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Étonnements 2016
Jai eu mon époque Renaud, François Béranger, Joan Pau Verdier,
des gens qui se disaient libertaires, jaimais bien, il y avait le mot liberté
dedans. Et puis jai découvert à la même époque lécrivain René Fallet
(re-dose de liberté) et forcément son copain Brassens, qui fut même un temps,
parait-il, encarté à la fédération anarchiste. Je me sentais assez en symbiose avec
toute cette mouvance faite de bric et de broc, de même que le Nouveau roman fit son miel
décrivains aussi différents que Beckett, Butor, Duras, Simon ou Sarraute. Mais
voilà : quelques années plus tard, Renaud, dans son retour à vie musicale, nous
gratifie dune chanson intitulée « Jai embrassé un flic ». En
gros, lhistoire de cette chanson est celle de la manif qui a réuni tant de monde
suite à Charlie, le narrateur (enfin, le type qui chante) remarque que les flics ont
« un regard bienveillant » et mu par une inspiration soudaine, il va serrer
dans ses bras lun deux. Voilà : la chanson tient en trois maigres
strophes et dix répétitions de « Jai embrassé un flic ».
Personnellement, je préfère Renaud quand il chante « Hécatombe »
de Brassens en particulier ce passage : « Frénétique l'une d'elles attache
/le vieux maréchal des logis /et lui fait crier: "Mort aux vaches! /Mort aux lois!
Vive l'anarchie ! ». A propos danarchie, Renaud dans sa chanson se repend, sexcuse, regrette : « Nous faisaient avec
leurs bras / de grands signes damitié / Et de solidarité / Alors pour les
remercier / Et pour la première fois / De ma vie danarchiste / Je suis allé
embrasser un flic ». Brassens avait dit : « Je suis anarchiste au point de toujours
traverser dans les clous afin de navoir pas à discuter avec la maréchaussée». Si
maintenant il faut en plus traverser la rue pour venir les embrasser, je ne suis pas
daccord.
Lidée initiale, pour repérer les différences
entre roman, récit et fiction, serait de partir de cette rubrique justement :
létonnement, le truc qui fait quon se met en marche, quon éprouve un
sentiment et, pour faire savant, ajoutons un peu de latin moveo, sémouvoir,
mouvoir, se motiver, se mettre en mouvement, avancer. Létonnement peut être
colère, joie, tristesse, comme la semaine dernière : grande peine à me souvenir
dAlep. Prenons cette idée comme exemple. Au départ, horrifié par
lactualité désespérée dAlep, je cherche et je retrouve des photos prise le
18 mars 2010, seul jour (et nuit) que jaurais passé dans cette ville, du matin au
soir à larpenter, à la découvrir, itinéraire dun touriste ordinaire. Je
mets mes photos de touriste en regard des reportages de guerre (voir en webcam), il est facile de retrouver les mêmes lieux
symboliques, les mêmes angles de vue. Le récit, puisquil sagit de relier la
rhétorique à lémotion, serait à prendre en son sens premier de réciter, dire à
haute voix, exprimer la douleur. On abolit les genres, pas question de poésie tragique,
de pleurs de théâtre, le récit est juste lélan préalable, le prétexte en son
sens propre, le souffle, la voix qui forme les mots ou la plume qui les écrit. Le récit
part du sentiment vécu (ici, un bonheur de voyage), une réalité éprouvée. On le
remarque à peine, mais nous sommes reconnaissables sur les photos du 18 mars 2010 :
nous étions là. Dans les reportages de guerre, mêmes lieux, mais nous sommes absents,
effacés, devenus irréels au milieu de décombres. Il faut refaire le chemin, se demander
ce que nous avons fait entre cette journée de printemps six ans auparavant et
aujourdhui, comment ceux qui nont pas quitté ces quartiers ont vécu, à quel
moment les soldats sont apparus, pourquoi tant de décombres. La réalité a disparu,
place à la fiction. Le récit que lon commence pour raconter cela (ce que je fais
à linstant précis) est imprégné de cet imaginaire : nous nétions
plus là, nous navions plus rien à raconter. Il faut combler les vides, colmater
les trous par des mots : cest la fiction. Lorsquon lit dans un
dictionnaire la définition du mot fiction, on tombe rapidement sur
« mensonge » en synonyme. Mais lorsque je récite cette histoire, je nai
pas limpression de mentir. Probablement que jenjolive la vérité de cette
ville dAlep visitée en 2010, nos voyages sont souvent plus beaux à raconter
quelques années plus tard, ce sont des moments forts que nous vivons. Et je ne mens pas
non plus à regarder les clichés daujourdhui : cette réalité existe et
ma peine est réelle, non feinte. Pourtant je ne peux raconter la vérité, puisque je
ny suis plus, je ne suis plus témoin dans ces rues, ces allées de souk, ces
mosquées. Le roman, alors, peut sinstaller : quelque chose qui dépasserait
lémotion ressentie, une obsession qui serait telle que je ne pourrais la réprimer,
telle quil me faudrait lécrire sur un temps assez long, une longueur
conséquente, quelque chose, qui, une fois terminé, me laisserait exactement la même
impression quau début : avoir tourné et retourné les sentiments originaires
au récit, étonnement, ou colère, ou joie, ou tristesse, ceux-là bien réels. Dans ce
cas, la fiction naurait aucune importance, davoir menti ou pas.
Quand vous déclariez vouloir aller en Syrie six ans
auparavant, on ne vous regardait pas de travers, vous nétiez pas fiché terroriste.
Les plus pantouflards trouvaient étrange cette destination, tant de choses à voir dans
notre beau pays. La Syrie sétait pourtant imposée naturellement à nous, après la
Jordanie en 2007, le Yémen en 2008, lIran en 2009. LOrient nous avait
conquis, histoire millénaire, culture à découvrir. Nous étions revenus enchantés,
comme les années précédentes. La Syrie mavait étonnée. A Damas, les églises
orthodoxes voisinaient avec les mosquées, les rapports semblaient francs et mesurés
comme toute action humaine en temps de paix. Jai gardé longtemps cette impression
dun pays accueillant. Un an plus tard, le printemps arabe a rebattu les cartes un
peu partout. Bachar sest accroché à son pouvoir, des rebelles se sont organisés,
enfin Daesh a fini de brouiller les cartes : la Syrie sest enfoncée dans
lenfer. On sest ému de Palmyre que javais également visité, mais
maintenant le drame sest déplacé à Alep (ou plutôt il a continué), et, comme
dhabitude, cest la population qui souffre. Jai vu récemment un
reportage, où les bombes tombaient aveuglément sur la ville, et qui ne cesse de me
hanter depuis. Alep, à lépoque de notre voyage, avait été une étape chaleureuse
(voir Carnet de voyage). Nous avions passé la
nuit précédente chez lhabitant à El Bara, à 80 km dAlep, je me souviens
dune petite fille qui dansait sur la musique du portable de son papa. On se
comprenait peu mais lenfance, les plaisanteries en toutes langues tissent des liens
universels. Au réveil, nous avions déjeuné à lorientale, thé et pain trempé
dans un mélange dhuile dolive avec thym et sésame. Avant daller à
Alep, nous avions effectué une petite visite au monastère de Saint Siméon qui vécut en
ermite haut dune colonne pendant trente-sept ans. Je me souviens avoir quitté à
regret cette campagne isolée et calme avant de retrouver la grande ville. Mais Alep est
accueillante. Pour preuve, le chauffeur qui nous accompagnait avait tenu à nous emmener
auparavant chez son épouse. Souvenir dun petit immeuble de banlieue, une cage
descaliers et, sur un palier, une jeune femme jolie et souriante nous avait ouvert
la porte. Elle nous avait invité à partager un thé à la cardamone. Conversation gaie,
un peu danglais, elle souhaitait devenir esthéticienne (beautician). Ses deux
garçons, très jeunes encore, nous montraient leurs jouets. Nous sommes repartis avec une
insouciance quon imagine éternelle dès que le charme sinvite dans nos
rencontres. Nous avons visité Alep : je garde le souvenir dune ville répandue
autour de sa fameuse citadelle que nous avons visitée dans tous ses recoins. Il ny
a pas de meilleur endroit pour appréhender à nos pieds la grandeur et lactivité
incessante de la ville, les immeubles de la périphérie, les rues tortueuses du centre,
la rumeur des souks, lodeur des savons dAlep. Nous plongerons dans cette
ambiance le soir après avoir visité la mosquée des Omeyyades, mais aussi la cathédrale
avec la chance davoir pu rencontrer lévêque dAlep et davoir
échangé quelques mots avec lui. Au milieu des multiples joies de cette journée, nous
lavions trouvé bien pessimiste : il trouvait la situation globale très
inquiétante. La suite, hélas, lui donnera raison, mais sur le coup, dans la douceur du
soir, à regarder les jeunes filles voilées converser joyeusement avec dautres
adolescentes têtes nues et portant visiblement une croix, cétait un Orient
tolérant et ouvert que nous avions devant les yeux.
« Verlaine met la
dernière main à la préface des Poésies complètes dArthur Rimbaud, qui va
paraître chez Léon Vanier. Texte ampoulé, plein damers regrets, incapable de
sélever au-delà du petit monde des lettres qui la pontifié, nommé
lannée passée « Prince des poètes », ce qui aurait fait beaucoup ricaner
Arthur-Nicolas sil lavait appris. » (Vie
prolongée dArthur Rimbaud, p 191 ). Cest en écrivant VPAR que je
me suis aperçu de lexistence de ce titre, récolté par Verlaine. A la mort de
celui-ci, quelques mois après avoir rédigé la préface en question, Mallarmé lui
succédera, par ailleurs invité au mariage dIsabelle, la sur de Rimbaud, avec
Paterne Berrichon (Mallarmé déclinera linvitation). Prince des poètes, donc, et
de suite, jai imaginé cette fine appellation comme un prolongement dancien
régime, vieux titres académiques que le XIX° et sa république balbutiante laissaient
perdurer. En réalité, il nen est rien. Il paraît que Léonard Cohen, récemment
disparu, a été sacré Prince des poètes en 2011(prix Prince des Asturies, espagnol en
fait). Mais concernant nos princes des poètes bien français, lavant-dernier en
date était Léopold Sedar Senghor, nommé en 1978. Mort en 2001, son titre na été
relayé quen 2013 pour Jean Ristat. Les conditions dattribution restent floues et le
jury fluctuant à chaque nomination. Pourtant cest une vieille institution : le
premier « prince des poètes » fut Clément Marot, auquel succédera Ronsard.
