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Notes d'écriture 2014
Ciel, mon
collègue est écrivain ! Cest le titre dun reportage
de David Caviglioli dans LObs de cette
semaine. Jy figure et, parmi dautres (Céline Curiol, Léila Slimani, Alexis
Jenni et Boualem Sansal). Je me suis prêté au jeu de linterview, et tout ce qui y
figure est vrai : la période « difficile » de lécriture de Retour aux mots sauvages, en pleine crise de mon
entreprise, les réactions, etc. Comment est-on perçu par ses collègues et sa
hiérarchie lorsquon a un métier hors lécriture, cétait le thème de
cette enquête. Jai envie de la compléter parce quelle met surtout
laccent sur des vérités usuelles, la difficulté décrire avec une autre
activité, le regard des autres et de ses collègues, limplication au travail. Et
que dans cette comparaison, lécrivain est toujours en état dinfériorité. David Caviglioli termine son article par cette
assertion : Lécrivain est un fantôme. Les fantômes sont mal vus sur le lieu
de travail. Ça laisse entendre que lécrivain qui bosse ailleurs serait peu assidu.
Je nai pas cette impression : je travaille à temps plein, jai les mêmes
objectifs que mes autres collègues et mon responsable sait reconnaître mon sérieux.
Dautre part, à lépoque de la parution dun livre, je prends soin à
privilégier mon activité professionnelle en premier, quitte à refuser certaines
sollicitations. Alexis Jenni, prof dans un
lycée, ne dit pas autre chose. Cette enquête sous-entend les poncifs habituels :
lécrivain naspire quà un seul but, celui de gagner suffisamment
dargent pour se consacrer à lécriture. Cet imaginaire collectif hérité des
gagnants du Loto est loin dêtre une vérité universelle. On peut aussi rester dans
un travail parce quon laime tout simplement, on y est utile, on a des
collègues formidables, on sy sent bien. Cela participe à notre équilibre.
Cest doublement difficile pour moi à expliquer, dautant plus que jai
écrit des livres concernant le travail et
où on ma reproché une certaine noirceur. Pour autant, parce que cest la
vérité, jai envie décrire un livre résolument optimiste sur le
travail : mes moments de bonheurs et ceux que jentrevois chez mes collègues
sont mille fois plus nombreux que les instants difficiles. Il faudra bien arriver un jour
à en rendre compte. Le regard que lon pose sur lécrivain qui travaille est
toujours biaisé : dun côté, on le soupçonne dune productivité
modeste puisquil écrit, mais dun autre le comble ! on lui
prête également une implication réduite dans le monde des lettres puisquil
travaille. Ce réflexe me parait typiquement français, vieil héritage des hommes et
femmes de lettres rentiers - de vrais écrivains, eux
De lautre côté, les
études passées ont entériné lidée dune « littérature
fatiguée » à propos des travailleurs qui se sont risqués à lécriture
comme lindiquait Michel Ragon, dans son Anthologie
de la littérature prolétarienne. Simone de Beauvoir disait que lécriture pour
elle nétait pas un métier, mais une passion et une nécessité. Pour moi,
cest aussi un métier au sens de la participation collective à la réalisation
dun livre : daccord lauteur existe, est le point de départ, mais
toute la chaine du livre y est imbriquée, ça fabrique une économie, des gens en vivent.
En cela, notre vieille définition égoïste du métier prend un coup dans laile. Un
métier, une activité humaine, cest dabord participer à un édifice
collectif. En cela aussi, notre vieille définition égoïste de lécrivain génial
retranché dans sa tour divoire et consacré à son uvre est également
fausse : comment construire une littérature nouvelle sans être étroitement mêlé
au monde autour de soi ?
« Un défaut des journaux intimes et
des autobiographies cest que dordinaire, « ce qui va sans dire »
nest pas dit et quon manque lessentiel. Jy tombe, moi aussi. Dans Les Mandarins jai échoué à montrer combien
le travail de mes héros comptait pour eux ; jespérais ici parler mieux du
mien : je me leurrais. Le travail ne se laisse guère décrire : on le fait
cest tout. Du coup, il tient dans ce livre peu de place alors que dans ma vie il en
occupe tant : elle sorganise tout entière autour. Jy insiste parce que
le public se rend à peu près compte du temps et des soins quexige un essai ;
mais, dans sa majorité, il simagine quun roman ou des souvenirs, ça
sécrit au courant de la plume. « Ce nest pas bien malin, jen
aurais fait autant » ont dit des jeunes femmes après avoir lu Les mémoires dune jeune fille rangée :
ce nest pas un hasard si elles ne lont pas fait. A une ou deux exceptions
près, tous les écrivains que je connais peinent énormément : je suis comme eux.
