi les écrivains,
" procèdent le plus souvent de la pensée magique ", cest vrai,
mais aussi laïque que se veut notre pensée, il nen demeure pas moins quà
chasser le naturel il revient au galop.
Pour preuve, le changement dhabitude que je connais depuis peu de jours. Maintenant
plus fréquemment à mon domicile, passé linstant assez bref et étonnant où le
long éloignement journalier connu ces dernières années vous fait vous sentir étranger
en votre propre maison, cest une déambulation tout autre qui vient délayer les
heures passées à travers les pièces. Au premier abord, cette activité, cette
occupation, ce rituel pourraient être synonymes de coutumier, quotidien, ordinaire ou
normal, sorte de "vie matérielle", comme dirait Marguerite Duras mais ce serait
oublier bien vite lobsession, le point dorgue qui sous-entend chaque journée
vers linestimable écriture. Ainsi, chaque pas, chaque geste, chaque pensée
conduisent vers elle. Chaque instant est distordu dans cette attirance, lespace
devient aimanté, vectoriel, dirigé là où se passe lécriture. En vain, on
pourrait penser que lécriture est détachée, nous y uvrons, certains
écrivent dans des lieux incongrus, affectent de ne pas y prêter attention, dautres
et jen suis nattachent aucune importance à la feuille, il
suffit que les mots salignent dans leur fugacité sur un écran lumineux pour se
croire détaché de lécriture. Pourtant elle est là, elle prend forme, elle prend
espace, elle envahit toute la tête, elle déborde, elle attache.
Jécris sur mon bureau, dans cette maison retrouvée, jai tout rangé,
jai disposé mes objets de culte, mes stylos favoris, même si je nécris pas
avec, jy ai apporté un soin maniaque et je pénètre dans cette église avec
la satisfaction davoir réuni toutes les conditions pour la vénérer, lui être
favorable. Au centre, lordinateur portable est ouvert comme un autel, lumineux comme
une auréole. A ce moment précis, la peur et lenvie se mêlent : écrire
nest pas païen.
(09/11/2005)
Je repensais à une phrase que j'avais prononcée au sujet de Feuilles de route. Ce
devait être, je crois, à la première Assemblée Générale de Remue.net. Nous faisions
connaissance, chacun se présentait. Nous étions tous réunis dans cet extraordinaire
moment où le virtuel Internet côtoyé quotidiennement, emmagasiné depuis des mois, pas
encore des années pour la plupart d'entre nous, laissait la place à des personnages
véritables, en chair et en os, qui se mouvaient ensemble cette fois-ci dans un temps
continu, dans un lieu unitaire au lieu des moments fragmentés où chacun de nous, à son
rythme, le soir ou le matin, souvent la nuit, pêchait quelques lignes sur un écran
placé dans une chambre, un salon, un bureau, un garage, dans une ville avec le
ronronnement des voitures, en campagne avec le chant des oiseaux sur les arbres proches.
J'avais présenté Feuilles de route en insistant sur l'intérêt, la justification que
j'y voyais alors d'accumuler mes notes. Oui, c'est le mot que j'avais prononcé : chercher
à savoir ce qui se passe en soi, dans les autres, pour l'écriture dans une accumulation
qui se fera au fil des ans en avalant avec nos mots la " nouveauté " Internet.
Je n'arrivais pas trop à exprimer cette sensation, je n'y arrive d'ailleurs toujours pas.
Comment dire ? Dans la " nouveauté " du média Internet, il y manquait alors de
la profondeur temporelle : pour les plus anciens d'entre nous, à l'époque de cette
première AG (2002 ?) nos sites existaient depuis 3 ou 4 ans dans un paysage encore
clairsemé : une " histoire ", non pas en son sens narratif mais archiviste,
commençait à se bâtir. Depuis encore 3 ans ont passé, ce n'est pas rien : dans cette
loi mathématique des séries, le temps a déjà " doublé ", les sensations,
préoccupations de chacun ont changé, le paysage virtuel s'est étoffé, les blogs ont
planté leurs pousses un peu partout, nos réactions sont différentes : alors qu'en 2001,
nous nous soucions de Tanguy Viel qui abandonnait son site Internet, aujourd'hui, une
telle disparition n'étonne plus, la mer internautique est devenue complexe, mûre,
agrandie, adulte : nous avons quitté les rivages, nous sommes au grand large au milieu
des vagues
Mais revenons à l'accumulation
J'avais alors dans l'idée que le
temps deviendrait plus lisible, plus palpable au fur et à mesure que nous accumulions
notes, rubriques, écritures dans nos sites. Force est de constater que le temps n'a pas
la même consistance sur écran et dans le monde virtuel qu'ailleurs. Quand on feuillette
le journal 1922-1989 de Miche Leiris, l'épaisseur du temps nous paraît palpable. Sur
écran, on ne peut voir que la page, qu'un fragment temporel défini (l'année en cours
pour Feuilles de route) parfois chez d'autres, l'archivage devient automatique, c'est le
logiciel qui la gère (Tumulte, le Tiers Livre, Remue.net), bref, j'ai l'impression que de
plus en plus, le rapport au temps nous échappe dans Internet où plutôt que c'est la
vaste machinerie virtuelle qui construit son propre réseau de temps, ses propres
références sans que nous puissions en garder la main. C'est aussi une des craintes
préhistoriques qui me fait souvent être raillé par les précurseurs et grands
Internautes pour avoir gardé un site très basique sans préoccupation graphique, géré
par un vieux Frontpage de 1998 ! Mais sur lequel, il me semble que je peux garder la main,
conserver l'initiative, m'assurer que temps et espace sont encore avec moi, une sorte
d'outil manuel donc, autant dire un silex maintenant ! Le temps de l'histoire d'Internet
n'existe pas encore, la profession d'historien n'a que peu de recul pour s'en nourrir, y
appliquer ses méthodes habituelles et sans doute faudra-t'il que soit prise en compte la
relative " autonomie " et fabrique d'archives qui échappe à l'homme relayé
par la numérisation plus en plus automatisée. On ne sait pas encore ce qui adviendra de
nos sites : serais-je un jour attaqué en justice par mes pairs pour avoir prétendu
quelque chose qui se révélera faux ou faisant l'objet d'une chasse aux sorcières
quelques années plus tard ? Que se passera -t'il avec des archives numériques vieilles
de cinquante, cent, deux cents ans ? Tout reste à inventer
N'empêche que je
croyais il y a trois ans encore à des leçons tirées de l'accumulation de données sur
mon site : c'était sans compter par, non pas la disparition du temps, mais la
modification de notre rapport internautique à celui-ci et ce que je dis aujourd'hui aura
sans doute encore changé d'aspect et de profondeur demain.
(02/11/2005)
Un complément aux "frontières" comme je l'évoquais dans cette même
rubrique le 5 octobre...
" Quel silence !
Voici qu'on dresse des murs à nos frontières, on repousse, on bastonne, on tue, on
enchaîne, on humilie, on déporte, on affame, on perd dans le désert, on livre à la
soif, aux chacals, aux soldats excités, aux marchands, aux trafiquants, à la noyade, aux
blessures, aux accouchements à la sauvette, au froid, à l'extrême chaleur, à la
maladie, au désespoir, aux fonctionnaires corrompus, à la bastonnade encore, à
l'humiliation, à la faim, aux chaînes, à la déportation, à la mort - cercle sans fin,
milliers de victimes, seulement deux manières pour en sortir : passer ou mourir.
Tout cela en notre nom.
Pour notre bien.
Avec notre consentement.
Et la signature de notre silence.
Bien sûr ce n'est pas joli joli. On commissionne pour savoir comment on pourrait faire
ça proprement, humainement, on a bien remplacé la pendaison par des piqûres indolores,
il doit y avoir moyen de faire ça sans douleur, sans cris, sans violence visible.
En notre nom.
Pour notre bien.
Le système du mur de protection n'est-il pas désormais le modèle universel de
développement de notre confort ? Et le système du contrôle, aussi, savoir qui a le
droit de vivre à l'intérieur des murs, sous sa protection. Toutes ces résidences,
déjà, derrière de hauts-murs. Toutes ces expulsions de ceux qui n'ont pas droit de
cité.
