depuis septembre 2000
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Étonnements 2021
La dernière mise à jour de FdeR date de déjà trois
semaines : le temps passe vite ! Beaucoup de choses saccumulent et donnent
cette impression détoile filante. Ainsi, javais évoqué le beau festival Au
fil des ailes pour lequel jétais invité pendant 3 week-ends avec pas moins de
7 rencontres en lycée et médiathèque. Dernier week-end de novembre donc, cétait
dans les Vosges, à Thaon, puis à Xertigny et Vittel.
Jaime beaucoup les Vosges, mon grand-père était originaire de Ferdrupt et, passion
violonistique impose, je ne compte plus les virées à Mirecourt, capitale de la lutherie
française. Dernièrement, cétait pour un très beau
concert à Epinal (La Création de Joseph Haydn) dans lequel jouait
mon épouse. Enfin, la petite montagne bleue étant voisine de mon département, je me
suis donc rendu en voiture, dabord à Thaon où Véronique et Évodie mont
accueilli. Belle rencontre dans une grande médiathèque devant un public composé
notamment dun quarteron de nonagénaires venues de lEPHAD proche et dont la
vivacité desprit navait rien à envier aux plus jeunes. Belles conversations
notamment avec une pensionnaire de 99 ans et demi qui était déjà maman pendant la
seconde guerre mondiale et dont les souvenirs sont intacts !
Mais il était temps déjà de rejoindre Xertigny et sa bibliothèque flambant neuve pour
une autre rencontre, où jai recommencé à évoquer Yougoslave et
lépopée paternelle sans aucune lassitude et avec grand plaisir devant Sabine,
Evodie qui avait suivi et le public qui avait bravé la neige. Car je devais être logé
dans un gite rural sur les hauteurs et déjà les flocons tombaient dru lorsque jy
avais déposé mon sac au crépuscule (voir en Webcam). Mais, après la rencontre et un
sympathique dîner, impossible de grimper jusque là-haut, les bourrasques blanches
sétaient intensifiées, retour laborieux en marche arrière sur la route bordée de
fossés. Jai appelé à la rescousse la bibliothécaire qui habitait dans un village
voisin et qui ma hébergé pour la nuit, non sans avoir à son tour failli rester
enlisée dans la tempête de neige. La vie des professionnels du livre est ainsi plus
aventureuse quon ne limagine.
Le lendemain, déblayage des congères devant ma voiture échouée au centre du village,
puis départ prudent, mais, après être redescendu plus bas dans les vallées, plus de
neige. La dernière rencontre avait lieu à Vittel, chez Astrid, animée par Sarah
Polacci, dont la médiathèque est hébergée dans un ancien hôtel thermal très chic.
Fin donc du Festival Au fil des ailes, excellement organisé tous les deux ans par Interbibly.
Pas le temps cependant de rester statique, voici Paris le week-end suivant et la
collection Morozov à la Fondation Louis Vuitton (toujours en Webcam) où, avec nos amis,
nous avons privilégié les déplacements en voiture pour plus de simplicité et moins de
fatigue. Puis deux jours après, invitation à la Sorbonne à la soutenance de la thèse
dhistoire de mon gendre (Webcam again) : là encore, voiture, car la
déshérence du train depuis ma région ne permet plus, hélas, que des déplacements
fortement aléatoires (auxquels il faut rajouter maintenant les grèves au mépris des
usagers, du CO2 et de la planète).
Tout cela fut ramassé sur quelques jours, entrecoupés des activités littéraires
habituelles et prenantes, ateliers et leur préparation, ou la conférence sur
« Rimbaud, le roman du mythe » que jai donnée dans ma ville (voir en
notes décriture).
Enfin, pour clore le chapitre des « petits » déplacements, jai
participé au Festival de lécrit à Bar-le-Duc, en animant un atelier
décriture le matin et en assistant à la remise des prix pour les lauréats
laprès-midi (Webcam forever). Je suis très heureux davoir revu les personnes
que jai accompagnées pendant les ateliers décriture en milieu dannée
à la médiathèque et dans le centre social de Bar-le-Duc. Grand plaisir davoir
appris que lune dentre elles, une jeune maman albanaise, a été embauchée
sur un poste culturel au Conseil Départemental parmi 15 candidats. Preuve, sil en
est besoin, que les compétences ne connaissent pas de frontières et que
limmigration zéro est une hérésie.
(16/12/2021)
Dix semaines sans mise à jour, faute à la bousculade du temps,
il mest presque difficile den dresser un inventaire, ou plutôt, il convient
den séparer ce qui fut « hors écriture », ce qui méloigna de la
table de travail (« de peine », comme dirait Pierre Bergounioux, les jours de
sombre caractère), de ce qui fut « en écriture ».
« Hors écriture » donc et cest laccueil de deux générations
extrêmes sous mon toit dès mi-septembre : ma mère, comme un prolongement de sa vie
décrite dans Yougoslave, qui ne peut plus rester dans sa maison familiale en
labsence de mon père, et mon petit-fils dont les parents déménagent.
Je passerai sous silence les conditions qui mont conduit à accueillir
progressivement ma mère dès juillet à la maison, les insomnies quune situation
difficile et énervante a provoquées en moi depuis mai, le dépaysement et les
concessions pour chacun dentre nous.
Joublierai les 180 km quotidiens pendant quinze jours et le temps perdu pour adapter
mon petit-fils dans la crèche de son nouveau domicile dont ses parents ne possèdent pas
encore les clés.
Je ne retiendrai, hormis limpression de n'avoir jamais eu une seule minute à moi,
que le bonheur de côtoyer deux âges extrêmes que quatre générations et
quatre-vingt-dix ans séparent, leur étonnante complicité aussi. Et létonnement
dune jeune mémoire de deux ans qui sempile de choses apprises chaque seconde,
mots et expressions qui seront la base des premiers souvenirs dun côté, tandis que
de lautre, le « grand âge » (comme disait Saint-John-Perse) délite
dautres souvenirs en balayant les plus récents et en ne conservant que le socle des
plus anciens. Dun côté, les mots quon retient par dizaine, sans en
comprendre le sens dans linnocente et joyeuse jeunesse, de lautre, en même
temps, être le témoin de ce qui se perd, les prénoms confondus, lieux, visages qui
seffacent et langoisse de ne rien y pouvoir lorsquon sen aperçoit
dans quelques moments de lucidité. Il faudrait pouvoir faire un livre de ces deux
confrontations, de la manière dont la mémoire se construit et se détruit dans nos
cerveaux : réflexe décrivain, cest ce que je me disais alors avant de
reprendre le cours des heures échevelées.
Car pour accentuer encore cette grande bousculade qui dura ainsi jusquaux vacances
de la Toussaint. javais ajouté dautres activités inévitables : avant
lété, javais accepté la présidence dun grand club service pour un
an, et la reprise de septembre a apporté nombre dévénements programmés
quil ma fallu organiser : une journée de vendanges vers Reims, un
méchoui, une conférence sur lillettrisme, tout cela dans les creux dun
quotidien déjà rempli et sans cesse remis en question, rebondissements-surprise du
déménagement de ma fille et de mon genre, 15 m3 daffaires à acheminer en urgence
sur 300 km, camion, etc
Côté maman, même chose, un appartement obtenu dans une
résidence sénior à aménager avec les moyens du bord, meubles montés tout seul,
soccuper du téléphone, du courrier, des démarches, des affaires à rapatrier à
120 km de là et rassurer celle qui na pas quitté sa maison depuis 40 ans.
Bref, aux vacances de la Toussaint, grande envie dévasion : sur un coup de
tête, "nous" partirons en Guadeloupe (un mot sur la moitié de ce
"nous" dont les activités sont toutes aussi débordantes : médecine,
vaccination, la musique en plus avec un quatuor et deux ensembles philharmoniques).
Les photos sont en Webcam et il nous fallait cette grande respiration avant de
reprendre le cours de nos vies ardentes.
Tout cela bien-sûr, cest « hors-écriture », il me faut raconter la
suite « en-écriture » dans la rubrique adéquate.
(24/11/2021)
J'ai animé trois ateliers d'écriture en même temps au
printemps. Ramassés entre fin avril et début juillet, il m'a fallu jongler avec les
emplois du temps et caser en deux mois la vingtaine de séances requises, dispersées à
Chaumont et Bar-le-Duc. Mais enfin, tout s'est terminé sans retard, avec de vraies
conclusions pour ces trois expériences.
Chaumont d'abord, public allophone composés de jeunes Afghans. Pas question de leur
parler de Rimbaud et de bâtir un atelier d'écriture classique. La pandémie les a
éloignés de tout apprentissage de la langue, qui repose essentiellement sur des
bénévoles, alors confinés. Relégués entre eux, ils ne disposent que d'un vocabulaire
très limité. Le défi a relever à alors été très grand et très sportif. C'était
comme rentrer sur un ring de boxe à chaque séance dans l'improvisation et la réponse au
coup par coup, en direct. Il fallait innover à chaque seconde. Grâce à l'excellent et
talentueux musicien Vincent Bardin, nous avons réussi à leur faire fabriquer des
instruments de musique à cordes et percussions, à se servir du vocabulaire utilisé en
parallèle pour leur permettre d'avancer dans la langue et l'écriture. Belle expérience
donc, enthousiasmante, et qui s'est terminée par une dernière séance le 23 juin que
nous avions pompeusement surnommée « restitution ». Mais une autre
restitution, la vraie, en présence des autorités préfectorales intrigués par notre
remue-ménage, aura lieu le 5 octobre.
Pour l'occasion, j'ai monté un petit film de 15
mn qui retrace cette aventure. En effet, plus de 200 prises de vue ont été
réalisées sur les 11 séances (merci Fedwa), ce qui représente 3 heures de rushes
(comme on dit au cinéma). Ce documentaire qui s'intitule « Langue, musique et
écriture : fabrique d'un atelier » sera également présenté lors d'une
journée pédagogique organisée à Reims le 8 octobre sur « le jeu et
l'apprentissage de la langue » et lors d'une réunion associative le 20 octobre dans
ma ville sur le thème de l'illettrisme.
Bar-le-Duc en parallèle et ses deux ateliers (le matin à la médiathèque et
l'après-midi au centre social) pouvait passer pour du repos. En effet le public était
francophone pour la grande majorité et ceux qui ne l'étaient pas (un Afghan, un
Bangladais, une Syrienne) arrivaient à pratiquer un français suffisamment élaboré pour
que je puisse me servir de textes d'auteurs en appui. Ceci dit, certains participants du
matin relevaient d'associations pour handicapés et la difficulté était d'individualiser
les exercices en fonction de chaque personnalité. L'après-midi était plus homogène,
emmenée par lenthousiasme de Besmira, une jeune albanaise passionnée qui parle
cinq langues. Là encore, c'est avec regret que la dernière séance est arrivée le 2
juillet pour ces deux ateliers, derniers écrits, derniers échanges et le temps de faire
pour chacun une photo de groupe (voir en Webcam).
