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Notes d'écriture 2016
Forcément, un direct avec Radio libertaire ne peut
commencer quavec une dose danarchie : cest de ma faute, je me
trompe dendroit, arrive rue Amelot, au siège de la librairie libertaire alors que
les studios sont deux stations de métro plus loin. Le temps de réagir, de mettre à
lépreuve mes talents de coureur sur trois bonnes centaines de mètres, me voilà
suant et soufflant à la porte idoine. Je me confonds en excuses auprès de Valère-Marie
Marchand, et nous commençons derechef avec quatre minutes de retard : cest du
direct ! Peut-être que cet épisode respiratoire mest salutaire car je me sens
de suite à laise, attentif, tourné vers mon interlocutrice qui a remarquablement
préparé ses questions. Ainsi, lheure et demie prévue passe à la vitesse TGV.
Quelques intermèdes musicaux : poèmes de Rimbaud lus (ou plutôt déclamés style
grand siècle aurait-il aimé ?) puis Léo Ferré, plus persuasif, raconte de
sa belle voix Les
Poètes de sept ans. Entre ces deux extraits, nous écouterons Les oiseaux de
passage chanté par Brassens, mon seul souhait, et jexpliquerai à la suite
de cette merveilleuse chanson, que le texte est de Jean Richepin, écrit en 1876, soit
trois ans seulement après que Rimbaud lui ait offert un exemplaire dUne Saison
en enfer : on peut mesurer combien Arthur tenait à ce poète lorsquon sait
quil lavait offert à son ami Verlaine
et cest à peu près tout.
Vous lavez compris, jétais invité sur Radio libertaire pour évoquer VPAR.
Ça a été une grande joie. Jai dit des choses inédites, un vrai grand bonheur
avec sourires. Cest rare, même si parler de ce livre me passionne et
memporte, au bout de quelques mois dinterviews journalistiques, de
« service après-vente », dévocations de ce fameux Rimbaud, des choses
nouvelles métaient encore apparues.
Je suis un romancier. Généralement, quand on me
demande ce que jécris, ou quil me semble bon de préciser la vague notion
décrivain, ou encore plus dauteur, je me sens toujours gêné aux entournures
à utiliser ce vocable. Romancier
A lâcher cette profession, jai toujours
limpression dendosser une panoplie de Zorro, dêtre regardé comme un
auteur de romans à leau de rose, Arlequin pour ménagère de plus ou moins
cinquante ans, un colporteur de légendes niaises, un racontar de balivernes, un héritier
de proses sentimentales de la période romantique. Bref, je racornis mon image, je me
cantonne à lhistoriette. Mais les termes pour décrire les métiers sont restreints
et, dans le domaine de la littérature, peut-être plus quailleurs, ils nont
pas évolués depuis des lustres. Aucun dépoussiérage du style « technicien de
surface » pour qui fait le ménage, « professeur des écoles » à la
place dinstituteur, « opérateur
de production » pour remplacer louvrier. On dit romancier au mieux, pour
préciser quon nécrit pas des essais, ni de la poésie. Si par hasard on
contribue à lécriture dun film, à des piges pour les journaux, si on
endosse pour un copain cinéaste un rôle de figurant dans un film, si on remporte un
tournoi de tennis, on peut compléter par scénariste, journaliste, comédien, grand
sportif, ça fait plus sérieux sur la rubrique Wikipédia (lidéal est dy
adjoindre le tire dacadémicien). Il nempêche que le romancier peine à
asseoir une notoriété, dautant plus que tout le monde écrit maintenant des
romans, à commencer par les scénaristes, journalistes, comédiens, grands sportifs.
Finalement, peut-être que ce manque de reconnaissance en terme de métier est due à une
vision restée dans les limbes universitaires. A lire les doctes recueils sur la poétique
du récit, ou du roman (en note de lecture cette semaine), ou les innombrables écrits sur
la fiction en tant que genre, à se demander en permanence si le récit englobe le roman
ou vice-versa, si la fiction ne détient pas une part importante de réalité, si la
manière dont les auteurs interfèrent sur les autres sciences humaines, philosophie,
sociologie, anthropologie, on fabrique probablement des barrières invisibles mais
infranchissables. Je relisais hier un mail quun écrivain mavait envoyé
plusieurs années auparavant (« Je pense que le roman est un genre exténué. Et il
me semble que vous pensez la même chose»). Je ne sais pas en fait. Le roman est
exténué par étouffement théorique, cest certain, parce quon a considéré
que son âge dor était au XIX° siècle, parce quon est dans une spirale où
le « déjà vu » est condamnable, et quil faut innover sans cesse. On ne
cesse donc de gloser le plus sérieusement possible, de définir et repenser sans cesse
les notions de récit, roman, fiction (dailleurs je rajoute mon grain de sel cette
semaine en Etonnements). Voici quelques assertions repérées chez les plus grands
spécialistes : « Innombrables sont les récits du monde » (Roland
Barthes) ; « Sur le plan esthétique, le récit ne peut rendre compte de la
valeur dun roman » (André Malraux) ; « Ce battement du réel et de
limaginaire qui nous saisit pendant la lecture est lessence de la fiction
dramatique ou épique » (Danielle Sallenave) ; « En somme, le récit
ressemble à une machine ou à un corps. Bien fonctionner pour lui, cest savoir
passer inaperçu » (Alain Robbe-Grillet) ; « La fiction nest pas
seulement un droit, le droit de penser, cest-à-dire : toutes les pensées sont
possibles, on peut tout penser, rien nest interdit à la pensée, cest aussi
un moyen, justement un moyen de penser » (Leslie Kaplan) ; « Il y a des
dictions de littérarité constitutive et des dictions de littérarité conditionnelle,
alors que la fiction est toujours constitutivement littéraire » (Gérard
Genette) ; « Lidée selon laquelle les frontières de la fiction auraient
disparu ou se seraient définitivement brouillées est largement répandue »
(Françoise Lavocat). A lire à la suite ces pensées qui sont justifiées, qui
sinsèrent dans une réflexion longue et aboutie, on est frappé de cette impression
toutefois de tourner en rond, dabolition du mouvement, alors que ce quelles
veulent dire est tout le contraire : littérature et (est) impulsion, de même que la
beauté sera convulsive ou ne sera pas, comme disait André Breton.
Jai participé à lémission Du grain à
moudre sur France Culture. Le sujet était « la littérature sait-elle parler
aux électeurs du Front National ? ». Cétait donc pour Faux nègres
que javais été invité. Jétais accompagné dAurélie Adler, maître
de conférences en littérature à luniversité de Picardie (que javais déjà
rencontré à Tours dans un colloque sur la littérature du travail) et de Nicolas
Mathieu, auteur de Aux animaux la guerre (que javais aussi rencontré
lannée passée lors dun débat dans un café à Voiron). Le monde est petit
en effet, et une connivence sest tout de suite installée entre nous. A Bruxelles,
suivait de loin Michel Dufranne, chroniqueur à la RTBF. Hervé Gardette,
lanimateur, a donc eu affaire à un public dintervenants facile. Ce nest
pas toujours le cas. Je suis un habitué de lémission que jécoute en voiture
et qui rend moins fastidieux les longs trajets dautoroute lorsque je reviens
dune réunion de travail à Lille ou Arras. Parfois les intervenants ne sont pas
daccord, voire franchement hostiles entre eux (rarement heureusement) et, dans cette
émission qui se déroule en direct, Hervé Gardette à fort à faire. Là, dans le
studio, groupé autour de lui, nous pouvions échanger des regards, piaffer
dimpatience pour répondre à une question, acquiescer à une réponse, bref, les
quarante minutes de lémission ont passé à une vitesse stupéfiante. Javais
limpression dêtre à peine entré dans le studio et davoir encore plein
de choses à dire lorsquHervé Gardette a conclu nos interventions. Ce fut ainsi un
vrai moment de bonheur et de plaisir déchanger dabord en fin démission
dans les couloirs courbes de létonnante Maison de la Radio avec Hervé Gardette,
ensuite dans le métro avec Aurélie et Nicolas. Il est certain que jécouterai
dorénavant avec encore plus dattention Du
grain à moudre à lautoradio en imaginant les intervenants dans le studio
feutré, chacun devant son micro. Parfois (souvent), lécriture et la publication
réservent des à-côtés bien agréables. A suivre : un autre direct, sur Radio
Libertaire cette fois, le jeudi 15 décembre à 15h, mais ça durera une heure et demie et
je serai tout seul pour évoquer VPAR.
