depuis septembre 2000
| |
Notes d'écriture 2022
En même temps que ma frénésie de rangement occupait ma vie,
cest-à-dire entre février et décembre, Dernier travail accomplissait son
existence de livre, choix de la couverture, fabrication, promotion, service de presse,
parution, retour public et derniers feux. Toute une organisation, un agencement, qui ressemblent
à ce qui se passait au même moment dans ma maison personnelle. Mais si, en apparence,
tout sest déroulé comme prévu, ma maison dédition a tout de même connu
bien des dérangements pendant ce temps. Le départ de Sophie de Closets et
larrivée dIsabelle Saporta sont les parties visibles de ces changements. Ce
ne sont pas les seuls. Des auteurs importants sont partis, certains avec fracas,
lensemble des interventions laissant entrevoir des situations où les intérêts de
pouvoir cédaient la place à lactivité éditoriale, qui devrait pourtant rester la
règle. Jai ainsi perdu quelques personnes qui faisaient un travail remarquable au
sein de la maison.
Mais il en reste beaucoup d'autres pour lesquelles jéprouve une grande admiration.
Ainsi, je ne me sens pas orphelin, ni délaissé. Mon attachement aux équipes
éditoriales que je connais depuis plus de vingt ans est intact. Jaime
particulièrement la facilité avec laquelle les échanges ont lieu, le professionnalisme
et le sérieux de chacun. La rapidité et la manière efficace avec laquelle les
décisions éditoriales sont prises sont des atouts pour moi qui publie à un rythme
régulier. Je continue à me sentir bien et libre dans cet environnement. Ou peut-être
suis-je trop insignifiant dans le monde des lettres pour me sentir attaqué de quelque
manière que ce soit ? Peu importe, je continue à tracer mon chemin de mots, de
paragraphes et de livres. Bref, au milieu de tous ces dérangements, je range ma propre
bibliothèque, tranquillement, poétiquement.
(19/12/2022)
Les livres quon écrit fabriquent leur propre mémoire.
Après 16 livres, jen suis persuadé. Ce nest pas une question de
vieillissement. Les plus anciens (vendus en francs à lépoque) restent tenaces dans
la mémoire, dans la mienne je veux dire. Je ne sais pas ce quil en reste dans celle
des autres, des proches ou des lecteurs. En fait, la mémoire propre des livres se glisse
au fil des pages. Contrairement à nos cerveaux ou les réminiscences se perdent dans les
circonvolutions du tissu, des lobes et le brouillard de terminaisons nerveuses, les livres
gardent une mémoire précise, ordonnée au fil des pages, on relit un chapitre et on
retrouve intactes les sensations de lépoque, les circonstances de lecture, ou les
situations de lécriture lorsquon les a soi-même écrits. Parfois, il arrive
que joublie jusquà lessence ou la trame de ce que jai autrefois
rédigé. Je découvre un livre nouveau, dun auteur inconnu, et comme je suis
plutôt « bon public », je trouve cela pas mal, harmonieux et bien écrit.
La mémoire des livres se constitue ainsi, dans lentassement du temps, des semaines,
des mois et des années après leur parution. Par exemple, Dernier travail, édité
depuis la fin de lété, sort désormais de lactualité et va commencer à
accumuler ces scories mémorielles. Ce seizième livre rejoint la cohorte des autres, va
épaissir cette étrange protubérance, qui se confond avec ma propre mémoire.
Mais déjà, un autre livre sannonce, se déploie tranquillement dans mon esprit
dabord, et sur la page lorsque jen ai le temps (très peu en ce moment) :
nom de code « J », suivant lhabitude prise pour nommer la chose qui
sélabore (voir cette même rubrique au 30/09/2022). Nommer bien-sûr, sert surtout
à démarrer déjà la mémoire balbutiante du nouveau livre.
(25/11/2022)
Retour aux sources, aux sources de la Marne, parce que je suis
revenu à Langres, ma ville natale, même si je nai jamais quitté cette rivière
puisque je vis plus en aval près de ses berges à 120 km de là.
Par ordre chronologique, prenons dabord là où je vis, donc près de la Marne
déjà large. Jai la chance de connaître un peu de monde dans ma ville de
prédilection, de fréquenter la belle librairie Larcelet comme beaucoup damis.
Aussi jaime y présenter le petit dernier de mes livres. Pour Dernier travail,
cétait un jeudi soir, la librairie avait renoué avec une « causerie »
au fond du magasin. Peu de monde, mais jai éprouvé beaucoup de plaisir à ce
moment déchanges, je retrouve des habitués qui me suivent, on se tutoie, parler de
littérature devient moins guindé et ça nexclut pas la profondeur.
Quelques semaines plus tard, ce fut Langres pour deux soirées : le vendredi soir
dans la librairie Lantre de livres, et le lendemain pour un débat dans le
cadre des RPL (rencontres philosophiques langroises), évènement désormais bien
installé dans la ville de Diderot.
A Lantre des livres, comme à Saint-Dizier, peu de monde, mais jai
été très heureux de rencontrer Ines qui a ouvert cette librairie voici 3 ans. En effet,
la petite ville culturelle de Diderot était restée sans librairie pendant longtemps, et
ce nest pas faute davoir, à mon petit niveau, tenté dattirer ici du
monde. Jai été parrain dune promotion de libraires à Reims voici quelques
années et je faisais déjà une pub denfer pour ma petite ville natale. Pub qui a
dû en marquer certains, car Ines ma dit quelle en avait entendu parler
Bref, à Lantre des livres, je me sens comme un petit parrain de cur et
jy ai même trouvé un sympathique lecteur, tout juste retraité, qui ma aidé
le lundi suivant à déménager un piano ! Comme disait René Fallet « La
littérature mène à tout à condition dy rester ».
Le lendemain, jai eu la joie dintervenir aux RPL avec Sophie Prunier-Poulmaire
(Le Bonheur au travail, Êtres au travail), avec qui je participe depuis plusieurs
années au beau projet Écrire le travail organisé par lacadémie de
Versailles. Le thème retenu « Quelle place pour le travail dans ma vie »,
trop vaste à traiter en 1h30, réunissait Céline Marty, agrégée de philosophie,
autrice de Travailler moins pour vivre mieux, le tout modéré par Jim Gabaret.