Et puis on oublie au fil des siècles de lattribuer et il faut attendre le XIX°
pour que Lecomte de Lisle lobtienne et laisse perdurer lhabitude au XX° avec,
par exemple, Paul Fort et Maurice Carême.
A son anniversaire, nous sommes tous réunis.
Tous : il faut comprendre la petite famille que nous formions autrefois, deux
adultes, deux enfants, agrandie bien sûr des conjoints. Pas de petits enfants présents
à lexception dun neveu : notre progéniture est partie depuis longtemps
et vole de ses propres ailes en France ou à létranger. Réunis donc, parents,
enfants, conjoints, neveu et nos sourires expriment la joie dêtre ensemble. Ce
nest pas que cela arrive rarement, mais chacun a ses activités et le temps file si
vite. Souvent, ce qui est programmé au dernier moment, comme pour cet anniversaire, est
plus facile. On sourit donc, en guise de pied de nez à la vie qui nous bouscule.
Jai plaisir à le voir, à peine voûté, juste un peu chancelant à cause de son
peu déquilibre. Il a maigri, les os des épaules saillent sous le pullover. Je me
souviens de ces vieilles photos, carrure large, muscles des bras solides. Jai
toujours été fier de la force de mon père. Le temps, oui, a filé si vite
On
parle tout à la gaité de ces retrouvailles. Mon beau-frère évoque le Verdon quil
a revu récemment, quelques jours en octobre ; nous regardons les photos aux couleurs
dautomne, les falaises à pic, les paysages. On parle escalade, exploits, vertige.
Cest là, je crois, quil intervient pour nous dire quil en a fait de
lescalade, avec le prof qui le suivait à lépoque, un week-end
dinitiation et il lavait emmené. Il précise le lieu (lAutriche), son
âge (seize ans). Peu de choses, juste ce souvenir qui lui revient. Et moi, je
lécoute avec attention. Jessaie de situer ce peu de choses dans le peu
dautres choses éparses quil ma déjà racontées : quil
était au sud de Berlin en 1945, donc à
quinze ans et le voilà, un plus tard en Autriche, à seize ans, dans cette étrange
période de guerre finissante. Et son prof, était-ce celui qui lui apprenait
lélectricité ? Autre anecdote minime quil mavait racontée, son
apprentissage pour devenir électricien et le bombardement (allié ?) qui
lavait enseveli dans latelier. Je ne retrouve plus le papier où jai
noté les quelques bribes de souvenirs quil ma parcimonieusement données. Je
linterroge peu, ce nest pas facile : tous ceux qui ont connu la guerre
remuent rarement leur mémoire (mais voir il y a quinze jours dans cette même rubrique).
Le temps dalors si différent, la volonté doublier cette sombre période,
limpression davoir vécu de modestes histoires perdues au milieu de tant
dautres, autant de raisons. Pourtant, combien cela nous aiderait en notre
époque : quelle différence entre la famille de mon père ballottée de pays en pays
après la guerre et les migrants daujourdhui ? Je linterroge
peu : peut-être que je préfère combler les vides par limagination, la
fiction, me glisser dans un parcours qui va du sud dun Berlin occupé par les
armées russes et qui dérive jusque dans les Alpes autrichiennes un an plus tard.
Lhistoire de mon père devient plus claire à partir de son arrivée en France. Des
traces sont restées et que jai connues comme la vieille motocyclette Terrot 125
avec deux selles (une pour emmener ma mère) quil avait rapidement acquise.
Cest son anniversaire et il parle peu, ma mère non plus, comme si le quotidien qui
les réunit avait encore moins dimportance à être raconté ; seul compte ce
vieux souvenir descalade : 1946, Autriche
Il y aurait de quoi faire se retourner dans sa tombe
Jean-Pierre Coffe, récemment disparu (voir cette même rubrique au 04/04/2016 ). La gastronomie est entrée dans une révolution
extraordinaire : des abolitionnistes déclarent malsain le gluten, le blé, le lait,
les noix, des ultras vantent la smart-food, lavoine, le sarrasin, le soja, le lin,
l'acacia, les pires extrémistes plaident la disparition de toute trace animale, on jette
ses chaussures en cuir pour des baskets en plastique et on sort en ville acheter des
fromages végétaux. Dautres ayatollahs se nourrissent de tortillas aux criquets, de
pâtes au grillons, de vers de palmiers et autres sauterelles à la provençale. Dernière
invention en date, le lait de cafard, particulièrement riche en protéines. Tout ceci
pourrait faire rire si notre entourage nétait pas de plus en plus marqué par ces
pratiques : combien dentre nous ont renoncé au bol de lait le matin, sont
persuadés aller mieux grâce à une alimentation sans gluten, passent des heures à
comparer la traçabilité dune viande, à déchiffrer les étiquettes des produits.
Tout ceci, bien sûr avec nos contradictions habituelles, continuer à fumer, à jointoyer
ou plus, à aller chercher en vélo un thé issu dune agriculture solidaire et qui
aura parcouru dix mille kilomètres pour atterrir dans la boutique bio de votre quartier.
Tout cela aussi en feignant dignorer que dernières ces modes nouvelles, cuisines en
vogue et autres engouements, sest érigée une industrie libérale particulièrement
efficace. Une preuve ? Vous qui avez renoncé récemment au gluten, au lait ou à
dautres modes de consommation, essayez avec honnêteté de remonter lorigine
de votre décision : vous devriez trouver les conseils damis, de membres de
votre famille, de sites internet, déchanges twitter et autres facebookeries qui
vous ont conforté, vous ont aidé à trouver le bon naturopathe, le bon hygiéniste, et
dailleurs vous êtes tellement mieux depuis ! Jai assez travaillé dans
le marketing pour savoir que tous ces conseils, sites web et facebookeries, la manière
dont lexpérience-client sest substituée à la qualité (voir cette même
rubrique au 22/08/2016) ne sont en fait
destinés quà faire tomber un maximum de gogos dans les filets de ces nouvelles
tendances. Réussir à faire consommer ainsi
les tenants de la déconsommation que nous sommes est un joli tour de force : il y a un
gâteau industriel et commercial à se partager, fut-il maintenant fabriqué avec de la
farine de petit épeautre, des graines de chia et de lagar-agar..
Cest un premier novembre comme les autres :
entendez par là, provincial, fait de cimetières de village, de noms essaimés sur des
stèles (Boivin, Bazelot), générations enfouies sous des concessions à perpétuités,
pèlerinage accompli parce que justement jour des morts, chrysanthèmes achetés la
veille, déposés le jour même et sapercevoir des tombes entretenues (mais par
qui ?) ou abandonnées (et le coup de nettoyage donné avec les moyens du bord,
leau pour arroser les plantes, le plastique qui enrobe la plante servant
déponge), repérer les dates des vieux aïeuls (cet Armand, né la même année
quArthur Rimbaud et mort quatre ans après lui). Cest un jour doux et
ensoleillé. On a prévu un repas le midi avec de vieux oncles et tantes, décidé
ensemble trois jours avant, agrémenté dune amie, même génération (et ce sera le
toast porté à lapéritif : « à nos morts, mais surtout aux
vivants
»). Je vais chercher lamie quon narrive pas à
joindre au téléphone, une personne jusque-là alerte, mais que le poids des ans force à
la prothèse de genou : ce sera pour dans quinze jours, dira-t-elle. En attendant,
montée avec peine dans la voiture, le long du trajet qui prendra moins de cinq minutes,
je ne sais pas quelle raison la fait parler de son frère mort (probablement la
circonstance de ce jour de Toussaint) : cétait pendant la guerre, en 41 - ou
en 43 rectifiera-t-elle aussitôt -, mort en prison à 21 ans, arrêté dans une rafle
avec cet unique prospectus retrouvé sur lui, lincitant à rejoindre le Général de
Gaulle à Londres. Mort en prison, elle nen dira pas plus. Alors les circonstances,
ce jour de Toussaint, ma pièce de un euro traditionnellement glissée à peine une heure avant aux portes du
cimetière dans le tronc de la quête nationale du Souvenir Français (et coller la
vignette bleu blanc rouge sur le porte-monnaie avec quatre autres des années
précédentes), cest voir dun coup la formidable histoire devenir
vivante : mort en prison, son frère, 21 ans, pendant la dernière guerre. Si peu de
choses, elle, née après lui, et son père tout à sa joie davoir une fille (qui
donc ne fera pas la guerre) se trompant dorthographe en déclarant son prénom
(Nicole, mais avec deux « l »), erreur qui la poursuit encore dans les
méandres administratifs, elle, donc, résumant les circonstances troubles de la mort de
son frère : il sétait laissé entraîner par dautres (sous-entendant
quil ny était pour rien, innocent, incapable de fomenter quelque complot
contre lennemi) et moi, dans ce court trajet dà peine cinq minutes,
argumentant : Mais peut-être a-t-il été torturé ? Avec le billet retrouvé
sur lui, on imagine que
Non, la version de mon père est quil est mort en
prison, et cette curieuse phrase quelle dit et qui résume tout : cest ce
que mon père a cru en tout cas, et pas question dy revenir, sinon cétait
toute la famille qui aurait disparu. Cette vieille mauvaise conscience
Ainsi
étaient ces temps inconcevables de la guerre, comme cette histoire que mon propre père
ma racontée à propos de son cousin tué à une halte dun train en
Yougoslavie parce quil essayait de senfuir à travers champs pour soustraire
aux soldats les bénéfices de son marché noir. Combien de morts, de souvenirs français
ou dailleurs jamais identifiés - et
pour cause dans ces temps de guerre. On ne cesse de nous répéter actuellement que
nous sommes en guerre. Quon y admette aussi quelques morts à cacher : migrants
noyés cherchant à y échapper, et quelques vivants aussi à disperser, essaimés après
la jungle de Calais. Toujours cette vieille
mauvaise conscience, alors portons un toast : « à nos morts, mais surtout aux
vivants
».