Et contrairement à ce quon suppose, roman et autobiographie mabsorbent
beaucoup plus quun essai ; ils me donnent aussi plus de joies. Jy pense
longtemps à lavance. Jai rêvé aux personnages des Mandarins jusquà croire à leur existence.
Pour mes mémoires, je me suis familiarisée avec mon passé en relisant des lettres, de
vieux livres, des journaux intimes, des quotidiens. Quand je me sens prête, jécris
daffilée trois ou quatre cents pages. Cest un labeur pénible : il exige
une intense concentration, et le fatras que jaccumule me dégoûte. Au bout
dun mois ou deux, je suis trop écurée pour poursuivre. Je repars à zéro.
Malgré les matériaux dont je dispose, la feuille de nouveau est blanche et
jhésite à plonger. En général, je commence mal, par impatience ; je
voudrais tout dire dun coup : mon récit est pâteux, désordonné et
décharné. Peu à peu, je me résigne à prendre mon temps. Vient linstant où je
trouve la distance, le ton, le rythme qui me satisfont ; je démarre pour de bon.
Maidant de mon brouillon, je rédige à grands traits un chapitre. Je reprends la
première page et arrivée en bas, je la refais phrase par phrase ; ensuite je
corrige chaque phrase daprès lensemble de la page, chaque page daprès
le chapitre entier ; plus tard, chaque chapitre, chaque page, chaque phrase
daprès la totalité du livre. Les peintres, disait Baudelaire, vont de
lesquisse à luvre achevée en peignant à chaque stade le tableau
complet ; cest ce que jessaie de faire. Aussi chacun de mes ouvrages me
demande-t-il de deux à trois ans quatre pour Les
Mandarins pendant lesquels je passe six à sept heures par jour devant ma
table.
- "Faux nègres" est votre
dixième roman, et le plus ambitieux. Qu'est-ce qui vous a poussé à relever ce défi
d'une histoire totale qui s'inscrit dans l'Histoire et la géographie ?
Déjà un
mois sans mise à jour. Et pourtant les choses avancent, plutôt vite dailleurs.
Projets, rencontres, écritures
Ne cesse de séloigner par ailleurs Faux nègres, et javais déjà évoqué dans
cette même rubrique combien la parution de ce livre mavait semblé se terminer bien
vite. Non pas quil soit passé inaperçu et cest plutôt le contraire
dailleurs. Des articles continuent à paraître (voir en rubrique Presse/médias),
je concours à des prix, sans succès, et cela me laisse indifférent, comme si je voulais
que sestompe ce livre qui ma tenu tout de même pendant 18 mois, et qui
na pas été facile à écrire. Aucune forfanterie dans mes propos, juste un
étonnement : je demeure très fier de ce roman que jestime juste et réussi,
mais il me semble que cest le destin de ce livre, le dixième, de disparaître de
lactualité sans que je ne men offusque. De la même manière, combien
jai vécu de manière sereine la vie de sa parution. Mais projets, rencontres,
écritures qui savancent
Jai commencé un texte nouveau, repris un autre
qui date de quelques années, élaboré un troisième en duo avec un peintre, sans compter
ce Retour du loup auquel jai contribué
(voir mise à jour précédente). Pas étonnant que Faux
nègres séloigne, la vie sépaissit. Projets donc, et rencontres :
lagenda se remplit de nouvelles dates, littéraires, voyageuses, amicales,
sportives, la course à pied toujours, le travail encore et jy adjoins mon
arlésienne de thèse: ça simbrique, la vie ressemble à un Lego. En brique de base, cette nouvelle écriture
qui memplit daise comme à chaque fois que je reprends le clavier, savoir
écrire à nouveau, empiler les mots, bâtir un château, un paysage. A chaque fois
cest entrer dans une nouvelle période, abandonner des mondes anciens, vivre et se
sentir heureux.
A
loccasion de la parution du livre collectif Le
retour du loup (voir en Notes de lecture), comme les autres auteurs, jai écrit
une nouvelle dune vingtaine de pages, intitulée Histoire de Lou. Lou est une petite fille, née au
tout début des années quatre-vingt-dix, et sa naissance correspond à larrivée
des loups en France à la même époque. Cest bien sûr loccasion pour moi de
dépeindre en parallèle notre univers et celui des loups, notre histoire émaillée des
drames récents, guerres du Golfe, de lex-Yougoslavie, Onze septembre
avec
celui plus secret de la prolifération des loups avant que la ire médiatique ne sen
empare. Et pourtant combien se rejoignent les causes produites par lhomme et les
effets constatés sur les loups : la désertification rurale, la protection des
espèces animales, la concentration dun espace que nous tentons dorganiser à
outrance, a paradoxalement permis au loup de se glisser, « entre chien et
loup » et à notre insu, dans un univers que nous croyions parfaitement maitriser.