Ce docte débat avait un enjeu plus poétique pour moi : il avait lieu en plein
milieu de la cour décole primaire, dans laquelle jai joué aux billes et
traîné mes culottes courtes. Et puis jai revu tout ceux que je souhaitais, Francis
Zahn et son épouse, venus en tant quéditeurs (Le Pythagore, Liralest), Claire
Gondor et ses dynamiques employées qui animent la médiathèque installée dans mon
ancienne école, et enfin Chantal Andriot, qui fut lirremplaçable directrice de la
culture, et qui a fréquenté les mêmes classes que moi. Et de nous rappeler les séances
de cinéma avec le rideau jaune qui masquait difficilement les vastes fenêtres en forme
dogive
Et que reviennent les noms de maîtres et de maîtresses, le
sympathique, M. Chanteclair, la moins sympathique Mme Vacher qui nous enfermait dans un
placard ou dans une cave obscure pour nous apprendre à vivre
(12/10/2022)
Jai lhabitude de nommer le livre en cours
décriture via un nom de code (ce fut DT pour Dernier travail, VPAR
pour Vie prolongée dArthur Rimbaud, Y pour Yougoslave, pour ne
citer queux). Généralement, ce nom provient des initiales du titre que je donne au
nouveau projet. Parfois, ce titre ne tient pas la route, ne fait pas lunanimité,
mais souvent au final mon éditeur adopte cet intitulé : ce fût le cas pour Dernier
travail. Cette manière de donner un nom de code facilite la recherche dans mes notes
décriture, lorsque jentreprends, à la parution, de retracer lhistoire
de lélaboration du livre (ce que jappelle « le roman du roman »).
Jai entrepris un nouveau livre. En fait, je venais de terminer DT ou plutôt
celui-ci était en voie dachèvement lorsque lidée dun nouveau roman
ma traversé lesprit. Je me rappelle des circonstances : de bon matin
jécoutais dans ma salle de bain France Culture et une universitaire évoquait
quelques règles qui régissaient le monde antique. Les murs quelle évoquait
mont poursuivi suffisamment pour que jélabore une histoire, dans ma tête
dabord. A cette époque, au printemps dernier, mes journées étaient très
remplies, activités associatives, ateliers décriture, bref, lheure
nétait pas à commencer une écriture au long cours. En revanche, jai
évoqué lidée à mon éditrice, mais nous étions dans la préparation de la
parution de DT et elle ma écouté dune oreille distraite. Et puis, je
me sentais vaguement coupable de vouloir commencer un nouvel opus, comme si une sorte de
maladie honteuse me taraudait, semblable à un champignon qui repousse inlassablement. A
proposer ainsi régulièrement un roman tous les deux ans et même moins (16 en 22 ans,
ça fait un tous les 17 mois), jai limpression dêtre atteint dune
manie des mots, dun TOC de la phrase, dune hystérie du paragraphe et, en
cette époque actuelle, où nos irrépressibles et plus profonds désirs sont examinés à
la loupe, jen conçois presque un malaise.
Je ne sais plus quand jai jeté les premières phrases de ce nouveau projet, mais je
suis quasiment certain quelles constituent lincipit et le début actuel. Ce
devait être en juin ou plus probablement en juillet, quelques heures volées à la
bousculade des jours dalors, juste le temps damorcer un récit, décrire
2 chapitres et à peine 10 pages. En revanche, mes souvenirs sont plus précis en ce qui
concerne la suite que je prévoyais : écrire en vacances en août dans la maison des
Pouilles que nous avions réservée avec nos amis. Et je tenais aussi à leur présenter
ce nouveau projet. Mais là encore, lidée est imprécise (elle le demeure toujours)
et mempêche dêtre convaincu lorsque jen parle.
A lheure actuelle, le projet ne dépasse pas 40 pages rédigées. Mais
lhistoire que jai inventée mobsède, jy pense presque chaque
nuit, comme une sorte de rêve, une envie que jaimerais voir se concrétiser et
cest pourquoi jai limpression que ce livre à peine ébauché ira au
bout. Son nom de code est J. Linitiale du titre est récente et date de
quelques jours à peine. Javais ébauché lhistoire avec un autre libellé
mais qui ne ma pas satisfait. Là, le récit se charpente, se muscle, surtout dans
ma tête, même si je mefforce de le concrétiser. Est-ce que mon cerveau en garde
une empreinte ? Je rêve dune échographie où je pourrais à loisir
mesbaudir sur ce ftus décriture, examiner sa vivacité, repérer sa
colonne vertébrale, estimer la respiration de ses futures pages.
(30/09/2022)
Le Livre sur la place à Nancy est le premier
salon denvergure qui ouvre la rentrée littéraire. Chaque année, il suit de
quelques jours à peine les nominations au prix Goncourt et il convient aux prétendants
de sy montrer. Cest aussi un fabuleux lieu de débats, de rencontres diverses.
Cette année, jai évoqué le thème du travail en compagnie de Céline Righi (Berline,
éditions du Sonneur, note de lecture à venir) et de quelques chercheurs de lINRS.
Puis, je suis allé à la rencontre de lecteurs à la médiathèque de Seichamps.
Cette édition était particulièrement dynamique, le public était nombreux, les files
dattente devant les auteurs les plus médiatiques atteignaient parfois 2 heures,
comme pour ma voisine de table Aurélie Valognes, auteure de romans « feel
good ». Cela navait rien à voir avec le salon auquel javais participé
il y a 2 ans en 2020, lorsque Yougoslave était sorti. La pandémie était encore
active. Le salon avait été réduit, pas de chapiteau, interventions et dédicaces
limitées. En plus, il fallait sabriter derrière un hygiaphone et chacun devait
porter un masque. Une malheureuse lectrice avait tenté de retirer le sien pour me poser
une question à laquelle je ne comprenais rien derrière ma vitre et un vigile
lavait rappelée à lordre. Bref, lambiance était austère.
Cette année, jai eu la grande joie dêtre lauréat de la Feuille dor.
Ce prix, attribué par les médias lorrains, France 3, France Bleu, LEst
républicain, avait pour mécène cette année Batigère, qui est un bailleur citoyen,
très actif à Nancy et à Metz. Tout ce petit monde sest réuni sur le stand de
France Bleu où jai été interviewé en direct. Evidemment, jai pris beaucoup
de plaisir à rencontrer ceux qui avaient ainsi débattu dans le jury. Choisir un livre
peu importe le lauréat rend vivante la littérature, on défend, on
argumente, on met en avant comment et pourquoi on lit, bref, nous nous dévoilons et
finalement, nous navons pas loccasion de le faire si souvent. Sy est
ajouté une « séquence émotion », comme on dit : Sarah Polacci,
commissaire générale de ce salon, et qui avait animé une rencontre avec moi à Vittel
autour de Yougoslave en novembre dernier, à tenu a rappelé mon avant-dernier
ouvrage, désormais paru en poche, en indiquant que « mon père aurait été fier de
moi
».
Pour en revenir à Dernier travail, qui a ainsi eu la faveur des médias
locaux, jai de quoi alimenter ma page
spéciale, en attendant dautres aventures à venir.
(15/09/2022)
Dernier travail est désormais paru depuis quelques jours et
la version poche de Yougoslave sort dans les librairies au moment où jécris
ces lignes.
