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Notes d'écriture 2015

 

Que peut la littérature ? C’est sous cette interrogation que François Busnel a ouvert son émission du 19 novembre dernier, la première depuis les attentats de paris. Les écrivains invités (Boualem Sansal, Laurent Mauvignier, Leila Slimani, Sigolène Vinson, Boris Cyrulnik et Raphaël Liogier)  n’ont pas éludé la question et ont répondu avec chacun sa propre sensibilité, opposant la pensée unique et totalitaire des terroristes face à la diversité de l’écriture, replaçant l’importance du langage et la manière dont l’information est proposée avec des mots creux et vides, bref, s’engageant… Sartre, du fond de son repos au cimetière Montparnasse, a dû pousser du squelette le Castor : l’engagement, si cher à sa cause, demeure intact, ah, les braves petits…
Or, « que peut la littérature » avait déjà été posée à Sartre le 9 décembre 1964 à la Mutualité, pour un débat organisé autour de cette unique question par le journal Clarté, organe de l’Union des étudiants communistes. Il est à noter que Claude Simon déclina l’invitation.
Situons d’abord la date, décembre 1964, soit un mois après le refus du Nobel de littérature par le philosophe (et dix-neuf ans avant celui qui sera proposé à Claude Simon, qui, lui, l’acceptera). 1964, la guerre d’Algérie est terminée depuis deux ans, mais laisse (encore maintenant) de profondes divisions. Sartre et Simon ont signé tous deux le Manifeste des 121 sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie. Ce n’est pas la question politique qui les divise, mais plutôt la question de l’engagement. Dans « Qu’est-ce que la littérature », Sartre précise la question de l’engagement : « Je dirai qu’un écrivain est engagé lorsqu’il tâche à prendre la conscience la plus lucide et la plus entière d’être embarqué, c’est-à-dire lorsqu’il fait passer pour lui et pour les autres l’engagement de la spontanéité immédiate au réfléchi. L’écrivain est médiateur par excellence et son engagement est la médiation. Seulement s’il est vrai qu’il faut demander des comptes à son œuvre à partir de sa condition, il faut se rappeler aussi que sa condition n’est pas seulement celle d’un homme en général mais précisément aussi d’un écrivain». A Ceci, Claude Simon oppose : « Il convient de mettre fin à une légende : jamais aucune œuvre d’art, aucune œuvre littéraire n’a eu, dans l’immédiat, un poids quelconque sur le cours de l’Histoire ». Le pouvoir que formule la question « que peut la littérature ? » est ainsi minimisé. On connaît aussi la réaction du romancier la même année que cette intervention en 1964, lorsque Sartre avait déclaré « En face d’un enfant qui meurt La nausée ne peut rien », et il avait ajouté  qu’il fallait pour un écrivain « se ranger au côté du plus grand nombre, des deux milliards d’affamés, s’il veut pouvoir s’adresser à tous et être lu par tous. Faute de quoi, il est au service d’une classe privilégiée et exploiteur comme elle ». Dans L’Express, Claude Simon répond : « L’écrivain est celui dont l’action s’exerce sur son propre instrument, le langage : il travaille sa parole (j’ajouterais qu’il est aussi travaillé par elle), absorbant le pourquoi du monde dans un comment écrire. L’écrivant est celui qui s’approprie le langage de l’écrivain à des fins politiques. Pour lui la parole n’est qu’un moyen : elle supporte un faire, elle ne le constitue pas ». Cette dissension est liée à la nature profonde des épreuves qui ont marqué les deux hommes. Sartre, pendant la deuxième guerre, est à Paris. Claude Simon subit la guerre (La Route des Flandres). Cette implication (également volontaire en ce qui concerne la guerre d’Espagne) marque toute la différence de perception, où, englué dans le cours des évènements, tout homme, même écrivain, subit sa propre impuissance. Rimbaud, confronté à la guerre de 70, n’a pas dit autre chose et son silence exprime peut-être cette opinion. Maurice Genevoix et Blaise Cendrars, tous deux soldats pendant 14-18, se sont tenus à l’écart de l’engagement sartrien. Bref, il y a écrivain engagé et écrivain impliqué, ce dernier adjectif au sens de celui qui participe au réel. Dans cette optique, ce que peut la littérature est dilué parmi d’autres actions, elle ne devient qu’un moyen, comme dit Claude Simon. De la même manière, les réseaux sociaux, twitter ne sont que des moyens. En ce qui concerne notre actualité récente, la question ne doit pas porter sur le pouvoir de la littérature, mais sur son pragmatisme : être capable de porter une parole profuse, diversifiée, concrète, répandue, être capable d’ouvrir l’autre en deux et d’immiscer en lui les doutes et les hésitations qui favorisent la réflexion. Et ne pas oublier que si l’écriture existe depuis des millénaires, c’est qu’elle porte une parole humaine, versée du côté de la paix et non de la destruction.
(08/12/2015)

