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Étonnements

 

L’homme, je le croise souvent lorsque je vais courir. J’y vais toujours aux mêmes heures, entre 8h30 et 9h30 une à trois fois par semaine. Je ne sais pas s’il marche ainsi tous les jours aux mêmes horaires que moi, mais lorsque je le rencontre, c’est toujours au même endroit, dans la nouvelle promenade que la mairie a aménagée le long de la Marne.
Depuis que ce parcours existe (nommé la Grande boucle depuis cette année), j’ai changé mes habitudes de trajet. J’emprunte souvent cet itinéraire qui part le long du canal, début qui m’est coutumier, mais qui oblique désormais à un endroit nommé « la double écluse » pour rejoindre la rivière. Le chemin, propre et bien défini, est moins monotone que la berge rectiligne. On serpente parmi les arbres, on longe des flots plus vivants que l’eau calme du canal. Le courant est en sens inverse de ma course, et, à chaque fois, je pense au beau récit de Jean-Paul Kauffmann, Remonter la Marne (note de lecture du
24/08/2018).
Ce lundi, par exemple, après la pluie des jours derniers, la berge du ravin est pleine. L’eau arrive au bord des plateformes de pêche et de pique-nique récemment installées. La semaine précédente, au soleil du matin, une vapeur étincelante s’élevait dans l’air. Ainsi le paysage est toujours différent. Il y a quinze jours, j’ai aperçu un écureuil dans le parc qui prolonge ces allées nouvelles.
Je vois l’homme au débouché du bois, après le pumptrack qui fait la joie de mon petit-fils depuis plusieurs années lorsqu’il vient nous visiter. A cet instant, je suis à peu près à la moitié de mon parcours de 7,4 km. Il arrive en face de moi, il marche d’un bon pas, avec sa pancarte accrochée au cou. On se salue, on esquisse un sourire : à force de se croiser on se connaît.
J’ai, comme cela, fait connaissance avec plusieurs habitués. Celui à la grosse moustache grise et au visage d’ouvrier qui balance ses bras avec vigueur, celles et ceux qui promènent leurs chiens. On se fait signe, parfois on échange une considération sur le temps ou un trait d’humour. On se sent unis dans la promenade du matin. Je rencontre aussi cet ancien collègue de travail, d’un an plus âgé que moi, mais qui va plus vite. Parfois on fait un bout de course ensemble et on discute. On se promet de se voir au 10 km qu’organise ma ville chaque année en mai, c’est arrivé plusieurs fois.
J’ai longtemps ignoré l’homme à la pancarte, je lui faisais un petit signe et je continuais mon chemin. Un jour pourtant, je me suis arrêté pour savoir ce qui est marqué sur son écriteau. Ce sont des considérations écologiques, nos éternelles contradictions en face d’une nature qu’on respecte peu. Nous avons discuté de ces problèmes. Il était content que je l’aie abordé : c’est ce contact qu’il cherche à provoquer en affichant ses convictions. Depuis, nous continuons à nous croiser, mais nos salutations sont plus chaleureuses.
(13/12/2024)


Au pluriel, ça s’écrit pics épeiches. Car il y en a plusieurs, ou du moins, celui aperçu ce matin était sensiblement plus petit que son congénère observé quelques semaines auparavant, lequel semblait le même examiné en septembre.
Ce n’est pas la première fois que ce volatile grimpeur vient visiter mon jardin (note d’Étonnement du 02/03/2020). Il se pose toujours au même endroit, sur l’arbre de Judée. Ou plutôt ses plumes blanches et noires et les traces rouges sur sa queue attirent inévitablement mon regard au-delà de la porte-fenêtre de la cuisine. Cet arbre vénérable d’un demi-siècle abrite des quantités d’oiseaux. Les mésanges, merles, moineaux et tourterelles y ont leurs habitudes. Parfois une pie vient y marquer son territoire ou un pigeon décolle du toit d’en face pour s’y poser. J’ai déjà vu sur ses branches un verdier, une sitelle, quelques pinsons. Il y a 3 ans, un épervier s’est installé juste devant ma fenêtre pour boulotter tranquillement un moineau attrapé devant la mangeoire que je remplis de graines uniquement les jours de gel et de neige (note d’Étonnements et Webcam du 16/02/2021).
Pour en revenir aux pics épeiches, peu farouches, ils sont faciles à observer, mais seulement le temps de grimper le long d’une branche pour picorer les larves et les insectes cachés dans l’écorce. C’est un oiseau protégé. Son nom proviendrait de l’imitation du bruit qu’il fait en frappant de son bec les arbres. Quant au qualificatif d'épeiche, en raison de la singularité de son plumage, il serait issu du nom « specht », qui, dans le royaume des francs, signifiait « moucheté » ou « tacheté ».
Racontée ainsi, ma rubrique tient plus de l’article ornithologique que d’une véritable note d’Étonnement. Et pourtant, il y a étonnement, au sens de surprise, de curiosité et même de gravité ou de poésie (qui pourraient être synonymes).
Regarder par la fenêtre, c’est se relier au dehors. Lorsque nous avons rénové la cuisine, j’ai tenu à supprimer les rideaux de manière à ce que le monde extérieur puisse pénétrer plus facilement par la nouvelle ouverture.
Fenêtres sur le monde, c’est aussi un récit de Raymond Bozier, qui évoquait remarquablement ce qui s’est passé dans nos têtes au moment de l’attentat du Onze septembre, coincés dans nos intérieurs, alors que l’extérieur était en feu à 3000 km d’ici (note de lecture du 22/09/2004).
Gravité et poésie donc, les japonais et leurs haïkus ne font rien d’autre que de regarder au dehors, célébrer les saisons et le temps éternel à travers quelques mots.
De circonstance avec les pics épeiches, j’aime particulièrement celui-ci :
Oiseaux
Esprit des dinosaures
Et du petit ciel

Il a été écrit par Antony qui regardait par la fenêtre d’un atelier d’écriture à Verdun en 2022.
(06/12/2024)


La saison des figues se termine. J’ai récolté les deux derniers paniers – 10 kg tout de même – juste avant les gelées prévues prochainement. Récoltes tardives en cette année pluvieuse : à peine deux ou trois fruits en juillet, il aura fallu attendre août pour les premières cueillettes et octobre pour la seconde fructification. Mais, comme chaque été depuis de nombreuses années, c’est l’abondance : les deux figuiers auront produits 50 kg de fruits. J’ai désormais 40 pots de confiture de plus, sans compter les figues mangées sur l’arbre, puisées dans les compotiers, incorporées aux tartes, aux gratins, enfournées avec du fromage, des noix et de l’huile d’olive, ou servies avec du foie gras.
Cette année, j’ai eu du mal à cueillir les fruits sur les plus hautes branches, mais c’est surtout leur étalement qui devient problématique. Je vais ainsi devoir tailler les 2 arbres qui forment désormais un seul buisson de 5 m de long. Il faut dire que je les ai plantés il y a plus de 20 ans. Un voisin italien nous avait donné les arbrisseaux à l’époque, habitués au températures méditerranéennes, mais faciles à acclimater dans nos contrées réputées froides.
D’ailleurs, cette fausse idée persiste : en cherchant sur le web des conseils pour tailler mes arbres, un jardinier professionnel indiquait que figues et kiwis, craignant le gel, ne pouvaient pas pousser dans le Nord. Rien n’est plus faux : il y a 10 ans, chez mon beau-père, à 50 m de chez nous, on commençait à cette saison à récolter en abondance les kiwis. De même, on ne compte plus dans le quartier les figuiers et même les bouquets de bananiers plantés en pleine terre. Nos connaissances du Sud croient ainsi qu’ils sont les seuls à bénéficier d’un climat agréable et nous gratifient avec gentillesse de photos de déjeuners en terrasse. La semaine dernière, nous avons pique-niqué au bord d’un étang, comme souvent d’ailleurs, mais je n’ai pas envoyé de cliché.
Les jardins, donc, entrent désormais au repos. Quelques fleurs de cyclamen (originaires de Corse, encore une belle acclimatation) résistent toujours, relayées par la floraison des bien-nommées roses de Noël. Une olive esseulée s’accroche à une branche. Je vais abriter mes arbres, mandarinier, oranger et citronnier. Le gros olivier ira se cacher entre deux lauriers et les géraniums vont passer l’hiver sous un appentis. Si j’ai du courage, je tondrai une dernière fois la pelouse, en évitant les orchis qui ont déjà sorti leurs feuilles pour le printemps.
En attendant, les merles picorent sans vergogne les figues que j’ai délaissées. Les mésanges font la course entre les branches du gros arbre de Judée. J’entends les dernières grues qui rejoignent dans leur migration le lac du Der. Elle passent à l’aplomb de ma maison, agglomérées en V mouvant, regardant le petit bonhomme et ses deux paniers de figues.
(22/11/2024)

 

Éric… Je ne sais pas manier la triste nouvelle. Tout me revient en vrac jusqu’à l’inéluctable. Et l’inéluctable est arrivé ce jour : on a retrouvé son corps dans la Méditerranée.
Il avait été question de sa disparition depuis deux mois. Il y avait eu l’attente, des échanges avec ses proches. L’espoir qu’on troquait entre nous pour se rassurer. L’avis de recherche avait précisé qu’il était dépressif. Hospitalisé depuis quelques mois, il a profité d’un retour chez lui un week-end pour partir soudainement un matin, sans rien d’autre qu’un short et un T-shirt. C’était un grand sportif, alors l’espoir justifié : un coup de tête pour s’enfuir sur les chemins de randonnée qu’il affectionnait le long de la mer. Oui, il allait revenir, il avait trouvé refuge chez quelqu’un, pour exprimer son mal-être. Il était affable, comptait de nombreux amis là où il s’était installé au soleil il y a quelques années.
Le hasard avait voulu qu’on se retrouve en janvier 2023, j’étais allé le voir dans sa belle maison neuve et nous avions passé deux excellentes soirées avec son épouse (note d’Étonnements du 18/01/2023). J’avais fini par oublier les problèmes de burn-out qu’il avait eu dans son travail, provoquant sa première dépression et son arrêt en longue maladie. Sourires, ardeur : encore maintenant les photos de lui m’apparaissent toutes riantes et dynamiques (merci infiniment, M, de me les avoir envoyées –je n’avais même pas pris une photo de nos rencontres, les seules que je possède sont des couchers de soleil pris sur la route qui menait chez vous). Nous avons ensuite continué à échanger les mois suivants par SMS. C’était l’époque de la sortie du film L’homme debout. Je lui citais les cinémas qui passaient le film dans sa région. Il me racontait sa vie, « Ici on se baigne tous les jours », « ce soir je joue en tournoi de tennis », des enthousiasmes, une vie tranquille et occupée en apparence : son dernier message date de la fin juin de cette même année.
C’est mon deuxième cousin à mettre fin à ses jours du côté paternel. Nous sommes 13 garçons et filles, vers nos dernières années de quinquagénaires pour les plus jeunes. En janvier 2012, Alain nous avait quitté à l’âge de 51 ans, beaucoup ne s’en remettront jamais. Et maintenant, idem pour Éric, dont la mère nonagénaire vit toujours (« on peut imaginer Steffy et ses dix-sept ans, entraînant sa mère Eva, toutes deux virevoltant entre la table et la cuisinière sur une valse ou un tango » – Yougoslave, livre cinquième (1930-1958) p. 465).
Paradoxalement, entre cousins, nous échangeons plus fréquemment depuis quelques années, alors que nos vies à construire nous avaient séparés pendant des décennies. Les liens se resserrent autour des inévitables pertes. Et sans doute sommes-nous plus sensibles aux épopées familiales, nous qui sommes grands-parents pour la plupart, nous qui avons envie de comprendre, de transmettre cette mémoire aux générations qui suivent. Ainsi, également du côté maternel (note d’Étonnements du 26/01/2024) : secrets anciens, mystères immatériels de nos parentés, comme l’immense plaisir de retrouver à Lyon ce cousin perdu dans les aléas familiaux.
Pour en revenir à Éric, c’est un choc et un grand vide pour moi. C’est drôle, j’ai toujours associé son prénom à la chanson plutôt gaie de Luna Parker Tes états d’âme, Éric, sans penser à la cruauté du jeu de mots ou aux paroles : « Le dictionnaire de mes souvenirs / N'a qu'une page, une seule rubrique/ Qui commence par ton absence ».
(15/11/2024)

