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Étonnements 2017 Je viens donc
de terminer quatorze ans d'études. Retour sur cette période longue comme une petite
perpétuité. Évidemment, il en reste des traces dispersées dans les rubriques de Feuilles
de route. En parcourant ce site qui me sert de mémoire, j'ai retrouvé quelques
empreintes, en voici une par année d'études, cela dresse un panorama historique :
La première
neige est toujours attendue. Sa blancheur illumine la lente dégringolade vers le sombre
des jours d'hiver. Si on est de Marseille, où il a pareillement neigé, on feint d'être
étonné : Ici, il fait toujours beau, il ne neige jamais. Un petit coup d'œil sur
Internet vous renseigne : ça se produit presque chaque année et à chaque fois c'est la
pagaille. À se demander d'ailleurs si les jours de neige ne sont pas plus présents dans
le Sud que dans mon Grand est. Il est vrai que ma région bénéficie d'un grand lac à
quelques kilomètres et qui tempère probablement un peu la météo. Il n'empêche que les
années sans neige s'alignent, ou du moins, on ne garde pas le souvenir de routes
impraticables, les champs sont rapidement lavés par la pluie qui succède au froid.
Souvent, je m'aperçois vers mars que je n'ai pas utilisé les pneus neige remisés dans
le garage.
Organisateur
d'expo : en fait il aura fallu que je quitte mon boulot nourricier, que je me recentre sur
d'austères recherches universitaires pendant un an, avant que cette sorte de métier me
tombe dessus à l'improviste. Organisateur d'expo, d'une expo en l'occurrence, mais un
vrai travail qui m'a englouti plusieurs semaines. Alors que les vacances d'été
n'étaient plus qu'un souvenir, par ailleurs studieux, tandis que les derniers ajouts
relatifs à la thèse universitaire m'occupaient le temps et l'esprit, une association
dans laquelle j'œuvre depuis quelques années m'a chargé de mettre sur pied une
exposition sur un personnage important de ma ville, un instituteur et un artiste accompli
de 93 printemps, que par ailleurs je connais bien. Ce projet, qui, dans un fonctionnement
normal aurait dû être prévu depuis de longs mois, m'est ainsi littéralement tombé
dessus à quelques semaines de l'inauguration prévue. Et pas moyen d'y couper à moins de
baisser les bras et de passer pour un dégonflé: salle d'exposition retenue. Donc, je m'y
attelle gaillardement pour m'apercevoir rapidement que la petite équipe qui m'accompagne
se réduit à 2 autres personnes (dont l'ami nonagénaire), que rien n'a encore
été prévu, ni budget, ni partenaires, ni communication, ni même le contenu de l'expo.
Bref, panique à bord et mode commando pour commencer : attaques tout azimut, recherche
d'alliés, d'exposants, redéfinition des objectifs. En effet, l'idée de faire une
exposition sur un personnage, si sympathique soit-il, est un peu réducteur, autant
développer l'évolution de la ville qui n'a pas manqué de se faire pendant le quasi
siècle qu'il a traversé. Et quitte à faire, autant que les établissements scolaires de
la ville dont il a été un acteur des plus dynamiques, puissent en bénéficier. Enfin,
bref, tout cela c'est sans compter les lourdeurs administratives de la fonction publique
d'état (l'Éduc. Nat.), de la territoriale (la mairie) et autres machineries complexes
qui se plaisent à répéter que jamais nous n'y arriverons. Au final, notre exposition a
vu le jour à l'heure dite, avec les ambitions que nous souhaitions : l'inauguration a
réuni une centaine de personnes et les principaux élus ; la fréquentation de l'expo
dépasse nos espérances ; des classes viennent également en visite et nous nous sommes
faits beaucoup d'amis parmi les associations partenaires que nous avons réunies. Grande
fierté pour moi pour avoir à la fois joué les VRP, les animateurs, les installateurs :
quelques photos et informations en Webcam.
La
plaisanterie d'avant concert, avec mon cousin Hervé, c'est de se dire : " La
dernière fois qu'on a vu les Stones, le prétexte était d'assister à un concert avant
qu'ils soient morts, et maintenant, on y va avant que nous, on meurt " : cela résume
combien nos papis du rock nous semblent inépuisables. Ainsi, la dernière fois, c'était
en juillet 2003 : il y a un compte rendu en rubrique Étonnements du 23/07/2003 (eh, oui, Feuilles de route a une
capacité mémorielle elle aussi inépuisable…). Le cousin Hervé, donc, est mon
compagnon des Stones, il n'est pas exclu que nous retournions les voir d'ici quelques
années : on a du temps, on sera en retraite.