Le proverbe du jour : en
septembre, rentrée littéraire, en octobre les feuilles mortes se ramassent à la pelle.
Petit raccourci de saison sur la vanité de nos livres éphémères. Mais après tout,
lautomne est aussi le temps du provisoire, petit équilibre entre soleils tardifs et
pluies précoces, derniers soubresauts dété avant la grande glissade de
lhiver. Ainsi les champignons : les sous-bois trop secs ont longtemps retenu
leur pousse. Nous avons arpenté dès la fin août nos endroits familiers avec un faible
succès, quelques chanterelles échappées de lété et des pieds de mouton
dénichés dans lombre dun coteau. Peu de bolets, glanés çà et là un peu
de ceux que nous nommons « tête rouge » Toutes ces variétés bien sûr ont
fini dans la poêle avec toutefois un « goût de reviens-y », comme on dit. Il
fallait attendre les pluies. Puis, lhumidité revenue, il fallait attendre un peu de
soleil. Enfin, il fallait attendre lopportunité dun week-end de libre.
Cest fait. Mais cest la chasse et les chasseurs ne signalent pas toujours à
lorée des forêts leurs battues en cours. Bref, à peine rentré sous le couvert
des arbres, on entend des coups de feu, que jestime assez loin et dans la direction
opposée à celle que nous prenons. Pour plus de sureté, jai enfilé le gilet auto
jaune fluo, en espérant être vu de loin, avant quune balle perdue ne
matteigne (souvenir de cette expression courante
« il a pris une balle perdue » et mon beau-père répliquait aussitôt
« pas perdue pour tout le monde »). On peut enfin commencer à chercher les
champignons, nez au sol, regard exercé. Le trajet à travers les tranches et les sentiers
est connu. A un mètre ou deux près, nous sommes capables de nous rappeler des endroits
propices. Mais la récolte sannonce maigre. Cest alors que javise une
vieille souche, connue pour abriter un champignon rare. Et miracle ! Il est là,
dune fidélité au temps à toute épreuve ! De suite les mots
viennent pour le nommer : poule des bois, fraise de veau, panse de vache,
appellations communes pour ce champignon qui est un polypore en touffe. Il suffit
cependant de prononcer lun de ces trois noms campagnards à un habitué de nos
régions « poule des bois, fraise de veau, panse de vache » pour quil
sexclame aussitôt, reconnaisse votre chance et le délice du repas qui vous attend.
Ce champignon jouit en effet dune aura particulière dans notre grand Est :
généreux lorsquon le trouve, fidèle lorsquon repère lendroit
précis, il est très apprécié des gourmets, à la fois très fin et légèrement anisé
(voir recette en Webcam). Seule incertitude : sa repousse, il faut être là au
moment précis, il attend que les conditions le satisfassent, il se passe parfois
plusieurs années avant de le revoir (si jen crois cette Webcam, la dernière fois cétait le 30/09/2009
). Et bien
sûr, la promenade sen trouve illuminée. Quelques cèpes de bordeaux et des pieds
de moutons complèteront la récolte. Mais peut-être que le plus beau, le plus rare,
cest de pouvoir encore nommer les champignons avec ces locutions charmantes et
centenaires, issue du vieux monde agricole : pied de moutons, poule des bois, fraise
de veau, panse de vache. Le dernier de la saison à apparaître sappelle trompette
de la mort. Jirai bientôt en chercher.
LaiR Nu, jen ai déjà parlé en note dEtonnement
le 4 juillet dernier. Ça veut dire Littérature radio numérique, et moi jai retenu
la manière dont on mavait parlé de ce projet un an auparavant : fabriquer une
web radio, attention, pas un monstre copié de France culture qui enchaîne les
émissions toutes les heures, mais vraiment une radio sur Internet qui ne serait
consacrée quà la littérature. Et donc, avec journaliste et matériel. Une structure souple, capable
daccompagner de modestes auteurs dans des petites
librairies de banlieue, dy rester tout le temps, de se faire oublier et de
restituer par un coup de baguette magique et beaucoup de travail lensemble
complet de la rencontre. Et cest bluffant ! Une heure découpée en
tranches de quelques minutes dans lesquelles jai dû aborder quasi toute ma vie
littéraire. Jy découvre que je suis bavard (je le savais déjà en fait) et
plutôt à laise. Je suis ainsi très fier dinaugurer cette nouvelle rubrique Chemin de
lecture de LaiR Nu. Techniquement, le travail est fabuleux : on
clique sur une image qui représente un des moments de la rencontre (ici, chacun de mes
livres), on accède à plusieurs pistes audio. Ça paraît simple, mais il a fallu tout
réécouter, tout découper, tout mettre en ligne : connaissances web approfondies,
programmation internet, solutions techniques pour la fluidité, pour la découpe des sons,
bref de vrais métiers, des compétences de professionnels
(cest le chargé de recrutement qui parle). Pour moi cest lavenir de nos
salles de bains qui se joue avec de telles web radio : bientôt, au moment de se
raser ou de se laver les dents, on nécoutera plus France culture, mais on
laissera LaiR Nu vous proposer ses programmes comme 36 secondes de lecture
hebdomadaire dun livre (jy suis aussi avec Bestiaire domestique). De la
même manière, jécoute déjà sur ma tablette en préparant le repas François Bon
me parler de
Cendrars. Par moment, on se sent terriblement ringard davoir à subir encore les
vieilles manières télévisuelles ou radiophoniques, le Télématin redondant mais
si facile à mettre en route ou la radio qui ronronne à allumer. Lorsque les flux
Internet seront aussi répandus et aisés à manipuler les vieux pouvoirs médiatiques
auront vraiment du souci à se faire.
Je suis retourné dans ma ville natale, à Langres, à loccasion des Rencontres
de la philosophie et à linvitation dun ami libraire. En sortant de la
séance de dédicace, jai rencontré une camarade de classe qui organise cet
évènement. Nous ne nous sommes pas trop perdus de vue, si on considère quun signe
de vie en moyenne en dix ans est suffisant. Elle travaille depuis toujours dans le domaine
culturel et na jamais quitté notre ville de jeunesse. Je lui ai fait remarquer que
nous étions tout près du collège qui nous avait réunis après lécole primaire.
Et comme il convient, nous avons échangé des nouvelles de ceux qui nous accompagnaient.
Surtout elle, parce que jai une mémoire assez faible. Dailleurs, dans
linévitable inventaire de ceux qui nous ont quittés, elle a prononcé un nom, en
précisant quelle avait disparu, mais vraiment disparu, on pense quelle se
serait noyée en Corse. Je ne sais pas pourquoi, à lénoncé de son nom, jai
pensé à une connaissance de mon cousin, nous étions alors tous inséparables dans notre
petite ville. Ce nest que plus tard que jai réalisé que ce nom
mévoquait quelquun dautre, et quelquun même que javais
bien connu. Le souvenir est alors revenu. Cétait au début de nos allées de
collège. Dailleurs jai retrouvé une photo de classe de sixième et les
années soixante-dix nont pas encore commencé. Elle est assise devant au premier
rang, je suis derrière avec une sorte de veste de survêtement alors que tout le monde
est en manteau ou en pull (on ne voit pas bien, mais on dirait quil y a de la neige
sur le sol de la cour où nous posons tous). Jai une tête de onze ans dâge,
la bouche enfantine, lair ahuri qui va avec les lunettes (le quolibet
« têtard à hublots » dont on maffublait alors correspond
parfaitement). Ça doit être vers cette époque, ou peut-être un peu plus tard, que nous
avions pris lhabitude de nous raccompagner lun lautre après
lécole. Je me souviens dallers et retours incessants, au gré de nos
conversations, repartir vers la maison de lautre si nous avions encore mille choses
à nous raconter. Je retrouve dinstinct le trajet, les lieux : remonter du
collège jusquà la place Diderot, passer la rue du Petit Cloître où
jhabitais, puis commencer à descendre la rue de
Cette semaine a été riche au boulot. Jen avais perdu
lhabitude, mon temps partiel et mes multiples activités avaient dilué
lintérêt professionnel, que je retrouve avec plaisir. Travailler dans les
ressources humaines, cest fouiller justement au plus profond des ressources et
qualités que nous possédons au travail, matière première. Mon job de chargé de
recrutement my incite pleinement et cette semaine jai été comblé : six
candidats à un nouvel emploi, un poste dexpertise de la qualité, pour faire
simple, et en promotion pour compliquer le recrutement. Compliquer parce quautant il
suffit de faire coller les compétences (le savoir-faire) pour obtenir un emploi, autant
la promotion, le niveau du dessus que lon vise, apporte dautres critères et
questions, quest-ce qui justifie que jen suis capable, quest-ce que je
vais apporter de plus, bref, quel est mon savoir-être. Savoir-être et savoir-faire à
évaluer, double enjeu pour moi avec un objectif bien défini, sélectionner les deux ou
trois meilleurs pour ce job. Boulot horrifiant en apparence, car cest bien de moi
seul ou presque que dépend lavenir de ces personnes, et pas question de fuir :
il me revient dexpliquer aux candidats non-retenus de la manière la plus factuelle
possible, pourquoi je ne les retiens pas. Chances égales pour tous, pas question de
piston, juste évaluer savoir-être et savoir-faire. A ce sujet mest revenue une
expression que nous utilisons : zone de confort. Quest-ce qui va nous faire
sortir de notre zone de confort pour briguer un nouvel emploi, et quels risques
prenons-nous ?
En lisant le
livre de François Maspero consacré à Gerda Taro (voir en Notes de lecture), je me suis
étonné - et cest le propre de cette rubrique - de mapercevoir combien la
photographie ma toujours attiré. Grande fierté pour moi que Raymond Depardon ait
accepté que figure en couverture de Faux nègres
un de ses clichés de
Tolstoï compte beaucoup pour moi. En réalité, pas
plus quun autre écrivain concernant son uvre, mais considérablement en
raison dune histoire personnelle. Comme ne lindique pas forcément mon nom, ma
famille paternelle, originaire de Yougoslavie, sest disloquée dans les remous de la
deuxième guerre mondiale et a fini par sinstaller en France. Mon père, ainé de
six enfants, y a trouvé du travail, a appris le français et a rencontré ma mère.