Je ne connaissais pas ce lieu parisien, la maison de la poésie,
toute proche des Halles. On y accède au milieu dun passage qui relie la rue
Saint-Martin et la rue Quincampoix. Sébastien
Rongier maccueille dans une salle chaleureuse en sous-sol. Arthur H est,
paraît-il, dans la pièce juste à côté. Dailleurs, nous le verrons passer
avant de commencer. Je suis très heureux dêtre ici pour cette rencontre autour de
Rimbaud, placée sous le patronage de Remue.net,
vieil attachement pour cette structure vivace et vivante qui me traverse depuis mes
premiers écrits. La vision de mes livres exposés sur une table, constellés
dinnombrables marque-pages me procure à la fois joie et gène. Joie, parce que je
mesure le travail sérieux et opiniâtre que Sebastien a accompli et cette reconnaissance
est une grande fierté pour moi ; gène parce que jai limpression de
lavoir accaparé dans un emploi du temps que jimagine déjà bien rempli. Nous
nous mettons daccord sur les extraits à lire, remontons un instant au
rez-de-chaussée ; je suis arrivé bien en avance. Un nombreux public se presse
déjà, jy découvre Nathalie Kuperman et Dominique Fabre
mais ce nest
pas moi quils viennent soutenir, cest le concert de Pascal Comelade, qui a
lieu dans la grande salle. Je constate cependant pour la première fois de ma vie des gens
qui ont un billet dentrée à mon nom dans les mains, prix 5 euros pour
mentendre ! Nous nous retrouverons en nombre plus restreint dans la petite
salle où jai plaisir à retrouver quelques membres historiques de Remue.net, et
cest aussi loccasion de faire connaissance et de mettre des visages sur des
voix que je nai entendues quau téléphone. La préparation impeccable et
précise de Sébastien memmènera dans une autre dimension prolongée dArthur
Rimbaud, dans un temps qui ma paru très court mais qui a duré presque deux heures
au total (en ligne bientôt sur Remue.net). Maison de la poésie, et cest le mot
maison que je veux garder en tête : je my suis senti chez moi. Merci à
tous.L'enregistrement de
la soirée est disponible.
Instants
handball, jai déjà beaucoup
raconté comment cette aventure avait pris sens (peut-être finalement pas tant que cela
dans mes FdR) et je le raconte encore, ce 18 novembre, devant quatre-vingts
personnes réunies pour le vernissage de notre troisième exposition : lidée
qui avait germée dans la tête dAlain Delatour, passionné de handball, ancien
joueur et entraineur, mais surtout peintre, lidée donc de faire une série de
tableaux sur ce sport et de lagrémenter de mes textes. Mêler sport, peinture,
littérature : évidement javais adhéré tout de suite. Pendant deux ans donc,
nous avons chacun peint ou écrit, mais surtout échangé, et cest probablement ce
qui fait toute la différence avec le travail solitaire de lartiste ou de
lécrivain. Echangé ? Avec tous. Par exemple, les organisateurs de Livres
à vous à Voiron lannée passée, manifestation pour laquelle jétais
invité, et jembarque Alain pour notre première exposition. Puis, cest Alain
qui sassocie avec lUSDK de Dunkerque, club de handball de renom. Un peu plus
tard, la Fondation SNCF devient mécène de notre projet. Echanges encore : nous
travaillons avec six classes de Dunkerque pour peaufiner notre projet qui devient, comme
le hand, un travail déquipe. Equipe encore avec la Fédération Française de
Handball : notre projet devient une animation périphérique du championnat du Monde qui aura lieu en France en
janvier 2017. Le livre Instants handball, que nous avions prévu dès le début,
prend corps, sorne de logos et de préfaces officielles : là aussi, très beau
travail déquipe avec notre éditeur Le Livre dArt. Voilà lhistoire que je résume pour
ce vernissage, il y manque les sentiments : je vois devant moi des dizaines de visages qui
me sont devenus connus, amis, prénoms, noms qui me viennent à lesprit :
professeurs des écoles et inspecteurs, joueurs et entraineurs, Régis, Adeline, Jean-Luc,
Caroline, Patrick, Rebecca, Alain, Delphine, Christian, Helena, Yann, des rencontres qui
marquent. Pendant que je parle, je me demande combien de fois je suis venu ici depuis un
an, dix, douze fois ? Linoubliable journée de mini-hand en juin dernier, les
journées datelier décriture pour moi, de peinture pour Alain, les heures de
voiture, nos conversations, lItalie, Rimbaud : tout cela nous a emporté très
loin. Expositions : après Voiron, nous avons participé avec six toiles à la pose
de la première pierre de la future maison du handball à Créteil le 7 novembre dernier.
Maintenant, du 19 au 24 novembre à la Mairie de Rosendael (Dunkerque), est exposée la
totalité des 23 tableaux et textes afférents qui figurent dans notre livre (voir en
Webcam). Encadrements grand luxe, accrochage de professionnels, le IHIT (Instants
handball international tour) ne fait que commencer
« La demande harcelante de grands écrivains
fait que presque chaque nouveau venu à lair de sortir dune forcerie : il
se dope, il se travaille, il se fouaille les côtes : il veut être à la hauteur de
ce quon attend de lui, à hauteur de son époque [
] Aussi voit-on trop souvent
en effet, la « sortie » dun écrivain nouveau nous donner le spectacle
pénible dune rosse efflanquée essayant lugubrement de soulever sa croupe au milieu
dune pétarade théâtrale de fouets de cirque - rien à faire ; un tour de
piste suffit, il sent lécurie comme pas un, il court maintenant à sa
mangeoire ; il nest plus bon quà radioter, à fourrer dans un jury
littéraire où à son tour il couvera lan prochain quelque nouveau
« poulain » aux jambes molles et aux dents longues. » : le ton
est donné, voici La littérature à lestomac de Julien Gracq. Ecrit en 1950,
ce pamphlet délivre Julien Gracq de la rancur éprouvée après la triste
réception par la critique de sa pièce de théâtre Le Roi Pécheur un an plus
tôt. Et lannée daprès, en 1951, après cette douche glacée, voici
quon lui administre un bain bouillant : son roman, Le Rivage des Syrtes,
en préparation depuis quelques années, est couronné par le Goncourt. Lorsquon
rétablit cette chronologie et quon lit La littérature à lestomac, il
est évident que Julien Gracq ne pouvait que refuser le fameux prix. Orgueil
démesuré ou simple honnêteté ? Je penche pour la deuxième raison. La
naïveté, la candeur avec laquelle lauteur prendra soin dinformer les médias
de son refus confirment une sorte de clarté littéraire. La littérature à
lestomac nest pas nominatif, cest tout le monde littéraire qui en
prend pour son grade. Lexistentialisme, alors à la mode, efface les derniers
surréalistes qui ont formé lécrivain. Cest probablement le symptôme de ce
monde quil ne comprend plus, constitué dimmédiat et dabsence de recul.
Julien Gracq est un pur, entendez par là, un pur produit de lécole républicaine
et laïque, un professeur dhistoire-géographie. Le lecteur quil idéalise lui
ressemble : un lettré, quelquun qui a fait des efforts pour comprendre et
réfléchir. Il constate « depuis, disons, un demi-siècle la masse des
connaissances humaines acquises » ne permet plus au lecteur dapprofondir, mais
lincite à rechercher des lectures sans effort (que dirait-il avec la profusion du
web et les réseaux sociaux !) : cest déjà un homme du passé avant
davoir même embrassé la carrière des lettres et en cela il ressemble à
Rimbaud :
En Sicile cette année, jai, comme
dhabitude, apporté quelques volumes Pléiade (avant de recevoir, là-bas
également, pour mon anniversaire et dans la même collection, la magnifique Histoire
de ma vie de Casanova - merci Catherine et Gaétan !). Donc, jai relu
Julien Gracq et jai scrupuleusement noté les passages que je métais promis
de recopier à la rentrée. Les voici - et je retrouve intacte la même sérénité que
javais eue en les lisant, moi qui attendait avec impatience la sortie de VPAR.
Il y a probablement de çà : « Images de vieux maîtres suspendant dépaisses
cartes (de la librairie Armand-Colin), percées dillets, saisissant une
règle, montrant les flux du caoutchouc vers lIndochine, du café vers Moka, les
mots hévéa, canne à sucre, tout un exotisme relayé sur de la terre à betteraves, au
milieu de nos cartes à nous, la France, où nous apprenons à nous situer entre prairies,
blé, vin, forêts, les énigmatiques mûriers de lembouchure du Rhône, tout un
vocabulaire inscrit en plus ou moins grosses lettres, capitales épaisses lorsque la donne
était importante, plus ténues pour les moutons du Berry, les bufs du Charolais, le
cidre de la Normandie. » (Faux
nègres, p. 130).