Deux mois et
demi sans mise à jour : revenons donc début juillet, dans la promesse de l'été qui
commence. Je savais bien-sûr que la période estivale serait studieuse, j'espérais ne
pas lâcher dans la multitude de réflexions qui me restait encore à coucher sur le
papier. Je n'ai pas flanché (voir Fin de la thèse en note d'écriture) et c'est une
grande fierté. La quinzième saison de Sicile, agréablement familiale, a dilué les cinq
à six heures d'études quotidiennes dans l'ombre des terrasses, mais cela n'a pas
empêché la plage, les randonnées, la course à pied le matin et même deux jours de
camping aux îles Lavezzi (voir en Webcam). Au retour, le beau temps a permis aussi de
bons moments au bord du lac proche de chez moi et quelques récoltes de champignons
abondantes et particulièrement précoces (même tardives, puisque ce jour trouvé encore
des cèpes et deux rares mais excellents polypores). Août s'est étiré en attendant
septembre, l'étude a continué à accaparer les jours du matin jusqu'au soir : les
rendez-vous avec mon directeur de thèse se sont intensifiés, un toutes les trois
semaines, et, entre temps, il faut produire un nombre suffisant de pages et corriger
celles qu'on lui a remises. Toutes ces bonnes choses ont une fin et je vois le bout du
tunnel du grand machin universitaire dans lequel je m'étais embringué depuis des
années. Dans cette occupation, la course à pied en a pâti et les petits entrainements
quotidiens de Sicile ont perdu leur bénéfice. Voilà seulement que je reprends le rythme
nécessaire à mon équilibre physique et ma participation à un 10 km hier, avec un temps
suffisamment honorable (pour moi), a été bienvenue. En effet, tandis que l'emploi du
temps commence à se dégager (ou plutôt commence à se remplir d'un tas d'autres
choses), j'ai hâte de retrouver la disponibilité d'esprit pour entamer d'autres écrits
plus romanesques.
Instants
handball reprend du service : après le succès au championnat du monde de notre
équipe nationale et la fin de cette belle manifestation organisée en France en janvier,
la tension était un peu retombée. J’avais remballé l’exposition au stade
Pierre Mauroy de Lille au lendemain du match de quart-finale gagné contre l’équipe
de Suède (voir en Webcam du 30/01/2017). Depuis
les tableaux (et notre beau livre qui l’accompagne) étaient restés dans
l’ombre. Mais notre « Instants handball World Tour » recommence en
septembre ! La totalité des peintures et des textes (vingt-trois tableaux) sera
visible au Centre Reuilly dans le 12ème arrondissement de Paris du 5 au 28
septembre. C’est à signaler car les lieux qui peuvent accueillir la totalité des
toiles sont plutôt rares. Comme à Dunkerque, à Lille, à Créteil et à Voiron, nous
espérons que le public sera au rendez-vous, mais surtout que l’esprit
d’équipe, partagé par le sport et la culture, permettra encore de beaux échanges.
Et comme d’habitude, dans la mesure du possible, nous sommes disponibles pour
l’organisation de visites privatives, scolaires ou autres. Vernissage jeudi 7
septembre à 19h, en présence des artistes, c’est-à-dire mon ami peintre Alain Delatour et moi-même.
Le poisson
rouge est mort. À le dire ainsi, on se croirait dans L’École des femmes, au début de l’acte
II, lorsque, à la question d’Arnolphe : « Quelles
nouvelles ? », Agnès répond : « Le petit chat est mort. ».
Comme chez Molière, cela signifie peu de choses évidement, une sorte
d’anti-nouvelle dans notre monde trépidant, sauf que le poisson en question,
« notre » poisson, venait d’attaquer sa vingtième année de vie…
Prénommé Batman, devenu une véritable légende, les enfants de retour à la maison ne
manquaient jamais de jeter un coup d’œil dans le bocal rond immuablement posé
sur le plan de travail à côté de l’évier. Presque vingt ans, cela veut dire
qu’il a assisté par son hublot à tous les évènements privés, jours du bac,
départ de la progéniture, arrivée de mon futur gendre, préparation de fêtes, de repas
de Noël, Pâques, premier de l’an. Batman aura connu les déjeuners du mercredi midi
avec mon beau-père, des diners avec des copains, des amis, de la famille. Il aura vécu
tout un quotidien réglé dans la cuisine, matin, midi et soir, discussions,
conversations, repas, jeux de société, bruit de fond de la télévision. Réputé
increvable, j’avais l’habitude de plaisanter en affirmant qu’il devait
être en plastique avec son immuable livrée orange vif. Vingt années, à raison
d’un cercle de bocal par seconde, vingt heures par jour (ça dort aussi un poisson), ça fait plus de cinq cent millions de
tours dans sa prison ronde de
Parfois je repense au boulot, surtout à cet endroit où se trouvait mon
bureau, 4ème étage sous les toits. J’y étais depuis 2003 je crois, et
lorsque j’ai écrit Bestiaire domestique,
paru en 2009, c’était le lieu des dix nouvelles mettant en scène des pigeons
(forcément, on cohabitait avec ces volatiles dans mon bureau sous les toits). J’ai
relu la toute dernière nouvelle récemment, parce que je venais d’en parler à mon
éditrice, fasciné que je suis depuis longtemps des îles désertes (Ils désertent) : dans cette nouvelle, un type
se laisse enfermer dans le bâtiment laissé à l’état d’abandon en attendant
un repreneur, et l’endroit devient son île déserte à lui… L’état
d’abandon, oui, je l’ai connu, comme tout un chacun qui travaille, au gré de
réorganisations (souvenir de cette grande salle au Central où on avait empilé un
cimetière de chaises vides sur autant de fantômes d’employés partis). On regroupe
des services, on réduit le personnel (en fait, on est plus propre : on ne remplace
pas ceux qui partent), on ferme des bureaux inoccupés, on délaisse les mètres carrés
devenu inutiles et qui coûtent chers à entretenir, même vides. Ainsi, mon bureau au
quatrième étage était au bout d’un couloir quasi-désert, juste un autre au milieu
occupé par deux collègues. L’un d’eux gérait des bâtiments (vides ou pleins)
et avait les clés de beaucoup de portes. La plupart étaient fermées. Derrière la
lumière du jour qui filtrait de certaines, on se souvenait d’un open space,
d’un bureau. On avait oublié qui les occupait, qu’est-ce qu’on y faisait.