Longtemps jai été fasciné par cette histoire familiale. Lorsque nous rendions
visite à mes grands-parents, je mesurais lécart qui nous séparait des
autres : une langue un peu bancale, parfois relayée dallemand ou de
serbo-croate avec les plus anciens des enfants. Nous séparait aussi la relégation aux
confins du village : mon grand-père était devenu porcher. Tout cela avait fabriqué
en moi la vague impression dune origine un peu extraordinaire, slave, yeux étirés
et pommettes hautes, et jai guetté longtemps les signes dune telle
hérédité, jusque dans les coutumes du café quon y buvait en permanence, les
gâteaux roulés et les plats typiques que ma grand-mère préparait. Je me sentais à ma
manière un peu de cette descendance, même si on en parlait très peu : tout cela
sétait dissous dans les innombrables péripéties qui avaient suivi le remaniement
des peuples à léchelle européenne après la guerre. Petits secrets, modestes
mystères pour ceux qui, comme nous, tentaient de reconstruire une vie en paix ; on
avait appris pendant les temps troublés que la discrétion valait survie. Mon père,
donc, avait suivi les périples de lhistoire : ballotté au gré des exodes en
Hongrie, en Tchécoslovaquie, il avait eu 15 ans en 1945 pas très loin de Berlin, avait
fêté ses 20 ans en France, années mises à profit pour parler allemand, français et
même un peu de russe, sans oublier bien sûr sa langue dorigine. Un vrai
polyglotte, mais pourtant je ne lai pratiquement jamais entendu sexprimer
autrement que dans notre langue. Encore aujourdhui, il parle avec une modulation
régionale, une manière de rouler certaines syllabes, comme font ceux qui ont appris par
contact direct avec les conversations. Lorsquon me demande comment se prononce mon
nom, je le francise (Baisse-tain-gelle) de la même manière quil a dû le faire à
son arrivée. Un jour, une serveuse dans un restaurant (il était routier et je
laccompagnais parfois dans son camion pendant les vacances) lui a dit quil
parlait parfaitement notre langue et jéprouve encore la fierté que javais
eue à partager ce compliment avec lui. Il nest jamais revenu dans son pays natal,
javais espéré ce retour ensemble et quil me fasse visiter ses contrées
denfance pas très loin de Sarajevo : la guerre de Bosnie au début des années
90 a réduit à néant ce dernier voyage. Revenons à Tolstoï : pour son
anniversaire, nous (ma mère, ma sur et moi) lui avons offert lalbum Pléiade
de La guerre et la paix. Je ne sais pas lâge que javais, 8, 10 ou 12
ans (le livre a été imprimé en 1964), mais je me souviens exactement de la solennité
de cet instant (ou peut-être lai-je magnifié par la suite, cela na pas
dimportance). Cétait manière de lui dire : ton français est si correct
que tu peux lire les 1500 pages de ce livre qui te relie aussi à tes origines slaves. Il
faut imaginer ce que cela signifiait pour nous, modeste famille, doffrir cette
édition prestigieuse. Rien nétait plus beau que ce livre, horizon de tous les
possibles et symbole de cette culture quil maitrisait maintenant parfaitement. La
suite est célébrée, exaltée, commémorée : je me plais à me rappeler mon père
ouvrant avec gravité ce livre pour le lire. A force, jen ai fait un des éléments
déclencheurs de ma passion décrire. Nous avons tous besoin dinventer nos
propres légendes, sont-elles si différentes de la réalité ?
Je sors tout juste dun week-end que javais organisé pour
vingt amis dans les Ardennes avec obligatoirement lombre de Rimbaud dans les
trouées que nous aura laissé le soleil (fierté davoir tout organisé
moi-même !). Cest le château de Charbogne qui nous a accueilli, récemment
transformé en deux gîtes tout confort. Le lieu est très proche de Roche,
Grandes manuvres et petit quotidien, le titre de cette rubrique est
venu comme cela, dun bloc, comme il arrive parfois que le titre dun livre
arrive bien avant que le récit soit entamé pour de bon. Cest souvent une vague
direction à prendre, quelque chose fait pour cristalliser dans notre mémoire le discours
qui se prépare. A savoir ici, les grandes manuvres éditoriales, valse des prix
dautomne dun côté, et lorsquon sort un livre à la rentrée de
septembre, on ny échappe pas, et, de lautre, le petit quotidien prosaïque
qui moccupe, maison, famille, boulot, heures passées sur la route, à préparer des
repas, faire des lessives, du commun donc. Dit autrement, dun côté, une vie qui
méchappe, que je ne contrôle pas, travail éditorial qui saccomplit hors de
moi, avec ou sans manigances, crispations, négociations, quelque chose qui se situe à
Paris, se négocie dans des couloirs, des bureaux, des cocktails, des cafés ; de
lautre, qui ne dépend que de moi, lexistence banale, répétitive, attendue,
faite de province, accomplie dans des cuisines, des buanderies, des jardins, sur la route,
quelque chose sur quoi on a prise, totalement maitrisé (encore que les deux jours passés
à remettre à flot lordinateur de mon épouse suite à la négligence dun
informaticien naient pas été prévus). Je ne sais pas raconter les grandes
manuvres. Je les apprends par Internet (il est vrai que je le consulte souvent,
inquiétude quant au sort réservé à VPAR je
lavoue), on me les annonce par téléphone, jassiste à des rencontres comme
celle de la FNAC dans la capitale où je naurai vu au final quune personne
savancer dans ma file dûment balisée par des rubans comme si jétais un
employé chargé denregistrer un vol à laéroport. En revanche, jai
attendu cinquante minutes dans une file semblable pour une dédicace de Boulet qui
était également présent : cétait loccasion, deux jours plus tard nous
partions pour Bruxelles pour lanniversaire de mon fils (voir en Webcam, par la même
occasion, la fête de la BD). Ainsi manuvres et quotidien se rejoignent parfois.
Pour les manuvres, jai limpression de jouer à un jeu, remarquez :
je le joue volontiers, avec grand plaisir et toujours le sourire, même si au final, je ne
comprends pas grand-chose à ces manuvres. Je dois passer pour un type sympa,
plutôt gentil, un peu décalé (certains mettent des noms doiseaux plus aigres face
à une telle naïveté). Jai limpression de participer, de faire de mon mieux.
En revanche, le quotidien, cest mon rayon. Quil sagisse de préparer un
repas en dix minutes avec trois fois rien, dorganiser mon travail nourricier, de
réfléchir à ma thèse, daller à la boulangerie ou à la bibliothèque de mon
quartier en bermuda et débardeur ou de profiter de lété indien en partant au lac
en vélo pour y nager encore sous le soleil, il faut reconnaître que je suis alors le roi
de loccupation diversifiée de mes journées, avec une liberté épicurienne que
beaucoup menvient. Lavantage de ce petit quotidien tient justement à sa
régularité, autant daccumulations de joies et de bonheurs, tandis que les grandes
manuvres terminent toujours dans loubli tôt ou tard. Ajoutons à cela que je
place dans le petit quotidien les rencontres livresques induites parfois par les grandes
manuvres, à savoir le face à face avec des lecteurs, des journalistes, des
libraires, des amis. Par exemple, la rencontre organisée
à Chaumont avec Francis Zahn la semaine dernière (voir en Notes
décriture), Le Livre sur la place à
Nancy ce week-end et bien dautres choses à venir, par exemple la rencontre prévue
à Montmorency à la librairie Le connétable le
9 octobre, celle à Chateauroux à la libraie Arcanes le 14 octobre et enfin la toute
dernière, planifiée daujourdhui à la librairie Rimbaud de Charleville le 22
octobre, date anniversaire (presque) dArthur (en tout cas, celle de Georges Brassens
cest sûr).
Internet a
vingt ans, cest ce quaffirme François Bon, dans son Tiers Livre,
relayé par dautres pionniers, Christine Genin ou Gilda. Sa première connexion date de 1996. Et tous de se rappeler du
bon vieux temps lorsquon partait se promener dans la verte campagne déserte du Web.
Un peu de nostalgie ne fait pas de mal, alors je renchéris. Ma première connexion, je ne
men souviens pas. Ce devait être probablement au boulot. Il faut imaginer ce
qua été la révolution informatique dabord, dasseoir sur son bureau
une de ces grosses machines dotée dun écran proéminent, qui du jour au lendemain
vous cachait lespace que vous aviez soigneusement agencé, à droite la fenêtre, à
gauche larmoire, la vue dégagée devant vous pour recevoir les visiteurs, les
collègues, les clients, avec, comme seule technologie, un téléphone, un bloc-notes et
un stylo posé sur laplat du bureau. Pour communiquer, on utilisait la parole
ancestrale qui sobtient avec les mouvements de la bouche. Nos pouces maintenant
acharnés sur nos smartphones étaient encore au repos, nous navions pas conscience
de la révolution qui allait suivre lorsquon installait ces gros cubes à cette
époque. On trouvait ça plus moche et plus encombrant que laimable Minitel fourni
quelques années auparavant et qui nous avait ouvert au monde, 3615 code ULLA pour les
parties roses quun certain Xavier Niel avait popularisé. Je possède
dailleurs une photo de boulot
où je trône fièrement, stylo à la main, Minitel dans un coin ; le cliché a été pris
le 19 septembre 1994. Je ne me souviens pas avoir eu de PC installé à cet ancien bureau,
époque racontée dans mon premier livre Central.