 

Le problème, lorsque les mises à jour sont irrégulières et espacées, c'est de se souvenir des évènements qui se succèdent. Six semaines donc ont fondu comme une plaque de beurre laissée au soleil. J'ai voyagé, fidèle à mon habitude, Chambord, Paris, Reims, Châlons, Saint-Dizier, Amiens, Lille, Lausanne, Chaumont, Voiron. J'ai couru partout où je pouvais, pas loin de 180 km depuis ma dernière mise à jour, et, par exemple, 29 km et 900m de dénivellé à Voiron, en trois fois, L'Isère monte et descend tout le temps... Si je resserre sur l'activité d'écriture, qui est le propre de cette rubrique (quoique le souffle de la course à pied et l'écriture soient du même acabit), j'aurai accompli ma première dédicace du Journal de la canicule chez l'ami Francis Zahn au Pythagore à Chaumont dans une ambiance très sympathique. La veille je suis allé à Lausanne à l'invitation de Jérôme Meizoz où j'ai pu évoquer le thème du travail dans mes livres (voir à ce sujet le très beau livre de Sonya Florey, qui était présente, L'engagement littéraire à l'ère néolibérale, en Notes de lecture). Enfin, juste après, j'ai participé au festival Livres à vous a Voiron et je n'ai pas boudé mon plaisir pendant les quatre jours qu'a duré cette magnifique manifestation, très bien organisée. Nous présentions avec Alain Delatour une exposition sur notre projet Instants hanball (voir en Webcam) qui commence à se muscler sérieusement. Et l'écriture dans tout cela ? Tout semble avancer roidement, j'aimerais être plus régulier pour ma thèse, ce serait préférable. En même temps, le livre que j'écris depuis un peu plus d'un an est un chantier au long cours, qui s'apparente à un ultra marathon (on en revient toujours à la course à pied), les 500 pages sont en vue et le machin n'est pas terminé, j'ai en ligne de mire une arrivée triomphante pour mars-avril. Le SAV du Journal de la canicule continue avec d'excellents retours de la presse et des lecteurs. That's all folks !
(19/11/2015)

 

Donc, voilà : le Journal de la canicule est paru. Je suis très content de la couverture, que je trouve très réussie avec ses couleurs chaudes, pas forcément faciles à rendre avec un aspect mat (voir objets du bonheur, cette semaine en Webcam). Il est temps de créer une rubrique spécifique qui accueillera les commentaires, critiques, articles, bref, la vie du livre :  LA VOICI. En parlant de la vie du livre, j’y dresse comme à l’habitude un historique du roman, comment, quand et pourquoi a t’il démarré et continué. Son histoire remonte à fin 2008, époque à laquelle j’ai bâti les trois-quarts d’une histoire qui m’interpellait sans que je sache d’ailleurs vraiment la voie que je suivais. Mais les intentions d’écriture doivent rester un mystère, je suis de plus en plus persuadé. D’ailleurs j’avais participé autrefois à un recueil collectif chez Catherine Flohic qui s’intitulait « écrire, pourquoi ? ». Ce serait maintenant j’écrirais un article pour démontrer pourquoi je ne sais pas pourquoi. Cette tension est salutaire, sinon on court après de l’artifice.
Pour en revenir à ce Journal de la canicule, C’est justement le journal qui m’intriguait et me gênait aussi probablement. Et puis, 2009 est arrivé, il y a eu des suicides à mon boulot et j’ai écrit Retour aux mots sauvages (là, je savais vraiment pourquoi…). Le succès relatif de ce livre, ajouté de celui qui a suivi (Ils désertent), a laissé le Journal de la canicule aux oubliettes, jusqu’à ce que je retrouve ce texte, et que j’ai envie de le continuer. Il y a bien sûr la citation de Nabokov qui m’a inspiré : « Un journal, je l’admets, est la forme la plus basse de la littérature ». Et c’est exactement cela que je projetais : écrire un livre comme assis sur un petit banc, la forme la plus basse, le soubassement de la littérature. La réticence que j’avais m’est alors apparue : l’utilisation du « je » qui m’a toujours paru comme une solution de facilité dans le roman (un peu compliqué à expliquer, j’y mêle, l’ego de l’auteur, la facilité de la narration, beaucoup de choses confuses…), est devenu cette fois obligatoire, car la voix même d’un journal, avec la disparition d’ailleurs de l’ego puisque un journal n’est en principe pas destiné à publication. Bref, au-delà de l’intrigue, c’est l’histoire du début de l’écriture que je voulais raconter. Comment un type qui n’écrit jamais que 3 cartes postales par an décide un beau jour d’utiliser plus longuement son stylo. Evidemment, je place cette rubrique dans la rubrique spéciale Journal de la canicule !
(07/10/2015)

