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Notes d'écriture 2016


Forcément, un direct avec Radio libertaire ne peut commencer qu’avec une dose d’anarchie : c’est de ma faute, je me trompe d’endroit, arrive rue Amelot, au siège de la librairie libertaire alors que les studios sont deux stations de métro plus loin. Le temps de réagir, de mettre à l’épreuve mes talents de coureur sur trois bonnes centaines de mètres, me voilà suant et soufflant à la porte idoine. Je me confonds en excuses auprès de Valère-Marie Marchand, et nous commençons derechef avec quatre minutes de retard : c’est du direct ! Peut-être que cet épisode respiratoire m’est salutaire car je me sens de suite à l’aise, attentif, tourné vers mon interlocutrice qui a remarquablement préparé ses questions. Ainsi, l’heure et demie prévue passe à la vitesse TGV. Quelques intermèdes musicaux : poèmes de Rimbaud lus (ou plutôt déclamés style grand siècle – aurait-il aimé ?) puis Léo Ferré, plus persuasif, raconte de sa belle voix Les Poètes de sept ans. Entre ces deux extraits, nous écouterons Les oiseaux de passage chanté par Brassens, mon seul souhait, et j’expliquerai à la suite de cette merveilleuse chanson, que le texte est de Jean Richepin, écrit en 1876, soit trois ans seulement après que Rimbaud lui ait offert un exemplaire d’Une Saison en enfer : on peut mesurer combien Arthur tenait à ce poète lorsqu’on sait qu’il l’avait offert à son ami Verlaine… et c’est à peu près tout. Vous l’avez compris, j’étais invité sur Radio libertaire pour évoquer VPAR. Ça a été une grande joie. J’ai dit des choses inédites, un vrai grand bonheur avec sourires. C’est rare, même si parler de ce livre me passionne et m’emporte, au bout de quelques mois d’interviews journalistiques, de « service après-vente », d’évocations de ce fameux Rimbaud, des choses nouvelles m’étaient encore apparues. Le podcast est ICI.
(19/12/2016)

 

Je suis un romancier. Généralement, quand on me demande ce que j’écris, ou qu’il me semble bon de préciser la vague notion d’écrivain, ou encore plus d’auteur, je me sens toujours gêné aux entournures à utiliser ce vocable. Romancier… A lâcher cette profession, j’ai toujours l’impression d’endosser une panoplie de Zorro, d’être regardé comme un auteur de romans à l’eau de rose, Arlequin pour ménagère de plus ou moins cinquante ans, un colporteur de légendes niaises, un racontar de balivernes, un héritier de proses sentimentales de la période romantique. Bref, je racornis mon image, je me cantonne à l’historiette. Mais les termes pour décrire les métiers sont restreints et, dans le domaine de la littérature, peut-être plus qu’ailleurs, ils n’ont pas évolués depuis des lustres. Aucun dépoussiérage du style « technicien de surface » pour qui fait le ménage, « professeur des écoles » à la place d’instituteur,  « opérateur de production » pour remplacer l’ouvrier. On dit romancier au mieux, pour préciser qu’on n’écrit pas des essais, ni de la poésie. Si par hasard on contribue à l’écriture d’un film, à des piges pour les journaux, si on endosse pour un copain cinéaste un rôle de figurant dans un film, si on remporte un tournoi de tennis, on peut compléter par scénariste, journaliste, comédien, grand sportif, ça fait plus sérieux sur la rubrique Wikipédia (l’idéal est d’y adjoindre le tire d’académicien). Il n’empêche que le romancier peine à asseoir une notoriété, d’autant plus que tout le monde écrit maintenant des romans, à commencer par les scénaristes, journalistes, comédiens, grands sportifs. Finalement, peut-être que ce manque de reconnaissance en terme de métier est due à une vision restée dans les limbes universitaires. A lire les doctes recueils sur la poétique du récit, ou du roman (en note de lecture cette semaine), ou les innombrables écrits sur la fiction en tant que genre, à se demander en permanence si le récit englobe le roman ou vice-versa, si la fiction ne détient pas une part importante de réalité, si la manière dont les auteurs interfèrent sur les autres sciences humaines, philosophie, sociologie, anthropologie, on fabrique probablement des barrières invisibles mais infranchissables. Je relisais hier un mail qu’un écrivain m’avait envoyé plusieurs années auparavant (« Je pense que le roman est un genre exténué. Et il me semble que vous pensez la même chose»). Je ne sais pas en fait. Le roman est exténué par étouffement théorique, c’est certain, parce qu’on a considéré que son âge d’or était au XIX° siècle, parce qu’on est dans une spirale où le « déjà vu » est condamnable, et qu’il faut innover sans cesse. On ne cesse donc de gloser le plus sérieusement possible, de définir et repenser sans cesse les notions de récit, roman, fiction (d’ailleurs je rajoute mon grain de sel cette semaine en Etonnements). Voici quelques assertions repérées chez les plus grands spécialistes : « Innombrables sont les récits du monde » (Roland Barthes) ; « Sur le plan esthétique, le récit ne peut rendre compte de la valeur d’un roman » (André Malraux) ; « Ce battement du réel et de l’imaginaire qui nous saisit pendant la lecture est l’essence de la fiction dramatique ou épique » (Danielle Sallenave) ; « En somme, le récit ressemble à une machine ou à un corps. Bien fonctionner pour lui, c’est savoir passer inaperçu » (Alain Robbe-Grillet) ; « La fiction n’est pas seulement un droit, le droit de penser, c’est-à-dire : toutes les pensées sont possibles, on peut tout penser, rien n’est interdit à la pensée, c’est aussi un moyen, justement un moyen de penser » (Leslie Kaplan) ; « Il y a des dictions de littérarité constitutive et des dictions de littérarité conditionnelle, alors que la fiction est toujours constitutivement littéraire » (Gérard Genette) ; « L’idée selon laquelle les frontières de la fiction auraient disparu ou se seraient définitivement brouillées est largement répandue » (Françoise Lavocat). A lire à la suite ces pensées qui sont justifiées, qui s’insèrent dans une réflexion longue et aboutie, on est frappé de cette impression toutefois de tourner en rond, d’abolition du mouvement, alors que ce qu’elles veulent dire est tout le contraire : littérature et (est) impulsion, de même que la beauté sera convulsive ou ne sera pas, comme disait André Breton.
(12/12/2016)

 

J’ai participé à l’émission Du grain à moudre sur France Culture. Le sujet était « la littérature sait-elle parler aux électeurs du Front National ? ». C’était donc pour Faux nègres que j’avais été invité. J’étais accompagné d’Aurélie Adler, maître de conférences en littérature à l’université de Picardie (que j’avais déjà rencontré à Tours dans un colloque sur la littérature du travail) et de Nicolas Mathieu, auteur de Aux animaux la guerre (que j’avais aussi rencontré l’année passée lors d’un débat dans un café à Voiron). Le monde est petit en effet, et une connivence s’est tout de suite installée entre nous. A Bruxelles, suivait de loin Michel Dufranne, chroniqueur à la RTBF. Hervé Gardette, l’animateur, a donc eu affaire à un public d’intervenants facile. Ce n’est pas toujours le cas. Je suis un habitué de l’émission que j’écoute en voiture et qui rend moins fastidieux les longs trajets d’autoroute lorsque je reviens d’une réunion de travail à Lille ou Arras. Parfois les intervenants ne sont pas d’accord, voire franchement hostiles entre eux (rarement heureusement) et, dans cette émission qui se déroule en direct, Hervé Gardette à fort à faire. Là, dans le studio, groupé autour de lui, nous pouvions échanger des regards, piaffer d’impatience pour répondre à une question, acquiescer à une réponse, bref, les quarante minutes de l’émission ont passé à une vitesse stupéfiante. J’avais l’impression d’être à peine entré dans le studio et d’avoir encore plein de choses à dire lorsqu’Hervé Gardette a conclu nos interventions. Ce fut ainsi un vrai moment de bonheur et de plaisir d’échanger d’abord en fin d’émission dans les couloirs courbes de l’étonnante Maison de la Radio avec Hervé Gardette, ensuite dans le métro avec Aurélie et Nicolas. Il est certain que j’écouterai dorénavant avec encore plus d’attention  Du grain à moudre à l’autoradio en imaginant les intervenants dans le studio feutré, chacun devant son micro. Parfois (souvent), l’écriture et la publication réservent des à-côtés bien agréables. A suivre : un autre direct, sur Radio Libertaire cette fois, le jeudi 15 décembre à 15h, mais ça durera une heure et demie et je serai tout seul pour évoquer VPAR.
(05/12/2016)

 

Je ne connaissais pas ce lieu parisien, la maison de la poésie, toute proche des Halles. On y accède au milieu d’un passage qui relie la rue Saint-Martin et la rue Quincampoix. Sébastien Rongier m’accueille dans une salle chaleureuse en sous-sol. Arthur H est, paraît-il, dans la pièce juste à côté. D’ailleurs, nous le verrons  passer avant de commencer. Je suis très heureux d’être ici pour cette rencontre autour de Rimbaud, placée sous le patronage de Remue.net, vieil attachement pour cette structure vivace et vivante qui me traverse depuis mes premiers écrits. La vision de mes livres exposés sur une table, constellés d’innombrables marque-pages me procure à la fois joie et gène. Joie, parce que je mesure le travail sérieux et opiniâtre que Sebastien a accompli et cette reconnaissance est une grande fierté pour moi ; gène parce que j’ai l’impression de l’avoir accaparé dans un emploi du temps que j’imagine déjà bien rempli. Nous nous mettons d’accord sur les extraits à lire, remontons un instant au rez-de-chaussée ; je suis arrivé bien en avance. Un nombreux public se presse déjà, j’y découvre Nathalie Kuperman et Dominique Fabre… mais ce n’est pas moi qu’ils viennent soutenir, c’est le concert de Pascal Comelade, qui a lieu dans la grande salle. Je constate cependant pour la première fois de ma vie des gens qui ont un billet d’entrée à mon nom dans les mains, prix 5 euros pour m’entendre ! Nous nous retrouverons en nombre plus restreint dans la petite salle où j’ai plaisir à retrouver quelques membres historiques de Remue.net, et c’est aussi l’occasion de faire connaissance et de mettre des visages sur des voix que je n’ai entendues qu’au téléphone. La préparation impeccable et précise de Sébastien m’emmènera dans une autre dimension prolongée d’Arthur Rimbaud, dans un temps qui m’a paru très court mais qui a duré presque deux heures au total (en ligne bientôt sur Remue.net). Maison de la poésie, et c’est le mot maison que je veux garder en tête : je m’y suis senti chez moi. Merci à tous.L'enregistrement de la soirée est disponible.
(28/11/2016)

 

Instants handball, j’ai déjà beaucoup raconté comment cette aventure avait pris sens (peut-être finalement pas tant que cela dans mes FdR) et je le raconte encore, ce 18 novembre, devant quatre-vingts personnes réunies pour le vernissage de notre troisième exposition : l’idée qui avait germée dans la tête d’Alain Delatour, passionné de handball, ancien joueur et entraineur, mais surtout peintre, l’idée donc de faire une série de tableaux sur ce sport et de l’agrémenter de mes textes. Mêler sport, peinture, littérature : évidement j’avais adhéré tout de suite. Pendant deux ans donc, nous avons chacun peint ou écrit, mais surtout échangé, et c’est probablement ce qui fait toute la différence avec le travail solitaire de l’artiste ou de l’écrivain. Echangé ? Avec tous. Par exemple, les organisateurs de Livres à vous à Voiron l’année passée, manifestation pour laquelle j’étais invité, et j’embarque Alain pour notre première exposition. Puis, c’est Alain qui s’associe avec l’USDK de Dunkerque, club de handball de renom. Un peu plus tard, la Fondation SNCF devient mécène de notre projet. Echanges encore : nous travaillons avec six classes de Dunkerque pour peaufiner notre projet qui devient, comme le hand, un travail d’équipe. Equipe encore avec la Fédération Française de Handball : notre projet devient une animation périphérique du  championnat du Monde qui aura lieu en France en janvier 2017. Le livre Instants handball, que nous avions prévu dès le début, prend corps, s’orne de logos et de préfaces officielles : là aussi, très beau travail d’équipe avec notre éditeur Le Livre d’Art. Voilà l’histoire que je résume pour ce vernissage, il y manque les sentiments : je vois devant moi des dizaines de visages qui me sont devenus connus, amis, prénoms, noms qui me viennent à l’esprit : professeurs des écoles et inspecteurs, joueurs et entraineurs, Régis, Adeline, Jean-Luc, Caroline, Patrick, Rebecca, Alain, Delphine, Christian, Helena, Yann, des rencontres qui marquent. Pendant que je parle, je me demande combien de fois je suis venu ici depuis un an, dix, douze fois ? L’inoubliable journée de mini-hand en juin dernier, les journées d’atelier d’écriture pour moi, de peinture pour Alain, les heures de voiture, nos conversations, l’Italie, Rimbaud : tout cela nous a emporté très loin. Expositions : après Voiron, nous avons participé avec six toiles à la pose de la première pierre de la future maison du handball à Créteil le 7 novembre dernier. Maintenant, du 19 au 24 novembre à la Mairie de Rosendael (Dunkerque), est exposée la totalité des 23 tableaux et textes afférents qui figurent dans notre livre (voir en Webcam). Encadrements grand luxe, accrochage de professionnels, le IHIT (Instants handball international tour) ne fait que commencer…
Voilà résumé l’épisode 2 de notre beau projet. Le troisième épisode vous appartient : Instants handball est  en   vente  partout, c’est un cadeau idéal pour les fêtes de fin d’année. A suivre…

(21/11/2016)

 