Alors voilà : on pourrait prendre cette rubrique
consacrée aux rencontres en librairies ou en salons du livre comme un prolongement de La
politesse, de François Begaudeau, écrit sur le même thème (en Notes de
lecture cette semaine) voire comme un relai de la vidéo de François Bon consacré
« aux salons
ploucs » qui existent malheureusement, mais ce serait biaisé dès le départ et
injustement injurieux puisque justement on y est sur le salon, ou on a accepté, voire
même suscité une invitation en librairie. Et puis ce quil y a de navrant dans le
livre de Begaudeau, cest de tout mettre sur le même plan, lieux, regard critique,
salons, libraires, journalistes, manque juste ceux pour qui on vient, les lecteurs. Autant
le libraire ou le tenancier du salon se désole parce que si peu de personnes ont fait le
déplacement ou sarrêtent à votre stand, pour moi, ça nest absolument pas
important : mintéressent les lieux, la librairie, les rayons, les livres, les
trajets pour y aller (voir en Webcam cette semaine). « Tiens un nouveau
NDiaye » ai-je remarqué Au Connétable
de Montmorency. Ou alors je me suis procuré le dernier Laurent Gaudé parce que la
libraire dArcanes à Châteauroux en parlait si bien. Mintéresse la
profession, le passage, est-ce quon ouvre jour de marché ? Depuis combien de
temps la librairie existe ? Ce nest pas « faire genre » (expression
favorite de ma collègue de travail), cest vraiment ce qui mintéresse. Pour
les salons même chose : jai passé une demi-heure à boire un café avec les
bénévoles de Livres en fête à Saint Etienne,
qui existe depuis 31 ans, et jai couru 15 km le dimanche matin pour découvrir la
ville, même chose au Livre sur la place à
Nancy le mois précédent, je garde un excellent souvenir de Voiron lannée
dernière et 19 km courus dans la montagne. Le lecteur alors ? Secondaire ?
Absolument pas, il men suffit dun seul : à Montmorency, cette mère
délève que ma présenté Catherine, la prof chez qui je vais intervenir en janvier ; à
Châteauroux, les trois lecteurs avec lesquels nous avons terminé au restaurant et
merveille que cette discussion avec lun deux au sujet du dernier Carnet de note de Bergounioux ; à
Saint-Etienne le rimbaldien qui a fini par me trouver, chassé que javais été par
la foule réunie pour mon voisin de table, un auteur en vogue envahissant qui
évoquait ses propres livres en parlant de chefs duvres ; à Nancy, une nièce
qui vient me saluer après sa nuit de garde au Centre hospitalier ; et même le maire
de Charleville venu écouter hier ma petite conférence faite au Musée de lArdenne.
Un seul suffit et parfois les souvenirs simprègnent durablement : à
Marseille, en 2012, un lycéen, heureux de mannoncer quil avait transmis mon
livre à son père, retournement des rôles ; à Chaumont, en 2009, ce type qui
savait à peine lire et qui avait tenu a déchiffrer devant moi à voix haute une page de Bestiaire domestique, avant de lacheter avec
fierté. Oui, cest pour ces moments que salons ou librairies se confondent.
Finalement, je voulais faire une note pour distinguer les deux : on sait bien que les
salons drainent des lecteurs en nombre appâté par lévènement littéraire, on
sait bien quune rencontre en librairie se travaille au niveau dun quartier et
dune clientèle. On ne rend pas compte du boulot que cest et je remercie
grandement, Gilda, Elodie, Sylvia, Lucille de se rajouter à la liste déjà longue des
passionnés que je côtoie. En fait cette différence entre salons et librairie ne
mintéresse pas, juste que ma joie demeure, comme disait Giono: chic, ce samedi
cest encore Charleville et la librairie Rimbaud, en plus, il y une course de 13km
après, le Rimbaud city trail, alors
Les mots
qui tuent, cest le titre dun
article que javais écrit pour le journal LHumanité en septembre 2009.
Nous étions en pleine crise des suicides dans mon entreprise, javais entrepris
décrire Retour aux mots sauvages et je me sentais comme beaucoup,
désemparé, attristé et concerné. Aussi, quand un journaliste mavait offert une
tribune, javais saisi loccasion pour exprimer ce que je ressentais encore de
manière confuse, à savoir que cétait, une fois de plus, le langage qui avait
été récupéré au profit dune entreprise, mais pire, qui était devenu la preuve
la plus intime dune négation symbolique de lindividu, et pouvant aller
jusquà sa mort réelle. Ecrire cet article avait eu des conséquences
professionnelles (voir note dEtonnements
le 30/09/2009), on était venu se soucier de ma santé, savoir si je partageais les
valeurs de lentreprise, on mavait insidieusement notifié que je nétais
pas autorisé à parler au nom de lentreprise, au final bien peu de choses.
Cest linterview dune journaliste la semaine dernière qui ma fait
me souvenir de cet épisode. Jétais persuadé que cet article de LHumanité
nétait plus disponible, mais à ma grande surprise,
on le trouve toujours. Il
sest écoulé sept ans et jarriverai dans quelques mois au terme de ma
carrière dans cette entreprise. Cest loccasion de faire le point sur ces
années qui ont suivi Retour aux mots sauvages, en quelques sorte retour aux mots
qui tuent. Dans lentreprise, le changement a été à la mesure des évènements à
travers un contrat social projeté jusquà 2015. Fini le management dur et sans
alternative, les fermetures de service, mutations doffice ont été bannies, on a
réintroduit une présence de proximité dans les ressources humaines. Mon métier de
recruteur a été revu : fini loutplacement (ouf) jai participé au
développement interne des salariés. Belle période, belle équipe dont lapogée se
situe en 2013, 2014. Depuis, le contrat social a été prolongé dans ses principes, et
tant mieux. Il convient toutefois de rester vigilant : on dit toujours quil y a
plus de richesses dans plusieurs têtes que dans une, mais un des inconvénients du
collectif est aussi de bâtir des solutions bancales, de favoriser quelques carriéristes,
de succomber à des modes (le digital), des slogans (ah, la fameuse
« agilité » dont nous devons tous faire preuve), bref, si on ne prend pas
garde, cest encore le langage qui sert de fer de lance aux évolutions en y perdant
son latin (voir « zone de confort » en Etonnements de la semaine
précédente). Sept ans depuis notre crise des suicides, cest à la fois court et
long. Court, parce que cette épreuve reste dans nos têtes (comme dailleurs le
passage dune entreprise publique à une entreprise privée dans les années 90,
sujet de mon premier livre Central). Long, parce quon aimerait oublier, ou
plutôt certains aimeraient bien que les
culpabilités soient estompées, que cela se perde dans le flou des évolutions
successives. Il y a quelques jours, la cour de Cassation vient de renvoyer en instruction
le procès intenté depuis 2010 à Didier Lombard, ex-PDG du groupe et ses adjoints
Louis-Pierre Wenes et Olivier Barberot. Je précise leurs noms pour quon ne perde
pas de vue que la responsabilité a toujours un visage, que ces mêmes visages continuent
pour la plupart à bénéficier de fonctions, salaires et retraites particulièrement bien
rémunérés avec le soutien de mon entreprise. On mesurera également la différence de
traitement et de rapidité entre un procès concernant soixante morts par harcèlement
volontaire commencé il y a dix ans et celui de la chemise arrachée dun cadre à
Air France, épisode dhumeur de quelques secondes il y a moins dun an.
Jai eu
grand plaisir dêtre sollicité pour écrire un article dans
Chant acier : pour saisir le très beau film de François
Bon, il faut le relier à ses livres antérieurs Temps machine (1993) et Paysage
fer (2000), tellement plus de vingt ans pour que nous comprenions enfin que le temps
et le paysage se mélangent, pour que le « voyage vertical » rejoigne
lhorizon dune usine en apparence immobile, pour que les mutations du travail
aient fini par se figer en une coulée refroidie dans nos esprits, pour que le monde
économique semble avoir gagné en imposant enfin son silence. Rien ny a fait, ni
les temps et les époques de contestations, vieilles traces de feux de palettes, paysages
dusines fermées, panoramas de fiches industrielles, halls de Pôle emploi et le
souvenir pour combien dentre nous dy avoir piétiné. Rien ne nous aura été
épargné, ni le temps, ni les paysages. Oui, le monde, oui lunivers entendez
par là ceux qui le font danser dans leurs mains a bien failli réussir et jeter
aux oubliettes le travail des hommes, luvre et les mots pour le décrire.