Nos peurs actuelles, la déchéance économique, la crainte de létranger, dun
inconnu incontrôlable sest renforcée lorsque la présence des loups a été
attestée. Un siècle de disparition et nos frayeurs sont intactes. En même temps, nous
reconnaissons en nous cette sorte dexaltation étrange : enfin, quelque chose
de sauvage, qui ne dépend pas de nous se manifeste, un autre « possible » en
quelque sorte. Cest aussi le sujet global de Bestiaire
domestique, paru en 2009. Cest aussi
une part non négligeable de Faux nègres où le
retour des loups est mis à contribution dans la deuxième moitié du livre. En effet, la
commune de Brachay, qui ma inspiré le « village dici »
romanesque, est situé dans la zone où le loup a été vu lannée passée. Peu de
critiques où de journalistes ont fait allusion à ces passages. Cest aussi pourquoi
cette Histoire de Lou vient à point nommé pour
doubler la question lancinante de mon livre : Pourquoi les gens dici votent à
lextrême droite ? Pourquoi avons-nous toujours peur des loups ?
« Tout
homme parle. La parole est sans doute de nature génétique. Pas de groupe humain qui ne
possède une langue. Il se peut que lair atmosphérique retentisse depuis un bon
million dannées des harmoniques du langage articulé. En tout état de cause, voici
soixante mille ans que la race de Cro-Magnon sest avancée sur la scène du monde,
que des êtres pareils à nous sous le double rapport physique et cérébral circulent à
la surface de la terre. Ils se sont contentés de parler pendant la plus partie de cette
histoire cest la préhistoire. Lécriture apparaît vers le troisième
millénaire avant notre ère. Les premiers scribes sont des intellectuels subalternes qui
consignent entrées et sorties de denrées dans les réserves du temple et du palais des
cités-empires de
La fin de la
rentrée. Pas vraiment la fin, mais ce
quon nomme rentrée (des classes, littéraire, politique
etc.) commence à
décliner. Déjà les vacances de
Cest
drôle : Faux nègres est encore en pleine
parution, les sollicitations vont avec, et le précédent titre, Ils désertent est maintenant en poche :
livres qui saccumulent et forment un paysage mouvant, interchangeable. Cest
drôle parce que, dans cette actualité multiple qui mélange anciens livres et nouveaux,
on me demande : Et alors, vous êtes sur le prochain ? Sous-entendu, le prochain
livre, la source intarissable de linspiration, la production permanente
didées, de fictions, ma petite entreprise ne connaît pas la crise, chantait Alain
Bashung. Donc le prochain ? Comment répondre
Plusieurs idées, dont celle qui
murit en moi, lentement, moccupe parfois lesprit dans les trajets de voiture
(et ils sont nombreux) : oui, cette idée, ça pourrait faire un livre. Rien
décrit toutefois, pas le moindre mot tracé, juste ceux qui me traversent,
sagencent en paragraphes imaginaires, chapitres versatiles, histoire décousue. Et
puis un autre, de livre, cette-fois ci bien entamé, aux trois-quarts, nom de code JDV, on en trouve des traces dans cette même rubrique fin 2008, début 2009. JDV donc, aux trois quarts terminé puis
abandonné sans état dâme il y a cinq ans pour laisser la place probablement à
lécriture de Retour aux mots sauvages,
à la publication aussi de Bestiaire domestique bref, JDV revient, le texte relu, continué (un peu),
lenvie étrange de terminer cette histoire, quelque chose de relativement simple à
faire, un peu à reprendre, une facilité presque. Et pour autant, ne pas sy
précipiter (la thèse à continuer), lintuition de laisser venir les choses, les
laisser sinstaller de nouveau, se concurrencer (JDV et lautre livre, pas encore nommé, ni
entamé, juste réfléchi en voiture). Etrange période donc, toute dévolue à la sortie
du livre Faux nègres, aux sollicitations, et,
déjà dans la projection de ce que pourrait être les mois à venir, quand
lagitation se sera estompée, installé sur la table décriture (la table de
peine, comme dit Pierre Bergounioux). Se pose également une question nouvelle pour moi,
et très intéressante : peut-on continuer un texte écrit il y a plusieurs
années ? Est-ce que lécriture se périme comme un yaourt ?
Pour la
parution de Faux nègres, jai créé une
rubrique intitulée le roman du roman.
Bien-sûr, en ce moment, jy alimente surtout la rubrique Presse/médias, en cette période de Service après-vente, ou lagenda des rencontres à venir. Mais on y trouve
aussi tout lhistorique, un album photos, voir plus
bref, tout ce qui
a présidé à lélaboration du livre fini et publié. Les notes décriture,
rédigées au fur et à mesure et qui sont la mémoire de mes inspirations diverses et de
mes textes en cours, sont agglomérées et dessinent un parcours décriture à
postériori. Lorsque que je rebâtis cet historique, cest le début dune
nouvelle dimension qui soffre à moi. Quelque chose qui tente par lécriture
de séchapper de ce qui fut réellement, dincurver une réalité : le
roman du roman, vous dis-je.
