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Notes d'écriture 2013

 

Que F devienne fruit : c’est ainsi que je terminais ma dernière note d’écriture, il y a quatre semaines. Depuis je n’ai pas chômé. D’abord, ce rendez-vous avec mon éditrice et l’heureux constat de se sentir tous deux sur la même longueur d’onde, de parler d’un texte comme d’un enfant impétueux, un peu trop bouillonnant qu’il faudrait tempérer, vouloir le rendre attachant, enthousiaste. La reprise du premier jet de F, que j’avais ainsi soumis, a continué sans temps mort, sans réflexion, dans l’instant. Le texte n’a pas eu le temps de reposer au fond de l’ordinateur. J’ai pris le travail à bras le corps. J’ai tout débâti, le patchwork est répandu par terre, il faut reconstruire l’habit, refaire les assemblages, reprendre les coutures, les rendre invisibles. Pour rendre compte du travail entrepris, il faudrait imaginer un costume, il ne s’agit pas que de déplacer un bouton comme dans les Exercices de style de Raymond Queneau. Il faut retailler les poches, modifier le col, raccourcir les manches, ajouter une pince dans le dos, coudre une martingale, permuter les boutons et même, c’est plus profond, ça tient du remaniement du tissu, du motif, de l’apparence, la doublure à changer, presque tout quoi. J’accomplis ce travail avec joie, enthousiasme même, je ne me savais pas si doué en tricotage et autres travaux d’aiguilles. Il y avait, paraît-il, des tailleurs chez mes aïeux paternels. Reste l’étonnement de ce travail sans relâche, quatorze mois que j’ai commencé ce bouquin, aucune lassitude, au contraire, une obsession, je vis avec, je m’y plonge, je rame parfois, mais j’avance. J’avance, et ce sentiment sera celui au premier jour de l’année.
(31/12/2013)

 

Voilà, F comme fin, F comme fini. F, fameux nom, code secret de (peut-être) mon dixième livre. J’ai mis un point d’honneur à terminer le premier jet, comme on dit, avant le 11/11, date à jamais égale, retournable et emblématique, date symbolique aussi puisque c’est exactement à cette date, que j’en ai parlé pour la première fois à qui de droit, il y a un an, à Brive, au milieu de la nuit, sur fond sautillant et musical de boîte de nuit, avec Harlan Coben derrière moi en géant vert sous les sunlights. Et que je lui ai aussi donné à lire (à qui de droit et pas à Harlan Coben) un vague début lors d’une autre date retournable un mois plus tard, le 12/12, sur la route d’Annecy, cette fois-ci en plein jour et plus au calme (nous nous sommes aussi revus un vendredi 13, il n’y a pas longtemps). Finalement, l’écriture n’est jamais qu’une question de symboles, de coups du sort, de dates retournables, de moments propices, nuits et jours, clair-obscur, ombre et lumière, tarots, magie et superstition, on dirait la vie non ?
Je n’ai pas l’habitude de laisser reposer le texte longtemps, je sais que certains écrivains apprécient ce passage obligatoire dans l’ombre d’un tiroir. J’ai tout de suite entamé une relecture rapide (il reste des fautes, des incohérences). F est le plus long texte que j’ai jamais rédigé, édité dans sa globalité il compterait probablement plus de 450 pages, deux fois plus que mes précédents livres presque. Néanmoins, cette première lecture m’a permis d’envoyer enfin à qui de droit, le 18/11 à 21h54, le fichier numérique complet de 459 875 signes (alors quoi, certains croient encore qu’on envoie des manuscrits ?). Le 18/11 à 21h54 : pas de date emblématique, retournable, c’est la saint Aude, joli prénom à goût d’aube, d’eau et de commencement peut-être, mais rien de remarquable, même en combinant les lettres. Evidemment, en écrivant cette rubrique, j’espère dissiper la peur, trouille, crainte, chocotte qui m’envahit en attendant le verdict. Et c’est sans doute cela qui reste rassurant au-delà même des affres de cette inquiétude (c’est torture, souffrance, véritable supplice que l’attente) : qu’on puisse, même au dixième livre, accueillir intact cette incertitude. Après, il sera toujours temps d’en parler dans le meilleur ces cas, ou d’oublier cette année de travail dans le pire.
Dernières nouvelles et fin de la torture, souffrance, véritable supplice : verdict tombé, c’est OK ! MAIS, MAIS, MAIS, il y aura un gros, gros travail de réécriture : le texte est complexe, ambitieux, un livre-monde, un livre-monstre, F comme forteresse, et je découvre combien un an d’écriture m’a laissé la tête dans le guidon, avec mon armure de chevalier le heaume qui me bouche la vue, l’armure lourde à tomber, empêtré, occupé (depuis 4 mois, c’est la moitié du livre que j’ai rédigé, l’équivalent d’un roman complet). Aux prises avec mes atermoiements, maladresses, hésitations, incertitudes, la vie toujours, opiniâtre, terre à terre (et 2013 n’a pas été F comme facile), c’est toute la difficulté pour rester clair, en un mot, lisible. Priorité est à la simplification donc, afin de servir plus aisément les idées qu'on veut faire passer. Et c'est pleinement le rôle et la relation éditeur/auteur qui est convoquée, ici, avec confiance réciproque. F comme ficelle, fil, démêler tout cela  : au boulot ! Et que F devienne fruit.
(04/12/2013)

 

C’est mon fils qui travaille à Bruxelles qui me l’a raconté : il a vu une dame dans le métro belge qui lisait Ils désertent. Bien sûr, nous en avons plaisanté. Il était partagé par la furieuse envie d’interrompre cette dame et lui signifier que lui aussi avait beaucoup apprécié ce livre. Le SMS dithyrambique qu’il m’avait envoyé après sa lecture est une de mes grandes fiertés. Son avis compte beaucoup pour moi, c’est un liseur discret, avec des goûts sûrs (en ce moment Lovecraft). Bien sûr, il n’est pas intervenu auprès de cette lectrice : qui l’aurait fait ? Peut-être moi, finalement. Ça a toujours été un vieux rêve de voir quelqu’un qui lirait un de mes livres dans le Métro, c’est peut-être un fantasme d’écrivain répandu, je ne sais pas. Toujours est-il que je me vois bien intervenir devant un inconnu médusé, voire même de sortir ma carte d’identité pour attester que je ne suis pas fou, voire faire une dédicace du genre « à un lecteur inconnu, station Les halles… etc. ». Ou alors, le suivre, savoir où il descend, ce qu’il va faire, où il travaille… J’ai toujours eu du mal à imaginer qui pouvait lire mes livres. Et même, le petit lectorat engrangé après l’aventure de deux Goncourt successifs me laisse toujours perplexe. Il me manque un maillon entre le moment où j’écris une histoire qui me semble pouvoir n’intéresser que moi et le moment où cette histoire se réduit à un petit paquet de feuilles proposé aux lecteurs. Ce n’est pas de la fausse modestie, plutôt une incapacité à me projeter en tant que lecteur. Tiens d’ailleurs voilà une question pour schizophrène que tout écrivain devrait se poser : si j’étais lecteur, est-ce que j’achèterais un de mes livres(et lequel ?). Pas sûr… Toujours est-il qu’il m’est déjà arrivé d’outrepasser mon rôle d’écrivain dans le même genre d’histoire et je dois dire qu’à chaque fois, ça n’a pas été une réussite.
Première anecdote : c’était en 2001, Central était paru depuis plusieurs mois lorsque je l’ai vu pour la première fois chez un soldeur. Ça m’a fait un effet ! Non pas qu’on puisse le retrouver ainsi d’occasion, mais parce qu’il me semblait que mon premier livre avait accompli la boucle entière du commerce, production/vente/solde, et que je pouvais ainsi passer à autre chose. J’étais si content que je me suis acheté… non sans le signifier à la vendeuse, qui s’est excusée, est devenue toute rouge, a dit qu’elle n’y était pour rien… Première incompréhension, donc, et première leçon, un auteur ne doit pas sortir de ses pages.
Deuxième anecdote, très récente : Ils désertent venait juste de paraître en édition France Loisirs. Comme je faisais une lecture/dédicace à la médiathèque de ma ville, je me suis rendu dans l’officine de cet éditeur, située à trois cents mètres, juste pour les prévenir et, au cas où, qu’ils puissent en avertir leurs éventuels lecteurs. Grand  blanc après mon petit laïus auprès des deux vendeuses qui m’ont regardé comme un martien… L’idée même qu’un auteur pouvait exister en dehors des pages d’un des livres qu’ils proposaient  leur semblait être du domaine de l’inconcevable, de l’impossible, comme si les livres devaient avoir été écrits tout seuls.
Désormais , je vais me méfier et faire attention à bien rester ranger à l’intérieur de mes livres comme un marque page. Mais tout même, Ils désertent dans le Métro à Bruxelles, ça me fait rêver.
(23/10/2013)

 