« La demande harcelante de grands écrivains fait que presque chaque nouveau venu à l’air de sortir d’une forcerie : il se dope, il se travaille, il se fouaille les côtes : il veut être à la hauteur de ce qu’on attend de lui, à hauteur de son époque […] Aussi voit-on trop souvent en effet, la « sortie » d’un écrivain nouveau nous donner le spectacle pénible d’une rosse efflanquée essayant lugubrement de soulever sa croupe au milieu d’une pétarade théâtrale de fouets de cirque - rien à faire ; un tour de piste suffit, il sent l’écurie comme pas un, il court maintenant à sa mangeoire ; il n’est plus bon qu’à radioter, à fourrer dans un jury littéraire où à son tour il couvera l’an prochain quelque nouveau « poulain » aux jambes molles et aux dents longues. » : le ton est donné, voici La littérature à l’estomac de Julien Gracq. Ecrit en 1950, ce pamphlet délivre Julien Gracq de la rancœur éprouvée après la triste réception par la critique de sa pièce de théâtre Le Roi Pécheur un an plus tôt. Et l’année d’après, en 1951, après cette douche glacée, voici qu’on lui administre un bain bouillant : son roman, Le Rivage des Syrtes, en préparation depuis quelques années, est couronné par le Goncourt. Lorsqu’on rétablit cette chronologie et qu’on lit La littérature à l’estomac, il est évident que Julien Gracq ne pouvait que refuser le fameux prix. Orgueil démesuré ou simple honnêteté ? Je penche pour la deuxième raison. La naïveté, la candeur avec laquelle l’auteur prendra soin d’informer les médias de son refus confirment une sorte de clarté littéraire. La littérature à l’estomac n’est pas nominatif, c’est tout le monde littéraire qui en prend pour son grade. L’existentialisme, alors à la mode, efface les derniers surréalistes qui ont formé l’écrivain. C’est probablement le symptôme de ce monde qu’il ne comprend plus, constitué d’immédiat et d’absence de recul. Julien Gracq est un pur, entendez par là, un pur produit de l’école républicaine et laïque, un professeur d’histoire-géographie. Le lecteur qu’il idéalise lui ressemble : un lettré, quelqu’un qui a fait des efforts pour comprendre et réfléchir. Il constate « depuis, disons, un demi-siècle la masse des connaissances humaines acquises » ne permet plus au lecteur d’approfondir, mais l’incite à rechercher des lectures sans effort (que dirait-il avec la profusion du web et les réseaux sociaux !) : c’est déjà un homme du passé avant d’avoir même embrassé la carrière des lettres et en cela il ressemble à Rimbaud : « L’écrivain français, quand il a commencé à publier, ne cesse jamais d’écrire, pas plus que l’acteur de jouer, tant qu’il le peut ; on n’a pas fini chez nous de s’ébahir du scandale Rimbaud – rien de plus fréquent au contraire en Amérique que de voir un écrivain changer de « job ». Heureusement, Julien Gracq ne changera pas de job et nous gratifiera des Lettrines et des Carnets du grand chemin. La suite, on la connaît, on le fossilise, l’homme intègre, on le vénère pour avoir bonne conscience, le « on » c’est nous tous qui laissons sans réponse cette littérature à l’estomac, qui acceptons la fatalité des héritiers, dirait Bourdieu. De l’estomac, pourtant il en faudrait, je n’en ai pas assez, on m’offre un prix, n’importe lequel, je l’accepte en toute couardise (ouf, aujourd’hui même, écarté du Wepler, je peux pérorer à la manière de Paul Léautaud que je ne suis pas un écrivain « maudit, maudit, maudit » par l’obtention d’une récompense, je l’ai encore échappé belle). Et c’est justement ce manque d’estomac que relève, 52 ans après Julien Gracq, Pierre Jourde avec La littérature sans estomac. Contrairement à Gracq, Jourde nomme, accuse, envoie des uppercuts : Beigbeder devient Toto qui écrit un livre, Christian Bobin est un ravi de la crèche (voir note de lecture du 22/05/2002). Humour moins fin, mais il paraissait, un demi-siècle après Gracq, indispensable de prendre le relai d’un monde qui ne varie pas. Et même là, j’en reviens à penser qu’il faudrait quasi un pamphlet tous les ans, le monde littéraire reste le même, avec moins d’humour, seul le temps passe et The times thy are   a changin comme dirait un récent prix Nobel de littérature.
(14/11/2016)

 

En Sicile cette année, j’ai, comme d’habitude, apporté quelques volumes Pléiade (avant de recevoir, là-bas également, pour mon anniversaire et dans la même collection, la magnifique Histoire de ma vie de Casanova - merci Catherine et Gaétan !). Donc, j’ai relu Julien Gracq et j’ai scrupuleusement noté les passages que je m’étais promis de recopier à la rentrée. Les voici - et je retrouve intacte la même sérénité que j’avais eue en les lisant, moi qui attendait avec impatience la sortie de VPAR.
« Ecrivains pour lesquels la critique, à leur premier livre, hésite non sur la réussite plus ou moins grande, le dosage des qualités et des défauts, mais sur ceci de plus sérieux qu’on appelle en sport la catégorie : écrivain ou plumitif, percheron ou pur-sang. Au second ou au troisième galop d’essai, on est fixé : on fait une marque à la queue ou à la crinière, pour simplifier. »
(Julien Gracq Lettrines, p.154, Pléiade).
« Chaque époque semble connaître de ces écrivains – parfois de second ordre – que pendant un temps personne n’ose attaquer ni même critiquer, au milieu de l’universelle malveillance parisienne, comme se les protégeait une armure d’archange – devant lesquels chacun se découvre d’abord, de confiance, comme au passage d’un enterrement. »
(Id, p. 164)
« Le côté serre chaude du théâtre ; tout va trop vite et trop loin : génies sacrés, enterrés en deux heures, outrance de l’applaudissement et du sifflet. Tous les mécanismes du contrôle et du jugement se desserrent : c’est ici le royaume maléfique de l’emballement. »
(Id, p. 171).
« Quand tout aura été dit sur le roman, ses droits et ses devoirs, il restera que lire un roman, c’est croire d’une certaine manière à ce qu’il raconte, et cette créance le romancier ne l’obtient que s’il prêche l’exemple : rien ne peut remplacer cet élan – qui suppose une certaine ingénuité d’âme, je le veux bien, et même un certain refis de la lucidité _ avec lequel le romancier s’ébroue dans l’espèce de Terre promise qu’il se croit vocation de conquérir. Après tout, cet élan, un peu insensé si on y réfléchit bien aussi, c’est insensé de devenir amoureux), cela s’appelle l’élan créateur. »
(Id, p. 175-176). 
« Ecrire un livre, c’est d’une certaine manière se débarrasser de lui, faire place nette d’une gestation à la longue oppressante pour revenir à cette liberté d’esprit vacant qui, plus d’une fois, dans les derniers mois de travail d’un ouvrage trop longtemps porté, m’a paru par contraste si désirable ; mais l’achever, ce n’est pas seulement ajouter un titre à la liste des œuvres déjà publiées. Tout comme on finit, dans un intérieur trop amoureusement, trop capricieusement meublé, par voir ses allées et venues familier restreintes et comme canalisées, l’esprit secrète aussi son propre mobilier. Chaque livre terminé, chaque livre publié m’expulse d’un certain volume d’espace intérieur, qui était au départ disponibilité pure, et que l’exécution a solidifié, qui était appel à la liberté, et que l’écriture a changé en matérialité »
(Carnets du grand chemin, p. 1085 Pléiade)
« Le livre est contagieux. La masse les livres déjà connus confère une demi-réalité maniable aux livres non lus encore qu’elle cerne et fait pressentir. Ainsi, à partir d’un certain acquis, la culture livresque, alors que la lecture ne suit qu’une progression arithmétique, peut se développer d’une manière presque exponentielle par une méthode qui n’est pas sans analogie avec la solution d’un puzzle, et que les polyglottes expérimentent tous pratiquement pour l’acquisition des nouvelles langues. Pour s’enrichir pleinement par la lecture, il ne suffit pas de lire, il faut s’avoir s’introduire dans la société des livres, qui nous font alors profiter de toutes leurs relations et nous présentent à elle de proche en proche à l’infini. » (Id, p. 1086).
(07/11/2016)

 

Il y a probablement de çà : « Images de vieux maîtres suspendant d’épaisses cartes (de la librairie Armand-Colin), percées d’œillets, saisissant une règle, montrant les flux du caoutchouc vers l’Indochine, du café vers Moka, les mots hévéa, canne à sucre, tout un exotisme relayé sur de la terre à betteraves, au milieu de nos cartes à nous, la France, où nous apprenons à nous situer entre prairies, blé, vin, forêts, les énigmatiques mûriers de l’embouchure du Rhône, tout un vocabulaire inscrit en plus ou moins grosses lettres, capitales épaisses lorsque la donne était importante, plus ténues pour les moutons du Berry, les bœufs du Charolais, le cidre de la Normandie. » (Faux nègres, p. 130).
Et donc savoir se situer au milieu des betteraves et combien ce légume étrange (nommé
Beta vulgaris, c’est dire) est synonyme de vacuité : « On fredonne avec l’autoradio pour rompre ces enchantements, on klaxonne des tas de betteraves par ennui, on passe des doigts engourdis sur un visage fatigué » (Bestiaire domestique, p. 165).
Et pourtant : « C’est joli, n’est-ce pas ? dit le conducteur en désignant des champs immenses écrasés par un ciel bas, comme si la région ignorait l’été. Des bosquets épars et des tas de betteraves égayent le paysage. » (Ils désertent p. 201).
La betterave, ainsi me fascine, excite mon imagination, se déverse par tombereaux entiers dans mes livres : « 
Une fatigue peut-être, ou le même élan qui vous avait poussé à aller tâter un soir le macadam de l’autoroute, ou d’autres fois à stopper au pied d’un tas de betteraves pour en saisir une enveloppée de terre collante. » (Ils désertent p. 160).
Vieux rêve réalisé de saisir l’énorme radis sucrier, comme cette manie klaxonner les tas : les personnages ou les narrateurs rejoignent parfois (souvent) les auteurs pour d’infimes détails, de récurrentes obsessions mais qui comptent tellement.
Ainsi, ce jour : avoir couru avec deux amies, joie de retrouvailles pour 12km de vallons et de coteaux, plusieurs mois sans se voir (année difficile pour l’une et c’est le trio entier qui partage sa tristesse, quoi de plus normal ?). C’est donc l’homme, avant l’auteur, avant ses narrateurs, avant ses personnages, qui court dans la campagne, dans leurs coins de vignes, lavoirs au détour des villages en pente, avec ce bonheur repris ensemble au destin. Et au détour d’un chemin dans le ciel brumeux en haut de ces paysages que j’aime tant : ce tas de betteraves. Alors, d’un commun élan, tous trois en riant nous gravissons la petite colline de tubercules. J’écris cela avant que ces betteraves ne se retrouvent entre les pages d’un livre, avant qu’il y ait des personnages, des narrateurs, une histoire, pour ne pas oublier les sentiments éprouvés, mélancolie et joie mêlée, ciels bas et lavoirs ensoleillés. C’était
such a  perfect day, comme dirait Lou Reed, jour parfait et musique de circonstance.
(31/10/2016)


Alors voilà : on pourrait prendre cette rubrique consacrée aux rencontres en librairies ou en salons du livre comme un prolongement de La politesse, de François Begaudeau, écrit sur le même thème (en Notes de lecture cette semaine) voire comme un relai de la vidéo de François Bon consacré « aux salons ploucs » qui existent malheureusement, mais ce serait biaisé dès le départ et injustement injurieux puisque justement on y est sur le salon, ou on a accepté, voire même suscité une invitation en librairie. Et puis ce qu’il y a de navrant dans le livre de Begaudeau, c’est de tout mettre sur le même plan, lieux, regard critique, salons, libraires, journalistes, manque juste ceux pour qui on vient, les lecteurs. Autant le libraire ou le tenancier du salon se désole parce que si peu de personnes ont fait le déplacement ou s’arrêtent à votre stand, pour moi, ça n’est absolument pas important : m’intéressent les lieux, la librairie, les rayons, les livres, les trajets pour y aller (voir en Webcam cette semaine). « Tiens un nouveau N’Diaye » ai-je remarqué Au Connétable de Montmorency. Ou alors je me suis procuré le dernier Laurent Gaudé parce que la libraire d’Arcanes à Châteauroux en parlait si bien. M’intéresse la profession, le passage, est-ce qu’on ouvre jour de marché ? Depuis combien de temps la librairie existe ? Ce n’est pas « faire genre » (expression favorite de ma collègue de travail), c’est vraiment ce qui m’intéresse. Pour les salons même chose : j’ai passé une demi-heure à boire un café avec les bénévoles de Livres en fête à Saint Etienne, qui existe depuis 31 ans, et j’ai couru 15 km le dimanche matin pour découvrir la ville, même chose au Livre sur la place à Nancy le mois précédent, je garde un excellent souvenir de Voiron l’année dernière et 19 km courus dans la montagne. Le lecteur alors ? Secondaire ? Absolument pas, il m’en suffit d’un seul : à Montmorency, cette mère d’élève que m’a présenté Catherine, la prof chez qui je vais intervenir en janvier ; à Châteauroux, les trois lecteurs avec lesquels nous avons terminé au restaurant et merveille que cette discussion avec l’un d’eux au sujet du dernier Carnet de note de Bergounioux ; à Saint-Etienne le rimbaldien qui a fini par me trouver, chassé que j’avais été par la foule réunie pour mon voisin de table, un auteur en vogue envahissant qui évoquait ses propres livres en parlant de chefs d’œuvres ; à Nancy, une nièce qui vient me saluer après sa nuit de garde au Centre hospitalier ; et même le maire de Charleville venu écouter hier ma petite conférence faite au Musée de l’Ardenne. Un seul suffit et parfois les souvenirs s’imprègnent durablement : à Marseille, en 2012, un lycéen, heureux de m’annoncer qu’il avait transmis mon livre à son père, retournement des rôles ; à Chaumont, en 2009, ce type qui savait à peine lire et qui avait tenu a déchiffrer devant moi à voix haute une page de Bestiaire domestique, avant de l’acheter avec fierté. Oui, c’est pour ces moments que salons ou librairies se confondent. Finalement, je voulais faire une note pour distinguer les deux : on sait bien que les salons drainent des lecteurs en nombre appâté par l’évènement littéraire, on sait bien qu’une rencontre en librairie se travaille au niveau d’un quartier et d’une clientèle. On ne rend pas compte du boulot que c’est et je remercie grandement, Gilda, Elodie, Sylvia, Lucille de se rajouter à la liste déjà longue des passionnés que je côtoie. En fait cette différence entre salons et librairie ne m’intéresse pas, juste que ma joie demeure, comme disait Giono: chic, ce samedi c’est encore Charleville et la librairie Rimbaud, en plus, il y une course de 13km après, le Rimbaud city trail, alors…
(24/10/2016)

 