Reste le chant, à peine un air qui survit, une ritournelle dont on aurait oublié les
paroles, mais qui reviennent un jour dans la bouche de quelques modestes, des miraculés
pour qui le travail est un vieil héritage de lâge du feu. On les fait se réunir,
on les fait parler (François), on illustre les propos dans des gerbes détincelles,
des fontes de métal et toute la mécanique extraordinaire pour véhiculer cela :
cest Chant
acier.
La
différence entre le mythe rimbaldien et celui de Tolstoï est que lécrivain russe,
contrairement au poète français, a cohabité avec son mythe. Rimbaud na jamais eu
à faire avec sa propre célébrité, tandis que Tolstoï a connu le succès avec ses
romans La
guerre et la paix, Anna Karénine, puis Résurrection en 1898. Il a alors soixante-dix ans,
est excommunié par léglise orthodoxe, prêche la non-violence, labandon des
privilèges et devient le maître à penser dune jeunesse éprise de liberté et
tournée vers le peuple. On lencense comme un prophète. Il voit ainsi son propre
mythe sinstaller, ses adeptes venir de très loin le consulter comme un oracle. Peu
de personnes peuvent résister à une telle admiration. Le vieux comte est accueillant,
na rien perdu de la vivacité de son intelligence. Il tente de mener une vie simple,
blouse de moujik, promenades à cheval, végétarisme et projette sur son fan club sa
vision dune Russie utopique. Malheureusement, nest pas Diogène qui veut et
Tolstoï demeure un aristocrate au milieu des quatre cents hectares de la demeure
familiale, gérée dune main ferme et efficace par son épouse Sophie. Lui qui
prône labstinence sexuelle lui a donné treize enfants. Lui qui recherche la
pauvreté vit entouré de nombreux serviteurs. Lui qui conspue sans cesse le Tsar est
parfois réprimandé comme un enfant terrible mais rien de plus. Contradictions quil
essaie de concilier : dun côté, on le pousse à saffranchir davantage,
de lautre, son épouse lui rappelle sans cesse ses charges familiales. Il ne peut se
laisser aller à la bienveillance apparente de ses admirateurs, dont certains tentent de
se faire un nom, de voler à sa complaisance une part de pouvoir comme Vladimir Tchertkov.
Manipulé et tiraillé de tous les côtés, il meurt en 1910 après une ultime fuite. De
toute manière cétait trop tard, il avait, sans le vouloir, déjà pris
lapparence dune statue. Et se pose, outre le fait quil ait été
mythifié de son vivant, la vraie question de la compatibilité entre la vie et la
création, entre un quotidien prosaïque et des élans chimériques. Pouvait-il deviner
combien La guerre et la paix, son extraordinaire
galerie de personnages, se révèlerait prémonitoire jusque dans son titre ?
Guerre jusque dans les tensions entre fiction et diction comme dirait Genette, paix à
travers linextinguible volonté qui lui a fait tenir bon jusquà la fin et
accommoder le mythe et la réalité. Cest
dans une émission de télévision. Lécrivain invité est appeler à donner son
avis au sujet de la rentrée littéraire. Il cite quelques titres incontournables et
précise les tendances du moment : ainsi « lexofiction »,
particulièrement importante cette année, dans le panier duquel on me place, moi qui ne
savait même pas ce que ça voulait dire un mois auparavant (voir en même rubrique, le
16/08/2016). Il se demande, lécrivain invité à donner son avis, si ce nest
pas révélateur dune paresse intellectuelle ou dun manque
dimagination pour vouloir semparer dun personnage célèbre et
ainsi revisiter sa vie dans un roman. Je comprends quon puisse se poser cette
question, mais en revanche, je nai pas eu limpression davoir fait preuve
de paresse pour VPAR. Cest même tout le
contraire et il ma fallu plutôt du courage pour écrire sur le symbole absolu de la
poésie française. Courage parce quil a fallu sérieusement se documenter. Courage car je savais que je membarquais pour une
longue période décriture (au final seize
mois de rédaction quasi ininterrompue). Courage parce quil ny avait aucune
inconscience de ma part : je savais dès le départ quon ne peut
sattaquer impunément à un tel mythe sans se mettre à dos quelques esprits
chagrins. Cétait donc attendu et jaccepte volontiers les critiques sur mon livre à condition quil soit effectivement lu
et quelles soient argumentées. Les procès dintention, les réticences de
départ en découvrant quil sagit dun énième livre sur Rimbaud
(quon ne lira pas) ne doivent pas emporter les jugements : là, en effet, se
situerait la paresse intellectuelle
du lecteur cette fois
Dun point de
vue plus théorique, sattaquer à un personnage célèbre, voire mythologique
mintéressait parce quil me semblait répondre à une préoccupation que le
Nouveau roman avait identifiée dans sa remise en cause des romans du XIX° siècle,
lélaboration de personnages stéréotypés, dintrigues courues
davance
etc. Ici, pas besoin d'inventer un personnage. En même temps, en
plaçant demblée VPAR au sein de cette
période romanesque, en épousant presque la manière décrire de lépoque, je
me plaçais en porte à faux par rapport à ma manière habituelle décrire, dans un
déséquilibre voulu, avec la volonté dy agripper le lecteur et de lui faire
ressentir le même vertige. Y ai-je réussi ? Les réponses sont multiples :
mintéressent, en premier lieu et cest bien normal, celles et ceux qui ont
réussi à me suivre dans cette histoire. A lheure actuelle où il est tentant de se
glisser dans les remous du présent, reprendre la fabrique de lhistoire, celles de
personnages célèbres, cest faire preuve dune distance intéressante :
en étant témoin de la manière dont se sont constitués les mythes, littéraires ou non,
à travers léducation nationale et plus largement linstitution politique, on
peut mesurer aussi les dangers de la manipulation étatique des informations. Concernant
Rimbaud, quavons-nous retenu à part quil fût un poète précoce et un
trafiquant darmes ? Quavons-nous voulu faire passer comme idée, comme
jugement envers lui ? Je ny répondrai pas et je laisse chercher ceux qui ne
sont pas encore touchés par la paresse intellectuelle, avec le plaisir de les rencontrer
bientôt (voir mon agenda paresseux).
Je nai
encore que très peu parlé de la sortie en poche de Faux
nègres. Cest pourtant chose faite depuis fin août. Jai découvert cette
version de mon livre avec sa belle couverture jaune
poussin chez Francis Zahn, à la librairie Le Pythagore, à loccasion de la
rencontre que nous avions organisée le même jour que la venue de Marine Le Pen à
Brachay, et dont le livre se fait lécho. Ainsi, jai eu grand plaisir à
dédicacer des « Non au FN » pour quelques lecteurs qui tenaient à marquer
symboliquement leur désaccord à voir la mère tape-dur venir soctroyer un coin de
Haute-Marne avec un air de châtelaine. On coupait des têtes pour moins que cela à la
Révolution, mais les temps ont changé. On aurait pu la jouer Western aussi dans nos
grands espaces vides et la couvrir de goudron et de plumes, en prenant soin
daccrocher sur sa mèche blonde mon Faux
nègres à couverture jaune poussin, mais hélas, tout cela est resté dans le domaine
des rêves, pas question de venir provoquer la horde malfaisante sur son propre terrain.
Cest donc à trente kilomètres de Brachay, à Chaumont que jai eu la joie de
proposer mon poche et bien sûr VPAR. Pour en
revenir au poche, cest le troisième déjà, avec Retour aux mots sauvages et Ils désertent. En plus, la critique se renouvelle avec cette parution : en témoigne par
exemple larticle de Pierre Maury. Trois poches et je menfonce de
plus en plus dans la postérité : Beigbeder, voisin de rayon par ordre
alphabétique, je te rattrape ! Ceci dit, le poche propose dautres ouvertures,
notamment celle de lEducation nationale, où la modestie du prix le rend abordable
aux lycéens, collégiens et étudiants : amis profs, faites-moi signe ! Je suis
infiniment disponible quand il sagit de montrer à des classes quun auteur
nest pas obligatoirement mort, il remue parfois, se prend les pieds dans le tapis
souvent, sort des énormités toujours. Il ny a pas de corrélation entre livre de
poche et petit écrivain, cest même souvent le contraire, cest parce
quon a un poche qui paraît quon attrape une tête comme un melon, en fait.