J’ai commencé à m’intéresser à l’œuvre de Claude Simon au tout début des années 2000. Je ne sais pas par quels chemins j’y suis parvenu. Probablement que François Bon, dans son site Internet d’alors, m’y avait emmené (peut-être cet hommage, dit en 1999 au banquet de Lagrasse ?). Probablement que le site de Christine Génin me l’a fait découvrir encore plus. Commence alors cet espèce de compagnonnage en parallèle. Claude Simon est encore vivant, grand âge, nous voici,  comme disait Saint-John-Perse. Mais il écrit toujours : Le Jardin des Plantes est paru en 1997, suffisamment charpenté et important pour tenir plusieurs années, non pas un résumé autobiographique, ou des mémoires comme on a pu le lire lors de sa parution, mais plutôt une extension, une prolongation fidèle à la manière dont il a abordé toute sa vie le continent de littérature : défricher, déchiffrer, aller au plus profond de soi et de sa perception pour raconter le monde tel qu’on l’a perçu. A cette époque (et encore maintenant), ce n’est pas cet aspect qui m’a étonné chez Claude Simon, mais plutôt la matière, comment il tournait et retournait ses mots. Lorsque j’ai écrit Composants (Fayard, 2002), je me souviens exactement de la place que représentait Claude Simon dans mon écriture. Pas question d’imitation mais de l’élan que pouvait me donner ses phrases. Je ne l’ai pas évoqué alors, mais c’est vraiment le goût, l’influence (oui, on peut parler d’influence) qui me reste de cette époque. En recherchant des traces sur Feuilles de route, je sais que j’ai chroniqué La bataille de Pharsalle  (Note de lecture du 27/06/2001), emmené Histoire pour le lire en vacances en 2001(c’était Venise, cette année-là), mais avant, c’était, dès sa parution, le merveilleux Tramway  (Note de lecture du 15/04/2001) et La route des Flandres, un mois plus tôt. J’étais effectivement, en plein dans l’écriture de Composants, à cette époque. Tramway, donc, cet « impalpable et protecteur brouillard de la mémoire » comme le dit l’auteur dans la dernière phrase du livre et compagnonnage en parallèle puisque je le lis un mois à peine après sa parution (je me souviens l’avoir acheté dans « ma » librairie). En parallèle donc, ces quêtes qui se poursuivent, son écriture si jeune, si étonnée répond forcément à la mienne. Lorsqu’il disparaît en juillet 2005,  je n’en fais qu’une brève allusion quatre jours plus tard en actualités de F de R, je rédige alors Langres s’use exclusivement, c’est une nécessité , un chemin parallèle, bien sûr. Depuis, c’est la même sensation : non, je ne recoupe pas nos chemins à intervalles réguliers, l’écriture de Claude Simon est là, juste à côté, nous avançons de concert.
(16/10/2013)

 

J’ai l’impression d’avoir la tête dans le guidon en ce moment. J’écris, je ne fais même que cela, pas moins de dix pages la semaine dernière, cinquante en un mois, avec le boulot qui a repris et des activités personnelles qui se sont rajoutées et que je ne soupçonnais pas si denses. Par moment, j’ai l’impression d’éteindre le feu, de passer d’une action à l’autre sans autre choix que de faire diminuer le petit tas de choses toutes plus urgentes les unes que les autres et qui se rajoutent. La tête dans le guidon, de la même manière qu'on s'enroule autour du corps un étrange hélicon pour en sortir des sons laborieux de tuba. La tête hors de l'eau donc, la tête dans le guidon, mais pas vraiment celui d’une bicyclette de curé dans une déambulation de campagne, ni celui d’un vélo de course au Galibier, plutôt une succession de petites reines d’un jour, un tricycle succédant à une patinette, suivi d’un VTT, l’important étant de changer de monture sans réfléchir, un jour à Lille, l’autre à Paris, le suivant à Amiens ou Reims et écrire, écrire, écrire dans cette obsession un peu mécanique. Parfois je m’arrête : c’est Anne qui m’invite à lire, comme ici, et, comme à chaque fois, c’est merveilleux, vent dans les arbres, trottoirs ensoleillés, l’hiver est encore loin.
(02/10/2013)

 

En cette période de vendanges et de récolte d’automne, ce sont Anne Savelli et le printemps de Cerise qui m’accueilleront ce vendredi 20 septembre à 19h30. En résidence depuis plusieurs mois dans le centre socio culturel du 46 rue Montorgueil, Anne a déjà un beau palmarès d’activités et d’invitations diverses dans ce lieu : pour mémoire, par exemple, le surprenant Pecha Kucha (voir en rubrique Etonnements du 27/03/2013). Cette fois encore, nous croiserons nos lectures, comme nous l’avions déjà fait il y a déjà 2 ans à Montreuil, souvenir inoubliable pour moi. Depuis ce moment, il me semble que toute l’écriture que j’ai entreprise, a versé dans un registre beaucoup plus auditif. Cette influence, je la dois à Anne, qui m’épate toujours par ses lectures (voir avec le guitariste Jean-Marc Montera ou ici, pour Médiapart), en ce qu’elles apportent de limpidité à son écriture fragmentaire : souffle et renouveau de la littérature. En choisissant les extraits que nous allions lire, nous avons été surpris de la manière dont ils se répondaient, semblaient s’emboîter et former quelque chose de dynamique et d’homogène. C’est le cas notamment de textes inédits, encore en cours d’élaboration pour tous les deux. Lire un texte qui n’a jamais été montré est un enjeu forcément important, un dévoilement et il est certain que nous allons guetter nos (vos) réactions !
Autre lecture la semaine suivante : cette fois-ci, la médiathèque de ma ville m’invite mercredi 25 septembre à 17h30. Je serai en solo, et là également, je lirai d’autres extraits du texte F en cours.
(17/09/2013)

 

Jours brulants, on aurait pu traduire ainsi le recueil de mémoire de James Walter, intitulé Burning days.  C’est lui qui le dit dans une interview. Mais traduire c’est faire des choix et James regrettait qu'un seul sens de son autobiographie ait été conservé sous le titre de Une vie à bruler. Car c’est bien de jours brulants qu’il s’agit, du quotidien, de la manière de remettre en jeu chaque matin et combien le nez dans le guidon, on s’en rend rarement compte. James Salter sait de quoi il parle, et ça va bien au-delà de sa vie de tête brûlée, pilote de chasse des premiers avions à réaction si délicats à la manœuvre, à l’époque de la guerre de Corée et des véritables duels entre F86 américains et MIG russes. Son autobiographie est en deux parties, à l’image de sa vie, scindée entre le renoncement de sa carrière militaire pour embrasser la vie non moins aventureuse d’écrivain. Pourtant dans ce livre de souvenirs, il ne faut pas s’arrêter aux inévitables clichés du beau pilote ou du scénariste d’un Hollywood de pacotille. Des noms jalonnent obligatoirement cette vie, Kerouac, avec qui il était à l’école, Nabokov, Irvin Shaw, Robert Phelps… L’important reste cette succession de jours brûlants. Dans ce qu’on imagine une vie bien remplie, pouvoir constater à la toute fin « Santé, bonne. Espoirs, passables. » est une victoire. On le sait, mettons que le danger, ce serait foncer sans se préoccuper de rien, nous le faisons tous. Une nuit on se réveille en sueur, le mal de dos qui persiste, cauchemars, autant de signe pour se méfier, faire gaffe, rien n'est jamais vraiment fini, ni les jours tristes, ni les gais bien sûr auxquels on aspire, bref, tous sont des jours brulants, et l’écriture qui les jalonne est une braise : mettons que le danger… permettons, admettons, le nous de l’impératif présent est une extension abrupte de ce jeu, de notre incandescence, un direct du droit sans lequel l’écriture perdrait toute saveur. Ce livre sur sa vie se termine ainsi « Mon bras autour d’elle. Sensation de courage. Grand désir de continuer à vivre. » Peut-on rêver mieux ?
(11/09/2013)

 

On connaît la célèbre réponse de Samuel Beckett à une interview sur la question-bateau « Pourquoi écrivez-vous » : « Bon qu’à ça », répondit-il, d’un frêle esquif .
Or, cela fait écho à ce que déclarait un siècle auparavant l’auteur du Bateau-ivre, Arthur Rimbaud. On est en 1879, il est à Charleville, de retour de Chypre où il a été chef d’équipe dans une carrière de pierre. A l’ami Delahaye, venu le visiter et qui s’enquiert de son écriture, il répond calmement : « Je ne m’occupe plus de ça ».
« Ça », donc, pour Samuel et Arthur désignant la littérature, deux lettres crispées autour de « cela », (énervés « ceux-là » ? qui ? écrivains ?) bref, deux lettres chargées de résumer cette immensité de l’écriture et qui, paradoxalement, ouvrent des horizons infinis dans cette contraction de langage, élasticité de tangage.
Les deux phrases sont en apparence diamétralement opposées, le « bon » qui ouvre la réponse laconique de Beckett est positif, constat de bon(heur) presque, tandis que la négation de Rimbaud pourrait être perçue comme un constat d’échec. D’un côté la continuité forcée et de l’autre l’interruption sans appel. Pour autant, au-delà des mots, le sens de ces deux assertions est plus complexe et moins en opposition qu’il n’y paraît. Phrase sans verbe pour Beckett, omettant la négation (Je ne suis bon qu’à ça) et verbe flou pour Rimbaud, occuper, employer, servir : la littérature ravalée au rang d’usage, d’emploi, d’occupation, de servitude, tâche domestique presque, voire négligence, éternel combat des torchons et des serviettes. La littérature comme pis-aller, donc, solution de repli. « Ça », quand même, s’empile, s’ajoute, ne soustrait rien, apporte, aide à vivre. « Ça » efface l’ego, l’auteur ravalé derrière deux lettres, dissout : tant mieux.  « Ça », d’une importance égale à faire les courses, le ménage, la lessive : choses humaines, tout ce que j’aime.
(28/08/2013)

 

Le ravissement, bien sûr on pense à Lol V Stein, de Marguerite Duras, ravissement au sens de rapt, quelque chose qui vous prend, vous déplace. Le déplacement ici, dans ce lieu connu de l’île italienne était attendu. Encore fallait-il que ce qu’on espérait puisse arriver, c’est-à-dire continuer notoirement le texte en cours. Notoirement il a continué, tant mieux. Il faut dire que l’ambiance là-bas préside à cette concentration, cette paix : oloé innombrables, bancs de pierre pour la lecture, terrasse et coins d’ombres, abris sous les orangers, les citronniers, l’olivier, le grand chêne. Oloé pour l’écriture sur la petite table carrée, terrasse de la cuisine, et cette impression de fraîcheur alors que la température dépasse 35°. Bref, voilà, F a avancé : ravissement. Pas d’angélisme cependant, la satisfaction que cela avance est une chose, le doute qui taraude obligatoirement l’écriture constitue son complément obligatoire. Etonnement, tout de même, de voir combien le texte envisagé au départ a tenu le cap, distance prévue, agencement, trame… Etonnement parce qu’il s’est passé tellement d’évènements inattendus, la vie quoi... Peut-être que cette constance est finalement une manière de résister, de tenir. Je me souviens de l’annonce que j’avais faite en novembre de l’année passée à son sujet, la première fois que j’en parlais, ce dévoilement à qui de droit au bon milieu de la nuit, dans un lieu étonnant où, l’instant d’avant, Harlan Coben déployait son mètre quatre-vingt-dix juste derrière moi. J’ai été fidèle, je pense, à ce que j’envisageais alors (ne pas croire pour autant que ce livre est plan-plan, surprise pour moi de tous les instants). Le texte maintenant a basculé vers la fin, a entamé l’ultime glissade.  Je sais que je le terminerai.
(21/08/2013)