Un jour, avec le type des bâtiments, nous sommes allés dans une remise, une pièce
dévolue aux archives, je ne sais plus pourquoi, je ne sais plus quand, je ne sais plus ce qu’on y cherchait. Je me
souviens en revanche être tombé sur une série de médailles du travail dans un carton.
Pourquoi étaient-elles là, qui les avait posées sur cette étagère, et surtout à
quels récipiendaires s’adressaient-elles ? Je me souviens de leurs aspects, la
médaille proprement dite en métal doré, le petit ruban accroché avec les aiguilles
destinées à fixer la médaille sur l’habit. Chacune était rangée dans un petit
écrin de plastique bleu. Pourquoi ce souvenir est-il si précis ? À les voir, on
imaginait le geste d’un directeur, tenant le revers d’un veston ou d’un
chemisier pour épingler la médaille sur un ouvrier fier, une employée dévouée. Il y
aurait ensuite l’accolade, le petit discours, les remerciements et un coup à boire.
Tout cette comédie a été magnifiquement écrite dans
A
l’occasion d’un film revu récemment, j’ai repensé à Morges, à ce salon
du livre auquel j’ai participé, il y aura bientôt trois ans. Ce n’est pas le
salon que j’ai retrouvé dans ma mémoire, son ambiance pourtant si sympathiquement
suisse et le temps magnifique au bord du Léman en cette fin d’été ;
c’est l’escapade effectuée le dimanche matin sur les hauteurs du lac que
j’ai revisitée. Douceur, paix et sérénité de l’instant : ce sont les
souvenirs qui me restent, ceux que j’ai envie de percevoir à nouveau. J’avais
un but : une visite à rendre. J’étais à pied, mais ce n’était pas très
loin, 5 km à vol d’oiseau. Le temps était semblable aux jours actuels, soleil dès
le matin, promesse d’une belle journée. J’ai dû enfiler mes baskets au saut du
lit, probablement avant huit heures, j’ai traversé le hall de l’hôtel et
j’ai rejoint les rives encore désertes, quelques cygnes blancs qui
s’éveillent, quelques promeneurs de chien. Mon journal de course indique que
j’ai parcouru 12,6 km ce dimanche 7 septembre. En 2014, j’étais plutôt en
forme : j’avais participé à un trail
de 43 km en juillet, fait du footing tous les jours ou presque en Sicile en août, et, un
mois après Morges, je m’inscrirais au semi-marathon de Reims. À Morges, la balade
était touristique, grand plaisir pour moi de découvrir un lieu nouveau de cette
manière. Le souffle bien sûr et les foulées comptent, mais le rythme est mesuré,
propice à la découverte. Mon entrainement, qui était conséquent, m’a fait grimper
sur les collines sans trop d’effort et sans cesser de courir. Je m’arrêtais
souvent pour admirer le paysage, prendre un cliché avec mon portable ou chercher mon
chemin : j’avais un but, je l’ai dit, une visite à rendre. Je grimpais par
des routes tranquilles, je pénétrais dans des villages coquets, je traversais des
placettes avec fontaine, je longeais des propriétés, des grands arbres me faisaient de
l’ombre. Après les maisons, je débouchais sur des cultures maraichères, je
redescendais un peu, hésitais à quelques carrefours, je demandais mon chemin à de rares
passants. Tout était paisible et calme. J’ai fini par trouver l’endroit :
rencontre d’une grande simplicité, très belle. J’ai le souvenir d’être
resté longtemps, visiteur inattendu, avec la chance d’être seul. J’ai fini par
redescendre par le chemin inverse, en essayant de ne pas me tromper. Je voyais le lac qui
scintillait en bas, le soleil montait de plus en plus, j’étais heureux. J’ai
retrouvé les photographies que j’avais prises avec mon portable. Je les avais
transférées sur l’ordinateur et, heureusement, le changement de machine effectué
il y a quinze jours les a conservées : j’en profite pour en glisser
quelques-unes en rubrique Webcam, histoire de
prolonger l’instant de grâce et qu’elles demeurent.