Je me suis acheté. Jai profité dun
passage à Paris pour investir les librairies et je me suis acheté en version poche
dIls désertent. Cest fou,
jétais tellement content en faisant mes petites emplettes que je me suis adjoint à
la pile dautres livres que javais prévus. La couverture est ravissante avec
son papier peint vieilles fleurs ornées en leur centre du portrait de Rimbaud. Ne soyons
pas naïfs : je savais très bien quel aspect avait cette version poche, jai
choisi la couverture avant lété. Mais
là, dans cette rentrée accaparée par Faux nègres,
le petit poche était passé encore inaperçu. Comme je navais pas encore reçu mes
exemplaires dauteur (en fait, ils sont arrivés le lendemain), jai
véritablement découvert lopuscule en librairie. Je me suis cherché par ordre
alphabétique. Je me suis trouvé entre Beckett et Beidbeger. Jai même oublié de
vérifier si le précédent (Retour aux mots
sauvages) était présent, tout à ma précipitation darracher le livre par la
tranche de son rayon. Etrange impression. Je suis mon propre lecteur. Je me
découvre : la quatrième de couverture, lettres noires sur papier glacé. Aurais-je
envie de me lire ? A lintérieur de la couverture, dernière page : une
publicité indique la parution de Faux nègres
à la même date (Ah ? Lauteur publie un nouveau livre ? Le lirai si je
trouve bien celui-ci
) . On trouve aussi une courte biographie où japprends
mon âge. On trouve la rubrique « du même auteur », que je
vérifie : 8 titres, plus celui-ci, 9, donc Faux
nègres est mon dixième roman, compte exact. Je me lis maintenant. Lauteur
commence par une citation (dApollinaire). Jaime bien les épigraphes, je
trouve que ça donne le ton. Quand jétais jeune lecteur, jaimais acheter des
livres qui me fournissaient de telles phrases introductives. Le texte maintenant... La
pagination me paraît maigre (188 pages) mais il est indiqué « texte
intégral » : je préfère, sinon, jaurais limpression dêtre
floué, même avec le prix modique (6,60). Je lis donc
Lincipit : Maintenant que le camion est parti, la femme pourrait
ouvrir la portière de sa voiture, sinstaller et démarrer. Les premiers
paragraphes sont très important, ça pose lhistoire, on sait si on va accrocher ou
non. Là, je ne sais pas. En plus quelque chose gène ma lecture : jai
limpression de connaître le texte. Je poursuis un peu plus loin, pioche au
hasard : chapitre 5 : Ils désertent, dit
le pompiste, et vous comprenez île désertent. Ah oui, jaime bien ce passage où le vieux VRP se retrouve seul dans une ville
pour y passer le week-end. Il y a aussi lépisode du restaurant chinois,
voyons
cest page 25 et 26 : Entre
le rouleau de printemps et le plat de porc, vous sortirez devant lenseigne lumineuse
pour fumer une cigarette. Vous regarderez quelques passants, la course de deux ou trois
mobylettes autour de la statue. Avec le long crépuscule, le ciel demeurera clair et sans
étoile. Vous retournerez à lintérieur. La serveuse sera polie, la musique
chinoise. Comment peut-on écrire des trucs pareils ?
Pour saluer le cinquantenaire de Paris au mois daoût et en ce jour précis de la parution de Faux nègres, voici quelques aphorismes sur la littérature, dignes de Paul Léautaud, de René Fallet (qui a obtenu le prix populiste comme moi : grande fierté !) :
Rentrée,
rentrée littéraire en ce qui me concerne, rentrée des classes pour une moitié de ma
progéniture (mais côté prof et non plus élève), rentrée de boulot pour tous, rentrée tout court, vieux poncifs des pluies
dautomne, taper dans les flaques, shooter sur les marrons. Préparer le cartable,
donc. Je suis encore en vacances lorsque jécris cette rubrique : devant le
jardin, la chaleur, les orangers, lEtna qui grogne au loin (voir en étonnements),
mais je sais déjà ce qui mattend : Faux nègres paraît le 20 août, et déjà des
rendez-vous de prévus, la version poche dIls
désertent est annoncée pour la même date, les mails de boulot que jai
loccasion de consulter débordent, je vais être occupé. Je vais tenter
danticiper, par exemple, je vais profiter des jours de farniente pour organiser mon
travail nourricier et démarrer dès le premier jour de reprise. Mon boulot
saccentue en effet et il ny aura pas eu de trêve estivale cette année. Pour
autant, combien cette activité me plait, je préfère de loin la bousculade à
lennui. Troyes, Lille, ou Reims se profilent déjà avant septembre, puis il me
faudra enchaîner avec les rendez-vous prévus pour Faux
nègres, Lausanne, Nancy, Paris, Besançon, plus tout ce qui va se rajouter où est
déjà prévu, comme Dijon, histoire de faire le point sur mon arlésienne de thèse sur
la littérature du travail. Jai profité des vacances pour reprendre le plan
tranquillement, le report négocié avec le comité de thèse me laisse une date maximale
de 2017 pour la soutenance, en principe plus quil nen faut, si je ne me laisse
pas distraire par dautres activités où le démon de lécriture (depuis que
jai entamé cette thèse universitaire, jai mené à publication trois
romans).