Michel Butor
est mort il y a quelques jours ; avec lui disparait une des figures du Nouveau roman.
Dit comme cela, ça fait un peu rubrique nécrologique passe-partout. Il nempêche
quen cette période de rentrée littéraire, avec toute lagitation encore à
venir, cette disparition mesure encore plus lécart qui nous sépare dun monde
déjà ancien, à lheure où limmédiateté médiatique prime sur tout, mais
un monde persistant, quelque chose qui a fondé notre écriture contemporaine. Je le
connais finalement assez peu. Javais lu
vigoureusement Ce qui
m'a mené en maint continent Stoppée
par le sort après tant d'avatars (05/09/2016)
Bergounioux
dit toujours oui, affirme Philippe Didion dans une de ses dernière notules :
« Sollicité sans cesse pour une émission de radio, un film, un entretien, une
séance photo, une intervention, un colloque, une préface, un article, il accepte et se
plie à toute demande ou alors il tait celles quil décline. Ce qui
lamène à jouer serré avec son emploi du temps, à courir continuellement aux
quatre coins de Paris, de la France, à Bruxelles, à Zurich, ailleurs, et à voir sa
thébaïde corrézienne des Bordes envahie chaque été par des gens porteurs de micros et
caméras. Comme il ne se sent pas responsable dune uvre à faire, il estime
que cest là son rôle, même si les récriminations sont nombreuses sur le fait de
navoir pas un moment à lui et la fatigue occasionnée par cette existence :
Encore des rendez-vous, des demandes darticles, dentretiens. Jy
passe ma vie. je ne mappartiens plus. ».
Bon,
jai beau faire le fanfaron, expliquer que de participer à la rentrée littéraire,
cest comme me lâcher devant un buffet de petits fours, avec appétit et insouciance
(interview à paraître pour Livre sur la place de Nancy), il nempêche que la
sortie de VPAR me préoccupe, et je guette les
premiers retours, souvent significatifs de la
tournure que prendront les évènements. Pas de vedettariat, je fais partie des seconds
couteaux et les mensuels littéraires de septembre ont dautres auteurs à présenter
avant moi. Ça a commencé à bouger néanmoins du côté de
Vie prolongée dArthur Rimbaud parait
officiellement demain, grande fierté et impatience pour moi. Des amis libraires sont sur les dents,
les barrières destinées à canaliser le public sont déjà en place, Harry Potter na quà bien se tenir. Quelques réactions
des privilégiés qui ont pu bénéficier des services de presse commencent à
arriver : tout cela ira se placer au fur et à mesure dans la rubrique idoine, dédiée à VPAR.
Chaque
année, la Sicile est le lieu de lécriture. Quil sagisse davancer
sur un roman (lannée passée cétait Vie
prolongée dArthur Rimbaud et je
nen étais probablement pas à la moitié) ou de reprendre le plan de ma thèse
comme en 2014, pas question de rester oisif. Cette année, retour de la thèse, jai tenté de reprendre le machin
universitaire. Dans ma note d'écriture du
13/08/2014, jespérais être constant et ne pas me laisser distraire par le
démon de lécriture, mais hélas, serment divrogne au sang injecté
dencre, javais commencé deux mois plus tard Vie prolongée dArthur Rimbaud, me doutant
quavec ce nouveau roman jen prenais pour longtemps (seize mois, trois jours).
Donc, je me suis promis, mais vraiment promis juré craché, que je ne commencerais rien
dautre, vu que léchéance finale approche, 2017, et que je ne peux y
déroger. Jai eu lidée de ce doctorat de lettres modernes, basé sur la
littérature du travail, en 2009, à lissue des deux mémoires de Master 1 et 2, que
javais déjà consacrés à ce sujet. Jai rencontré des gens charmants,
jai été invité partout, de Porto à Londres, bref, me voici, toujours, quelques
années plus tard, doctorant-promeneur, grappillant ci et là quelques idées, refaisant
sans cesse des parties, sous parties, passionné toujours, mais sans méthode.
Heureusement, un comité de surveillance sest auto-proclamé autour de moi, et ne me
laissera pas errer sans concrétiser, enfin je le souhaite. Jai accumulé des
lectures théoriques toutes aussi passionnantes les unes des autres (voir Seuils de Gerard Genette, en Notes de lecture), un plaisir
dapprendre, un plaisir du texte, ce nest pas Barthes qui me contredira, mais
cest un problème que dautres ont probablement connu avant moi : au bout
dun moment, il faut dévider la pelote, avancer et conclure.
Mon
entreprise est digitale, on parle du digital, nouveau nom/adjectif à la mode, tablettes,
smartphones, le monde à portée des doigts qui glissent sur nos écrans tactiles. Soit.
Cerisy, pour
qui sintéresse à la littérature, cest un peu La Mecque des colloques :
il faut accomplir ce pèlerinage au moins une fois dans sa vie duniversitaire des
Lettres, daficionados de romans, de passionné de la chose écrite. Aussi grande
fierté pour moi dêtre invité à Cerisy, petit nom normand et printanier,
rencontré si souvent dans des études consacrées aux auteurs quon affectionne. Et
puis, être associé à Zola, thème pour lequel on me requiert, est à la fois intrigant
et presque évident : dans létiquette décrivain du travail quon
me colle souvent, Zola forcément revient à lorigine de la modernité
laborieuse : père de ce qui sécrit maintenant, de ce qui sécoule
depuis la révolution industrielle du XIX° siècle. Lorsque Aurélie Barjonet,
instigatrice avec Jean-Sébastien Macque de ce colloque,
minvite, je pense de suite à associer Rimbaud et Zola, étrange non ? En
réalité, je suis en plein dans lécriture de VPAR dont lintrigue commence en 1891 à la
mort du poète, à peine quelque années avant laffaire Dreyfus, et jai déjà
constaté combien Zola est incontournable dans le monde des Lettres de lépoque. Et
puis, il existe bien des points à partager entre les deux hommes, mêmes passions pour la
photographie,
mêmes haines pour la bigoterie, traversée dune époque où la république, en ses
premières années, cherche à se pérenniser
(et combien il est important de sen souvenir en nos crises actuelles de Brexit,
montée dextrême droite, tentation du pire pour reprendre le titre du livre de
Pierre-Louis Basse - note de lecture du
08/01/2014). Enfin, et je crois même que les zoliens lignorent, ou du moins
nen nont pas vraiment conscience, Zola ne snobait pas Rimbaud, comme le prouve
cette interpellation de François Coppée lors dun diner chez les Goncourt en
présence de Zola le 15/07/1891 : la conversation ayant porté sur le sonnet des
voyelles, il semblerait que Zola ait pris la défense des poètes quon nommait
décadents, puisque Coppée aurait lancé à Zola « Comment, vous, Zola, vous vous
occupez de la couleur des voyelles ? ». Bref, javais des choses à dire, à
montrer, comme deux caricatures dépoque du Pèlerin de 1896, au moment de la polémique avec
les catholiques à loccasion de la sortie de Lourdes.
La soirée qui métait dévolue ma permis de le faire en partie. Bien sûr
jaurais aimé approfondir beaucoup plus les rapports entre Zola, Rimbaud, mais
surtout les interactions entre la littérature
du travail actuel et Zola, deux heures cependant passent vite. Grand plaisir toutefois à
échanger avec ces zoliens, parfois cernés dans leur cercle (et siècle) de
dix-neuviémistes, moins au fait dune littérature actuelle et de ce quelle
peut devoir à des écrivains comme Zola. Autant il est intéressant de consacrer toute
une intervention au chapitrage des Rougon-Macquart, statistiques en tous genres, présence
ou non dépilogue, autant il me paraît essentiel de relier cette cuisine
décriture avec celle de nos contemporains, notamment à travers la révolution
numérique, beaucoup de choses à dire et à écouter donc sur lirruption du réel
et la manière dont on le prend à bras-le-corps. Zola a été de cette trempe et je
nai bien sûr quun regret celui de ne pas avoir pu assister à lensemble
de ce colloque qui a duré sept jours, essentiel puisque le dernier ayant eu lieu à
Cerisy sur Zola datait de quarante ans. Un grand merci à tous les organisateurs et
participants avec qui jai échangé avec passion.