Nos vieilles acquisitions :
électroménager de trente ans d’âge, véhicules en réforme, ordinateurs
obsolètes, jusqu’à la décoration has been de nos maisons. Nous utilisons tous du
matériel hors d’âge dans notre quotidien. Je me souviens d’un Carnet de
notes de Pierre Bergounioux dans lequel (lequel d’ailleurs ?) il rendait compte
des périples effectués avec une antique Renault 21en version commerciale, départs en
vacances, retours hasardeux, chargements hétéroclites, ferrailles, planches, tout ce
qu’il sied à l’artiste, et combien l’avait décontenancé l’achat
immédiat effectué par son épouse d’un break Mercedes neuf pour remplacer la
voiture à nouveau en panne : décontenancé qu’il était, arguant qu’une
réparation de plus n’aurait pas nuit…etc, etc ... Bref,
l’obsolescence nous guette. Heureusement, pour l’instant le poids des ans
affecte les choses, le corps se tient plutôt bien. Coup sur coup, l’obsolescence non
programmée a frappé à notre porte : pèle mêle ces derniers temps et je dois en
oublier, batterie de voiture, chasse d’eau, robinet de fontaine, télévision,
parquet, papier-peints, déco (où j’ai appris que l’obsolescence non
programmée avait retiré la couleur de nos appartements : maintenant on a droit à
blanc, noir ou gris). L’obsolescence non programmée a frappé aussi dans le
pare-chocs arrière de
Longtemps que
je n’avais pas parlé de course à pied dans cette rubrique. Il est vrai que les
activités sédentaires ont détourné pas mal l’attention que je portais à des
entrainements réguliers. J’ai le souci cependant de garder une certaine forme :
vélo, jogging. Trop peu : je viens de participer à deux compétitions :
l’une de huit kilomètres, sans avoir couru pendant un mois mais avec le plaisir que
procure le manque : résultat une bonne course et un excellent temps (pour moi)
malgré un parcours vallonné et des crampes qui ont mis plusieurs jours pour
disparaître. La course suivante, disputée régulièrement depuis 2010 est en apparence
facile :
Les
élections sont passées. Mon tout petit département a relié de justesse la majorité
présidentielle, mais quasiment un électeur sur deux cautionne le Front national au
deuxième tour, et considère ainsi qu’il est possible pour ce parti d’accéder
aux affaires comme on dit. Les grandes villes ont tiré l’électorat vers Macron,
mais la plupart des cantons ruraux placent le FN en tête, parfois avec plus de soixante
pour cent, certains villages sont à près de quatre-vingt-dix pour cent, comme celui de
Brachay qui m’avait servi de lieu pour Faux
nègres. Je n’ai pas fourni d’explication à l’époque sur ce vote, là
encore, pas grand-chose à dire, on reste dans le romanesque, juste constater. Constater
que l’aménagement du territoire n’a pas donné les mêmes chances à
tous : prenez une carte, regardez comment les autoroutes et TGV ignorent le pays où
je vis. Imaginez un endroit où les usines de production, la sidérurgie notamment, a
connu des belles heures, voyez ce qu’il en reste, constatez le néant des
emplois : les agriculteurs sont en faillite, les artisans ont peu de clients faute
d’argent et rien n’a remplacé les fermetures d’usines. Les générations
qui les ont subies sont en retraite, leurs enfants ont reproduit le chômage, les
petits-enfants cumulent des aides sociales. Ici, on peut vivre avec pas grand-chose :
dans les villages, on trouve des maisons à louer pour moins de 200 euros par mois, on se
débrouille avec le reste. On ne dépense pas d’argent pour les loisirs, ici, pas de
cinéma, pas de voyage, les seuls qui en ont faits ont leurs noms sur le monument aux
morts de la commune. Internet est lent, Facebook est la nouvelle plaie de l’ennui,
reste la télé avec le canapé pour s’asseoir devant. Ce qu’on regarde ?
Un monde lointain, migrants, attentats, partout cette folie des hommes. Par moment
l’actualité vient nous voir : on se souvient de ce petit département idéal
pour accueillir les migrants après le démantèlement de Calais. Voici le grand
déménagement du territoire à notre profit. Remarquez, ça se passe plutôt bien :
un village dans le sud du département a organisé une pétition pour que les migrants
restent ; ça faisait cinquante ans que rien de nouveau ne s’était passé, et
on avait renouvelé avec eux l’équipe de foot locale ! C’est irrationnel,
pas d’explications au vote FN, hormis le sentiment d’oubli et d’absence au
monde. On pourrait aussi coller dans mon Grand Est le poids de l’histoire et des
invasions, cette appétence pour la droite et la figure du Général. L’ouest,
pourtant aussi dispersé, n’est pas pour le FN. J’étais hier pas loin de
Saint-Florent-le-Vieil, petit village similaire à ceux de mon département, mais je suis
sûr que le bourg de Julien Gracq n’a pas voté pour la couleur marine. Ceci dit, à
Roche, patrie de Rimbaud, non plus : c’est Macron qui arrive en tête. Et chez
Jean Robinet, dans le sud de mon département à Saint-Broingt-le-bois également.
Moralité : pour combattre l’obscurantisme, semez les écrivains dans les
campagnes.
