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Étonnements 2021

 

La dernière mise à jour de FdeR date de déjà trois semaines : le temps passe vite ! Beaucoup de choses s’accumulent et donnent cette impression d’étoile filante. Ainsi, j’avais évoqué le beau festival Au fil des ailes pour lequel j’étais invité pendant 3 week-ends avec pas moins de 7 rencontres en lycée et médiathèque. Dernier week-end de novembre donc, c’était dans les Vosges, à Thaon, puis à Xertigny et Vittel.
J’aime beaucoup les Vosges, mon grand-père était originaire de Ferdrupt et, passion violonistique impose, je ne compte plus les virées à Mirecourt, capitale de la lutherie française. Dernièrement, c’était pour un très beau concert à Epinal (La Création de Joseph Haydn) dans lequel jouait mon épouse. Enfin, la petite montagne bleue étant voisine de mon département, je me suis donc rendu en voiture, d’abord à Thaon où Véronique et Évodie m’ont accueilli. Belle rencontre dans une grande médiathèque devant un public composé notamment d’un quarteron de nonagénaires venues de l’EPHAD proche et dont la vivacité d’esprit n’avait rien à envier aux plus jeunes. Belles conversations notamment avec une pensionnaire de 99 ans et demi qui était déjà maman pendant la seconde guerre mondiale et dont les souvenirs sont intacts !
Mais il était temps déjà de rejoindre Xertigny et sa bibliothèque flambant neuve pour une autre rencontre, où j’ai recommencé à évoquer Yougoslave et l’épopée paternelle sans aucune lassitude et avec grand plaisir devant Sabine, Evodie qui avait suivi et le public qui avait bravé la neige. Car je devais être logé dans un gite rural sur les hauteurs et déjà les flocons tombaient dru lorsque j’y avais déposé mon sac au crépuscule (voir en Webcam). Mais, après la rencontre et un sympathique dîner, impossible de grimper jusque là-haut, les bourrasques blanches s’étaient intensifiées, retour laborieux en marche arrière sur la route bordée de fossés. J’ai appelé à la rescousse la bibliothécaire qui habitait dans un village voisin et qui m’a hébergé pour la nuit, non sans avoir à son tour failli rester enlisée dans la tempête de neige. La vie des professionnels du livre est ainsi plus aventureuse qu’on ne l’imagine.
Le lendemain, déblayage des congères devant ma voiture échouée au centre du village, puis départ prudent, mais, après être redescendu plus bas dans les vallées, plus de neige. La dernière rencontre avait lieu à Vittel, chez Astrid, animée par Sarah Polacci, dont la médiathèque est hébergée dans un ancien hôtel thermal très chic. Fin donc du Festival Au fil des ailes, excellement organisé tous les deux ans par Interbibly.
Pas le temps cependant de rester statique, voici Paris le week-end suivant et la collection Morozov à la Fondation Louis Vuitton (toujours en Webcam) où, avec nos amis, nous avons privilégié les déplacements en voiture pour plus de simplicité et moins de fatigue. Puis deux jours après, invitation à la Sorbonne à la soutenance de la thèse d’histoire de mon gendre (Webcam again) : là encore, voiture, car la déshérence du train depuis ma région ne permet plus, hélas, que des déplacements fortement aléatoires (auxquels il faut rajouter maintenant les grèves au mépris des usagers, du CO2 et de la planète).
Tout cela fut ramassé sur quelques jours, entrecoupés des activités littéraires habituelles et prenantes, ateliers et leur préparation, ou la conférence sur « Rimbaud, le roman du mythe » que j’ai donnée dans ma ville (voir en notes d’écriture).
Enfin, pour clore le chapitre des « petits » déplacements, j’ai participé au Festival de l’écrit à Bar-le-Duc, en animant un atelier d’écriture le matin et en assistant à la remise des prix pour les lauréats l’après-midi (Webcam forever). Je suis très heureux d’avoir revu les personnes que j’ai accompagnées pendant les ateliers d’écriture en milieu d’année à la médiathèque et dans le centre social de Bar-le-Duc. Grand plaisir d’avoir appris que l’une d’entre elles, une jeune maman albanaise, a été embauchée sur un poste culturel au Conseil Départemental parmi 15 candidats. Preuve, s’il en est besoin, que les compétences ne connaissent pas de frontières et que l’immigration zéro est une hérésie.
(16/12/2021)