Les journaux de bord de ces trois expériences sont désormais complétés et s'ajoutent
à la rubrique ateliers d'écriture, en
attendant de la compléter par de nouvelles aventures qui ne sauraient tarder...
(11/09/2021)
Dix-neuvième voyage en Sicile, à peine le temps de s'en
réjouir à l'avance, la météo capricieuse n'a pas aidé, ni la précipitation des
jours : ateliers d'écriture à terminer promptement, sans compter les dizaines
d'imprévus qui me sont tombés dessus et qui remplissent mes jours et mes pensées. Bref,
me voici au jour du départ un peu hébété, préoccupé même, pas dans l'état d'esprit
qui précède la farniente.
Idem, sur place : l'année est un peu particulière, les éruptions à répétitions
sur l'Etna proche d'où je réside (18 km à vol d'oiseau) perturbent la vie locale, les
habitants ne savent plus comment se débarrasser des pluies de cendres. Nous même, nous
subirons un matin l'averse de sable noir qui s'insinue partout, qui crépite sur les
voitures et qu'il faut balayer sur les terrasses pour éviter d'en emporter à
l'intérieur. En revanche, un soir déruption, ce sera un spectacle magnifique, vu
de la maison (et voir en Webcam). Mais enfin, ce fut les vacances, la joie de retrouver
les lieux familiers même si certains estaminets indispensables à la vie italienne ont
fermé leurs portes, probablement à la suite de l'épidémie. Il reste le parc adjacent,
l'épicerie avec sa « mama », le grand café Urna et ses incomparables
« granite a la pistacchio ». Nous trouverons même le temps d'aller
deux fois sur les flancs du volcan, de faire le plein d'huile d'olive et de visiter un
endroit que nous ne connaissions pas, Ispica et ses catacombes. Cependant, pas mis une
seule fois les pieds à Catane sinon pour aller et revenir de l'aéroport. La plage
néanmoins a su nous rafraîchir le soir jusqu'au crépuscule. Il faut dire qu'il a fait
chaud cette année et les ventilateurs ont tourné en permanence la nuit. Par chance, nous
sommes revenu juste avant la grande canicule et son record de chaleur à 48,8° à
Syracuse.
Voilà, le dix-neuvième voyage en Sicile s'est terminé comme il avait commencé, dans la
précipitation et les préoccupations du moment. Attendre la vingtième édition en
espérant des temps plus sereins.
(18/08/2021)
Les années se suivent et ne se ressemblent pas.
Heureusement : l'année de grande sécheresse a fait place a des pluies abondantes et
régulières. Le jardin s'en retrouve ainsi revigoré. La pelouse, brûlée jusqu'en
octobre dernier, repousse de manière drue et il faut tondre chaque semaine. Les haies
dévastées se garnissent de rameaux nouveaux, cachant la tristesse des branches
dénudées. Les pousses des figuiers, grillées par gel tardif, sont reparties. Au
printemps, j'ai dû couper un vieux cyprès qui n'a pas résisté au manque d'eau et,
comme il faisait office de clôture, j'ai été obligé de bétonner un poteau à la place
et de continuer le grillage. J'ai placé devant l'endroit vide un gros olivier en pot.
J'ai aussi installé à proximité un réservoir d'eau sous un toit et il est rempli au
maximum.
Voici pour les travaux cette année, et, avec la bousculade du déconfinement (voir en
notes d'écriture), j'ai loupé les arrivages de géraniums pour garnir les balconnières.
La chance m'a sourit dans une jardinerie dans laquelle j'errai entre deux ateliers
d'écriture : des plants défleuris de mes fleurs préférées, boudés par la
clientèle, ont fait mon bonheur. Repiqués depuis dix jours, ils proposent déjà des
boutons floraux.
Bref, c'est une année beaucoup moins stressante que la précédente, où la nature
s'étale. Il faut bien sûr excepter les orages, particulièrement violents, qui, par
chance, n'ont rien abîmé jusqu'à présent.
Cette année, les orchidées sauvages ont été abondantes au jardin. Une vingtaine de
pieds d'orchis boucs a consenti à fleurir dans deux endroits assez ramassés. L'odeur un
peu poivrée, qui donne le qualificatif exagéré de « bouc » à cette grande
orchidée (l'une d'elles approche un mètre de haut) se déployait ainsi au soirs
ensoleillés du crépuscule. Mais la surprise est venue de l'une des places un
rectangle d'un mètre carré qui réunissait 12 pieds de 80 cm, et que j'avais pris
soin d'épargner à la tonte : cinq ophrys abeilles dont les plus grands mesurent 50
cm, se sont développés, avec sur chaque tige une dizaine de fleurs magnifiques qui
imitent à la perfection le ventre d'une abeille (d'où leur nom) : voir aussi en
Webcam.
Ainsi, réunir sur un si petit espace deux espèces d'orchidées, même si ces variétés
ne sont pas en voie d'extinction, est une merveille inattendue en ces temps difficiles.
(22/06/2021)
Il fallait s'y attendre, c'est la bousculade d'après
confinement : à peine posés les jalons des réouvertures en tous genres, tout ce
qui avait été remis, repoussé, annulé, reprogrammé, reporté, ressurgit de nouveau.
Fêtes familiales, associatives, restaurants, salles de sport, pratique musicale,
événements professionnels, culturels, toute cette vie mise en suspens, oubliée, se
manifeste à nouveau. Pour preuve, le confinement qui nous faisait vivre une vie de
charentaise avec télé à 18h aux plus belles heures du couvre-feu, se délite d'un
coup : chacun vaque à ses occupations, un resto en terrasse pour madame, une
réunion de club pour monsieur, la possibilité de voyager pour tous les deux, comme cette
escapade à Bruxelles pour retrouver ma progéniture éloignée depuis octobre. Du coup,
on en profite pour rattraper le temps perdu, on célèbre Noël, le Nouvel an et Pâques
en même temps, mon fils s'esbaudit auprès de son neveu qu'il n'a pas vu depuis un
an : bonheurs, sourires, on respire, même si on garde encore le masque. Bruxelles
donc, nous a accueilli dans un avant-goût de terrasse puisqu'elles étaient ouvertes une
semaine avant la France. Et de retour, tout se précipite : les trois ateliers
d'écriture prévus, des réservations, des rencontres, des réunions, une fête prévue,
une vie associative mise en suspend et qui va m'accaparer pendant une année de
présidence. Bref, j'oublie aussi toutes les sollicitations auxquelles je ne peux
répondre, d'autres tracasseries qui prennent du temps, mais enfin, la vie est là, on ne
va pas se plaindre non ?
(03/06/2021)
Ateliers d'écriture... Ils ont leurs farouches défenseurs,
leurs non-moins farouches détracteurs (l'écriture, ça ne s'apprend pas). Leurs usages
sont plus ou moins répandus (universitaires et institutionnalisés en creative writing
dans les pays anglo-saxons) ou relégués dans des voies de garage. En France
notamment. ils ont constitué un des rares moyens de subsistance pour des écrivains, au
risque pour eux d'être entièrement absorbés par cette mission de « travailleur
social ». Car dans notre pays, l'atelier sert à masquer les trous dans la
serpillière d'une société qui relègue aux marges, mais bon... Patrie des arts et de la
culture, le pays se donne bonne conscience à moindre frais en comptant sur un tissu
associatif dense ou sur quelques profs passionnés pour occuper sainement une partie de la
population.
Laissons de côté les ateliers d'écriture élitistes avec des auteurs célèbres en
tête d'affiche et dont les prix prohibitifs s'adressent à des bourgeois en mal de
sensations scripturales et surtout de mondanités : ah, tutoyer un écrivain
reconnu...
Les ateliers sont ainsi venus à moi par l'intermédiaire de François Bon, qui publia en
2000 Tous les mots sont adultes, une référence pour qui veut animer un atelier
d'écriture. Chez le même éditeur, Central était paru la même année, et ces
expériences pour alimenter ma destinée toute neuve d'écrivain débutant m'avaient
attiré sans que je désire les tenter. Et puis je travaillais, j'avais beaucoup à faire
entre la vie familiale, l'écriture et le boulot.
En revanche, lorsque j'ai pris quelques mois sabbatiques pour me consacrer à la reprise
de mes études, l'idée d'embrasser uniquement la carrière d'auteur m'a traversé, ainsi
que les ateliers d'écriture, comme moyen de subsistance. J'ai ainsi monté à partir de
2004, des projets complets au hasard de rencontres dans un lycée professionnel dans
l'Aube, dans un asile du Jura, dans ma ville natale ou à l'université de Dijon. Et puis
j'ai repris mon job et j''ai renoncé à essayer de vivre de ma plume. J'ai ainsi arrêté
en 2007, hormis quelques interventions ponctuelles.
Neuf ans après, cependant, en compagnie d'Alain Delatour pour Instants handball, je suis intervenu à nouveau avec des classes
de primaire à Dunkerque et j'ai retrouvé intact ce qui me plaisait tant, une sorte
d'enthousiasme indicible, que je ne savais expliquer. En parallèle, ces années-là,
j'éprouvais la même impression en participant au jury « Écrire le
travail », organisé par l'Académie de Versailles. Dans ce cadre, l'occasion m'a
été donnée d'intervenir dans un lycée à Argenteuil, puis j'ai eu envie de partager
cette belle expérience avec une classe de Charleville, avec une professeure rencontrée
par hasard dans cette même cité alors que je présentais un livre à la librairie
Rimbaud.
Hasard encore de me retrouver dans les Ardennes dans un centre social à Carignan avec
toujours l'ami Delatour pour notre nouveau projet Instants cuisine.
Hasard toujours, lorsqu'un ami, directeur d'une antenne associative dévolue à l'accueil
de migrants mineurs, me propose d'intervenir dans ma ville : 20 séances
décoiffantes avec en partenariat avec la très active association Initiales, qui
lutte contre lillettrisme. Un atelier à Bar-le-Duc était également programmé.
Hasard que ces rencontres, mais en même une certaine idée de forcer le destin vers
quelque chose, une sorte de vitalité entrevue qui forme probablement le fondement de mon
écriture.
Ainsi, Argenteuil, Charleville, Saint-Dizier ou Bar-le-Duc et Carignan : le constat
était clair, j'avais vraiment renoué avec les ateliers...