Lorsque jai changé de travail en 1995, jai eu doffice un ordinateur à
moi. Des PC, je devais en être à mon troisième à la maison, je ne sais plus, mais je
me souviens de lannée du tout premier, acquis en 1987, pour rédiger la thèse de
mon épouse. Linformatique, donc, je connaissais, jai dû collectionner toutes
les premières versions de Windows, et même avant cette interface graphique,
lorsquil fallait taper à même lécran noir et blanc (plutôt vert
dailleurs), des lignes de commandes en MSdos pour accéder à Multiplan,
lancêtre dExcel ou à dantiques traitements de textes (savoir
quà la même époque Houellebecq travaillait dans linformatique de la même
manière et sapprêtait à le relater en partie dans Extension du domaine de la lutte). A mon boulot,
jai probablement été relié de suite à lIntranet balbutiant de mon
entreprise, mais ma vraie découverte du Net doit dater de 1997 lorsque mon entreprise a
fondé Wanadoo. Grande ouverture sur le monde : je suis allé voir ce quon
trouvait du côté du web littéraire français, et je suis forcément tombé sur le site
de François Bon, seul à lépoque. Jai fini par échanger avec lui un premier
mail en date du 05 juin1998. Savoir aussi que jai participé à la même époque à
démystifier Internet dans le cadre de mon entreprise pour le grand public lors de salons,
présentations. Je distribuais des CD de connexion Wanadoo (à lépoque, il y avait
tellement de CD de connexion divers, Compuserve et autres, que mon beau-père les
accrochait à ses arbres fruitiers pour faire fuir les oiseaux). Lorsque le public avide
de savoir me demandait ce quon pouvait bien faire avec Internet dont on promettait
merveilles (la bulle économique Internet commençait juste de grossir, elle éclaterait
deux ans plus tard), je leur montrais en direct les pingouins du
biodôme de Montréal, webcam chipée sur le site de François Bon. Ah bon, alors
cest ça Internet ? On peut voir en direct des pingouins à lautre bout
de la planète ? Ils repartaient un peu déçus mes interlocuteurs, le rêve du Net
résumé à un zoo à surveiller. Mais cétait lancé, et après tout irait très
vite. Le Modem à 56K qui accompagnait nos connexions de son chant doiseau serait
remplacé par lADSL, inventé dans les labos de mon entreprise, si, si, un peu de
cocorico ne fait pas de mal. Charger une simple photo deviendrait instantané, quasi
légitime : se souvenir quil nen a pas été toujours ainsi. Donc, avec
la technique devenue invisible, viendrait le temps du soft, les versions incessantes de
Windows, la compatibilité de plus en plus affirmée avec Mac, le Web 3.0, les
blogs : on suivrait ou non ces évolutions. Tout cela serait balayé ensuite par les
réseaux sociaux : pareil, on suivrait ou pas, de toute façon, nos premiers pas
internautiques étaient déjà à mille lieues. Les révolutions technologiques
successives seffaceraient de nos mémoires au point où les médias maintenant nous
rabâchent avec admiration que les séniors (entendez les vieux au-delà de 50-60 ans)
sy mettent aussi à Internet : tu parles, cest eux (cest nous) qui
lont (lavons) inventé !
Dans une mise à jour précédente (note décriture du 11/07/2016),
jévoquais les subterfuges des grandes entreprises pour dynamiser leur discours
commercial, parler de « digital » à la place de « numérique »,
ça fait forcément plus jeune, même si ça ne change rien aux possibilités
dusage. Bien sûr nous avons commis des erreurs, laissé traîner le terme NTIC
(Nouvelles Technologies de lInformation et de
Jai un
fichier Excel, intitulé vacances.xls depuis deux dizaines dannées. Installé
successivement sur la cohorte dordinateurs qui me suivent depuis linvention du
personal computer (il faudra songer à
renouveler lactuel, obsolète et plein comme un uf ), ce fichier a pour
vocation de dresser une liste de ce quil ne faut pas oublier lorsquon part en
vacances. Il y a divers rubriques, camping, sports dhiver, plage, agrémentées au
fil des voyages. Cest pratique, on édite la liste avant de partir, on coche ce
quon entasse dans les valises au fur et à mesure. Bref, cela contredit limage
persistante et injustifiée qui nous a toujours poursuivi dune sorte de
désorganisation latente et familiale. Jai remis à jour récemment cette liste.
Cest très instructif. On mesure à la fois le temps qui passe, les enfants qui ont
grandi et sont devenus indépendants (abandonnés les jeux de plages, bouées, divers
seaux, pelles et râteaux, mais fini aussi les devoirs de vacances). On mesure également
les activités persistantes (regarder les poissons avec masque et tuba), celles qui ont
pris de limportance (ne pas oublier la montre GPS pour la course à pied, ni la
cohorte de chaussures spécialisées trail,
randonnées, montagne), celles qui ont disparu (laquarelle, la pêche sous-marine et
une éternité que je nai pas fait de ski). Mais cest surtout dans le domaine
technologique que les choses ont le plus bougé. A lépoque, il nétait pas
question dembarquer lordinateur, obligatoirement « de bureau » au
début des années quatre-vingt-dix. Les téléphones portables nexistaient
pas : je viens juste de supprimer la ligne du fichier qui indiquait « carte
téléphonique », seul moyen à lépoque pour garder le contact avec quelques
proches. La plupart des cabines téléphoniques ont dailleurs également disparu.
Exit aussi la caméra avec laquelle je me souviens avoir filmé une heure durant ma fille
tournant sur un manège pour la première fois, long métrage que je comptais présenter
hors compétition au festival de Cannes et aujourdhui introuvable. Je lai
remplacé par un appareil-photo (tous sont capables de filmer ainsi que le moindre
téléphone portable), mais jemporte avec lui une collection impressionnante
dobjectifs en tous genres. Se sont rajoutés des tablettes, IPad, smartphones,
ordinateurs portables qui nécessitent un sac complet de chargeurs en tous genres et
daccessoires divers. A fortement augmenté la rubrique livres, toujours aussi
impressionnante pour nous (cest le moment privilégié pour moi de lire mes
Pléiades) mais qui sest doublée lannée précédente avec la venue des
enfants, prof et encore étudiant, même si les liseuses sont maintenant de sortie et font
gagner de la place (ça fait un chargeur de plus).La seule chose qui demeure à peu près
stable sont les habits, il faudra toujours un maillot de bain et un pull pour les soirées
fraîches, une cape de pluie pour la randonnée. Bref, plus on séloigne du corps,
plus le monde a changé. Et encore. Dans les années quatre-vingt-dix, au début de ce
fichier vacances.xls, nous aurions regardé comme des bêtes curieuses ces individus au
boitier greffé au bout dune des mains, yeux rivés dessus et ignorant des autres. O tempora, o mores
Si jen
crois Feuilles de route, qui me sert de mémoire
depuis 2000, cest la quatorzième fois que je passe mes vacances en Sicile, dans le
lieu habituel que nous avons fini par surnommer « the pink house » avec notre
logeuse, sicilienne pur jus, mais ancienne professeur (professeure ?) danglais. Si
notre joie est extrême de retrouver les bancs de pierre, les deux terrasses, les chaises
longues, les jarres de géraniums et le bassin aux nénuphars (nénufars ?), colonisé par
un essaim dabeilles (voir ces détails en Webcam),
chaque année est différente. Pour la première fois, jai dû faire appel à une
dépanneuse pour mon véhicule (neuf, un comble !) et lors de cet arrêt forcé
dune nuit au sud de Florence jai appris la tragédie de Nice par sms dun
ami. On relativise ses propres petits inconvénients en face de ce drame. Quelques jours
plus tard, nous avons lu lassassinat du prêtre
dans le Corriere della sera. Dès lors,
la sollicitude dont nous faisions lobjet à lépicerie, au café ou chez
ledicolo sest accrue dans ce pays
où la séparation de léglise et de létat na pas eu lieu et où les
crucifix ornent tous les lieux publics, poste et office de tourisme compris. Je nai
pas regretté dêtre ailleurs pour recevoir ces informations, la parole unique et
guerrière que nous tenons en France depuis des mois maurait probablement encore
plus énervé. Ceci dit, être ailleurs nous en apprend beaucoup sur la manière dont est
diffusée linformation, les sujets qui préoccupent les siciliens étaient axés sur
lintervention en Lybie (il est vrai que les bombardiers américains décollaient de
cette île, très près de chez nous) et le problème des réfugiés, car nous avons beau,
français, nous mettre les mains devant les yeux, cest bien en Italie quils
arrivent en grande majorité. Ainsi ce pays me parait plus humain, plus compatissant, et
notre politique est toujours autant conspuée depuis 2012, ça en dit long sur notre image
internationale lorsquun passant, à lissue dune conversation de
trottoir, traite notre président de cretino.
Oublions, car la Sicile est synonyme de délassement, et la présence de nos meilleurs
amis nous a permis dapprécier chaque instant, du ristreto du matin, sur la place, juste après la
course quotidienne et encore en sueur, en passant par les inévitables pasti, la plage du soir, voire dautres
évènements plus attendus comme ce magnifique opéra au théâtre
antique de Taormine, ou le traditionnel feu dartifice que les habitants ont la
gentillesse de moffrir le lendemain de mon anniversaire. Retour donc, sans encombres
cette fois, et jécris cela à lissue de ma première journée de reprise.
Je suis très
content davoir enfin résolu cette histoire de liste de diffusion qui ne
fonctionnait plus depuis des lustres. Pour me simplifier la vie, javais utilisé un
service de mailing, mais qui a cessé de fonctionner au bout de quelques années. Ça en
dit long sur la pérennité du Net : ce qui nest pas commercial ou rentable est
voué à disparaître. Bref, on nest jamais mieux servi que par soi-même, jai
donc bidouillé avec mon vieux Front Page 98, un système dinscription et de
désinscription à une liste que je gère moi-même, via ma messagerie. Comme je nai
pas pu récupérer les adresses inscrites (pas loin de 70 je dois me souvenir), jai
repris les historiques des mouvements de la précédente, du moins ceux que javais
gardés, et ma liste toute neuve compte 38 membres (je dois en rajouter, je me suis
aperçu de quelques oublis). Jai déjà reçu des messages sympathiques qui
mont conforté dans mon initiative. Effectivement, chaque semaine, le petit message
qui commence par « Chers amis de Feuilles de route » est un usage pratique
pour qui fonctionne encore avec sa boite mail. Car on essaie de nous faire croire que
cette utilisation est en perte de vitesse (voir en regard ma note décriture sur la
digitalisation). Cest pour moi bien agréable dadresser ce petit signe à ceux
qui ont fait la démarche de sinscrire, et bien commode jespère pour ceux qui
le reçoivent daller faire un petit tour sur mes pages de temps en temps. Cest
manière de dire quon existe encore un peu lun pour lautre. Je connais
une bonne partie de ceux qui figurent dans ma liste et jai toujours grand plaisir à
répondre à qui minterpelle à loccasion dune de mes mises à jour. Il
est vrai que celles-ci ont été moins régulières pendant une quinzaine de mois, raison
pour laquelle je ne me suis pas occupé de la liste en panne. Mais je suis beaucoup plus
constant depuis le printemps, jai repris ces habitudes internautiques qui prévalent
depuis seize années. Seize années ! Soixante-quatre saisons ! Certains me
suivent depuis le début et, comme moi, ont traversé toutes les évolutions du Web. Dans
cette même rubrique, javais annoncé le 21 juin dernier labandon de cette
liste, mais il semblait quil me manquait un rouage important dans la mécanique
vieillotte de FdeR. Pareillement, il y a quelques années, je métais doté
dun fil RSS, mais je nai jamais trop compris lintérêt et sil
était utilisé. Jai hésité à minscrire sur les réseaux sociaux, Twitter
ou Facebook, pour informer le monde de mes mises à jour mais, par principe,
jai toujours été réticent à my fourvoyer. Et puis les like
ménervent, je nai pas envie daccepter des dizaines damis
échoués pour deux minutes sur ma page Facebook, je nai pas envie de
converser avec, de touitter ma vie en 140 caractères, je ne veux pas me hacher en petits
bouts, me hachtaguer à tour de bras, Internet reste un outil mémoriel, un moyen de
communication, seulement cela et celui que jai fabriqué, même sil nest
pas très élégant, me convient parfaitement. Rimbaud avait choisi la liberté libre,
elle commence pour moi par la maîtrise de ce que jai bâti avec mes petits bras
numériques.