Rue du chemin
vert, cétait marqué sur le mail, avec la mention que le studio est au fond de la
cour. Vraiment grand plaisir à le revoir. Il dit : Ça fait cinq ans quon ne
sétait pas vu, depuis Bron. Oui cest vrai (en fait, ça fait huit ans
voir note décriture du 22/02/2008).
Tout est déjà en place, fond noir, chaise sur laquelle je vais masseoir, chaise
sur laquelle il va minterviewer. Deux caméras, micro-cravate, un perchman aussi,
plus deux caméramans, dont son fils. Clap comme au cinéma (mais cest une
application IPad) donné par le même fils. On commence. Ou plutôt on attend que les
maçons qui tapent du marteau dans la cour aient terminé, ça leur ait demandé :
Allez donc boire un café. Cest drôle, cest un film sur le travail qui se
prépare (ce sera le thème de la discussion) et on demande à des ouvriers
darrêter de bosser. On déroule lentretien, très grande joie pour moi de
parler avec lui, la littérature nous réunit, ça se sent jusquau fond de nos
tripes. Ça va durer 1h20, et jaurai limpression dun unique quart
dheure. A un moment, une dame viendra toquer à la porte du studio, la propriétaire
des lieux, dit-elle, qui demande si cest nous qui avons empêché les ouvriers de
travailler. Sensuit une conversation aigre où largent fait rapidement
irruption (Cest moi qui paye les ouvriers Cest vous qui encaissez le
loyer du studio que nous avons loué avec demande de calme, répond-il). On reprend, on
termine, les maçons tapent de nouveau. Tandis que je fais quelques photos des lieux, le
perchman, les caméramans, dont le fils, remballent le matériel, on mesure
linvestissement, tant matériel quhumain : évoquer le travail, même de
manière artistique, est un travail. Jécris « même » pour le jeter à
la face de ceux qui considèrent tout travail artistique comme un amusement : les
intermittents du spectacle sapprêtent à défiler au sein de la manif interdite sur
la loi travail un quartier de maison plus loin (jallais dire à un jet de pierre de
là, mais lhumour est également interdit maintenant). En attendant, grand plaisir
aussi à se retrouver boire un coup, et puis manger. A et J nous accompagnent, bien de se
sentir ensemble, fraternels. Peu de paroles, pas de déclamation littéraire, la tension
de linterview retombe, on y met toujours beaucoup de soi à parler ainsi, mais
François à la patate : cest écrit sur un camion digne de
Marguerite Duras. Re-photos en rubrique Webcam pour se souvenir de cette belle, magnifique
troisième journée de lété.
Pour
compléter, ma note de la semaine précédente sur ladaptation des livres au
cinéma, voici donc un nouvel exemple avec Week-end
à Zuydcoote. On apprend dans le générique du film que les dialogues sont de Robert
Merle. Est-ce à dire que lauteur sest impliqué dans le scénario ? Dans
le choix des répliques du film ? Il est vrai que le rythme de son roman, où les
dialogues sont nombreux se prête probablement mieux, ou du moins rend plus facile, une
adaptation que le royaume du silence dévolu à Mademoiselle
Chambon. Pour autant, on mesure à la lecture du roman combien le cinéma est tourné
vers laction : les pages quasi mystico-religieuses entre Maillat et le
soldat-curé qui partage le campement improvisé dans les dunes, sont passées à la
trappe, et cest tant mieux, ça naurait rien rendu sur grand écran. Ces
passages, ces réflexions philosophiques, probablement très importantes pour Robert Merle
qui a vécu cette situation absurde, sont incompatibles dans le temps du cinéma et
cest peut-être préférable. A force de ressasser ce qui nous semble essentiel pour
nous même, peut-être oublions-nous davancer. Cest une manière de lâcher
prise. Tiens dailleurs, ce serait un bon test à faire pour toutes les obsessions
négatives qui nous taraudent : se poser une question du genre : telle chose que
je remâche depuis des siècles, est-ce que ça tiendrait au cinéma ? (ou
encore : ne suis-je pas en train de me faire un film ?). Je nai pas
dexemple sous le coude. Imaginons par exemple une rancur familiale qui nous
mine et mettons là en scène pour nous même. Il y a à parier que ça ne tiendrait pas
longtemps. Pour en revenir à Week-end à Zuydcoote,
il faut saluer la performance de Jean-Paul Belmondo, excellent dans le rôle de ce
Maillat désabusé.
On dit
« adapté au cinéma » pour un livre, le mot adapté, comme sil
sous-entendait quun roman puisse avoir une inaptitude au cinéma, une sorte de tare
congénitale, intrinsèque qui en interdirait laccès. Un de mes lecteurs en
avant-première (encore un terme de cinéma) de VPAR,
ma dit que mon écriture était cinématographique, bref, il le verrait bien en
film. Généralement, on prend cela pour un compliment. Dautres fois, cest
plus compliqué lorsquun projet cinématographique, justement se dessine. Deux
auteures que je connais bien ont été déçues par ladaptation qui a suivi leurs
livres. Je me suis toujours posé la question. Jai toujours pensé que leurs
réticences étaient excessives. Si on se contente dimaginer simplement sa propre
écriture mise en scène, évidemment on risque une désillusion. Il faut penser cinéma
à part entière. Et le cinéma, en tant que création, me fascine : il sagit
de rendre réel la fiction, la pensée romanesque, cest une sacrée prise de risque
et un investissement sans commune mesure avec un livre : décors, personnages,
caméras, tout est pensé jusque dans les moindre détails, et pendant des années, avec
une somme de difficultés quon imagine même pas. Contrats, embauches des acteurs,
repérages des lieux, scénario, script, équipe de tournage, chacun son rôle. Jai
eu la chance de participer modestement à un long
métrage, et je me suis rendu compte des enjeux. Et ce que jai vu nest
quune partie infime : une journée complète et, au bout du compte, trente
secondes à peine sur un film dune heure trente, encore heureux dailleurs que
cette minuscule séquence ait résisté au montage final. Bref, le cinéma me fascine dans
lidée même de la reprise dun livre quon a conçu, somme toute
facilement sur un tout petit clavier dordinateur avec juste quelques milliers de
mots. Cest pour cela que la plus grande liberté doit être octroyée à qui
sempare dun livre pour « ladapter ».
Vie prolongée dArthur Rimbaud : il est
temps de dévoiler ce qui est annoncé depuis longtemps dans mon site sous lacronyme
VPAR : même François Bon en parle dans
son Service
de presse
Et puis, justement, le service de presse proprement dit, envoi du
livre aux journalistes et divers professionnels du monde des livres en avant-première, a
été effectué une semaine auparavant. On continue en ce moment la promotion avec Fayard
(voir agenda ou page daccueil), puisque je
participe avec mon éditeur à la rencontre cette fois-ci de libraires dans un véritable
tour de France avant lété. Bref, Vie
prolongée dArthur Rimbaud est lancé, parution officielle le 17 août, il
est temps pour moi de prolonger cette vie du roman à venir par la rubrique spécifique habituelle, destinée à renseigner sur
lhistoire de ce roman, à rechercher les premières traces de VPAR dans ce site, et à donner quelques clés de
lecture concernant le célèbre poète. Cest important pour moi de retracer le
trajet du livre : lécriture au long cours fait parfois oublier les péripéties, on
est comme un marin qui touche au port, oubliées les longues nuits de veille, les
incertitudes sur les chemins à prendre. Chaque ouvrage bien sûr est différent. Je garde
le souvenir du précédent (Journal de la canicule)
comme dune facilité : tout dabord ce livre navait pas participé
à la rentrée littéraire de septembre, sétait constitué de fait au début de
lautomne, en un mois. Ajoutons à cela une écriture déjà ancienne, javais
juste terminé laboutissement dun roman déjà constitué au trois-quarts, on
comprendra que mon implication était moindre, sans commune mesure avec VPAR, ou Faux
nègres paru en 2014 et qui sortira en poche au même moment que « mon
Rimbaud » (on en reparlera). Faux nègres,
donc, avait été plus complexe dans son élaboration, je garde la trace dun livre
exigeant, plus difficile à structurer que celui que je propose maintenant. Cela tient à
la manière dont le livre se bâtit, la profusion de personnages et le caractère moins
linéaire de lintrigue. Ici, il sagit de prolonger la vie de Rimbaud,
cest donc un récit chronologique qui sest constitué au fil des mois, le
récit le plus long que jai jamais écrit, qui aurait dépassé 700 pages dans le
format de Faux nègres (fort de 422 feuillets),
mais qui se ramène à 415 (beaucoup moins effrayant, nest-ce pas) avec le miracle
dune dimension à peine plus grande. Le récit du récit donc, au cours des seize
mois décriture (et trois jours), mapparaît au final comme très fluide, sans
temps mort, avec une tension de plus en plus grande au fur et à mesure de
lécriture (savoir que les cent dernières pages le quart du livre - ont
été écrites en huit semaines). Peu de problèmes existentiels aussi, lhistoire
sest bâtie avec naturel dans la volonté excitante dimaginer une suite à la
vie du poète. Le fait de navoir rien de ficelé au départ, davoir suivi en
quelque sorte la « liberté libre » dArthur sans savoir ce quil en
deviendrait, a rajouté à mon plaisir : un mois avant la fin de la rédaction, je
navais même pas choisi la date de (deuxième) mort de Rimbaud et comment il
trépasserait
Cest un livre important pour moi : il fallait bien que
jen finisse un jour avec mon obsession rimbaldienne (Ils désertent, Faux nègres en font un personnage
à part entière). Il me fallait prendre le mythe à bras le corps et combattre ce VPAR aux poings (comme aurait dit Hervé Bazin,
admirez le jeu de mots). Je pensais au départ répondre à un vague désir
déclairer cette marotte, au final, après 129 000 mots et 780 000 signes
tapés comme un sourd sur mon clavier, je maperçois que je nai fait
quajouter un destin supplémentaire au poète (destin fictif auquel je crois
désormais dur comme fer, plus vrai que nature) et ainsi ajouté au mystère. Cette
rubrique, bien entendu, va sinscrire dans la celle spécifique de « mon
Rimbaud », qui est aussi pour moi une autre manière de nommer ce roman .