Hélas, le coronavirus aura terminé brutalement ces belles expériences : pas de
restitution ni de conclusion possible à Charleville et à Saint-Dizier pour ces ateliers
qui touchaient à leur fin : les migrants devaient rencontrer le sous-préfet de ma
ville, la médiathèque devait recevoir les lycéens Carolomacériens dans le cadre du
Printemps des poètes ; à Bar-le-Duc, nous n'avons même pas eu le temps de
démarrer et le centre social de Carignan a fermé : au total une dizaine de
rendez-vous annulés, la vie culturelle, sociale, réduite à sa plus simple expression
depuis plus d'un an.
Car, même avec la petite reprise en été 2020, il était déjà trop aléatoire d'animer
de tels ateliers. Les déprogrammations successives et les reports se sont accumulés. Il
y a seulement depuis quelques semaines que nous sommes en mesure duvrer à
nouveau : déjà cinq séances ont été réalisées pour un nouveau projet
concernant des demandeurs d'asile à Chaumont, deux autres ateliers à Bar-le-Duc vont
démarrer à la fin du mois.
Seule différence par rapport à l'avant-Coronavirus, la prise de température à
l'arrivée, le port du masque en permanence, l'éloignement, le gel qui poisse les mains,
le nombre limité de participants : mais il en faut plus pour nous décourager.
Toutes ces expériences d'ateliers sont maintenant regroupée dans une page spéciale, accessible également
rapidement par la marge gauche.
(20/05/2021)
Valence donc, je ne connaissais pas. Plusieurs fois j'y suis
passé, parce que c'est la route qui mène dans le Sud, je connais ainsi Avignon,
Grenoble, Saint-Étienne et Lyon bien-sûr. Mais dans cette période où il faut un motif
valable pour s'éloigner à plus de 10 km de chez soi, cette escapade prend le goût d'une
aventure et c'en est vraiment une : je vais assister là-bas à une journée de
tournage pour l'adaptation cinématographique de mon roman Ils désertent. C'est
aussi l'occasion pour nous de profiter de trois jours de vacances. Donc pour mon
séjour en période de Coronavirus, j'ai réservé un studio en plein centre historique.
Malheureusement, tout étant fermé à notre arrivée le lundi, la balade touristique de
fin d'après-midi tourne à la quête d'une épicerie pour acheter le frugal repas du
soir. La promenade nous réserve cependant une bonne surprise : alors que nous
entrons dans une église encore ouverte pour la visiter, un superbe concert de violon et
d'orgue nous attend : étonnant dans cette période de restriction culturelle... Le
dernier auquel nous avons assisté date de septembre et c'était le seul depuis un an. En
réalité, cette aubade s'inscrit dans l'action pour défendre la culture engagée par le
violoncelliste Gauthier Herrmann et qui a choisi de courir de Paris à
Aix-en-Provence, soit 900 km en 13 jours ! Le soir où nous arrivons, l'étape
est à Valence et l'église accueille le repos du violoncelliste, tandis que sa compagne
violoniste nous gratifie d'un petit concert (avant 19h!) devant une vingtaine de
spectateurs invités ou débarqués par hasard comme nous.
Le lendemain, nous randonnons autour du château de Crussol à cinq kilomètres d'où nous
résidons, le temps est doux et nous nous réjouissons de la journée de tournage prévue
le mercredi. Hélas, le temps ne restera pas si clément et la plupart des scènes
extérieures seront filmées sous un vent glacial et des pluies intermittentes. La suite
d'une telle incursion dans le monde du cinéma est retracée en Notes d'écriture.
(07/05/2021)
De fils en aiguilles (d'horloge), cette soudaine passion pour
les mouvements du temps (voir les deux épisodes précédents) m'a fait également
ressortir du fond du garage une pendule en marbre, pareillement récupérée lors du
déménagement de la maison familiale occupée pendant un siècle par plusieurs
générations.
Je n'avais pas pris autant de précautions qu'avec la pendule à colonnes évoquée la
semaine dernière, et celle-ci était remisée n'importe comment, posée de guingois,
accompagnée des deux chandeliers qui composaient avec le réveil ce qu'on appelait à
l'époque une parure de salon, destinée à orner le dessus d'un buffet ou d'une
cheminée. L'ensemble, malgré l'absence de précaution, semblait à peu près intact. Il
a juste fallu resserrer quelques écrous, revisser les bougeoirs, recoller sur l'un d'eux
un petit piétement de laiton et nettoyer le tout.
De prime abord, la parure de salon est complète avec ses deux éteignoirs à bougies et
la pendule, ainsi encadrée par ses candélabres de même facture, a fière allure. Le
marbre noir, orné de granit rosé, abondamment rehaussé de volutes en métal doré,
apporte un côté solennel, mais nos goûts actuels ont tendance à trouver ces
décorations plus appropriées dans les cimetières que du côté des vivants. Il faut
néanmoins se représenter ces éléments dans les intérieurs sombres d'avant
l'électricité (d'où la présence des chandeliers). Il faut imaginer Mme Bovary, du fond
de son ennui, regardant en soupirant la pendule qui n'avance pas vite dans la lumière
vacillante des bougies.
En parlant de pendule, aiguillonné par mes récents succès de mécanique horlogère,
désireux de passer pour mon petit-fils comme un bricoleur hors-pair, j'ai commencé à
examiner la pièce principale de cette parure, un gros cube de marbre, lourd de plusieurs
kilos et traversé en son centre par le mouvement des heures. Sur la face avant, le
cadran, avec ses chiffres romains et son verre biseauté, est particulièrement élégant.
Il s'ouvre pour permettre l'accès aux 2 remontoirs, celui des aiguilles et celui de la
sonnerie. Sur la face arrière, une porte circulaire en cuivre ajouré permet l'accès au
mécanisme et à son démontage.
A l'intérieur, par chance, je retrouve au fond le balancier qui s'était décroché, mais
le timbre qui assure la sonnerie est manquant. Il n'est pas impossible, probable même
qu'il ait été retiré pour éviter le tintement des heures : peut-être la parure
était-elle disposée dans une chambre en dernier lieu.
La mécanique des heures est une sorte de gros cylindre, pas très différent dans sa
conception de la pendule à colonne dans l'entrée, sauf que le balancier qui impulse le
mouvement mesure une douzaine de centimètres, de manière à demeurer invisible dans les
entrailles de l'appareil. Appelé « mouvement de Paris », ce dispositif a
été très répandu dans l'horlogerie pendant près de deux siècles de 1750 à l'aube de
la seconde guerre mondiale. Un poinçon m'indique que celui-ci a été fabriqué par
« G. Mégnin, médaille d'argent ». Georges Mégnin s'est installé dans le
Doubs, haute région horlogère, en 1886. Il agrandit son usine de mouvements de pendules
en 1892 avant de se retirer en 1901, au profit de ses enfants qui reprendront la société
sous la dénomination « Les Fils de Georges Mégnin ».
Il est possible que cette pendule et ses bougeoirs aient été offerts en cadeau de
mariage. Il y eut des unions familiales en cette fin de siècle, je possède même une
photographie devant une église qui date de 1903. Ces objets sont des héritages encore,
ou plutôt, pour ceux qui les récupèrent, ils marquent l'affection pour les
générations précédentes, connues et aimées.
De nos jours, on qualifie hâtivement de Napoléon III le style de ces lourds ensembles de
réveils et de chandeliers, comme par extension avec la pendule à colonne torsadées que
je possède également. Mais cette dénomination est abusive dans cette fin de siècle qui
voit l'avènement définitif de la république, comme si un style, au sens de mode, d'art,
d'usage, d'étiquette, ne pouvait qu'être créé que par le bon goût des monarchies.
En revanche, si la remise en fonctionnement de la pendule à colonne, un peu plus
ancienne, n'avait pas posé de problèmes, cette vieille dame est un peu plus capricieuse.
Pour le moment, elle ne consent qu'à tourner pendant une douzaine d'heures au maximum.
C'est suffisant pour être optimiste et pour exclure une trop grande usure du système,
d'autant plus que le passage des heures alimente également la sonnerie (pour l'instant
muette en l'absence de timbre). J'évite donc dans l'instant de tout démonter, je me suis
juste contenté de lubrifier la face arrière pour faciliter la rotation des différentes
roues dentées. Certains sites en effet, très complets, vous incitent même à réparer
plus en avant ces mécaniques d'un autre siècle. Je me contente de relancer
régulièrement le balancier et d'essayer différents réglages d'aplomb.
J'espère, lorsque mon petit-fils reviendra, pouvoir lui montrer fièrement cette nouvelle
« ho-loge » et lui faire entendre sa sonnerie. En effet, je vais prochainement
la doter d'un timbre, je crois qu'en lui redonnant une voix, elle sera plus enjouée à
marquer ses heures de marbre et à continuer sa longue vie de pendule...
Dernière minute : comme si elle était consciente de l'enjeu de cette note qui la
grave dans sa propre pierre, la vieille dame fait battre son cur de laiton sans
(presque) s'arrêter depuis plusieurs jours. Il s'agit maintenant de dérouler les
ressorts remontés à fond depuis plus d'un demi-siècle et de remonter le vieux
mécanisme avec précaution lorsqu'il sera complètement détendu.
(30/04/2021)
La semaine dernière, j'ai raconté l'engouement de mon jeune
petit-fils pour l'horloge rimbaldienne qui rythme les heures de mon bureau : belle
traversée intergénérationnelle. Mais, c'est aussi lui qui m'a montré la pendule posée
dans l'entrée : « Sonne aussi l'autre ho-loge ? ». A force de la
voir installée dans ce coin depuis huit ans, date à laquelle nous avons vidé la maison
de mon beau-père, nous ne faisons plus attention à elle, mais il a très bien repéré
le petit cadran rond et ses aiguilles ainsi que le balancier doré sous la cloche
transparente qui protège le mécanisme.
Évidemment, j'ai immédiatement entrepris d'étudier l'objet. Et pour cela, de soulever
avec précaution le fragile dôme de verre déjà fendu à deux endroits. Et de l'examiner
au grand jour : son apparence est celle d'un petit temple à quatre colonnes
torsadées. Le mouvement, en laiton doré, est accroché sous le fronton et le balancier
descend jusqu'à frôler le soubassement qui supporte les quatre petits piliers.
L'ensemble, en bois sombre rehaussé de volutes également cuivrées, mesure quarante
centimètres. Elle stagne ainsi sur un socle identiquement décoré qui supporte la cloche
de verre destinée à couvrir le petit sanctuaire des heures.
Nous ne l'avons jamais connue en fonctionnement. Lors du déménagement de la maison
familiale, je l'avais récupérée dans le grenier, et depuis placée là dans l'entrée
où elle dénote un peu avec son style vieillot.