 

Lundi matin, alors que je revenais de mon footing, j’ai aperçu une camionnette garée à côté de chez moi. Son conducteur était en train de changer une roue à l’arrière. J’ai attendu de reprendre mon souffle, de m’essuyer le visage avant de demander à l’homme accroupi et que je voyais de dos, s’il avait besoin d’aide : J’ai chez moi une clé en croix solide et pratique pour changer une roue, ai-je ajouté, en désignant ma maison.
Il s’est retourné et j’ai reconnu vaguement un des voisins du quartier. Il avait déjà changé la roue et il lui restait à fixer les boulons.
C’est pas de refus, déclara-t-il en me montrant la petite clé peu pratique qui fait partie du kit de réparation. Tout en terminant de visser sa roue, il m’a demandé si « j’allais m’inscrire pour le Goncourt » cette année. J’ai réalisé que nous nous étions déjà rencontrés il y a quelques années et que nous avions discuté littérature devant la camionnette de la boulangère.
On sait que je suis écrivain dans le quartier, les journaux locaux en parlent de temps de temps et les voisins retiennent parfois que j’ai déjà été nominé au Prix Goncourt (la question qui suit souvent, c’est « comment ça se passe, faut s’inscrire ? »). Donc « Non », j’ai répondu : Pas d’inscription cette année » (peut-être l’année prochaine si mon bouquin en instance finit par sortir).
La dernière fois que nous avions échangé, j’étais en robe de chambre avec mes sabots de jardin devant le véhicule de la boulangère. Cette fois, j’étais en collant de jogging, avec la sueur qui continuait à couler sur mon visage pour parler littérature avec le même voisin devant une autre camionnette avec une roue crevée. Et la prochaine fois ?
Il m’a chaleureusement remercié pour la clé en croix : Vous êtes bien équipé pour un écrivain !
(01/11/2024)


Nous étions à l’heure pour le concert et les artistes aussi. Cela se passait dans ma ville, dans le théâtre du XIXème refait à neuf et à nouveau opérationnel depuis de nombreuses années. Je me souviens d’une interview de Robert Charlebois, il y a quelques années, qui vantait la sonorité de ce petit théâtre à l’italienne de 300 places, situé juste en face de la mairie.
Les artistes donc, cette fois composés d’un quatuor et d’un soliste. Le spectacle promettait d’être agréable et amusant. En guise d’humour, le soliste donna le ton : railleries sur le public de cette petite ville, quolibets et ironie sur la province profonde, sarcasmes sur les tenues et les attitudes des spectateurs, sur l’absence d’un opéra, sur le théâtre « poussiéreux ». Probablement, l’artiste ne pensait pas à mal, juste à faire rire. Probablement suis-je trop susceptible, mais je dois dire que ces incessantes plaisanteries me hérissent désormais et me gâchent le plaisir de la représentation.
Car il n’est, hélas, pas le seul à tirer sur le ressort Paris-province et à utiliser ce genre d’humour qui consiste à se moquer. Il y a longtemps, une actrice de renom avait traité de « cons » les spectateurs, sous couvert de traits d’esprit. Il y a peu, un commentateur d’une station de radio nationale venue investir la ville, trouva délicat de saluer la population d’un certain âge par un bon mot sur le nombre élevé de dentiers parmi les spectateurs.
Ces saillies en disent longs sur le fossé qui sépare maintenant les « territoires ruraux » (comme on dit désormais) et la capitale ou les grandes métropoles nationales. Oui, le vieillissement de la population des campagnes est une réalité. Oui, le manque de moyens et de subventions diverses s’aggrave dans les départements faiblement peuplés. Oui, aller seulement à 200 km de Paris est une aventure lorsque les TGV n’existent pas et que les pannes de trains sont récurrentes faute d’entretien. Mais ce qui me pèse le plus, c’est l’indifférence affichée envers cette France à deux vitesses et les « campagnes en déclin » (pour reprendre l’expression du sociologue Benoît Cocquart).
Et ne croyez pas que cette inégalité de traitement soit une idée de droite, la gauche participe autant à cette posture de désintéressement, en y rajoutant ce persifflage si particulier, cité ci-dessus, et qu’elle imagine être la marque de son bon goût décomplexé : on est de gauche, on ne peut pas nous taxer de mauvaises idées. On ne s’étonne plus que les électeurs se tournent alors vers d’autres partis qu’ils imaginent plus respectueux de leur personnalité provinciale. C’est un leurre bien sûr, mais la responsabilité des choix politiques appartient pour beaucoup aux postures que nous rencontrons. J’ai assisté à un concert raté, pas grave, mais répété à l’envi, comment vais-je manifester prochainement mon agacement dans les urnes ?
(27/10/2024)


La mairie de Charleville s’apprête à célébrer ce dimanche 20 octobre, les 170 ans de la naissance d’Arthur Rimbaud.
C’est l’occasion de revenir sur les derniers témoins qui connurent le poète ou son entourage très proche, comme Monsieur Fricoteaux, le plus proche voisin de la ferme de Roche (où fut écrit Une saison en enfer) filmé par Pierre Dumayet et Pierre Desgraupes en novembre 1954 (probablement à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance un mois plus tôt). La séquence dure un peu plus de 2mn : grand moment de télévision !
Certainement âgé de moins de vingt ans à l’époque, le vieil homme se souvient d’Arthur, resté en convalescence à la ferme ardennaise après son amputation entre juillet et août 1891. Peu de réminiscences cependant : l’avoir vu se promener en calèche avec des chevaux « fringants » et porter un chapeau blanc. Le poète était resté un mois avant de repartir vers Marseille pour y mourir en novembre. A la question des parisiens, les pieds dans la boue : Et madame Rimbaud, vous vous en souvenez ? (sous-entendu, la « mother » d’Arthur), la réponse est immédiate : Ah ça oui ! avec un zeste de sarcasme qui en dit long sur la rudesse de la dame… Savoir aussi que Madame Rimbaud, dans sa toute dernière lettre à sa fille Isabelle le 9 juillet 1907 (donc, la sœur d’Arthur) parle « des Fricoteaux qui prennent tout le monde du village », déplorant l’absence de main d’œuvre pour les travaux de sa ferme. Elle mourra moins d’un mois plus tard, le 2 août.
Autre film réalisé dans cette même journée par nos deux journalistes, et qui corrobore l’image austère de la mère et de la sœur de Rimbaud, celui des 2 filles de Frédéric Rimbaud, le frère ainé d'Arthur, renié par sa mère. Témoignage implacable de la part d’Émilie Tessier, qui fut placée au couvent par sa tante et sa grand-mère, de même que sa sœur Nelly, Frédéric s’inclinant aux ordres des deux mégères. A noter qu’Émilie Tessier fût la grand-mère de Jacqueline Tessier-Rimbaud, présidente d’honneur très active de l’association des amis de Rimbaud, récemment décédée (note d’Étonnements du 07/07/2023).
(16/10/2024)

Cela fait plus de 40 ans que « je vais aux champignons », comme on dit, habitude plutôt héritée de ma belle-famille. Je me rappelle y être allé auparavant avec mon père, mais plutôt pour chercher les rosés des près. Ceux qui poussent dans les bois ont supplanté les récoltes issues du mycélium et, chaque année, à l’automne, je ne peux m’empêcher de penser aux conditions qui favorisent de bons ramassages : pluies suffisantes, un peu de chaleur quelques jours avant. Reste à trouver le temps d’y aller. Ces dernières années, j’y serai rarement allé, comme si, depuis le Coronavirus, cette vieille habitude avait périclité. Je me souviens de fantastiques paniers remplis de gros cèpes – car c’est surtout cette espèce qui monopolise nos balades forestières. J’ai encore quelques sacs au congélateur sans doute. Souvenirs donc, et le temps qui passe : mon beau-père à mes côtés aujourd’hui disparu, de même que Françoise et Titi (voir cette même rubrique le 21/09/2024), partis tous deux quelques mois auparavant : je ne manquais jamais de leur déposer un ou deux paniers.
Cette année, c’est la génération de leurs arrière-petits-enfants qui les remplace. Mon petit-fils commence en effet à nous accompagner dans la forêt. Et je dois dire, avec un certain succès. Il n’a pas son pareil pour dénicher des petits champignons, comme les trompettes de la mort, noires sur le sol sombre, qui plus est au crépuscule comme lorsque nous y sommes allés la dernière fois. Car cette années, point de cèpes, nous avons dû louper les bonnes semaines. Cependant, en plus des trompettes ébènes, nous avons trouvé des girolles d’un jaune flamboyants et de discrets pieds de mouton, au moins 15 ans que je n’en avais pas ramassés. Sans être un spécialiste des champignons, j’ai suffisamment traîné mes guêtres dans les bois pour savoir reconnaître les plus comestibles ou éviter de confondre les espèces maléfiques, comme la coulemelle avec sa proche cousine vénéneuse l’amanite panthère. C’est important, de même que nos contrées abritent l’amanite phalloïde de couleur verdâtre, obligatoire à reconnaître car elle est mortelle.
Autant dire que je prends mon rôle de grand-père très au sérieux, et je suis déjà éberlué par la manière dont un enfant, à moins de six ans, possède un sens de l’observation très sûr.
Bien sûr, ce sont les enfants de mes propres enfants, qui eux aussi, en leur temps, ont appris à reconnaître les bons champignons. C’est drôle, je pensais que la cueillette des champignons, le fait d’aller dans les bois était une attitude naturelle. Ma fille m’a démenti : elle habite une ville moyenne et tous ses amis sont de souche urbaine, sans aucune connaissance de la campagne. Ma génération a toujours vécu proche de la ruralité, grands-parents jardiniers, parents habitués à la terre, aux champs et aux bois. Beaucoup de mes copains de lycée étaient enfants d’agriculteurs et savaient traire les vaches. Une génération en supplante une autre, pourrait-on dire, mais pas le temps de glisser dans la nostalgie : des fricassées de champignons ou des omelettes nous attendent ! Et le petit dernier ne donnera pas sa part au chat…
(09/10/2024)