 

Voilà : une demi-année passée. Six mois qu’on sentait confusément durs et qui auront tenu leurs promesses d’âpreté. Pour autant, au moment de basculer vers l’autre moitié de l’année, ça a tenu, on est là, toujours, un peu bousculé mais assez en forme, au final. Ça a tenu. D’abord F, le texte en cours, dont l’obligation semblait si paralysante en début d’année, avance, a bien avancé, correctement et sans retard. Sans quoi, l’année, me semble-t-il, aurait été irrémédiablement perdue. Sans qui, au-delà des moments difficiles, combien d’heures sont apparues étrangement belles et légères, des voyages et des trains pris avec allégresse, des rendez-vous de quais de gare, des repas improvisés. Toutes ces vies d’écrivain à raconter plus tard dans un nouveau tome de Lagarde et Michard : rions ensemble ! Tout un monde sans quoi le train de nos vies aurait été plus inconfortable. Sans quoi, sans qui : merci infiniment. Alors, glissons sans crainte vers cette deuxième moitié d’an, l’été à passer, un automne et l’hiver : comment se nichera l’écriture, avec quoi, avec qui ?
(17/07/2013)

 

Le 13/04/2005, j’écrivais ceci en Etonnements : « Une errance inattendue m’ayant emmené au hasard des routes de la Seine et Marne, j’ai eu la bonne idée d’aller rendre visite à Beckett dans sa maison d’Ussy-sur-Marne. Petite maison insignifiante dont j’avais gardé le souvenir sur une des photos de la biographie très complète de James Knowlson (Note de lecture du 27/08/2003). Je l’ai cherché en vain en arpentant les rues de la bourgade assez petite et simple, tout en me disant que depuis les années cinquante dans laquelle elle avait été construite, l’environnement volontairement isolé qu’avait désiré Beckett avait certainement dû changer. Je ne trouvais rien de ressemblant, grosses demeures arrogantes ou maisonnettes dont les balançoires et nains de jardin laissaient peu d’espoir, jusqu’à ce que j’aborde par chance le facteur qui faisait sa tournée et qui me renseigna illico. Oui, la maison existait toujours, il y avait même une plaque à la mémoire de l’écrivain. Oui, elle était toujours isolée car située à la périphérie du village. Je me suis rendu à l’endroit prévu et j’ai eu la chance de rencontrer N qui l’avait connu. La maison est à nouveau habitée, toujours par les mêmes propriétaires auxquels Beckett l’avait vendue de son vivant. Elle s’est agrandie, elle vit, ce n’est pas un musée et c’est tant mieux. Je raconterai cette visite en détail dans un article plus complet ultérieurement, je voulais juste marquer cette note d’étonnement, dater en quelque sorte cette rencontre avec un lieu simple et sans fioriture, bien dans l’image de l’écrivain et dans lequel " l’innommable " ou " les beaux jours " ont été écrits. Marquer la couleur de cette journée, donc : vent frais, discussion avec N sur la route déserte devant la maison. Les Monts Moyens, si souvent peints par le peintre Hayden, ami de Beckett, (voir note de lecture du 26/03/2003), la fenêtre du bureau de la petite maison d’Ussy, l’ombre de Beckett proche à la toucher : ceci est mal vu, mal dit, innommable sans doute, c’est pourtant vraiment cette sensation d’avoir été accompagné dans ma fuite d’un jour, d’être rentré, comment dire, physiquement presque, dans l’enveloppe de ses mots et toucher leur désespoir en même temps que le mien. » Rien à retirer de ce que j’ai écrit, sauf que c’est plutôt en rubrique Notes d’écriture qu’il convient aujourd’hui de placer cette note. A l’époque, oui, c’était en étonnements, cette sensation nouvelle de fuite, cette errance inattendue, quelque chose de nouveau, d’étonnant donc. Aujourd’hui, rien de bien nouveau, la crainte du recommencement de cette époque difficile, 8 ans auparavant, mais vite effacée, rien n’est jamais pareil, aujourd’hui plus zen et l’écriture avance, peu de craintes (comme Beckett, je creuse des trous dans le jardin, je fore, j’écris par échantillonnage, mais enfin j’écris, c’est déjà ça). J’avais dit à l’époque que je raconterais plus en détails, mais quels détails donner ? J’avais pris quelques notes, je ne les retrouve plus. Quelques éléments que m’avaient donné N me restent en mémoire : son accent irlandais, qui le rendait parfois difficile à comprendre, ses longues marches dans la campagne, une histoire de boîte aux lettres dans laquelle les oiseaux avaient élu domicile (Sam avait prévenu le facteur), les traverses de béton du mur peints par l’écrivain et dont il subsistait quelques traces blanches, des fauteuils de jardin qui lui avaient appartenus, récupérés avec la maison, son atelier de bricolage. J’ai récemment découvert les photos de la maison d’Ussy qu’a faites Larry Lund, identiques à mon souvenir (et N y figure aussi). La maison d’Ussy est un oloé au sens pur que lui donne Anne Savelli, c’est-à-dire là où on trouve la nudité nécessaire pour lire et pour écrire.
(03/07/2013)

 

La nuit remue, 7ème édition (déjà) indique : « plusieurs heures de lectures publiques pour découvrir des auteurs amis : à chaque fois une fête ». Une fête : j’y suis allé avec cette envie forte et chevillée au corps qui vous prend parfois lorsqu’on réalise ce qui compte pour soi. Ce qui compte : remue.net en maison bleue (ceux qui vivent là ont jeté la clé) mais sans vieille rengaine, sans nostalgie aucune, juste le plaisir neuf de retrouver ceux qui comptent depuis des années, Philippe Rahmy, Yun Sun Limet, Chantal et Dominique, Guénaël et Sébastien. Bien sûr, Anne et Joachim, et, avec eux, on est dans le quotidien ou presque, pour preuve l’incroyable feuilleton en 13 épisodes du Journal de la lutte de Dita Kepler, un par jour, suivi avec attente et attention sur Remue.net encore. Ainsi la nuit remue, en plein jour, en permanence. Il y a bien longtemps qu’on a dépassé les temps pionniers du web, dans lesquels s’inscrivait encore notre étonnement devant la porosité entre virtuel et réel : plaisir de se rencontrer aux premières AG de l’association. Dans ces dinosaures d’avant blog, Facebook et Twitter, je sais l’apparence que j’ai : stégosaure ombrageux ou diplodocus étourdi, en tout cas du genre herbivore à manger mes Feuilles de route dont l’aspect fossile dans les progrès du Web étonne.  Mais c’est seulement un choix esthétique, et, en tout cas, j’y suis moi, dans le web, jusqu’au cou, et combien je partage la conviction que la création de la littérature ne se joue plus seulement dans les livres. Jamais je n’oppose l’odeur des pages et le miroir des liseuses, bien longtemps que je passe de l’un à l’autre avec un égal bonheur (Voir Lotus Seven de Christine Jeanney en Notes de lecture, cette semaine). Même si, en apparence, je poursuis une « œuvre de papier », personne n’est en mesure d’imaginer l’importance que représente pour moi, dans la créativité journalière, tout ce que je glane dans les mondes numériques, et pas seulement les contenus, mais les formes, les usages et les rebonds multiples. Remue.net est une étoile importante de ma galaxie : la téléportation en chair et en os pour cette 7° nuit remue m’était vitale.
(19/06/2013)

 

C’est quelques minutes à peine avant de lire la communication que j’ai prévue en tant que doctorant (manœuvrer la langue, écrire le travail, nommer la littérature) que je reçois ce SMS : c’est non pour l’embauche. Etrange mise en abyme pour moi qui m’interroge sur les rapports que nous entretenons entre travail et littérature. Mise en abîme aussi, dans le synonyme de la chute ou du gouffre, car on sait combien ceux à qui on dit non pour l’embauche, chancellent, et nous avec, par rebond et par affection. Etrange donc de devoir parler encore sous le choc de ce message, de commencer par cette première partie où j’expose la manœuvre de langue de la part des entreprises : ici, aucune manœuvre, c’est non pour l’embauche. Clair et net, brutal. Dans ces conditions, il faut alors écrire le travail et restituer avec la même sauvagerie nos échanges : non pour l’embauche, la part de rêve qui s’en va, ce qu’il faudra remettre à plus tard, la lassitude qui parfois vous envahit, alors qu’il faut continuer, continuer, chercher encore. Il n’y a pas de sujet du travail, finalement, il n’y a que la vie qui parfois vous étripe, où vous octroie de ces étranges coups du sort, mise en abyme, en abîme, au moment où on s’apprête, en tant que doctorant, de poser une réflexion bien menée, suivant les canons universitaires, plan en trois parties : manœuvrer la langue, écrire le travail, nommer la littérature. Nommer quoi ? Pour moi, à l’instant où je m’installe devant le micro, la littérature se résume à : c’est non pour l’embauche.
Manœuvrer la langue, écrire le travail, nommer la littérature (le vrai texte, pas celui-ci) a été évoqué à Strasbourg le 6 juin, lors du colloque Discours économique, discours du travail, discours managérial, représentation, fiction. Une autre journée d’étude sur un sujet similaire a eu lieu la semaine précédente, le 31 mai à Lyon : Nouveaux mots/maux du travail : le néo-management à l’épreuve de la représentation.  J’y ai contribué avec une communication intitulée  Sujet, verbe, compliment : les entreprises parlent aux(en) français. Merci à tous les organisateurs et mes meilleures amitiés au club de Porto !
(12/06/2013)