En notre nom.
Pour notre bien.
Voici que le monde, une fois encore, est partagé en deux. Mais cette fois ci,
délibérément. Explicitement. On dit haut et fort que de notre gâteau, il n'y en pas
pour tous. Que nous ne pouvons pas le partager. Pour que nous restions avec notre confort,
il faut que les autres restent dans leur misère. Mais que nous puissions quand même
profiter de leur cacao, de leur café, de leurs diamants, de leurs haricots verts, de leur
bauxite, aux prix que nous décidons, que les actionnaires de nos sociétés pétrolières
puissent se gaver des bénéfices de leur pétrole, qu'on puisse déverser sur leur
marchés nos surplus à bas prix de poulets congelés, etc., etc. Mais qu'ils restent chez
eux, derrière le mur.
Pour notre bien être.
Puisque nous ne disons rien. Puisque même les belles âmes habituellement protestatrices
tournent discrètement la tête.
La solidarité des exploités n'est-elle plus qu'un vain mot ?
La conscience de notre propre dignité est-elle aussi passée à la trappe d'un soi-disant
réalisme ?
Le seul réalisme du monde c'est l'inépuisable désir des hommes et des femmes à aller
et venir, à toujours chercher ce qu'il y a de mieux pour eux, pour leurs enfants - contre
cela, les murs ne peuvent rien.
Le seul réalisme c'est de répondre à ce besoin de libre circulation, de laisser les
hommes et les femmes aller et venir.
L'homme vaudrait-il moins que les marchandises ?
Ce qui fut la principale revendication des autrefois " pays de l'est " est-il
inacceptable pour ceux du sud ?
Leur mur est tombé, le nôtre doit tomber aussi - comme doivent tomber tous les murs
derrière lesquels des nations croient pouvoir se protéger.
Un monde à sens unique est un monde condamné.
Comment peut-on accepter que notre monde, de ce côté-ci du mur, fasse commerce de nos
désirs d'exotisme, de nos envies d'aller voir ailleurs, et que cela soit refusé à un
habitant de Dakar ou de Conakry, que le simple tourisme lui soit interdit ?
La question est de savoir dans quel monde nous sommes prêts à vivre.
Pour ma part, je ne veux pas vivre derrière un mur.
Je ne veux pas d'un bien-être qui ne se maintient qu'en tenant à distance la misère des
autres.
Je ne veux pas non plus avoir à choisir des immigrants comme des bestiaux à la foire,
des filles dans un bordel.
" Pas un n'est libre avant que tous ne soient libres ", disions-nous.
Pas un ne sera heureux avant que tous ne soient heureux.
Le mur enferme des deux côtés.
Nous ne pouvons pas être heureux.
Notre bonheur passe par des décisions simples.
Et parmi celles-ci : l'attribution d'un visa à toute personne souhaitant venir en Europe
(hormis pour raison de police avérée).
Mais ils vont nous envahir !
Il y a toutes les raisons de penser que non.
Ils ne vont pas " nous envahir ", parce que qui dit venir dit aussi aller-venir.
La grande majorité des immigrants venus en France depuis la dernière guerre sont un jour
ou l'autre repartis chez eux. Ce qui aujourd'hui fige les immigrants, c'est que chaque
arrivée se fait au prix d'une telle bataille, qu'il est hors de question de repartir, j'y
suis, j'y reste, et dès que je peux je fais venir ma famille. Paradoxalement, la
fermeture des frontières accroît la sédentarisation des migrants.
Ils ne vont pas " nous envahir ", parce que contrairement à ce que laissait
croire cette parole indigne, ce n'est pas " toute la misère du monde " qui va
venir, mais une infime partie, changer de continent est un défi auquel seule une
minorité se risque, l'immense majorité des réfugiés, des migrations, se faisant de
pays proche à pays proche.
Ils vont d'autant moins " nous envahir " que nous accepterons de mettre en place
avec les pays d'origine un véritable partenariat nécessitant transferts de capitaux tout
autant que transferts de technologies.
Ils ne vont pas " nous envahir ", parce qu'il y a toutes les raisons de penser
que la libre circulation des personnes sera par elle-même un facteur de développement,
que la possibilité d'aller et venir sera une chance pour que, justement, compétences et
techniques puissent durablement circuler.
Il faut simplement un peu de courage.
D'ambition pour l'avenir.
Il faut simplement que nous souhaitions véritablement être heureux."
Michel Séonnet
dernier ouvrage paru :
" Le pas de l'âne ", Editions Gallimard 2005
à paraître :
" Les immigrants ", Initiales 2006
(26/10/2006)
Auteurs en vogue, auteurs en vue, ils signent leurs ouvrages : cest
lannonce dune librairie en ligne qui précise que loffre est valable sur
32 ouvrages pendant cinq jours " dans la limite des stocks disponibles",
les dits-stocks des 32 ouvrages représentant 700 " pièces ". On y
trouve ainsi des romans français, étrangers, des essais, des récits humoristiques,
toute une variété plaçant sur le même pied dégalité chaque auteur ayant
accepté de dédicacer son dernier livre. Pour chaque ouvrage, le titre, léditeur,
le prix et un bref résumé noie le nom de lécrivain dont il est rappelé plus loin
quil servira à proposer " un marque page signé par l'auteur offert aux
50 premières commandes " ou son " ouvrage signé par l'auteur aux 30
premières commandes ". Noublions pas que pour chaque titre, il est fait
mention du stock restant chaque jour de la promotion...
Ainsi cette librairie en ligne a inventé une nouvelle forme de dédicace que navait
pas prévu Jean Genette dans son ouvrage exhaustif Seuils, chez Points-Seuil
(sic!), consacré au paratexte dun livre et autres mentions écrites "hors
texte" qui jalonnent les romans, du plus insignifiant ou obscur (le fameux numéro
ISBN, la mention de limprimeur) jusquau plus interessantes comme
lépitaphe ou la dédicace. En effet concernant la dédicace personnalisée, Jean
Genette admet que " sauf citations purement commerciales ou
professionnelles ", le dédicataire est connu, vu en face à face le plus
souvent, à minima connu du moins dans sa fonction (journaliste dun exemplaire de
presse par exemple).
Ici, rien de tout cela : lauteur ne connaît pas le dédicataire, je suppose
quil place un amicalement un peu sec, suivi de sa signature. Ainsi cette nouvelle
forme de dédicace que lon pourrait adjectiver de " marchande "
- afin déviter langlicisme Marketing rend lauteur aveugle et
incommunicant, sort la dédicace de son but de personnalisation dun exemplaire,
comme dit Jean Genette " tentative parfois pour conjurer le dédain du texte si
fréquent chez les bibliophiles ". Une telle démarche me paraît néfaste pour
lécrivain car elle lamène à montrer que son texte ne présente
dintérêt que prouvé, revêtu dun paraphe : il dénie sa propre
écriture. Tout juste pourra til se consoler en apprenant quil est
" auteur en vogue, auteur en vue ". Elle est aussi néfaste pour
lacheteur qui accepte cette mascarade car il démontre quil est plus
intéressé par lobtention de la futilité dune marque que par
limportance du contenu écrit. Elle est bénéfique pour la librairie en
ligne : le commerce na pas dautre déontologie que de vendre et quand on
a un stock de la rentrée littéraire de 700 " pièces " à
écouler
Cela cest le coup de gueule contre la pratique marchande poussée à
lextrême et qui se moque bien de lauteur posé en faire-valoir de son produit
devant un client plus alléché par le " petit plus " gratuit, cadeau
Bonux à son livre.
Néanmoins, il convient de tempérer cet excès car la dédicace personnalisée, pratique
bien française depuis longtemps, est admise par la plupart des écrivains de bonne
grâce. Hormis lexercice fastidieux de signer une centaine dexemplaires pour
Service de presse (et encore, il est parfois agréable de se retrouver chez
léditeur pour le même exercice avec dautres auteurs Yves Bichet en
2000, François Bon en 2002 et même de tourner le dos à un académicien comme en 2004),
bref, il est agréable surtout de discuter avec un futur lecteur et de marquer ce moment
pour nous deux par un clin dil écrit sur le livre. Soyons donc indulgent et
imaginons que lauteur qui aura fourni pour le compte de la librairie en ligne une
trentaine dexemplaires signés aura eu limpression de jeter quelques petits
messages aux étoiles ou quelques bouteilles à la mer.