L'aiR Nu,
rien à voir avec Charles Hernu, ministre impliqué dans l'affaire du Rainbow Warrior.
Je tente en
ce moment dêtre très régulier dans mes mises à jour (voir ici même, semaine
précédente). Dans mon moteur à trois temps, il y a cette rubrique, Etonnements, donc
incontournable. Lidée métait venue il y a très longtemps, du temps où les
japonais venaient en nombre en France au début des années quatre-vingt, piquer quelques
idées dans nos entreprises. Au retour, leur patron demandait, en plus de
linévitable compte-rendu de leurs visites professionnelles, un rapport
détonnement, sur ce qui les avait surpris dans notre pays, culturellement, dans les
murs, habitude, vie courante ou faits divers de nos concitoyens. Au premier abord,
on pourrait penser que cest facile, mais, répété chaque semaine, cest un
exercice exigeant, surtout quand on a la tête dans le guidon, que lactualité est
si prévisible (loi travail, politique, euro de football). Prendre de la hauteur
nest jamais naturel, on peut se laisser aller à des considérations terre-à-terre,
des problèmes domestiques récurrents, nos lamentations existentielles ou
météorologiques, printemps pourri, etc
Cette semaine, jai pas mal bougé
(cest comme cela depuis lautomne précédent) Reims, Paris deux fois, dont une
galère ferroviaire qui ma fait louper les libraires que je devais rencontrer.
Ajoutons à cela le travail dans les creux, lorganisation en trois jours pour
laquelle jai opté depuis septembre mais qui oblige à une plus grande rapidité et
souplesse parce que la charge na pas diminué pour autant. Donc, sarranger
avec cela, je ne compte plus les coups de fils professionnels, portable coincé à
loreille en train de faire la cuisine, une lessive, les fichiers décriture
servis entre deux mails de boulot, et puis garder un peu de temps pour aller courir,
histoire de conserver un semblant de forme. Il y a aussi cette fête familiale que je
co-organise pour la fin de cette semaine, soixante personnes dans un verger, ça na
lair de rien, mais cest barnums, table et bancs, repas et boisson pour deux
jours, entretien préalable de lendroit, toilettes à construire, groupe
électrogène à aller chercher à
Cest
fragile encore : après avoir été plus inégal pendant une quinzaine de mois
(seulement 10 mises à jour en 2015, alors que cela dépassait toujours une quarantaine
par an) jai repris assidument lactivité de ce site, cest-à-dire que je
my penche une fois par semaine, et cest le rythme qui prévalait depuis la
création de Feuilles de route, il y aura
prochainement seize ans. Le moteur à trois temps (mises à jour de trois rubriques chaque
semaine, note détonnements, note décriture et note de lecture) a ainsi
repris. Quand jy pense, lirrégularité de ces derniers mois est peu de
choses, il faut tenir seize ans dans les aléas de sa propre vie et dans le monde qui
bouge autour de soi. Et donc World Trade Center,
guerres en tous genres, Feuilles de Route,
commencé sous Chirac et Jospin, a continué cahin-caha, frêle esquif descendant la mer
du web dans les remous familiaux, disparition de proches et évènements heureux
confondus. Justement Internet : jai réussi à maintenir le site à flot,
toujours élaboré avec un vieux Front Page 98. Cest un peu comme si vous tentiez le
tour du monde sans pièces de rechange avec lAlfa Roméo des années Trente de
Blaise Cendrars (voire même rubrique semaine
précédente). Avec toutefois une différence, les voitures ont toujours des pneumatiques
alors que pour le Net, ce sont les véhicules mêmes qui ont changé, tweeter, facebook,
LinkedIn : le monde est digital et moi je touche du bois pour que mon rafiot FdR tienne encore un peu. Cest ma mémoire
qui est ici en jeu au fil des mises à jour, de mes photos, de mes voyages, de mes livres.
Ceci dit, jai abandonné ma liste de diffusion. De toute manière, elle ne
fonctionnait que de manière aléatoire via un gestionnaire de liste inefficace et puis je
ne sais pas trop ce que deviennent les e-mails quon y colle. Vous y étiez
peut-être inscrit, ça faisait un petit signe hebdomadaire à mes « chers amis de
Feuilles de route », ainsi que je débutais chaque message, sachez que vous
mêtes toujours aussi chers, mais je préfère que vous alliez de vous-même sur FdR de temps en temps, fréquemment ou jamais. A
chacun de sorganiser, le web est devenu diffus, complexe, divers, tout est y
présenté de manière égale, cest à chacun, me semble-t-il, dy inventer des
chemins coutumiers . Facile, vous vous dites de temps à autre : Ah oui,
quest-ce quil devient au fait ? Vous tapez sur Google mon nom (je sais il
est long, 11 caractères, et compliqué, on ne sait jamais écrire le début
) : Feuille de route est généralement indiqué le
premier, avant la notice Wikipédia qui me concerne et que je nai jamais réclamé.
Voilà, cest simple et cest en quelque sorte votre feuille de route pour FdR.
Villégiature :
cest exactement le mot que jutilise. Et je le regrette aussitôt : au
type qui mapostrophe dune table voisine alors que je suis en train de dîner
(assez tôt, 20 heures peut-être) dun plat de moules-frites en terrasse sur cette
plage de Mer du Nord, au type qui me hèle ainsi : Vous êtes en stage ? Je
bafouille, réponds que oui, jusquà présent, me crois autorisé dajouter
que, ce soir, je suis en villégiature. Je regrette ce mot : trop précieux,
suranné, belle époque et bains de mer. Jaurais dû dire que jétais de
passage. Dailleurs le type ne sait pas quoi faire de ma réponse. Il aimerait bien
lier conversation, lui qui mange sa raie tout seul et moi mes moules, identiquement
isolé, forcément ça rapproche. Et puis, lorsquon est ainsi interpellé, on se dit
(cest mon cas) que le type en question est un gêneur, quil va vous gâcher
votre repas tranquille en terrasse avec le soleil du soir qui descend sur la nuque. Un peu
plus tard, inévitablement, il récidive : Elle sont bonnes, ces moules ? On
acquiesce, ça fait partie du jeu. Et puis comme le patron arrive, il entame la
conversation, cause bagnoles avec lui, cest comme cela que je comprends quil
est collectionneur. A la fin du repas, on continue toujours de se parler de temps en temps
(questions, réponses) dun bout de la terrasse à lautre. Pour plus de
facilité, il vient terminer son vin à ma table. Voilà : il est assureur, il aime
les vieilles autos, dailleurs il est venu pour un rassemblement de MG dans le coin.
On parle voitures donc. Je my connais un peu, évoque lAlpine A110 dun
voisin quil a acheté neuve en 1973 et quil possède toujours, la vieille MG verte dun copain dans laquelle
javais fait un tour (je me souviens, nous avions récupéré mon fils au retour
dun voyage scolaire et eu toutes les peines du monde pour caser sa valise dans la
décapotable). Bref, il dit : Ça vous dirait de voir ma MG ? Le soleil est
encore chaud, le crépuscule tranquille, le repas terminé et le vin plutôt bon, personne
ne mattend à lhôtel que jai prolongé dune nuit supplémentaire
pour cause de villégiature. On y va. Elle est sur un parking devant une résidence front
de mer. Magnifique ! Une MG de course, un racing-car
sans garde-boue sur des roues à rayons, derrière le radiateur le long capot
sévase, maintenu par une sangle de cuir, larrière est effilé, se termine en
goutte deau, lhabitacle est semblable à un cockpit davion. Elle me fait
immédiatement penser à lAlfa Roméo que posséda Blaise
Cendrars au début des années Trente, à lépoque où il partait au Brésil. Il
désigne limmeuble front de mer : Jai un appartement ici, on va boire un
verre ? Ça fait drôle, cest sûr, cest inattendu, on se demande sur qui
on tombe dans ce genre de rencontre. Chez lui, lassureur dit quil y met
rarement les pieds : on le loue pour lété mais la saison na pas
commencé. Il fouille dans un placard, en ressort avec une bouteille de Ballantine. On va sasseoir sur le balcon,
face à la mer. Ça aurait été dommage de ne pas profiter du spectacle : le soleil
na pas encore rejoint lhorizon, on est à cette heure particulière où tout
se noie dans un gris métallique et irisé à la fois. Ce fût une belle journée. Peu de
mots donc devant ce spectacle où chacun sirote son verre, assis dans un fauteuil en osier
en regardant le rivage. Peu de mots comme si tout avait été dit au resto,
cest-à-dire si peu de choses. Pas besoin den savoir plus, chacun sa vie. Je
lui raconte toutefois que sa voiture me fait penser à celle de Blaise Cendrars. A sa
tête, on devine quil ne le connaît pas. Ben justement, je vous fais visiter
Hardellot avec la MG ? Nous voilà partis. Conduite à gauche bien sûr, bruit
superbe, échappement en prise directe, les pieds contre le bloc moteur, vibrations :
quelle voiture moderne est capable de nous restituer pareilles sensations ? La
classe : je suis Blaise Cendrars... Au retour, nous finirons chacun notre whisky.