Mais aujourd'hui, mis au défi par mon petit-fils, nous regardons ensemble l'antique
pendule, qui ne manque pas de charme avec son aspect de modeste temple à la mode
orientaliste.
Les clés pour manuvrer l'appareil n'ont pas été égarées et je n'ai pas
résisté à la tentation de remonter les ressorts avec précaution. Le balancier,
détendu au maximum, frottait sur le soubassement, mais à force de réparer diverses
mécaniques similaires, j'ai trouvé la petite molette qui permet de diminuer ou
d'agrandir la longueur du balancier et par là-même de régler le battement de l'horloge
et son exactitude. Première surprise : les premières tentatives pour démarrer le
dispositif sont encourageantes, le système ne semble pas bloqué, n'a probablement pas
subi de chocs et, grâce au dôme de verre, la poussière n'a pas encrassé les roues
dentées et les pignons. Le balancier consent même à effectuer quelques mouvements avant
de s'arrêter, comme essoufflé par sa grande inactivité. Mais après avoir réglé
l'aplomb de l'horloge à l'aide de quelques cales, le balancier semble ne plus vouloir
s'arrêter, comme grisé par son tic-tac retrouvé. Et, au bout de quelques minutes, au
passage d'une heure, le carillon, qui n'avait pas retenti depuis un demi siècle au
minimum, fait entendre un tintement cristallin et juvénile.
Selon les sources familiales, la pendule appartenait à une arrière grand-mère. Sa
fille, née en 1908, et qui vivait sous le même toit avec son mari, en avait hérité à
sa mort, avait peut-être continué à l'utiliser, avant de s'éteindre à son tour un
jour de janvier 1980, un mois après le décès de son époux. La maison avait été
laissée en l'état, puis reprise deux ans plus tard par sa fille, ma belle-mère donc.
C'est ainsi qu'au moins trois générations s'étaient succédé dans ces lieux de
manière ininterrompue. Les objets s'étaient entassés au fil des lignées, cadeaux de
mariage, de baptême. A cette époque, on dépensait peu dans les milieux populaires,
habitués à se serrer la ceinture. Cette pendule avait sans doute été acquise à
l'occasion d'un événement familial, de même que la comtoise qui trône dans mon bureau.
Il n'est d'ailleurs pas certain que l'arrière grand-mère en eut été la première
propriétaire, peut-être l'avait-elle, elle aussi, reçue en héritage. Mais la chance
avait permis que ces objets fussent ainsi rarement déplacés, d'une chambre ou d'un salon
vers une remise ou un grenier selon les rares aménagements de la maison. C'est donc dans
un grenier que la pendule avait sagement attendu un demi-siècle avant que je vienne la
récupérer.
On peut cependant imaginer l'instant et la manière dont les premiers acquéreurs ont
reçu la petite horloge. Le nom de l'horloger, ou plutôt du commerçant qui l'avait
vendu, figure sur le cadran comme cela se pratiquait beaucoup à l'époque. Il s'agit de
M. Graillot, situé à Wassy. Wassy, distant de ma ville de seulement quinze kilomètres,
était alors la sous-préfecture. C'était une bourgade importante à l'apogée de son
histoire, riche de 4000 habitants. Le seul renseignement que propose Internet sur ce
commerçant, c'est qu'une petite porte, vestige de remparts moyenâgeux, fut détruite en
1844, afin que l'horloger puisse bâtir sa maison. Il était ainsi en activité au même
moment que le dépositaire de mon horloge, René Herment, installé à Mertrud. Et les
deux hommes à la profession similaire devaient forcément se connaître et se
fréquenter, les deux bourgades étant distante d'à peine dix kilomètres.
Autre renseignement qui figure cette fois sur le mouvement mécanique : un poinçon
indique « Linet aîné, Paris ». Les frères Linet, en effet, exercèrent leur
art dans la capitale au milieu des XIXème siècle. Les dates ainsi correspondent, ce qui
me laisse à penser que cette pendule, vieille de 150 ans, appartenait probablement à la
génération précédente de cette arrière grand-mère, née dans les années 1870. Sans
doute avait-été acquise à l'occasion du mariage de ses parents. Le bois sombre, les
rehausses dorées et les colonnes torsadées sont caractéristiques du style Second
empire. L'industrialisation naissante permettait la diffusion rapide et bon marché de ces
premiers bibelots manufacturés, et bientôt tous les intérieurs adoptèrent la mode
Napoléon III. En haut du cadran, modelé sur l'entourage en laiton, figure une tête de
femme, jeune, raie au milieu et diadème. Il n'est pas impossible qu'elle représente la
reine Victoria, qui régnait au Royaume-Uni depuis 1837 et qui jouissait à l'époque d'un
grand prestige, y compris en France (elle accueillit d'ailleurs l'empereur en exil après
sa défaite en 1871). L'impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, était alors
beaucoup moins populaire. Bien entendu, ces quelques interprétations historiques sont
hasardeuses.
Mais le plus extraordinaire demeure la facilité avec laquelle cette pendule reprend vie.
J'ai juste effectué quelques réglages supplémentaires : pressée de retrouver de
son allant après un long silence, le mécanisme cavalait trop vite et s'octroyait
rapidement un quart d'heure d'avance, histoire de rattraper le temps. Elle a freiné ses
ardeurs depuis et il est d'usage qu'elle réponde au même instant de sa voix cristalline
au timbre sonore et profond de l'horloge. A l'unisson, les deux carillons célèbrent
maintenant un temps retrouvé, où Marcel Proust était encore dans les langes, où la
fameuse obsolescence programmée n'était pas près de sortir d'un cerveau stupide, de
même que l'imbécile slogan publicitaire : Tout doit disparaître. Ce gai
tintamarre, ce boucan vivifiant (trente-six coup à elle deux à midi et à minuit) est en
effet un véritable pied de nez à notre époque actuelle. Tout cela bien-sûr, je
mempresserai de le raconter à mon petit-fils, lorsqu'il sera en âge de comprendre
mes radoteries. Je lui dirai comment, grâce à lui, une pendule, vieille d'un siècle et
demi, a recommencé à babiller.
(21/04/2021)
Je ne présente plus l'horloge rimbaldienne qui a accompagné le
texte Sur Ivan Oroc pendant le
premier confinement. Rimbaldienne car elle a été fabriquée pendant la courte vie
du poète, probablement entre 1860 et 1890. L'horloger s'appelait René Herment et
habitait Mertrud.
Évidemment, la tentation était grande de la faire figurer dans Vie prolongée
d'Arthur Rimbaud, paru en 2016, et je ne m'en suis pas privé : « Un
meuble de bois peint dune seule pièce laissait voir à travers la vitre de son
ventre le mouvement lent dun balancier en bois doré, orné dans la partie
supérieure dun thermomètre à mercure, et, dans la partie inférieure, dun
baromètre à cheveu qui, suivant le temps, faisait sortir soit un homme muni dun
parapluie, soit une femme portant une ombrelle à son bras. La pendule, tout en haut,
possédait une aiguille de fer pour les jours, tandis que celles en laiton indiquaient
lheure et les minutes sur des chiffres romains. Le cadran, commandé par
lartisan, indiquait son nom, René Herment, et le bourg où il avait ouvert sa
boutique. Cétait la première fois quil proposait pour ses clients les
marques de sa profession, associées à son identité. Une fierté. Le mécanisme était
rustique et lhorloge était massive, ornée de dorures bon marché, mais il lui
semblait quelle avait été le reflet de toute sa vie, depuis quil
sétait installé ici en 1858 après son alliance avec une fille de la région.
Personne alors ne misait sur lui, qui avait inscrit à la rubrique profession en bas de
lacte de mariage « commerçant ambulant ». (VPAR, p. 67,68)
La description de la comtoise est fidèle : elle rythme les heures à un mètre du
bureau d'où j'écris. Les renseignements sur l'horloger aussi sont véridiques, la
mention « commerçant ambulant » a été reprise de son acte de mariage en
1858, et la suite qu'on imagine après son union, l'installation comme horloger dans ce
village qui compte maintenant 170 habitants, où tout a fermé, école, services publics,
où les commerces sont réduits à une unique camionnette qui passe en
klaxonnant (retour au commerçant ambulant). A l'époque de l'horloger, le village
comptait 600 âmes. Une photo de Wikipédia présente la grand-rue et la place du centre.
Il y a un café du commerce, un banc au soleil avec deux vieux et une quinzaine de badauds
sur les trottoirs. La date sur le timbre à 5 cts indique 1915. L'horloger avait
probablement cessé son activité ou avait peut-être trouvé par chance un successeur.
Il est important pour moi que cette comtoise, symbole de l'exactitude, soit ainsi gravée
avec précision dans un livre : juste hommage à une époque où le temps passait
différemment, dans une subtilité de rouages et de savoir-faire fabriqués sur place et
non dans une indifférence de composants électroniques assemblés à l'autre bout du
monde. De la même manière, l'acheteur ne cédait pas à l'opulence de la société de
consommation. Acquérir ce symbole du temps était un acte réfléchi, surtout quand il
s'agissait d'une comtoise de 2m35 de haut à placer dans la pièce à vivre. C'était
souvent un cadeau de mariage, et le timbre, gros comme une casserole, résonnait dans
toute la maison pour organiser la vie nouvelle du jeune couple et de la famille qui
s'ensuivrait. Ce modèle spécifique sonne deux fois, la deuxième à une minute et demie
d'intervalle, histoire de rappeler aux étourdis qu'ils vont être en retard.
Je ne sais pas quelle destin a suivi cette horloge, combien de temps son balancier a
scandé les années, ni véritablement à qui elle avait appartenu. C'est un meuble de
famille comme on dit : elle était dans la maison de mes beaux-parents et je l'ai vu
longtemps inerte. Mon beau-père l'a fait réparer un jour et elle a marqué les
heures à nouveau, d'une manière à la fois claire et puissante, de telle sorte qu'elles
se sont petit à petit comme enfoncées dans les murs, qu'elles sont devenues une sorte de
pâte intemporelle à laquelle nous ne prêtions pas garde. La disparition de mon
beau-frère, de ma belle-mère, la maladie de mon beau-père se sont inscrits dans la vie
courante, nos peines étaient lentement dissipées par la présence muette d'abord de
l'horloge, puis par le lent tic-tac du balancier, lorsqu'elle fût à nouveau en
fonctionnement. Lorsque mon beau-père s'est éteint à son tour, j'ai réalisé que
l'horloge ne sonnerait plus pour personne. J'ai continué à la remonter dans la maison
vide et j'en ai fait un petit film. A la vente de la
demeure, je l'ai récupérée et installée dans mon bureau. A nouveau, elle a sonné pour
quelqu'un et c'est mon écriture qu'elle rythme désormais.