Les mots qui tuent, c’est le titre d’un article que j’avais écrit pour le journal L’Humanité en septembre 2009. Nous étions en pleine crise des suicides dans mon entreprise, j’avais entrepris d’écrire Retour aux mots sauvages et je me sentais comme beaucoup, désemparé, attristé et concerné. Aussi, quand un journaliste m’avait offert une tribune, j’avais saisi l’occasion pour exprimer ce que je ressentais encore de manière confuse, à savoir que c’était, une fois de plus, le langage qui avait été récupéré au profit d’une entreprise, mais pire, qui était devenu la preuve la plus intime d’une négation symbolique de l’individu, et pouvant aller jusqu’à sa mort réelle. Ecrire cet article avait eu des conséquences professionnelles (voir note d’Etonnements le 30/09/2009), on était venu se soucier de ma santé, savoir si je partageais les valeurs de l’entreprise, on m’avait insidieusement notifié que je n’étais pas autorisé à parler au nom de l’entreprise, au final bien peu de choses. C’est l’interview d’une journaliste la semaine dernière qui m’a fait me souvenir de cet épisode. J’étais persuadé que cet article de L’Humanité n’était plus disponible, mais à ma grande  surprise, on le trouve toujours. Il s’est écoulé sept ans et j’arriverai dans quelques mois au terme de ma carrière dans cette entreprise. C’est l’occasion de faire le point sur ces années qui ont suivi Retour aux mots sauvages, en quelques sorte retour aux mots qui tuent. Dans l’entreprise, le changement a été à la mesure des évènements à travers un contrat social projeté jusqu’à 2015. Fini le management dur et sans alternative, les fermetures de service, mutations d’office ont été bannies, on a réintroduit une présence de proximité dans les ressources humaines. Mon métier de recruteur a été revu : fini l’outplacement (ouf) j’ai participé au développement interne des salariés. Belle période, belle équipe dont l’apogée se situe en 2013, 2014. Depuis, le contrat social a été prolongé dans ses principes, et tant mieux. Il convient toutefois de rester vigilant : on dit toujours qu’il y a plus de richesses dans plusieurs têtes que dans une, mais un des inconvénients du collectif est aussi de bâtir des solutions bancales, de favoriser quelques carriéristes, de succomber à des modes (le digital), des slogans (ah, la fameuse « agilité » dont nous devons tous faire preuve), bref, si on ne prend pas garde, c’est encore le langage qui sert de fer de lance aux évolutions en y perdant son latin (voir « zone de confort » en Etonnements de la semaine précédente). Sept ans depuis notre crise des suicides, c’est à la fois court et long. Court, parce que cette épreuve reste dans nos têtes (comme d’ailleurs le passage d’une entreprise publique à une entreprise privée dans les années 90, sujet de mon premier livre Central). Long, parce qu’on aimerait oublier, ou plutôt  certains aimeraient bien que les culpabilités soient estompées, que cela se perde dans le flou des évolutions successives. Il y a quelques jours, la cour de Cassation vient de renvoyer en instruction le procès intenté depuis 2010 à Didier Lombard, ex-PDG du groupe et ses adjoints Louis-Pierre Wenes et Olivier Barberot. Je précise leurs noms pour qu’on ne perde pas de vue que la responsabilité a toujours un visage, que ces mêmes visages continuent pour la plupart à bénéficier de fonctions, salaires et retraites particulièrement bien rémunérés avec le soutien de mon entreprise. On mesurera également la différence de traitement et de rapidité entre un procès concernant soixante morts par harcèlement volontaire commencé il y a dix ans et celui de la chemise arrachée d’un cadre à Air France, épisode d’humeur de quelques secondes il y a moins d’un an.
(17/10/2016)

 

J’ai eu grand plaisir d’être sollicité pour écrire un article dans la NRF. Pas la peine de présenter la Nouvelle Revue Française fondée en 1908. Dans sa longue histoire, elle a eu Gide, Rivière, Paulhan mais aussi Drieu la Rochelle comme directeurs ; elle a accueilli Apollinaire, Saint-John Perse, Saint-Exupéry, Aragon, Claudel, Desnos, Francis Ponge, Marcel Proust et Jean-Paul Sartre mais aussi Jean-Marie Gustave Le Clézio, Marie NDiaye et Muriel Barbery. Bref, je suis en bonne compagnie, y compris dans ce numéro de septembre où mon texte paraît. Annie Ernaux nous gratifie d’un « rapport de faits », qui retrace l’année 1958, si importante pour elle (et pour moi donc, puisque j’y voyais le jour). Dans ce numéro, je suis aussi en compagnie de Nathalie Gendrot que je ne connais pas, de Sylvain Prudhomme que j’ai aperçu en face de moi au salon de Nancy, de Simon Liberati et d’Eva Ionesco qui me font l’effet d’être des martiens et de ne rien comprendre à leur planète. Voilà pour la partie littérature, qui est ce qu’elle doit être, profuse et variée, le reflet d’une actualité littéraire, puisque la particularité de réunir ainsi carpes et lapins tient à une publication en 2016 ( il y a d’autres articles à ne pas louper dans cette revue NRF de septembre, l’entretien de Denis Podalydès, Shakespeare à jamais ou L’écrivain comme lecteur de Ricardo Piglia à propos de Gombrowicz). Rentrée littéraire donc, et justement, lorsque Michel Crépu m’a demandé de participer à ce numéro, l’évidence a été de concocter un texte sur Isabelle Rimbaud, peut-être parce que j’estimais ne pas avoir assez insisté sur sa vie dans mon roman VPAR, ou plutôt parce, trop disséminée au fil des pages, il me semblait qu’elle cachait la sorte de péché originel (qu’Isabelle n’évoque jamais) liée à l’abandon familial de son père juste après sa naissance. Comment ne pas se sentir responsable, et peut être tenter de réparer à la mort d’Arthur les drames et malheurs qui avaient suivi ? C’est ce condensé de vie que j’ai voulu rédiger dans l’article de la NRF, intitulé comme il se doit Rimbaud la sœur, manière de se sentir frère avec Pierre Michon qui avait écrit Rimbaud le fils, plusieurs années auparavant.
(10/10/2016)

 

Chant acier : pour saisir le très beau film de François Bon, il faut le relier à ses livres antérieurs Temps machine (1993) et Paysage fer (2000), tellement plus de vingt ans pour que nous comprenions enfin que le temps et le paysage se mélangent, pour que le « voyage vertical » rejoigne l’horizon d’une usine en apparence immobile, pour que les mutations du travail aient fini par se figer en une coulée refroidie dans nos esprits, pour que le monde économique semble avoir gagné en imposant enfin son silence. Rien n’y a fait, ni les temps et les époques de contestations, vieilles traces de feux de palettes, paysages d’usines fermées, panoramas de fiches industrielles, halls de Pôle emploi et le souvenir pour combien d’entre nous d’y avoir piétiné. Rien ne nous aura été épargné, ni le temps, ni les paysages. Oui, le monde, oui l’univers – entendez par là ceux qui le font danser dans leurs mains – a bien failli réussir et jeter aux oubliettes le travail des hommes, l’œuvre et les mots pour le décrire. Reste le chant, à peine un air qui survit, une ritournelle dont on aurait oublié les paroles, mais qui reviennent un jour dans la bouche de quelques modestes, des miraculés pour qui le travail est un vieil héritage de l’âge du feu. On les fait se réunir, on les fait parler (François), on illustre les propos dans des gerbes d’étincelles, des fontes de métal et toute la mécanique extraordinaire pour véhiculer cela : c’est Chant acier.
Je sais, c’est du lyrisme de pacotille et je n’ai que ces mots pour exprimer ce que j’ai ressenti à le regarder. Grande fierté aussi d’y avoir participé en si bonne compagnie Leslie Kaplan, Bernard Stiegler, (mais les « grands témoins » dans lesquels François nous a placés me paraissent revenir à l’évidence à ceux du film, à ceux qui ont écrit et décrit). Cependant c’est un bain d’acier salutaire et une fusion immédiate qui arrive à point nommé : je me préoccupe de ma thèse en ce moment et qui porte sur ces sujets du travail et de la littérature. Je trouve évidement des pépites dans les mots de Leslie Kaplan ou d’autres, mais ce chant dépasse l’analyse, les théories, la problématique obligatoire, les doutes facultatifs et tous les artifices nécessaires à cette production universitaire. J’ai besoin de sentir à travers la chaleur des fours pourquoi je fais tout cela, pourquoi ça a pris ma vie depuis seize ans d'écrire dessus.
Mais François m’a gratifié d’une autre surprise : en plus de l’interview pour Chant acier, nous avions échangé sur Rimbaud, et en « grand témoin » de mon obsession rimbaldienne, il a rassemblé tout cela en ode Rimbaud, et c’est vraiment un très très beau cadeau ! En plus, on a tous les à-côtés du tournage, et ça c'est aussi la joie de la fabrique du romanesque...
(03/10/2016)

 

La différence entre le mythe rimbaldien et celui de Tolstoï est que l’écrivain russe, contrairement au poète français, a cohabité avec son mythe. Rimbaud n’a jamais eu à faire avec sa propre célébrité, tandis que Tolstoï a connu le succès avec ses romans  La guerre et la paix, Anna Karénine, puis Résurrection en 1898. Il a alors soixante-dix ans, est excommunié par l’église orthodoxe, prêche la non-violence, l’abandon des privilèges et devient le maître à penser d’une jeunesse éprise de liberté et tournée vers le peuple. On l’encense comme un prophète. Il voit ainsi son propre mythe s’installer, ses adeptes venir de très loin le consulter comme un oracle. Peu de personnes peuvent résister à une telle admiration. Le vieux comte est accueillant, n’a rien perdu de la vivacité de son intelligence. Il tente de mener une vie simple, blouse de moujik, promenades à cheval, végétarisme et projette sur son fan club sa vision d’une Russie utopique. Malheureusement, n’est pas Diogène qui veut et Tolstoï demeure un aristocrate au milieu des quatre cents hectares de la demeure familiale, gérée d’une main ferme et efficace par son épouse Sophie. Lui qui prône l’abstinence sexuelle lui a donné treize enfants. Lui qui recherche la pauvreté vit entouré de nombreux serviteurs. Lui qui conspue sans cesse le Tsar est parfois réprimandé comme un enfant terrible mais rien de plus. Contradictions qu’il essaie de concilier : d’un côté, on le pousse à s’affranchir davantage, de l’autre, son épouse lui rappelle sans cesse ses charges familiales. Il ne peut se laisser aller à la bienveillance apparente de ses admirateurs, dont certains tentent de se faire un nom, de voler à sa complaisance une part de pouvoir comme Vladimir Tchertkov. Manipulé et tiraillé de tous les côtés, il meurt en 1910 après une ultime fuite. De toute manière c’était trop tard, il avait, sans le vouloir, déjà pris l’apparence d’une statue. Et se pose, outre le fait qu’il ait été mythifié de son vivant, la vraie question de la compatibilité entre la vie et la création, entre un quotidien prosaïque et des élans chimériques. Pouvait-il deviner combien La guerre et la paix, son extraordinaire galerie de personnages, se révèlerait prémonitoire jusque dans son titre ? Guerre jusque dans les tensions entre fiction et diction comme dirait Genette, paix à travers l’inextinguible volonté qui lui a fait tenir bon jusqu’à la fin et accommoder le mythe et la réalité.
(26/09/2016)

 

C’est dans une émission de télévision. L’écrivain invité est appeler à donner son avis au sujet de la rentrée littéraire. Il cite quelques titres incontournables et précise les tendances du moment : ainsi « l’exofiction », particulièrement importante cette année, dans le panier duquel on me place, moi qui ne savait même pas ce que ça voulait dire un mois auparavant (voir en même rubrique, le 16/08/2016). Il se demande, l’écrivain invité à donner son avis, si ce n’est pas révélateur d’une paresse intellectuelle ou d’un manque d’imagination pour vouloir s’emparer d’un personnage célèbre et ainsi revisiter sa vie dans un roman. Je comprends qu’on puisse se poser cette question, mais en revanche, je n’ai pas eu l’impression d’avoir fait preuve de paresse pour VPAR. C’est même tout le contraire et il m’a fallu plutôt du courage pour écrire sur le symbole absolu de la poésie française. Courage parce qu’il a fallu sérieusement se documenter. Courage car je savais que je m’embarquais pour une longue période d’écriture (au final seize mois de rédaction quasi ininterrompue). Courage parce qu’il n’y avait aucune inconscience de ma part : je savais dès le départ qu’on ne peut s’attaquer impunément à un tel mythe sans se mettre à dos quelques esprits chagrins. C’était donc attendu et j’accepte volontiers les critiques sur mon livre à condition qu’il soit effectivement lu et qu’elles soient argumentées. Les procès d’intention, les réticences de départ en découvrant qu’il s’agit d’un énième livre sur Rimbaud (qu’on ne lira pas) ne doivent pas emporter les jugements : là, en effet, se situerait la paresse intellectuelle… du lecteur cette fois… D’un point de vue plus théorique, s’attaquer à un personnage célèbre, voire mythologique m’intéressait parce qu’il me semblait répondre à une préoccupation que le Nouveau roman avait identifiée dans sa remise en cause des romans du XIX° siècle, l’élaboration de personnages stéréotypés, d’intrigues courues d’avance… etc. Ici, pas besoin d'inventer un personnage. En même temps, en plaçant d’emblée VPAR au sein de cette période romanesque, en épousant presque la manière d’écrire de l’époque, je me plaçais en porte à faux par rapport à ma manière habituelle d’écrire, dans un déséquilibre voulu, avec la volonté d’y agripper le lecteur et de lui faire ressentir le même vertige. Y ai-je réussi ? Les réponses sont multiples : m’intéressent, en premier lieu et c’est bien normal, celles et ceux qui ont réussi à me suivre dans cette histoire. A l’heure actuelle où il est tentant de se glisser dans les remous du présent, reprendre la fabrique de l’histoire, celles de personnages célèbres, c’est faire preuve d’une distance intéressante : en étant témoin de la manière dont se sont constitués les mythes, littéraires ou non, à travers l’éducation nationale et plus largement l’institution politique, on peut mesurer aussi les dangers de la manipulation étatique des informations. Concernant Rimbaud, qu’avons-nous retenu à part qu’il fût un poète précoce et un trafiquant d’armes ? Qu’avons-nous voulu faire passer comme idée, comme jugement envers lui ? Je n’y répondrai pas et je laisse chercher ceux qui ne sont pas encore touchés par la paresse intellectuelle, avec le plaisir de les rencontrer bientôt (voir mon agenda paresseux).
(20/09/2016)

 