(19/10/2005)
Une fois nest pas coutume jai relu quelques notes
décriture, histoire de faire le point sur ce quil y a en cours. Jai en
effet repris cette habitude de tenter une écriture régulière à 6h du matin, hormis le
week-end où la grasse matinée me propulse généreusement jusquà 7h30
Plutôt difficile car si lheure du réveil exactement programmée à 6h10 arrive à
me propulser 10 minutes plus tard devant lordinateur, jappréhende cette idée
de me verser ainsi devant les mots à assembler. Récemment, une auteure, doublé
dune journaliste me questionnait sur la difficulté décrire qui selon elle va
en amplifiant avec lexpérience et lhabitude. Je la rejoins tout à fait et
cest une grande surprise de sapercevoir que justement, lexpérience et
lhabitude ne résolvent rien, peut-être même compliquent tout. Ecrire cest
sans doute sajouter des questions. Je suis surpris en reprenant ces notes à la fois
de la certitude et de lenthousiasme avec lesquels il me semble les avoir écrites et
avec du recul, de linconstance et de la précarité de celle-ci. Le simple constat
de " lheure autrefois bénie de lécriture à 6 heures du matin
(qui) part en déliquescence " formulée au printemps dernier contient aussi la
recherche éternelle de la première sensation " sorte de ralentissement dans
l'acte, l'impression que les mots se délayent dans le temps, en touches incertaines, en
lavis successifs comme dans l'aquarelle " édictée en 2004, mais dont les
tréfonds remontent à Central et sans doute même avant. Lécriture cahote,
je me suis pris les crayons dans " une fausse bonne idée
/
dévolu(e) à la lassitude dun thème déjà usiné ", jai
maintenant " trop de choses à penser, études de lettres, texte de commande à
écrire, ateliers décriture ", et qui conduit à " cette sorte
d'amnésie totale de me rappeler où j'en étais ". Ces notes montrent
loccupation et les changements dus à celle-ci. A lépoque de Central,
il me semble que javais moins de choses à penser, mon écriture était plus libre
car mon travail nourricier men laissait sans doute plus de loisirs, plus de
disponibilité desprit. Par la suite, plus bousculé, jai perdu ces
mécanismes mais en même temps je me suis rendu compte " combien cette rigueur
de vie jusquà présent régulée pouvait représenter comme danger pour
lécriture elle-même
/
(où) ma façon de morganiser
représentait plus un morcellement des priorités, des tâches à accomplir. "
Voilà ce que jai pêché dans mes notes précédentes. Je ne sais pas ce que je
cherche précisément. Je tourne autour de Central, ce premier livre, sans doute
parce que celui auquel je tente de m'atteller chaque matin ratisse le même environnement
au départ. Je tourne pour retrouver cette rassurante et délicieuse sensation de
" ralentissement " de lécriture. Je tourne pour reprendre les
marques et la facilité de lécriture matinale. Ce nest pas facile : à
partir de 6h10, cest 45 minutes décriture qui se lèvent et passent vite avec
des doutes et des peurs, des sensations dabandons. Il faut dire que la seizième
version du texte en cours auquel on sacharne à de quoi faire douter.
En trois semaines jaurais écris une moyenne de 3 pages qui représentent en fait
neuf pages " de roman " par semaine. Cest peu, en tout cas, deux
fois moins que le rythme que mavait imposé la rédaction de Central ou Composants.
Une sorte de fatigue me plombe et les occupations du métier nourricier devenu
beaucoup plus prenant quà lépoque des autres livres mempêchent de
cultiver un champ de réflexions suffisamment large entre deux séances décriture.
Bref, je manque de recul. En même temps, jai renié durant de nombreux mois cette
plage décriture matinale pour ne pas être victime dune habitude. Finalement,
cétait peut-être une erreur tant lécriture réclame dabnégation, non
pas au sens de sacrifice, mais au contraire de sublimation tout en restant conscient
quil faille " éponger lidée prétentieuse de la sublimation
idéalisée des idées " comme le dit Moravia dans Moi et Lui.
Confus ? Non, juste constater que rien nest définitif donc : écrire ce
sont sans doute ces retrouvailles permanentes entre lhabitude et la recherche de la
première sensation alliée à lexploration de phrases vierges. Et ecrire cest
aussi la trouille, une question de vie ou de mort presque, un sentiment de mort subite.
Vous me trouvez un peu excessif ? Si peu
Nous sommes à la fin du week-end, je
nai quasiment pas écrit et une peur sourde ne ma pas quitté. Vous me trouvez
un peu noir ? Baudelairien ? Ne vous en faites pas : demain chantera si
jécris. Demain ce sera réveil à 6h10 : on verra bien
(12/10/2005)
Parce quon me demande de réfléchir au mot " frontière " et
ce que ça implique pour un écrivain, voici quelques idées en vrac :
- La frontière est carrée pour un livre, plus ou moins épaisse, et les mots ordonnés y
sont cachés, rangés dans les pages. Lecteur, il faut faire un effort pour regarder ce
monde par-dessus la barrière dun check point dérisoire érigé par celui qui
écrit.
- La frontière est circulaire pour celui qui écrit. Le premier mot est pareil au
dernier, le rejoint en un cercle, et dedans, cest un parcours descargot
qua du faire lécrivain, baver sur le monde, laisser une trace infime
derrière lui, ramasser tout sous son pied de scotch avant de sapercevoir que oui,
cest fini, le premier mot est pareil au dernier, cest un cercle. A ton
avancé ?
- La frontière de lécrit est un horizon, fuyant par nature, caché souvent par des
premiers, seconds, troisièmes plans, semblables à des trains pouvant en cacher un autre,
empêchant de traverser les voies, trouver sa voie sans dinnombrables détours et la
réponse à la question fuyante : lherbe est-elle plus verte ailleurs ? Et
cest dans ce déséquilibre quon avance, quon se projette dans un monde
qui nest déjà plus tout à fait la réalité, une frontière perméable, miscible,
admissible avec la fiction, une barrière que lon sautorise à lever sur un
chemin oublié par la douane.
- La frontière est érigée par ceux qui vivent de lécriture. Rarement les
écrivains, parfois les éditeurs, souvent les critiques. Francophonie contre reste du
monde, Paris contre province, provinces entre elles. Classement des genres, nouvelles
anglo-saxonnes, romans proustiens, récits de terroir. Lappartenance est vécue
comme une profession de foi irrémédiable : si je fais partie des Ecrivains de
Haute-Marne, je me dois de vanter ma campagne. Mais je veux vivre comme Rimbaud, être
explorateur, éclater les frontières, vivre les enfermements comme des saisons en enfers,
chausser des semelles de vent.
- La frontière nexiste que pour mieux la franchir. Esclave affranchi des mots,
lécriture court au devant de moi, je la rattrape, je passe devant, je rencontre mes
frères humains avant elle, je la partage dans des ateliers où lécriture ne sera
quun deuxième mot, et où se glissera le murmure du partage dans les silences.
- La frontière est en moi : seize versions dun livre sans savoir vers quelle
terre promise jaborderai un jour. Errances des mots, il y en a tant, pourquoi en
choisir une poignée plutôt quune autre et parfois cette impossibilité dy
sentir le parfum définitif dune île enfin abordée.
(05/10/2005)
Cétait lundi. Javais un livre en instance dêtre publié.
Cétait lundi quand on ma appelé. Jétais en pleine réunion dans mon
autre travail. Jai rappelé plus tard cette amie éditrice qui devait me donner des
nouvelles de ce livre en instance. Non, il navait pas convaincu. Je la sentais
déçue de m'apprendre cette nouvelle et pourtant, jétais encore dans cet
enthousiasme de mon travail (janimais la réunion, jétais dans cet état
desprit positif de celui qui avance ses convictions). Je nai pas pris cette
nouvelle comme une désillusion. Aucune contrariété, ni déplaisir, au contraire,
javais limpression dun éclaircissement, que cette nouvelle me
permettait davancer dans cette obsession dun autre roman entrepris depuis.