Il y a un an, au moment du confinement initial, alors que nos repères temporels étaient
pour la première fois depuis longtemps remis en question, j'ai découvert combien sa
constance musicale habituelle avait le don de m'apaiser. Et surtout, elle a fait le
bonheur de mon petit fils qui l'a entendu sonner pendant huit semaines à l'époque, entre
dix mois et un an. Il marchait peu, parlait à peine, mais me désignait d'un doigt
impératif l'horloge dont le mouvement et le bruit le fascinait.
Cette année, il a débarqué pour une semaine en raison du second confinement printanier.
En prévision, j'ai rectifié le retard qu'elle prenait régulièrement, parfois une
vingtaine de minutes comme si elle était fatiguée de s'activer depuis 150 ans :
elle est maintenant d'une précision redoutable. Quant à mon petit-fils, il n'a pas
oublié la comtoise. Mais il parle désormais : « Vite l'ho-loge ! »
dit-il lorsqu'il entend la première sonnerie. Il faut alors se dépêcher de descendre
les escaliers et guetter le second carillon. Il regarde tour à tour le cadran, le
balancier, écoute les tintements que nous scandons en les comptant. Il a gardé ce regard
grave et perplexe : c'est celui que nous arborons tous, même devenus des adultes,
devant toute magie poétique.
Et moi, mon visage contre le sien, à deux générations d'intervalle, je repense à René
Herment, à Rimbaud, à tous les aïeux inconnus ou aimés qui ont vécu avec de telles
mécaniques du temps.
(14/04/2021)
« [
] Que les mots sont vastes, qu'ils sont
douteux ; que l'herbe-aux-gueux s'appelle aussi la clématite » : Pierre
Michon a écrit cela (Vie d'Antoine Peluchet) et c'est étrange pour moi de
le lire alors que je recommence pour la énième fois les Vies minuscules, et que
mes mains gardent deux jours après leur raideur d'avoir tiré sur les lianes
enchevêtrées des clématites dans une séance de jardinage printanier.
Clématite versus herbe-aux-gueux : clématite mot est bien trop beau, bien
trop aristocrate pour la plante ligneuse, fourbe, envahissante qui se faufile partout où
la main de l'homme abandonne l'entretien et l'ordonnancement des jardins.
L'herbe-aux-gueux semble ainsi un terme plus approprié : cette espèce végétale
sauvage est habituée aux remblais, aux terrains vagues, c'est une plante de vagabond, de
bohémien. On la nomma ainsi car il paraît que les mendiants frottaient leurs ulcères
avec ses feuilles aux propriétés urticantes, enflammant ainsi les chairs et les plaies,
les rendant plus misérables encore, et plus aptes à recevoir la charité. Je la
connaissais plutôt sous l'expression de « bois fumé », car les tiges
coupées en tronçons pouvaient être fumées comme des cigarettes, mais là encore, la
mauvaise réputation des gamins qui s'adonnaient en cachette à ces bêtises ne plaide pas
en sa faveur : définitivement, c'est une plante de garnements.
Pour preuve, une maison abandonnée non loin de chez moi est entièrement recouverte de
ces clématites des haies. Les abords que j'ai connus aménagés en jardin de curé sont
devenus une friche inextricable. Elle appartenait à une vieille dame. A sa mort, elle a
été squattée, incendiée, livrée aux rustres et aux indélicats. Et lorsqu'il ne resta
plus rien à briser, l'herbe-aux-gueux prit le relais et recouvrit la moindre parcelle de
mur, d'arbres, de buissons.
Celles qui sévissent chez moi se situent principalement en bas du talus qui borde la rue
en direction du centre-ville. Là aussi, c'est le domaine des indélicats :
bouteilles, canettes, paquets de gâteaux, papiers de bonbons, parfois des couches
culottes de bébé, le tout jetés par des passants pressés. J'en ramasse une poubelle
pleine à chaque nettoyage. Il y a longtemps, j'avais même déniché un soutien-gorge
enfoncé au plus profond d'un thuya. En principe, c'est à la ville d'entretenir ces
abords, mais cela fait déjà plusieurs années que je réclame sans succès le nettoyage.
Et comme ils savent que j'accomplis régulièrement cette tâche à leur place par civisme
exacerbé... Cette année donc, en plus des habituels déchets, j'ai récolté quelques
masques, coronavirus oblige. Tout cela pour dire que l'herbe-aux-gueux se plaît dans ce
biotype urbain favorable. Au début, on ne fait pas attention, la plante pousse quelques
tiges, arbore à la belle saison quelques fleurs discrètes, plutôt jolies, mais, si on
n'intervient pas, elle prend ses aises, les tiges forcissent, prennent l'aspect de
branches, se ramifient, enchevêtrent les buissons aux alentours, envahissent les haies,
grimpent sur les arbres, élancent parfois des lianes sur plusieurs mètres de haut. Il
faut agir, c'est à dire débroussailler, tout en sachant qu'il faudra recommencer
régulièrement : la clématite est increvable, vous détruisez un pied, elle
repousse plus loin par marcottage sauvage.
Cette année, donc, j'ai agi : mes lauriers avaient assez souffert de la sécheresse
de l'été dernier, encore fallait-il que les jeunes pousses de l'année ne périssent pas
étouffées. J'ai retiré probablement une bonne centaine de mètres de lianes, effectués
trois voyages à la déchetterie avec mon increvable Kangoo.
Et en rentrant, exténué, fatigué, bras douloureux, alors que je reprenais une nouvelle
fois la lecture des Vies minuscules, j'ai découvert que Pierre Michon remuait le
couteau dans la plaie en évoquant l'herbe-aux-gueux... La littérature procède-t-elle
aussi par marcottage ?
(30/03/2021)
Ma ville natale a des faubourgs faciles à reconnaître :
éperon rocheux cernés de remparts, tout ce qui est en bas des murs est forcément
faubourg.
Bien qu'au Sud, passé la porte des moulins, la faible déclivité laisse croire au
prolongement de la cité. C'est dans cette partie, appelée « quartiers
neufs » que j'ai habité à partir de 13 ans. Peu d'amis sur place, souvenir d'un
petit appartement, d'une camarade d'école qui deviendra infirmière, de son frère qui
avait une superbe chaîne stéréo de marque Quartz.
Au Nord, la ville plonge rapidement, mais s'arrête peu après le cimetière et un
transporteur frigorifique chez lequel mon père a travaillé. Ici, faubourg Nord, mes
visites se bornent à mes chers disparus (de plus en plus).
J'ai moins fréquenté le faubourg escarpé de l'Ouest : souvenir d'un petit jardin
d'autrefois, accompagné de ma sur et du fils des voisins. Après quelques sentiers
pentus, un bassin d'eau au milieu des groseilliers sentait le nénuphar et les têtards.
Souvenir aussi d'avoir raccompagné dans ce faubourg Ouest une collégienne à
l'heure des premières libertés.
A l'Est, le faubourg est en revanche connu depuis toujours : mon grand-père, puis
mon oncle y ont exercé leur activité d'horticulteurs. On y trouvait quelques maisons,
des granges, des remises, des garages, l'ensemble cerné de de vergers, de champs, de
terrains, de couches, d'allées, de puits, tout ce qui constituait leur univers de
jardiniers. Si on lève les yeux, on voit les remparts au delà des marronniers qui
bordent la route. Si on laisse aller le regard dans la pente, le lac de la Liez semble
tout proche, mais il faut six kilomètres pour y arriver. C'est mon faubourg préféré,
celui de l'enfance, l'unique, la seule. Faubourg familial et qui émaille mes livres,
comme dans Yougoslave, le dernier, ou dans mes publications web (Langres s'use).
Donc, mon grand-père, ma grand-mère, mon oncle, ma tante et mes cousins. Les jeudis ou
mercredis, les jours de vacances passées là-bas. Plus tard, Marc, futur directeur de
l'école de musique, y est venu pour répéter sa guitare.
Dans Feuilles de route ou ailleurs, j'ai parfois évoqué mes grands-parents, un
peu mon oncle, jamais ma tante Léa. Mimétisme d'après-guerre pourtant facile à
retenir : ma mère épousa Léo, mon yougoslave de père ; son frère, un peu
plus tard, rencontra Léa, ma tante italienne. Toujours active, aidant au jardin,
cuisinant, nettoyant. Quelques souvenirs de mes visites : elle dans la cuisine, voix
haut perchée, toujours étonnée de ma propension a vouloir y rester pour lire, plutôt
que de profiter du dehors avec ses fils. Et moi, je revois le placard où se trouvaient
les livres et les illustrés, le journal de tintin, de Spirou. Il me reste aussi un
souvenir cher à mon cur : L'île au trésor et la fameuse réplique que
le jeune Jim décoche à son adversaire : « - Un pas de plus, maître Hands, et
je vous fais sauter la cervelle !... », le passage de cette poursuite dans
les haubans a été lu et relu cent fois. Après, je rejoignais mes cousins pour jouer, ma
tante aperçue alors au jardin, au sous-sol, dehors, dedans, continuellement affairée.
Et puis la vie sépare, on grandit chacun dans son coin, familles, enfants. Léa,
escortée plus tard d'un compagnon photographe, était revue parfois chez un de mes
cousins à l'occasion d'un anniversaire, sa voix toujours aiguë. Mon oncle est parti en
2012. Il a rejoint mon grand-père, ma grand-mère (et la petite Pauline, sa sur,
que personne n'a connue, tombée dans un puits du jardin avant les années 30), tous
maintenant dans le caveau familial, donc au cimetière du faubourg Nord.
Mon père y est arrivé voilà neuf mois, juste à proximité. Et comme s'il fallait
reconstituer le voisinage du faubourg Est, ma tante Léa avait déjà prévu l'endroit du
repos éternel en face de son mari, une belle pierre rose que je n'ai jamais manqué
d'admirer à chaque visite.
Tout cela pour dire que Léa a fini par y venir aussi, le 25 février dernier, à 85 ans
(pensées pour mes cousins).
Cela ajoute à la peine que l'on consacre aux disparus bien sûr, mais sans doute que tous
maintenant se racontent leurs histoires de faubourg, ainsi réunis dans ce même coin de
cimetière. Et mon père, entre deux conversations d'outre-tombe, lui qui est installé au
bord de la pente, regarde - histoire de tuer le temps - , aligné sur le parking en bas,
les camions du transporteur frigorifique qu'il a conduits.