 

Bruxelles : j’aime cette ville, attaches affectives, familiales et désormais amicales puisque nous nous y sommes retrouvés, les copains carabins de mon épouse et les familles attenantes : 43 ans que nous nous connaissons et 32 ans de rencontres régulières, quasi-annuelles. Cette année, c’était à nous d’organiser et Bruxelles s’est imposé comme une évidence. Heureusement, la capitale belge offre de nombreux attraits, notamment son accessibilité pour ceux qui sont loin. Les marseillais et orléanais sont venus en train et les autres en voiture. Nous étions ainsi 14, tous issus du « canal historique ».
Retour aux sources pourrait-on dire. Les premières années accueillaient en plus nos propres enfants, qui, maintenant adultes, sont devenus amis entre eux et qui se voient indépendamment de nous. Grand plaisir cependant à se rencontrer chaque année ensemble, et à accueillir souvent plus de 20 personnes. Cette année, donc, 14 était un petit chiffre, car nos progénitures sont désormais parents, pour la plupart d’entre eux et c’est pour cela qu’il devient difficile de les réunir avec nous, les agendas sont difficiles à coordonner. Petit chiffre pour l’hébergement à trouver, donc, mais heureusement car il est complexe de trouver un logement commun pour accueillir autant de monde dans une capitale.
Après, tout s’est déroulé comme prévu, repas, visites planifiées, l’organisation doit être réfléchie au préalable, adaptée, certains se déplacent difficilement, un couple d’amis possède un chien, qui hélas, vieillit aussi.
C’est drôle et nostalgique aussi : cette année, nous comptions 11 sexagénaires sur 14 et nous avons plus évoqué les retraites à venir que les missions professionnelles en cours. Certains ont changé de voie, opté pour la fonction publique ou la Sécu, d’autres ont persévéré dans l’activité libérale. Au bout de 32 ans à faire régulièrement le point sur leur métier que tous aiment passionnément depuis leurs premières années de fac, un sociologue aurait matière à dresser un véritable panorama de l’exercice de la médecine en France, et comment, ceux qui sont concernés au premier chef, ont vécu trente ans de déshérence et de désertification.
Drôle aussi cette coïncidence que je leur ai soumise : j’anime un atelier d’écriture à la médiathèque de Reims (voir en Note d’écriture et page spéciale) juste en face de la fac de médecine (démolie depuis, puis reconstruite au même endroit), là où tout a commencé pour eux.
Mais hormis ces graves discussions, la joie de nous revoir prime, une véritable tendresse nous unit, avec nos manies incontournables, faire des contrepèteries et chanter des chansons paillardes à tue-tête. Il est à noter que nos enfants ont été élevés dans cette ambiance et qu’ils connaissent depuis leur plus jeune âge ces hymnes impudiques. Dans ce monde qui évolue outre-mesure vers le sérieux et la componction, peut-être aurons-nous à rendre compte de les avoir pervertis ainsi ? Honte sur nous…
(02/10/2024)

 

La pluie est arrivée d’un coup, une averse orageuse, violente. Il était dix-huit heures-dix-huit heures trente. J’ai regardé par la véranda, le toit des voisins laissait couler l’eau en cascade. La chanlatte débordait et se déversait dans mon jardin. J’ai pensé à leur Velux qui fuit parfois lorsqu’il y a beaucoup d’eau. J’ai vérifié mon balcon : pas de feuilles, ni de déchets capables de gêner l’écoulement (savoir que c’est de cette manière que mon bureau, situé en dessous, a été inondé en 2010 - un mal pour un bien : c’est à la suite de cet événement que m’est venue l’idée du roman Ils désertent).
Puis, au-delà du balcon, j’ai aperçu ce gros carton déposé par-dessus la grille contre ma boîte aux lettres. La pluie crépitait dessus, je suis sorti au plus fort de l’averse pour le récupérer. C’était un emballage spécifique de guitare, forme trapézoïdale irrégulière, facilement reconnaissable, Lorsque je l’ai déposé dans le garage, le carton imbibé d’eau s’est délité, laissant voir un étui en skaï noir, déjà mouillé, et ne laissant aucun doute sur son contenu. Je me suis dépêché de l’ouvrir et d’en extraire la guitare. Je l’ai essuyée, elle n’avait pas eu le temps d’être abîmée par la pluie. C’était un modèle classique, muni de 6 cordes en nylon. Je n’ai eu aucun mal à l’accorder. Elle avait dû être entreposée dans un endroit sec à l’abri de la poussière. L’étui était propre et contenait deux cordes de rechange.
Mais pour autant, aucun mot, aucune explication sur ce don. Personne n’avait sonné à la porte pour apporter ce paquet. J’ai pensé que quelqu’un, une connaissance de mon épouse peut-être, avait laissé cette guitare pour qu’on puisse ou l’accorder ou changer les cordes – c’est déjà arrivé avec un violoncelle ou des violons.
A son retour, je lui ai montré l’objet : Heureusement que je l’ai vu par hasard au plus fort de l’averse !
Elle avait l’explication : cette guitare appartenait à sa tante, Françoise, récemment disparue (voir cette même rubrique au 13/01/2024). Ses enfants sont en train de vider la maison, pas très loin de la nôtre, ils savent que nous connaissons des musiciens et que nous fréquentons le conservatoire. Ainsi, un cousin a déposé l’objet.
J’ai omis de dire que le mari de Françoise, Fernand (affectueusement surnommé Titi), lui a survécu seulement 4 mois : il est parti début avril après avoir fêté son 95ème anniversaire. C’est drôle de penser que leur maison, toujours ouverte à la famille et aux amis et qu’ils occupaient tous deux encore à la fin de l’année précédente, est maintenant déserte, destinée à être vendue, murée dans le silence de leur absence, avec cette guitare, qui fut probablement remisée au-dessus d’une armoire ou à côté d’un meuble dans l’incroyable capharnaüm dévolu à tous ceux qui ont occupé une maison pendant soixante ans sans rien y changer.
Par la même occasion, je me suis rappelé que Françoise avait appris la guitare. Je me suis souvenu d’une photographie où on la voit jouer à un Noël avec mon épouse et sa cousine. J’ai retrouvé le cliché, probablement pris au tout début des années 80. La fête familiale avait eu lieu dans la maison de mes futurs beaux-parents, ils venaient probablement d’y emménager (leur maison est vendue depuis longtemps : ma belle-mère est partie depuis 26 ans et mon beau-père depuis 11 ans).
Depuis que je l’ai accordée, la guitare reste sur le canapé de mon bureau. Je l’empoigne avant de m’asseoir devant l’ordinateur et d’écrire. Je joue toujours le même petit air de mon invention, composé pour l’occasion en arpège avec 4 ou 5 accords. Elle sonne bien, en harmonie avec les fantômes merveilleux qui nous hantent.
(21/09/2024)

 

Cet été, comme beaucoup, j’ai vécu quelques « instants olympiques » pour reprendre une expression sportive que nous partageons avec l’ami Delatour.
Il y a eu bien sûr les moments télévisés, donc passifs, même si les images étaient somptueuses, cérémonies d’ouverture, de clôture, épreuves à regarder (un peu plus complexe cette année : nous étions en Calabre et il a fallu quelques manipulations pour récupérer la télévision française).
Il y a eu auparavant le passage de la flamme dans ma ville, où nous avons soutenu une amie qui a eu la chance de porter le fameux flambeau. Très belle ambiance !
Plus actif cependant, il y a eu aussi l’atelier d’été sur le thème des J.O. où j’ai décliné les sports olympiques avec 70 jeunes pendant une semaine et 18 séances d’écriture.
Enfin, récemment, j’ai accueilli avec mon club Lions deux groupes qui se rendaient aux jeux paralympiques.
Le premier était composé de 7 hongrois qui s’étaient donnés comme défi de venir à Paris depuis Györ, leur ville dans ce pays (1700 km tout de même). Ils se sont déplacés en tandem (basique et sans assistance électrique), certains étant des déficients visuels. Un véhicule d’assistance muni d’une remorque complétait l’équipage. J’ai hébergé deux participants (avec une petite surprise pour l’un d’entre eux – voir en Note d’écriture). Nous les avons accueillis comme il se doit, avec du champagne au cours d’un dîner qui a réuni vingt personnes.
Le deuxième groupe venait de moins loin (de Still en Alsace, 500 kilomètres pour aller jusqu’à Paris), mais était plus nombreux : 26 participants d’un centre pour malvoyants, accompagnants compris. Hormis l’exploit sportif, on mesure mal la prouesse d’une telle logistique à mettre en œuvre : une demi-douzaine de véhicules de location, autant de tandems (modernes et électrifiés), sans compter le dépaysement et les contraintes d’accueil pour certains handicapés peu habitués à de telles échappées. Belle aventure ! Là encore, nous avons organisé un repas : nous étions cinquante… Le lendemain, je les ai accompagnés sur le chemin de Paris pendant une trentaine de kilomètres, muni d’un fanion au bout de mon vélo !
Bien entendu, tous ces beaux exploits nous ont donné envie d’aller nous rendre compte par nous-même de cette liesse des J.O. Je tenais particulièrement à voir les épreuves paralympiques : les athlètes qui y participent sont vraiment extraordinaires de dynamisme et de volonté. J’ai ainsi assisté à quelques finales d’athlétisme dans un stade de France comble et une ambiance formidable : javelot, poids, courses de 100m, 200m, 400m, 800m, saut en longueur… Là encore, cela démontre qu’on ne fait presque plus de différences entre J.O. traditionnels et ceux-là.
Cerise sur le gâteau, nous avons pu approcher de très près la fameuse vasque, qui représente la flamme olympique, mais qui, hélas, pour cause d’orage menaçant, s’est envolée vraiment trop tardivement.
Au final, j’aurai ainsi beaucoup participé à ces J.O. 2024. Ce n’était pas prévu au départ, mais je n’ai pas boudé mon bonheur et mon enthousiasme dans tout ce que j’ai entrepris. La joie et l’entrain étaient en partage et faisaient partout plaisir à voir. Tant pis pour les esprits chagrins qui nous incitent à revenir à une réalité plus tatillonne. Il me semble qu’après avoir prouvé qu’on pouvait regarder le monde autrement, on pourrait continuer avec le même ravissement, non ? Est-ce trop demander ?
(13/09/2024)

 