Récit déjà proposé et accepté mais dont les remaniements que jai à faire ne me
semblent jamais aller assez loin. Et en même temps que lon évoquait au téléphone
léventualité de reprendre la structure de ce livre ajourné, en même temps je
savais que lautre dansait devant mes yeux, son titre, ses quinze versions dont
aucune ne me satisfait à ce jour pleinement. Mon amie a dû sentir ma réticence à le
reprendre. Des mots comme " être à la croisée des chemins " ont dû
être prononcés. Peu importe : le lendemain, je mattaquais à une seizième
version. Car le livre qui na pas convaincu, bien quantérieur, porte en lui
les verrous que je mattaque à faire sauter dans celui qui suit. Je ne sais pas si
je le reprendrai, je sais seulement que lobsession du moment est un vaste machin,
une pelote de roman, une écriture en moi que jessaie de démêler. Cest
lautomne et comme dit Julien Gracq : un automne aussi beau et ensoleillé
que lété vient le prolonger, apportant avec lui comme presque toujours le désir
décrire, dentreprendre un livre, comme on a le désir daller sur la
mer.
(28/09/2005)
Une librairie qui sétend, on ne peut que sen réjouir. Mais quand
cest une librairie qui ravit le pas de porte voisin à une boutique de
sous-vêtements, autrefois précédée dune parfumerie, cela augmente la
satisfaction. Et quand cette extension se double en même temps de linstallation
dun nouveau magasin dévolu à la lecture dans une ville voisine, cela devient
extraordinaire. Cest le bonheur qui vient darriver aux Sandales
dEmpédocle à Besançon. Située en plein cur de ville (comme disent les
urbanistes), dans la cohérence dun centre magnifique, sorte de presque quîle
édifiée de longue date dans la chance dune boucle du Doubs, Les Sandales
d'Empédocle et son association de lecteurs passionnés "Au-dessous du Volcan"
animent la vie locale, de même qu'une autre librairie proche, Camponovo.
Et cette animation nest pas un vain mot : des dizaines de rencontres
décrivains par an, une équipe de libraires passionnés qui laissent déambuler
parmi les tables et les rayons, et vous même, un peu surpris dy remarquer un choix
pléthorique (car cet article sadresse au lecteur inconnu et nouveau, vous, qui
pénétrez en ce lieu pour la première fois). Spontanément vos sens, émoussés par les
habitudes hâtives des grandes chaînes du livre qui souvent vous déçoivent dans
labsence du recueil quil vous faut, vos sens donc, reprennent vie :
toucher les couvertures, retourner les romans, lire les résumés, ralentir le pas, passer
à une autre table, sentir lodeur du papier en ouvrant les ouvrages, écouter les
conversations (il y a toujours un habitué qui passe dire bonjour, donner un avis sur le
dernier livre conseillé). Vous remarquez un rire, tout en feuilletant un polar revêtu
dune étiquette " on a aimé ". Est-ce lavis de cette
libraire qui plaisante, ou de celui qui est à la caisse, tout aussi souriant ? Bref,
vous vous sentez bien, à mille lieues de lentourage harassé et pas toujours
compétent dune de ses grandes chaînes du livre. Vous avez envie vous aussi,
lecteur impénitent, de parler, de donner votre avis, de demander conseil également
: vous osez, vous vous approchez
Vous êtes pris, vous vous prenez les pieds dans
les Sandales dEmpédocle, encore maladroit, mais sûr davoir déniché
lendroit magique qui vous convient, que vous cherchiez depuis toujours
Avec un tel dynamisme, ce nest pas étonnant que cette librairie se soit étendue :
la belle enseigne s'est ainsi dédoublée (en lettres rouges maintenant, plus visibles) au
magasin dà côté. Aux soins du corps et à la frivolité, à lapparence
donc, succède le bien-être plus caché de lesprit, en commençant par le rayon
jeunesse. Tout un symbole !
Autrefois, jentrais dans des librairies comme dans des cathédrales, avec le goût
du mystère, de la réserve, du silence et du soin accordé au livre comme à un
sacrement. Cette librairie - et surtout leurs libraires - mont appris, non pas la
défiance du sacré, mais quun livre était une matière ô combien vivante !
Doù la place de cet article dans mes Notes décriture :
cest cette dimension nouvelle que jignorais en tant quécrivain et que
Les Sandales dEmpédocle mont apportée.
Et cest ce que je vous souhaite de ressentir, vous, qui pénétrez en ce lieu pour
la première fois.
(21/09/2005)
-
- Feuilles de route a cinq ans !
Non que je tienne aux anniversaires mais mesurer le temps qui passe fut sans doute à
lorigine de lidée saugrenue que jai eue un jour dembarquer sur la
mer virtuelle. Que se passe til quand on accumule les mots, quand on remplit les
soutes de ce drôle de navire, nommées Etonnements, Notes décriture et Notes de
lecture ? Jai tellement répété un peu partout dans le site et régulièrement que
ces trois rubriques constituent létrange moteur à trois temps de lécriture
quil me semble que je trimballe un vieux concept usé, un roulement à billes devenu
bruyant, ayant pris du jeu.
Cinq ans !
Quand je regarde derrière moi le sillage parcouru, bien entendu je ne vois plus la terre
initiale, les sentiments nouveaux de lécrivain tout neuf ont disparu. Non, je ne me
suis pas doté dexpérience, loin de là, mais, sans contestation, d'étranges
perplexités, de beaux émois, des réactions passionnées me sont apparues. Je me suis
habitué à ce monde des livres qui mentourent, à ceux qui entourent les livres.
Comme tout le monde, jai regardé et je regarde encore la vitesse du sillage, les
nautiques parcourus : 80000 visites en cinq ans. Ce qui ne veut rien dire. Parfois au
hasard, je remarque un passager qui reste à mon bord un peu plus longtemps, qui ouvre les
placards, les cales, archives, webcam, cest fait pour visiter bien sûr, je n'ai
rien à cacher, mais cette opiniâtreté me surprend toujours : quelle idée se
fait-il de moi après vingt minutes, une demi-heure passée à parcourir mes mots qui ne
sont jamais quun ramassis de doutes et de questions. Et cest sans doute tant
mieux : ce site existe car je cherche les réponses, je vous prends à témoin.
"Chers amis de Feuilles de route" : depuis cinq ans, ceux qui reçoivent le
petit billet hebdomadaire qui récapitule la mise à jour, sont devenus plus que jamais
des "chers amis", ce nest pas une imprécation en vain que jadresse
au silence et la classique formule de politesse " amicalement " qui
clôture mes messages nest jamais écrite sans y penser fortement. Jai peu
dinscrits à ma liste, ce nest pas important, certains habitués viennent
régulièrement sur Feuilles de Route sans être abonné. Jen connais beaucoup, et
qui mécrivent ou qui m'en parlent, et cest un très grand plaisir de se
héler par-dessus la mer. Et les éloignements diminuent : je pense à ceux qui sont
aux quatre coins de lhexagone, je sais aussi quune connexion du Brésil est un
petit bonjour familial, petits signes que nous nous faisons tous ensembles, plus ou moins
inconnus, embarqués dans la même mer intranquille.
Donc, en cinq ans, quai-je découvert détonnant, de surprenant ?
Peut-être la rareté des relectures, je reviens rarement en arrière, jentasse
finalement. Parfois, je reprends des articles souvent pour me souvenir dune
impression, dun contexte, dun évènement précis : le site est aussi ma
mémoire et plus le temps passe, plus ce rôle saffirme forcément. Bref, je
my sens chez moi, excusez donc le désordre et de laisser traîner parfois mes
chaussons sous la table.
Cinq ans !
Ma progéniture était alors dans son enfance, toute ma petite famille ma
accompagné au hasard des mises à jour, nous nous y retrouvons parfois ensemble,
cest devenu, une sorte de placard supplémentaire dans la maison, plutôt une boîte
à boutons variés. Ma progéniture donc, au bout de cinq ans sest échappée ou me
mange déjà la soupe sur la tête. Ce nétait pas prévu, ou du moins tellement
inévitable quil métait impossible dimaginer que jen parlerais
cinq ans plus tard.