 

Sicile, 13° voyage et donc notes d’écriture car la période sicilienne est toujours propice à cette tâche. Le rituel est désormais bien établi. Petite course à pied dès le réveil tant que la température reste sous les 30°, avec un détour pour aller chercher du pain frais chez la charmante boulangère qui fait l’effort de nous parler en français, puis petit déjeuner et enfin, je m’attable sur la terrasse la plus ombragée avec l’ordinateur portable. Généralement, il y a toujours un texte en cours ou des travaux de thèse à peaufiner. L’année dernière, j’attendais la sortie de Faux nègres, je n’avais rien commencé d’autre encore, ce serait deux mois plus tard, en octobre. Cette année, outre le Journal de la canicule prévu pour octobre, et dont j’ai reçu les propositions d’illustration de couverture dans la chaleur des vacances, c’est un autre roman (celui d’octobre) qui s’achemine avec une relative régularité. Régularité bien obligée puisqu’il se dessine déjà comme un gros pavé. Sur la petite terrasse ombragée, j’aurai donc complété d’environ soixante-dix pages ce premier jet, dont la longueur dépasse déjà celle du Journal de la canicule. En Sicile, cette année, la séance d’écriture se terminait aux alentours de midi. L’après-midi était consacré à la mer (je suis un rat de plage) et juste avant à compléter par des textes les tableaux de l’ami Delatour avec qui j’envisage une exposition à Voiron pour le festival Livres à vous, en novembre prochain. Voilà pour les vacances.
Hier, de nouveau à la maison depuis une semaine, j’ai reçu un coup de fil dithyrambique de mon éditrice à qui j’avais fait parvenir lundi les premières pages (enfin 267 tout de même…) du roman en cours d’écriture. Ça fait plaisir cette lecture rapide et enthousiaste ! Et puis, pour rester dans l’ambiance, j’ai relu les deuxièmes épreuves du Journal de la canicule sur la terrasse en plein soleil. Sicile, donc, 13° voyage et prolongements…
(21/08/2015)

 

Le hasard est souvent étonnant. Tout d’abord, en guise d’annonce, sachez que je publie un nouveau roman en octobre, toujours chez Fayard : il s’appelle Journal de la canicule. Le hasard donc, me fait corriger les épreuves de ce livre en cours de finalisation sous la météo adéquate, table de jardin sortie avec le soleil implacable dessus (voir en Webcam) et, dans les médias, les alertes abusives selon le fameux principe de précaution érigé en dogme (en aparté : très belle définition de  Philippe Didion : on entre en canicule quand les journalistes remplacent le verbe « boire » par le verbe « s’hydrater »). On apprend ainsi que la France est le seul pays au monde où les rails de la SNCF se tordent de chaleur… La canicule de mon roman date de 12 ans : épisode fameux qui sert de cadre temporel à ce journal qu’un type décide d’écrire parce que ses voisins ont disparu. Ça vous intrigue ? Je n’en dirai pas plus, il faudra lire le roman ! Savoir juste que ce texte a été écrit à mi-chemin entre cette fameuse canicule et aujourd’hui, donc commencé rapidement en hiver 2008-2009, cessé aussi rapidement (voir notes de lecture du 05/12/2008, du 18/01/2009, du 06/02/2009) sans que je comprenne vraiment pourquoi cette histoire m’était venue. La parution de Bestiaire domestique au printemps suivant et la rédaction de Retour au mots sauvages en automne ont achevé d’envoyer ce texte aux oubliettes. Je l’ai retrouvé l’année passée (note d’écriture du 17/09/2014) en me demandant comment une telle histoire saugrenue m’était venue à l’esprit. Et puis une citation de Nabokov, que j’ai placé en épigraphe, m’a soudainement éclairé : « Un journal, je l'admets, est la forme la plus basse de la littérature. ». J’ai ainsi terminé ce journal-roman chez moi, au rez-de-chaussée, au ras des pâquerettes, bassement, petitement, comme une cousette de Prisunic. Il compte 255 pages, ourlets compris.
(08/07/2015)