Reprise d’une note d’écriture publiée le 9/03/2011 :
« J’ai rencontré Charles Juliet deux fois ces derniers mois. La première fois, c’était à Manosque, en septembre dernier. Je suis venu lui parler à la fin de son intervention où il était venu présenter le sixième opus de son journal, Lumières d’automne [note de lecture du 09/03/2011]. Je l’ai revu le lendemain en compagnie de son épouse dans le hall de l’hôtel que nous partagions pour quelques banalités en attendant les navettes qui allaient nous ramener à la gare. La deuxième fois, je me suis contenté de l’écouter ainsi que Pierre Bergounioux pour une rencontre organisé par la MEL au Petit Palais en janvier dernier [Webcam du 02/02/2011]. Autant dire qu’il ne souvient pas de moi.
Surtout que, lorsque je lui ai parlé à Manosque, je me souviens avoir marmonné des choses sans intérêt, par timidité. J’aurais pourtant aimé lui dire ce que représente pour moi Lambeaux, par exemple, [note de lecture du 25/09/2002] et combien je l’ai évoqué avec passion à mon fils qui avait ce livre au programme de son bac de français. Il y a L’Année de l’éveil, bien sûr, [en note de lecture ce jour] et le livre d’entretiens menés par Rodolphe Barry et édité par Catherine Flohic, Charles Juliet en son parcours [note de lecture du 28/08/2002]et celui qui se trouve derrière-moi dans la bibliothèque à l’instant où j’écris, Charles Juliet, trouver la source, aux éditions Paroles d’Aube, avec cette étonnante photographie où il a un sourire lumineux. Je l’ai placé juste à côté d’un livre sur Samuel Beckett, publié chez Anatolia où le grand Sam, photographié par John Minihan, aborde un visage des plus austères. J’aime ce contraste et, bien entendu, juste à côté, pour relier les deux écrivains, il y a le livre de Charles Juliet, Rencontres avec Samuel Beckett, publié chez POL, et qui raconte les quatre visites qu’il a eues avec le prix Nobel entre 1968 et 1977. On peut mesurer combien il a fallu d’obstination, de sureté, de courage aussi pour oser aborder Samuel Beckett alors que l’écriture de Charles Juliet étaient encore dans les limbes. D’ailleurs il le reconnaît à sa première visite : « curieuse idée d’interroger celui qui n’est qu’interrogation ». Pourtant, les deux hommes se reconnaissent dans cette même quête d’absolu, ponctuée d’interminables silences où chacun va chercher aux tréfonds de son âme. Ce qui les réunit, c’est « cette flamme qui consume cette saloperie de logique » comme le dit Samuel Beckett et c’est la dernière phrase que rapporte Charles Juliet.
Et c’est ainsi, qu’à mon tour [à Manosque] je me suis trouvé aussi démuni en face de Charles Juliet que lui l’était en face du grand Sam. Que dire alors que des paroles aussi définitives ont été déjà prononcées ? Nous basons toute notre conversation dans les apparats, mais ici, rien de tout cela, je me sens nu comme un ver, exsangue, ma propre écriture me revient en pleine poire. Une photographie atteste de ce moment, elle a été prise par Patrick Box. On me voit en premier plan, courbant l’échine, mâchoire tombante, le regard cherchant un vague point au-delà des lunettes. Charles Juliet me fixe. Il a le même visage en forme d’aigle que celui de Beckett. Il tient ses lunettes dans une main, un stylo dans l’autre, comme abandonnés car toute son attention est tournée vers moi, les sourcils, les yeux sombres. Il attend. Je devrais parler, et sans doute que je parle, mais pour quoi dire. Il y a une chaise orange derrière nous, comme un siège d’enfant. C’est sans doute la photographie qui illustre le mieux ce que représente pour moi l’écriture, ou ce que j’essaie de retracer à travers ce site Feuilles de route et les trois rubriques principales, étonnements, notes d’écriture et de lecture. Notes d’écriture pour l’ahuri du premier plan, lectures et figures tutélaires comme Charles Juliet et le décor étonnant qui pénètre à chaque instant dans nos vies comme ce fauteuil incongru couleur de mandarine. »
(06/09/2024)

 

On le sait, nous aimons l’Italie. Après avoir écumé la Sicile pendant presque vingt ans, nous sommes partis dans la région des Pouilles il y a deux ans, et cette année, accompagnés de nos fidèles meilleurs amis, nous avions opté pour la Calabre en destination finale.
Mais auparavant, nous nous sommes arrêtés quelques jours à Naples, notamment pour revoir Pompéi, que nous avions visité vingt-cinq ans auparavant. Le site s’est modernisé, il est devenu plus propre, plus documenté, mais également encore plus envahi par les touristes. Le charme est devenu un peu plus artificiel (un peu comme lorsqu’on compare l’ancien et ne nouveau musée Arthur Rimbaud à Charleville), mais la visite reste belle même si on se sent plus distant, moins impliqué, plus « conduit » : rançon de la modernité… Naples en revanche demeure indomptable et vivante. Le musée national qui regroupe tous les trésors des fouilles antiques est toujours aussi vaste et impressionnant. A noter aussi un très beau tableau du Caravage dans l’église de Pio Monte della Misericordia.
Mais il est temps de nous enfoncer en Calabre, tout au fond de la botte italienne, à Pizzo précisément. Notre location se situe à 100 m de l’une des immenses plages qui bordent le côté méditerranéen. Ambiance familiale, flâneries, ici, on se sent en vacances. Nous devons être les seuls français de ce quartier et nous nous sentons vraiment italiens, nous vivons italiens : ristretto le matin, briocha et cornetto crema auprès de Flavio, notre boulanger qui sillonne les rues en voitures, tartuffo ou pizza pour dîner, baignades le matin ou le soir lorsque la température est moins forte. Visites bien sûr : Tropea dont la vue sur le Stromboli est magnifique au coucher du soleil, mais aussi de véritables coups de cœur dans l’arrière-pays, comme la magnifique chapelle byzantine à Stilo ou encore Rossano-Calabro, où on peut admirer un chef d’œuvre de Codex Purpureus.
Retour vers le Nord avec l’incontournable Ombrie et Assise où règne toujours une ambiance si particulière. Cette année, nous visitons Gubbio où Saint-François est devenu célèbre en apprivoisant un loup afin qu’il ne mange plus les habitants…
(17/08/2024)

 

684 votants, ou plutôt 684 enveloppes ouvertes, c’est le résultat de mon bureau de vote. Je suis allé voter assez tard dans ma ville, vers 17 heures. Je connaissais l’un des assesseurs, qui m’a proposé de revenir une heure plus tard, à la fermeture, pour aider au dépouillement. Ce que j’ai fait à la fois par curiosité et pour avancer un peu plus loin dans mon devoir de citoyen.
A l’heure dite, il règne une ambiance besogneuse. On reconnaît facilement les habitués qui s’affairent à dresser des tables et les novices comme moi, qui restent bras ballants, sans oser rien dire ni toucher. L’adjointe au maire me salue pour me mettre à l’aise. L’urne transparente est déjà vidée et on compte les fameuses enveloppes bleues par paquet de dix, puis on les verse dans de grandes enveloppes qui en contiennent cent chacune. Le total des enveloppes est comparé avec le registre des votants : les chiffres correspondent, on peut dépouiller.
Drôle d’ailleurs ce verbe et ce mot de dépouiller ou dépouillement, varié par ses sens différents : doit-on dépouiller quelqu’un ? le déposséder ? le spolier ? Est-ce un synonyme d’austérité ? de sobriété ? S’agit-il de délester, démunir, déposséder, dessaisir, dévaliser, enlever, escroquer, frustrer, lessiver, nettoyer, ôter, plumer, priver, ratisser, tondre, voler ?
Pas le temps de me poser des questions de vocabulaire, on m’installe à une table de 4 personnes, et très rapidement, on se répartit les rôles : l’un ouvre les enveloppes, saisit le bulletin et le passe à son voisin (moi) : je dois dire à haute voix le nom du candidat à la députation afin que les deux personnes restantes puissent le marquer d’un bâtonnet sur la feuille adéquate. Le rythme est assez rapide. On me passe les bulletins et j’attends de les avoir bien ouverts avant de prononcer le nom. J’empile ainsi quatre tas, autant que de candidats présentés dans ma circonscription. Et dire qu’avec les européennes, il fallait en répartir une trentaine ! De temps en temps, un bulletin blanc apparaît, c’est-à-dire une enveloppe vide, ou un bulletin nul, généralement un papier avec une mention écrite dessus. Plusieurs fois, j’ai droit à deux bulletins collés étroitement. L’un des candidats a, en effet, utilisé un papier très fin. La consigne est claire : le bulletin en trop est détruit.
Nous avançons ainsi, par enveloppe de cent. A la fin de chaque enveloppe, on recompte le total par candidat, bulletins nuls et blancs. S’il y a une différence entre les deux comptables et leurs petits batônnets, on doit tout recompter.
Au total, à ma table, j’aurais prononcé un peu plus de trois cents noms, dont cent cinquante fois le nom de la députée RN sortante (ce qui explique peut-être le mal de gorge que j’ai eu le lendemain). Celle-ci sera réélue au premier tour avec 57% des voix.
Malgré les explications de circonstances, il faut bien se rendre à l’évidence, difficile de n’y voir qu’un vote protestataire : la participation était en hausse et plus la moitié de mes concitoyens a voté pour elle, donc, forcement quelques voisins, la boulangère, le cafetier, le garagiste, l’artisan du coin, tous par ailleurs éminemment sympathiques…
Le fait d’avoir participé au dépouillement m’a probablement aidé à accepter le vote des urnes : aucune triche, un système bien rodé, ce qu’on appelle la démocratie. Comment sentir dans ces conditions qu’elle est en danger ? Et pourtant, je me sens délesté, démuni, dépossédé, dessaisi dévalisé, enlevé, escroqué, frustré, lessivé, nettoyé, ôté, plumé, privé, ratissé, tondu, volé.  
(02/07/2024)

 

Je suis très fleur bleue, on le sait, et particulièrement lorsqu’il s’agit d’orchidées. Ceci dit, elle sont plutôt multicolores lorsqu’elles fleurissent aux printemps dans ma véranda (voir en Webcam). Cette année, le rendez-vous, il me semble, a été plus tardif mais certaines corolles ne donnent encore aucun signe de fatigue. D’autres, en revanche, périclitent soudainement : un phalaénopsis, particulièrement florifère est passé de vie à trépas en l’espace de 3 semaines sans qu’aucun signe avant-coureur ne s’annonce. D’autres dépassent trente ans d’âge, comme le seul ludisia de ma collection, qui propose chaque année une vingtaine de tiges florales, ou les deux cymbidiums de plus d’un mètre d’envergure et qui passent six mois au jardin. Les dendrodiums, dont je vantais la floraison l’année passée se reposent depuis (voir même rubrique les 01/02/2023, 24/03/2023 et 14/04/2023). Il faudra probablement que je rempote de nouveau l’epidendrum jamiesonis originaire de l’Equateur, qui poursuit sa croissance folle et ses floraisons en tous sens. Sa cousine de Colombie, rapportée l’année passée, s’acclimate plus lentement mais j’espère sûrement. Ma collection a aussi augmenté avec un paphiopedilum jaune, du plus bel effet.
Enfin, il faut souligner cette année, la floraison exceptionnelle des orchidées de nos régions (il y en a, si, si), notamment celle des orchis boucs, particulièrement nombreux cette année : j’ai admiré une centaine de pieds, particulièrement géants, sur une pelouse de ma ville. J’en ai eu aussi dans mon jardin, ainsi qu’un pied d’ophrys abeille, qui termine en ce moment sa floraison. Cependant, hier, en me promenant, j’ai aperçu sur un talus, toujours en pleine ville, un spécimen exceptionnel qui atteignait 70 cm de haut, alors que cette frêle petite plante ne dépasse généralement pas une trentaine de centimètres.
(19/06/2024)