Bien sûr, il
est temps den parler : le livre est déjà annoncé sur les plateformes de
vente. Le 20 août paraîtra Faux nègres, mon
dixième livre. Fin du suspense de F en nom de
code, mais début de ce qui va ressembler au « roman du roman », tout ce qui
se bâtit autour, retours, critiques, commentaires, rencontres. Il convient de dresser
déjà un historique de ce texte qui maura occupé pendant presque deux ans au
moment de sa publication, une tension grandissante, lélaboration de sujets
multiples, probablement trop ambitieux et complexes. Mais cest fait ! Pour
simprégner du contexte, jai bâti un dossier, comme pour les
précédents : Faux
nègres, le roman du roman.
Les
dernières semaines ont été riches en déplacements (ce qui nexcuse absolument pas
la mise à jour désormais assez lâche de ce
site). Le Pas-de-Calais, il y a quinze jours, ma accueilli dabord à la
médiathèque de Courrières où jai revu avec plaisir Yamina la bibliothécaire,
toujours aussi dynamique et décidée. Courrières fait partie de la communauté de
communes dHénin-Beaumont, et tout naturellement, une rencontre avec des lycéens
avait été organisée dans un lycée de cette commune sulfureuse. Jai ainsi parlé,
entre autres, de la parution prochaine de F,
dont le sujet traite de lextrême droite. Sourires et attention redoublée des 85
élèves, pourtant un vendredi après-midi, juste avant le week-end, mais on
nimagine pas la tension quune stigmatisation quotidienne peut faire
lorsquon évoque à des copains, des amis, des collègues quon habite
Hénin-Beaumont (ah oui, la ville, qui, au premier tour des municipales
). Le soir
même, à Arras, avec François Annycke de Colères du présent, lassociation qui
organise le prix Jean Amila-Meckert et qui maccompagnait, nous avons assisté à une
soirée Slam un peu déjantée, mais jai pu, pour la première fois, lire un extrait
de F, mon roman monde/monstre, qui parlait de
Lampedusa : cétait le moment rêvé, Calais nest pas loin et des
associations de migrants participaient. Bref, me voilà de plus en plus engagé dans ce
livre dont les exemplaires dessai « hors commerce » sont juste parus et
déjà magnifiques. Retour chez moi, puis retour vers Lille
ou Reims pour des journées de travail importantes et cétait déjà
le week-end suivant qui se profilait : direction
Liste de
petites activités littéraires, mais importantes :
Jai
reçu les deuxièmes épreuves de mon livre. Le terme est bancal, peut-être faut-il mieux
dire seconde épreuves. Peu importe, cest justement encore du bancal, de la langue
en mouvement quil sagit (sagite). La plupart des corrections ont été
incluses dans les premières : des fautes à chaque feuillet et une relecture
attentive et lente. Jai limpression alors de parcourir un désert pour cette
nouvelle version : plus de traits rouges raturant les pages, juste le sable blanc de
la page, ordonné des petites pierres noires des caractères dimprimerie. Je
my colle un samedi après-midi, temps magnifique, parasol Miko dans le jardin. Je
suis alors dans lattente impatiente dune course à pied prévue le dimanche,
Jai
reçu les premières épreuves de F. Première surprise : elles sont arrivées
en même temps que les chaussures de running que je métais achetées, via deux
transporteurs différents, chacun se bousculant la primeur de larrivée
Jai dabord déballé mes chaussures dune seyante couleur bleu
électrique, et, munis de mes pompes neuves, jai entrepris douvrir les
premières épreuves. Le paquet épais de feuilles révèle la pagination définitive du
futur livre. On remarque ainsi quelles en seront les dimensions (la même que mes livres
précédents). On feuillette surtout la fin pour savoir combien de pages comptera
louvrage. Et là, deuxième surprise : il y aura 422 pages ! F est
ainsi le plus gros livre que jai jamais écrit. Le chiffre de 422 pages est à lui
seul une troisième surprise : en effet, avec mes pompes de course aux pieds, je suis
de plus en plus persuadé de la porosité qui peut exister entre la course à pied et
lécriture (voir cette même rubrique au 05/02/2014). Après avoir longtemps stagné
aux alentours dépreuves de semi-marathons et de lécriture de livres
denvirons 200 pages, une sorte de rapport dun à dix sest instauré, 10
pages pour un kilomètre. Et 422 pages, cest donc 42,2km, soit la distance exacte
dun marathon. La quatrième surprise, cest la manière dont on se glisse à
nouveau dans chacune des pages de ces premières épreuves, abondamment raturées de rouge
pour en préciser les fautes et imperfections à corriger, en quelque sorte, les
aspérités et les cailloux du champ de course
Mes
activités littéraires reprennent. Il suffit de regarder lagenda qui se profile
avant lété, les rencontres déjà prévues en lycées ou en médiathèques. Plus
tout ce qui continue à sajouter, ce qui se projette déjà pour le livre à venir,
par exemple, pas moins de 4 rendez-vous calés en une seule journée la semaine prochaine.