 

On en a jamais fini de Rimbaud : c’est un point qui rassemble, une étoile que l’on guette dans le ciel et qui nous ouvre aux galaxies d’à côté. Voici la grande ourse et son allure de casserole à manche, la ceinture d’Orion et son alignement parfait : on voyage. Rimbaud donc, existe en trois époques avec les restes archéologiques qui y sont associés. Première époque, il a vingt ans, il quitte la poésie et nous voilà sans frère. Ses restes : quelques textes, les souvenirs émus de Verlaine et comme unique trace voulue par lui, Une saison en enfer, prix d’époque un franc et devenu inestimable. A la deuxième époque, il a trente-sept ans, il quitte la vie terrestre. Ce qu’il laisse derrière lui : une jambe à Marseille, une malle de voyage au musée de Charleville et un stock de lettres disséminé partout sur son ennui. Troisième époque : il n’a plus d’âge, légende, légende, légende. On guette son empreinte, on cherche les stigmates des dieux, on tente de rassembler les trois époques. Quelque chose nous gêne : sa tête de poète magnifiée par Carjat se s’accorde pas avec ses jambes de marcheur au Harar ou ses bras trop grands couvert de coton rude à Aden. L’assemblage ne prend pas, le vin tourne. On cherche (je cherche) des nouvelles post-Rimbaud, je vais voir du côté de Ménélik (en note de lecture), je respire la campagne de Roche, je discute avec ses voisins de cimetière, j’écris des livres qui parle sans cesse de lui. « Mon cher monsieur Ilg, dit Rimbaud en 1891, J’espère que vous aurez liquidé jusqu’au dernier Thalaris et au comptant toutes mes marchandises, j’attends anxieusement le règlement de tout cela pour pouvoir modifier ma situation ici. » : on est très sérieux quand on a trente-sept ans. Dix ans après la vie terrestre de Rimbaud, Hugues Le Roux rencontre Alfred Ilg. L’homme est maintenant conseiller de l’empereur et principal concessionnaire de la Compagnie impériale du chemin de fer franco-éthiopien. Echanges d’amabilités et de savoir-vivre entre Alfred et Hugues : Rimbaud n’entre plus dans les conversations. Ni César Tian, ni Léon Chefneux que Le Roux rencontre également n’évoqueront l’ombrageux négociant. Dix ans après sa mort et déjà oublié au Harar, c’est juste la mesure de son purgatoire terrestre. A Charleville, en été de cette même année 1901, on érige une statue dessinée par son beau-frère, Paterne Berrichon : toujours la lourdeur, la pesanteur. Cent douze ans plus tard, cinquante générations de merles et de moineaux se sont succédés sur sa tête, ont agrippé ses cheveux de pierre pour le faire décoller. Est-ce qu’on y est arrivé ?
(05/06/2013)

 

Wanda : dans la première scène du film, on la voit, habillée tout en blanc, arpenter les chemins noirs de charbon qui forment son quotidien pour aller rejoindre le tribunal et y divorcer. A ses torts, elle le sait : elle ne s’occupe ni de ses enfants, ni de son mari. La suite : comment elle rencontre un faible malfrat, comment par peur d’être seule ou abandonnée, elle s’y accroche. La fin, on s’en doute : sera tragique. Les prises de vue : on est dedans, en face, au dessus, mais toujours en plein dans l’histoire. Penser que ce film est le premier (hélas le dernier) dans lequel une réalisatrice, une scénariste et une actrice forment un seul corps : admiration. Ce film date de 1970. Je l’ai vu hier pour la première fois.
De la même année, je connaissais The strawberry statement  que j’avais vu il y a très longtemps à la télévision sous le titre Des fraises et du sang, je devais être encore adolescent et j’avais probablement les mêmes lunettes et les mêmes cheveux que Simon, le jeune héros du film. Se souvenir juste que ce film racontait la révolte étudiante à Columbia en 68 et de la magnifique bande son qui accompagnait les images.
Pourquoi cela en note d’écriture ? Parce que.
(29/05/2013)

 

Cette visite à Clermont-Ferrand était organisée depuis longtemps. J’avais déjà dû repousser la date prévue pour recevoir le même jour le prix Eugène Dabit à l’Hôtel du Nord à Paris. C’est donc avec impatience que j’ai pu rejoindre quelques mois plus tard une ville que je connaissais déjà bien pour y être allé plusieurs fois ( par exemple le 01/02/2006 ) ou au lycée de Chamalières avec Cécile Beauvoir (voir note de lecture du 13/04/2011 ). Là, c’était pour rencontrer deux classes, en continuité du Goncourt des lycéens, ajouté en fin de journée d’une rencontre à la Fnac. Comme d’habitude, j’ai pris beaucoup de plaisir à échanger avec les élèves, ceux de deux lycées professionnels, l’accueil a été très chaleureux, et c’est, à chaque fois, être surpris de leur rapport direct à la réalité. Pour moi, ce quotidien est indissociable de la littérature mais c’est souvent difficile à leur expliquer, j’espère y avoir mis toute la conviction nécessaire. Après un détour par Thiers pour y voir des amis (comment ça, nous ne nous étions pas vu depuis 2008, pas croyable…), retour sous la pluie par Lyon. J’avais l’impression d’être parti depuis un siècle, tant l’agenda m’avait laissé tranquille depuis le mois de mars, excepté le salon d’Arras au premier mai. Il faut dire que la veille de Clermont, j’avais rejoint la capitale pour participer à Pas la peine de crier avec Marie Richeux. L’expérience du direct est toujours impressionnante, il faut se vider la tête, être disponible et spontané, l’exercice est toujours difficile. J’étais probablement très tendu avant et j’ai eu l’impression, dès que l’émission a commencé, d’un ressort qui s’est soudainement détendu. A la réflexion, c’est la même perception lorsque j’ai rencontré les lycéens ou lorsque j’ai été interviewé (très bien d’ailleurs) à la Fnac. Quelque chose de ramassé se libère d’un coup et qui correspond à de l’énergie emmagasinée. On parle sans préparation, dans l’instant, la spontanéité. Cette créativité soudaine n’est pas sans lien avec la façon dont l’écriture avance ses pions pour moi : la langue juste derrière, en appui, les mots devant, en fer de lance, en raccourci direct. La réflexion, l’argumentation s’effacent, jamais question d’une quelconque leçon à donner, jamais question de soi, juste l’immense émotion que provoque la pensée, la parole, la rencontre. Ainsi, entre Clermont et Paris, dans l’affection pour ce train de vie.
(22/05/2013)

 

J’ai reçu très récemment le prix Jean Amila-Meckert à l’occasion du salon du livre d’Arras, Colères du présent, qui se tient traditionnellement le premier mai. Grande fierté pour moi et à plusieurs titres. le premier tient d’abord à l’auteur qui a donné le nom de ce prix. Jean Amila-Meckert a croisé par hasard plusieurs fois mon parcours. Pour ma première participation, deux ans auparavant à ce même salon d’Arras à l’occasion de la sortie de Retour aux mots sauvages, cet auteur n’était déjà pas un inconnu. Lors d’une journée universitaire à Lille, deux mois auparavant, j’avais rencontré Pierre Gauyat qui avait eu la bonté de me faire parvenir sa thèse sur Jean Amila-Meckert, document ô combien précieux pour qui travaille à mettre en forme un projet de même ampleur. J’ai eu la chance de retrouver Pierre Gauyat à l’occasion d’un débat cette année sur cet auteur de prédilection, mais également de côtoyer, Laurent Meckert, fils de l’écrivain. Ces échanges amicaux pendant les deux jours que j’ai passé à Arras ont été très agréables, avec le décor du beffroi et de la grand’ place, sur fond de bière Ch’ti. Placé sous le patronage d’un auteur qui fût si impliqué dans son temps, ce salon du livre était évidemment voué à être une réussite, surtout si le beau temps se mêle de la partie, comme ce fût le cas (il n’y avait que le Nord épargné par la météo). Stands extérieurs et terrasses de café bondées, c’était l’endroit où il fallait être pour fêter le 1° mai et le muguet. Merci à tous les organisateurs pour ces chaleureuses journées, au soutien actif du Conseil général du Pas-de-Calais et à la présence amicale de Wilfried N'sondé.
(15/05/2013)

 

Comment nommer le nouveau livre ? A chaque fois que j’ai entamé un nouveau texte, j’ai eu envie de le nommer rapidement, sans savoir même si cette inspiration irait au bout, simplement pour pouvoir le retrouver à travers les pages de Feuilles de route. Je ne l’ai pas encore fait, où si peu. Il y a bien une vague mention d’un texte au nom de F en archives, dans le résumé de l’année 2012, laconique : Nov : début de l'écriture de F. Voilà, appelons-le ainsi, cette sixième lettre de l’alphabet sera son nom de code, comme ID a présidé à Ils désertent. Ce n’est pas une habitude systématique : RMS n’était pas le nom de code de Retour aux mots sauvages, d’ailleurs le titre a été trouvé tardivement, après la rédaction du texte. Ici, c’est différent, le titre s’est imposé à moi, quasi en même temps que l’idée, l’impulsion d’écrire, je crois d’ailleurs qu’il m’aide à le réaliser. Pour autant, n’allez pas vous livrer à des suppositions, le nom de code est suffisamment abscons, j’aurais d’ailleurs pu le nommer par la dixième lettre de l’alphabet (« J »), puisque si la publication va à son terme, ce sera mon dixième livre. Mais rien ne presse, reste à l’écrire. Un point d’avancement : environ 100 pages de rédigées, des chapitres très courts et l’idée d’un livre qui approcherait (dépasserait ?) 300 pages. C’est drôle, je n’ai pas changé d’un iota cette idée première d’un livre qui serait ainsi, à la fois long et morcelé, éclaté entre différents personnages (au moins cinq), un vrai roman, avec une vraie histoire (drôle de dire vrai pour ce qui n’est que de la fiction), mais en même temps, quelque chose qui s’ancre profondément dans la réalité. Pas envie du tout que l’imagination (la mienne) prenne le pouvoir, il me faut des faits, comme souvent, pour avoir le courage de fabriquer des personnages tant soit un peu réels. Fuir la facilité, honnir la complaisance, tous les pièges que posent clairement la fiction. Revenir au langage, l’origine de tout. Dit comme cela, c’est beau, reste à le faire, avec le danger de passer à côté, mais cela est inhérent à chaque livre. J’ai peu parlé jusqu’à présent de ce texte qui s’élabore, quelques allusions à sa complexité en note d’écriture le 13/02/2013, et la dernière note de 2012, celle du 21 décembre lui était consacrée, comme s’il fallait passer le flambeau à une année que je présentais plus mouvementée. Le premier souvenir auquel je reste attaché, c’est de l’avoir évoqué à mon éditrice pour la première fois un soir à une heure du matin, dans un lieu improbable et dansant après une manifestation littéraire où j’avais présenté Ils désertent. C’était pour moi majeur que cette suite d’écriture puisse démarrer, s’inscrire en plein milieu de cette vie littéraire, en jonction parfaite.
(24/04/2013)