On ma
demandé des conseils pour écrire un roman. En fait, on ne ma pas sollicité
directement, on ma dit que cétait pour aider quelquun qui avait ce
projet. Ce genre de demande est toujours délicat. Dabord, on est enclin à refuser
parce quon ne se sent pas capable, comme cela, à distance de donner quelques
recommandations. Et en vertu de quoi ? Mieux vaudrait sentretenir directement
avec la personne concernée, parler de vive voix. Et puis, en même temps, Cette demande
à distance, alourdie de la difficulté de ne trouver aucune justification à donner des
conseils, devient presque comme une contrainte à
Je
navais pas fait le rapprochement, cest en arpentant
Six textes
aux fourneaux :
Work
stories : c'était le titre du colloque universitaire organisé à Londres par plusieurs
universitaires de Grande-Bretagne. Etonnant de remarquer que notre façon de relater le
travail dans nos fictions est perceptible à l'étranger, presque comme un courant
littéraire à part entière. J'y étais invité, de même que Christophe Dejours, charge
à chacun de nous de produire un keynote paper. Malgré la barrière de la
langue, j'ai pris grand plaisir à écouter les différentes interventions et à
participer (en français, heureusement). Comme souvent, les analyses produites à
l'extérieur de notre pays sont beaucoup plus intéressantes. La pesanteur
institutionnelle, donc politique, le vécu des uns et des autres et nos implications
déforment nos visions. Un regard extérieur, étranger est souvent salutaire. Ainsi,
concernant les suicides que mon entreprise a connus il y a maintenant 7 ans, certaines
causes que j'avais évoquées (passage d'une société de type publique vers le secteur
privé) sont réapparues, alors qu'il est d'usage d'en minimiser maintenant l'impact,
probablement parce que le choix de revenir en arrière est impossible et qu'il faut
avancer. Aussi, cette distance me parait-elle salutaire. Je remercie grandement Sarah
Waters et Jérémy Lane qui ont été les principaux organisateurs de ce colloque, ainsi
que tous les universitaires que j'y ai rencontrés. Chaque intervention était pertinente
et apportait un regard neuf sur notre manière, typiquement française, de romancer le
travail. Cela devrait beaucoup m'aider dans mes réfléxions de doctorant évoquées
d'ailleurs le 26 avril dernier. La visite de Londres se poursuit en
webcam.
Cest un
coup de chance : elle est de passage à Paris au moment où je lui envoie un mail à
tout hasard, la sachant toujours débordée par ses multiples voyages. Elle ?
Cest une auteure attendue, insaisissable, globe-trotter, le jetlag est son quotidien, elle revient
dAustralie, de Nouvelle Zélande, se partage entre Los Angeles et le Japon, mais
là, ça être plus cool, dit-elle, seulement quelques capitales européennes prévues
dans les prochains mois. Ce jour, à Paris, nous navons pas beaucoup de temps, juste
quarante-cinq minutes avant quelle ne bouge encore et monte dans un TGV. Grand
plaisir à la revoir et cette manière, directe, franche que nous avons de nous glisser
dans ce que je nomme « la popote décriture », déchanger sur nos
pratiques. Jadore ça. Cest moi qui commence : Si je me souviens bien, tu
écris à la plume ? Acquiescement : Avant avec des stylos classiques, lorsque
javais moins de moyens, là, avec deux luxueux Pilot à encre. Et, parce que
jécris uniquement à lordinateur, je lui signale que cest juste une
question dhabitude, elle réplique que des études prouvent que le geste
décrire est meilleur pour la mise en uvre de lécriture. Nous
dissertons sur la beauté des pages manuscrites quelle trouve magnifiques, surtout
lorsquelles sont pleines de ratures ; quant à moi, je ne peux me couler dans
limaginaire dun livre que lorsque la page est la plus proche de lobjet
livre, donc lisse, régulière et sans rature. En creusant un peu, nous nous apercevons de
la différence de nos études : elle, excellente élève, toujours encensée pour la
qualité de son travail et de son écriture ; moi, plus chaotique, avec une écriture
que je qualifie « daigrelette », mal composée, rétive. Et tout
sexplique soudain, la manière décrire, le fondement de lécriture. Je
me souviens de mon premier projet décriture, à vingt ans, le coup de tête que
javais eu dans une papeterie à acheter un carnet simplement parce quil avait
le format dun livre. Et dy avoir consigné le plus harmonieusement possible
lhistoire que je projetais (un roman intitulé Martin Martin) en mefforçant quil
ny ait aucune rature, le premier jet devait être seul et définitif, la perfection
dun coup. La rature, lhésitation avaient toujours été un signe négatif,
mavaient été rabâché par les
enseignants. De là, tient lexplication la plus plausible pour ma désaffection à
légard de lécrit manuscrit. Lordinateur, outre quil
mévite le superflu du recopiage obligé du manuscrit, et ainsi un gain de temps,
permet de cacher mes atermoiements. En lécoutant parler de sa passion pour
lécriture manuscrite, le rituel obligatoire, posture séculaire de
lécrivain, compagnie des chats, cahiers décriture exclusivement achetés à
Amsterdam, la plume qui glisse sur le papier, je pensais avec un peu denvie que je
pourrais me forcer, changer mes habitudes, dautant plus que jai deux stylos
plume particulièrement agréables à utiliser. Jai essayé sur une demi-page, mais
ça me parait difficile de poursuivre, jai horreur de relire ma petite écriture
pointue, acidulée, cest étrange. Et lidée quil faille recopier la
page me paraît absurde. Ainsi la pensée nen est pas facilitée pour autant. Avec
ma pratique de lordinateur, je suis arrivé à fondre la dématérialisation
claquante du clavier à la place des volutes de la plume. Le style, la construction des
phases, lélaboration des idées se sont faites à mes doigts malhabiles avec une
rapidité qui me paraît suffisante. Seul inconvénient, souvent rapporté dailleurs
par ceux qui sont témoins de ma pratique dordinateur : je tape comme un sourd
sur le clavier, avec seulement deux doigts plus le pouce, façon flic tapant un rapport de
police. De cette manière, jai limpression que mes idées se manifestent plus
clairement. Cest ainsi le seul rapport physique que jai avec
lécriture : jai substitué la posture de la plume, empreinte de
délicatesse, de glissements furtifs et silencieux, idéale pour mon amie, par un tapotis
rageur et décidé.
Bon, VPAR est lancé, le livre paraîtra pour la
rentrée littéraire, les grandes manuvres vont commencer, réunions des
« représ », comme on dit chez mon éditeur, tournée des libraires, services
de presse, tout cela avant lété. La « couv » (encore du jargon
éditorial) est choisie, elle sera très belle et intrigante, je vais affiner le texte
directement sur épreuve, du boulot en perspective, très grands plaisirs à ces
préparatifs, mais dès à présent se pose inévitablement la question : que faire
après ?