 

J’ai quelques difficultés avec la course à pied en ce moment. Enfin, tout est à relativiser ! En mars, il y a eu ce trail de 37 km que j’ai terminé, suivi, le même jour de 8 km de marche rapide et d’une trentaine de bornes  de footing la semaine d’après. En avril, j’ai enchainé une séance de 18 km un mercredi avec une autre de 25 km le dimanche suivant. C’est en mai que cela s’est gâté : ma vie bien occupée a fini par me fatiguer et je me suis retrouvé soudain dans l’impossibilité d’enchaîner plus d’une heure de course : plus d’envie, déprogrammation brutale. Heureusement, ça a duré peu de temps, je me suis repris et les entrainements que je mène depuis 20 jours ont un goût de convalescence, avec même une compétition sur 10km où j’ai terminé 531ème sur 708 finishers. Enfin, tout cela est encore fragile…
Tout cela, je l’écris en Notes d’écriture, car je suis persuadé que l’élan des pages que je rédige est lié à celui de la course. Je cherche donc un souffle nouveau et Haruki Murakami m’y aide avec son Autoportrait de l’auteur en coureur de fond.
« Pour moi, écrire des romans est un travail fondamentalement physique ».
« En ce qui me concerne, la plupart des techniques dont je me sers comme romancier proviennent de ce que j’ai appris en courant chaque matin. Tout naturellement, il s’agit de choses pratiques, physiques. Jusqu’où puis-je me pousser ? Jusqu’à quel point est-il bon de s’accorder du repos et à partir de quand ce repos devient-il trop important ?Jusqu’où une chose reste-t-elle pertinente et cohérente et à partir d’où devient-elle étriquée, bornée ?Jusqu’à quel degré dois-je prendre conscience du monde extérieur et jusqu’à quel degré est-il bon que je me concentre profondément sur mon monde intérieur ? Jusqu’à quel point dois-je être confiant en mes capacités ou douter de moi-même ?Je suis sûr que lorsque je suis devenu romancier, si je n’avais pas décidé de courir de longues distances, les livres que j’aurais écrits auraient été différents. Concrètement, en quoi auraient-ils été différents ? Je ne saurais le dire. Mais quelque chose aurait été profondément autre. »
« Quelquefois les gens manifestent un certain mépris pour ceux qui courent chaque jour sous prétexte qu’ils ne s’entraineraient de la sorte que pour vivre plus vieux. Mais je ne crois pas que ce soit la raison pour laquelle la plupart des coureurs agissent ainsi. Je pense plutôt qu’ils courent non pas parce qu’ils veulent vivre plus longtemps, mais parce qu’ils veulent vivre leur vie le plus pleinement possible. Si l’on doit vivre longtemps, plutôt que de traverser toutes ses années dans le brouillard, mieux vaut les passer avec des objectifs bien clairs en tête, en étant tout à fait vivant. Dans cette perspective, je crois que courir constitue une aide véritable. Se consumer au mieux à l’intérieur de ses limites individuelles, voilà le principe fondamental de la course, et c’est aussi une métaphore de la vie – et pour moi, une métaphore de l’écriture. »

(22/05/2015)

 