 

[…] Est-ce que je peux te donner un conseil ? Bien sûr. Ne t’apitoie pas sur ton sort. C’est ce que font les imbéciles. Je m’en souviendrai. […] Et je me rappelai soudain que Nagasawa m’avait conseillé de ne pas m’apitoyer sur moi-même : « S’apitoyer sur soi-même, c’est ce que font les imbéciles. » Oh là là, Nagasawa, tu es vraiment admirable, pensais-je. Puis je soupirai et me mis debout.
Ce passage d’Haruki Murakami, extrait de La ballade de l’impossible est typique de la psychologie de ses personnages, sortes de héros picaresques, mêlés à la vie d’un Japon moderne qui ressemble plus à l’Amérique qu’aux clichés nippons. Les héros dépriment, se laissent aller à la nostalgie pendant un temps, puis finissent toujours par réagir avec vigueur, mêlant acuité des sens et sens du corps dans la moindre action quotidienne. Le quotidien, la force de sa réalité, c’est véritablement ce qui caractérise l'écriture de Murakami, et qu’on retrouve chez Raymond Carver pour lequel il a été le traducteur. L’auteur marathonien connaît le goût de l’effort, sa restitution et son poids au sein de la moindre de nos actions. Lorsqu'on n'est pas dans une forme mirobolante, il faut se souvenir de ce passage. Ajoutons-y un peu de printemps et l’œil du paon du jour, venu à point nommé pour veiller à la suite (en Webcam).
(17/04/2013)

 

Décès de Ronald : j’ai reçu ce mail terrible de la part de sa famille. J’étais encore à bord de l’avion qui me ramenait de l’île Maurice, nous venions d’atterrir à Orly et, en attendant de débarquer, je chargeais les messages qui s’étaient accumulés depuis une semaine. Sur le coup, je n’ai presque pas fait attention en voyant le nom de Klapka dans le défilement des intitulés, j’ai pensé à l’habituelle et régulière Lettre de la Magdeleine.
On ne sait jamais quoi dire face à la brutalité du destin. En regard de ce qui s’anéantit d’un coup, il y a tout ce qui s’est construit avec patience. Paradoxalement, Internet, qu’on imagine souvent comme le règne de l’immédiateté, participe à cette lente construction et on mesure après coup tout ce qu’on a pu édifier. Ronald avait été un des piliers de Remue.net, dans cette époque incertaine où tout était encore à inventer. Le travail collaboratif maintenant n’étonne plus personne, mais en 2001, avant le Web 2.0, avant les blogs, avant Facebook et Tweeter, il pouvait paraître merveilleux qu’un site, comme celui qu’avait créé François Bon, puisse être ainsi distribué, puisse devenir un espace commun, un lieu de partage. Et tout naturellement, Ronald avait pris le relai. J’ai participé à la première assemblée générale de 2002, c’était le soir de la fête de la musique. J’y suis retourné l’année d’après, au début de cet été brulant, et avec plus de joie encore. Je le remarque lorsque je regarde des photographies : sur l’une d’elle, en compagnie de Dominique Hasselmann, je me marre franchement en regardant Ronald. Un an plus tard, il m’invitait à participer à l’une des réunions qu’il animait avec des chefs d’établissement au rectorat de Reims. Il me semble me souvenir de son titre : inspecteur d’académie pour la vie scolaire. Il voulait ouvrir le mammouth de Claude Allègre aux autres, j’avais fait un bizarre mélange entre la littérature et mon boulot devant l’auditoire. Je lui suis aussi reconnaissant de m’avoir indiqué les librairies qu’il fréquentait à Reims. Par la suite, à La belle image, nous parlions souvent de Ronald avec la libraire. On le sait, Ronald était un lecteur hors pair, il suffit de reprendre la Lettre de la Magdeleine pour s’en convaincre. Il suivait mes publications, avait chroniqué 1937 Paris-Guernica et très récemment Ils désertent. De temps en temps, nous nous faisions un petit signe par mail, manière de s’en remettre au hasard pour se voir. La dernière fois, c’était en janvier 2011, j’avais participé aux Enjeux contemporains de la littérature, organisé par la MEL au Petit Palais, nous nous étions en face l’un de l’autre au dîner qui avait suivi les débats. Et comme à chaque fois que je l’ai vu, il était tout à la joie de ces rencontres, impliqué, souriant et enthousiaste. Puisse le web littéraire, dont il a tracé bien des contours, demeurer ainsi, dans l’échange et la fraternité.
(10/04/2013)

 

Lorsqu’on m’a proposé de participer à la rédaction désormais traditionnelle du Libé des écrivains, j’ai été ravi. Le métier de journaliste fait partie des mythologies qui rejoignent notre écriture. Réagir sur sujet, en un nombre de signes déterminés d’avance nous est parfois (souvent ?) proposé, et rédiger la mise à jour de Feuilles de route s’apparente forcément à composer un hebdomadaire. J’avais le choix entre écrire un article à l’avance ou venir me mêler à l’équipe de Libération. Je prends les deux,  mon Capitaine !
Je suis donc parti enquêter comme « envoyé spécial » à Brachay, le petit village de mon département qui avait reçu Marine Le Pen, il y a un an avant le premier tour de la Présidentielle. C’est un sujet qui me tenait (me tiens toujours) à cœur, tant la politique peut exprimer de sens différents dans une commune si petite.
Et puis je me suis rendu au journal Libération le mercredi 20 mars. De suite, à la conférence de rédaction, avant même que la particularité du Libé des écrivains soit évoquée, on sent qu’on est dans un journal de gauche, via cette manière de dire sans détour ce que l’on ressent, ça m’a fait le même effet que lorsque j’étais arrivé pour la première fois dans ma ville, alors tenue par un maire communiste, moi qui venait d’une ville de curés et de garnisons On respire, donc. Virginie Despentes, rédactrice en chef de ce numéro spécial, en rajoute une dose : « cette fois-ci on va vraiment faire un journal de gauche », formule un peu provoc, qui se heurte de suite à l’actualité : de gauche ou de droite, il faudra traiter la mort (encore incertaine) d’un otage. Son édito saura habilement replacer cette tension entre un écrivain qui ne pige pas toujours (le verbe piger aux deux sens forcement) les enjeux et les rouages internationaux, mais qui sait remonter d’un cran le niveau de l’information : « C’est la guerre, mec ! », dit-elle, manière de prolonger Jacques Prévert dans Barbara.
Rapidement, après la conférence de rédaction, on se trouve ventilé dans les services. Et c’est là qu’on découvre les lieux (voir en webcam) : Libé est installé dans un garage ! La rampe d’accès autrefois dévolue aux voitures sert d’escalier central, les places de parkings sont des bureaux. Le dernier étage est prolongé d’une terrasse avec une vue magnifique sur Paris. Et bien sûr, c’est un fort moteur d’inspiration que d’imaginer toute cette mécanique de l’information ventilée ainsi, pas du tout une voie de garage, mais vraiment un endroit idéal.
Moi, donc, mon parking, c’est « Economie /société », et je me retrouve à devoir faire un papier sur l’aéroport de Notre Dame des Landes. Aidé par Eliane qui a déjà beaucoup écrit sur le sujet, j’essaie de me glisser au mieux dans cette investigation, d’en savoir plus, notamment sur la réunion d’une commission européenne qui doit avoir lieu le jour même. Mais il ne faut pas oublier que c’est le libé des écrivains et Julien Gracq vient à point nommé titiller mes souvenirs, notamment à travers La forme d’une ville, que le géographe a écrit sur Nantes. C’est parti : voilà l’angle d’attaque…
Dans la même journée, actualité oblige, j’écrirai aussi sur le rachat de Dailymotion par Yahoo !, sujet ô combien passionnant, que l’humour réussira à sauver.
Au bout du compte, il peut paraître excitant de participer ainsi à ce journal. Mais il ne faut pas oublier que ce qu’un écrivain réalise ici une fois par hasard, et avec une grande liberté de ton, recommence le lendemain pour chacun des journalistes croisés. Pression de l’actualité, devoir d’information ne sont pas des vains mots, ne connaissent pas de repos. Je leur tire mon chapeau. C’est vraiment l’idée que je me faisais d’un grand journal (ah bon ? Ils ne sont pas tous dans des garages ? Dommage…). Grand merci à Claire pour son accueil et sa sollicitude.
(27/03/2013)

 