Je n’ai encore que très peu parlé de la sortie en poche de Faux nègres. C’est pourtant chose faite depuis fin août. J’ai découvert cette version de mon livre avec sa belle couverture jaune poussin chez Francis Zahn, à la librairie Le Pythagore, à l’occasion de la rencontre que nous avions organisée le même jour que la venue de Marine Le Pen à Brachay, et dont le livre se fait l’écho. Ainsi, j’ai eu grand plaisir à dédicacer des « Non au FN » pour quelques lecteurs qui tenaient à marquer symboliquement leur désaccord à voir la mère tape-dur venir s’octroyer un coin de Haute-Marne avec un air de châtelaine. On coupait des têtes pour moins que cela à la Révolution, mais les temps ont changé. On aurait pu la jouer Western aussi dans nos grands espaces vides et la couvrir de goudron et de plumes, en prenant soin d’accrocher sur sa mèche blonde mon Faux nègres à couverture jaune poussin, mais hélas, tout cela est resté dans le domaine des rêves, pas question de venir provoquer la horde malfaisante sur son propre terrain. C’est donc à trente kilomètres de Brachay, à Chaumont que j’ai eu la joie de proposer mon poche et bien sûr VPAR. Pour en revenir au poche, c’est le troisième déjà, avec Retour aux mots sauvages et Ils désertent. En plus, la critique se renouvelle avec cette parution : en témoigne par exemple l’article de Pierre Maury. Trois poches et je m’enfonce de plus en plus dans la postérité : Beigbeder, voisin de rayon par ordre alphabétique, je te rattrape ! Ceci dit, le poche propose d’autres ouvertures, notamment celle de l’Education nationale, où la modestie du prix le rend abordable aux lycéens, collégiens et étudiants : amis profs, faites-moi signe ! Je suis infiniment disponible quand il s’agit de montrer à des classes qu’un auteur n’est pas obligatoirement mort, il remue parfois, se prend les pieds dans le tapis souvent, sort des énormités toujours. Il n’y a pas de corrélation entre livre de poche et petit écrivain, c’est même souvent le contraire, c’est parce qu’on a un poche qui paraît qu’on attrape une tête comme un melon, en fait.
(12/09/2016)

 

Michel Butor est mort il y a quelques jours ; avec lui disparait une des figures du Nouveau roman. Dit comme cela, ça fait un peu rubrique nécrologique passe-partout. Il n’empêche qu’en cette période de rentrée littéraire, avec toute l’agitation encore à venir, cette disparition mesure encore plus l’écart qui nous sépare d’un monde déjà ancien, à l’heure où l’immédiateté médiatique prime sur tout, mais un monde persistant, quelque chose qui a fondé notre écriture contemporaine. Je le connais finalement assez  peu. J’avais lu vigoureusement La consolidation La modification (notes de lecture et d’écriture du 25/04/2012), je savais qu’il avait tourné le dos au roman, que les livres d’artistes occupaient le plus clair de son temps, probablement assez loin de l’agitation, vie banale donc (j’ai toujours préféré cet adjectif à celui de « simple », trop condescendant, et puis Michel Butor évoque lui-même « cette banalité qui est la continuité même du roman avec la vie courante - Répertoire II). Du coup, parce que ces questions sur la possibilité ou non de continuer à écrire des romans me taraudent depuis pas mal de temps, parce que j’ai l’impression depuis quelques années d’effectuer moi-même un retour au romanesque par rapport à mes premières écritures, plus sèches (Central, Composants), de parcourir un chemin presque inverse, c’est-à-dire de l’ère du soupçon et autres refus fictionnels jusqu’au roman (et dont la récente parution de VPAR me rapproche d’ailleurs de l’âge d’or du XIX°, avec passé simple et tous les poncifs liés), il me paraît nécessaire de reprendre ces vieux débats, beaucoup plus essentiels pour moi qu’on ne le pense : VPAR n’est pas seulement qu’une fiction ancrée dans les trente années qui ont suivi la mort de Rimbaud, c’est bien plus un enjeu de compréhension d’époque et de style, Zola, Rimbaud et Proust compris, mais qui nous emporte jusqu’à nos jours.
D’ailleurs, en parlant de Rimbaud, il y a quelques années, Michel Butor avait écrit Outre-Harrar (Lucinges, 19 mars 1991) : voici maintenant son frère prêt à l’accueillir…

Frère au très loin je tourne
depuis des années sournoisement
autour de ton ombre gardée
farouchement par des spécialistes
dont tu aurais détesté la plupart

Ce qui m'a mené en maint continent
déserts ou forêts villes ou sargasses
nullement à la recherche de tes traces
mais d'un lieu pluriel d'écoute et vision
d'où poursuivre ta tentative

Stoppée par le sort après tant d'avatars
malgré tous les soins et préparations
communique-moi ta force d'écart
et ce silence à l'intérieur de tous les mots
dont la mort ne pourra qu'augmenter le pouvoir

(05/09/2016)

 

Bergounioux dit toujours oui, affirme Philippe Didion dans une de ses dernière notules : « Sollicité sans cesse pour une émission de radio, un film, un entretien, une séance photo, une intervention, un colloque, une préface, un article, il accepte et se plie à toute demande – ou alors il tait celles qu’il décline. Ce qui l’amène à jouer serré avec son emploi du temps, à courir continuellement aux quatre coins de Paris, de la France, à Bruxelles, à Zurich, ailleurs, et à voir sa thébaïde corrézienne des Bordes envahie chaque été par des gens porteurs de micros et caméras. Comme il ne se sent pas responsable d’une œuvre à faire, il estime que c’est là son rôle, même si les récriminations sont nombreuses sur le fait de n’avoir pas un moment à lui et la fatigue occasionnée par cette existence : “Encore des rendez-vous, des demandes d’articles, d’entretiens. J’y passe ma vie. je ne m’appartiens plus.” ».
Cette vie trépidante est scrupuleusement notée dans son dernier envoi du Carnet de notes (années 2011-2015 en Notes de lecture du 22/03/2016). Avec Philippe, comme bien d’autres, nous partageons la même passion pour le diariste de Gif-sur-Yvette. Un des grands charmes de Bergounioux est sa proximité avec le monde : quoi qu’il fasse, on le sent impliqué à 100% ; il a comme nous, ce choix à se tenir en dehors des modes, à s’étonner, s’offusquer devant la facilité, la futilité, lui qui a décidé à 14 ans qu’il n’aurait pas trop de toute sa vie pour approcher et comprendre  la société dans laquelle on vit. Alors oui, c’est cette phrase que résume Philippe Didion qui me semble à la mesure de l’écrivain : il ne sent pas responsable d’une œuvre à faire, Bergounioux est  libre, autant que Rimbaud l’était sans ces attaches de l’ego. Grande leçon d’humilité : alors que nous avions publié au même moment dans la même maison Fayard, moi Faux nègres et lui un recueil d’entretiens (Exister par deux fois), il avait rejoint en septembre son havre de paix habituel comme notifié dans son Carnet de notes, alors que j’essayais le plus possible d’être présent pour la rentrée littéraire. Mais pourquoi et pour qui ? Qu’est-ce que j’attendais de plus ? Comme Bergounioux, je n’ai pas de problème d’ego disproportionné (enfin je ne pense pas) et je justifie pour moi-même ma manière d’être aux aguets afin de ne rien louper : moi aussi, je dis oui à tout, pour d’autres raisons probablement. Je n’ai pas décidé à 14 ans de m’ouvrir vers la culture la plus exhaustive, j’étais dans cette envie mais dans l’incapacité de faire ce choix, je n’en avais probablement pas la volonté. La vie aura décidé pour moi d’un parcours tout aussi libre mais moins culturel. Dire oui à tout, c’est ainsi m’ouvrir tardivement, avec toutefois cette peur qui est restée, ne pas être à la hauteur, petit sentiment d’infériorité, le vieux complexe du milieu populaire dont je n’arriverai probablement jamais à me débarrasser et qui me pousse, non pas à vouloir produire une œuvre, mais à idéaliser tous ceux qui en ont faite une. La différence peut-être entre Bergounioux et moi, c’est que je remarque toujours le piédestal, le socle ; longtemps pour lui que sa culture livresque lui a donné les outils pour déboulonner les statues.
(29/08/2016)

 

Bon, j’ai beau faire le fanfaron, expliquer que de participer à la rentrée littéraire, c’est comme me lâcher devant un buffet de petits fours, avec appétit et insouciance (interview à paraître pour Livre sur la place de Nancy), il n’empêche que la sortie de VPAR me préoccupe, et je guette les premiers retours, souvent significatifs de la tournure que prendront les évènements. Pas de vedettariat, je fais partie des seconds couteaux et les mensuels littéraires de septembre ont d’autres auteurs à présenter avant moi. Ça a commencé à bouger néanmoins du côté de la Belgique, rien d’étonnant, Rimbaud est déjà presque l’un des leurs, coincé dans les Ardennes proches (je l’installe là-bas, d’ailleurs, dans ma fiction), le poète ayant bourlingué à Charleroi, vanté le cabaret vert, poursuivi jusqu’à Bruxelles pour y trouver l’éditeur d’Une saison en enfer et revenir se faire tirer dessus par Verlaine. Sinon, les premiers retours glanés dans la blogosphère sont partagés entre ceux qui disent que je n’aurais pas dû ressusciter Arthur Rimbaud et ceux qui ont bien aimé la nouvelle existence que je lui prête. Je m’y attendais, on ne s’attaque pas impunément à un tel mythe, c’est véritablement une construction mentale que l’on porte avec soit, faite d’attraction, de répulsion, de convergence avec l’institution qui nous le présente, une réputation que l’on a été obligé d’avaler très tôt, un indispensable élément culturel à connaître, et qui ne cesse de s’autoalimenter. Chacun à sa vision, son opinion, en fonction des éléments qu’il admet ou qu’il réfute. Il y a quelques années, j’avais écrit sur Picasso dans Paris-Guernica 1937, pas de remous cependant, je retraçais fidèlement sa vie à l’époque de l’élaboration de Guernica, et puis il n’était pas le personnage principal (c’était un photographe). Cependant j’avais déjà mesuré l’extrême précision qu’il faut avoir lorsqu’on se réfère à un tel individu. J’avais été jusqu’à me renseigner sur l’année et le mois et presque le jour de l’installation du chauffage central dans son atelier des Grands Augustins. De même que, généralement lorsque j’affirme qu’il faisait beau ou pluvieux pour telle journée du passé, je vais scrupuleusement vérifier. Le personnage mythique n’admet pas l’aléa, savoir que toute une cohorte de spécialistes est là pour vérifier tout ce qui s’écrit, paraît sur lui. Donc Rimbaud n’échappe pas à la règle. Mais, comme pour Picasso, il a ses défenseurs et ses critiques, on peut considérer Picasso comme un infâme barbouilleur, Rimbaud comme un génie adolescent, Picasso comme le plus grand peintre, Rimbaud juste comme un aventurier hermétique ou un trafiquant d’armes. Toutes les combinaisons sont possibles d’ailleurs entre Picasso et Rimbaud, puisque de toute manière, l’un comme l’autre font partie de notre espace partagé « par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique », disait Barthes dans ses Mythologies, en parlant de l’automobile. Mais il en est de même pour Rimbaud : de Roland Barthes encore : « le problème n’est pas d’opposer le mythe à sa vérité, comme la maladie à la santé. Seule compte la réalité générale de l’Histoire dans laquelle le mythe prend place ; c’est au nom de cette Histoire que nous devons juger le mythe,  et nullement au nom d’une essence de Rimbaud : nous jugeons la nocivité du mythe, non son erreur ». Ainsi, s’attaquer à un personnage mythique, c’est donc remettre en cause une construction mentale, une mécanique intime, mais qui nous heurte car l’ensemble de nos croyances culturelles forment comme un Mikado fragile à l’intérieur de nous. La question est d’importance, il ne s’agit pas tant de savoir si un Rimbaud renaissant pantouflard est un crime devant l’image qu’on se fait de lui. Quelle part de nous acceptons-nous de céder lorsqu’on se défait d’un mythe ? Quels renoncements devant une histoire que nous avons reconstituée de nos propres interprétations ? Et puis, ne jamais oublier que le mythe lui-même ne nous a rien demandé, aussi bien à qui commet le sacrilège de s’en emparer qu’à celui qui s’en fait une opinion. Une phrase d’Henry James me semble correspondre à point nommé : «Nous travaillons dans le noir. Nous faisons ce que nous pouvons. Nous donnons ce que nous avons. Notre doute est notre passion et notre passion notre tâche. Le reste est la folie de l'art.»
(22/08/2016)

 

Vie prolongée d’Arthur Rimbaud parait officiellement demain, grande fierté et impatience pour moi. Des amis libraires sont sur les dents, les barrières destinées à canaliser le public sont déjà en place, Harry Potter n’a qu’à bien se tenir. Quelques réactions des privilégiés qui ont pu bénéficier des services de presse commencent à arriver : tout cela ira se placer au fur et à mesure dans la rubrique idoine, dédiée à VPAR.
Si j’en crois cet article, je fais de l’exofiction sans le savoir, comme monsieur Jourdain faisait de la prose. Terme créé il y a une paire d’années pour se placer en opposition à l’autofiction, l’exofiction est un genre littéraire qui crée une fiction à partir d’éléments du réel, mettant souvent en jeu des personnages célèbres. Ainsi Yersin, découvreur du vaccin, dans Peste et Choléra de Patrick Deville, ou Blonde de Joyce Carol Oates (en note de lecture cette semaine) qui réinvente la biographie de Marylin Monroe. Pour VPAR, plaidons coupable, acceptons l’étiquette. En plus dans cette histoire où Rimbaud revient, c’est bien le réel qui m’intéresse et notamment la terrible proximité de cette fin du XIX° avec notre époque actuelle, comme elle, époque d’invention (Internet a supplanté la démocratisation de l’électricité, du téléphone et de l’automobile de jadis) et de tension (les crispations d’autrefois sur Dreyfus sont à mettre en regard avec nos craintes devant l’étranger, migrants, burqa…). Espérons que ça ne se terminera pas pareil puisque vingt-trois ans après la mort de Rimbaud éclatait le premier conflit mondial. Je revendique également le personnage célèbre, qui n’est peut-être après tout qu’une manière de s’affranchir de la création du personnage principal et ainsi de rester fidèle à quelques vieux poncifs du nouveau roman dont je demeure un fidèle aficionados. J’ai lu aussi dans un autre article que j’avais fait une uchronie, qui est un genre qui repose sur le principe de la réécriture de l’histoire, selon wikipédia. Admettons aussi, bien que l’histoire ne soit pas vraiment réécrite dans le cadre de VPAR, c’est juste que le poète continue à vivre sans faire de bruit tandis qu’on le croit mort. Dans ces deux affirmations, exofiction et uchronie, ce qui me gêne, c’est le rattachement à un genre, comme si le sport national de la littérature consistait à tout classer (je dis national, car il me semble que c’est typiquement français). Et justement, dans la thèse que je continue bon gré mal gré, une de mes principales tâches consiste à mélanger les genres trop séparatistes et qui empêchent d’avoir une vision globale sur un sujet littéraire. Mais soit, quand je dis que j’accepte les étiquettes, c’est pour tout ce que cela provoque comme discussions, contacts, échanges, cette vision dynamique de l’extérieur qui empêche de se scléroser, comme la course à pied, par exemple. Par ailleurs en me renseignant sur Joyces Carol Oates, j’ai été agréablement surpris de sa déclaration dans une interview deux ans auparavant à Télérama. Question : l'écrivain japonais Haruki Murakami pratique la course à pied pour, dit-il, se "débarrasser de sa toxicité mentale". Vous aussi ? JCOates :  « Je ne cours plus. J'ai commencé à courir, à faire de la bicyclette et de la marche à pied dans les bois à l'âge de 10 ans, et j'ai continué jusqu'à très récemment. J'associe ces activités au plaisir de regarder autour de moi. J'aime courir et penser à mes livres en même temps. Cela secoue les pensées. C'est difficile à exprimer. La plupart du temps, le cerveau humain est dans une situation tellement statique... Il est finalement très peu actif. Dès que vous le confrontez à quelque chose à regarder, votre cerveau commence à devenir vivant. C'est l'un des plaisirs qu'il y a à être dehors. Que je regarde des peintures, des films, que je parle avec des gens, que je coure, c'est le côté vivant de l'expérience qui m'intéresse. »
(16/08/2016)