En ce qui concerne Dernier travail, Libé ma déjà gratifié
dun bel article une dizaine de jours auparavant, Alternatives économiques
aussi, et le journal LHumanité, qui avait déjà annoncé tout le bien
quil pensait de mon livre, devrait relayer d'ici la fin du mois une interview
concoctée cet été et laccompagner dun article critique. Le Monde
malloue également un entretien à paraître dici une quinzaine de jours, Le
Figaro profile un papier pour fin septembre. D'autres articles, sans oublier les
indispensables blogs de lecteurs et lectrices sont à découvrir également dans la
traditionnelle page dévolue à cette
dernière parution. Concernant les salons et autres rencontres de la rentrée
littéraire, je serai en voisin à Nancy pour Le Livre sur la Place du 9 au 11
septembre, chez le libraire de ma ville le 22 septembre, voici pour les premières dates.
A suivre
(01/09/2022)
Guy Chaudet, instituteur et écrivain que je
connaissais bien, vient de disparaître dans sa 99ème année. Il y a 5 ans
nous lavions honoré dans ma ville à travers une exposition organisée au pied
levé (Étonnements du 28/11/2017). En face du
bureau doù jécris cette rubrique, jai dailleurs deux poèmes
quil avait lui-même enluminés. Artiste polymathe, il nhésitait pas, à plus
de 90 ans, à se rendre en voiture à la capitale (500 km aller et retour tout de même)
et à se garer en plein centre pour un concert. Ces dernières années, lâge avait
eu raison de lui et il nécoutait plus de la musique que dans sa chambre, à raison
dun opéra par jour, sans faillir une seule fois, y compris la veille de sa mort.
Je repense à ceux quil a côtoyés avec moi aux écrivains de Haute-Marne dont il
faisait partie, à ces véritables forces de la nature, disparus, comme lui, aux âges
canoniques : Albert Kritter à 92 ans, auteur de remarquables ouvrages sur la flore,
et surtout limmense Jean Robinet, parti à 97 ans, comme Julien Gracq. Il
sétait lié damitié avec René de Obaldia pendant la guerre, tous deux
prisonniers dans le même stalag de Silésie. En 2009, dailleurs, les deux compères
sétaient revus à loccasion de la belle exposition sur luvre de
Jean Robinet. René de Obaldia na rien eu à envier à la longévité de son
compagnon : il est décédé en janvier dernier à lâge de 103 ans,
lacadémicien avait bien mérité son titre dimmortel.
Car les écrivains centenaires ne sont rares. La fréquentation du papier et des encres,
la postérité des livres doit agir par osmose dans les corps plumitifs. Citons Maurice
Nadeau, disparu à 102 ans et qui tenait quelques mois auparavant sa haute stature encore
droite comme un « I ». Oscar Niemeyer, larchitecte génial, le nez
plongé dans ses plans, a consenti à descendre de ses échafaudages quà 104 ans.
La fréquentation du milieu littéraire, par ailleurs, agit de même : la veuve de
Céline, la danseuse Lucette Destouches est morte à 107 ans. Renée Simonot, la maman de
Catherine Deneuve, également comédienne et boulimique de rôles divers et variés, a
quitté la scène à 109 ans. Un ami, grand maître descrime et qui trace à
lépée ses arabesques en lair comme des pages décriture, me disait que
sa mère était partie rejoindre les étoiles à 111 ans.
Comme le dit André Comte-Sponville, paraphrasant Edmond de Haraucourt :
« Partir, c'est mourir un peu. Ecrire, c'est vivre davantage. »
(22/07/2022)
En juin, jai bouclé un atelier décriture à
Verdun, où plutôt deux, car les 16 participants au total étaient scindés en deux
groupes :
« De cette expérience ramassée sur trois semaines, je garde un excellent souvenir.
Jai limpression que les deux séances hebdomadaires, très proches, ont
favorisé lécriture : pas le temps de se reposer pour eux, on garde une
cohérence densemble, et, pour moi, de même lidée de battre le fer tant
quil est chaud. Dans les jours qui suivront ces deux ateliers de Verdun,
jenverrai aux animateurs les textes des participants, les photos et le petit film que jai conçu. Cette
manière rapide dagir, un mois au total pour 6 séances et 16 participants
maura bien occupé. Si chaque séance dure 2 heures (donc 4 pour les deux groupes)
il faut doubler ou tripler ce temps en préparation, élaboration des séances, en
formulaires, recopiage des textes, scans, photocopies, tri des rushes caméra, photos,
élaboration du film et divers... »
Puis, le 28 juin a eu lieu la restitution de latelier de Saint-Dizier :
« On avait arrêté un peu brutalement notre atelier en janvier dernier à la
dixième séance. Une onzième, histoire de clôturer provisoirement notre travail avait
eu lieu au musée de la ville, histoire dancrer ces migrants déracinés dans un
passé et une culture qui était un peu les leurs désormais.
Je gardais en mémoire cependant le livre promis : on avait une belle matière à
disposition avec leurs écrits foisonnants. Au printemps, comme convenu, Le voyage de
Shaka a ainsi vu le jour, édité par Initiales. Restait à trouver une date pour se
revoir et distribuer en premier lieu au 16 participants « leur » livre. Les
élections présidentielles et législatives ont différé le rendez-vous : nous
tenions à ce que la préfecture soit présente, ou du moins les services de létat
en charge des migrants et notamment des mineurs non accompagnés, MNA comme on dit. A
cause des calendriers des uns et des autres, de la reprise effrénée des activités
après la Covid, la date choisie a finalement eu lieu plus de six mois après notre
dernière séance, le 28 juin. Allions nous retrouver nos jeunes ? Le monde des
migrants bouge beaucoup, décisions administratives, écoles, apprentissages, foyers
Par chance, Alizée qui mavait accompagné dans cet atelier, avait continué
daccomplir un travail remarquable, et gardait le contact avec beaucoup dentre
eux pour des cours dalphabétisation ou de français. De mon côté, javais
revu certains dentre eux : Abdoulaye était désormais serveur dans un
restaurant et son patron ne tarissait pas déloges sur lui ; je métais
occupé de financer via le Lions Club, le permis de conduire dAbdoul, lui aussi en
passe dobtenir un métier technique avec dexcellents résultats.
Bref, le jour prévu, tous étaient présents, heureux, émus et désireux de montrer
le chemin parcouru depuis Le Voyage de Shaka qui raconte leurs péripéties, la
force quil leur a fallu pour surmonter les dangers. Ceux qui étaient présents,
amis, animateurs, travailleurs sociaux, représentants de létat ou
dassociations, au total une trentaine, étaient également enchantés du résultat
inespéré de leurs parcours.
Reste pour témoigner de cela Le Voyage de Shaka, cette mémoire qui les rend
fiers, cet écrit qui restera comme une trace : nous lavons fait !