Et moi je pense à cet endroit et à tous ces faubourgs de ma ville. L'infirmière du
faubourg Sud s'est tuée lors d'un voyage humanitaire en tombant d'un 4X4 au début des
années 80. Le fils des voisins qui nous accompagnait au petit jardin du faubourg Ouest
est mort du sida au plus fort de l'épidémie. Et la collégienne que je raccompagnais
aussi là-bas s'est noyée en Corse il y a huit ans. Marc, le prof de musique, qui jouait
de la guitare au faubourg Est, est le dernier arrivé : il a rejoint en septembre le
cimetière du faubourg Nord, on voit sa tombe depuis celle de mon père.
Ainsi, la camarde est bonne camarade, généreuse envers ceux que j'ai connus.
Pour ce qui est faubourg Est, je l'ai revu deux fois récemment. La première fois,
c'était en juillet dernier, en accompagnant mon neveu qui achète des légumes chez le
producteur bio qui a repris la suite de mon oncle. L'occasion pour ma mère (et moi) de
revoir la vieille serre et les lieux familiers. J'y suis revenu la deuxième fois en
octobre dernier, avec ma cousine Anita, avec laquelle, grâce à l'écriture, j'ai repris
contact au bout de trente-huit ans.
Voici donc les dernières nouvelles du faubourg : qu'on se rassure, il y en aura
d'autres...
(23/03/2021)
Il y a un an pile, je relatais dans cette même rubrique le 16
mars 2020, le grand inconnu que représentait la veille du premier confinement, cette
expérience mondiale inouïe pour lutter contre le coronavirus inconnu dont on prévoyait
le pire.
Un an après, le pire a-t-il eu lieu ? Oui, si on considère les deux millions sept
cent mille morts au niveau planétaire, dont 91000 recensés en France. Bien-sûr, on
trouvera toujours des septiques pour contester ces chiffres (en-dessous de la réalité
pour bien des pays qui recensent peu), mais, en ce qui concerne notre pays, l'INSEE (que
chacun peut consulter plutôt que de glaner de fausses informations relayées sur les
réseaux sociaux) constate une augmentation de 75000 décès par rapport aux années
précédentes pendant la même période.
Dans mon petit département, qui compte 170 000 âmes, il y a tout juste un an, le journal
local annonçait les 3 premiers décès du à la pandémie. Aujourd'hui, on en dénombre
à ce jour 450 en hôpital ou en Ehpad, ce qui représente un taux deux fois plus haut
qu'au niveau national (ma région à une moyenne d'âge élevée). Autant dire que bien
des habitants ont perdu des proches, amis, famille, connaissances. Pour ma part, quatre
ont ainsi disparu (une tante maternelle à laquelle je tenais beaucoup il y a 15 jours)
sans qu'on puisse le plus souvent leur rendre un dernier hommage, leurs enterrements
s'apparentant à une sorte de course masquée et réduite.
Les autres bilans ne sont pas plus encourageants : l'économie et la culture sont à
l'arrêt, certains secteurs depuis un an, et pas moyen de se distraire au restaurant ou au
café, chacun reste chez lui à partir de 18h : cela dure déjà depuis trois mois.
Il y aura juste eu une parenthèse de (même pas enchantée puisque les masques, les
protections et les gestes barrières étaient requis) entre mai et octobre 2020, cinq mois
suffisants pour participer à deux mariages, renouer avec des fêtes familiales, les
vacances en Sicile, participer à la rentrée littéraire, avant de replonger à nouveau
dans les restrictions. Aujourd'hui, mon agenda
est toujours vide dans l'immédiat (si j'ai inscrit une manifestation pour le... 1er
avril!), annulations, reports, annulations à nouveau, rien n'est prévisible.
Mais à la fin, on s'habitue, on trouve des biais, une galette des rois associative
partagée via Zoom, Des contacts téléphoniques plus fréquents qu'auparavant. Et puis
enfin, il y a l'espoir de la vaccination, qui ne dispense aucunement d'ailleurs de porter
toujours correctement nos masques, y compris avec nos proches.
(16/03/2021)
Je n'ai jamais eu la main verte, du moins c'est ce que je crois.
Petit-fils d'horticulteur, j'ai pourtant aidé mon grand-père maternel, semé des radis,
bouturé des géraniums. Ma grand-mère paternelle m'a appris à faucher. Je sais aussi
avec des oncles poser une clôture en piquet d'acacia, tendre du fil de fer. Tout seul, je
tond ma pelouse, je taille mes thuyas, mes lauriers, mes buissons, mes rosiers, je coupe
du bois. Je sais réparer mes outils, taille-haie, tondeuse, tronçonneuse,
débroussailleuse. Alors d'où me vient l'idée que je n'ai pas la main verte ? 'ai
toujours eu l'idée que je ne réussissais que ce qui est apte à pousser sans moi, sans
entretien. D'où ma désaffection pour le potager, trop prenant. Je me contente d'herbes
aromatiques sur mon balcon et de quelques tomates-cerises grappillées sur le pied même
lorsqu'elles sont mûres.
Pareil pour les plantes d'intérieur : celles qui ont résisté sont les plus
rustiques : arrosage épars, soins distants. C'est sans doute pour cette raison que
je me suis tourné vers les orchidées, où plutôt, la passion que j'éprouve envers la
diversité étonnante de cette famille botanique s'est accommodée de leur faible exigence
en entretien. Car la beauté époustouflante des orchidées s'accommode très bien de
l'abandon ou presque des gestes prodigues qu'on serait tenté de leur donner pour rendre
hommage à leur aristocratie. Combien de fois me suis-je aperçu que je ne leur avais pas
apporté d'eau depuis trois semaines, voire un mois ? Combien de fois, ai-je oublié
de rentrer les cymbidiums au premières gelées ? Certaines ont péri,
d'autres ne m'en ont jamais tenu rigueur et continuent sans moi leur vies végétatives.
Mais sans doute que j'exagère un peu. Lorsque j'ai commencé à m'intéresser aux
orchidées vers le milieu des années 80, j'ai acquis quelques livres (voir en Notes de
lecture cette semaine), je me suis renseigné sur leur culture et quelques réflexes m'ont
permis de préserver les premières : les grouper au dessus de billes d'argile pour
garder l'humidité des arrosages, vaporiser souvent les feuilles et les racines aériennes
de ces épiphytes qui vivent souvent sans terre. Les plantes qui refleurissaient l'année
suivante m'apportaient une satisfaction suffisante pour croire que je m'occupais d'elles.
Car le véritable enjeu est bien de les faire refleurir. Acheter une plante fleurie dans
une jardinerie est aisé, on peut s'extasier à l'infini sur la beauté des pétales, mais
le satisfecit est plus grand encore d'arriver à la voir s'accroître et refleurir
ensuite.
De fait, certaines variétés aisées, comme les phalaenopsis ont su me
réconcilier avec ma supposée main verte, mais je continuais à les délaisser plus qu'il
ne fallait. Il y a quelques années, j'ai décidé d'être plus régulier :
vaporisation une fois par jour, arrosage une fois par semaine, rempotage une fois l'an. Je
pense que ce déclic m'est venu en voyant mes amis Françoise et Vincent à Thiers il y a
trois ans s'occuper de superbes potées de phalaenopsis, que Françoise bassinait
une fois par semaine. Mes plantes m'ont ainsi été reconnaissantes de ce regain
d'intérêt et, depuis, arborent une santé régulière et les fleurs qui vont avec chaque
année.
(09/03/2021)
Que faire en vacances en février ? Aller au resto ?
Que nenni, au cinéma encore moins. Reste la possibilité de changer d'air, de pouvoir se
promener dans des lieux inconnus avant 18h en portant un masque et de revenir sagement
s'enfermer pendant douze heures en attendant le soir et la nuit.
C'est ce que nous avons fait à Cabourg.
Donc, rouler la journée pour arriver avant l'heure fatidique et idem au retour, puis
investir un petit appartement de villégiature, heureusement bien situé à 300 m de la
plage. Partir sur la promenade, longer la mer et les vagues en direction du Grand Hôtel
cher à Marcel Proust.
Marcel Proust justement : le voilà qui s'invite sous forme de panneaux pour nous rappeler les gestes
barrières et l'obligation du port du masque. Et parce que je présente l'écrivain à mon
petit-fils de 22 mois qui retient tout ce qu'on lui dit, le voici juvénilement nommé
avec l'accent charmant que prennent les enfants qui découvrent la parole et le bavardage.
Rapidement, il est désigné à chaque panonceau (« Mââârcel
Prouste ! » - la dernière syllabe en suraigu), cité en même temps que
d'autres mobiliers urbains sur le trajet (« la poubelle c'est sâle »). Il
devient ainsi une sorte de personnage, comme ceux qui s'invitent dans ses premiers livres,
lionceaux, chatons, escargots, coccinelles, papillons, répétés à l'envi. L'auteur de
dÀ l'ombre des jeunes filles en fleurs est même préféré à la banale
injonction « aller à la mer » qui se transforme en « aller voir
Mââârcel Prouste ». Il prend même l'aspect du père Fouettard lors de rares
remontrances : « Papi pas content » est suivi d'un « Mââârcel
Prouste pas content » avec le bon sourire de celui qui savoure sa plaisanterie.
Doux « enfantillages », pour reprendre le titre du récit de Pierre
Bergounioux proposé cette semaine en Notes de lecture.
Cabourg, de cette manière, nous aura bien délassé sur le fond triste de la pandémie,
des rues commerçantes bondées à 17 heures parce qu'on ne peut rentrer qu'à quelques
uns dans les magasins pour acheter le repas du soir à emporter. Le port du masque
cependant était bien respecté : faut-il y voir un effet du pouvoir de la
littérature classique ? Étions-nous tous à la recherche du temps perdu
d'avant ?
(01/03/2020)
« L'épervier, il faut le dire » : cette chanson des années 60
d'Hugues Aufray m'est venue à l'esprit lorsque j'ai identifié le volatile qui avait élu
domicile le temps d'un repas. Dans la chanson, l'oiseau « est petit mais bien
voleur ».
Dans la réalité, celui qui était perché sur une branche de l'arbre de Judée à deux
mètres de mon balcon, avait la taille d'un gros pigeon. Il n'avait rien volé non plus,
juste fait preuve d'opportunisme en jetant son dévolu sur un moineau attiré par la
mangeoire que je garnis les jours de gel et de neige. Lorsque nous l'avons remarqué, il
avait déjà commencé son repas et enserrait le petit passereau entre ses serres. Rien de
cruel cependant : la cruauté est un sentiment humain. En ce qui concerne l'oiseau de
proie, il s'agissait juste de sa vie naturelle, attraper des cibles ailées, des
opportunités à plumes qui constituent son mode habituel de subsistance.