 

Chaque année, la Sicile est le lieu de l’écriture. Qu’il s’agisse d’avancer sur un roman (l’année passée c’était Vie prolongée d’Arthur Rimbaud et je n’en étais probablement pas à la moitié) ou de reprendre le plan de ma thèse comme en 2014, pas question de rester oisif. Cette année, retour de la thèse,  j’ai tenté de reprendre le machin universitaire. Dans ma note d'écriture du 13/08/2014, j’espérais être constant et ne pas me laisser distraire par le démon de l’écriture, mais hélas, serment d’ivrogne au sang injecté d’encre, j’avais commencé deux mois plus tard Vie prolongée d’Arthur Rimbaud, me doutant qu’avec ce nouveau roman j’en prenais pour longtemps (seize mois, trois jours). Donc, je me suis promis, mais vraiment promis juré craché, que je ne commencerais rien d’autre, vu que l’échéance finale approche, 2017, et que je ne peux y déroger. J’ai eu l’idée de ce doctorat de lettres modernes, basé sur la littérature du travail, en 2009, à l’issue des deux mémoires de Master 1 et 2, que j’avais déjà consacrés à ce sujet. J’ai rencontré des gens charmants, j’ai été invité partout, de Porto à Londres, bref, me voici, toujours, quelques années plus tard, doctorant-promeneur, grappillant ci et là quelques idées, refaisant sans cesse des parties, sous parties, passionné toujours, mais sans méthode. Heureusement, un comité de surveillance s’est auto-proclamé autour de moi, et ne me laissera pas errer sans concrétiser, enfin je le souhaite. J’ai accumulé des lectures théoriques toutes aussi passionnantes les unes des autres (voir Seuils de Gerard Genette, en Notes de lecture), un plaisir d’apprendre, un plaisir du texte, ce n’est pas Barthes qui me contredira, mais c’est un problème que d’autres ont probablement connu avant moi : au bout d’un moment, il faut dévider la pelote, avancer et conclure.
C’est drôle, je passe sous silence la parution de mon prochain livre, alors que ça devrait me préoccuper davantage peut-être. Mais pour l’instant, dans le grand silence de l’été, même si des rendez-vous sont déjà calés, sont à venir, et j’espère, seront nombreux, je laisse venir. La bousculade sera certainement rude, mais j’aspire à garder du temps pour cette arlésienne en costume universitaire qui me poursuit depuis sept ans. Comité de surveillance : soyez vigilant !
(09/08/2016)

 

Mon entreprise est digitale, on parle du digital, nouveau nom/adjectif à la mode, tablettes, smartphones, le monde à portée des doigts qui glissent sur nos écrans tactiles. Soit.
Comme à chaque effet de mode, l’exagération est utilisée : dans mon entreprise, certains parait-il se sont fait des selfies avec leur passeport digital, un diplôme en vrai pdf, que j’ai également obtenu et  qui atteste que je sais utiliser les réseaux sociaux, que je suis sensibilisé aux avantages du numérique. Bien.
Un directeur de ma boîte, DRH missionné  pour un rapport ministériel sur le numérique, ne cessait de répéter dans des interviews qu’il était un « praticien » d’entreprise : « en tant que praticien d’entreprise, patati, patata… ». Super.
Digital, praticien : nouveaux mots pour le langage du travail, nouvelles couleuvres à avaler pour les salariés. Bien sûr, les salariés sont chouchoutés dans le sens du poil, chaque maillon est essentiel, se sentir bien au boulot est primordial qu’on nous dit pour accueillir notre clientèle, développer notre chiffre d’affaire, tiens c’est drôle, malgré la révolution du digital, les objectifs restent les mêmes, ceci dit caressé dans le sens du poil par un praticien, c’est un peu comme si nous étions de grands malades à soigner. Evoluer est normal, me direz-vous. Ce qui l’est moins, c’est le retour de balancier : dans la surenchère en faveur du digital, les témoignages outranciers font parfois passer la génération des séniors pour des naïfs, des vieux auxquels il convient d’expliquer lentement les avantages des réseaux sociaux. C’est oublier un peu vite que cette génération à laquelle j’appartiens à expérimenté Internet à une époque où le web ressemblait au Far Ouest et ceux qui s’y aventuraient à des pionniers. C’est oublier un peu vite que je me suis trimbalé avec un portable grand comme une boite à chaussures pour tester dans ma ville la zone de couverture des mobiles naissants au milieu des années quatre-vingt-dix quand tout le monde s’y désintéressait. C’est oublier que j’ai acquis un des tous premiers ordinateurs portables, et que je possède un IPad depuis sa création ou presque, que j’y ai rédigé parfois des paragraphes entiers de livres maintenant parus, que je n’imprime plus mes textes depuis au moins quinze ans, que j’utilise les agendas partagés pour mon boulot ou le perso, voir Doodle en tant qu’organisateur dans diverses associations, que les fonctions rappels, notes n’ont plus de secrets pour moi. Bon, je sais, j’ai des réticences : les réseaux sociaux ne m’intéressent pas, je n’ai pas l’usage ni l’utilité de Facebook et Twitter, j’ai une messagerie à disposition et ce site pour y étaler mes états d’âmes. J’ai des énervements aussi : rien de plus triste qu’un couple qui dîne face à face chacun le nez rivé sur son smartphone, autant rester chez soi et converser à distance via tablettes. Le « chacun dans sa bulle », métro, rue, espace public, je trouve cela malpoli (d’ailleurs l’usage des écrans a déplacé les normes de la politesse, il est considéré comme normal d’envoyer des messages à 3h du matin – qui vous réveillent lorsqu’on a oublié de désactiver la sonnerie). Je reste du genre à dire bonjour à tous ceux que je croise lors de mes footings, aux clients et à la vendeuse de ma boulangerie, en laissant mon portable dans ma poche, je me fais même violence pour ne pas saluer à la cantonade lorsque j’entre dans une rame de métro. Bref, j’ai des principes, aussi  je me dois de répondre au moindre SMS, même avec juste OK ; je ne pose qu’une question à la fois dans mes messages, car l’usage montre qu’on s’arrête souvent à la première demande. L’immédiateté du numérique (allez osons dire du digital, puisque c’est un équivalent plus moderne) et l’utopie de croire qu’on va recevoir une réponse dans la minute qui suit, a rendu nos conversations nerveuses, hachées, sans suite. Il est facile de faire un lien avec la correspondance postale. Et qui d’ailleurs écrit encore des lettres de nos jours ? Ou tient une correspondance fournie comme le faisait Roger Caillois et Victoria Ocampo et que j’évoque en note de lecture ? Parfois j’aurais envie de revivre ces échanges de lettres qui m’ont occupé jusqu’au début des années quatre-vingts. Et toute la démarche lente, choisir le papier à lettre, l’enveloppe, le timbre, écrire, dessiner, poster, attendre, recevoir une réponse, pareillement pensée, y répondre le soir même, bref, la délicieuse attente de plusieurs jours s’est diluée dans une poignée de secondes insipides qu’on trouve très longues en l’absence de prompte réponse. Je me défends d’avoir fait une rubrique d’écriture nostalgique. D’abord, la rubrique d’écriture se justifie pleinement : les livres que nous écrivons pendant de longs mois, que le lecteur se procure pour lire aussi pendant un certain temps, sont l’équivalent d’une correspondance. Voilà l’illustration de la délicieuse attente et rien à voir avec l’immédiateté du digital qu’on essaie de nous imposer par la pression sociale ou le travail. Et je ne suis pas passéiste, je n’ai pas attendu qu’on me rabâche les bienfaits de la coopération (« co-construction », comme on dit), les échanges humains au sens large (on appelle cela « la diversité » maintenant) pour me sentir dynamique (mon entreprise parle « d’agilité »). Digital, praticien, co-construction, diversité, agilité : encore une refonte du langage, un habillage verbal pour redonner un coup de Ripolin (vieille marque de peinture, quel horreur : obsolète !) au marketing du travail. Un jour prochain, dans le même ordre d’idée, je vous raconterai la notion d’expérience-client, là aussi un vague machin destiné à repeindre à moindre frais le marketing. L’important n’est pas l’habillage verbal, mais le contenu et les émotions que nous véhiculons, le digital n’est jamais qu’un moyen, pas plus glorieux qu’un mail, qu’une lettre, qu’un tag sur un mur, qu’un cœur gravé de deux initiales sur l’écorce d’un arbre.
(11/07/2016)

 

Cerisy, pour qui s’intéresse à la littérature, c’est un peu La Mecque des colloques : il faut accomplir ce pèlerinage au moins une fois dans sa vie d’universitaire des Lettres, d’aficionados de romans, de passionné de la chose écrite. Aussi grande fierté pour moi d’être invité à Cerisy, petit nom normand et printanier, rencontré si souvent dans des études consacrées aux auteurs qu’on affectionne. Et puis, être associé à Zola, thème pour lequel on me requiert, est à la fois intrigant et presque évident : dans l’étiquette d’écrivain du travail qu’on me colle souvent, Zola forcément revient à l’origine de la modernité laborieuse : père de ce qui s’écrit maintenant, de ce qui s’écoule depuis la révolution industrielle du XIX° siècle. Lorsque Aurélie Barjonet, instigatrice avec Jean-Sébastien Macque de ce colloque, m’invite, je pense de suite à associer Rimbaud et Zola, étrange non ? En réalité, je suis en plein dans l’écriture de VPAR dont l’intrigue commence en 1891 à la mort du poète, à peine quelque années avant l’affaire Dreyfus, et j’ai déjà constaté combien Zola est incontournable dans le monde des Lettres de l’époque. Et puis, il existe bien des points à partager entre les deux hommes, mêmes passions pour la photographie, mêmes haines pour la bigoterie, traversée d’une époque où la république, en ses premières années,  cherche à se pérenniser (et combien il est important de s’en souvenir en nos crises actuelles de Brexit, montée d’extrême droite, tentation du pire pour reprendre le titre du livre de Pierre-Louis Basse - note de lecture du 08/01/2014). Enfin, et je crois même que les zoliens l’ignorent, ou du moins n’en n’ont pas vraiment conscience, Zola ne snobait pas Rimbaud, comme le prouve cette interpellation de François Coppée lors d’un diner chez les Goncourt en présence de Zola le 15/07/1891 : la conversation ayant porté sur le sonnet des voyelles, il semblerait que Zola ait pris la défense des poètes qu’on nommait décadents, puisque Coppée aurait lancé à Zola « Comment, vous, Zola, vous vous occupez de la couleur des voyelles ? ». Bref, j’avais des choses à dire, à montrer, comme deux caricatures d’époque du Pèlerin de 1896, au moment de la polémique avec les catholiques à l’occasion de la sortie de Lourdes. La soirée qui m’était dévolue m’a permis de le faire en partie. Bien sûr j’aurais aimé approfondir beaucoup plus les rapports entre Zola, Rimbaud, mais surtout les interactions entre  la littérature du travail actuel et Zola, deux heures cependant passent vite. Grand plaisir toutefois à échanger avec ces zoliens, parfois cernés dans leur cercle (et siècle) de dix-neuviémistes, moins au fait d’une littérature actuelle et de ce qu’elle peut devoir à des écrivains comme Zola. Autant il est intéressant de consacrer toute une intervention au chapitrage des Rougon-Macquart, statistiques en tous genres, présence ou non d’épilogue, autant il me paraît essentiel de relier cette cuisine d’écriture avec celle de nos contemporains, notamment à travers la révolution numérique, beaucoup de choses à dire et à écouter donc sur l’irruption du réel et la manière dont on le prend à bras-le-corps. Zola a été de cette trempe et je n’ai bien sûr qu’un regret celui de ne pas avoir pu assister à l’ensemble de ce colloque qui a duré sept jours, essentiel puisque le dernier ayant eu lieu à Cerisy sur Zola datait de quarante ans. Un grand merci à tous les organisateurs et participants avec qui j’ai échangé avec passion.
(04/07/2016)

 