Javais préparé des extraits de quelques lignes, je tenais à ce que chacun puisse
lire ses propres mots devant le public. Tous ont joué le jeu, chacun a tenu à lire haut
et fort, même celui pour qui le peu décole avait rendu la diction hésitante, cela
ma touché.
A la fin, ces véritables auteurs se sont prêtés au jeu des dédicaces, manière de
signer, daffirmer à la face du monde limportance de ce quils
représentent, leur volonté de sintégrer. »
Ces textes sont repris dans les pages Atelier
de Saint-Dizier et Atelier de Verdun.
(15/07/2022)
Nom de code DT, vieille habitude de nommer
ce livre avant quil ne paraisse et révèle son titre : voici donc Dernier
travail. Et comme dhabitude, je créée une page spéciale dévolue à ce
nouveau titre qui paraitra pour la rentrée littéraire de septembre. Cest mon 15ème
roman (15ème et demi, si je prends en compte la réédition
« prolongée » de La Réserve, lannée passée) et le 13ème
sous la bannière Fayard, mais ma bibliographie est fluctuante, ce nest que la part
individuelle de mes livres. Si jintègre les ouvrages collectifs, les projets, la
nouvelle dInventaire-Invention, maison aujourdhui disparue, je dois
approcher ou dépasser la vingtaine de titres. Le nombre importe peu et grand étonnement
de ne pas avoir vu filer les 22 ans qui séparent mes deux toutes premières parutions de
celle-ci. Dire que jai commencé à publier avec des livres en francs ! (en
nouveau, tout de même
)
Dernier travail est un roman daspect classique, si on considère que la norme
dun livre est denviron 250 pages (ici, exactement 255 pages). On est loin du
précédent Yougoslave avec ses 559 pages en grand format (qui aurait donc
approché les 800 pages dans le format de DT). En même temps, il est important
pour moi, non pas deffacer, mais davancer dans lécriture après
lépreuve de ce vaste roman, dévolu à mon père, mais qui reste tristement
entaché par sa disparition, deux jours après lui avoir présenté « notre »
livre enfin fini. Hommage à lui : cela fera deux ans demain quil a
disparu
Donc Dernier travail, écrit rapidement, où plutôt commencé en Sicile le 19
juillet 2021, et terminé dans ma maison le 11 février dernier. Ce nétait pas
gagné, car les nombreuses occupations et imprévus auxquels jai dû faire face à
partir de lautomne précédent mont fait me retrouver à Noël avec moins de
la moitié de louvrage écrit pour une parution déjà décidée en septembre 2022,
ce qui mimposait de lavoir terminé avant mars. Mission accomplie, mais du
coup, seulement 3 notes décriture dans F de R témoignent du work in progress.
La suite désormais ne mappartient plus vraiment, même si je ne rechigne pas de le
présenter (je devrais dire que jadore ça en fait !) à tout un chacun,
libraires, professionnels du livre, journalistes et surtout lecteurs, bien entendu, en
premier plan. Grande fierté aussi à le montrer comme un très bel objet avec sa couleur
bleue, sa quatrième de couverture que je trouve intrigante. Les « seuils » du
livre, comme disait Gérard Genette, sont aussi important pour générer le fameux
« plaisir du texte », cher à Roland Barthes
(13/06/2022)
Ateliers décriture, le retour : voici la nouvelle
session de printemps, organisée par la bibliothèque départementale de la Meuse.
Lannée précédente, javais animé deux ateliers à Bar-le-Duc, lun dans la très belle
médiathèque de la ville et lautre au Centre social de la Côte Ste Catherine. Je
garde un excellent souvenir de ces deux expériences, moccuper de personnes
« éloignées de lécrit », comme on dit, mavait littéralement
vidé la tête des quelques problèmes ardus que je connaissais alors. Il faisait beau, on
portait des masques, on attendait lété dans loubli espéré de la pandémie,
mais rien ne pouvait nous éloigner du dynamisme et de la convivialité que provoque
lagencement des mots.
Jétais disposé à renouveler lexpérience, mais je voyais mon planning qui
se remplissait sans avoir de perspectives précises. Il y a deux semaines, on ma
proposé danimer deux groupes à la médiathèque de Verdun. Les séances déjà
étaient constituées : six sessions, deux chaque mercredi et jeudi après-midi
pendant trois semaines de suite : du rapide ! Par chance, les dates collaient
bien à mon calendrier, même si je sais que jaurais peu de temps pour peaufiner et
récolter les textes. Et puis Verdun, cest 160 km aller et retour, pas de train,
heureusement que jai lâme dun commis-voyageur. Lagenda, maintenant, est plein comme un uf (il
y manque les trucs « perso », les réunions associatives et choses diverses,
pas loin de doubler les rendez-vous).
En parlant datelier décriture, celui
de Saint-Dizier, terminé depuis janvier et qui figure toujours en page
daccueil, va se conclure mardi 28 juin, par une restitution officielle de cette
action où le très beau texte élaboré par les participants leur sera remis.
(23/05/2022)
Après le très beau projet Instants
Handball, dont lélaboration et les prolongements ont été fastueux, voici Instants
cuisine qui se concrétise avec une première exposition dans les Ardennes à
Donchery, dans un pôle culturel tout neuf, magnifique et spacieux. Tout cela, je le dois
à Alain Delatour, mon
complice peintre, qui me lance des défis picturaux et auxquels je dois répondre par
quelques écrits en rapport.
Nous avons ainsi continué ces jeux déchanges, initiés avec le handball, à
travers la cuisine, lidée étant, comme précédemment de faire cohabiter trois
activités dont le rapport ne coule pas de source à priori. Mêler sport, peinture et
écriture était déjà un challenge, et, de même, enchevêtrer art des lettres,
culinaire ou pictural participe de la même dynamique. Car la confrontation entre ces
trois activités distinctes nest pas évidente. Autant pour Instants Handball,
lexistant entre sport, peinture et écriture était peu marqué (quelques beaux
livres de photos, des textes anecdotiques ou des romans, des essais, mais peu de
mélange), tout restait donc à inventer, autant pour la cuisine on se heurte à des
schémas de pensées très normatifs : livres de cuisine avec photos appétissantes
et texte réduit à lélaboration dune recette
Or, lorsquon
interroge tout un chacun sur son rapport à la cuisine, ce qui vient en premier, ce sont,
non pas des recettes, mais des anecdotes, souvenirs dun plat réussi ou raté,
diners fabuleux
etc. Ainsi, notre idée est de proposer, non pas un énième livre de
recettes, mais au contraire, de détourner les plats selon nos inspirations. A
labstraction proposée par Alain, je réponds par des circonstances, des souvenirs,
des poèmes. Ceux qui chercheront des idées de plats devront faire preuve
dimagination : mais cest justement le sel dune cuisine réussie.
Pour linstant, le livre Instants cuisine nexiste pas, même si la
maison dédition (Le livre dart) est déjà retenue : avis donc aux
mécènes et autres sponsors intéressés par notre projet.