 

Le dernier dimanche de mai, j’ai couru les 20 km de Bruxelles pour la troisième fois. La première fois date de dix ans, et j’étais arrivé devant le roi des Belges en 1h54.
C’était le bon temps, j’avais enchaîné les courses cette année-là, un record perso au 10 km, un semi-marathon, des trails longs de 24 et 35 km et même une course de 43 km dans la montagne de Reims avec 1000 m de dénivelé. L’entrainement allait de pair, pas moins de 1500 km parcouru en 2014.
La deuxième fois eut lieu en 2018, je préparais un marathon pour mes 60 ans, et la moitié de la distance mythique à Bruxelles fût accomplie en 2h10. Je m’étais entrainé encore à raison de 1000 km pendant cette année, avec bien sûr le fameux marathon accompli sous une chaleur caniculaire.
L’année suivante, en 2019, faute de défis suffisants, j’ai parcouru 750 km (seulement), histoire de me préparer à la centième édition de Sedan-Charleville, 24 km tout de même, accompli à un train de sénateur.
On connaît la suite : le Covid en 2020 (que j’ai attrapé parmi les premiers), l’annulation de tous les déplacements et compétitions, c’est donc deux ans plus tard qu’une vie sportive à peu près normale a pu reprendre pour le petit monde de la course à pied. Trop tard pour moi, difficultés familiales, contretemps divers à partir de 2021 : résultats, en 2022, j’avais couru seulement 165 km, ce qui correspond à un à deux footing par mois.
En 2023, j’ai voulu reprendre l’entrainement, histoire de renouer avec la course des 10 km de ma ville (voir dans cette même rubrique le 03/06/2023). Évidemment, ça n’a pas été brillant. Mais l’envie était repartie et je me suis lancé le défi de courir à nouveau en 2024 les 20 km de Bruxelles, d’autant plus que mon fils et ma belle-fille font partie des volontaires pour la course et avaient la possibilité de me remettre ma médaille de finisher à l’arrivée !
Dont acte, je me suis remis sérieusement à l’entrainement, et, lorsque j’ai pris le départ, j’avais déjà 500 km dans les pattes depuis janvier. A quasi 66 ans, trois fois grand-père désormais, j’ai mis les chances de mon côté, cardiologue, épreuve d’effort, sorties longues de plus de 15 km une fois par semaine. Bien-sûr, le temps a fait son œuvre et j’ai perdu quasi 2 kilomètre/heure en vitesse, mais je me suis accroché, j’ai récupéré sans fatigue ma distance moyenne de 10 km à chaque sortie, j’ai retrouvé mon poids de forme et j’ai repris avec un plaisir infini des trails de 2 heures dans les bois, sentiers montant et descendant sans m’arrêter de courir, ce qui ne m’était pas arrivé depuis 6 ans.
Le jour de la course, j’étais fin prêt au milieu de 45000 participants ! Une pluie soudaine et brutale a tenté de dissuader les plus téméraires au moment du départ, mais elle n’a pas duré longtemps. Avec une telle foule, il m’a fallu piétiner pendant une demi-heure avant de rejoindre la ligne de départ. Mais, dès les premières foulées, j’ai senti que ce ne serait pas mon jour : jambes lourdes, fatigue, le dernier entrainement, deux jours auparavant, était de trop, sans compter les 1500 km en voiture accomplis en une semaine, Nantes puis Bruxelles, tout cela a dû jouer… J’y suis donc allé doucement, sans toutefois m’arrêter un seul instant de courir. J’ai passé la ligne d’arrivée au milieu du peloton, m’offrant même le luxe de sprinter pour garder ma place et tenter d’en dépasser quelques-uns. Au final, j’ai mis trente minutes de plus qu’en 2018. Cette fois-ci, je suis arrivé, paraît-il, avant la reine de Belgique. Mais surtout, j’ai eu l’immense plaisir d’avoir ma médaille remise par mes enfants, ce qui n’était pas gagné d’avance, encore fallait-il les trouver au milieu de la foule. De cet évènement, il reste des photos en Webcam où on me voit courir en T-shirt orange. Mais c’est déjà presque du passé, car l’entraînement a repris.
(09/06/2024)

 

J’ai passé dix-neuf étés en Sicile, mais je n’étais jamais venu en Sardaigne. L’erreur est maintenant réparée. Au triangle de la Sicile a donc succédé le rectangle sarde. D’une superficie quasiment égale, les deux grandes îles surprennent toujours le voyageur, persuadé dans son imaginaire que des terres entourées d’eau forment un espace clos et homogène dans lesquelles on tourne facilement en rond. Evidemment, on se rend compte dès l’arrivée de l’erreur de ce jugement. Il faut une journée de voiture pour aller du Nord au Sud, la succession des reliefs empêche de se repérer ; la mer apparaît et disparaît aussitôt dans un jeu de cache-cache.
L’île sarde est moins montagneuse que la Sicile et le dôme volcanique de l’Etna n’a pas d’équivalent là-bas. Beaucoup moins escarpée que la Corse toute proche, elle paraît ainsi moins sauvage. Grande différence aussi avec sa cousine française, l’accueil est plus chaleureux, moins fier (au risque de déplaire à la fibre patriotique héritée de Napoléon). La gentillesse et la convivialité sans manière des habitants, qui se mettent en quatre pour vous renseigner, vous satisfaire est en revanche partagée avec la Sicile.
Nous étions basés à Carbonia, qui, comme son nom l’indique, doit sa réputation à l’extraction de charbon. Fondée par Mussolini à la fin des années Trente (voir cette archive sur l’inauguration de la ville en 1938). La cité a gardé de cette époque noire une architecture carrée et des rues rectilignes, on se croirait par moment dans le décor du très beau film d’Ettore Scola Une journée particulière. La presqu’île de Sant'Antioco, toute proche, assurait les échanges par voie maritime.
Aujourd’hui, l’activité minière est réduite et la presqu’île est un lieu paradisiaque où se succèdent les plus belles plages d’Italie, à mon avis, plus variées qu’en Sicile et réparties sur un mouchoir de poche.
Evidemment, la saison touristique, qui n’avait pas commencée, nous a permis d’apprécier sereinement des endroits quasi déserts. C’est à regret que nous avons pris le bateau du retour de Porto Torres à Toulon, mais cette parenthèse de dix jours nous a permis de renouer avec la « dolce vita » à l’italienne avant de reprendre nos vies effrénées.
(02/06/2024)

 

On va encore dire que je tape sur la SNCF. Effectivement, lorsqu’on inscrit le fameux sigle sur le moteur de recherche de mon site, on trouve 19 occurrences et pas un seul article flatteur pour la firme nationale des trains. Mais soyons clair, je n’ai rien contre les cheminots, j’ai juste une dent (et même plusieurs) envers ceux qui permettent la déliquescence de ce service public. Je ne connais pas de meilleur indicateur de l’abandon des politiques d’aménagements des territoires. D’un côté, des villes (pardon, des territoires urbains) devenues hors de prix mais reliées à la capitale par des TGV rapides ; de l’autre, des campagnes (pardon toujours : par mimétisme, nos élus, même locaux, utilisent le vocable de de territoires ruraux) aux loyers abordables mais dont l’isolement se renforce à travers une offre de tortillards qui se rétrécit d’année en année.
Il existe des carte en anamorphose, qui déforment l’hexagone en fonction des heures de trajets ferroviaires. Rennes devient ainsi artificiellement à proximité de Paris avec un trajet de moins d’1h30. Quant à ma ville, dont la proximité avec la capitale est 120 km plus proche que Rennes, il faut 1h de plus avec un Intercité. Mais ce n’est pas cela le plus grave : j’ai compté 40 trajets directs aller/retour Rennes-Paris pour une journée normale, et seulement 8 pour la même journée chez moi.
A quand une carte en anamorphose mêlant nombre de trains et temps de trajets ?
Récemment, le jeune maire dynamique de ma ville a inauguré en grande pompe la place de la gare refaite de manière attractive et touristique pour que les usagers du train découvrent notre cité sous un angle seyant. Hélas, combien de touristes débarquent ici. Ceci dit, il paraît que le voyage « vintage » est très tendance.
Ici, ils sont servis : avec une offre aussi restreinte et de vieux TER à wagons Corail, les pannes sont forcément très fréquentes et les retards nombreux, quand les trains ne sont pas purement et simplement annulés ou remplacé par des bus. Les deux derniers visiteurs qui sont venus chez nous en train ont connu, l’une un retard d’une heure, l’autre d’une cinquantaine de minutes. Je n’ose plus dire aux gens de préférer la voiture, c’est plus sûr, mais c’est mal vu en ces temps de biodiversité et d’emprunte carbone à tout va. C’est aussi pour cette raison que je n’ai pas proposé une avant-première avec l’équipe du film au grand complet lorsque L’homme debout est sorti il y a un an. Je ne voulais pas connaître la honte d’une organisation aléatoire…
Aujourd’hui, après avoir exigé de l’usager l’achat un billet valable un seul jour (comment on fait lorsque le dernier train est supprimé ?), la SNCF va nous obliger désormais à une réservation préalable et obligatoire pour notre ligne. Le communiqué officiel sur ce changement est cynique, c’est « pour offrir une expérience de voyage optimale ». C’est surtout pour compter le nombre de voyageurs et diminuer encore l’offre car la réalité est celle-là : on n’ose plus partir en train de ma ville, c’est véritablement devenu une aventure digne d’un trajet du transsibérien : vous partez, mais vous ignorez quand vous arrivez…
Mais désormais, à la fin du voyage vous pourrez toujours raconter à vos amis « cette expérience de voyage optimale » pour venir dans ma région ou en repartir par le train.
(12/04/2024)

 

J’avais espéré, comme tous les ans, quelques journées hivernales avec de la vraie neige. Hélas, mes dernières photos sous le blanc manteau datent de cinq ans. Est-ce un effet du réchauffement climatique ? Toujours est-il que, depuis quelques années, les quatre saisons n’existent plus que chez Vivaldi. Ici, c’est saison grise ou saison bleue, une simplification qui tend à lisser les mois d’hiver dans un prolongement d’automne, et la période d’été dans une continuité de chaleur pendant presque cinq mois. Deux saisons donc, la grise, en référence aux nuages coutumiers, températures de 10° dans la journée, s’étale de novembre à mai, et la bleue, plus clémente et parfois caniculaire, dépasse 20° entre juin et octobre. En dehors de ces plages, quelques incursions d’hiver obligent tout-de même à rentrer les plantes pour éviter de rares gelées, et de brèves journées de printemps laissent éclore trop tôt les jonquilles et les lilas avant que de brusques chaleurs ne viennent tout griller. Saison grise et saison bleue, l’une en pantalon et en chandail, l’autre en short et en T-shirt. L’une avec la chaudière qui se met en route, l’autre avec les persiennes fermées à midi pour éviter la chaleur. Bien sûr, cela empire, les statistiques météorologiques sont impitoyables : les premières années de la décennie 2020 battent les records de la décennie précédente. La canicule de 2003 est aux oubliettes et celle de 1976, encore présente chez les plus de cinquante ans, fait figure d’année presque fraîche.
Que nous réservera l’été 2024 ? Ou plutôt la saison bleue…
(04/04/2024)