Jai écrit cette rubrique comme je le fais dhabitude, au traitement de texte
avant de tout rapatrier en quelques clics. Je la relirai et pour y oublier des fautes par
inattention ou indifférence... Je ferai comme toujours : je ny changerai pas grand
chose, elle est écrite dun premier jet dans la sincérité qui a caractérisé
louverture de Feuilles de route. Jai déjà raconté que le plus difficile
dans cette aventure de lécriture régulière est lacceptation dy être
parfois médiocre mais une des plus grandes satisfactions est contenue sans doute dans
lintuition de coller à la vérité, au réel de ma vie. Je pensais au départ que
le plus difficile serait de tenir. Tenir quoi ? Le rythme dune écriture
hebdomadaire ? Je ny pense même pas, ce site si imparfait graphiquement, si
simpliste, si ringard au regard des technologies galopantes, me convient, lécriture
régulière sy est intégrée, est devenue respiration.
Donc, cinq ans et ça ne change rien, juste loccasion de le dire, de se sentir
vivant, de ne renoncer à rien, de dénoncer toujours (comme la télévision du pouvoir en
rubrique détonnements cette semaine). A vous donc, qui maccompagnez, rien
dautre à dire que de vous suggérer, en guise danniversaire, douvrir
une page de Feuilles de route au hasard, de repérer un article et dy puiser un mot
qui vous plairait, provoquerait un sentiment, une émotion, vous ferait penser à un
oiseau, une fleur, à rien ou à tout. Bref, si cet instant se produit pour vous, alors
cest notre cadeau à tous ensemble.
(14/09/2005)
-
" Un automne aussi beau et ensoleillé que lété vient le prolonger,
apportant avec lui comme presque toujours le désir décrire, dentreprendre un
livre, comme on a le désir daller sur la mer. Mais les années imposent leur
économie, et ce désir nira pas jusquà satisfaction ; il fait penser à
ces espèces marines qui, autrefois, il y a longtemps, ont remonté les rivières pour y
frayer, et quun tropisme faiblissant rapproche seulement encore un peu des côtes,
quand vient la saison de la reproduction. "
Julien Gracq, Carnets du grand chemin
(31/08/2005)
" Ecrire un livre, cest, dune certaine manière, se débarrasser
de lui, faire place nette dune gestation à la longue oppressante pour revenir à
cette liberté de lesprit vacant qui, plus dune fois, dans les derniers mois
de travail dun ouvrage trop longtemps porté, ma paru par contraste si
désirable. Mais lachever, ce nest pas seulement ajouter un titre à la liste
des uvres déjà publiées. Tout comme on finit, dans un intérieur trop
amoureusement trop capricieusement meublé, par voir ses allées et venues familières
restreintes et comme canalisées, lesprit sécrète aussi son propre mobilier.
Chaque livre terminé, chaque livre publié mexpulse dun certain volume
despace intérieur, qui était au départ disponibilité pure, et que
lexécution a solidifié, qui était appel à la liberté, et que lécriture a
changé en matérialité. "
Julien Gracq, Carnets du grand chemin
(24/08/2005)
Retour à toutes les rubriques, et ainsi, à ces notes décritures après trois
mois dabsence. Trois mois et que sest-il passé ? La tentation serait de
répondre à priori " pas grand chose " à limage de la sorte de
spirale fatiguée qui a tant prévalu ces derniers mois. Pourtant
Pourtant, dans
lessence même de lécriture, il y a eu Langres suse, sorte
de réflexe, défouloir à écriture, plaisir du texte et de sa construction régulière.
" Ce récit sest attaché à moi comme une détente " : à
limage de Julien Gracq parlant ainsi de Un balcon en forêt qui était
venu se substituer à lécriture dun roman difficile (dont ne subsistera que
le fragment La route, dans La presquîle), il faut bien se persuader
que lécriture est parfois dune navigation difficile et aléatoire et
cest sans doute tant mieux.
A la réflexion, il sest pourtant passé beaucoup de choses adjacentes à
lacte décrire et aussi dans lacte décrire : ainsi CV
roman, promis pour chez Fayard, même si ses voiles restent tombantes et engluées
dans la zone des vents calmes, on en a profité pour reclouer ça et là quelques
planches, tenté de ramer pour avancer jusquà même une quinzième version !
Ce nest pas rien, bien que tout (ou presque) reste à faire jusqu'à, pourquoi pas,
abandonner ou tout recommencer puisque que le sujet senkyste dans lobsession.
Et dans les choses adjacentes à lécriture, notons la fin réussie et heureuse de
mes deux premiers ateliers qui ont révélé pour moi un lien important, celui du partage
de la " technique " décrire dans la clarté que lon
comprend mieux en parlant tout haut - et surtout à dautres - de ce à quoi on
tient.
Et si lon compte dans les choses adjacentes à lécriture (plutôt
inséparablement mêlées, collées, enchevêtrées, surs siamoises que adjacentes),
les lectures apportent aussi leurs lots de création, créativité dans lexaltation
quelles procurent. Pour preuve la liste avalée avec boulimie en Sicile :
Julien Gracq, Claude Simon, Marcel Proust, Jacques Serena, Gilles Deleuze, René
Fallet
Et dans lincongru étonnement davoir tenté de reprendre des études de
Lettres, finalement sans doute pas si étrange que cela ni sans rapport, il y a eu les
examens de juin, décidés à la va vite après navoir quasi pas eu le temps de
sy consacrer depuis janvier, et la surprise de navoir pas loupé tant que
cela : juste deux épreuves, deux absences à repasser en septembre, jai donc
potassé Latin et Linguistique en vacances, cela contribue aussi.
Et la perspective dune publication prochaine (on en reparlera ) a dopé le marasme
ambiant désormais abandonné, dissous dans la forme revenue avec bien dautres
projets nombreux : la rentrée sera occupée, à suivre dans les semaines
suivantes
(17/08/2005)
Ni en Etonnements,
ni en Notes décriture,
ni en Notes de lecture,
ni en Webcam,
un texte à suivre dans ses imperfections, en élaboration chaque semaine pour une durée
indéterminée,
dans l'instant brut de l'émotion : Langres s'use
(18/05/2005)
Lécriture, cest cette difficulté parfois à la faire venir dans les lieux
habituels : jen ai déjà parlé. Alors il faut sortir, aller à la rencontre,
sans forcement savoir, juste séloigner des mots
Et puis un jour lécriture revient sur une table un soir de fin avril à 18h.
Lécriture
Ce qui importe, lécriture, mais savoir aussi ses
préparatifs, cette table ronde, recouverte dune toile cirée : en déployer
lordinateur, chercher une prise électrique dans ce lieu que lon ne connaît
pas.
Et avant, tout le long de la journée ou des soirées qui l'entourent : rencontres,
écouter, parler, entendre parler de ce qui unit et quon nomme littérature, la
réticence à appeler ainsi cette disposition des mots, le double mouvement qui en
résulte : lire, écrire.
Je suis de ceux qui écrivent, tout mon esprit est tendu vers lencre à jaillir, mon
esprit et mon corps maintenant - une découverte depuis peu, lécriture
désublimisée du corps, selon Moravia -, ce qui marque cette impossibilité de plus en
plus présente, cette difficulté à laisser lécriture venir aux endroits
calculés, rituels, non pas un abandon des lieux il suffit encore que je
massoie à mon bureau de merisier pour que la mécanique des lettres se mette en
marche, comme en ce moment -, plutôt une distance quun abandon, une perte du
sacré, du rite, au sens de lhabitude, le délaissement brutal et réel de mes
superstitions
(à linverse de ce que javais répondu pour une enquête de Lire en février
2004).
Retour au païen, donc.
Mais sur la table, en cette fin avril à 18h, je vis un moment magique :
lécran de lordinateur ordinaire et éclairé, la lumière par la fenêtre
ouverte, le calme, le ciel dans la cour cernée de toits et de cheminées. Lègère
appréhension devant la fuite des mots à venir, puis la source coule sans illusion, sans
plan sur la comète, dans linstant fragile, ils viennent, s'installent,
s'accumulent...