Cest là que je photographie la voiture avec mon portable, sur
une place de parking en-dessous du balcon. Cest plaisant. On ironise sur la
situation : deux heures avant on ne se connaissait même pas, et je me retrouve en
train de siroter un verre face au soleil couchant, après avoir fait le tour de la petite
station balnéaire encore déserte, dans un bolide davant-guerre. On échange
adresses, mails. Je prends congé. En repartant, jessaie de repérer les livres de
sa bibliothèque, je remarque une édition de luxe de Corneille. Il me redépose devant ma
voiture (récente et confortable, mais pas de collection) avant daller ranger la
sienne au garage. Jaurai finalement peu appris de lui, lui peu de moi, ne sait même
pas que jécris. Je note tout cela en étonnement pour men souvenir, ça
ferait une bonne nouvelle à écrire, une quon réserverait à un recueil appelé De passage ou Villégiatures.
Il pleut,
printemps pourri, inondations. Dans les journaux télévisés, on se rappelle les crues de
1910, on sollicite les données des spécialistes, on consulte nos mémoires, on dit même
que cest le printemps le plus pluvieux depuis que la météo existe. Je possède
aussi une météo des jours depuis 2009, date à laquelle jai entrepris de noter
très régulièrement mes entrainements et mes courses à pied et, très régulièrement,
le temps quil faisait pendant que je courais. Ainsi, on garde le souvenir de
lannée précédente particulièrement chaude et si jai indiqué le 24
mai avoir pique-niqué sur la plage du lac du Der en prenant des coups de soleil, il
faisait toutefois 12°le lendemain, avant de reprendre un temps caniculaire le 5 juin. En
2014, le jour où jécris cette rubrique, javais noté « temps
splendide ». Il est vrai que je me baignais au dehors depuis le 29 mars. Ceci dit,
le printemps 2013 devait être par contre morose : jai écrit le 2 juin
« du soleil enfin ! ». En revanche, le 25 mai 2012, javais couru
sous la chaleur le plus tôt possible car on sattendait à atteindre 30° dans
laprès-midi. Le 2 juin, la chaleur navait pas cessé et je me souviens
dun 10km particulièrement éprouvant à Châlons avec 26° encore à 19h.
En ce moment,
je peux bien faire un résumé de la semaine écoulée, car je suis régulier dans mes
mises à jour de ce site et il ne sécoule donc pas plus de huit jours entre le
remplissage de mes rubriques. Jécris donc cette rubrique étonnements un samedi à
14h43, dans mon bureau. Derrière moi, par le fenêtre il y a la pelouse que jai
tondue ce matin, on annonce des orages, mieux valait profiter des instants secs et encore
chauds. Après avoir tondu, nous nous sommes rendu chez un cousin pour organiser une fête
familiale, je retiens aussi avoir discuté avec ma cousine à propos dun passage de
Zola concernant les langrois, habitants de ma ville natale. Instants de tranquillité
donc, débutés hier où jai travaillé à la maison, sollicité assez âprement par
mes collègues, mais les trois jours de boulot par semaine pour lesquels jai opté
depuis septembre, même sils ont lavantage de me laisser morganiser pour
dautres activités littéraires, réunissent la même charge de travail que
javais auparavant dans ma semaine de cinq jours. Je me suis donc aperçu que je
terminais les derniers coups de fils professionnel à 19h. Cette semaine mes trois jours
de travail nourricier auront été dispersés.
Jai commencé la semaine lundi avec un rendez-vous à Lille et javoue que les
Berlin :
comment ne pas penser à Dublin, un mois auparavant ? Aux Dubliners de Joyce, John Fitzgerald Kennedy répond
le 26 juin 1963 « Ich bin ein berliner »,
dans le fameux discours prononcé depuis un balcon de lhôtel de ville de
Schöneberg, deux ans à peine après lédification du mur. Moins de cinq mois
après, le président des Etats-Unis sera tué à Dallas. Berlin donc, marqué par
lhistoire au même titre que Dublin, éternels conflits politiques et la litanie des
crispations humaines qui accompagnent ces luttes de pouvoir. En débarquant à Berlin, on
est frappé, en revanche, de la différence de taille qui existe avec la capitale de
lIrlande. Autant Dublin peut se parcourir à pied, autant découvrir Berlin
nécessite train, métro, marche à pieds, bus, vélo
La ville est gigantesque, les
parcs et les forêts la parcourent, la plus grande avenue, parait-il, est longue de
Je suis
dévidence plus violon que piano, pour la même raison que plus Beckett que Proust.
Aucun rapport avec les instruments de prédilection de ces deux écrivains. Beckett,
sil ne rechignait pas à se mettre au piano et à senflammer sur un lieder de Schubert, avait des gouts
particulièrement éclectiques en musique, loin de la truculente sonate à Vinteuil,
décrite par Proust, mais qui me semble enfermer le piano dans une aristocratie élitiste.
Le violon est plus démocratique, et la difficulté de son apprentissage na rien à
y voir. On peut devenir un pianiste correct à loreille, mais le violon nécessite
une virtuosité qui rend obligatoire un enseignement. Violon démocratique et piano
aristocratique donc, versus Beckett contre Proust. Pourquoi démocratique le violon ?
Par que cest un des rares instruments quon pratique en groupe, il suffit de
regarder la troupe imposante des violons dorchestres, chacun son petit ou grand
rôle, tel des ouvriers à lusine, des fonctionnaires de la république. Pratiquer
le piano, cest prendre le pouvoir, régner seul, jouer pour soi-même :
monarchie absolue. Enfin, ce sont les arguments de mauvaise foi que jutilise pour
dresser violon contre piano. A la réflexion, je suis violon par amour pour celle qui en
joue juste à côté de la pièce où jécris, cest le seul argument qui
vaille. Mais si jai eu envie décrire cette rubrique, cest parce que
jai entendu jouer au piano une pièce plutôt dévolue au violon, la fameuse
Chaconne de Bach. Il y a parfois des miracles qui vous atteignent un jour de grève en
tous genres, dans la voiture par exemple, en traversant les paysages de craie de
Dans la
grande bousculade des semaines précédentes, Dublin, Londres, Dunkerque dans
lémulation dynamique des projets décriture, la formation de trois jours à
Paris pour mon boulot qui suivait sans me permettre de poser mes valises
mapparaissait comme superflue, moi qui arrête mon travail dans un an. Il
sagissait de mettre en uvre un questionnaire de personnalité au travail.
Jai déjà eu loccasion de tester ce genre doutil bien utile pour qui
est, comme moi, chargé de recrutement, à condition, comme pour toute chose, que les
résultats, interrogations quil suscite, soient modérés, intégrés dans une
discussion claire et sans a priori. Il y a
beaucoup de choses à apprendre de ce genre de questionnaire, à commencer par le fait
quil est entièrement induit par les réponses quon a fournies à quelques 200
questions, il y a donc une part de soi-même, et, dans linterprétation qui nous est
faite, il faut surtout s'attarder sur celles qui nous surprennent. Bien sûr, jai
fait le test pour moi-même. Deux surprises : il semble que je déploie un10/10 sur
la composante « énergie » et un 0/10 sur la composante « esprit de
compétition ». A la réflexion, cela ne me paraît pas très étonnant. Jai
lhabitude de dire que jai deux métiers avec lécriture, le temps de
laction est toujours bousculé et rapide pour moi. Il me faut donc de
lénergie. A la réflexion aussi, lesprit de compétition à zéro nest
pas non plus très étonnant, vu la relation que jai avec tout objectif, résultat,
qui me semblent être que la manifestation de la grande comédie humaine (pour preuve
aussi, le relatif détachement avec lequel javais appris ma sélection au Goncourt
deux fois de suite et mon indifférence par rapport à la nomination finale). Avec un
esprit de compétition à zéro, c'est la liberté maximale de faire ce que l'on a envie.
Ceci dit, lénergie déployée en art de vivre possède aussi quelques
inconvénients que lon retrouve dans le questionnaire. La confiance en soi, la
manière de ramener ma fraise, parfois à tort et à travers va de pair avec, et, plus
étonnant, ma capacité élevée déviter les conflits, qui tient plutôt de la
fuite à mon niveau, probablement pour ne pas perdre de temps. De la même manière, pour
répondre à lénergie et continuer davancer coûte que coûte, le
questionnaire fait apparaître que je me soucie peu de savoir ce que les autres pensent de
moi, je suis tout à fait daccord, mais aussi que je me soucie en retour assez peu
des autres, mon attention est parfois diffuse, et en plus je fais assez peu
confiance : traits qui me seront confirmés avec sourire par la personne qui
mest la plus chère et proche alors que je mouvrais de ces résultats...
Pourtant il me semblait que jétais assez dans lempathie (mais lempathie
nest pas lécoute
) provoquant sans cesse des rencontres avec les gens
que jaime bien (voir en rubrique décriture, cette même semaine), mais
peut-être est-ce principalement pour répondre à ce besoin maladif daction et
dénergie que je puise à travers les autres. Il apparaît aussi que je naime
pas trop le changement. Ce qui est vrai dans les faits : jhabite depuis plus de
25 ans au même endroit, je fais le même job depuis 13 ans, jai besoin de cette
stabilité pour me donner cette impression dénergie et rabâcher à longueur de
temps que je ne cesse de bouger, de voyager, ce qui est linverse de cette
stabilité
Bref, on apprend plein de choses sur soi-même avec ce genre de
questionnaire. Je comprends par exemple pourquoi je narrive pas à concrétiser ma
thèse : ma composante « autodiscipline » est faible, ce qui veut dire
que je me déconcentre facilement envers des tâches que je juge ennuyeuses, comme de
devoir prouver, argumenter, citer, ce qui est le propre de la recherche universitaire, et
absolument pas ma tasse de thé, comme on dit (heureusement, cest un peu compensé
par une note moyenne en « contrôle de soi »). Le bénéfice dun tel
test est de faire prendre conscience de travers qui nous surprennent, heurtent parfois
même limage quon se faisait de soi. Pour moi, je vais essayer de faire plus
attention à et plus confiance aux autres. Et, en tant que chargé de recrutement, lorsque
jendosse mon métier, est-ce que je me recruterais au vu de mes résultats ?