 

La photo représente un camion et la mention « Emmental du plateau » est inscrite sur la remorque frigorifique. C’est celui que conduisait mon père. J’ai retrouvé ce cliché pour le montrer à mon petit-fils qui me demandait quelle sorte de camion conduisait son arrière-grand père. Il ne l’aura pas connu longtemps, il n’avait même pas un an lorsqu’il est parti et il va avoir cinq ans bientôt. Depuis, la photo est sur mon bureau, là où j’écris ces mises à jour de FdR.
Elle a été prise devant le petit immeuble où mes parents ont habité jusqu’en 1980. Moi, je suis parti deux ans avant pour faire ma vie tout seul, à pile-poil vingt ans. La photo date de l’été, ou plutôt d’un début d’automne : les ombres sont longues et les feuilles déjà presque jaunes. La végétation à l’arrière-plan est rousse, comme brûlée : ce pourrait être à la fin de cette canicule de 1976, ce qui veut dire que mon père avait à l’époque vingt ans de moins que moi maintenant (vertigineux).
Le tracteur du camion ressemble à un Saviem. Il a une « cabine avancée », comme on disait alors, ce qui laisse un espace pour une couchette derrière les sièges. Auparavant, il y avait eu ce fameux Berliet, dans lequel il dormait sur les sièges ou accoudé sur le volant et sur lequel je pose fièrement en sa compagnie. Après, il y aura des Volvo 12 cylindres, des Mercedes, un temps à transports intensifs qui le laissera fatigué à l’heure de sa retraite, le dos brisé par les cahots. La mention « Emmental du plateau » aura disparu des remorques, on chargera dedans toutes sortes de produits. Est-ce que cette inscription existait toujours ce soir du 9 mai 1981, lorsqu’il m’avait ramené en camion à la capitale où je travaillais alors ? Nous écoutions les résultats les élections à l’autoradio ; j’étais content, pas lui. Était-ce dans ce même Saviem que mon cousin Philippe se souvient avoir été en direction de Paris avec moi ? (Il me l’a rappelé récemment, j’avais oublié). Nous étions partis acheter nos guitares chez Marcel Dadi (qui décédera en 1996 dans l'accident du vol TWA 800 après son décollage de New-York). Il a revendu la sienne, j’ai toujours ma Morris, datée de 1976, une folk japonaise qui sonne admirablement bien.
Je suis repassé en août 2018 à côté de l’entreprise qui fabriquait le fameux « Emmental du plateau », sous forme de meules de gruyère de 70 kg, grandes comme des roues de camion. Les caves d’affinages ont subi bien des restructurations, groupe Entremont et autres, le lait y est apporté pour être transformé, ce qui fut le premier métier de mon père, avant que le transport ne soit organisé et qu’il parcourt alors toute la France pour livrer ces fromages. Grande joie pour moi d’avoir aperçu ces lieux connus, juste en bas de ma ville natale cernée de remparts. J’y suis arrivé par le canal que j’ai longé en vélo cet été-là pour aller rendre visite à mes parents (130 km tout de même). Ils n’habitaient plus le petit immeuble devant lequel le camion « Emmental du plateau » avait été photographié. Ils avaient fait construire, à huit kilomètres de là, une maison dans un village. Ils terminaient alors en 2018 leurs dernières années d’octogénaires, j’ai pris ce jour-là une photo qui m’émeut à chaque fois que je la regarde. Ce fût le dernier bon souvenir de l’endroit où mes parents vécurent ensemble pendant 40 ans.
(22/03/2024)


Cette année, cela fera 10 ans que j’ai publié Faux nègres chez Fayard. Le titre de ce roman est inspiré d’une citation d’Arthur Rimbaud, extraite d’Une saison en enfer et que j’ai placée en épigraphe de mon roman : « Vous êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es nègre ; empereur, vieille démangeaison, tu es nègre : tu as bu d'une liqueur non taxée, de la fabrique de Satan. ». En réalité, j’avais le désir d’accoler au fameux parti raciste d’extrême droite, qui s’appelait à cette époque le FN, cette locution forcément dérangeante en guise de titre : Faux Nègres.
D’ailleurs, ce titre est-il devenu obsolète en plus de ses initiales révolues ? En 2020, les Dix Petits Nègres d’Agatha Christie, ont été renommé Ils étaient dix dans la version française pour dénoncer cette vieille expression contemporaine de Rimbaud et de l’époque coloniale, devenue désormais péjorative. Faudra-il que je renomme mon roman Ils étaient faux ?
Mais je tiens à ce titre, car, comme souvent, les titres ont plusieurs sens : mon histoire mettait en jeu un journaliste improvisé, parachuté dans un village qui votait à outrance pour le FN, un « faux » reporter donc qui joue le rôle d’un vrai « nègre », au sens littéraire, chargé de récolter les paroles des habitants.
Dix ans après, La FN a changé de nom, en pariant sur l’absence de mémoire politique des citoyens. Ça fonctionne en apparence : le parti fait tout pour se doter d’une nouvelle virginité, cadres jeunes et lettrés, mais, en revanche, le programme raciste, catho intégriste et anti-républicain demeure le même. C’est pourquoi je persiste à le nommer dans son ancienne appellation.
A l’époque, mon roman était parti d’une exaspération : la cheffe du parti s’arrogeait le droit de venir comme une chatelaine de l’ancien régime dans un village à 20 km de chez moi pour chaque rentrée politique. Pourquoi ce village plutôt qu’un autre ? Tout était parti de là. Et grand plaisir pour la parution du roman, d’avoir pu le présenter à Hénin-Beaumont, commune nouvellement acquise par le FN, à Chaumont avec le libraire et éditeur Francis Zahn (dont le père fût résistant) à deux pas de la permanence du parti. Grand plaisir aussi d’avoir énervé Bruno Gollnisch, toujours éminence gris foncé de cette droite, qui écrit que j’ajoute mon « petit caillou à l’édification du roman antinational ».
Tout cela était bien réjouissant d’autant plus que la cheffe à « allure de poissonnière » (Faux nègres, p. 313) a fini par se lasser de venir dans ma campagne, mais hélas, les crispations continuent : mon département est le seul à avoir 100% de députés d’extrême droite (2 seulement, mais 2 de trop). Ajoutons aussi, dans le tissu local, un indéboulonnable sénateur LR qui traine ses casseroles depuis 23 ans, lequel s’est joint à eux pour voter contre l’inscription de l’IVG dans la constitution.
Bref, il faudrait que je refasse un petit opus sur les Renégats Nouveaux à la Rancœur Néfaste, il y en a pléthore, de la matière à Roman Noir.
(15/03/2024)

 

Escapade parisienne, touristique pourrait-on dire : rien de prévu, hormis un rendez-vous administratif le lundi. Donc on joue aux touristes : quelques magasins le samedi et la pluie qui nous réfugie aux Halles. Le dimanche, concert classique à la Maison de la radio, la Tour Eiffel est toujours là, on nous bassine avec les J.O. jusque devant, mais l’accueil n’est pas gagné : un espace dévolu à Paris 2024 reste fermé malgré l’heure d’ouverture et les hôtesses acariâtres nous toisent lorsqu’on veut y pénétrer. Et puis la saleté est partout : papiers gras, bouteilles, déchets divers qui stagnent dans les flaques, crottes de chien (2 fois sous les semelles) (ça promet pour les jeux). Heureusement, le concert est de haute volée (quatuor de Bacewicz et la fameuse truite de Schubert dans son quintet original) et, après le repas, la maison de Balzac adoucit les mœurs avec une très belle expo croisée Daumier/Balzac (où on s’aperçoit que les caricatures parisiennes du XIXème sont d’une cruelle actualité). Lundi, rendez-vous prévu, puis rue de Rivoli, la Samaritaine (hélas, Henri Plantin, vendeur au Rayon pêche dans Paris au mois d’août de tonton Fallet n’est plus qu’un souvenir poétique). J’enchaine par un autre temple de la consommation aux Galeries (Décor) Lafayette (pensé à Anne Savelli). Les touristes chinois sont de retour, les vendeuses asiatiques en grand nombre. Je suis allé pour la première fois sur la terrasse (pensé à Jules Védrines qui y posa son avion en 1919 !). Le soir Issy et ristorante italiano. Il pleut toujours des cordes. Derrière moi (je suis le seul à la voir) une consommatrice esseulée, très jeune, – en stage ? formation ? trop jeune pour être VRP et d’ailleurs le métier n’existe plus – mange son repas et vide consciencieusement un demi litre de vin les yeux rivés sur son portable. La serveuse (italienne), aimable et efficace, nous offre à la fin du limoncello (- gracie - prego). Fin de l’escapade parisienne. Je rêve maintenant de Sardaigne et d’Italie.
(01/03/2024)

 

Du nouveau chez Rimbaud cette année.
Passons bien-sûr sur les fausses images du poète générées par IA, qui sont anecdotiques. Il y en aura d’autres, n’en doutons pas.
Attardons-nous d’abord sur le Cahier de Douai qui a été choisi pour représenter la poésie du XIXème siècle au programme du bac de français 2024. On nomme ainsi deux liasses manuscrites sur lesquelles sont recopiés les premiers poèmes du jeune Rimbaud, alors âgé de 16 ans en 1870. Y figure notamment Sensation et Le Dormeur du val. Arthur s’était enfui à cette époque de chez lui pour Paris, mais, sans un sou, il est arrêté. Pour le sortir de ce mauvais pas, il contacte son professeur de Français Georges Izambard, qui habite Douai et qui le recueille là-bas. Revenu à Charleville, il refait une fugue un mois plus tard et repart directement à Douai. Là-bas, il a rencontré le poète Paul Demeny, habitant également cette ville, et qui vient de publier un recueil Les glaneuses. C’est lui qui sera destinataire du Cahier de Douai, donc, de la vingtaine de poèmes recopiés qu’Arthur dépose chez lui avant de rejoindre Charleville où sa mère attend de pied ferme le galopin… A noter que Rimbaud avait demandé à Paul Demeny de détruire les poèmes qu’il avait recopiés. Ce dernier n’en fera rien : ouf ! (il paraît que Le Dormeur du val n’est connu que par ce biais).
Mais hormis cette programmation au bac de français par l’Éduc Nat, la véritable nouveauté cette année concerne quatre documents, dont trois offerts au musée de Charleville-Mézières par un mystérieux donateur.
Ce don fait suite à une vente effectuée par la maison Piasa à Paris en décembre dernier, vente dans laquelle la ville de Charleville-Mézières fera l’acquisition pour 78 000 euros d’une lettre écrite en février 1891, et où le poète racontait le début de sa maladie. Au cours de cette même vente, la municipalité n’avait pu acquérir le manuscrit du poème L’Eternité, car son prix avait atteint 700 000 euros.
Cependant, beau lot de consolation, au cours de ces mêmes enchères, avaient été vendues deux autres lettres d’Arthur, l’une à sa mère, datée de 1883, l’autre à sa sœur écrite en juin 1891, ainsi qu’un poème (« Ce qui retient Nina ») recopié par Verlaine en 1880. Et le mystérieux acquéreur les a offerts à la ville pour son musée Rimbaud.
Ce legs, d’une valeur de 280 000 euros tout de même, a été remis le week-end dernier. Pour l’occasion le musée a été ouvert gratuitement. On a ainsi pu connaître le nom du généreux mécène : il s’agit de l’entrepreneur Pascal Urano, ex-joueur, entraineur et président du club de foot de Sedan. Son attachement pour les Ardennes l’a conduit à offrir ces documents inestimables. Son rêve serait qu’une Fondation Rimbaud voit le jour, à l’exemple, dit-il, de la Fondation Guggenheim installée à Bilbao et qui a su redorer l’aspect culturel de la ville portuaire.
Si Charleville n’a pas la dimension de la ville espagnole, elle possède néanmoins beaucoup d’avantages comme la proximité de la Belgique et une passion certaine pour le fameux poète, immanquablement associé à la vie ardennaise. Alors, à quand la fondation Rimbaud ?
(23/02/2024)