Le spectacle de son repas a ainsi duré vingt bonnes minutes. La manière dont son bec
solide et courbe déplumait l'oiseau, lacérait les chairs avant de les engloutir
provoquait une sorte de fascination. La scène était amplifiée par le paysage de neige,
sur lequel la couleur rouge se détachait, augmentée par la résolution avec laquelle
l'épervier engloutissait chaque bouchée, vous fixant parfois de son il orange.
Mais, j'insiste : aucune barbarie, juste la vie animale à portée de regard, quelque
chose qui échappe à tout entendement humain, une effraction dans la vie sauvage à
laquelle on a la chance d'assister.
J'ai eu le temps de photographier l'épervier sous toutes les coutures. C'était un mâle
adulte. Au départ, j'ai utilisé mon apareil à travers le rideau, en catimini pour ne
pas le déranger. Mais nous nous sommes enhardis mutuellement, et j'ai fini par essayer
divers objectifs et zooms (voir en Webcam), légèrement caché derrière la vitre de la
véranda. Quant à lui, perché tranquillement sur sa branche, il demeurait aux aguets,
levant parfois la tête pour écouter les cris d'alarmes des autres oiseaux. Il s'est
aussi inquiété, mais sans plus, lorsque, sous lui, les enfants des voisins, de retour de
l'école, ont échangé quelques boules de neige. Son repas terminé, il s'est longuement
nettoyé, frottant son bec contre les branches enneigées, lissant ses plumes, se
retournant sur lui-même. Il s'est envolé peu après, grandes ailes rayées et
silencieuses, survolant les jardins blanchis, regagnant sans doute son nid dans le silence
du crépuscule, au cur d'une des forêts voisines qui bordent la ville.
(16/02/2021)
Tout à commencé avec un article dans le journal local
m'apprenant la récente mise en ligne de photographies aériennes concernant ma ville dans
le site institutionnel Médiathèque Architecture Patrimoine. Le pilote et photographe en
question est le célèbre Roger Henrard (1900-1975). Après la Seconde guerre mondiale, il mit
ses talents d'espion pour le renseignement français au service d'une cause pacifique et
civile en photographiant la France vue d'en-haut : au total plus de 22000 clichés
concernant tous les coins du pays sont ainsi archivés ! Ceux-ci, pris à basse
altitude sont d'une précision extraordinaire et permettent d'agrandir les détails. C'est
ainsi qu'il a en réalisé une vingtaine en survolant ma ville, probablement entre 1950 et
1960.
Sur l'un d'entre eux, pris en oblique avec une profondeur de champ étonnante, mon
quartier y figure en retrait au-delà de la cheminée d'une brasserie, aujourd'hui
disparue. En suivant du regard la passerelle qui enjambe le canal, la route qui longe la
voie ferrée, on débouche dans ma rue. Sur le trajet, je reconnais des façades, maisons
modestes ou plus cossues. C'est un quartier de jardins, habité par des familles
populaires. La ville, depuis la révolution industrielle, est spécialisée dans la
métallurgie. L'exploitation du fer, la fonte, les aciéries fournissent une main
duvre, souvent qualifiée, mais peu payée par les maîtres de forge.
L'habitude est alors de cultiver un petit lopin de terre, de garnir les clapiers de lapins
et d'installer un poulailler. On exploite aussi des vignes et on trouve encore aujourd'hui
des plants rescapés qui donnent des grappes aux grains bleus et minuscules, savoureux
cependant.
Je repère facilement la maison familiale que mes beaux-parents reprendront. Elle se
trouve à cent mètres de chez moi. Elle a abrité trois générations, et a été
construite avant la Première guerre mondiale. Sur le cliché, elle n'est pas encore
doublée (elle ne le sera qu'en 1980) et nous nous sommes souvent demandés comment trois
familles, enfants, parents et grands-parents, faisaient pour habiter une maison si petite.
La plupart des habitations du quartier sont bâties sur un sous-sol à demi enterré, ce
qui surélève le rez-de-chaussée. L'explication tient à un cours d'eau proche, qui
débordait parfois sur les terrains voisins, grèves sablonneuses sans aucune élévation
pour arrêter les inondations.
J'ai bien repéré également les demeures qui me sont voisines, celles en vis à vis,
celles de côté, et, surprise : aucun toit à la place d'où j'habite.
C'est ma maison avant la maison.
L'explication est simple et c'est une demi surprise. Le propriétaire à qui je l'ai
achetée (cela fera trente ans cette année) l'a fait construire au milieu des années
cinquante. Le propriétaire, à l'époque logeait en face, dans une maison que j'aperçois
de la fenètre de mon bureau. Elle appartenait à la famille de son épouse. A l'époque,
c'était un jeune ingénieur embauché dans une usine d'émaillage et de traitements de
métaux. Le procédé était américain, peut-être arrivé quelques années auparavant
grâce au plan Marshall. Il a ainsi acheté à partir de 1950 des parcelles pour y faire
construire sa maison (l'ensemble constituait alors un terrain étroit d'une longueur de
cent mètres). Il a aussi élaboré des montages financiers à base de cessions de
dommages de guerre : les bombardements de la libération étaient encore frais. Les
vendeurs ou les héritiers avec qui il a fait affaire, sont ouvriers d'usine,
chaudronnier, boulanger, coiffeur, cultivateur, chiffonnier, veuves sans profession,
acquéreurs de jardinets de faubourgs, d'emplacements peu onéreux à la lisière de la
ville.
Début 1954, le jeune ingénieur, devenu entre temps directeur de l'usine, prévoit
d'ériger une maison sur son nouveau terrain : c'est un pavillon classique, très
moderne, avec un toit à quatre pans qui abrite une façade de 13 mètres, un garage, un
étage, un vaste balcon donnant sur deux côtés. On sent dans l'aménagement des détails
une influence venue à l'évidence d'outre-atlantique.
La maison étant terminée un an plus tard, le cliché qui mintéresse date ainsi
d'avant 1955. Mais guère avant, car l'arrière plan de la photographie, décidément
d'une excellente qualité, dévoile la ville nouvelle, alors en élaboration. L'activité
industrielle est en plein essor, la reconstruction bat son plein, il faut accueillir les
nouveaux arrivants et les militaires de la base aérienne, en grande expansion également.
On distingue déjà une dizaine de bâtiments de trois ou quatre étages, certains sont
toujours habités. Les premiers logements sont sortis de terre en 1953 : il est ainsi
aisé de situer plus précisément la photographie d'autant plus qu'on discerne
parfaitement l'emplacement défini et déjà arasé du lycée qui sera édifié à deux
cents mètres de chez moi l'année suivante.
Je suis ainsi en été 1954, il fait très beau, les arbres ont des feuilles fournies. Je
suis assis à côté du pilote-photographe, Roger Henrard, dans le cockpit de son bimoteur
Lockeed 12 Electra junior, avec lequel, dix ans plus tôt, il donnait des renseignements
aux alliés. Il me désigne là où j'habiterai 37 ans plus tard. Enfin, c'est façon de
parler, car il me reste quatre ans pile avant ma naissance...
(09/02/2021)
Il y a tout juste dix ans, j'ai participé à la manifestation
littéraire des enjeux contemporains, organisée chaque année par la Maison des
écrivains et de la littérature (Webcam du
02/02/2011). Elle avait lieu au Petit Palais. Je ne me souviens plus des circonstances
de mon invitation. Retour aux mots sauvages était paru à la rentrée précédente
de septembre. Le livre avait été remarqué, j'avais été nominé au Goncourt. C'est
probablement Dominique Viart, cheville ouvrière et programmatrice de ces rencontres, qui
avait dû me solliciter. Il me suivait dans le sillage de François Bon depuis mon premier
livre Central. Cette année, le thème était « littérature en
vérité ». J'avais été interviewé en même temps que Jean Rolin, que je
découvrais pour la première fois ; son humour, sa fausse désinvolture m'avait mis
à l'aise et en joie. Il me semble que c'est Jean Kaempfer qui avait animé la rencontre.
J'étais en bonne compagnie, Charles Juliet que j'avais vu quelques mois auparavant à
Manosque, Pierre Bergounioux (je crois me souvenir que Jean-Paul Michel était dans la
salle, mais c'était peut-être à une autre occasion). Il y avait aussi le sourire et
l'entrain de Ronald Klapka, qui disparaîtrait brutalement deux ans plus tard. Nous avions
dîné le soir dans une pizzeria. Je crois encore me souvenir que Sylvie Gouttebaron,
était présente, et que je connaîtrais mieux plus tard avec le concours « écrire
le travail ».
Voilà, cela fait dix ans et je m'en souviens si peu, ou plutôt, j'ai l'impression que
cela fait une éternité. La pandémie dissout nos repères. Tout ce à quoi j'ai
participé et qui me revient en même temps (Manosque il y a dix ans ou encore l'année
passée, ou « Ecrire le travail » via l'atelier d'Argenteuil en 2019 pour ne
citer que deux réminiscences) me paraît enfoui dans une vie rêvée, sans ordre ni
chronologie et qui ne s'est pas vraiment produite. Pourtant la page « agenda » atteste de tout cela et de bien plus
encore, de même, bien sûr, que de nombreux articles de F de R.
En cette année inanimée ou presque pour la culture dans ce qu'elle a de plus vivant
pour tous les acteurs (comme on dit), rencontres, événements, projets, tout ce qui donne
l'impression d'exister au-delà des pages de nos livres, la treizième édition
des enjeux contemporains est maintenue. Initialement prévue du 2 au 5 décembre 2020,
reportée inch allah du 4 au 6 mars 2021, son thème colle à l'actualité :
« survivre » (d'ailleurs il faudrait inventer et utiliser le verbe
« sousvivre » pour exprimer notre existence actuelle). Qu'elle soit virtuelle,
ou j'espère présentielle, cette manifestation est un réconfort. Et jamais son titre
« enjeux contemporains » n'a exprimé autant d'attentes.
(02/02/2021)
Triste
époque : pour une fois qu'il y avait une belle neige pour les fêtes, les stations
de sport d'hiver ont dû réduire leur activité. L'an passé, si je me souviens bien, la
neige n'est pas tombée du tout. Il faut remonter à l'année d'avant, à peu près au
même moment pour la dernière séance du flocon blanc (Webcam du 28/01/2019). Cette fois, nous la guettions avec impatience,
les régions aux alentours en avaient déjà reçu une dizaine de centimètres et nous
pouvions espérer en bénéficier. Hélas, la neige a fait son apparition vers 18h un
samedi soir, donc à l'heure de l'obscurité et du couvre-feu. J'ai couru d'une fenêtre
à l'autre pour photographier la petite couche de presque 3 cm qui recouvrait les
balustrades, la voiture, pelouse, arbres et toits. Et c'était tout ce que je pouvais
faire. Le lendemain matin, la pluie sévissait déjà et transformait la neige en
bouillasse grise et gorgée d'eau. Nous n'avons même pas eu le courage de nous promener
jusqu'au parc dans cette ambiance humide.