Rue du chemin vert, c’était marqué sur le mail, avec la mention que le studio est au fond de la cour. Vraiment grand plaisir à le revoir. Il dit : Ça fait cinq ans qu’on ne s’était pas vu, depuis Bron. Oui c’est vrai (en fait, ça fait huit ans – voir note d’écriture du 22/02/2008). Tout est déjà en place, fond noir, chaise sur laquelle je vais m’asseoir, chaise sur laquelle il va m’interviewer. Deux caméras, micro-cravate, un perchman aussi, plus deux caméramans, dont son fils. Clap comme au cinéma (mais c’est une application IPad) donné par le même fils. On commence. Ou plutôt on attend que les maçons qui tapent du marteau dans la cour aient terminé, ça leur ait demandé : Allez donc boire un café. C’est drôle, c’est un film sur le travail qui se prépare (ce sera le thème de la discussion) et on demande à des ouvriers d’arrêter de bosser. On déroule l’entretien, très grande joie pour moi de parler avec lui, la littérature nous réunit, ça se sent jusqu’au fond de nos tripes. Ça va durer 1h20, et j’aurai l’impression d’un unique quart d’heure. A un moment, une dame viendra toquer à la porte du studio, la propriétaire des lieux, dit-elle, qui demande si c’est nous qui avons empêché les ouvriers de travailler. S’ensuit une conversation aigre où l’argent fait rapidement irruption (C’est moi qui paye les ouvriers – C’est vous qui encaissez le loyer du studio que nous avons loué avec demande de calme, répond-il). On reprend, on termine, les maçons tapent de nouveau. Tandis que je fais quelques photos des lieux, le perchman, les caméramans, dont le fils, remballent le matériel, on mesure l’investissement, tant matériel qu’humain : évoquer le travail, même de manière artistique, est un travail. J’écris « même » pour le jeter à la face de ceux qui considèrent tout travail artistique comme un amusement : les intermittents du spectacle s’apprêtent à défiler au sein de la manif interdite sur la loi travail un quartier de maison plus loin (j’allais dire à un jet de pierre de là, mais l’humour est également interdit maintenant). En attendant, grand plaisir aussi à se retrouver boire un coup, et puis manger. A et J nous accompagnent, bien de se sentir ensemble, fraternels. Peu de paroles, pas de déclamation littéraire, la tension de l’interview retombe, on y met toujours beaucoup de soi à parler ainsi, mais François à la patate : c’est écrit sur un camion digne de Marguerite Duras. Re-photos en rubrique Webcam pour se souvenir de cette belle, magnifique troisième journée de l’été.
(27/06/2016)

 

Pour compléter, ma note de la semaine précédente sur l’adaptation des livres au cinéma, voici donc un nouvel exemple avec Week-end à Zuydcoote. On apprend dans le générique du film que les dialogues sont de Robert Merle. Est-ce à dire que l’auteur s’est impliqué dans le scénario ? Dans le choix des répliques du film ? Il est vrai que le rythme de son roman, où les dialogues sont nombreux se prête probablement mieux, ou du moins rend plus facile, une adaptation que le royaume du silence dévolu à Mademoiselle Chambon. Pour autant, on mesure à la lecture du roman combien le cinéma est tourné vers l’action : les pages quasi mystico-religieuses entre Maillat et le soldat-curé qui partage le campement improvisé dans les dunes, sont passées à la trappe, et c’est tant mieux, ça n’aurait rien rendu sur grand écran. Ces passages, ces réflexions philosophiques, probablement très importantes pour Robert Merle qui a vécu cette situation absurde, sont incompatibles dans le temps du cinéma et c’est peut-être préférable. A force de ressasser ce qui nous semble essentiel pour nous même, peut-être oublions-nous d’avancer. C’est une manière de lâcher prise. Tiens d’ailleurs, ce serait un bon test à faire pour toutes les obsessions négatives qui nous taraudent : se poser une question du genre : telle chose que je remâche depuis des siècles, est-ce que ça tiendrait au cinéma ? (ou encore : ne suis-je pas en train de me faire un film ?). Je n’ai pas d’exemple sous le coude. Imaginons par exemple une rancœur familiale qui nous mine et mettons là en scène pour nous même. Il y a à parier que ça ne tiendrait pas longtemps. Pour en revenir à Week-end à Zuydcoote, il faut saluer la performance de Jean-Paul Belmondo, excellent dans le rôle de ce Maillat désabusé.
(21/06/2016)

 

On dit « adapté au cinéma » pour un livre, le mot adapté, comme s’il sous-entendait qu’un roman puisse avoir une inaptitude au cinéma, une sorte de tare congénitale, intrinsèque qui en interdirait l’accès. Un de mes lecteurs en avant-première (encore un terme de cinéma) de VPAR, m’a dit que mon écriture était cinématographique, bref, il le verrait bien en film. Généralement, on prend cela pour un compliment. D’autres fois, c’est plus compliqué lorsqu’un projet cinématographique, justement se dessine. Deux auteures que je connais bien ont été déçues par l’adaptation qui a suivi leurs livres. Je me suis toujours posé la question. J’ai toujours pensé que leurs réticences étaient excessives. Si on se contente d’imaginer simplement sa propre écriture mise en scène, évidemment on risque une désillusion. Il faut penser cinéma à part entière. Et le cinéma, en tant que création, me fascine : il s’agit de rendre réel la fiction, la pensée romanesque, c’est une sacrée prise de risque et un investissement sans commune mesure avec un livre : décors, personnages, caméras, tout est pensé jusque dans les moindre détails, et pendant des années, avec une somme de difficultés qu’on imagine même pas. Contrats, embauches des acteurs, repérages des lieux, scénario, script, équipe de tournage, chacun son rôle. J’ai eu la chance de participer modestement à un long métrage, et je me suis rendu compte des enjeux. Et ce que j’ai vu n’est qu’une partie infime : une journée complète et, au bout du compte, trente secondes à peine sur un film d’une heure trente, encore heureux d’ailleurs que cette minuscule séquence ait résisté au montage final. Bref, le cinéma me fascine dans l’idée même de la reprise d’un livre qu’on a conçu, somme toute facilement sur un tout petit clavier d’ordinateur avec juste quelques milliers de mots. C’est pour cela que la plus grande liberté doit être octroyée à qui s’empare d’un livre pour « l’adapter ».
Dans le cas de Mademoiselle Chambon (voir le roman en Notes de lecture cette semaine), l’adaptation pourrait paraitre déroutante, et c’est vraiment le terme, les scénaristes Stéphane Brizé et Florence Vignon ont choisi parfois d’autres chemins que la trame romanesque du livre. Dans un très bel article, Stéphane Brizé d’ailleurs explique ces différences : c’est une trahison pure et simple, une vampirisation totale d’une œuvre qui fait écho à ma nécessité, à un instant. Eric Holder, l’auteur du roman, pour autant, ne se sent pas trahi : il parle de prolongement, d’enrichissement, de dévoilement d’une émotion que le roman tâchait de transmettre. Et c’est exactement ce que l’on ressent en visionnant le film, très beau : ce que l’on sentait confusément, la pudeur, la simplicité, l’absence de parole ressort magnifiquement dans le jeu des acteurs. Dans l’article, Stéphane Brizé nous gratifie d’un extrait du scénario en regard du roman. Et c’est vrai que la scène écrite n’est pas respectée à l’écran. Mais quelle importance ? Tout est là cependant, la situation trouble, les quelques mots essentiels du livre sont extirpés : c’est un art de savoir tirer d’un chapitre ce que l’auteur a voulu mettre. La différence entre faire du  cinéma et écrire un livre tient dans la contrainte du trop volumineux au trop peu. Toutes les options sont possibles pour une scène, l’embarras du choix est immense, position de la caméra, choix des acteurs, décor, sans compter l’impact sur le spectateur, ce qu’il va regarder, ce qu’il va retenir, l’action se déroule devant lui sans effort. Un roman est à la fois plus simple et plus contraignant. Si on veut que le lecteur puisse vous suivre  dans le livre dont il est maître de tourner chaque page, il n’y a que les mots, chaque phrase qui en appelle une autre et qui va susciter son intérêt. Une autre scène amusante du film qui ne figure pas dans le livre: Antonio, le maçon est dans sa voiture, en bas de chez Véronique, l’institutrice. Il l’appelle de son portable (on le suppose)  et tombe sur son répondeur, elle choisit de ne pas répondre. Cette scène n’existe aucunement dans le livre et pour cause : écrit en 1996, les téléphones portables étaient chers et peu répandus,  réservés à quelques initiés plutôt aisés, en tout cas pas dans les mains des maçons à cette époque. Le film ayant été tourné douze ans plus tard, cette scène, en revanche, a parfaitement trouvé sa justification dans le film, provoquant une sorte d’anachronisme. Et c’est bien toute latitude qu’il faut laisser au cinéaste d’intégrer un élément, d’en supprimer un autre, à partir du moment où l’imprégnation du livre a été telle pour lui, l’auteur ne peut que s’émerveiller devant le pouvoir de la littérature qui permet d’ajouter d’autres formes d’art.
(13/06/2016)

 

Vie prolongée d’Arthur Rimbaud : il est temps de dévoiler ce qui est annoncé depuis longtemps dans mon site sous l’acronyme VPAR : même François Bon en parle dans son Service de presse… Et puis, justement, le service de presse proprement dit, envoi du livre aux journalistes et divers professionnels du monde des livres en avant-première, a été effectué une semaine auparavant. On continue en ce moment la promotion avec Fayard (voir agenda ou page d’accueil), puisque je participe avec mon éditeur à la rencontre cette fois-ci de libraires dans un véritable tour de France avant l’été. Bref, Vie prolongée d’Arthur Rimbaud est lancé, parution officielle le 17 août, il est temps pour moi de prolonger cette vie du roman à venir par la rubrique spécifique habituelle, destinée à renseigner sur l’histoire de ce roman, à rechercher les premières traces de VPAR dans ce site, et à donner quelques clés de lecture concernant le célèbre poète. C’est important pour moi de retracer le trajet du livre : l’écriture au long cours fait parfois oublier les péripéties, on est comme un marin qui touche au port, oubliées les longues nuits de veille, les incertitudes sur les chemins à prendre. Chaque ouvrage bien sûr est différent. Je garde le souvenir du précédent (Journal de la canicule) comme d’une facilité : tout d’abord ce livre n’avait pas participé à la rentrée littéraire de septembre, s’était constitué de fait au début de l’automne, en un mois. Ajoutons à cela une écriture déjà ancienne, j’avais juste terminé l’aboutissement d’un roman déjà constitué au trois-quarts, on comprendra que mon implication était moindre, sans commune mesure avec VPAR, ou Faux nègres paru en 2014 et qui sortira en poche au même moment que « mon Rimbaud » (on en reparlera). Faux nègres, donc, avait été plus complexe dans son élaboration, je garde la trace d’un livre exigeant, plus difficile à structurer que celui que je propose maintenant. Cela tient à la manière dont le livre se bâtit, la profusion de personnages et le caractère moins linéaire de l’intrigue. Ici, il s’agit de prolonger la vie de Rimbaud, c’est donc un récit chronologique qui s’est constitué au fil des mois, le récit le plus long que j’ai jamais écrit, qui aurait dépassé 700 pages dans le format de Faux nègres (fort de 422 feuillets), mais qui se ramène à 415 (beaucoup moins effrayant, n’est-ce pas) avec le miracle d’une dimension à peine plus grande. Le récit du récit donc, au cours des seize mois d’écriture (et trois jours), m’apparaît au final comme très fluide, sans temps mort, avec une tension de plus en plus grande au fur et à mesure de l’écriture (savoir que les cent dernières pages – le quart du livre - ont été écrites en huit semaines). Peu de problèmes existentiels aussi, l’histoire s’est bâtie avec naturel dans la volonté excitante d’imaginer une suite à la vie du poète. Le fait de n’avoir rien de ficelé au départ, d’avoir suivi en quelque sorte la « liberté libre » d’Arthur sans savoir ce qu’il en deviendrait, a rajouté à mon plaisir : un mois avant la fin de la rédaction, je n’avais même pas choisi la date de (deuxième) mort de Rimbaud et comment il trépasserait… C’est un livre important pour moi : il fallait bien que j’en finisse un jour avec mon obsession rimbaldienne (Ils désertent, Faux nègres en font un personnage à part entière). Il me fallait prendre le mythe à bras le corps et combattre ce VPAR aux poings (comme aurait dit Hervé Bazin, admirez le jeu de mots). Je pensais au départ répondre à un vague désir d’éclairer cette marotte, au final, après 129 000 mots et 780 000 signes tapés comme un sourd sur mon clavier, je m’aperçois que je n’ai fait qu’ajouter un destin supplémentaire au poète (destin fictif auquel je crois désormais dur comme fer, plus vrai que nature) et ainsi ajouté au mystère. Cette rubrique, bien entendu, va s’inscrire dans la celle spécifique de « mon Rimbaud », qui est aussi pour moi une autre manière de nommer ce roman .
(06/06/2016)

 