On est toujours seul devant l'écriture mais avant d'écrire ? Merci infiniment pour avoir
laissé la fenêtre ouverte afin que le monde entier entre dans mes mots.
(11/05/2005)
" La passion du peintre est un dérèglement de lesprit qui se
manifeste entre la quinzième et la vingtième année : puberté du peintre.
Un jour, tout prend à ses yeux une signification nouvelle : les nuages ne sont plus
des masses deau condensées ; les branches darbre ne sont plus du
bois ; les visages, les corps ne sont plus des os revêtus de chairs.
Le décor terrestre, les êtres semblent sélancer de la terre vers le ciel en un
hymne à vibrations matérielles les misères, les tares nexistent
plus : cest un éblouissement.
Ce jour-là léphèbe est ou se croit artiste ;
et la vie souvrira devant luis comme une allée triomphale vers le soleil
levant ;
il sera aveuglé ;
il ne verra pas les obstacles ;
il trébuchera.
Alors lâge racornira son cur et son âme.
A sa générosité, à son élan primesautiers succèderont la pondération, le calcul, le
souci de construire, de jouir, de se mettre à lalignement de la société.
Il ne sextériorisera plus en uvres pures, désintéresses ;
il sassignera à un travail ;
il lui donnera une forme, une dimension utilisables ;
il se répétera ;
il dépècera sa production en pièces capables dacquérir une valeur.
Ne devrait-il pas persévérer jusquà la fin dans le recueillement ?
Pourquoi exhiber ainsi, impudiquement, ce qui vient du plus profond de soi-même ?
Pourquoi se mettre tout nu au balcon ?
Mais lhomme est faible, vain : il faut quil affronte le jugement des
autres hommes quitte à en gémir il ne peut rien passer outre.
Le peintre expose ses peintures. "
Cette note dartiste (et qui convient parfaitement ici) est de Georges
Bouche : préface pour lexposition Galerie André Pesson, Paris, du 14 au 31
mai 1919.
(04/05/2005)
Comme je lavais annoncé, lundi 11 avril a donc eu lieu cette soirée
exceptionnelle autour du livre " Ecrire, pourquoi " et en lhonneur de la
naissance des éditions Argol de Catherine Flohic (voir Notes détonnements et
décriture du 02 mars 2005). Une dizaine dauteurs présents, dont Jude Stefan
et Paul Nizon. Jean-Claude Dauphin a lu de larges extraits de nos réflexions.
Eh oui, pourquoi on écrit
Des questions parfois pertinentes de la salle ont permis
aux auteurs de se découvrir un peu (au sens de se dénuder
).
Réunis ensemble sans trop se connaître, une des réflexions étant de se demander si
nous avions conscience dêtre une sorte de communauté. Silences gênés de part et
dautre, tant il me semble que " écrire, pourquoi" semble, au premier
abord, enfermé dans lexistence personnelle de chaque auteur. Pour certains, dont
moi, lécriture naide pas à mieux vivre, mais plutôt à mieux mourir. Et
cétait la conclusion de mon texte de citer une maxime un peu facile et que je me
suis fabriquée " entre le mot et la mort, il y a juste un r de différence,
cest celui que jai besoin pour respirer et vivre ". De même Pierre
Bergounioux considère lécriture comme une sorte de porte-à-faux. Jy vois,
la porte, le passage et sauter dans le vide, la faux de la mort. Le public et les lecteurs
ont, à tort me semble-t-il, mis en exergue cette évidence morbide de lécriture,
en la confondant avec le désespoir ou le pessimisme. Lavancement vers la mort est
de toute façon lessence de toute chose : un ouvrier qui sert un écrou à chaque
seconde se rapproche de son destin final au même titre que lécrivain qui trace
lettre après lettre. Cela me semble arrimé dans le fonctionnement même de
lécriture (et de la lecture) qui ne contient que la seule dimension temporelle, à
linverse de la peinture par exemple où lon reçoit tout dun bloc en un
instant. Donc, oui, forcément, on se rapproche de la mort avec lécriture mais
cest sans doute cette conscience qui va se matérialiser dans quelque texte
quil soit de façon créative qui marque la différence avec le peu de latitude que
laisse le geste du " serreur de boulons ".
Création, le mot est là, cest inventer le monde, donc accepter quil meure
aussi. Et comme nous ne savons pas encore aller et revenir au-delà du miroir, tout juste
savons-nous exprimer les questions sans réponses que nous propose lécriture, comme
le dit si bien Christophe Grossi : " La littérature reste notre chance
peut-être, pas notre salut, disons l'échappatoire qu'il nous faut. Peut-être qu'elle
est là pour dire autrement la plainte habituelle ; quelque chose comme un murmure des
errants, comme une série de questions : comment s'en sortir avec légèreté, la tête
haute, avec dignité ; comment dire ses peurs, désigner les obstacles sans
impudeur ; comment faire avec nos morts et les autres à venir - qui hantent déjà
le vivant ; comment dire cela sans choquer, sans passer pour dépressif, fou, nihiliste,
condamné ; comment ne pas fuir pour rester avec et dans, contre et ensemble ; comment
fuir pourtant pour sauver sa peau ; comment faire pour que le corps soit chaud, vivant,
rassurant et désiré ; comment faire pour que l'esprit reste volubile, voyageur, actif,
libre ; comment garder sa liberté alors qu'on est souvent face à son propre vide ? "
Pas la peine de chercher les réponses, personne ne les attend.
Ou peut-être sont-elles contenues dans la citation dAlberto Manguel que propose
également Christophe : " Tous, nous nous lisons nous-mêmes et lisons
le monde qui nous entoure afin dapercevoir ce que nous sommes et où nous nous
trouvons. Nous lisons pour comprendre, ou pour commencer à comprendre. Nous ne pouvons
que lire. Lire, presque autant que respirer, est notre fonction essentielle. "
Lire, écrire, voilà le tandem, réponse et question.
Pour en revenir à l'écriture, et qui forme le fondement de ces notes, à peine
pouvons-nous constater en bougonnant comme Beckett " bon quà ça ". On
tourne donc en rond dans ces préoccupations décriture quel que soit
lécrivain, puisque cest indépendant, contenu même dans lessence de
lécriture. Ainsi, répondre à " Ecrire, pourquoi " ne peut-être que
métaphorique, indirect, comme placé à côté et sinterrogeant pourquoi un jour,
une curieuse maladie nous a fait prendre un stylo, plutôt quun pinceau, de la terre
ou une clef à molette. Lécriture na pas de commerce avec le pessimisme (ou
loptimisme dailleurs). Toujours pouvons-nous constater avec étonnement, comme
Jean-Michel Espitallier au cours de cette soirée, quon écrit mieux quand on est
bien, dans une disposition desprit joyeuse. Comme si écrire cétait combler
un vide par un ravissement, ainsi que le dit merveilleusement bien Alina Reyes et
cest ce quil faut pour conclure : " Jécris, je suis la source,
je jaillis, bondis, cours, coule, traverse, passe, arrive, me dilue, me transmue,
mévapore, pleus, pénètre, menfonce, veine de lumière vive dans la noire
matière, resurgis à la face du ciel. Je retourne, je ressuscite, je viens, je
jouis un flux détoiles en
pleine nuit, les fait danser à la surface du fleuve que je suis, je suis la soleille et
lensoleillée, je suis la plus heureuse du monde. "
(20/04/2005)
Rien de neuf dans lécriture : toujours cette impossibilité de
mastreindre à un travail régulier. Il y a pourtant le manuscrit attendu à
reprendre, et lidée trouvée dune trame nouvelle et simple à suivre, oui,
ça devrait inciter à aligner les mots les uns après les autres, en quelque sorte
" ce pas et le suivant " comme le titre du livre de Pierre
Bergounioux. Un premier pas, un premier mot, dautres suivent, mais jai
limpression que cette promenade sessouffle, me fatigue vite. Il ny a
rien dextraordinaire à cela, je trouve même plutôt sain lidée de ne jamais
avoir à senliser dans lhabitude. Ecrire est tout sauf une habitude,
cest un instant, une fulgurance peut-être que lon essaie de faire durer le
plus longtemps dans la forme dun livre, cest tout sauf un embourgeoisement.