Cest étrange comme jaime ces rencontres, cette justification du travail
solitaire de lécrivain, comme on dit. Aucune gloriole, aucune volonté exagérée
de parler de moi. Je suis en forme, le monde entier est toujours là / la vie pleine de
choses surprenantes, disait Blaise Cendrars en partance pour le Brésil. Ce qui se
projette : le nouveau livre bien sûr, et les anciens qui continuent leurs chemins.
De quoi devenir un peu schizophrène. En effet, jinterviens dans des classes de
lycée pour évoquer Retour aux mots sauvages,
paru en 2010, mais je serai également dans plusieurs médiathèques pour Ils désertent paru en 2012, tandis que mon
obsession actuelle est F, le texte à venir
dont les grandes manuvres vont commencer. Dans les creux, c'est-à-dire l'essentiel,
restent le travail, la famille, les amis. Jespère juste garder assez de liberté
pour courir, je me suis inscrit à un paquet de trails et de courses avant l'été.
Bannir à jamais lexpression « je nai pas le temps ».
Ça na
pas loupé : jai remis en début du mois de février la version remaniée de F et tandis que jattendais sans aucune hâte
ni appréhension lavis de ma maison dédition, jai tout oublié. Vieux
réflexe désormais habituel pour moi que cette amnésie quasi-totale qui suit la remise
du texte quon pense fini. Il faut en mesurer la portée : loubli est
quasi-total. Quand on men parle ou quand je suis obligé pendant cette période
dy penser, leffort que je dois accomplir pour men souvenir est ardu et
complexe. Parfois, jimagine, je dois regarder linterlocuteur qui men
parle avec un air si niais quil doit me prendre pour un demeuré. Parfois,
joublie même que jécris, que jai écrit, les autres vies, familiales,
amicales, professionnelles demeurent pendant cette période mes seuls centres
dintérêt. Lamnésie a été de courte durée, 15 jours, le temps pour que
léditeur me contacte, quon se fixe un rendez-vous pour en reparler.
Cest dans le train que jai relu le livre, et, comme il est conséquent, les
deux heures et demie de train nont pas suffi, jai continué à la gare (le
service de Starbucks est une horreur de complexité : 20 mn pour écouler 5
clients et obtenir un expresso quil ma fallu réclamer
) et
jai terminé de lire le machin dans le métro. Avec cette impression heureuse non
pas de renouer avec une mémoire mais, comment dire, dêtre décalé, une sorte de
lecteur/auteur, capable de sapercevoir avec satisfaction que tout ce que
javais voulu faire figurer dedans y était (ouf
). Bref, à larrivée
devant limmeuble de verre de ma maison dédition, jétais rassasié et
javais renoué avec la mémoire de ce livre. Car F est maintenant un livre, ou du moins, jai
limpression que cette période doubli vise à le transformer ainsi. Et
cest dailleurs la grande joie qui préside maintenant à la suite, grande joie
que je vais partager avec tous ceux qui vont uvrer pour en faire un petit tas de
feuilles présentable.
F, fin deuxième : comme un clap de cinéaste,
voilà, on tourne (la page), cest bouclé pour le deuxième jet. Toujours aussi
grand le texte, plus de 400 pages, envoyé en deux parties à léditeur, la
dernière est terminée, partira demain. La longueur du texte me désarçonne plus que je
ne le pensais, moi qui suis habitué aux canons dun roman plus court, 250 pages sont
ma distance habituelle. On pourrait dailleurs faire un parallèle entre la course à
pied et cette longueur décriture. Jusquà
20,
Parfois
linsomnie propose des jeux plus rigolos que le simple comptage de moutons.