Lorsque
jécris un livre, la force de lhabitude me pousse à calculer presque
inconsciemment le nombre de pages que formera le roman. De la même manière,
lorsquon me demande de prévoir une intervention minutée, je sais assez bien
estimer le temps de parole quil me faudra en fonction du texte que je rédige.
Ainsi, pour la conférence de trente minutes que je prévois pour Londres dans moins de
quinze jours maintenant (ça fait chic décrire cela, nest-ce pas ?),
jai écrit 15000 signes, car je sais que les inévitables digressions, hésitations,
compléments quon apporte en parlant, rempliront la demi-heure. Le signe est la base
de mesure de toute commande journalistique : à savoir que le signe se mesure par
caractère (espace compris) comptabilisé dans les statistiques que tout traitement de
texte propose. Ainsi mon texte remis récemment à léditeur compte exactement
780 937 signes. Jusquà présent, javais une méthode très simple pour
mesurer lavancement dun livre : une page
égale à peu près mille signes. Par exemple, Ils désertent qui compte 245000 signes compte
252 pages pour le roman proposé par Fayard. Ceci dit, le dernier Journal de la canicule, rédigé avec 270000
signes, possède un nombre de pages quasi similaire (255) pour une pagination et un format
identique. Tout dépend des espaces entre les paragraphes, des chapitres, des dialogues,
tout ce qui laisse de grands blancs dans les pages. Avec 780 000 signes,
jétais en droit de compter sur un bouquin approchant les 700 pages, voire les
dépassant, à en juger par le plus gros que javais écrit jusquà présent, Faux nègres, fort de 422 pages et 455 000
signes.
A rencontrer
divers élèves, étudiants, collégiens, lycéens, je maperçois à la fois combien
la langue est malmenée et combien, en même temps, elle demeure intacte. Celle que
jai appris autrefois sans être une lumière pour autant, ma doté dun
vocabulaire assez fourni, probablement enrichi avec des lectures mais pas tant que cela.
Dans un collège à Villepinte, on ma demandé pourquoi
jécrivais dans un « langage soutenu ». Il y a quelques années, dans
une rencontre publique avec dautres auteurs, une élève mavait
apostrophé : « oh, msieur, vos mots, y sont trop durs, on a
limpression que vous écrivez dans une langue étrangère ». Je ne men
rend pas forcément compte. En même temps, jutilise toutes les ficelles et la
variété de notre langue. Jaime trouver des synonymes, proposer des énumérations,
recouvrir dadjectifs et dadverbes mes phrases. Jai toujours été contre
cette manie actuelle de la littérature française qui considère quun texte doit
être épuré de tous ses mots en trop, adjectifs, adverbes, liaisons. Pour moi, ils
existent et participent de manière autant légitime que chaque élément dune
phrase à la compréhension globale. Ah, les fameux proverbes du genre « le trop est
lennemi du mieux » etc
Balivernes ! Cest au lecteur de
sy retrouver, on ne doit pas systématiquement penser à sa place, cest
labêtir. La récente réforme de lorthographe qui devrait être mise en place
bientôt illustre lexemple même de ce travers. La langue se charge elle-même
dévoluer, nous navons pas à la pousser de manière autoritaire. Il y a
probablement dautres actions à mener. Par exemple, moi qui intervient en ce moment
dans des classes de primaire, je suis surpris du décalage qui existe entre lécrit
et loral. La dysorthographie est devenue courante, au point que les élèves ne
parviennent pas à se relire, et ce nest pas écrire nénufar à la place de
nénuphar qui changera grand-chose. Une élève, avec un vocabulaire brillant,
certainement une bonne lectrice, ma écrit une longue histoire dune page dans
laquelle on voyait bien que les règles les plus élémentaires navait pas été
acquises, et pourtant son histoire était belle. Ce nest donc pas une question de
richesse de la langue, mais bien un hiatus entre lécrit et loral, une simple
question dapprentissage de la grammaire et, osons le dire, dentrainement à
lécrit plus poussé que celui quon entreprend
actuellement. Je sais bien que ça ne fait pas fun de recourir à lantique
dictée ou à la rédaction passée de mode, mais il me semble bien quil faille
quand même à revenir à cela. Lorsque jentends une directrice décole
déplorer lorthographe de sa classe de CM2, jai envie de lui répondre
quelle a échoué, cest bien tout au long du primaire quon doit
apprendre cela ? Est-ce que léducation nationale est devenue si complexe
quelle ne sait plus comment faire apprendre ? Suis-je un si vieux con pour
me poser ces questions ? Qui quil en soit, notre langue est très riche cas
probablement unique dans le monde et nous lavons en bel héritage.
Boucler un
livre : lexpression pour moi à souvent pris un tour rigoriste :
jaime quand mes livres « bouclent », cest-à-dire quils
accomplissent un parcours tel que le premier mot du titre choisi soit celui de
lincipit, et bien sûr que le dernier mot du récit, soit le dernier du titre ;
habitude prise depuis Central, seize ans
auparavant, continuée souvent : Retour aux
mots sauvages, Faux nègres, Journal de la
canicule. Celui que je projette pour septembre devait de même boucler, mais jai
pris la liberté de changer la fin, et, du coup, le nud devient lâche, le lacet se
défait, on marche dessus et on trébuche. Pour ma plus grande joie et conscience, cela
dit : les règles sont faites pour être transgressées, et si la littérature ne
vous fait pas trébucher de temps à autre, elle ne sert à rien. La joie donc, immense
dun nouveau livre et tout ce qui va se préparer une fois le texte remis :
relecture, corrections, maquette de couverture, argumentaire, rencontres, service de
presse, photos à faire pour la promotion, je retrouve avec plaisir tous ces préparatifs.
Il y a du boulot en perspective : la longueur du texte, le triple dun roman
habituel, apporte une contrainte supplémentaire. Finalement, boucler un livre, cest
tout ce travail collectif que jadore.
Bon
quà ça : fameuse phrase de Beckett à propos de sa seule appétence à
écrire. Je ne pense pas être aussi exclusif, ou plutôt, cette exclusivité
décriture aura été mienne pendant seize mois et trois jours, le temps quil
ma fallu pour rédiger un gros livre au sujet de Rimbaud, nom de code VPAR,
entrepris donc le 22 octobre 2014 et terminé le 25 février 2016. Au début bien sûr
jai commencé mollement et jai pu lier dautres écritures, activités
diverses, mais plus le temps passait, et plus le livre me tenait au corps, grossissait.
Les six derniers mois, quasi cinq cents pages se sont rajoutées au deux cent cinquante
produites alors, les deux cents dernières depuis 2016 et le sprint final denviron
cent pages concocté en une dizaine de jours : bon quà ça donc, dans tous les
instants libres que moctroyait ma vie, dans ce délice dy penser nuit et jour,
en voiture, au boulot, en imagination toujours, au point où depuis des lustres je ne
pense quà travers lan zéro après AR (Arthur Rimbaud), date à laquelle
commence mon roman. Bref, tout cela nous emmènera maintenant vers la rentrée littéraire
que jattends avec impatience.
Dans
linstant des bilans et des bonnes résolutions, il nest pas superflu de se
pencher sur les travaux en cours. Et ceux réalisés bien-sûr. Au chapitre des
hésitations, lannée 2015 aura été celle dune petite incertitude
éditoriale, de courte durée et en début dannée, mais très vite
lenthousiasme de plusieurs projets menés de front, la liberté qui en découle et
qui constitue un critère primordial guidera mon choix. Premier projet : Journal de la canicule, sorte dovni dans ma
production livresque, se concrétisera en octobre pour ma plus grande joie. Deuxième
projet qui me tient beaucoup à cur, le livre en écriture (nom de code VPAR), son
voyage de bateau ivre au long cours, mieux quune traversée, un tour du monde
puisquil dépasse probablement 500 pages au bout de 14 mois de rédaction, et la
terre nest toujours pas en vue
Reste la thèse, larlésienne, la
mythique production universitaire dont je suis redevable, qui, elle, avance à la rame.
Jai toutefois changé lorganisation de ma vie laborieuse et je me suis
octroyé depuis septembre un peu plus de temps dévolu aux affaires littéraires. Et
justement, voici une affaire appelée à grossir énormément, Instants Handball
(voir en webcam 2015)avec l'ami Alain Delatour
: le projet s'emballe, Dunkerque, expositions de prévu, ateliers d'écriture et de
peinture, ça va bouger ! Allez, prenons aussi une bonne résolution : celle
dêtre plus assidu aux mises à jour de ce site. |