Bien sûr, j’aurais bien aimé obtenir le prix des libraires. Le sort en a décidé autrement et c’est Yannick Grannec avec son beau titre La déesse des petites victoires qui l’a obtenu. Dans ce dernier carré, nous n’étions plus que trois en lice avec Fabrice Humbert (Avant la chute), mais le suspense a été tellement lissé dans le temps, que l’étonnement de me voir passer les sélections successives, s’était mué en une attente sereine. En effet, entre la première sélection à l’automne et le résultat final, c’est la moitié d’une année qui vient de défiler. Les sollicitations qui ont suivi la sortie des livres se sont estompées et déjà se profilent d’autres écritures, d’autres projets. Idem, j’imagine pour les libraires : les fêtes de Noël, une rentrée littéraire de plus en janvier et combien de centaines de kilos de livres manipulés depuis. Ceci dit, le prix des libraires est véritablement leur prix. Il existe depuis 1955 et quand on regarde la liste des gagnants, j’aurais bien aimé rejoindre Muriel Barbery, honorée pour L'Élégance du hérisson en 2007 ou Victor Cohen Hadria en 2011 pour Les Trois Saisons de la rage.
Lorsqu’on regarde la liste initiale, hormis les finalistes déjà cités, on y trouvait  Olivier Adam, Les lisières ; Metin Arditi, Prince d’orchestre ; Julia Deck, Viviane Elisabeth Fauville ; Nathalie Démoulin, La grande bleue ; Patrick Deville, Peste et choléra ; Joël Dicker, La vérité sur l’affaire Harry Québert ; Lionel Duroy, L’hiver des hommes ; Nicolas d’Estienne d’Orves, Les fidélités successives ; Eric Faye, Devenir immortel et puis mourir ; Jérôme Ferrari, Sermon sur la chute de Rome ; Cécile Guilbert, Réanimation ; Thierry Hesse, L’inconscience ; Serge Joncour, L’amour sans le faire, Fabienne Juhel, Les oubliés de la lande ; Marie-Hélène Lafon, Les pays ; Sébastien Lapaque, La convergence des alizés ; Mathieu Larnaudie, Acharnement ; Douna Loup, Les lignes de ta paume ; Catherine Mavrikakis, Les derniers jours de Smokey Nelson ; Hubert Mingarelli, Un repas en hiver ; Derek Munn, Mon cri de Tarzan ; Makenzy Orcel, Les Immortelles ; Joy Sorman, Comme une bête.
Grande joie pour moi d’en avoir côtoyé certains, d’avoir apprécié leurs livres. En même temps, cela paraît tellement réducteur d’avoir à choisir une sélection même large pour l’obtention d’un prix. Paul Léautaud, qui détestait les prix, devait souvent penser à cet impossible choix. Pour lui, cautionner cette pratique, c’était verser dans la vanité de devoir se démarquer. Il n’y allait pas par quatre chemins : l’écrivain qui en acceptait un, était « maudit, maudit, maudit » (répété trois fois et ponctué par ses coups de cannes lors d’un entretien radiophonique avec Robert Mallet) : j’ai déjà eu le prix Eugène Dabit, je n’allais tout de même pas m’enfoncer plus en avant dans de sales draps. Après tout, on se console comme on peut.
(20/03/2013)

 

Ce texte, d’Anne Savelli, que j’ai honteusement détourné, s’intitule être lue.
"Longtemps, j'ai écrit sans nécessairement chercher à être publié(e), ni même être lu(e). Pourtant, je voulais être écrivain, l'ai toujours voulu : j'emploie ce mot en italiques parce que c'est celui de mon enfance, au masculin (qui pour moi coule de source). Les modèles étaient masculins (faisaient exception, quand j'avais sept, huit ans (douze, treize ans, j’étais plus tardif qu’Anne): Colette, Simone de Beauvoir et Marguerite Yourcenar, la première académicienne (George Sand, parce que je croyais que c’était un homme). Dans mon esprit, un écrivain lisait, écrivait, publiait, était lu et recommençait (mais cela sans effort, comme par inspiration divine). Il n'effectuait pas de lectures en public, n'animait pas d'ateliers, c'est à peine si on connaissait son visage (je n'avais pas la télé) (j’avais la télé mais je ne me souviens pas de têtes d’écrivain, juste de présentateurs, de speakerines, Denise Fabre, Denise Glaser, Alain Jérôme pour les dossiers de l’écran). Il écrivait au fond d'un jardin, dans une cabane sans téléphone (Roald Dahl) ou dans sa baignoire en croquant des pommes (Agatha Christie)  (Il n’écrivait jamais, on ne le voyait pas écrire, c’était divin, un soir il s’endormait, le matin, le texte était pondu, les écrivains ressemblaient à des poules). Il fumait beaucoup (Jacques Prévert), mourait jeune (Camus, Vian) ou avait de la barbe (Victor Hugo) : sans doute pour cela que j’ai commencé à fumer, et même la pipe pour faire comme Simenon ou Brassens ; la barbe, j’ai essayé, je ressemblais à Trotsky ; mourir jeune ne m’intéressait pas. Il commençait tôt (Rimbaud), tirait sur les autres à coups de pistolet (Verlaine), voyageait ou racontait que (Cendrars) : à douze ans je me méfiais de Rimbaud, trop m’as-tu-vu, à treize ans, Verlaine était plus simple, à quatorze ans, c’était Vian, Cendrars ne viendrait qu’à vingt ans. Les auteurs vivants, absence de télé aidant, je n'en entendais guère parler, (moi non plus, même si la télé…) si ce n'est Beauvoir, que j'ai même vue (cinq secondes, hissée à bout de bras, je crois, dans une manif).(la seule manif que j’ai vue, enfant, c’était les tracteurs tournant autour de la statue Diderot à Langres en Mai 68).
Mais ça existait, écrivain. Jacques Prévert en vivait.(Oui)
Et un écrivain, quand il était publié, était lu. (Oui)
(cela, dans mon esprit, toujours) (Oui, moi aussi, et plus tard la question : comment fait-on pour le devenir ?)
Il n'est pas toujours évident de basculer du côté de la publication (bien dit, Anne !), de se décider à faire lire, de s'exposer (ah, oui : mon premier livre s’appelait La Réserve, pour mon premier article, le journal local avait titré : TB sort de sa réserve, on aurait cru un titre du journal sportif L’Equipe). Cela m'a pris du temps (et moi donc…) : longtemps j'ai pensé fragments (que j'aurais mis sur blogs, quand j'avais 18-20 ans, si Internet avait existé) et non livres (Tout de suite j’ai pensé livres). Un jour, j'ai pensé livre (c'était Fenêtres) (moi c’était Martin Martin, toujours eu un problème avec les titres), ce qui m'a poussé à envoyer mon texte en lecture (il est resté dans le tiroir).
Cependant, j'ai pensé livre comme ceci : un livre, pour moi, est un ensemble de livres constitués de fragments (ah, non, non, non, pas du tout, pas pour moi, c’est roman, avec titre, épigraphe, chapitres, du linéaire, de la facilité…hélas…) La structure qui soutient chaque livre, en assemble les fragments, est en réalité la structure d'ensemble, celle qui unit les livres, tous les livres (c’est complexe, je ne me pose pas toutes ces questions, je suis un garçon simple )- et je ne sais, bien sûr, combien il y en a, puisque je suis vivante, espère n'avoir pas terminé... (moi aussi, j’aime bien être vivant)
Qu'on ne s'y trompe pas : tout cela me paraît sans rapport avec le mot œuvre  : je continue, en effet, à penser l'écrit sous forme de fragment (eh bien, tu as tort, chère Anne, tes fragments constituent une œuvre en devenir). Par contre, avec le mot site, on peut réfléchir...(oui, parfaitement) Je vais néanmoins continuer à employer le mot livre (moi aussi), comme je dis écrivain (moi aussi). Simplement, le sens (dans mon esprit, une fois de plus – le mien aussi) s'est, depuis l'enfance, déplacé. (Oui, c’est terrible de s’endormir le soir et de se réveiller le lendemain sans texte apparu comme par magie, je croyais que ce serait comme cela toujours, je ne savais pas qu’il y avait tout ce boulot)
(et si ça ne va pas, il n'y aura qu'à inventer un mot)(là, je suis sec… enfin, non, je proposerai bien conjunto, ça veut dire ensemble en langue ibérique (dans le sens d’un groupe, d’un orchestre), je l’ai entendu il y a peu pour la première fois, j'aime bien la prononciation gutturale "à l'espagnole" au milieu de mot, le côté râpeux, comme liVRe, œuVRe finalement)
(désolée pour les italiques)(désolé pour la couleur
Aujourd'hui, quand je suis invité(e) à parler ce que je fais, à transmettre, expliquer (parce qu'un écrivain table ronde (oui), performance (non, sauf si c’est lecture avec Anne), atelier (j’en ai fait), il arrive que ce soit par des gens qui n'ont pas lu mes livres (c’est même presque toujours le cas pour moi). Pas encore, pas à ce moment-là, disons. C'est normal : je ne suis pas connue (moi non plus), les piles s'entassent (moi aussi), je le sais, ça ne me vexe pas (moi non plus), le livre est au-dessus, un autre prend la place, il y a une urgence...( ça s’appelle des faux fuyants) et puis, comme je viens de le dire, j'écris des trucs sans nom, des objets fragments, ça peut dérouter) (mais si l’écriture ne déroute pas, elle sert à quoi alors ?). N'empêche : il arrive parfois que je me demande ce que je fais là (Ah, non, Anne, plus maintenant, plus après Décor Lafayette…)"
(13/03/2013)