Récemment, à la faveur dune nuit blanche, je me suis mis à chercher des
contrepèteries. Cest un exercice que je pratique parfois (voir étonnements du 23/11/2011). Vers ma vingtième année, jai
été élevé au lait de carabin et javoue, à ma grande honte éducative, que
jai transmis ce virus inavouable à ma progéniture dès leur plus jeune âge. On ne
dira jamais assez combien la littérature et cette envie irrépressible de décaler les
sons forment un incomparable couple de danseurs de tango. De la littérature, lart
du contrepet a adopté lintention et le fortuit, le conscient et linconscient,
limagination débridée et la logique implacable. Prenons le conscient dans sa
manifestation la plus objective : chacun de mes livres cache dans ses pages au moins
une contrepèterie. Cest pour moi une sorte de talisman. Généralement, je les
oublie aussitôt noyées entre les lignes. Lors dune lecture à Nantes, une
auditrice ma ainsi interpelé : javais lu un texte qui contenait un de
ces jeux de mots connu par les amateurs. Démasqué, jai dû avouer en public
(aucune panne de micro nest venu à point nommé). Généralement, lusage veut
quon se contente entre afficionados de sourire sans rien laisser paraître, le
plaisir de la découverte suffit à se réunir entre humoristes au-delà des mots. De
même, lusage veut quon développe rarement la contrepèterie, généralement
tintée dallusion sexuelle et de gaudriole. Dans labsolu, la contrepèterie
est répandue et beaucoup de journalistes et commentateurs en construisent chaque matin
sans en avoir conscience. Cest justement cette inconscience un peu trouble qui donne
à réfléchir. Et je suis persuadé que, lorsquon trouve un titre de roman, enjeu
fort sil en est pour résumer le texte quon vient décrire durant de
longs mois, parfois des années ou tout une vie, linconscient se révèle à nouveau
et une contrepèterie souvent involontaire sinstalle. Par exemple, avec Belle du seigneur, Albert Cohen a t-il voulu
évoquer « celle du baigneur » ? Par exemple Guerre et paix signifie-t-il que « père est
gai » ? Et très récemment, avec Les
Renards pâles (note de lecture du 15/01/2014),
Yannick Haenel insinue-t-il que « les peinards râlent » ? On sait aussi
quAnne Savelli travaille sur un texte intitulé Décor Daguerre : « Des guerres ?
daccord ! », tout un programme attendu avec impatience donc
Du coup, je me suis penché sur mes propres
titres : Composants conduit à « pont
causant », un psy y trouverait matière. 1937
Paris-Guernica nous emmène vers « père niqua Gary », cest pire. Retour aux mots sauvages se mélange avec
« remous au veau trop sage », inquiétant fumage de moquette
Le plus
réussi et emblématique reste tout de même Ils
désertent qui nous emporte droit vers « tels désirs » et cest
évidemment subliminal
Reste F, qui, lui
aussi, transporte sa contrepèterie sur son dos comme un escargot, mais tout cela est
encore top secret
En ce moment,
bien sûr, cest F qui accapare mon
écriture : élaborer un véritable deuxième jet, quelque chose de plus abouti pour
lequel Claude Simon ma déjà bien aidé, comme je le relatais la semaine dernière
dans cette même rubrique. La partie nest pas facile, mais jai déjà envoyé
à léditeur la moitié du texte ainsi remanié. Est-ce cette libération dune
partie de F qui a provoqué en moi
lenvie soudaine de passer à autre chose : écrire neuf, en quelque
sorte ? En réalité, à la faveur dun exemplaire de Bestiaire domestique que je voulais offrir la
semaine dernière, sest glissée lenvie de relire quelques pages de ce texte
paru en 2009. Je me relis très rarement, peut-être parce que je sens que je serais trop
complaisant avec moi-même, et ça na pas loupé : jai trouvé, que, ma
fois, cétait pas mal, plutôt bien écrit
A la réflexion, je pense que les
compliments que je me suis alors faits, puisent dans le sentiment de plénitude qui avait
prévalu à la rédaction de ce bestiaire : je garde le souvenir dune époque
tranquille et jai toujours pensé que cétait un livre de joie et de bonheur.