Oui, avec une énergie à 10 (avec toutefois le doute de savoir si je ne passe pas mon
temps à brasser de lair en vain
), mais certainement pas dans un métier de
commerce avec un esprit de compétition à zéro. Ça tombe bien, je nai aucune
appétence pour la vente et je nai jamais été carriériste.
Dublin,
cest dabord une grande joie : six ans que des vacances ne nous avaient
pas réunis tous les quatre. Cest aussi mesurer combien les enfants ont changé,
leur indépendance de jeunes adultes, leur anglais parlé couramment, cette manière de
nous servir de guide, de renverser les rôles qui jusque-là nous étaient dévolus. Et à
travers leur dynamisme, Dublin ne demande quà se révéler. Cest la première
fois que je mettais le pied en Irlande. Choisir Dublin comme entrée, cest à coup
sûr séloigner des clichés de carte postale. La ville est cosmopolite et so british à la fois, elle est soignée mais
possède des coins plus sombres, elle allie le fameux flegme anglo-saxon et la bousculade
dune capitale. Lannée 2016 est idéale pour ce voyage : cest le
centenaire de lindépendance de lIrlande et les animations, expositions
supplémentaires sont nombreuses. La journée type du
dublinois souvre par un breakfast et le bite of life que nous avions choisi à deux pas de
lappartement était idéal : endroit minuscule mais feu de tourbe dans la
cheminée pour nous accueillir dans la fraicheur matinale, gentillesse et humour des barmaids, excellence de leurs eggs and sausage, fruit juices, white coffee. Les
habitués sont nombreux, certains ne font que passer, prendre à la va vite un en-cas qui
sera mangé dans le bus, dautres sinstallent, lisent le journal. Cest
après que nos chemins se séparent, le dublinois vaque à son travail, chacun dans son
style, piercing et cheveux colorés, ou
impeccablement vêtu de tweed, nous jouons au touristes, nous visitons la prison où les
sympathisants de lIRA ont été persécutés il y a un siècle, nous entrons dans le
mythique Trinity collège. Vieux rêve pour moi de découvrir le fameux lieu qui a réuni
Beckett et Wilde, de marcher sur les traces de Joyce. A parcourir ainsi la ville, la
journée passe vite, Dublin est une ville qui arrête tôt ses activités pour réunir à
nouveau ses habitants et les touristes dans les pubs. Je pensais, avant de venir, que
cette image était une illusion, un peu comme ces vieux bistrots de campagne en France,
souvent désertés, mais il nen est rien, le pub est une véritable institution et
le vrai dublinois nimagine même pas terminer sa journée sans une pinte de Guiness
tranquillement bue sur lun des multiples comptoirs dun de ces établissement
à étages et recoins qui jalonnent la ville. La musique, bien sûr, et son côté
folklorique est indispensable à lambiance. Etre dublinois donc, dans lesprit
de Joyce. Je me suis ainsi acheté une version de Dubliners,
histoire de le lire dans la langue dorigine, avant de le compléter par
lexcellente traduction quoffre
Jean-Pierre
Coffe : le nom mest revenu il y a quinze jours en emménageant mon fils à
Bruxelles dans son nouveau logement. Je suis tombé sur le recueil de cuisine que je lui avais fait dédicacer lorsque
je lavais rencontré au salon du livre du Mans en 2010. Nous étions voisins, il
signait ses nombreux livres et jattendais le chaland avec mon roman Retour aux mots sauvages. Il en reste une trace
dans ce même site en note d'écriture du 29/10/2010, en étonnements aussi à la date du 29/12/2010. Entre deux
Depuis
septembre dernier, je travaille moins : trois jours par semaine à la place des cinq
habituels. Attention : ne pas croire que ma charge de travail diminue dautant,
elle est restée la même, simplement, il a fallu que je morganise autrement, et
cest fou les tâches que lon accomplissait par habitude et qui sont, somme
toute, inutiles. Ça en dit long sur linanité du travail et la part de comédie qui
préside à nos gesticulations laborieuses. Heureusement, jai la réputation de
travailler vite. Bien sûr, tout nest pas aussi simple et, lorsque je reprends le
travail du lundi après lavoir délaissé depuis le mercredi soir, je mets la
journée à me remettre à flot, les deux jours suivants sont consacrés à faire avancer
les projets en cours, sans compter les rendez-vous et réunions, qui se réduisent
spontanément pour cause dabsence, ce qui prouve quon nest jamais
indispensable. Puis le mercredi soir arrive et me voilà en week-end. Enfin, façon de
parler. Car si jai opté pour cette diminution de mon activité nourricière,
cest dabord, parce que jai pu le faire, en avoir
« lautorisation » de mon entreprise, et les deux jours par semaine
dégagés ont été aussitôt recouverts par les autres activités : je peux accepter
maintenant volontiers les sollicitations littéraires, et je ne men prive pas,
pourvu que je puisse les caser pendant les deux journées de libre. Ceci dit, la
diminution du travail traditionnel samplifie dun étrange phénomène :
on se sent, du coup moins impliqué, on se détache plus de ses collègues, de toute
lorganisation qui était jusque-là habituelle et récurrente. Pire : à vous
voir plus souvent à la maison, vos proches vous imaginent déjà à moitié en retraite,
donc, plus disponible, ce qui est un leurre
Pour preuve aussi, la difficulté à
concilier toutes ces activités qui sentrecroisent : ainsi, après avoir passé
deux jours à Dunkerque et une autre à Paris, du côté des livres, jai oublié de
me rendre à une réunion à Lille dans les jours où jétais censé reprendre mon
travail
Pour donner le change, se sentir
moins coupable den faire moins (ça en dit long sur ma vision du boulot), je me
justifie, je tombe dans lécueil daffirmer que jai bossé 40 ans sans
interruption, ce qui est juste dû au hasard et au bonheur davoir été en bonne
santé, aucune gloriole à avoir. Dans un an, en principe, mon activité nourricière
diminuera jusquà zéro. Et pour quelquun quon a catalogué comme
écrivain du travail, ça va me paraître étrange. Comme me dit ma mère : Lorsque
tu ne pourras plus écrire sur le travail, écriras-tu sur les retraités ?
Cest
Dominique Viart qui affirme : Vous faites des ateliers décriture. Enfin, il
dit une phrase de ce genre qui ne me laisse aucune ambiguïté, alors que des ateliers
avec toute la logistique que cela suppose, je nen fais plus depuis des années. Les
seuls et derniers vrais ateliers, cest-à-dire structurés, sur plusieurs séances,
ont eu lieu entre 2005 et 2007. Çà et là, bien sûr, il y a bien eu quelques séances
isolées, plus pour faire toucher du doigt ce que peut être lécriture, ses
manifestations et ses contraintes, à loccasion généralement de rencontres dans le
milieu scolaire. La dernière en date était à Villepinte avec deux classes de
troisième. En réalité, Dominique Viart na peut-être pas tout à fait tort. En ce
moment, janime un vrai atelier destiné à faire écrire trois textes à trois
classes de primaires de Dunkerque, de CE2 à CM1, pour notre projet Instant handball (voir en Webcam, quelques
photos). Ces textes ont vocation à être incorporés dans le livre dart que nous
projetons. Ce projet me ravit, car il est porté simplement par lidée que nous
avons eu au départ avec lami Alain Delatour, de faire cohabiter sport, culture et
littérature. Bref, un projet individuel qui vire au collectif, bien dans lesprit du
handball, dailleurs.
Cela fait
deux mois révolus que je nai pas rédigé de mise à jour. Je me sens comme devant
un ami qui séloigne, ou plutôt quelquun quon ne revoit plus, non parce
quil ne nous intéresse plus mais parce que les chemins différents, le quotidien
bifurque, provoque une désaffection qui nous rend parfois presque coupable. Alors que la
bonne question serait peut-être de savoir pourquoi on a fréquenté plus assidument cette
connaissance, cet ami auparavant. Mon ami Feuilles
de route, diffus et sans visage, est ainsi. Et comme lorsquon retrouve
quelquun perdu de vue depuis longtemps, on ne sait jamais trop quoi raconter.
Quelles sont les nouvelles depuis la dernière fois ? La fin du livre entrepris
depuis longtemps bien sûr, mais jen parle dans la rubrique note décriture,
ici, il sagirait plutôt du quotidien et à part un « chez toi ça
va ? » et une réponse affirmative, je ne vois pas grand-chose à raconter, ou
plutôt probablement trop, limpression dune bonne période, des projets
avancent, en premier lieu, ce fameux Instant
handball qui a pris une dimension presque olympique, en tout cas mondiale, puisque le
projet que je même avec lami Alain Delatour a reçu le soutien de
Eh oui, 2015,
heure des bilans, bilan des courses, bilan de la vie courante, sans savoir où a primé la
précipitation, où sest diluée la tranquillité qui a fait de 2015 une année
heureuse à beaucoup dégards. Je sais : à lheure actuelle où le
marasme collectif et le bilan noir de lannée précédente naugure pas
grand-chose pour celle qui arrive, se réclamer du bonheur est un égoïsme sans nom, une
hérésie qui napporte vraiment rien : a-t-on déjà vu un écrivain joyeux
faire uvre ? Peut-on avec sérieux considérer un type qui vous rabâche à
longueur de temps quil est heureux ? Est-ce que le bonheur, au final, ne lui
portera pas malheur ? Tant pis, jendosse tous ces costumes de clowns, ces
nez-rouges, ces maigres ambitions, ces résultats médiocres. Quon juge : les
mises à jour de ces Feuilles de route ont été
quatre fois moins nombreuses en 2015 que dans les meilleures années, dix seulement, pire,
lindifférence à cet état, lattitude béate qui sied à mon quotidien est
mesquine, nombriliste, vaniteuse. Tant pis, je prends le risque de décréter, seul contre
tous, que le plaisir, la jubilation, lallégresse et la gaieté sont mes domaines.
Et puis, on le sait, les clowns peuvent être les êtres les plus malheureux qui soient,
il suffit dun croche-pied du destin pour se retrouver au sol sous les rires et les
quolibets. |