Je passe à Charleville toujours en coup de vent, on dirait Rimbaud. C’est généralement pour rencontrer des salariés de mon entreprise, et je repars vite mais j’ai toujours un moment pour aller au cimetière voir le poète, comme le VRP d’Ils désertent. Mardi dernier, je me suis organisé plus efficacement et j’ai enfin pu déjeuner avec Alain. C’est un ancien collègue, expatrié dans une administration de la ville : bon job, beau cadre de travail, il ne regrette pas. Alain est probablement mon tout premier lecteur des Ardennes, toujours prompt à collectionner mes livres et à suivre mes Feuilles de route (Bonjour Alain !). Il est peintre « également », c'est-à-dire à parts égales, dans cette étrange alchimie qui nous satisfait de ne pas avoir à choisir entre travail et créativité : bien des points communs entre nous, que nous évoquerons longuement au restaurant. Je suis reparti de Charleville avec une toile. Déjà, CV roman l’avait inspiré, il y a quelques années : premier CV de l’homme des cavernes avec mammouth intégré, des couleurs vives et beaucoup d’humour, comme le hasard de son nom, Delatour, phonétiquement identique au célèbre artiste du XVII° siècle, émule de Caravage. Couleurs et humour, idem pour le Rimbaud qu’il m’offre, mais attention, pas question de naïveté : sa figure patibulaire est un mix entre la photographie adulée de Carjat et les dernières qu’on a retrouvées de lui à Aden, visage émacié et dur. C’est la tête qu’il aurait pu avoir, s’il avait vécu plus longtemps, débarquant d’Afrique, revenant ici s’installer et se marier, comme il l’avait écrit à sa mère : un type ayant laissé ses rêves là-bas, traînant son ennui dans les Ardennes. Charleville-Mézières est une ville rude, on y encense le poète mais il y a toujours un détail qui cloche, qui vous rappelle au pragmatisme de l’endroit : qu’une fresque soit peinte sur le mur de la résidence Rimbaud (propriété privée, défense d’entrer) avec le poème Sensation, elle y intègre l’arrivée du gaz sur la façade (voir en Webcam). Et impossible de photographier la tombe de Rimbaud sans voir l’immeuble derrière. Et les seuls authentiques T-shirts à son effigie (sur la couverture d’Ils désertent) sont disponibles à la boutique Au travailleur, cottes de mécanicien, blouses de cuisinier et autres articles de boulot. C’est sans doute pour cela que j’aime cette ville : pas de crédulité envers la poésie, aucune concession sur la vie, sauf celle à perpétuité du destin fabriqué d’un poète. C’est pourquoi ce tableau me plait. En revenant chez moi, il a trouvé une place de choix dans mon bureau, mais c’est étrange comme il y change l’atmosphère, j’ai l’impression qu’il me surveille, le grand méchant Rimbaud, qu’il me regarde avec son air dur : « Pas facile l’écriture, hein ? » ricane-t-il. Et c’est tant mieux. Le tableau est maintenant à côté de mes propres souvenirs du Yémen ou de Syrie. Lorsque j’ai évoqué le grand méchant Rimbaud à Alain, il m’a répondu : Appelle-le Rimbaud l’Africain ! Il a raison, c’est ainsi qu’il faut le voir, avec en arrière-plan le dépaysement des couleurs, ses rêves et nos mots.
(06/03/2013)

 

La fête du livre de Bron est un toujours un évènement. J’y étais déjà venu en 2008, en compagnie de François Bon (on en trouve des traces ici chez lui, et, dans mes Notes d’écriture, le 22/02/2008). J’y suis donc revenu cette année le week-end dernier et j’ai retrouvé avec un immense plaisir le noyau dur de l’organisation Brigitte Giraud, Yann Nicol, mais aussi Laëtitia Voreppe, les libraires et les équipes historiques du Matricule et de Télérama qui s’associent traditionnellement à l’évènement. Le lieu habituel et magique de l’hippodrome, en pleine réfection, avait été remplacé par l’immensité du site du Service de santé des armées, ambiance plus militaire, donc, mais tout aussi chaleureuse. Cette année, j’ai participé à une rencontre animée par Michel Abescat avec Thierry Hesse (voir note de lecture du 07/11/2012) que j’avais déjà vu pour l’émission Les mots de minuit en novembre dernier. Il est aussi de tradition de proposer aux auteurs de réfléchir à une question qui sera proposée à débat public, généralement, plutôt du genre « bibliothèque idéale » mais cette année, innovation : il fallait choisir un titre de chanson et expliquer pourquoi. Bien sûr, j’ai été jaloux devant le choix de Thierry Hesse (Sympathy for the devil des Stones) - comment ai-je pu laisser échappé ce titre ! - mais je me suis fié à mon idée première : l’envie d’évoquer François Béranger. Et quelle ne fut pas ma surprise de m’apercevoir que nous avions été deux à choisir cet artiste disparu il y a quelques années et un peu oublié. Antoine Choplin (La nuit tombée, éditions de La fosse aux ours) avait opté pour Le monde bouge, et moi, pour Tranche de vie. Nous nous sommes retrouvés ainsi tous les deux pour évoquer devant Thierry Guichard nos choix respectifs.
Bien sûr, il y a des points communs dans cette préférence. L’époque à laquelle nous avons découvert et suivi François Béranger, cette toute fin des années soixante-dix, mais surtout la découverte des mots et de cette poésie pleine de pudeur : «Natacha /Ton nom est déjà un voyage/ A quoi bon dépenser nos sous/ A partir et pour où. » ou encore «ma grand-mère qu’était de Clamecy/ et qu’a clamsé dans son p’tit lit », rappelait Antoine Choplin. Pour moi, c’était la découverte que quelqu’un enfin chantait un monde qui me parlait, m’était proche : « à quinze ans fini la belle vie/ t’es plus un môme, t’es plus un p’tit/ j’me retrouve les deux mains dans le pétrole/ à frotter des pièces de bagnole ». J’en avais cinq de plus, 20 ans, je venais d’être embauché et je voulais écrire, prendre à bras le corps et décrire une pareille réalité qui me semblait si proche. Je crois être resté jusqu’ici fidèle à cette inspiration première. A 20 ans, j’ai acheté un cahier et j’ai commencé mon premier livre qui s’appelait Martin Martin. J’avais oublié pourquoi ce titre et François Béranger me le rappelle : « Je suis né dans un petit village / qu’à pas du tout un nom commun/ Bien sur entouré de bocage/ c’est le village de Saint-Martin. ». A noter qu'un album en guise d'hommage a été enregistré en 2008, et c'est Hubert-Félix Thiéfaine qui chante Tranche de vie, c'est dire…
(20/02/2013)

 

« J’habite pour toujours un bâtiment qui va crouler, un bâtiment travaillé par une maladie secrète. », disait Baudelaire. Ma maladie (pas très secrète) est l’écriture et mes constructions sont fragiles. En ce moment, j’ai trois chantiers : ce site, un livre en préparation et une thèse.
Ce site est un refuge, un repos, une sorte de camping ouvert en permanence, rien de bien défini, quelques emplacements à l’ombre ou au soleil suivant les mises à jour mais treize ans cette année que j’y aligne mes caravanes, y plante mes tentes, je m’y sens en vacances perpétuelles, éternel estivant, comme le chantait Georges Brassens. C’est probablement l’édifice le plus solide, la maison des trois petits cochons qui résiste au souffle du loup.
Le livre maintenant. Les deux derniers que j’ai écrits ont été des maisons commodes, murs alignés, toit régulier, charpente élémentaire, ça s’est monté vite, un décor bien fichu, l’ensemble facile à vendre. Celui qui se trame aujourd’hui est plus complexe. J’ai du mal à ordonner tout cela. La dalle est coulée mais je commence un mur ici, monte une cloison là, me ravise, ouvre une porte avant de la reboucher. Je vais de sac de ciment en enduit de rebouchage, ma truelle à la main, bras ballants, désœuvré au sens propre.
Pire cependant est la thèse de doctorat que je prépare depuis 4 ans. Aujourd’hui, dans cette histoire, je ne suis que le maçon, l’ouvrier, je dois suivre des plans, toute une institution qui me dépasse. Au départ l’idée était bonne : j’ai acquis le terrain mais j’ai vite été doublé par l’architecture. Je voulais une maison confortable et bourgeoise, probablement la réussite d’un titre de docteur en lettres juste pour l’orgueil, je me retrouve avec un Trianon à construire, un château en Espagne. Je sens bien que le naturel revient au galop : dans ce genre d’édifice, je me sens capable de bâtir la sagrada familia de Barcelone, c’est à dire quelque chose de vaste et de baroque, mais on veut plus, on veut des piliers solides, des arcs boutants, la cathédrale Notre Dame alors que je me considère Quasimodo. Je n’y arrive pas, la rigueur universitaire est difficile pour moi. Il me semble qu’elle heurte de manière frontale l’invention qu’est l’écriture de fiction. Je sais faire des zones pavillonnaires, déjà neuf livres comme un petit quartier à la périphérie d’une ville, mais j’ai l’impression ici d’épuiser mon stock de matériel pour cette chapelle académique. Heureusement, on m’aide, on me prodigue des conseils, des encouragements mais le temps risque de me manquer pour faire feu de tous bois et mener de front tous ces chantiers. Le livre doit être accompli dans un an et les six ans maximum de la thèse vont vite s’épuiser si je n’y prends pas garde.
Voici les réflexions qui me traversent en ce moment. Heureusement, l’hiver et le gel peu propices à la construction vont bientôt se terminer.
(13/02/2013)

 

Dans les jours incertains qui s’annoncent, heureusement, il y a des avancées et l’une d’elles, non des moindres, concerne une possible adaptation cinématographique d’Ils désertent. J’ai ainsi récemment rencontré la réalisatrice et la productrice. Moment important que cette première visite, on découvre mutuellement ce qui nous relie autour du livre. Je ne garde pas un souvenir très précis de ce qui s’est dit, plutôt des instants, une ambiance, le moment précis du basculement où l’on réalise : ça y est, on y est, il va falloir le faire ce film. Une joie presque enfantine et commune, se frapper dans les mains, top là, c’est parti ! Des photos pour se souvenir de notre rencontre, les sourires, ce qui prend corps et combien pour le cinéma cette expression est adéquate. Autres mots aussi, « l’impatience bienveillante » que je décris, qui me submerge. Avant cela, il y a tout ce que nous avons échangé, son extrême gentillesse et le souci de l’autre, des autres (ce que j’avais perçu auparavant dans une œuvre déjà conséquente), sa manière de noter dans un carnet, de faire des croquis, la fierté que je ressens aussi, ce que j’ai voulu exprimer et combien importe avant tout pour moi la liberté d’adaptation. Adaptation, le mot est réducteur, bien en deçà du bonheur d’imaginer qu’un petit tas de feuilles puisse déboucher sur une autre forme d’art, tellement plus exigeante, aléatoire, collective, avec la pugnacité qui accompagne de tels projets. Bref, un moment de grâce que cette rencontre. Un beau signe : nous avions évoqué des acteurs, des interprètes possibles et l’un des artistes que nous avions cités était attablé un peu plus loin lorsque nous sommes ressortis du café. Ils désertent déjà commence son cinéma !
(30/01/2013)