Retour en France :
Le café est
fermé depuis plusieurs années on dirait, avec cet air d’abandon que prennent les
commerces qui cessent leur activité : volets clos, peinture écaillée, parfois une
vieille pancarte à vendre ou à louer. Le plus souvent, on arrête faute de repreneur,
après une vie de boulot. Un commerce nécessite de la présence, on ne trouve pas
toujours dans l’entourage familial ou dans le voisinage quelqu’un de prêt à
une telle existence. Le monde a changé, et encore plus depuis celui que décrivait Annie
Ernaux dans
Il paraît que Patti Smith, grande admiratrice de Rimbaud, est sur le
point d’acheter l’emplacement de la ferme de Roche, là où fût écrit Une Saison en enfer. Je savais que la petite maison aux volets verts qui
s’était bâtie à l’emplacement de la ferme était à vendre. J’y étais
allé en automne dernier (voir Webcam le 20/09/2016),
il y avait la pancarte d’un notaire du coin. J’avais été tenté. La demeure
est modeste, elle n’est inestimable que symboliquement. Et justement qu’en
faire ? Rimbaud ne l’a jamais connue. Elle n’a été construite que bien
plus tard. La ferme avait été dynamitée en 1918 après avoir servi de quartier
général allemand pendant les 5 années de guerre. Il faut se représenter
l’endroit : un carrefour de route entre deux champs, il ne reste qu’un pan
de mur de l’ancienne ferme, un modeste monument qui rappelle que Rimbaud a écrit ici
« son chef d’œuvre ». La dernière à avoir occupé la ferme est
Isabelle Rimbaud, contrainte de partir en août 1914 devant l’avancée allemande.
Elle a très bien résumé ce départ dans un livre magnifique, mais hélas méconnu, Dans les remous de la bataille (note de lecture du 08/03/2016).
C’est drôle de penser que Patti Smith va lui succéder, son exact opposé, aussi
libre qu’Isabelle était corsetée dans ses principes, pourtant toutes deux dans
l’admiration d’Arthur.
A
l’occasion d’un (très court) week-end, j’ai retrouvé avec plaisir la
ville de Bruxelles (voir en parallèle en Webcam).
Grande respiration dans la vie un peu monacale qui est la mienne en ce moment. J’y
étais allé deux ans auparavant à deux jours près dans les mêmes conditions
printanières (Webcam du 12/03/2014). J’y
étais retourné depuis : la même année pour courir les 20 km de Bruxelles, et, il
y a un an, toujours en ce début de printemps, pour emménager ma progéniture dans un
nouveau logement (ah ! l’increvable Kangoo qui a connu bien des
déménagements…), sans oublier en septembre dernier le festival de la BD qui nous a
tous réunis (Webcam du 12/09/2016). Bref,
c’est une ville que j’apprécie. Ce qui me plait dans cette capitale par
rapport à Paris notamment : le centre appartient aux habitants. Les loyers modérés le
permettent, la vie s’organise ainsi sans que le prix au mètre carré y organise un
ghetto pour riches. Ici, peu de citadines en fringues de luxe, de vieux bourgeois à
l’air revêche, de jeunes bobos à la mode barbe clairsemée. Dans le quartier de mon
fils, les boutiquiers turcs ne laissent aucune place aux antiquaires et à
l’épicerie fine. J’en profiterai pour faire le plein de légumes à des prix
deux fois moins chers que dans mes supermarchés de province. J’allais dire :
ici, c’est la simplicité. Mais je n’aime pas ce mot depuis le jour où, invité
dans un salon du livre du XVIème arrondissement de notre capitale, alors que
j’expliquais à une passante (très XVIème…) que mon livre Composants évoquait la vie d’un homme banal,
elle m’avait répondu : Banal ? Vous voulez dire une vie simple ? Donc
bannissons la condescendance : ici, la vie est banale. On sort de chez soi, on ne
toise pas le type que l’on croise sur le trottoir, chacun vaque à ses occupations,
l’épicier pakistanais m’accueille pour une demi-livre de beurre en
m’appelant « mon ami », le boulanger d’Anatolie au visage bardé de
cicatrices demeure taciturne. On descend vers les rues animées, la Grand place, les
ruelles. On se prend pour Rimbaud : « Je suis un éphémère et point trop
mécontent citoyen d’une métropole crue moderne ». Je suis persuadé
qu’Arthur préférait Bruxelles à Paris, comment pourrait-il en être
autrement ? Bruxelles est une ville d’Est, être né dans des contrées
ardennaises laisse saisir d’emblée cette « fête des anciens combattants d'une
guerre qui est toujours à faire » comme dirait Dick Annegarn (voir Webcam du 28/02/2011 – la première fois que
je découvrais Bruxelles à l’occasion de la Foire du livre). Cette année,
c’était aussi la Foire du livre, le week-end dernier où j’y étais. Un peu en
colère de ne pas y avoir été invité, ce n’est pas faute d’avoir insisté
auprès de mon éditeur plusieurs fois, mais les arcanes de l’édition sont parfois
difficiles à saisir. Pourtant VPAR a été
très bien accueilli là-bas (articles, télé) et mieux qu’en France : Rimbaud
ne suscite pas des crises mythologiques comme chez nous… Avis aux libraires belges
donc : invitez-moi !