Il me faut un lieu pour écrire. Une évidence que le nomadisme de ma vie n’altère en rien : si je suis capable de tenir un carnet de voyage au Pérou avec la fonction bloc-notes de mon IPhone, ou de rédiger des paragraphes de Faux nègres sur un bateau au large des îles éoliennes, la vie me ramène à ma maison, à mon bureau, à des lieux inchangés depuis plus de vingt ans. Ma table de merisier voisine avec une bibliothèque achetée à un mort (notes d’étonnements du 04/09/2001 et du 20/03/2013) et maintenant, l’horloge aimée a rejoint ce décor : fabriquée entre 1860 et 1890 (elle date de Rimbaud), elle rythme maintenant mon écriture. Car écriture il y a et multiples projets : un récit en octobre, un autre qui s’annonce avec enthousiasme, un livre d’art avec un peintre, plus la thèse que je n’abandonne pas. Il y a des rencontres aussi qui s’annoncent : voir en agenda. Et j’espère, tout cela sera à suivre de temps en temps.
(07/04/2015)

 

Ce n’est pas vraiment un open-space, un espace ouvert, plutôt une enfilade de bureaux sur un entassement d’étages. Lui c’est au sixième. Couloirs, porte vitrée, et avant, le hall où je me suis annoncé. On est venu me chercher. Ce pourrait être n’importe quel immeuble, on y vendrait n’importe quoi, assurances, téléphones, voitures… Ce serait un de ces endroits cossus qu’on nomme direction, état-major, siège social. Ce pourrait être pour mon travail : plusieurs fois je suis entré dans des endroits similaires, comptoir d’accueil, se signaler, on vient vous chercher. Nous avons pris l’ascenseur, l’accompagnatrice et moi. J’ai dit que j’avais trouvé facilement grâce à ses explications. Quelques mots, des sourires, une prévenance. Au milieu d’un couloir, elle a toqué à une porte. Je passe le seuil, espace ouvert : un bureau, deux fauteuils, table basse. De suite il m’a accueilli : Enfin ! Oui, c’est vrai, la joie est réciproque, ça faisait longtemps. Nous nous installons (fauteuils, table basse). La discussion va durer une demi-heure. Je parle, j’explique, il écoute, rebondit, une conversation : nous pourrions parler de n’importe quel sujet, assurances, téléphones, voitures, le lieu s’y prêterait. Les cloisons sont vitrées. Des gens passent dans  le couloir, parfois jettent un bref coup d’œil sans ralentir leur marche. On sent des affaires, des tâches, des dossiers, des missions, tout un morcellement d’activités, des hommes, des femmes qui vont rentrer le soir chez eux, raconter une anecdote, soupirer ou rire, recommencer le lendemain à s’occuper d’assurances, de téléphones, de voitures. Mais le fond du travail n’est pas l’un de ces sujets. Ce qui nous relie, celui qui dit « Enfin ! » en souriant, et moi qui réponds de même, est d’un autre ordre, un métier peut-être, une passion sans doute, un travail d’équipe certainement. Ce n’est pas dit, ça reste sous-jacent, ça passe entre les sourires, dans les mots, l’intonation, ça prend corps. L’expression « faire son chemin ». Ou « ne pas rester au bord ». Ça dure une demi-heure. On prend congé. Je redescends au second, un SMS m’y invite. Ascenseur, couloirs, enfilades de bureaux vitrés, les mêmes qu’au sixième. Je m’y perds, demande. C’est là. Déjà ! Autres sourires, joies réciproques. Le bureau est vide. Peu de choses. Dans mon travail on appelle cela « bureau de passage » destinés à des travailleurs nomades, dont d’ailleurs je fais partie. Comme nous sommes aussi mouvants l’un que l’autre, nous partons vite. En bas de l’immeuble, elle salue les deux policiers en faction, armes, gilets pare-balles. L’un répond avec empressement, d’une voix claire. La rue est tout de suite là, bruits de circulation, j’hésite à passer le seuil, à rester dans l’espace ouvert.
(11/02/2015)

 