Peut-être ai-je envie de retrouver un pareil miroir de ce que jespère pour
lannée qui vient. Les livres accumulent les reflets du temps qui passe, les mois
difficiles, les années heureuses, les moments plus neutres. Par exemple, CV roman reste entaché par sa longue gestation,
ses doutes au milieu dune époque un peu rude. Le bestiaire est arrivé deux ans
plus tard, orage passé, retour à lallégresse. Jai longtemps craint que F ne prenne le même chemin que CV roman. En réalité, cest différent, mais
sans doute que cette crainte amplifie ma hâte de passer à autre chose. Et puis, quatorze
mois décriture, ce nest pas rien, doù cette envie de faire du neuf, de
découvrir dautres émotions, plus dans lesprit de ce bestiaire. Cela reste
vague. Bien sûr, je pourrais céder au plus simple et écrire un deuxième tome de
bestiaire, jai déjà accumulé pas mal danecdotes (voir en Etonnements, cette
semaine) et cela fait plusieurs années que jy pense. Dautres idées me
traversent également lesprit. Toutes, en réalité, ne restent pas bien
longtemps : ce nest que le début dun fourmillement au bout des doigts et
puis il reste encore beaucoup de choses à faire et à penser au sujet de F, un sacré livre tout de même.
Cest
une grande manifestation littéraire qui réunit 46 auteurs (appelés dans la brochure
« les invités », épaulés par 20 animateurs ( appelés dans la brochure
« les modérateurs »). La brochure propose aussi une courte biographie de
chaque intervenant, invité ou modérateur. On y apprend que 20 des 46 invités sont, ou
ont été, enseignants, chercheurs, professeurs ou universitaires, ainsi que 12 des 20
modérateurs, que 31 invités sur 46 font état détudes supérieures, ainsi que 14
sur 20 modérateurs. Donc, pour 70 % des intervenants, le moule dune éducation
nationale (soyons plus gentils : dun apport universitaire) est dun
intérêt suffisamment important pour prouver sa légitimité à figurer dans cette
manifestation littéraire.
Depuis quatorze mois que F me tient chevillé au corps, le texte en élaboration a atteint forcément un degré de complexité, fragments, histoires croisées et personnages que le temps a liquéfié ou fossilisé, cest selon. A lautomne dernier, en visitant lexposition consacrée à Claude Simon à la BNF (voir en Etonnements et dans cette même rubrique au 16/10/2013), jai eu lidée de recourir à une de ses techniques pour tenter dans me repérer dans le foisonnement de ma prose. Claude Simon a souvent insisté sur le caractère métaphorique de son uvre, les mots en renvoyant dautres, ses romans se bâtissaient ainsi, de façon fragmentaire. Et cest justement cette fragmentation que javais du mal à ordonner (jen ai encore, du mal ). Les techniques de lécriture numérique, réduites souvent aux possibilités du traitement de texte, voire de fonctions élaborées de paragraphes que je suis loin de posséder, ne permettent pas toujours de sy retrouver, de bâtir un plan densemble, davoir une vision élargie et multicritère de ce que lon écrit. Moi qui suis un adepte inconditionnel de lordinateur, qui ne prend que très rarement un stylo, je me trouvais quand même embarrassé, je commençais à me perdre avec un grand nombre de personnages fictifs, danecdotes nombreuses, à un tel point que je ne parvenais plus à trouver une vision densemble. Javais limpression dêtre à une sorte de carrefour sans carte, ni GPS, une nuit sans lune, tout phares éteints. Quelle direction prendre ? Comment terminer le machin ? Bref, jai utilisé un système de pictogrammes de formes de de couleurs différentes, chacun représentant un lieu, un personnage, un narrateur. Ce travail rébarbatif ma monopolisé quelques jours, mais grâce aux crayons de couleurs que mes enfants utilisaient plus jeunes, jai réussi à bâtir une trame densemble. En bâtissant celle-ci, je me suis aperçu que le texte se répartissait en trois ou quatre grande parties, et, une fois le travail terminé, il me fallait, en un seul regard, moins de dix secondes pour déterminer dans quels chapitres apparaissaient tel ou tel personnage. Gain de temps, donc, et vision densemble.
Assurément
cette phase ma aidé à terminer le premier jet alors au trois quart de son
achèvement. Pour autant, je nai pas complété le plan que javais
initialement repris. Jai envoyé le tout à mon éditrice qui a trouvé ce premier
jet complexe (eh oui, quand je le disais). Cest pourquoi, la deuxième mouture que
je suis en train de réaliser, vise à une simplification, à une plus grande linéarité,
à une plus grande lisibilité. Déjà que javais du mal à my retrouver,
imaginez le lecteur
Travail en cours donc. Je nai pas repris la méthode
« Claude Simon » du premier jet, pour linstant, je nen éprouve
pas le besoin. Celle-ci a été utile pour défricher (déchiffrer) et mener à son terme
le texte de première intention mais maintenant, il me semble que le travail est tout
autre. Cest un peu comme si javais gravi un col difficile en vélo, et que je
pouvais maintenant me laisser griser par la vitesse de la descente avec un effort moindre.
Facilité toute apparente seulement, il faudra compter sur les virages et autres
chausse-trappes, larrivée nest pas passée
Et peut-être aurais-je
besoin à nouveau de Claude Simon ou dautres exemples pour terminer F.
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