Blaise Cendrars lavait évoqué dans ses entretiens avec Michel Manoll après avoir
passé plusieurs années à entasser des livres : jen ai marre, disait-il de sa
voix curieuse et un peu haut perchée
(10/04/2005)
Vivre avec la langue : notes décritures de Pablo Neruda
(" Javoue que jai vécu ") :
" On ne peut vivre toute une vie avec une langue, létirer de gauche à
droite, lexplorer et fureter dans ses cheveux et dans son ventre, sans que
lorganisme ne fasse sien cette intimité. La langue parlée a ses dimensions, mais
la langue écrite acquiert des proportions imprévues. Lusage de la langue, comme
celui de la peau ou des vêtements sur le corps, avec ses manches, ses reprises, ses
transpirations et ses tâches de sang ou de sueur, révèle lécrivain. "
" Les choses ont changé car le monde a changé. Et les poètes que nous sommes
ont soudain commandé la révolte de la joie. L'écrivain maudit, lécrivain
crucifié entrent dans le rite du bonheur en ce crépuscule du capitalisme. Le goût a
été habilement orienté et lon a célébré le malheur comme un ferment de la
grande création. On a voulu voir dans la mauvaise vie et les souffrances des recettes
pour lélaboration poétique. Hoderlin, lunatique et infortuné ; Rimbaud,
errant et amer ; Gerard de Nerval, se pendant à une lanterne dune ruelle
misérable, ont donné à la fin du XIX° siècle le paroxysme de la beauté mais aussi
leur chemin de croix. Le dogme voulait que le chemin dépines fût la condition
nécessaire à la production de lesprit
/
On est surpris de voir des
idées de la vieille bourgeoisie rétrograde encore acceptées par certains esprits. Des
esprits qui ne tâtent pas le pouls du monde au bon endroit, des gens qui nexplorent
pas le nez du monde, ce nez qui lui permet de flairer lavenir. Je connais les
critiques cucurbitacées : leurs tiges et leurs vrilles foliaires cherchent le
dernier soupir de la mode, avec la terreur de le perdre ; mais leur racines
sagrippent au terreau du passé.
Nous les poètes, nous avons le droit dêtre heureux, à condition que nous ne
fassions quun avec nos peuples dans leur combat pour le bonheur
/
Je
continue à travailler avec les matériaux dont je dispose et qui me constituent. Je suis
un omnivore avide de sentiments, dêtres vivants, de livres, d'évènements et de
batailles. Je mangerais toute la terre. Je boirais la mer entière. "
(30/03/2005)
" Mais ce qui devait arriver arriva
Tonton rencontra
Mathilde ", cette phrase qui termine " Y-a-til un docteur dans
la salle " de René Fallet sapplique évidemment tout à fait à la
rencontre de Pablo Neruda, et son air de tonton débonnaire, avec Mathilde Urrutia (voir
en Notes de lecture). Ainsi vont les amours décrivains
René Fallet,
justement, en connaissait un rayon avec ce quil appelait sa veine beaujolais,
cest à dire ses romans plutôt drôles, et la veine whisky où il puisait son
inspiration dans ses chagrins damour. Une curiosité, disait-il, la lettre M me
poursuit
Peu dartistes ont échappé à cette poursuite justement. De même quun autre
Pablo a rencontré Marie-Thérèse en 1927 dont il émaillera ses peintures avec ses
initiales
Citons encore Samuel Beckett qui fait la connaissance de Pamela Michtell
en 54. Quant à Minette, cest la fille de Jacques et Janine Prévert qui
convolèrent chacun en deuxièmes noces. Exception mononuptiale : Gabriel Garcia
Marquez voue un amour fidèle à Mercedes. Remarquons en guise de clin dil
quil est lauteur de " Cent ans de solitude "
Parce que tout amour est éphémère, se révolte encore René Fallet, en
précisant : si dieu existe cest un beau salaud davoir tué dans
luf la plus belle chose du monde ! Et, répondant à la question qui
suit : dans ce cas pourquoi y consacres-tu encore de lénergie ? Pour une
petite phrase dont Henri de Montherlant à fait le titre dun de ses livres
" encore un instant de bonheur "...
Oui, une curiosité la lettre M comme muse : mais où est donc Martine ?
(20/03/2005)
Ecrire, pourquoi ? Cétait la rubrique de la semaine dernière, un texte
produit en Sicile en août 2004. Aujourdhui et depuis quelques temps déjà,
cest plutôt linverse : ne pas écrire ? pourquoi ?
Difficultés, remise en cause totale du manuscrit en cours, prévu. Ce quon avait
programmé se déprogramme, lheure autrefois bénie de lécriture à 6 heures
du matin part en déliquescence. Temps perdu. " Javoue que jai
vécu ", a écrit Pablo Neruda dans ses mémoires. Javoue que je
nécris plus. Temps perdu. Pourtant des signes : les ateliers de Crogny et
Langres continuent, jen suis fier, Feuilles de route se poursuit cahin-caha. La
vieille blague : qui suis-je où vais-je, où cours-je, dans quel état
jerre ? Temps perdu, mélangé. Des signes : le bureau qui se modifie tant
bien que mal dans le silence et la ouate de la neige (voir en Webcam). Les cartes postales
de Picasso : des signes, fulgurances. Inspiration ? il est trop tôt. Temps
perdu, temps mélangé avant le temps retrouvé. Les cours de fac abandonnés avec
bonheur : inutilité et prétention de lenseignement
Changements donc,
habitudes, des visions, des projets nouveaux. Ce qui se bâtit, ce qui se détricote, ce
qui restera, ce qui ne sera plus et lécriture au milieu, imprégnée dans chaque
acte, collée, adhérente à tout. Du temps, encore du temps dans lattente infinie
des beaux jours
(09/03/2005)
Ecrire, pourquoi ? Bon quà ça aurait dit Beckett.
Ici, cest le titre du premier livre des éditions Argol. 41 écrivains (Philippe
Beck, Pierre Bergounioux, Bernard Chambaz, Eric Chevillard, Michel Deguy, Philippe Djian,
Annie Ernaux, Jean-Michel Espitallier, Philippe Favier, Eric Faye, Colette Fellous,
Philippe Forest, Didier Garcia, Christian Garcin, Albane Gellé, Julien Gracq, Cécile
Guilbert, Yannick Haenel, Elizabeth Jacquet, Ludovic Janvier, Frédéric-Yves Jeannet,
Charles Juliet, Hubert Lucot, Jean-Michel Maulpoix, Marcel Moreau, Emmanuel Nardon, Paul
Nizon, Valère Novarina, Yaël Pachet, Charles Pennequin, Véronique Pittolo, Christian
Prigent, Nathalie Quintane, Jacques Reda, Marie Redonnet, Jacques Roubaud, Tiphaine
Samoyault, Jacques Serena, Jude Stéfan, Enrique Vila-Matas
et votre serviteur) sont
soumis à la question !
Et comme à lépoque de lInquisition, aucune échappatoire : accepter de
répondre cest se rendre coupable décrire. Nous finirons tous sur le bûcher
des écrivains.
Livre à l'esthétisme parfait, c'est un beau cadeau que nous propose Catherine Flohic.
Procurez vous ce livre, " faites vous un corps de phrase ", comme il
est dit dedans : les réponses y sont variées, graves, humoristiques, complètes,
succintes, hésitantes, argumentées, convenues, originales, poétiques, théâtrales,
romancées, comme si vous y étiez : bref, écrire, quoi !
(02/03/2005)
Me voilà au pied du mur : dun côté le livre que je nai pas envie de
reprendre, de lautre cette période de 15 jours de farniente où je nai prévu
aucune autre activité (décriture, nexagérons pas
) à faire. Donc
sy mettre. Le texte est fouilli, herbu, tendance à partir dans tous les sens,
manque de cohésion, densemble, de " réunion ", tiens, puisque
nous y sommes. Au début, jhésite mais il me semble que la meilleure façon
dy voir clair est de couper à lintérieur, le dégraisser avec cette
appréhension que ce texte assez peu volumineux au départ, samenuise au point de ne
plus ressembler à un machin sur lequel le mot roman pourrait venir sappliquer. Ne
garder que lessentiel, tailler dans le corps du texte.