Lorsque je fais le bilan de mes feuilles de route en 2014, c'est moitié moins de mises à jour que les années précédentes. En moyenne deux fois par mois. Cette désaffection ne me pèse pas du tout. J'en suis assez surpris, il m'arrivait jusqu'à présent de culpabiliser assez facilement lorsque je loupais mon rendez-vous hebdomadaire. Maintenant non, depuis au moins deux ans. Pourtant ma perception n'a pas changé : c'est toujours une sorte de journal en ligne, quelque chose qui m'est d'abord utile avant qu'il soit destiné à être lu, et de la même manière qu'un journal papier, raconter l'insignifiance du quotidien, mais surtout, ce qui m'importe c'est l'accumulation, donc finalement pas grand-chose dans cette organisation du web basé sur l'instantané, quoiqu'à la réflexion, on peut envisager Internet comme le plus formidable espace mémoriel qui soit. Ceci dit, je suis persuadé que la désaffection qui me touche, hormis les habituelles raisons, le manque de temps…etc., ne m'est pas que personnelle. Il me semble que les sites historiques du web littéraire sont moins assidus également. Ou peut-être vais-je moins les voir ? Le web à ses limites. Je me suis toujours refusé à Twitter, Facebook, en premier pour ne pas suivre une mode, pour ne pas être captif d'informations que je n'ai pas cherché. Les réseaux sociaux ont relégué les internautes de première génération à des oubliettes qui me conviennent. Lorsque je consulte les statistiques de fréquentation de Feuilles de route (au moins deux ans que je ne l'avais pas fait) je vois que j'ai eu 80000 visites en 2014. Si je me souviens bien de mon passé de marketing, ça veut dire que 10% sont vraiment venus visiter ces pages, et que 1% s'y est intéressé, c'est très peu finalement. De 200 visites par jour, je passe à une quinzaine de lecteurs par semaine, ça fait club de conspirateurs, petit cercle d'amis et c'est ce qui me convient le mieux. A un moment, lorsqu'on abordait Internet avec l'esprit pionnier, on pensait qu'il fallait absolument avoir une page web, un site actif, une marque numérique sous peine de disparition. Or j'ai remarqué récemment que très peu d'auteurs américains, pays en avance en la matière, y avaient eu recours. Je ne suis pas loin de penser que notre retard français séculaire en matière de modernité nous a conduit à forcer le trait, par peur. Oui, peur de l'oubli, d'être isolé, de louper le coche. Une étude (que je n'ai jamais retrouvée) qui datait de la fin des années 60 avait prévu pourtant la phase que nous connaissons et un recul volontaire face à l'information, qu'on pourrait résumer par : puisqu'il est possible de tout connaître, je choisis de ne pas…
(24/01/2015)

 

En ce début d'année, je voulais faire une sorte de bilan de l'année passée. La parution de Faux nègres bien entendu, et les projets d'écriture qui ne manquent pas, jusqu'à ces excellents encouragements reçus aujourd'hui même et qui me touchent beaucoup.
Suite à l'actualité, je préfère parler de la disparition de Bernard Maris, du moins, celui que j'avais rencontré dans la librairie de ma ville, en compagnie de son épouse, Sylvie, venue évoquer la mémoire de son père Maurice Genevoix, à l'occasion de la parution du livre de Michel Bernard Pour Genevoix (Notes de lecture du 30/05/2012). Le temps avait passé très vite. Je me rappelle de leur enthousiasme : tous venaient de créer l'association Je me souviens de ceux de 14, on préparait le centenaire de la Grande guerre. Quelques mois plus tard, Sylvie Genevoix disparaissait. Deux ans plus tard, c'est au tour de Bernard Maris. En automne dernier, à l'occasion de la parution de Sur les traces de Maurice Genevoix et « ceux de 14 » (Notes de lecture du 15/12/2014), le petit-fils de l'écrivain était également là pour présenter cet ouvrage dans une librairie de Bar-le-Duc, toute proche des lieux de batailles qui ont inspiré Ceux de 14. Lieux de bataille : Charlie hebdo ressemblait après l'attaque à un tel endroit. Quel coup du sort pour nous qui vivons en temps de paix, pour Maurice Genevoix qui a tant oeuvré pour que la folie meurtrière des hommes ne recommence plus... Dans La motte rouge, publié en 46, il avait placé en épigraphe une phrase d'un calviniste de Millau : "C'estois un temps fort calamiteux et misérable ". Le personnage principal Sanglar, le bien nommé, faisait régner la terreur dans des contrées jusque là paisibles. Cela résume bien la barbarie ancestrale de l’homme. mais en même temps, ladernière phrase du livre en montre tout l’espoir : " dans la paix du soir, la voix avait repris son chant ".
(09/01/2015)