Le printemps,
les jonquilles : je les avais oubliés, le temps il faut dire, n’est pas
favorable, ou plutôt il est de saison, giboulées de mars appropriées. Il faut viser
pour partir en vélo ou aller courir, et puis, le reste du temps la maison vous endort,
ronronne comme un gros chat. A l’occasion d’un week-end à Paris, je remarque
les premières jonquilles qui fleurissent entre les arbres qui séparent les places de
parking de ma rue. Evidemment, je pense immédiatement à Pierre Bergounioux qui recense
dans ces Carnets de route la floraison tant attendue de ces signaux du printemps
(voir la note de lecture du 14/03/2012) :
c’était donc samedi dernier, le 25 février. Bergounioux habitant à
Jours étranges : cela fait un mois que j’ai arrêté mon
activité salariée, et l’étrange est de constater combien ça me bouscule. À
l’extérieur, dans la maison donc, puisque j’y passe maintenant le plus clair de
mon temps. À l’intérieur de moi aussi, tout dans le refus de la stupide appellation
de retraite, retraité, moi qui n’y suis pas encore, juste bénéficié d’un
plan de départ anticipé. Et puis, avec ce temps libre et sans l’entrave du travail,
il y a l’opportunité de terminer dans quelques mois cette fameuse thèse de doctorat
de lettres modernes entreprise depuis longtemps. Ce sont donc des jours étranges, très
occupés, l’esprit occupé également en permanence dans l’excitation de la
réflexion, de la rédaction, les livres dispersés dans la maison en travaux,
l’ordinateur ouvert en permanence. Les heures filent vite sans les bornes du travail.
On s’attable à 8h, le soir à 20h, on y est encore. Le tout entrecoupé de cette
liberté nouvelle qui ne vous cloue pas au bureau cependant. Les travaux bien sûr, tout
ce qui gravite autour, changer des luminaires, la décoration, parcourir la ville pour
trouver le bon équipement. Et le besoin toujours de bouger, peu de courses à pied mais
une passion nouvelle, le vélo (on en reparlera). D’ailleurs, c’est au cours
d’une sortie à vélo avec un ami que je me sens obligé d’avouer que j’ai
arrêté mon travail avec cette sorte de gêne, presque de honte (surtout ne pas prononcer
le mot retraite). Le hasard veut que la plupart de nos amis soit beaucoup plus jeunes,
enfants petits, le travail en plein, ils vivent l’instant présent et ne pensent pas
à la fin de l’activité. L’ami en question m’a regardé avec un peu
d’envie, comme un étranger à son monde. Jours étranges : si peu de
déplacements maintenant. Avant c’était 140 ou 220 km par jour de labeur avec cette
fusion des temps de trajets, cette fausse immobilité de l’esprit et du corps, les
temps vides du voyage, l’autoradio écouté distraitement, les mains placides sur le
volant. Maintenant on se lève le matin d’aussi bonne heure sans le poids du travail
à venir, libre de gestes et l’esprit libéré des contraintes du boulot, plus besoin
de répondre à un collègue, de prévoir des réunions, de préparer un compte-rendu.
Dans la maison on remarque avec étonnement que le soleil se reflète ici à telle heure,
que le chauffage s’arrête là soudainement : on avait planifié le thermostat
en fonction des heures de présence à la maison. Cela fait juste un mois que je goûte à
cette liberté nouvelle, mais je sens que les lieux familiers (la maison) pourraient
devenir prison. Je m’aperçois que j’aimais ces lieux neutres du travail qui ne
vous appartiennent pas, sur lesquels on peut laisser glisser sa vie sans entrave.
Sensation étrange, il a fallu que j’arrête le labeur pour m’en apercevoir.
J’ai
commencé par faire du ski de fond à la fin des années 80. Nous partions une semaine
chaque hiver avec un petit groupe. C’est mon beau-père qui m’avait fait
découvrir ce sport. Jura, Alpes, Vercors, nous avons arpenté les forêts enneigées. Les
enfants étaient vraiment petits, ils restaient à la maison. Très vite, nous les avons
emmenés avec nous, mais il était plus facile de leur faire apprendre le ski de piste.
Ourson, flocons, de la première à la troisième étoile, ils sont maintenant capables
d’aller à peu près partout, y compris en ski de fond pour lequel ils se sont
initiés. Et puis nous avons partagé la neige avec le soleil de Guadeloupe, où nous
avions de la famille. L’habitude du blanc et de la neige s’est perdue. Elle
revient de temps à autre, lorsque nos jeunes adultes et nous prévoyons une journée de
ski, c’est-à-dire une journée tous les deux ou trois ans (parfois plus, le temps
file si vite) en fonction d’un calendrier de plus en plus difficile à coordonner
ensemble. Pourtant, nous ne sommes qu’à deux heures des pistes vosgiennes. Bref, le
samedi dernier, nous avions prévu une sortie ensemble. Et, comme d’habitude, ça a
été l’occasion de sortir des placards les fonds de ski : blousons, vieilles
combinaisons, gants, lunettes, tout un assortiment d’habits et d’accoutrements
plus vraiment à la page mais qui remplit son usage. C’est toujours un étonnement de
m’apercevoir que je suis capable d’enfiler encore mon pantalon de ski qui date
de plus de vingt-cinq ans. Toujours un étonnement de sortir du garage les vieilles
chaussures et les vieux skis, matériel qui semble inusable et qui approche trente ans
d’âge. Sur les pistes, nous ne sommes pas vraiment à la mode. Le matériel a
évolué. Qui n’a pas son équipement de skating est considéré comme un ringard.