On m’a demandé des conseils pour écrire un roman. En fait, on ne m’a pas sollicité directement, on m’a dit que c’était pour aider quelqu’un qui avait ce projet. Ce genre de demande est toujours délicat. D’abord, on est enclin à refuser parce qu’on ne se sent pas capable, comme cela, à distance de donner quelques recommandations. Et en vertu de quoi ? Mieux vaudrait s’entretenir directement avec la personne concernée, parler de vive voix. Et puis, en même temps, Cette demande à distance, alourdie de la difficulté de ne trouver aucune justification à donner des conseils, devient presque comme une contrainte à la Perec. Alors on se lance, on trouve le titre : dix conseils romanesques.
Le premier sera le titre, qui ne veut rien dire, mais qui sonne bien, ou juste, genre bouquin de développement personnel, alors qu’il n’y a rien de construit, rien de théorique, tout doit venir : l’envie du roman est le premier conseil.
Le second justifie le titre, trouve un pourquoi, le relie au monde des lettres, à d’autres écrivains. Nabokov dit, dans La méprise : « Un journal, je l'admets, est la forme la plus basse de la littérature. ». On peut trouver d’autres voies « J'habite pour toujours un bâtiment qui va crouler » Baudelaire. Epigraphe : on peut l’inscrire, noir sur blanc, on peut refuser cette coquetterie, mais dans tous les cas, l’intention est là et rares sont les auteurs du passé qu’on ne convoque pas pour l’exprimer.
Troisième conseil : l’incipit, le « Aujourd’hui maman est morte de l’étranger », la première phrase, suffisamment puissante pour en emmener d’autres. Cent qui suivent et voilà dix pages : une nouvelle, donc. Vingt fois plus pour un roman. C’est de la logique comptable, c’est du boulot, il n’y a pas à faire semblant, on ne peut s’échapper : il faudra cent, deux cent ou trois cent mille allers et retours entre votre cerveau et le doigt qui frappe la lettre sur le clavier. Il faudra des minutes, des heures, des jours, des semaines, des mois, peut-être un an ou plus. Il faudra parfois y penser la nuit, se tordre les mains pour ne pas rompre le rythme. Il faudra apprendre à être distrait, à passer le sel lorsqu’on vous demande si vous êtes allé à la banque, à chercher votre voiture sur des parkings où vous ne vous garez jamais. Il faudra être constant.
Quatrièmement, ne mentez jamais. Le livre le sait. Un roman est déjà faux, alors pourquoi en rajouter ? Ne pas tricher avec ses sentiments, croire que cette phrase est géniale alors qu’elle est nulle, vous le savez. Se méfier comme de la peste des belles phrases, des débuts tonitruants, des fins apocalyptiques, ça ajoute du faux au faux. Etre honnête : quand bien même vous vous sentez génial, vous n’êtes jamais qu’un tout petit scribouillard, même pas beau en plus, ou une midinette qui rêve d’eau de rose et de prince charmant.
Cinquièmement, une fois résolues les questions du titre, de l’intention, des premières phrases : voilà la langue qui s’invite, la sinueuse, la fourbe, celle qui déploie devant vous ses possibles, ses manières, ses présents-imparfaits-passé-simples compliqués à l’envi. Il faut trancher, choisir, essayer, additionner, soustraire, remplacer, provoquer, voir ce que ça donne, sentir comment ça se lit.
Sixièmement, c’est revenir à l’idée même du titre : donc, dix conseils à donner, alors qu’on a eu du mal à formuler les cinq précédents. D’où l’idée qu’un roman est toujours assorti d’une contrainte : ici, se forcer à trouver cinq conseils restant et en écrivant ceci, voici le sixième formulé.
Septièmement, c’est savoir qu’à un moment où un autre, la question du genre (roman, récit, nouvelle, témoignage, pièce de théâtre, essai…) vient toujours s’inviter. En fait, cette idée ne dépend pas de vous, mais du lecteur, de la projection que peut s’en faire un éditeur potentiel, de la place dans la librairie (Ah, le véritable roman des Stones de François Bon, si souvent placé au rayon musique…). Cette question cache justement la préoccupation suivante : la place de l’auteur dans le roman.
Huitièmement, où est l’auteur dans le roman ? Il n’est ni le narrateur, ni contenu dans les personnages, où se cache-t-il ? C’est à mon sens une question essentielle à répondre. Pour moi, elle est quasi-spatiale : dans RMS, je suis dans le dos du téléopérateur, toujours, je le regarde se dépêtrer avec ses situations. Dans ID, je suis une sorte de témoin de chaque situation, en face à face avec les protagonistes, lors d’un dialogue, caché dans les murs, dans l’air, assis en passager avec le personnage lorsqu’il conduit.
Neuvièmement, elle découle de la place de l’auteur. Où sont les personnages et quel pronom j’utilise pour les nommer. Je me suis aperçu que le « je » est omniprésent à 95% dans les récits actuels. Je m’y refuse pour une question d’éthique, ne pas confondre (ne pas rajouter à) mon propre égo, en le projetant sur le personnage principal. En plus, le « je » est frustrant : on voit tout à travers un seul regard, quelle misère de point de vue !
Dixièmement : rester modeste, et être toujours satisfait de ce que l’on a fait : je voulais écrire dix conseils romanesques parce qu’en ce moment j’essaie d’être régulier dans mes mises à jour de FdR, mission accomplie !
(30/05/2016)

 

Je n’avais pas fait le rapprochement, c’est en arpentant la Kufürstendamm, cette longue artère qui s’évade vers l’ouest de Berlin que je suis tombé sur la petite pancarte accrochée au mur d’un immeuble indiquant que Robert Musil avait écrit ici Der man ohne eigenschaften entre 1931 et 1933, donc juste au moment où le Parti national socialiste d’Hitler s’apprêtait à prendre le pouvoir.  En fait, je n’avais jamais vraiment lu cette référence littéraire importante du XX° siècle. Autant en allant à Dublin le mois précédent, je savais que j’y trouverais les traces de Joyce, autant, le passé littéraire de Berlin m’apparaissait flou et méconnu. Pourtant, en y regardant de plus près, on peut trouver bien des similitudes entre Joyce et Musil. Leur étonnante proximité chronologique,1882 – 1941 pour Joyce et 1880-1942 pour Musil, et la manière dont l’écriture s’est imposée à eux, en toute interaction d’un lieu et de son histoire : L’Irlande et Dublin au moment de son indépendance pour Joyce, l’Autriche, la Prusse et Berlin sur la pente dangereuse du nationalisme pour Musil. D’ailleurs, Thomas Mann avait bien remarqué cette similitude d’œuvre et de parcours, reconnaissant à Proust, Joyce et Musil les trois plus grands romans qui ont introduit le XX° siècle et surtout leur clairvoyance devant les remous qui allaient suivre. L’histoire bien sûr est prémonitoire : si Joyce décrit dans Dubliners (notes de lecture du 25/04/2016) la société catholique pétrie de morale d’une Irlande fière et désireuse d’indépendance avant 1910, Musil évoque une Autriche en proie aux démons expansionnistes à la veille de la première guerre mondiale. Proust, à la même époque, me paraît peut-être en deçà d’une telle prémonition devant les évènements historiques qui allaient suivre, car il me semble empêtré dans ses minimes aventures de duchesses, bien loin du monde qui se prépare à la guerre. Toutefois, en lisant Musil et Joyce, on est frappé par la similitude avec Proust et l’extrême précision des caractères décrits dans leurs moindres rouages et fonctionnement, dressant à la manière d’un entomologiste le portrait de la société dans lequel les personnages évoluent. Justement, d’ailleurs, pour donner cette caractéristique quasi scientifique à l’observation, tous les trois font évoluer en permanence des narrateurs un peu distants, distraits et légers, semblant au-dessus des contingences, et pour autant, aux prises avec la vie matérielle, journalière, prosaïque. Pour Musil, l’homme sans qualités est défini comme ayant le « sens du possible », par opposition au « sens du réel », un type, donc, plus enclin à examiner toutes les actions qui s’offrent à la portée des individus plutôt que de se jeter sur la première venue, et, en cela, on retrouve bien entendu tout ce qui fait le charme des situations que décrit Proust, évaluant en détail le champs des possible. Dubliners participe de la même valse-hésitation et une nouvelle comme Emeline, ou l’héroïne éponyme se demande si elle va rejoindre son amant et partir au Brésil en laissant son vieux père et sa famille à Dublin, explore également notre psychologie complexe. Je n’ai pas lu L’homme sans qualités en allemand, comme je l’ai fait pour Dubliners dans la langue d’origine. Mais il faut dire que les rares restes de cette langue m’en rendaient bien incapable, ainsi que les 1800 pages du texte complet.
(23/05/2016)

 

Six textes aux fourneaux :
-          Quatre textes pour finir le livre Instants Handball, un à recuire, trois à rissoler.
-          Un texte pour la NRF : celui-là, j’ai hâte de m’y mettre : pétrissage, croûte dorée.
-          Une préparation pour Cerisy : façon dessert, mousse au chocolat du Pérou et ananas de flambé au Rhum.
Le tout servi avant fin juin. Pour compléter le menu :   réchauffer à feu doux tout l’été, mon « Rimbaud » à paraître fin août. Faux nègres en livre de poche, comme un en-cas roboratif à venir aux mêmes dates, déjà précuit.
(17/05/2016)

 

Work stories : c'était le titre du colloque universitaire organisé à Londres par plusieurs universitaires de Grande-Bretagne. Etonnant de remarquer que notre façon de relater le travail dans nos fictions est perceptible à l'étranger, presque comme un courant littéraire à part entière. J'y étais invité, de même que Christophe Dejours, charge à chacun de nous de produire un keynote paper. Malgré la barrière de la langue, j'ai pris grand plaisir à écouter les différentes interventions et à participer (en français, heureusement). Comme souvent, les analyses produites à l'extérieur de notre pays sont beaucoup plus intéressantes. La pesanteur institutionnelle, donc politique, le vécu des uns et des autres et nos implications déforment nos visions. Un regard extérieur, étranger est souvent salutaire. Ainsi, concernant les suicides que mon entreprise a connus il y a maintenant 7 ans, certaines causes que j'avais évoquées (passage d'une société de type publique vers le secteur privé) sont réapparues, alors qu'il est d'usage d'en minimiser maintenant l'impact, probablement parce que le choix de revenir en arrière est impossible et qu'il faut avancer. Aussi, cette distance me parait-elle salutaire. Je remercie grandement Sarah Waters et Jérémy Lane qui ont été les principaux organisateurs de ce colloque, ainsi que tous les universitaires que j'y ai rencontrés. Chaque intervention était pertinente et apportait un regard neuf sur notre manière, typiquement française, de romancer le travail. Cela devrait beaucoup m'aider dans mes réfléxions de doctorant évoquées d'ailleurs le 26 avril dernier. La visite de Londres se poursuit en webcam.
(09/05/2016)

 

C’est un coup de chance : elle est de passage à Paris au moment où je lui envoie un mail à tout hasard, la sachant toujours débordée par ses multiples voyages. Elle ? C’est une auteure attendue, insaisissable, globe-trotter, le jetlag est son quotidien, elle revient d’Australie, de Nouvelle Zélande, se partage entre Los Angeles et le Japon, mais là, ça être plus cool, dit-elle, seulement quelques capitales européennes prévues dans les prochains mois. Ce jour, à Paris, nous n’avons pas beaucoup de temps, juste quarante-cinq minutes avant qu’elle ne bouge encore et monte dans un TGV. Grand plaisir à la revoir et cette manière, directe, franche que nous avons de nous glisser dans ce que je nomme « la popote d’écriture », d’échanger sur nos pratiques. J’adore ça. C’est moi qui commence : Si je me souviens bien, tu écris à la plume ? Acquiescement : Avant avec des stylos classiques, lorsque j’avais moins de moyens, là, avec deux luxueux Pilot à encre. Et, parce que j’écris uniquement à l’ordinateur, je lui signale que c’est juste une question d’habitude, elle réplique que des études prouvent que le geste d’écrire est meilleur pour la mise en œuvre de l’écriture. Nous dissertons sur la beauté des pages manuscrites qu’elle trouve magnifiques, surtout lorsqu’elles sont pleines de ratures ; quant à moi, je ne peux me couler dans l’imaginaire d’un livre que lorsque la page est la plus proche de l’objet livre, donc lisse, régulière et sans rature. En creusant un peu, nous nous apercevons de la différence de nos études : elle, excellente élève, toujours encensée pour la qualité de son travail et de son écriture ; moi, plus chaotique, avec une écriture que je qualifie « d’aigrelette », mal composée, rétive. Et tout s’explique soudain, la manière d’écrire, le fondement de l’écriture. Je me souviens de mon premier projet d’écriture, à vingt ans, le coup de tête que j’avais eu dans une papeterie à acheter un carnet simplement parce qu’il avait le format d’un livre. Et d’y avoir consigné le plus harmonieusement possible l’histoire que je projetais (un roman intitulé Martin Martin) en m’efforçant qu’il n’y ait aucune rature, le premier jet devait être seul et définitif, la perfection d’un coup. La rature, l’hésitation avaient toujours été un signe négatif, m’avaient été rabâché  par les enseignants. De là, tient l’explication la plus plausible pour ma désaffection à l’égard de l’écrit manuscrit. L’ordinateur, outre qu’il m’évite le superflu du recopiage obligé du manuscrit, et ainsi un gain de temps, permet de cacher mes atermoiements. En l’écoutant parler de sa passion pour l’écriture manuscrite, le rituel obligatoire, posture séculaire de l’écrivain, compagnie des chats, cahiers d’écriture exclusivement achetés à Amsterdam, la plume qui glisse sur le papier, je pensais avec un peu d’envie que je pourrais me forcer, changer mes habitudes, d’autant plus que j’ai deux stylos plume particulièrement agréables à utiliser. J’ai essayé sur une demi-page, mais ça me parait difficile de poursuivre, j’ai horreur de relire ma petite écriture pointue, acidulée, c’est étrange. Et l’idée qu’il faille recopier la page me paraît absurde. Ainsi la pensée n’en est pas facilitée pour autant. Avec ma pratique de l’ordinateur, je suis arrivé à fondre la dématérialisation claquante du clavier à la place des volutes de la plume. Le style, la construction des phases, l’élaboration des idées se sont faites à mes doigts malhabiles avec une rapidité qui me paraît suffisante. Seul inconvénient, souvent rapporté d’ailleurs par ceux qui sont témoins de ma pratique d’ordinateur : je tape comme un sourd sur le clavier, avec seulement deux doigts plus le pouce, façon flic tapant un rapport de police. De cette manière, j’ai l’impression que mes idées se manifestent plus clairement. C’est ainsi le seul rapport physique que j’ai avec l’écriture : j’ai substitué la posture de la plume, empreinte de délicatesse, de glissements furtifs et silencieux, idéale pour mon amie, par un tapotis rageur et décidé.
(03/05/2016)

 