Le corps du texte
Cette expression, qui se trouve dans les options de mon traitement
de texte, montre bien la réticence quon peut avoir à sattaquer au-dedans du
texte, au corps sacré du texte. Et toutes les allusions à lautre, lauteur,
lalter ego : dégraisser le texte, quil rejoigne la tendance du corps de
chair, que cette volonté de vouloir tailler dans la vie et dans le livre se rejoigne,
quon y laisse des plumes, quon y joue sa peau, sa nudité, quon y voie
ses côtes, son squelette. Après reste le grand mystère, la grande perplexité du regard
envers le corps du texte ou dans sa glace, quelque chose qui sapparente à aller
au-delà de linstantané de limage, comment dire, savoir ce qui va tenir,
arriver, survenir dans les aléas du temps. Pour linstant, seul le geste compte
: tailler dans le vif et garder les corps a peu près entiers, tenables
(23/02/2005)
Cest un nouvel atelier décriture qui se dessine et qui me touche pour
plusieurs raisons. Dabord, il a lieu dans le lycée Diderot de Langres qui fut le
mien, ensuite, Vincent Petitjean, le professeur de lettres qui me le propose est vraiment
passionné, on a envie de le suivre, enfin, javais un sujet qui me tentait beaucoup
tout en réfléchissant avec lui qui travaille toute lannée sur le thème de
lengagement avec une classe de seconde. Une des questions qui me touche le plus dans
cette problématique (quel vilain mot) est celui des blogs, véritables tentatives, oui,
comme " Feuilles de route ", dexposition, voire
dengagement. Les écrivains néchappent pas à cette vague, même si certains
font figures de pionnier pour Internet, force est de constater que la vitalité de ces
journaux en ligne ne faiblit pas.
Donc qui dit atelier décriture, dit littérature, il y a matière à induire
quelque chose qui nous apparaît à Vincent et à moi totalement nouveau et expérimental.
Donc atelier décriture sur des blogs, on crée un blog : www.diderot.joueb.com
Après, il nous appartient de le cerner un peu mieux et avec deux écrivains qui se sont
déjà frottés à ces préoccupations Internet, François Bon et son Tiers Livre et Emmanuel Darley, nouveau venu sur le web. Et
de regarder attentivement ce qui se constitue au fil des jours, la part de
lexposition, la part de lengagement, et enfin, car cest bien le but,
faire écrire à partir de cette matière
Cet atelier étant totalement expérimental et il nous a fallu beaucoup improviser dans la
présentation de celui-ci aux élèves et même sils ont eu cette impression de
flotter dans lécriture dinvention quon leur proposait, comme par magie,
il en est ressorti quelque chose, de belles digressions écrites à partir du début
dune phrase dEmmanuel Darley : parfois on lit trop vite
Oui, parfois on lit, on tâtonne, on espère que cet atelier sera à limage de ce
qui se fabrique dans les sites de ces auteurs, des écrits authentiques et une véritable
ouverture sur le monde.
A suivre jusquen juin ?
(02/02/2005)
Le livre qui se refuse est une sensation nouvelle pour moi,
cest-à-dire un livre déjà programmé dont on doit reprendre quelques éléments
de structure, corrections, lui donner plus de tension, dampleur peut-être. On
retarde léchéance promise (avril) pour se mettre à ce travail. Au départ,
cest un manuscrit inabouti mais tous les manuscrits sont incomplets, du moins les
miens, tant la cécité affecte lécriture dans ses profondeurs lui empêchant
davoir une vision globale (quelle horreur que ce mot pêché à
léconomie
), à peine une vue partielle, quelques paysages de mots glanés
au-delà de paragraphes ou de chapitres dans une unité personnelle mais secrète pour les
autres et cest bien là que le bât blesse : complètement inabouti dira
léditeur dont on attend lavis avec franchise. Cest vrai, cest
inabouti, on ne me suit pas dans mes pérégrinations discrètes. Ceci dit on pourrait se
poser la question de savoir si ce nest pas léditeur qui essaie de calquer le
livre à son propre référentiel de roman, voire à sa collection, mais là nest
pas le problème : on est daccord avec lui pour le reprendre, on fait confiance
et souvent cette confiance paye dans la clarté que lon propose par la suite au
lecteur. On va donc le reprendre mais cest là quil se refuse, là, dans
linstant avec la crainte de se demander si cest le sujet de ce roman était,
non pas une fausse bonne idée, mais dévolu à la lassitude dun thème déjà
usiné. Avec lespoir de croire que cest seulement lamnésie déjà
rencontrée à la fin de chaque texte et qui na encore pas disparue, on nest
pas prêt pour reprendre le texte à bras le corps, trop de choses à penser, études de
lettres, texte de commande à écrire, ateliers décriture (2 maintenant qui se
profilent
), espoir car du temps va se dégager bientôt pour cela. Après, après
seulement, quand le texte cessera de se refuser, on pourra en parler, annoncer sa
publication
et passer à autre chose.
(19/01/2005)
Résolutions 2005 : ne plus s'abaisser mais s'acheter une conduite ne
plus s'adapter mais s'aérer ne plus s'analyser mais s'arrêter ne plus s'assécher mais
s'assembler ne plus se blinder mais s'embraser ne plus se calibrer mais se capturer ne
plus se cloner mais se colleter ne plus se commander mais se colorer ne plus se comparer
mais se conduire ne plus se dater mais se décaper ne plus se dégrader mais se dépolluer
ne plus se déstocker mais se désindexer ne plus se définir mais se décrire ne plus se
diffuser mais se dissoudre ne plus se doser mais se doubler ne plus s'échantillonner mais
s'écranter ne plus s'éliminer mais s'écrire ne plus s'encapsuler mais s'estimer ne plus
s'éviter mais s'exciter ne plus s'extraire mais s'évaporer ne plus s'exprimer mais
s'étuver ne plus se fabriquer mais se fusionner ne plus se fiabiliser mais se faciliter
ne plus se garantir mais se greffer ne plus s'inhiber mais s'irradier ne plus
s'instrumenter mais s'identifier ne plus se laisser passer mais se lier ne plus se limiter
mais se liquéfier ne plus se localiser mais se lubrifier ne plus se maîtriser mais se
marquer ne plus se mémoriser mais se mesurer ne plus se mettre à
disposition mais se mettre en oeuvre ne plus se micro-usiner mais se métalliser ne plus
se mixer mais se nettoyer ne plus s 'observer mais s'orienter ne plus s'ordonner mais
s'oxyder ne plus se passer mais se permettre ne plus se piloter mais se polir ne plus se
planifier mais se pomper ne plus se piéger mais se prédire ne plus se préserver mais se
produire ne plus se programmer mais se propulser ne plus se privilégier mais se purifier
ne plus se protéger mais se pulvériser ne plus se quantifier mais se rafraîchir ne plus
se rechercher mais se reconnaître ne plus se réaliser mais se reconstituer ne plus se
récupérer mais se recuire ne plus se réduire mais se rendre ne plus se refroidir mais
se remplacer ne plus se replier mais se résister ne plus se révéler mais se revêtir ne
plus se retrouver mais se repérer ne plus se rigidifier mais sopposer ne plus se
sauvegarder mais se sensibiliser ne plus se séparer mais se simplifier ne plus se simuler
mais se solubiliser ne plus se sanitiser mais se sérigraphier ne plus se soutenir mais se
stimuler ne plus se structurer mais se suivre ne plus se surveiller mais se suroxyder ne
plus se sonder mais se souder ne plus se tester mais se tisser ne plus se traiter mais se
traduire ne plus se trier mais se transcrire ne plus se transformer mais se transférer ne
plus se trouver mais se tuer ne plus s'utiliser mais s'usiner ne plus se valider mais se
ventiler ne plus se vérifier mais vivre.
(03/01/2005)
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