 

Dix semaines sans mise à jour, faute à la bousculade du temps, il m’est presque difficile d’en dresser un inventaire, ou plutôt, il convient d’en séparer ce qui fut « hors écriture », ce qui m’éloigna de la table de travail (« de peine », comme dirait Pierre Bergounioux, les jours de sombre caractère), de ce qui fut « en écriture ».
« Hors écriture » donc et c’est l’accueil de deux générations extrêmes sous mon toit dès mi-septembre : ma mère, comme un prolongement de sa vie décrite dans Yougoslave, qui ne peut plus rester dans sa maison familiale en l’absence de mon père, et mon petit-fils dont les parents déménagent.
Je passerai sous silence les conditions qui m’ont conduit à accueillir progressivement ma mère dès juillet à la maison, les insomnies qu’une situation difficile et énervante a provoquées en moi depuis mai, le dépaysement et les concessions pour chacun d’entre nous.
J’oublierai les 180 km quotidiens pendant quinze jours et le temps perdu pour adapter mon petit-fils dans la crèche de son nouveau domicile dont ses parents ne possèdent pas encore les clés.
Je ne retiendrai, hormis l’impression de n'avoir jamais eu une seule minute à moi, que le bonheur de côtoyer deux âges extrêmes que quatre générations et quatre-vingt-dix ans séparent, leur étonnante complicité aussi. Et l’étonnement d’une jeune mémoire de deux ans qui s’empile de choses apprises chaque seconde, mots et expressions qui seront la base des premiers souvenirs d’un côté, tandis que de l’autre, le « grand âge » (comme disait Saint-John-Perse) délite d’autres souvenirs en balayant les plus récents et en ne conservant que le socle des plus anciens. D’un côté, les mots qu’on retient par dizaine, sans en comprendre le sens dans l’innocente et joyeuse jeunesse, de l’autre, en même temps, être le témoin de ce qui se perd, les prénoms confondus, lieux, visages qui s’effacent et l’angoisse de ne rien y pouvoir lorsqu’on s’en aperçoit dans quelques moments de lucidité. Il faudrait pouvoir faire un livre de ces deux confrontations, de la manière dont la mémoire se construit et se détruit dans nos cerveaux : réflexe d’écrivain, c’est ce que je me disais alors avant de reprendre le cours des heures échevelées.
Car pour accentuer encore cette grande bousculade qui dura ainsi jusqu’aux vacances de la Toussaint. j’avais ajouté d’autres activités inévitables : avant l’été, j’avais accepté la présidence d’un grand club service pour un an, et la reprise de septembre a apporté nombre d’événements programmés qu’il m’a fallu organiser : une journée de vendanges vers Reims, un méchoui, une conférence sur l’illettrisme, tout cela dans les creux d’un quotidien déjà rempli et sans cesse remis en question, rebondissements-surprise du déménagement de ma fille et de mon genre, 15 m3 d’affaires à acheminer en urgence sur 300 km, camion, etc… Côté maman, même chose, un appartement obtenu dans une résidence sénior à aménager avec les moyens du bord, meubles montés tout seul, s’occuper du téléphone, du courrier, des démarches, des affaires à rapatrier à 120 km de là et rassurer celle qui n’a pas quitté sa maison depuis 40 ans.
Bref, aux vacances de la Toussaint, grande envie d’évasion : sur un coup de tête, "nous" partirons en Guadeloupe (un mot sur la moitié de ce "nous" dont les activités sont toutes aussi débordantes : médecine,   vaccination, la musique en plus avec un quatuor et deux ensembles philharmoniques). Les photos sont en Webcam et  il nous fallait cette grande respiration avant de reprendre le cours de nos vies ardentes.
Tout cela bien-sûr, c’est « hors-écriture », il me faut raconter la suite « en-écriture » dans la rubrique adéquate.
(24/11/2021)