En revanche, comme pour Instants handball où nous avions commencé par une
exposition à Voiron, notre projet enfin se concrétise grâce à de très beaux panneaux
où Alain a recopié ma prose sous ses peintures : on est donc dans un art scriptural
total. Le lieu dexposition, à Donchery, est très beau et nos tableaux sont très
bien mis en valeur. Charlotte qui gère le lieu depuis septembre avec dynamisme et
enthousiasme, accueillera les visiteurs avec plaisir jusquà début juillet aux
heures douverture de la médiathèque qui jouxte la salle dexposition : 7
heures par jour du mardi au samedi, vous avez le choix (à titre de comparaison ma ville
qui compte dix fois plus dhabitants et dix fois plus demployés ouvre
seulement 24 heures dans la semaine).
Le vernissage a eu lieu vendredi 13 (nous ne reculons devant aucune superstition) :
présence du maire, des adjoints, public fourni et au préalable 3 classes ont visité
notre exposition : photos en Webcam. Jai aussi présenté mes livres et, en
primeur, la couverture du prochain.
(16/05/2022)
Châteaux, mais dabord hôtel, celui de la Villa
Modigliani dans laquelle se tenait la réunion des représentants de ma maison
dédition. Ainsi, à peine le temps de revenir de Belgique, me voici reparti à
Paris pour la bonne cause avec la parution de DT en septembre et jai grand
plaisir de retrouver des visages connus, dont certains étaient déjà présents lors de
la parution de mon premier livre, Central, 22 ans auparavant. Ça change de
lexercice obligé de la petite vidéo damateur que javais dû réaliser
deux ans auparavant pour Yougoslave, confinement oblige.
Un petit retour rapide en train à la maison avant de repartir deux jours plus tard à
Paris récupérer ma voiture laissée sur place pour un week-end riche de deux rencontres.
Mais cest sans compter une grève inopinée de la SNCF dans ma région : deux
jours sans aucune circulation à partir de ma ville, obligé de blablacarder pour me
rendre à 70 km de là et espérer une locomotive. Moi qui prenais déjà rarement le
train, parce que rien nest fiable pour notre compagnie nationale qui délaisse des
pans entiers de réseaux, me voici encore plus conforté dans mes résolutions
Enfin, voici le week-end de châteaux qui sannonce.
Le premier est à Avaray, commune du Loir et Cher. Ancienne résidence des ducs du
village, ce château, entouré de douves et dont la base date du XIIIème siècle, à
été modernisé au XVIIIème siècle, et même après, si on intègre dans le périmètre
les tours proches de la centrale nucléaire de Saint-Laurent. Demeure désormais privée,
la noblesse a fait place à un syndicat de copropriétaires du tiers-état (un tiers état
plutôt bourgeois, il y avait une Rolls-Royce garée dans la cour). Christophe Pittet, qui
est lun des habitants, my accueille pour une journée de réflexion sur le
thème du travail. Je serai accompagné dun autre écrivain, Thomas Coppey, auteur
de Potentiel du sinistre (en Notes de lecture) et de Baptiste Rappin, universitaire
et spécialiste du management. Le cadre et les échanges dans ce lieu dexception
rappellent à moindre échelle les colloques de Cerisy, où javais eu la chance
dêtre invité (voir note
décriture du 04/07/2016). Ambiance conviviale et sympathique, repas pris en
commun, ce qui nexclut pas la profondeur des échanges. Tout cela a eu lieu dans le
vaste appartement de Christophe, situé sous les combles et qui traverse le château sur
sa façade la plus longue. Avec la magnifique charpente visible sous nos têtes, nous
étions dans le
ventre de la baleine.
Mais, le lendemain, départ de bonne heure pour traverser à nouveau la France, 500 km à
accomplir jusquen Moselle, à Uckange où lassociation Des mots et débats fêtait
(façon de parler) les trente ans de larrêt des hauts-fourneaux. Devenus lieux de
pèlerinage depuis, ce château métallique se visite en souvenir de ceux qui y ont
travaillé. Là encore, cest une sorte de château érigé pour les ouvriers du
tiers état. Son ombre était présente derrière nous lors de la table ronde très bien
organisée et animée et qui a réuni Florence Aubenas, auteure du très remarqué Le
quai de Ouistreham, récemment adapté au cinéma, Denis Maillard, conseiller en
relations sociales, Jean-Louis Malys de la CFDT et moi-même. Très heureux davoir
revu à cette occasion Anne-Marie, libraire enthousiaste dAutour du monde à
Metz, que javais connu aux Sandales dEmpédocle à Besançon et suivi
dans ses pérégrinations à Niort à La Librairie des Halles.
(06/05/2022)
Règne littéraire : on pourrait imaginer la chose écrite
de la même manière que les animaux et les végétaux, une sorte dordre cosmique,
préexistant sur terre. Bien sûr, il y a eu lintervention de lhomme, mais
peut-être que le règne littéraire qui en découle ne devrait son apparition parce que
lêtre humain était là, comme une sorte de condition nécessaire et suffisante, de
la même manière que les deux autres règnes, lanimal et le végétal
nauraient pu éclore sans leau, ni lair. Imaginer ainsi un règne
littéraire en son existence propre est un objet détude assez étonnant. Chaque
écrit se suffit à lui-même comme une plante enfermée dans un herbier ou un mammifère
naturalisé. Bien sûr, lexamen pourrait remonter aux prémices de lécriture,
cunéiformes, hiéroglyphes, alphabets, idéogrammes et autres manifestations écrites,
sappesantir sur les supports, le parchemin, les tablettes dargiles, les
manuscrits de la Mer Morte, le papier, le support numérique
Revenir sur les
inventions, Gutenberg, Internet, SMS
Nos bibliothèques seraient semblables à des
serres exotiques ou à des muséums dhistoire naturelle. Nos librairies seraient
comme des jardineries ou des animaleries. Nos maisons déditions égaleraient des
fermes délevage ou des exploitations agricoles. Tout cela, oui, constituerait des
approfondissements essentiels. Mais surtout, à étudier ainsi lécriture sous la
forme dun règne littéraire indépendant, disparaitrait enfin celui qui la
conçu, lécrivain et son insupportable ego, sa postérité de pacotille et tous les
artifices qui gravitent autour du maigre petit carré de feuilles quil a conçu,
seule manifestation digne dintérêt.
(11/04/2022)
Perspectives, en synonyme de projets, intentions,
programmes : tout ce qui se met en place en ce début dannée concernant la
chose littéraire qui me concerne. Pour la variété des choix, on devrait plutôt parler
de vues en perspectives, trois dimensions et plus. Bien-sûr le livre en préparation
(nous en sommes au choix de la couverture, de largumentaire, quelques questions pour
le catalogue de parution (on dit booklet dans la profession), tout sachemine
à mon insu, ou plutôt, la machine est lancée. Mais le printemps est aussi le moment où
les projets déjà prévus se concrétisent, où dautres sannoncent.