Autrefois, on brocardait pareillement les amateurs de ski de fond à écailles, par
rapport aux pistards : le fond, c’était du ski de mémère, jusqu’au jour
où l’un de ses moqueurs décidait de s’initier et s’apercevait dès la
première côte que c’était plus physique et dès la première descente que
c’était plus casse-gueule. Le samedi de ski a tenu ses promesses : merveilleux
soleil, effort en montée, peu de chutes au final. Et puis ça m’a rappelé mon
beau-père, je le revoyais sur les pistes, ses expressions, son énergie. Je ne crois pas
que nous en avions refait depuis qu’il est mort voici quatre ans. Nous sommes
repartis enchantés en se promettant d’y retourner : d’ici deux ou trois
ans, je ressortirai les fonds de ski.
Voilà le défi : déménager une
bibliothèque, ou plutôt, une des bibliothèques de la maison, en fait la plus grande,
pas loin de
Je n’ai pas pu résister à la tentation
d’agglomérer les différents termes utilisés par la communication toute récente
d’un grand groupe :
Bien sûr, le handball est devenu d’actualité
avec les championnats du monde organisés en France. Le résultat attendu de notre équipe
est magnifique : 6° titre mondial !
C’était mes dernières journées de boulot.
Evacuons tout de suite le malaise : je pars un peu plus tôt, grâce à un plan
d’entreprise auquel j’ai souscrit en 2015. Réservé aux travailleurs dont
l’âge officiel de la retraite serait atteinte dans 5 ans, et sous conditions de
cotisations suffisantes, il prévoyait une activité à temps partiel, le salaire en
rapport, et la possibilité d’une dispense d’activité pour les trois dernières
années : c’est cette « libération » que je fête. On peut être
envieux, voire choqué d’un tel avantage pour le salarié qui part avant les autres
(n’exagérons rien, c’est à un an près à l’âge auquel toutes les
générations précédentes sont parties). Être envieux : savoir tout de même
que le salarié en question accepte de réduire sa rémunération pendant cinq ans. Être
choqué : cette mesure va à l’encontre de l’employabilité des séniors et
autres « pédagogies » distillées par tous les gouvernements concernant
l’allongement inévitable de l’âge de la retraite. Dernières journées de
boulot donc, même si j’élimine d’abord pendant quelques mois des congés et un
compte épargne temps accumulé depuis des années. Dernières journées, il faut ainsi
vider les tiroirs, les armoires. Peu de choses au final. Mon activité confinait au
nomadisme, j’ai toujours eu comme principe d’aller vers les autres et, en tant
que chargé de recrutement, reconversions et autres changements de métiers volontaires,
je préférais rencontrer les salariés au plus près de leur lieu de travail. Un peu à
Châlons, souvent à Reims, parfois à Amiens, Lille ou Paris, voitures avec logo, bureaux
de passage, un sac à dos percé de partout, un micro et un téléphone portable comme
univers. Je n’ai cessé de dire aux candidats à un nouvel emploi qu’il fallait
songer à quitter l’ancien quand on s’y sentait au mieux. Etrange ? Pas forcément. Lorsqu’on se sent bien dans un
travail, on est au mieux pour envisager un avenir nouveau, être au top lors d’un
entretien de recrutement. C’est comme le poème de Blaise Cendrars :
« quand tu aimes il faut partir ». Pour moi c’est pareil, sauf que je ne
postule pas pour un nouvel emploi, juste me consacrer à temps complet à ce deuxième
métier de l’écriture que j’ai pratiqué en parallèle pendant dix-sept ans.
Mais je pars au moment où ce que je faisais me plaisait le mieux, enfin, ça fait déjà
cinq ans que j’y trouvais mon compte, bonne ambiance, bonne équipe, bons chefs,
collègues fantastiques ; œuvrer pour le bien-être des salariés, c’est
évidemment motivant. Je suis le plus ancien, beaucoup sont arrivés ces derniers mois
avec un regard neuf et des idées à revendre, ils ont tout de suite adopté la
décontraction et l’entente qui prévalaient. A m’entendre raconter mon boulot
ainsi, on peut penser que la nostalgie m’atteint déjà, on efface les moments
difficiles, on garde le meilleur, etc… Aucune naïveté cependant : je
n’oublie pas le choc de ce collègue soudainement disparu le mois dernier, je
n’oublie pas avoir écrit sept ans auparavant Retour aux mots sauvages en
souvenir d’heures tragiques. C’est étrange, il n’existe pas de roman sur
le bonheur au travail, pourtant j’ai l’impression de l’avoir vécu :
ce sera peut-être à moi de l’écrire, qui sait ? En attendant, dernières
heures, tiroirs et armoires vidés. Dernières réunions téléphoniques, les voix
connues, leur façon de réagir au travail, le sérieux et les plaisanteries. Je prends
des photos (en webcam), j’emmagasine. Il est trop tôt encore pour effacer ces
années.