 

Pour faire suite à mon inventaire télévisuel de la semaine dernière, pas fait depuis 15 ans, voici le panorama des entrailles de mon smartphone, représenté par le fameux « temps d’écran ». Je ne suis jamais penché dessus auparavant, mais il est vrai qu’en 15 ans, nos téléphones portables se sont mués en outils indispensables.
Je n’ai pas succombé tant que cela au prolongement inconditionnel de l’écran tactile. Il n’est pas greffé en permanence à ma main, ni tendu devant mes yeux lorsque j’arpente les trottoirs, ni préféré aux conversations de restaurant dont l’usage place les couples en tête à tête dans des bulles hermétiques. Il me faut toutefois anticiper les utilisations de mes voisins, faire gaffe aux lycéens qui traversent les yeux rivés sur la lueur magique, deviner l’automobiliste obnubilé par son téléphone, m’énerver devant les sonneries intempestives en plein concert ou au milieu d’une réunion.
Ceci dit, je continue à utiliser des ordinateurs portables ou de bureau, une tablette, d’autres machins qui diversifient l’utilisation de mon smartphone. Mais voilà : le petit rectangle plein de technologie est presque toujours à ma proximité (en ce moment, posé sur mon bureau à 10 cm de ma main gauche, prêt à être saisi). Je le prends en permanence, je l’enfourne dans une poche, il me suit partout, comme une proéminence physiologique, disponible à l’emploi. Il remplace les montres que je ne porte presque plus, il m’invite à chercher en permanence un signe extérieur qu’on m’aurait adressé, une notification WhatsApp, un nouveau mail reçu. Parfois même je reçois un appel téléphonique…
J’ai cependant récemment changé de mobile : le nouveau a un appareil-photo hors pair dont la technologie n’a rien à envier avec les bons vieux Reflex amateurs : facile, un évènement familial, un voyage, une excursion, clic-clac Kodak, le cliché est transféré, partagé en moins de deux minutes.
Tout cela bien sûr augmente le fameux « temps d’écran », qui a envoyé aux oubliettes le « temps de cerveau disponible » réservé à la télévision. Il paraît que le temps moyen d’écran sur smartphone est d’environ 5 heures par jour, hors activité professionnelle, durée qui a presque doublé en 10 ans.
Récemment, démonstration a été faite à une adolescente de mon entourage qui se plaignait de maux de tête, d’un temps d’écran de 53 heures par semaine. La palme d’or du temps d’écran revient à l’emploi des réseaux sociaux. Bien entendu, cette comptabilité alimente les aigris de tous poils, vieux ou jeunes, adeptes du « c’était mieux avant » et pourfendeurs du progrès. Mais les réseaux sociaux sont devenus indispensables, mêmes chez ceux (j’en fais partie) qui continuent à refuser les X-twitter, Facebook, Insta ou TikTok. Bien-sûr, j’ai installé WhatsApp, ne serait-ce que pour pouvoir téléphoner en Belgique fréquemment ou partout dans le monde occasionnellement, et je fais partie de groupes familiaux, amicaux, associatifs.
Du coup, mon temps d’écran - au demeurant plutôt faible : moins de 2h par jour – est dévolu pour moitié à la catégorie « réseaux sociaux » via WhatsApp (avec quelques incompréhensions toutefois : pourquoi 40 mn de temps de connexion à cette application entre 12 et 13h hier, alors que mon portable était loin de moi ?). Un quart de mon temps d’écran est aussi réservé à mes mails, et le reste à la gestion de l’Agenda, à l’utilisation de la calculette, consultation de la météo, GPS, lampe torche et autres utilitaires. Car – et c’est la grande force de l’outil -, le machin sert à tout, au point qu’il est devenu illusoire de vouloir gérer ses déplacements ou les actes de la vie courante sans smartphone.
Mais surtout sans Internet ; une récente étude a conclu que notre temps sur le Web est de 2 heures par jour (les trois-quarts réalisés sur mobile). En effet, la moindre démarche requiert Internet. On sanctionne même ceux qui le refusent par des complications supplémentaires, voire une impossibilité de bénéficier de services. Tous les organismes (impôts, sécu, mutuelles et autres obligations légales) imposent désormais une accessibilité à tout moment, pour tous les citoyens, y compris pour ma mère de 95 ans, qui se désintéressait déjà des avancées techniques à l’époque du Minitel.
Notre téléphone de poche sert donc à tout, rarement à téléphoner – ce qui est un comble.
Un silence pesant tend ainsi à remplacer la conversation, le dialogue. Nous l’avons tous vécu : silence devant une requête administrative, silence devant une réclamation, silence devant l’absence de réponse, silence devant l’insupportable attente d’un accusé de réception, d’un mail ou d’un message.
Temps d’écran en hausse ? On préfère se gausser de l’utilisation abusive des réseaux sociaux, mettre l’accent sur les influenceurs, les trucs qui font le buzz, plutôt que de remarquer la hausse de l’absurdité des demandes numériques indispensables à nos vies.
A l’heure où on parle de plus en plus de l’illettrisme numérique (rejetant ainsi la faute aux utilisateurs), on ferait peut-être mieux de s’interroger sur la facilité illusoire avec laquelle nous avons augmenté notre communication numérique : formulaires exclusivement en ligne sans possibilité de contact, chatGPT comme unique discussion, utilisation abusive des réseaux sociaux pour diffuser des informations (qui n’a pas Facebook est exclu de la vie municipale, associative, d’entreprise…).
A l’illectronisme, donc, il faut créer en parallèle un concept de « politesse numérique » afin que chacun puisse avoir droit aux échanges courtois que n’importe quelle sollicitation est en droit d’attendre. Et pourquoi ne pas l’intégrer à nos statistiques de temps d’écran (nombre de réponses reçues, émises, d’accusé de réception, pertinences des échanges, cordialité…etc.) ?
(16/02/2024)

 

Il y a longtemps que je n’ai pas fait d’inventaire télévisuel. Si j’en crois la mémoire fiable de FdeR, ça date du 26/09/2008 dans cette même rubrique et ça fait plus de 15 ans, mince !
Mes habitudes de téléspectateurs ont-elles évolué depuis ce temps si long ? A priori, probablement, d’abord parce que la télévision a elle-même changé, ainsi que le rapport que nous entretenons avec ce média. D’ailleurs, de nos jours, on ne se pose même plus la question de ce que l’on regarde et pendant combien d’heures, on a remplacé cette comptabilité par le « temps d’écran » passé sur nos smartphones, qui ont largement remplacé les vieux postes (tiens il faudra que je consacre un article à ce temps d’écran prochainement dans cette rubrique).
Car il faut avoir un âge canonique ou être dans une génération de grands-parents pour s’intéresser encore à la chose télévisuelle. A l’époque de mon dernier recensement, j’avais été capable de retracer jour par jour mon addiction, toute relative, autour d’une heure par jour en moyenne. Le premier constat que je pourrais faire aujourd’hui, c’est que je ne suis plus capable de compter d’une manière précise mon « temps d’écran TV ». C’est probablement beaucoup plus qu’à l’époque, peut-être de l’ordre de 2 à 3 heures par jour, car mon « poste » (ça fait ORTF comme terme) demeure souvent allumé, je ne cherche pas forcément à regarder quelque chose de précis, c’est plutôt une sorte de veille télévisuelle qui m’anime.
Prenons une journée type. Quelque chose qui, en revanche, n’a pas changé, c’est le rituel de Télématin de 7h30 à 8h, avec toutefois quelques modifications, je change (très) souvent de chaine : il suffit que l’invité politique me défrise (genre FN, Ciotti et autres hurluberlus) pour que j’aille faire un tour sur Arte : ça tombe bien, mon émission favorite Invitation au voyage commence avant 8h. Arte reste ainsi allumé toute la matinée. Je regarde parfois un petit reportage, mais souvent je vaque à mes occupations très rapidement. La télé demeure donc en fond sonore (la maison est grande, je l’entends vaguement au loin) jusqu’à 12h30 où je regarde mollement quelques infos en zappant. Parfois, il arrive que je me fasse capter par une rediffusion d’Arte en début d’après-midi (comme aujourd’hui Vacances avec Audrey Hepburn, et auparavant les excellentes fictions Hôtel fantôme et Le Silence des ânes de Karl Markovics). Mais ce n’est pas vraiment de la télévision, plutôt du cinéma. Le soir en revanche, c’est calme plat, les programmes sont désespérants pour qui n’aime pas les divertissements et autres niaiseries. Je me rabats sur Arte TV (encore !) ou des séries courues d’avance (Alex Hugo a le mérite des beaux paysages de montagne). Les mystères insondables du manque d’imagination des producteurs m’atterrent (mais pourquoi faut-il toujours une femme-commissaire au caractère imbuvable dans la moindre série policière française ? Et pitié pour nos oreilles : pourquoi faut-il que les dialogues de la langue de Molière soient aboyés à toute vitesse ?). Bref, après avoir attendu des plombes un dénouement fastidieux, je peux m’endormir d’un sommeil d’abruti (non sans avoir toutefois réparé mon temps de cerveau disponible -dixit autrefois TF1- par de nombreuses lectures).
Mais heureusement, tout cela n’est qu’éphémère, ma vie est autrement trépidante et riche, pleine de sollicitations diverses, rassasiées d’expériences sur l’écriture (par exemple FdR), remplies d’interrogations sur le monde des lettres, d’énigmes sur le sens de ma vie, d’exigences philosophiques, de démarches spirituelles, de controverses idéologiques, de questions qui me taraudent : qui suis-je ? où vais-je ? dans quel état j’erre ? que vais-je regarder à la télévision ce soir ?
(09/02/2024)

 