J'espérais aujourd'hui agrandir cette rubrique et la renommer « neige de nuit et de
jour ». En effet, la météo avait annoncé hier un réveil sous le blanc. Pas grand
chose était prévu, mais suffisamment pour que je me maintienne dans l'illusion d'en
déblayer quelques centimètres pour faciliter l'ouverture du portail, d'en nettoyer les
vitres du véhicule garé dans la cour, le seul muni de pneus hiver. Mais hélas, le matin
gris a dilué ses toits habituels et mouillés, le bruit de la circulation dans les
flaques annonce la reprise du lundi.
Me voici ainsi, à mon bureau, remplissant la mise à jour hebdomadaire, sur cette neige
uniquement nocturne et qui date déjà d'une dizaine. Les flocons épais, apparus comme
par magie pour me contredire au moment où j'écris ces lignes, tournent déjà à la
pluie. La circulation des départs matinaux au boulot s'estompe, un oiseau dans un buisson
voisin s'agite et me rappelle à l'ordre : il est temps de remplir sa mangeoire.
(25/01/2020)
J'ai toujours eu
un faible pour la fonction ALEA des tableurs : un faible littéraire s'entend,
puisque la faculté même de cette fonction destinée à choisir de manière aléatoire un
nombre, permet d'associer par la magie des lignes numérotées une correspondance en
regard, un mot, une phrase ou tout autre « signifiants », comme disent les
linguistes. De là, toutes les combinaisons sont possibles pour agencer noms, verbes ou
adjectifs. L'ordinateur, via le tableur, choisit à votre place, sans état d'âme, grâce
au programme que vous avez conçu et dont vous restez maître. Pas d'inhibition devant une
expression qui ne veut rien dire, la machine ne connaît pas l'angoisse de la page blanche
et vous délivre des combinaisons de mots, parfois farfelues, mais toujours poétiques.
J'utilise cette possibilité depuis 1998, autant dire depuis que j'écris. Lorsque j'ouvre
un de ces programmes, restés en l'état mais toujours capables de fonctionner, je demeure
surpris par l'inventivité que ce cerveau mécanique me propose : ainsi, de
suite : « Crépuscule qui resplendit, le chat rassure l'eau » ou encore
« Lac qui pleure, le monde aime le ciel ». J'y reviens donc régulièrement et
j'avais déjà évoqué cette fameuse fonction ALEA dans une note d'écriture du 13/02/2017.
Cette année, pour le bénéfice d'une association, j'ai réactivé cette vieille fonction
qui existe sur tous les tableurs, même les plus modernes. En effet, celle dans laquelle
juvre, a l'habitude de proposer pour sa première assemblée de l'année la
traditionnelle galette des rois. Hélas, depuis mars, confinements, restaurants et salles
closes nous obligent à nous tenir au courant de nos activités à distance. Malgré tout,
nous avons appris à nous auto-discipliner, à trouver un rythme de croisière et même
une certaine convivialité par télé-réunion, téléphone, tablettes ou ordinateurs
interposés. Mais que faire pour la galette des rois ? J'ai eu l'idée de demander à
chaque membre de bien vouloir apporter devant son écran une part de galette et une
boisson idoine, histoire de respecter la tradition. Mais comment dans ce cas choisir un
roi et une reine ? Vous avez deviné : j'ai utilisé un tableur et la fonction
ALEA en y inscrivant les participants. Résultat : la machine a choisi pour reine...
la présidente de l'association. Je suis sûr que beaucoup penseront que le jeu était
truqué, mais ce n'était pas le cas. Reste le moment de franche rigolade à distance,
chacun répandant les miettes de sa galette sur son clavier et le levant haut son verre
devant sa caméra. Non, le virus n'aura pas le dernier mot...
(18/01/2021)
2020, on s'en
doutait depuis les dernières semaines, serait l'année plus chaude jamais enregistrée.
Dans ma ville, la moyenne des relevés quotidiens des températures les plus élevées a
été de 18,1°C. Par comparaison, l'année de la canicule de 2003 se situe seulement au
septième rang, avec 1° de moins et celle de 1976, qui avait la première marqué les
esprits, encore 1° de moins, 16,1°C et le 16° rang. Plus inquiétant, les six
dernières années les plus chaudes appartiennent à la dernière décennie et les trois
dernières, 2018, 2019 et maintenant 2020, détiennent le haut du palmarès. Nous sommes
déjà à 2,5°C de plus que la moyenne, et la maîtrise de 2°C qu'on espérait ne jamais
atteindre dans les accords sur le climat est déjà dépassée. Dans ces conditions, les
phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient dans tous les coins du globe,
inondations, tempêtes, incendies. Il nous faudra vivre avec, car il est désormais
utopique de croire à une inversion climatique, ce qui n'est pas une raison pour ne rien
faire non plus.
Pour en revenir à mon département, en ce qui concerne 2020, la tendance s'est confirmée
pour tous les mois de l'année, avec notamment le mois d'avril qui s'est démarqué avec +
6°C par rapport à la moyenne. A noter que ma ville a battu un record national d'absence
de précipitation : 45 jours sans une goutte d'eau et cela correspond pile poil avec
la période du premier confinement, de mi-mars à début mai. Les statistiques que
j'évoque, sont issues de la station météo locale qui les compile depuis 1941.
L'ensoleillement, qui dépasse 2000 heures pour la troisième année consécutive, est
désormais comparable à des villes comme Bordeaux ou Toulouse. La sécheresse, entamée
avec un printemps aride, s'est poursuivie pendant cent jours, de la troisième semaine de
juin à la troisième de septembre, avec seulement 10 mm de précipitations pendant cette
période (même pas la valeur d'un arrosage). Dans ces conditions, malgré le retour des
pluies d'automne, le déficit approche les vingt pour cent, c'est mieux que ce que
j'escomptais (note d'étonnement du 30/09/2020),
mais c'est surtout l'état des jardins qui montre les dégâts occasionnés par ces
sécheresses devenues récurrentes (on note sur les statistiques un écroulement soudain
des précipitations de 30%, ininterrompu depuis 19 ans...). L'état des pelouses,
grillées maintenant 4 mois sur 12 (webcam du
3/09/2020), est un moindre mal car l'humidité de surface suffit à faire reverdir le
sol. En revanche, les arbres dépérissent (webcam
du 28/05/2020). En quelques années, j'ai ainsi perdu deux peupliers, un cyprès et
divers buissons, et, en 2021, je ne sais pas si je vais arriver à sauver plusieurs arbres
ainsi qu'une dizaine de lauriers cinquantenaires, dont les troncs principaux n'arrivent
plus à puiser suffisamment d'eau. Le printemps et la reprise de végétation m'apportera
son verdict mais les branches décharnées sont déjà de triste augure.
(11/01/2001)
C'est traditionnel
comme la dinde ou la bûche, et récurrent comme la semaine du blanc qui suit les fêtes,
voici donc le bilan des courses à pied pour l'année écoulée. Dans ma note d'étonnements du 06/01/2020, j'avais déjà
noté une diminution de mes performances, l'équivalent Paris-Moscou de 2018 réduit à
Paris-Rome en 2019. Cette année, c'est à peine un Paris-Marseille que j'aurais accompli,
715 km au total, répartis en 177 km de vélo, 152 km de marche et 386 km de running,
comme dit Cécile Coulon (voir en Notes de lecture).
Fini donc les Paris-Moscou, Paris-Rome en distance annuelle, me voici cantonné dans
l'hexagone pour la totalité de mes résultats. Bien sûr le Coronavirus est passé par
là, les confinements et les couvre-feux. Atteint par la bestiole en mars, j'ai interrompu
toute activité sportive pendant deux mois. Le souffle court, j'étais à peine capable de
promener mon petit-fils dans sa poussette pendant une demi-heure. Un peu de vélo au
printemps, quelques courses lentes n'excédant pas 8 km m'ont redonné une forme
suffisante pour apprécier à nouveau en Sicile les courses matinales et quotidiennes. A
la rentrée, j'avais repris un rythme correct et mes trajets habituels de dix kilomètres
le long du canal. J'ai profité des salons du livre à Manoque et Besançon pour aller
courir, mais le nouveau confinement de fin octobre m'a découragé. J'ai néanmoins
profité de l'autorisation de promenade d'une heure pour découvrir toutes les rues de ma
ville dans la limite du kilomètre. Et ceux qui affirment que cette limite n'était pas
suffisante pour faire du sport n'avaient qu'à nous suivre dans nos marches rapides
supérieures à six kilomètres dans ce temps limité.
Mais surtout, la grande découverte du moment, celle qui m'a redonné véritablement envie
de courir, c'est l'utilisation de mon tapis de course, en usage exclusif d'ailleurs depuis
3 mois. J'y ai ainsi accompli plus de 180 km, soit presque moitié de mes distances de footing.
Il est là, juste sous mes yeux dans la véranda attenante à mon bureau. Je peux y aller
quand je le souhaite, bien au chaud et à l'abri. Je le possède depuis un an, mais un
défaut de fonctionnement nous a empêché de nous en servir sereinement : il
accélérait subitement, et devoir suivre une poussée brutale à seize kilomètres-heure
se révélait plutôt dangereux... Réparé depuis septembre, je m'en sers régulièrement
à raison de plus de vingt kilomètres par semaine en cette fin d'année. Je n'ai même
pas éprouvé le besoin de sortir, mauvais temps oblige. Ne pas s'imaginer pour autant que
ce sport en salle est moins contraignant. Dehors, nous accélérons et ralentissons au
gré de notre humeur et bien souvent sans s'en rendre compte, mais lorsque le tapis vous
projette à 10 ou 13 km/h, pas moyen de transiger, il faut suivre le rythme. Cette
contrainte est néanmoins salutaire : si j'en juge par l'augmentation de mes
moyennes, j'ai probablement augmenté mon allure qui était en baisse régulière depuis
quelques années (privilège de l'âge). J'ai maintenant hâte d'aller vérifier cela sur
mes parcours de courses habituels. Et puis, grâce à une tablette posée sur l'engin
devant mes yeux, je cours virtuellement le long des plages d'Hawaï, au bord d'un lac à
Singapour ou dans une forêt en Suède et, à l'époque de nos horizons confinés ou du
couvre-feu à 18h, ça n'a pas de prix...
(05/01/2021)
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