Bon, VPAR est lancé, le livre paraîtra pour la rentrée littéraire, les grandes manœuvres vont commencer, réunions des « représ », comme on dit chez mon éditeur, tournée des libraires, services de presse, tout cela avant l’été. La « couv » (encore du jargon éditorial) est choisie, elle sera très belle et intrigante, je vais affiner le texte directement sur épreuve, du boulot en perspective, très grands plaisirs à ces préparatifs, mais dès à présent se pose inévitablement la question : que faire après ?
Comme à chaque livre terminé, j’affirme haut et fort que je me consacre à ma thèse, et qu’on en finisse de cette arlésienne. Mais jusqu’à présent l’appel de la littérature m’a toujours sorti du bois. Depuis que j’ai eu l’idée saugrenue d’aller jusqu’au bout du bout des études de lettres après mon master en 2009, il s’est toujours trouvé un livre pour repousser l’échéance, j’ai fait le coup à six reprises en sept ans, avec, dans ces six livres, deux sélections au prix Goncourt et des sollicitations accrues. Bref, j’ai fini par négocier un report maximum avec mon université de rattachement jusqu’en 2017, date à laquelle il ne me sera plus possible de soutenir cette fameuse thèse. Elle n’est pas au point mort, elle vit sporadiquement, mes recherches sont terminées et j’ai commencé la rédaction, mais trop rarement pour envisager déjà une échéance de fin. Et là, depuis un bon mois que le nouveau livre est terminé, je tarde à m’y mettre. En réalité, me confronter aux us et coutumes de l’argumentation universitaire me coûte beaucoup. Sans étudier en dilettante, ni remettre en cause la nécessité d’une rigueur doctorale, c’est un exercice qui va à l’encontre de ma personnalité profonde, du genre plutôt rapide, assez loin de l’approfondissement et du détail. Ma vie et mon travail m’ont plutôt appris à improviser au feeling. Dominique Viart, récemment rencontré, m’a très gentiment chambré en me demandant où en était ma thèse « depuis le temps que je l’avais entreprise ». Il a raison, et, en même temps, l’exercice d’une thèse n’est pas prévu pour le plaisir dans l’université française, c’est destiné à 99,9% à obtenir un poste plus valorisant dans l’enseignement pour ce qui concerne les lettres. Pouvoir montrer qu’on est aussi rigoureux que les membres du jury qui en ont passé une est donc un des objectifs, sinon le seul dévolu à l’exercice. Et comme après on est au bout des études, l’usine à diplômes qu’est l’Education Nationale a tout intérêt à corser cette échéance finale. Le comble : aucune velléité, ni attente dans ce domaine et j’arriverai au bout de ma vie professionnelle si je passe un jour docteur. Pour ajouter au manque d’intérêt, lorsque j’ai déposé mon sujet de thèse, le sujet de la littérature du travail dans ses aspects contemporains était assez neuf. Pour ma plus grande joie, c’est devenu un thème presque à la mode, les colloques et les rencontres sont nombreux et deviennent internationaux pour un thème pourtant essentiellement francophone : Porto, Lausanne, Londres en plus de Strasbourg, Tours, Lyon, Paris égrenés de mémoire. Et puis, la thèse d’Aurore Labadie soutenue en fin 2015 dresse le panorama qui manquait : le roman de l’entreprise depuis les années 80 étaye le sujet d’une façon magistrale. Elle a obtenu d’ailleurs le prix de thèse 2016 de la Sorbonne. Je suis d’autant plus fier car je partage avec 4 autres auteurs le corpus d’étude resserré de son argumentation. Mais du coup, ma fameuse recherche doctorale perd encore une partie de son intérêt, certaines de mes conclusions sont redondantes avec les siennes. Pour autant, tout n’a pas été dit sur le sujet, il reste beaucoup d’analyses à mener. Ceci dit, autre avantage, en me citant dans sa thèse, Aurore a résolu la schizophrénie qui faisait de moi à la fois l’objet et le sujet et qui provoquait parfois quelques scènes cocasses dans des journées d’études où je présentais mes travaux de doctorant, tandis que d’autres étudiants m’inséraient en tant qu’écrivain dans leur réflexion. J’ai pris la décision de ne pas me citer hormis dans une bibliographie exhaustive et je respire beaucoup mieux maintenant. Car, n’allez pas croire que je lâche tout : je n’ai pas travaillé sur le sujet depuis 2009 pour des prunes. Et c’est ainsi que l’idée m’est venue de réfléchir autrement à cette fameuse thèse qui se fait toujours coiffer sur le poteau par un nouveau projet de roman. Ainsi, à la question que faire après celui qui va paraître, je suis tenté de répondre : Eh bien, fais donc un essai sur tes recherches ! Ainsi, la trouille que j’ai de ne pas arriver à organiser cette thèse et qui me paralyse vraiment, disparaît d’un coup à l’évocation de cette idée : un livre, ça je sais faire, je sais aller au bout. Ne reste plus qu’à imaginer le prolongement de cet essai sous forme de thèse pour me remettre sur les rails. Autre avantage de renverser ainsi le problème : un livre, fut-il un essai, pose plus crûment la question d’apporter du neuf à une réflexion déjà bien entamée, et la fameuse problématique du thésard, que je n’ai toujours pas saisi, va peut-être s’éclaircir. A suivre…
(26/04/2016)

 

Lorsque j’écris un livre, la force de l’habitude me pousse à calculer presque inconsciemment le nombre de pages que formera le roman. De la même manière, lorsqu’on me demande de prévoir une intervention minutée, je sais assez bien estimer le temps de parole qu’il me faudra en fonction du texte que je rédige. Ainsi, pour la conférence de trente minutes que je prévois pour Londres dans moins de quinze jours maintenant (ça fait chic d’écrire cela, n’est-ce pas ?), j’ai écrit 15000 signes, car je sais que les inévitables digressions, hésitations, compléments qu’on apporte en parlant, rempliront la demi-heure. Le signe est la base de mesure de toute commande journalistique : à savoir que le signe se mesure par caractère (espace compris) comptabilisé dans les statistiques que tout traitement de texte propose. Ainsi mon texte remis récemment à l’éditeur compte exactement 780 937 signes. Jusqu’à présent, j’avais une méthode très simple pour mesurer l’avancement d’un livre : une page  égale à peu près mille signes. Par exemple, Ils désertent qui compte 245000 signes compte 252 pages pour le roman proposé par Fayard. Ceci dit, le dernier Journal de la canicule, rédigé avec 270000 signes, possède un nombre de pages quasi similaire (255) pour une pagination et un format identique. Tout dépend des espaces entre les paragraphes, des chapitres, des dialogues, tout ce qui laisse de grands blancs dans les pages. Avec 780 000 signes, j’étais en droit de compter sur un bouquin approchant les 700 pages, voire les dépassant, à en juger par le plus gros que j’avais écrit jusqu’à présent, Faux nègres, fort de 422 pages et 455 000 signes.
Or, quel ne fut pas mon désappointement en apprenant que mon éditeur, pour une raison pratique, a décidé de publier le livre dans un format légèrement plus grand. Du coup, la pagination va s’en trouver réduite puisqu’une page de grand format comptera plus de signes : au maxi, 35 lignes et 55 signes par ligne en grand format, plutôt que les 30 lignes et 45 caractères habituels. Dit autrement, 1925 signes par page au lieu des 1350 habituels. Attention, ces chiffres s’entendent page complète, chaque ligne dûment remplie, sans compter les retours à la lignes, sauts de paragraphes… etc. On voit donc bien que je n’étais pas loin avec les 1000 caractères par page en format normal. Dans le nouveau format plus grand, ce sera probablement en moyenne 1500 signes, donc mon livre devrait donc se réduire à environ 500 pages, d’où ma frustration, moi qui ait claironné à toute la terre que j’avais écrit un bouquin de 700 pages…
Et en lecture, ça représente combien d’heures ? Et bien ma bonne dame, mon bon monsieur, (je fais les questions et les réponses) si on compte à peu près une minute et demie à deux minutes par page, ce qui est mon rythme, ça doit représenter plus de vingt heures de lecture. Prévoyez donc quarante jours si vous lisez une demi-heure le soir avant de dormir, beaucoup moins si vous êtes un adepte de la lecture diurne, côté canapé, avec bière, cacahuètes et deux heures devant vous, voire une journée et une nuit blanche si vous êtes un stakhanoviste des lettres, ou si le sujet vous paraît tellement palpitant que vous voulez savoir le plus vite possible qui c’est qu’a tué à la fin. Finalement, vu de mon côté, écrire c’est fabriquer du temps : les seize mois et trois jours qu’il m’a fallu pour rédiger ce livre ont abouti à vingt heures d’une sorte d’espace-temps que je vous donne, faites en ce que vous voulez.
(04/04/2016)

 

A rencontrer divers élèves, étudiants, collégiens, lycéens, je m’aperçois à la fois combien la langue est malmenée et combien, en même temps, elle demeure intacte. Celle que j’ai appris autrefois sans être une lumière pour autant, m’a doté d’un vocabulaire assez fourni, probablement enrichi avec des lectures mais pas tant que cela. Dans un collège à Villepinte, on m’a demandé  pourquoi j’écrivais dans un « langage soutenu ». Il y a quelques années, dans une rencontre publique avec d’autres auteurs, une élève m’avait apostrophé : « oh, m’sieur, vos mots, y sont trop durs, on a l’impression que vous écrivez dans une langue étrangère ». Je ne m’en rend pas forcément compte. En même temps, j’utilise toutes les ficelles et la variété de notre langue. J’aime trouver des synonymes, proposer des énumérations, recouvrir d’adjectifs et d’adverbes mes phrases. J’ai toujours été contre cette manie actuelle de la littérature française qui considère qu’un texte doit être épuré de tous ses mots en trop, adjectifs, adverbes, liaisons. Pour moi, ils existent et participent de manière autant légitime que chaque élément d’une phrase à la compréhension globale. Ah, les fameux proverbes du genre « le trop est l’ennemi du mieux » etc… Balivernes ! C’est au lecteur de s’y retrouver, on ne doit pas systématiquement penser à sa place, c’est l’abêtir. La récente réforme de l’orthographe qui devrait être mise en place bientôt illustre l’exemple même de ce travers. La langue se charge elle-même d’évoluer, nous n’avons pas à la pousser de manière autoritaire. Il y a probablement d’autres actions à mener. Par exemple, moi qui intervient en ce moment dans des classes de primaire, je suis surpris du décalage qui existe entre l’écrit et l’oral. La dysorthographie est devenue courante, au point que les élèves ne parviennent pas à se relire, et ce n’est pas écrire nénufar à la place de nénuphar qui changera grand-chose. Une élève, avec un vocabulaire brillant, certainement une bonne lectrice, m’a écrit une longue histoire d’une page dans laquelle on voyait bien que les règles les plus élémentaires n’avait pas été acquises, et pourtant son histoire était belle. Ce n’est donc pas une question de richesse de la langue, mais bien un hiatus entre l’écrit et l’oral, une simple question d’apprentissage de la grammaire et, osons le dire, d’entrainement à l’écrit plus poussé que celui qu’on entreprend  actuellement. Je sais bien que ça ne fait pas fun de recourir à l’antique dictée ou à la rédaction passée de mode, mais il me semble bien qu’il faille quand même à revenir à cela. Lorsque j’entends une directrice d’école déplorer l’orthographe de sa classe de CM2, j’ai envie de lui répondre qu’elle a échoué, c’est bien tout au long du primaire qu’on doit apprendre cela ? Est-ce que l’éducation nationale est devenue si complexe qu’elle ne sait plus comment faire apprendre ? Suis-je un si vieux con pour me poser ces questions ? Qui qu’il en soit, notre langue est très riche – cas probablement unique dans le monde – et nous l’avons en bel héritage.
(28/03/2016)

 

Boucler un livre : l’expression pour moi à souvent pris un tour rigoriste : j’aime quand mes livres « bouclent », c’est-à-dire qu’ils accomplissent un parcours tel que le premier mot du titre choisi soit celui de l’incipit, et bien sûr que le dernier mot du récit, soit le dernier du titre ; habitude prise depuis Central, seize ans auparavant, continuée souvent : Retour aux mots sauvages, Faux nègres, Journal de la canicule. Celui que je projette pour septembre devait de même boucler, mais j’ai pris la liberté de changer la fin, et, du coup, le nœud devient lâche, le lacet se défait, on marche dessus et on trébuche. Pour ma plus grande joie et conscience, cela dit : les règles sont faites pour être transgressées, et si la littérature ne vous fait pas trébucher de temps à autre, elle ne sert à rien. La joie donc, immense d’un nouveau livre et tout ce qui va se préparer une fois le texte remis : relecture, corrections, maquette de couverture, argumentaire, rencontres, service de presse, photos à faire pour la promotion, je retrouve avec plaisir tous ces préparatifs. Il y a du boulot en perspective : la longueur du texte, le triple d’un roman habituel, apporte une contrainte supplémentaire. Finalement, boucler un livre, c’est tout ce travail collectif que j’adore.
Même si je suis très fier du précédent, paru il y a tout juste cinq mois, mon Journal de la canicule ne m’avait pas laissé la même sensation. D’abord, le texte avait été écrit au deux tiers il y a plusieurs années (début en 2008), ensuite la parution négociée pour octobre, en dehors de toute rentrée littéraire, avait donné un enjeu moindre au livre, même si je suis très fier de la très belle couverture et des beaux articles qu’il a suscité dans Le Monde, Libé ou Les Inrocks. Plus probablement aussi, j’attendais avec impatience d’avoir bouclé mon gros projet Rimbaud, alias VPAR, alors en élaboration patiente et opiniâtre. Bientôt donc, l’actu du moment qui fait toujours référence au Journal de la canicule, va être remplacée par le nouveau. Ou les nouveaux : n’oublions pas Instants handball, voire la parution de Faux nègres en poche, l’ensemble à venir dans ce deuxième semestre.
(22/03/2016)

 

Bon qu’à ça : fameuse phrase de Beckett à propos de sa seule appétence à écrire. Je ne pense pas être aussi exclusif, ou plutôt, cette exclusivité d’écriture aura été mienne pendant seize mois et trois jours, le temps qu’il m’a fallu pour rédiger un gros livre au sujet de Rimbaud, nom de code VPAR, entrepris donc le 22 octobre 2014 et terminé le 25 février 2016. Au début bien sûr j’ai commencé mollement et j’ai pu lier d’autres écritures, activités diverses, mais plus le temps passait, et plus le livre me tenait au corps, grossissait. Les six derniers mois, quasi cinq cents pages se sont rajoutées au deux cent cinquante produites alors, les deux cents dernières depuis 2016 et le sprint final d’environ cent pages concocté en une dizaine de jours : bon qu’à ça donc, dans tous les instants libres que m’octroyait ma vie, dans ce délice d’y penser nuit et jour, en voiture, au boulot, en imagination toujours, au point où depuis des lustres je ne pense qu’à travers l’an zéro après AR (Arthur Rimbaud), date à laquelle commence mon roman. Bref, tout cela nous emmènera maintenant vers la rentrée littéraire que j’attends avec impatience.
(08/03/2016)

 

Dans l’instant des bilans et des bonnes résolutions, il n’est pas superflu de se pencher sur les travaux en cours. Et ceux réalisés bien-sûr. Au chapitre des hésitations, l’année 2015 aura été celle d’une petite incertitude éditoriale, de courte durée et en début d’année, mais très vite l’enthousiasme de plusieurs projets menés de front, la liberté qui en découle et qui constitue un critère primordial guidera mon choix. Premier projet : Journal de la canicule, sorte d’ovni dans ma production livresque, se concrétisera en octobre pour ma plus grande joie. Deuxième projet qui me tient beaucoup à cœur, le livre en écriture (nom de code VPAR), son voyage de bateau ivre au long cours, mieux qu’une traversée, un tour du monde puisqu’il dépasse probablement 500 pages au bout de 14 mois de rédaction, et la terre n’est toujours pas en vue… Reste la thèse, l’arlésienne, la mythique production universitaire dont je suis redevable, qui, elle, avance à la rame. J’ai toutefois changé l’organisation de ma vie laborieuse et je me suis octroyé depuis septembre un peu plus de temps dévolu aux affaires littéraires. Et justement, voici une affaire appelée à grossir énormément, Instants Handball (voir en webcam 2015)avec l'ami Alain Delatour : le projet s'emballe, Dunkerque, expositions de prévu, ateliers d'écriture et de peinture, ça va bouger ! Allez, prenons aussi une bonne résolution : celle d’être plus assidu aux mises à jour de ce site.
(04/01/2016)