 

Étrangement, plusieurs lectures récentes m’ont apporté quelques idées sur la représentation du luxe selon les écrivains. Bien sûr, Internet regorge de citations sur ce sujet. J’apprécie le pragmatisme de Gainsbourg et le sens du mot parvenu (« Pour moi, le luxe, c'est perdre la notion de l'argent. J'y suis parvenu »), la fraîcheur de Simone de Beauvoir dans Mémoires d'une jeune fille rangée (« Le privilège de l'enfance pour qui la beauté, le luxe, le bonheur sont des choses qui se mangent »), le fatalisme de  Georges Bataille (« De tous les luxes concevables, la mort, sous sa forme fatale et inexorable, est certainement le plus coûteux »). « Ah, l'inutilité totale, degré suprême du luxe... », clamait Barjavel, dans Journal d'un homme simple. Pour l’écrivain qui vit ainsi reclus entre son clavier d’ordinateur, papier et crayons, la vision du luxe est une projection forcément équivoque. Les plus terre à terre projettent leurs envies probablement sur des outils utiles à la profession et hors de prix : stylo-plumes de grandes marques, ordinateurs et gadgets informatiques dernier-cris. Les plus contemplatifs se contentent de rêver aux châteaux en Espagne que leurs droits d’auteur mirifiques leur permettront d’acquérir. Mais, que voulez-vous, Françoise Sagan et sa Jaguar à vingt ans sont passés par là et le mythe du romancier à succès, qui dépense sans compter, a la vie dure. D’autant qu’il existe toujours des livres pour faire croire à ces réussites obligatoires. Ainsi La vérité sur l'affaire Harry Québert, de Joël Dicker, raconte les aventures d’un écrivain forcément riche. Clichés, poncifs. Ça existe bien sûr, et j’en connais, mais la vérité est plus du côté de ceux qui rament lorsqu’ils ont choisi de se vouer uniquement aux lettres. Et le luxe n’est pas forcément contenu dans l’argent. Avoir un endroit à soi, trouver un oloé (où lire où écrire) comme dirait Anne. Le vrai luxe est aussi ce choix exclusif de l’écriture. Et peut-être est-ce dans le même esprit que Patrick Deville expose sa conception du luxe à travers Alexandre Yersin, découvreur du vaccin de la peste, dans Peste & choléra : « Yersin aime l’ordre et le luxe, parce que le luxe, c’est le calme.». On voit bien ce qui importe avant tout pour l’écriture, comme pour tout travail de recherche d’ailleurs. Avec plus de chair, Annie Ernaux dresse un bilan de l’évolution de sa vision du luxe dans Passion simple : « Quand j’étais enfant, le luxe c’était pour moi les manteaux de fourrure, les robes longues et les villas au bord de mer. Plus tard, j’ai cru que c’était de mener une vie d’intellectuel. Il me semble maintenant que c’est aussi de pouvoir vivre une passion pour un homme ou une femme. ». Dans La place, qui raconte la condition modeste de sa famille, elle insiste sur son incapacité à imaginer le luxe : « Tout le temps que j’ai écrit, je corrigeais des devoirs, je fournissais des modèles de dissertation parce que je suis payée pour cela. Ce jeu des idées me causait la même impression que le luxe, sentiment d’irréalité, envie de pleurer. ».Ce balancement entre la recherche d’une telle lumière et l’implication prosaïque qu’elle nécessite résume bien l’enjeu de la littérature : « Là tout n'est qu'ordre et beauté, - Luxe, calme et volupté. », disait Baudelaire.
(23/01/2013)

 


Mais pourquoi n’y avais-je pas pensé plus tôt ? Il aura fallu différentes sollicitations autour de ma thèse pour m’apercevoir combien étaient éclatés les travaux universitaires, les interventions, les interviews, les articles divers et variés accumulés depuis plusieurs années au sujet de la fameuse littérature du travail dont je rabats les oreilles à qui veut l’entendre. En effet, que je sois « objet d’étude » à Lyon, à Strasbourg, à Lille ou à Paris, ou que je m’implique modestement dans quelques colloques, journées d’étude ou séminaire, quelque chose manquait à ce site, une rubrique où je pourrais regrouper tout ce qui a trait à cette vague notion de littérature du travail que je tente de préciser avec quelques autres. Son utilité est manifeste : alors que je patine un peu dans la rédaction de ma thèse sur le même sujet, j’ai besoin d’ordonner plus sainement ces travaux de recherches. En même temps, ça me donne l’occasion de faire une sorte de mea culpa : j’ai mal avancé sur le sujet, j’ai travaillé trop seul alors que les échanges sont forcément à la base de tout travail universitaire sérieux. Bref, en ce début d’année, propre aux résolutions : non pas prendre celle de terminer cette arlésienne de thèse comme je l’avais espéré les deux années précédentes, mais plutôt se dire d’avancer simplement et de façon tangible, le reste suivra en temps voulu. Et justement le temps : le nouveau roman en cours me laisse déjà que peu de place. Pourtant il faudra composer : des journées universitaires sont déjà programmées en mai et en juin, manière de m’obliger à avancer a minima.
(16/01/2013)

 

Je n’avais pas eu vraiment conscience d’avoir abordé un virage dans mon écriture. Lorsqu’on a le nez dans le guidon et les mains dans le cambouis, pour reprendre un très beau titre d’Antoine Emaz, on ne se rend pas toujours compte de la sinuosité du parcours. Le tournant a eu lieu vers 2004, probablement au moment de l’écriture de CV roman. D’ailleurs CV roman demeure pour moi un livre complexe, pour ne pas dire compliqué. Je ne le renie pas le moins du monde, il a son intérêt, je peux même le trouver génial lorsque mon optimisme est au maxi, ce qui m’arrive souvent. Mais je n’y peux rien, reste en moi la difficulté que j’ai eu à l’écrire, 21 versions d’une écriture étalée sur un an et demi, avec la sensation de faire du sur place. Je me braquais. Et pourtant j’avançais. Mieux, je braquais tout court, j’obliquais, je virais. D’abord, CV roman, mon CV, mon roman, le genre du roman inclus dans le titre et probablement que cette dénomination, somme toute bien réfléchie, a été le pivot de mon écriture. J’ai la sensation qu’il y a eu un avant et un après. Avant, l’échappatoire vers les grands maîtres, Claude Simon notamment, le refus d’un romanesque sans contrainte, une ère du soupçon chevillée au corps. Après, la même admiration pour Sarraute, Simon rejoint par Faulkner et beaucoup d’autres mais justement désirés dans leur capacité romanesque, et je n’ai probablement pas cessé de glisser en sortie de virage vers une écriture d’invention plus libérée, moins sujette à l’artifice. Bien sûr, comme à chaque tournant, la vie accumule les chausses trappes, les nids de poule qui secouent les suspensions et les changements qui n’arrivent jamais seuls. Résultats, six mois déboussolés. Et puis comme par magie, tout rentre dans l’ordre avec une facilité surprenante, nouveaux sourires, la vie, les livres toujours et l’air de nouveaux visages au milieu du S de ce virage. Situé maintenant à mi chemin entre le début de mon écriture et aujourd’hui, j’en réalise la courbure, la profondeur, le risque de chute aussi. En moto, on dit qu’il faut se pencher pour tourner. Adolescent, j’ai aimé cette sensation, avec parfois quelques frayeurs (souvenir d’avoir dérapé en Mobylette à la sortie de l’hôpital de Langres où j’étais allé rendre visite une copine qui avait eu un accident de deux-roues…). C’était l’époque où s’organisaient des courses de côtes auxquelles j’assistais en spectateur. Les béquilles des gros cubes envoyaient des gerbes d’étincelles, des genoux gainés de cuir râpaient l’asphalte, on entendait le miaulement des moteurs poussés hors des tours, ça sentait l’huile chaude. J’aimais. Je raconte cela parce que je crains d’être à nouveau à un tournant. Rien de précis, juste la trouille de ne pas arriver à faire tout ce à quoi je me suis engagé. Se mettre la pression, comme on dit. Il faut juste que je n’aie pas peur de me pencher suffisamment et ça passera.
(09/01/2013)

 

Les fins d’année se suivent et se ressemblent rarement. L’année précédente, par hasard sur les terres de Julien Gracq, je lisais Antoine Emaz. Cette année, c’est Mont de Marsan et j’ai lu Serge Bramly (Orchidée fixe en note de lecture cette semaine). Trois ans avant, c’était la neige (Webcam du  06/01/2010), mais janvier, cette année, commence doux et pluvieux. Bizarrement pourtant, dans la léthargie des fêtes, on ne sait plus trop ce qui a changé, ce qui s’est rajouté. Tandis que j’écris, une pierre venue de Colmar et offerte en étrennes regarde le fatras sur mon bureau de son œil de tigre. Pourtant, c’est le même désordre, la même pile de mes livres à gauche, augmentée d’Ils désertent et de son bandeau rouge Prix Eugène Dabit 2012. Devant, les mêmes polycopiés me rappellent que je ne suis toujours pas venu à bout de ma thèse de doctorat. A droite, les encriers, les porte-courriers encombrés, les deux bouchons de champagne marqués CV et les stylos du tiroir composent le paysage auquel je tiens. Au milieu, caché derrière l’écran lumineux qui inscrit ces lignes, des fichiers attendent : le traitement de texte d’un nouveau livre (nom de code F), le tableur de mes courses à pied. Ma vie en 2013 sera à cette image : continuer la thèse, terminer le texte en cours,  ne pas oublier d’aller courir. Simple non ? L’œil de tigre y veillera.
(02/01/2013)