Dans les choses déjà prévues, il y a une journée entière de réflexion sur le thème
du travail samedi 30 avril à Avaray (à côté dOrléans), organisée par le
« tiers lieu culturel » Dans le ventre de la baleine et dont le programme est
désormais défini : jinterviendrai en bonne compagnie, avec Thomas Coppey, qui
a écrit Potentiel du sinistre (Acte Sud, 2013) et Baptiste Rappin, enseignant et
philosophe, spécialiste du management.
Pas le temps de me reposer, je quitte la Sologne et fonce en Moselle, où le lendemain, 1er
Mai, on fête les 30 ans dusine à Uckange, jinterviendrai pour une table
ronde laprès-midi, toujours sur le thème du travail.
Tant quon est sur ce thème qui décidément marquera mon année, moi qui suis
désormais hors champ du boulot, je viens daccepter une journée prévue en novembre
sur « écrire et dire le travail », en région Hauts de France. Cest
organisé par le Centre de
Recherche et dInnovation Artistique et Culturelle du monde du travail, le tout
reste à préciser.
En revanche, ce qui est certain, cest que les rencontres
philosophiques de ma ville natale à Langres, patrie de Diderot, auront lieu du 7 au 9
octobre 2022, et auront pour thème le travail. Jy serai bien-sûr, et pas seulement
en tant que régional de létape. Tout cela vient juste dêtre prévu.
Bref, pas le temps de mennuyer (il faudra aussi que je pense à évoquer dans F
de R le Club service dont je suis président encore pour quelques mois, avant
dendosser dautres responsabilités - les dernières actions se profilent,
sy rajoute lurgence de laide aux ukrainiens, comme pour toutes les
associations humanitaires).
Les ateliers d'écriture dans la région de Bar-le-Duc sont également en programmation
pour la fin du printemps. Idem pour l'atelier de Saint-Dizier dont il me reste à
finaliser la restitution, avec le beau livre en fabrication à ce jour.
Il reste aussi un projet qui « nous » tient à cur avec lami peintre Alain Delatour,
qui a remarquablement uvré pour notre projet Instant cuisine : une expo
et des animations devraient se tenir dans divers lieux. Ça devrait déborder largement
dans le deuxième semestre. Désolé pour une programmation rapide à la fondation Louis
Vuitton, nous devrions être pris jusquen 2023 au minimum.
Jajoute un dernier projet qui se termine : dans deux jours, je vais découvrir
à Paris le fameux
fim tiré de mon roman Ils désertent
A suivre.
(20/03/2022)
Note décriture de René Fallet (Journal
de 5 à 7, 21/12/1966) :
« Écrit Charleston [Denoël, 1967] en 23 jours. Cest mon rythme, ma
frénésie. Je ne serais pas chez moi dans une histoire sil me fallait
lécrire en trois ou six mois. Alors quen trois semaines, un mois, je suis
hanté, violé, amoureux. Les amoureux savent tout un versant du fait
décrire : lobsession.
Je suis entré dans Charleston avec la peur, comme dans une arène. Écrivant comme
un dingue, un furieux, jai mieux compris, ce coup-là, la grandeur de
lécrivain, sil en a une, et pourquoi pas ? Tant de patience, de rage, de
sérieux, dabnégation (pas baisé, pas sorti, pas rigolé pendant un mois) pour une
chose dont on vous dira : « Oui, cest pas mal
» Écrivains je
vous admire autant je madmire, nous sommes quelques-uns à ne pas avoir écrit Les
Neiges du Kilimandjaro [nouvelle dErnest
Hemingway, 1936, traduite en français en 1957]. Quelle solitude que
lécriture ! On ne vit, durant des semaines, quavec des ombres qui sont
vous, et plus réelles que les vrais corps des vraies vies qui passent dans la rue.
Jétais étonné, en sortant de chez moi, dépaysé. Je quittais tout à coup le
Londres que je me racontais. En écrivant un livre avec cet acharnement, passant sur tout,
fatigue, doutes, repas, sommeil, je dois perdre un an de vie. Tant pis. Mais putain, que
de fois ai-je dû écrire depuis mon premier roman, « Il dit », « Il
sourit », etc.
On se copie, on se répète. »
(08/03/2022)
Quelques extraits du Journal
de 5 à 7, de René Fallet (en fait, pas seulement « quelques »,
tellement cest beau
) :
23/10/1963 :
Ils sont tous « hommes de lettres ». Je me considère moi, comme un
« enfant de lettres ».
19/12/1963 :
- Quelle est votre occupation favorite ?
- Loccupation allemande.
11/02/1964 :
Je commence Paris au mois daoût, roman tout à fait populiste, où le minable,
quand même, à la fin, deviendra Perdican.
05/03/1964 :
Point final de Paris au mois daoût. Je pose immédiatement La
Marseillaise sur le pick-up pour célébrer lévènement. Ensuite, pris de
remords, je retourne le disque pour entendre LInternationale. Je mets toutes
les chances de mon côté.
27/10/1964 :
- Cest un écrivain engagé.
- Dans les Zouaves ?
20/11/1964 :
Lécrivain ne devrait servir quà gueuler au nom des autres. Cest là
son véritable sens, son utilité.
22/11/1964 :
On me dit avec gourmandise en parlant de lhéroïne de Paris au mois daoût :
« Pat !
Ah, Pat
». Si je connaissais Pat, mes bons amis, je ne
serais pas là.
29/11/1964 :
Le pédagogue est, étymologiquement, celui qui se rend à pied aux cabinets.
8/12/1964 :
Fini. Mes nerfs se détendent comme de vieux élastiques, je souffle en accordéon tombé
du premier étage. Fallet, 6 voix, Tortillard, 5. Jai donc à 37 ans cet Interallié
que mes vingt ans méritaient pour Banlieue Sud-Est. [Tortillard
désigne lécrivain Paul Tillard également en lice pour le prix]
10/12/1964 :
Mes projets : onze romans, Paris au mois de janvier, Paris au mois de février,
Paris au mois de mars, etc.
02/02/1965 :
Il y a deux sortes de littératures, lennuyeuse et lautre. On me passionnerait
si on mentretenait avec primesaut de la fabrication des verres de lampes en
Tchécoslovaquie. Si mes romans ont ennuyé quelquun, je lui demande pardon,
cest quils nont pas atteint leur but.
03/09/1965 :
Vers la préfecture de Police, plaques commémoratives diverses :
- Ici est tombé Machin, le 24 août 1944.
- Ici est tombé Chose, le 24 août 1944.
La chaussée devait être rudement glissante, ce jour-là.
29/01/1966 :
Nous ne nous embrassons plus guère, Agathe et moi. En revanche, cest à qui
couvrira Ulysse qui a horreur de ça de baisers. Nous nous embrassons par
chat interposé.