Après Lyon la semaine précédente, voici la Normandie ce week-end à l’occasion d’une projection particulière de L’homme debout dans un château. Il s’agissait d’une toute première rencontre cinématographique, dans un lieu habitué à recevoir des plasticiens et des créateurs. Il semblait tout naturel que le septième art puisse bénéficier de ce très bel endroit, d’autant plus que la petite salle de projection (une quarantaine de places) était dotée d’une technique suffisante pour se croire dans une vraie salle de cinéma. Bref, l’endroit idéal pour regarder des films comme la splendide adaptation d’Ils désertent, longs métrages à la fois intimistes et ayant connu un succès mesuré. Ceci dit, Florence Vignon, la réalisatrice, qui m’a, une fois de plus, embarqué dans cette aventure, m’a annoncé que « notre » film avait dépassé les 30 000 entrées, ce qui est plutôt pas mal pour celui-ci que nous avons tenu, Florence et moi, à bout de bras tout au long de sa sortie au printemps dernier.
Nous nous sommes ainsi prêtés avec grand plaisir au jeu des questions/réponses après la projection, avec un public conquis par la poésie du film. Belle première édition de ce nouveau festival qui, n’en doutons pas, deviendra un rendez-vous incontournable.
Le temps d’échanger avec les participants autour d’un verre, et nous voici, cette fois-ci dans le véritable château, la projection ayant eu lieu dans les Grands communs, 500 m2 tout de même, refaits à neuf avec une splendide bibliothèque. Nous étions ainsi les hôtes de nos châtelains à particule, qui nous ont fait la visite guidée de leur demeure familiale – portraits illustres, nobles et généraux, académiciens ou prix Nobel, tout une partie de l’ethnographie française que je n’ai jamais eu l’occasion de côtoyer (si une fois, dans un salon du livre dans le XVIème en 2002 pour Composants). Grand moment pour moi, dont la haute lignée se résume à un père chauffeur-routier et une mère vendeuse en boulangerie. Ainsi, ce monde existe, si, si, je l’ai rencontré, il y avait même un ambassadeur et son épouse… Éminemment sympathiques, toutefois nos hôtes, avec cette décontraction distinguée qui laisse rêveur : Madame, pétulante, extraordinairement jeune, roule en scooteur à Paris mais chasse le canard sur ses terres ; Monsieur nous emmènera le matin en Kubota utilitaire faire le tour de l’immense propriété, et nous voici à l’arrière, secoué comme des sacs de patates, avec des chapeaux de feutre munis de plumes de faisans…
Bref, je n’ai pas boudé ces plaisirs normands, comme quoi, l’écriture de ce fameux Ils désertent continue à m’embarquer 12 ans après sa parution vers des aventures étonnantes.
(02/02/2024)

 

Lyon : nous y arrivons ce samedi vers midi, échappés de la circulation touristique ; les véhicules surmontés de skis ont contourné la métropole à grande vitesse, pressés d’apercevoir la neige des Alpes. En ce début de week-end, nous sommes loin également de la circulation laborieuse de la semaine. Villeurbanne Gratte-Ciel nous accueille, mélange d’immeubles et de pavillons de périphérie. Mais c’est le souvenir d’un discret faubourg d’une petite ville d’enfance qui nous réunit là, quelques éléments disparates d’une histoire familiale dont nous démêlons encore et toujours les fils.
Ne pas croire que le roman familial a entretenu nos relations. Chacun a suivi sa route, chacun a élaboré son univers, conjoints, enfants, petits-enfants, nos vies, nos souvenirs, nos joies et nos peines nous appartiennent, rien n’a été partagé avec une parenté qui, jusque-là, a été ignorée : bâtir sa propre vie est une tâche solitaire.
Et pourtant, ce samedi vers midi, les sourires en disent long sur nos joies à l’idée d’être réunis de nouveau, maintenant sexagénaires et plus, tous membres d’une généalogie dont nous cherchons à démêler les feintes et les brisures. Rien d’extraordinaire : toutes les dynasties, ascendances, descendances, filiations ont leur énigmes, leurs cachoteries qui se perdent dans les arcanes des générations. Tolstoï débute Anna Karenine par cette célèbre phrase : « Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l'est à sa façon. ». Le malheur, pour chacun d’entre nous, ne se sent pas, n’est pas évoqué. Il y a eu des drames particuliers, bien entendu, mais c’est la joie qui nous réunit.
Cependant, certains, plus que d’autres, ont souffert des secrets anciens, ce qu’on taisait par souci du « qu’en dira-ton » ou pour dissimuler l’inavouable. Nous nous étonnons : c’est presque un groupe de parole qui prend forme. Nous en convenons : les drames, les épisodes douloureux, même vieux d’un siècle, même tus autant que faire se peut, ont traversé les générations, alimenté un malaise persistant, introduit des doutes et des questions sans réponse, ont parfois orienté nos agissements.
Tout cela est raconté, échangé entre nous, précisé. Nous sommes surpris de nos trajectoires. L’un est devenu pilote de voltige aérienne, et nous comprenons la formidable allégorie : comment affronter les mystères immatériels de sa parenté autrement que par des pirouettes célestes ?
Mais les zones d’ombre se dévoilent. La généalogie, les états-civils ont apporté leurs lots de réponses. Le brouillard des ans est déjà moins épais. Les discrets faubourgs qui en furent le théâtre, qui nous ont embarqués autrefois au hasard des visites et des rencontres, justement, ne sont plus le fruit du hasard : nous sommes réunis à Lyon, tout exprès.
(26/01/2024)

 

Quelques extraits d’Étonnements publiés il y a 20 ans :
« avoir éteint le téléviseur lorsque j’ai vu la tête de Sarkozy et avant même d’écouter ce qu’il disait. De plus en plus d’ailleurs, je coupe les journaux d’actualités au bout d’une ou deux minutes, par une sorte de saturation des problèmes franchouillards-franco-français qui y sont évoqués » (28/01/2004)
« constater que des événements comme la guerre en Irak, la situation Israël Palestine, pour ne citer qu’eux, influent sur la teneur générale d’un discours et du langage qui y est associé. Les conséquences de ce langage guerrier sont sous-estimées : peu importe finalement que la France se soit opposée à la guerre, les mots "terrorisme ", "check point ", " attentats ", " voitures piégées " vrillent notre cerveau » (25/02/2004)
Nous voici donc une génération plus tard… Qu’est-ce qui a changé ?
Rien : j’ai ajouté des noms à la liste de ceux qui me font éteindre le téléviseur. Par exemple, notre ministre de l’intérieur (en 2004 c’était Sarko), visé pour 2 plaintes pour viol, et notre ministre de la justice qui s’est auto-blanchi de son procès. Je rajouterai certainement sous peu d’autres noms du nouveau gouvernement qui me feront changer de chaîne (je me suis aperçu qu’il existait un ministère de la « souveraineté alimentaire » (sic), qu’on a fait un package mêlant travail, santé et solidarité ou sport et éducation nationale, tandis qu’un ministre est entièrement dévolu aux relations avec le parlement : ça en dit long sur l’intérêt qu’on porte aux simples citoyens par rapport aux élus députés et sénateurs). Je boude aussi notre président qui défend les indéfendables, je conspue le FN qui se multiplie à grande vitesse (désolé, je n’arrive pas à changer le nom du parti d’extrême-droite). Tous sont au service de l’esprit « franchouillards-franco-français », bien protégé désormais par la nouvelle loi immigration.
Rien de nouveau non plus côté international : la guerre en Irak s’est achevée par la destruction du pays où règnent désormais insécurité et corruption. La situation Israël Palestine dépasse en horreur l’inimaginable. Y rajouter la guerre en Ukraine depuis 2 ans, les pays abandonnés depuis plus longtemps, l’Afghanistan, Haïti…
Les mots terrorisme et attentats ont décuplé leurs sens : attentats, Paris, Nice, Bruxelles, Madrid pour ne citer que quelques exemples occidentaux survenus depuis le jour où j’écrivais ces rubriques. De même terrorisme est utilisé dans un sens identique par tous les gouvernements pour justifier d’actions guerrières disproportionnées.
Et, bien évidemment, rien n’a changé concernant discours et langage : le flou et l’abscons s’imposent. Par exemple, désormais, en France, le mot « territoire » est un euphémisme de plus pour désigner l’absence d’action politique et sa division en « zones » (d'aménagement du territoire, d'éducation prioritaire, de redynamisation urbaine ou rurale, ZEP, ZRU, ZRR, il en existe une quarantaine pour diluer l’incompétence de nos élites - Il paraît que la France compte 14000 sigles ou acronymes, à titre de comparaison, la Belgique en a 500 et l’Italie 200).
Cependant, quelques tics langagiers sont plus inquiétants d’une dérive guerrière : je n’ai pas voté pour entendre un président me parler la semaine dernière de « réarmement » civique ou démographique. Je préfère me régaler des contrepèteries qui émaillent les titres des médias rendant compte de la gesticulation gouvernementale sur tous les sujets : « Cet hiver, le plan grand froid » ou, tout récemment, « Emmanuel M, son grand plan pour lutter contre l’infertilité ».
(19/01/2024)

 

Se retrouver en note d’étonnements sous un simple prénom n’est jamais bon signe. Après François le 23/01/2021, de vieux tontons et des tatas disparaissent, vicissitudes du grand âge ou de maladies soudaines.
Coup sur coup, à deux jours de différence, à cheval sur deux années, c’est maintenant Françoise une dizaine d’heures avant 2024, puis Bernard, le lendemain du nouvel an.
Françoise avait 94 ans et son cœur a lâché brutalement.
Bernard a eu une brève maladie implacable : quelques mois auront suffi pour diminuer cet oncle avec qui je discutais avec vivacité en juillet dernier lors d’un mariage familial : il me disait sa fierté, il venait d’apprendre qu’on allait le décorer de la médaille du mérite. Impliqué dans plusieurs associations depuis des décennies, il est vrai que son engagement était réel et important. Pendant des années, chaque semaine, il nous a apporté du vrai lait de ferme à l’époque où je fabriquais moi-même les yaourts de mes enfants.
Et Françoise, pareillement, symbolise aussi la chance que nous avons d’habiter un petit département délaissé et rural. Le verger familial, héritage de son père, continue à nous réunir depuis des années. Elle n’avait pas son pareil pour nous délecter dans ce lieu de sa fameuse tarte « à la galiche ». On trouve des traces régulières de ces émotions champêtres dans FdR, par exemple en Webcam le 10/07/2008 ou le 26/09/2007 où j’avais écrit un sonnet pour l’occasion. Je le recopie, il me parait de circonstance. Je le dédie à Bernard, à Françoise, à Michel, son frère (mon beau-père) parti 11 ans avant elle, et à Bernadette, son épouse (ma belle-mère) disparue voici 26 ans, le premier janvier 1998. Les débuts d’année ne nous portent pas chance…
Et pourtant : j’étais passé au verger le 29 décembre pour cueillir du gui afin que l’on s’embrasse dessous en se souhaitant bonheur et joie comme le veut la tradition.

C'est l'histoire d'un verger familial qui perdure
Les saisons y trépassent comme des bougies de cire
Les tablées et les nappes envolent nos souvenirs
Ajoutant pour chacun un peu de sa verdure

C'est par exemple aux pommes que nous forçons l'allure
Grimpant sur des échelles, le ciel en ligne de mire
Nous éloignons la terre propre à nous engloutir
Nous cueillons et les fruits, et le temps, sa fêlure

Nous rions des démons, préférons les génies
habituels de ces lieux. Les pommes rouges et or
garnissent nos paniers et tombent en harmonie

Avec des bruits ténus, elles réveillent nos morts,
ceux qui venaient aussi cueillir ces ambroisies
Et qui reposent céans dedans nos poésies.

(13/01/2024)