C’était en décembre dernier. Nous avons
traversé pour la deuxième fois la fameuse passerelle qui enjambe le canal Saint-Martin. Atmosphère,
atmosphère : on débarque sur le quai d’en face et la façade modeste de
l’Hôtel du Nord apparaît. On entre : les discours ont déjà commencé, Hugo
Boris, le lauréat, est sur l’estrade. La première fois, c’était quatre ans
auparavant, j’étais à la place d’Hugo Boris. Toutes les rubriques de ma mise à jour du 05/12/2012 y
étaient passées).Rien a changé, l’ambiance, convivialité bonne enfant,
camaraderie de café, fraternité de bar-tabac, comme René Fallet (mon lauréat
préféré) savait si bien les raconter. J’ai grand plaisir à retrouver Dominique
Fabre qui a obtenu le prix deux ans près moi, Natacha Boussaa, Shumona Sinha, Akli
Tadjer, anciens lauréats également, Valentine Goby, Philippe Haumont et bien
d’autres. C’est un prix qui rassemble, le contraire d’une confrérie
secrète, juste ceux qui « préfèrent
les gens du peuple comme personnages », ainsi que l’indique la vocation du
prix. Lorsque je l’ai obtenu en 2012, j’ai inauguré son nouveau nom à
rallonge Eugène Dabit du roman Populiste à la place de Populiste,
devenu connoté par la faute de stupides personnalités, trumperies et autres lepenisses
qui se l’accaparent. Peu importe : ici c’est la caution de Sartre, de
Fallet, ou d’Eugène Dabit qu’on apporte. Je bois une absinthe à la santé de
Rimbaud, je photographie dans un coin l’affiche d’Hôtel du Nord. Juste en
dessous, à une table, il y avait Cavanna et Wolinski en grande conversation lorsque
j’y étais allé pour la première fois. « On tente, ce soir, de suturer les
bords du temps », comme l’écrit joliment quelques jours plus tard Valentine Goby dans La
Croix.
« Nous sommes en 2017, précisément le 10
janvier 2017, à Louvemont, en Haute-Marne, France, Europe, Monde, Système Solaire et
Univers. Il ne s’est rien passé depuis vingt ans. Ou si peu… ». J’ai
écrit ces mots en toute conscience il y a vingt ans pile. En conscience, un bien grand
mot, juste la sensation d’essayer de deviner ce qu’il adviendrait de moi, de
vous, des endroits où nous vivons. A cette époque, je n’avais rien publié,
l’écriture était une matière abstraite, une pâte à modeler, une émotion
reprise. J’allais avoir quarante ans, j’avais terminé auparavant Martin
Martin, premier manuscrit commencé à vingt ans et terminé à trente, je
m’étais hasardé depuis à quelques galops d’essai, un pastiche policier avec Aventures
au Cap Vert, un livre sur le Père Noël pour plaire à mes enfants. C’était une
période féconde, un bouquin tous les six mois, enfin, un premier jet qui restait dans
les tiroirs. Ecrire était un apprentissage : construire des chapitres, faire varier
l’écriture, expérimenter. La publication, je n’y pensais même pas. En
janvier 1997, j’ai ainsi commencé un nouveau récit. Le « pitch », comme
on dit, avait comme origine la crise de la vache folle qui venait de sévir. On se
demandait à juste raison s’il allait rester des vaches sur notre continent. Pour
cette première crise sanitaire mondiale, les abattages de bovins en nombre (deux millions
et demi en Grande Bretagne) m’avaient inspiré une réflexion propre à mon petit
département rural : s’il ne doit rester qu’un troupeau, il sera forcément
en Haute-Marne, terre de peu d’intérêt mais propice justement à tous les essais.
L’histoire était ainsi venue : un jeune fonctionnaire ambitieux envisage de créer
une ferme touristique avec les dernières vaches du pays. Intrigue sur fond de magouilles
européennes, farce mêlant des provinciaux plein de bon sens, bataille du pot de terre
contre le pot de fer, je voulais une comédie à la René Fallet, comme dans Les Vieux
de la vieille, quelque chose de drôle et satyrique. En même temps, je voulais me
projeter dans le futur : quelle serait la vie dans vingt ans, à l’âge où je
cesserais de travailler ? Peut-être ne resterait-il plus aucune vache dans les
champs ? Je l’ai terminé à la fin du printemps, et l’idée de le publier
m’est venue rapidement. J’ai pensé qu’il pouvait avoir sa place dans
l’édition locale. J’ai pris contact avec l’association des écrivains de
Haute-Marne et l’éditeur Dominique Guéniot a accepté de le prendre en compte.
Grande joie : j’étais en pays de connaissance, l’imprimerie originelle à
cette maison d’édition était située dans ma rue natale à Langres et j’avais
entendu pendant toute mon enfance le curieux cliquetis des machines en passant sur le
trottoir avec mes culottes courtes. Autre rencontre qui a suivi : un an après,
j’ai envoyé un mail à François Bon un jour de juin 1998. Internet venait de
démarrer, et j’avais envie de m’impliquer dans l’association des
écrivains en créant leur premier site. François était alors un des très rares
pionniers du web littéraire. Et puis tout est allé très vite. Lorsque deux ans plus
tard, en avril 2000, La Réserve a été publiée, j’avais déjà remis le
manuscrit de Central chez Fayard.
Pour commencer la nouvelle
année, j’ai pris l’usage d’effectuer le bilan des courses (à pied
s’entend) de celle qui vient de s’écouler. C’est facile : je tiens un
fichier Excel depuis 2009 et je ne crois pas avoir oublié une seule fois de noter un
entrainement ou une compétition. Pour 2016, j’aurai ainsi inscrit 184 lignes
supplémentaires, chacune correspondant à un trajet en course, en marche, en vélo et
même en natation. J’aurais ainsi couru |