03/10/1966 :
Plaque au premier étage dun restaurant, place de la République :
« Défense de monter sur la marquise. »
07/07/1967 :
Le nouveau roman a permis à ceux qui navaient rien à dire de pouvoir enfin
sexprimer.
22/10/1967 :
Mort de Marcel Aymé. Le 12/2/66 je lui avait serré la main. Il était temps. Il peut
partir tranquille.
30/11/1967 :
Je nai pas une très belle âme, cest vrai, mais la vie est si courte.
13/02/1968 :
Le chat Ulysse, qui navait dormi auprès de moi que pendant la nuit de
lInterallié, est revenu coucher contre moi les deux nuits qui ont suivi la mort de
ma mère. Parlez toujours de coïncidence, si cela vous amuse.
12/06/1968 Thionne :
Ce mois, il y a vingt et un ans que paraissait Banlieue Sud-Est. Jai quarante
ans. Je suis triste à mort. Je nai rien que le pernod. Personne à qui parler, sauf
lui.
12/09/1968 :
Agathe boit son thé avec force petits bruits et autres reniflements. Je me
dis : « Elle pleure. »
Non, elle se bourre de tartines.
25/12/1968 :
Ce soir, Noël des Vieux, Noël des Orphelins et autres Noëls accablants.
Ce soir, ma mère réveillonnera sous quatre pieds de terre.
Ce soir, on boit avec Georges, quand même, le champagne des vieux copains.
15/03/1969 :
Georges, à une heure du matin, saffirme gaulliste. Je me dis, sil est
gaulliste, cest quon est bourrés. On létait.
22/10/1969 :
Nous autres, on ne se suicide pas. On écrit.
19/01/1970 :
Le roman psychologique, ce nest pas difficile. Tout embrouiller, se contredire, se
répéter. Je suis un Proust à létat sauvage.
18/10/1970 :
Je suis anar de gauche à droite, tendance essuie-glaces.
22/12/1970 :
Ma chérie, je temmène à Venise. Tu rameras.
25/12/1970 :
Agathe, au lieu de passer sa vie à mes pieds, la passe à mépier.
31/12/1970 :
Vie quotidienne. Je bougonne comme tout écrivain français.
01/03/1971 :
Je mélancolise. Je plaisante lAssociation des Anciens Alcooliques. Je vais
fonder celle des Nouveaux.
30/11/1971 :
On ne devient pas adulte, on devient vieux. Nuance.
17/01/1972 :
Je penche à droite, mais baise à gauche.
24/02/1972 :
La mie ne vaut rien. On gagne sa croute, jamais sa mie.
28/04/1973 :
Il est temps de penser à mes uvres posthumes. Notre vie nest quun
intermerde.
05/02/1974 :
Au restaurant, je suis toujours, comme en amour, le dernier servi.
25/02/1975 :
Brassens me dit que je marche entre deux fesses comme entre deux gendarmes.
18/09/1975 :
Aimer, ce nest pas seulement aimer, cest aimer trop.
20/12/1975 :
Oui, les hommes sont égoïstes. Ils ne pensent quà elles.
12/02/1978 :
Je ne suis pas légoïste dont veut bien parler Agathe. Je suis simplement un peu
dur au mal des autres. Tout comme eux.
12/01/1979 :
Les vieux écrivains, comme les vieilles putes, ont encore leur petite clientèle.
26/12/1979 :
Mon neveu Gérard me prédit un cancer des broches. Je le revois quelques jours plus tard.
- Tu mavais promis un cancer des bronches ?
- Oui.
- Tu me las apporté ?
27/04/1980 :
Je nai plus, enfin, peur de vieillir. Cest fait.
12/09/1980 :
Nous avons eu peur de la vie. Jamais contents, nous avons aujourdhui peur de la
mort.
15/03/1981 :
Je ne fais pas de la littérature, je la vis hélas.
06/12/1981 :
Georges, tu ne mas pas enterré. Moi non plus. Il nous aura manqué que cela. Pas
grave.
18/12/1982 :
Les cimetières sont pleins de gens inutilisables.
Toute vie est ratée, puisquil faut la quitter.
24/01/1983 :
Pas facile à vivre, Fallet. Pas facile à mourir, non plus.
30/05/1983 :
Disque de Georges à la radio. Moi : « Oui vieux, jarrive. »
14/05/1983 :
Un rien de dérision sauve lhonneur de lhomme.
(01/03/2022)
Fin de DT, cest-à-dire fin de lécriture
en cours que jai répertoriée sous ce nom de code. Nom de code qui naura
peut-être aucun rapport avec le titre final, puisque cest sous un autre nom que
sachemine ce roman. Parution prévue pour septembre, nouvelles photos avec
linénarrable Richard Dumas, contacts serrés avec Fayard, tout cela se précise
pour mon plus grand bonheur et excitation.
Il y a peu, je ny croyais pas trop, javais pris un retard conséquent :
commencé le lundi 19 juillet en Sicile, les évènements et la bousculade imprévue dès
mon retour de vacances ne mont pas permis davancer au rythme tranquille et
serein que je prévoyais. Je me suis retrouvé après les fêtes de fin dannée,
exténué, et, en ayant levé la tête du guidon, je me suis aperçu que jétais à
moins de la moitié de la rédaction du livre début janvier, soit léquivalent
seulement dune centaine de pages.
Ainsi, le projet de renouer avec un roman du travail, élaboré et validé avec mon
éditrice risquait fort dêtre compromis pour la parution initialement prévue de
septembre, sachant que la rentrée littéraire dautomne impose une préparation bien
en amont des vacances dété. Jai bien essayé de négocier une remise du
manuscrit le plus tard possible, mais il ma fallu me rendre à
lévidence et ne pas aller au-delà de février. Il me restait ainsi moins de
deux mois pour terminer la chose, soit encore 150 pages à inventer et rédiger pour
obtenir la longueur classique dun roman. Ce qui imposait environ à
mastreindre à écrire au minimum 30 pages par semaine. Pour Yougoslave, il
est vrai que javais fourni leffort régulier dun minimum de 20 pages par
semaine pendant 20 mois. Cette fois-ci encore, jy suis arrivé plus tôt que prévu
et jai ainsi rendu ma copie vendredi 11 février, soit un mois pour écrire les 150
pages qui me restaient.
Je négale cependant pas René Fallet (dont je lis en ce moment le Journal de 5
à 7 tout juste paru), qui, pour sa part, avait commencé Paris au mois
daoût un 11 février (1964), mais qui lavait terminé le 5 mars, soit 23
jours pour écrire un roman de taille classique, donc à raison de dix à quinze pages par
jour sans trêve !
(22/02/2022)
Jusquà très récemment, jai craint de ne pas y
arriver. Lidée avait germé dans ma tête, poussée par mon éditrice qui aurait
bien aimé que je retrouve le thème du travail dans mon écriture. Même si je nai
jamais eu limpression de changer radicalement dinspiration : ainsi les
métiers de Rimbaud dans VPAR, les activités laborieuses des protagonistes de Yougoslave,
voire celles des 3 héros de Il se pourrait quun jour je disparaisse sans trace, ou
encore Journal de la canicule, mes derniers livres parlent aussi de boulot, job,
besogne. Mais il manquait probablement la dimension sociologique directe, bref,
létiquette « décrivain du travail » quon ma collé
dessus depuis mes débuts en écriture. Cela ne me gène pas, le thème du labeur est
récurrent chez moi, une source dinspiration et que ce soit RMS, Central, Ils
désertent, Composants, CV roman, tous ont été reconnus comme tels.
Seulement, encore faut-il un sujet. Or, en réfléchissant à la manière dont se sont
déroulées mes dernières années de labeur, je me suis aperçu que je ne les avais
jamais évoquées. Et quelques anecdotes me sont revenues, des souvenirs suffisamment
intrigants, interrogatifs pour ne pas les abandonner. Le livre promis a ainsi commencé à
me creuser les méninges, sous forme dun roman bien-sûr.
Jai donc commencé DT (son nom de code) le 19 juillet dernier en Sicile et
jai rédigé les premières pages, dans ce lieu et cette période qui ont toujours
été propices à linspiration. Le livre étant promis pour la rentrée
dautomne 2022, Je pensais mastreindre à une écriture régulière mais sans
plus. Le livre que jentrevoyais (que jentrevois toujours), na rien à
voir avec le précédent roman fleuve Yougoslave, cest donc sereinement que
jimaginais avoir devant moi un boulevard assez large décriture. Hélas, la
grande bousculade familiale, associative, diversifiée qui sest mise en place à
partir de septembre, a eu raison de cette perspective. Je nai pas pu aligner un seul
mot, tant mon emploi du temps a été compressé. Cest peu de dire que je
navais pas une heure à moi. Mon temps se comptait en minutes clairsemées et
volées au chaos. Jai eu un vague répit dà peine un mois avant que Noël ne
me rappelle la quinzaine désordonnée qui mattendait.
Bref, je me suis retrouvé la semaine dernière avec lobligation davancer
coûte que coûte si je veux respecter la publication actée en septembre prochain. La
parution dun livre en cette période impose dalerter les représentants de
léditeur, deffectuer le service de presse pour les journalistes largement
avant lété. Et il faut corriger le livre, choisir la couverture, les
argumentaires, fabriquer le bouquin
Pour toutes ces raisons, mon éditrice a réduit
mes prétentions dun mois, tandis que je proposais de remettre le bouquin terminé
fin mars. Me voici ainsi dans lobligation de terminer le tout en six semaines et,
comme le livre nest avancé que de moitié (au mieux), cest peu de dire que je
dois me coller à la « table de peine » (selon lexpression de
Saint-Bergounioux) pour réaliser au minimum 30 pages par semaines. Malgré tout, cela
avance (guère le choix) et je devrais pouvoir y arriver à cette perspective éditoriale
prévue pour lautomne 2022.
Car, ce quil y a de formidable et de très enthousiasmant, cest la manière
dont la machine de guerre éditoriale se met en marche : celui avec qui
je travaille depuis quinze ans ma appelé dans la foulée, lexcellent
photographe aussi, tout se met en place, simbrique dans laventure
éditoriale nouvelle.
(18/01/2022)
« Le camion est un
Berliet, un dix-neuf tonnes. Le capot proéminent et carré qui recouvre le moteur arrive
aux épaules de Léo lorsquil se tient debout à proximité, et les roues
impressionnantes, pneus de gomme noire entourant des jantes de tôle fixées par des
dizaines dénormes boulons, lui montent à la taille. Assis derrière le volant, il
est difficile de bien voir ce qui se cache à lavant, aussi, au bout des pare-chocs,
deux tiges flexibles sont surmontées chacune dune petite boule en liège, de la
dimension dune balle de ping-pong, recouverte dune couleur vive.
Lorsquelles bougent, cest quon a heurté un obstacle, un muret ou un
autre véhicule. Les manuvres sont toujours délicates. Le camion est peint en jaune
crème pimpant. A larrière de la cabine, le fourgon nest pas constitué du
châssis habituel en bois surmonté dune toile. Il est rigide et étanche, percé
douies pour assurer la ventilation des fromages. Ceux-ci sont refroidis par des
pains de glace que lon empile dans un frigo situé entre la cabine et lespace
de chargement. Un jour, une passante interpelle mon père : Vous avez une fuite à
votre camion. Et elle désigne la petite coulée deau aménagée sous la glacière,
qui évacue la fonte de la glace. [
]
Léo grimpe dans son camion toujours de la même manière : un pied sur le
marchepied, la main droite agrippée au montant de la portière, puis il jette sur la
banquette sa petite valise de carton bouilli qui contient sa trousse de toilette et
quelques affaires de rechange pour plusieurs jours, sassoit, saisit limmense
volant et fait un dernier signe en souriant. Son camion lemmène jusquau plus
profond des routes, jusquau centre des villes. [
]
Les trajets mènent toujours vers lOuest, la Normandie, lAquitaine, la
Bretagne. Des lieux reviennent souvent dans les conversations échangées entre Léo et
Yvette. Je rentrerai jeudi soir, je vais à Caen. Cette semaine, ce sera Agen. Je vais à
Bordeaux, à Nantes, à Rennes. Je pousse jusquà Quimper, je descends vers Limoges,
je remonte au Havre, je passe par Clermont-Ferrand. A force la géographie française lui
devient familière. Encore maintenant, Léo est capable de situer nimporte quel
endroit, dénumérer les étapes pour y arriver, dévoquer la beauté
pittoresque dun centre-ville ou la difficulté dy accéder avec un camion. Au
début cest un temps sans autoroute. Néanmoins, les routes les plus longues
aboutissent souvent à la mer ou à locéan : Brest, Cherbourg, La Rochelle
rappellent à Léo que la fuite va toujours vers lOuest, vers lOccident,
jusquà buter contre les vagues. A-t-il le temps de penser parfois, lorsquil
est ainsi stationné sur un parking devant un rivage, à ceux qui sont partis vers le
continent américain ? Sa famille de Backa Palanka vers les États-Unis ? Sa
tante Julia vers le Brésil ?
Un été, il memmène avec lui en Normandie. Le 14 juillet tombe au milieu de la
semaine, les dépôts sont fermés, on ne peut livrer le gruyère. Nous en profitons pour
visiter les plages du débarquement. Sur les parkings des touristes, je suis fier de
descendre dun camion. »
(Yougoslave, p. 496 à 498)
(08/01/2022)
|