 

J'ai animé trois ateliers d'écriture en même temps au printemps. Ramassés entre fin avril et début juillet, il m'a fallu jongler avec les emplois du temps et caser en deux mois la vingtaine de séances requises, dispersées à Chaumont et Bar-le-Duc. Mais enfin, tout s'est terminé sans retard, avec de vraies conclusions pour ces trois expériences.
Chaumont d'abord, public allophone composés de jeunes Afghans. Pas question de leur parler de Rimbaud et de bâtir un atelier d'écriture classique. La pandémie les a éloignés de tout apprentissage de la langue, qui repose essentiellement sur des bénévoles, alors confinés. Relégués entre eux, ils ne disposent que d'un vocabulaire très limité. Le défi a relever à alors été très grand et très sportif. C'était comme rentrer sur un ring de boxe à chaque séance dans l'improvisation et la réponse au coup par coup, en direct. Il fallait innover à chaque seconde. Grâce à l'excellent et talentueux musicien Vincent Bardin, nous avons réussi à leur faire fabriquer des instruments de musique à cordes et percussions, à se servir du vocabulaire utilisé en parallèle pour leur permettre d'avancer dans la langue et l'écriture. Belle expérience donc, enthousiasmante, et qui s'est terminée par une dernière séance le 23 juin que nous avions pompeusement surnommée « restitution ». Mais une autre restitution, la vraie, en présence des autorités préfectorales intrigués par notre remue-ménage, aura lieu le 5 octobre.
Pour l'occasion, j'ai monté un petit film de 15 mn qui retrace cette aventure. En effet, plus de 200 prises de vue ont été réalisées sur les 11 séances (merci Fedwa), ce qui représente 3 heures de rushes (comme on dit au cinéma). Ce documentaire qui s'intitule « Langue, musique et écriture : fabrique d'un atelier » sera également présenté lors d'une journée pédagogique organisée à Reims le 8 octobre sur « le jeu et l'apprentissage de la langue » et lors d'une réunion associative le 20 octobre dans ma ville sur le thème de l'illettrisme.
Bar-le-Duc en parallèle et ses deux ateliers (le matin à la médiathèque et l'après-midi au centre social) pouvait passer pour du repos. En effet le public était francophone pour la grande majorité et ceux qui ne l'étaient pas (un Afghan, un Bangladais, une Syrienne) arrivaient à pratiquer un français suffisamment élaboré pour que je puisse me servir de textes d'auteurs en appui. Ceci dit, certains participants du matin relevaient d'associations pour handicapés et la difficulté était d'individualiser les exercices en fonction de chaque personnalité. L'après-midi était plus homogène, emmenée par l’enthousiasme de Besmira, une jeune albanaise passionnée qui parle cinq langues. Là encore, c'est avec regret que la dernière séance est arrivée le 2 juillet pour ces deux ateliers, derniers écrits, derniers échanges et le temps de faire pour chacun une photo de groupe (voir en Webcam).
Les journaux de bord de ces trois expériences sont désormais complétés et s'ajoutent à la rubrique ateliers d'écriture, en attendant de la compléter par de nouvelles aventures qui ne sauraient tarder...
(11/09/2021)

 

Dix-neuvième voyage en Sicile, à peine le temps de s'en réjouir à l'avance, la météo capricieuse n'a pas aidé, ni la précipitation des jours : ateliers d'écriture à terminer promptement, sans compter les dizaines d'imprévus qui me sont tombés dessus et qui remplissent mes jours et mes pensées. Bref, me voici au jour du départ un peu hébété, préoccupé même, pas dans l'état d'esprit qui précède la farniente.
Idem, sur place : l'année est un peu particulière, les éruptions à répétitions sur l'Etna proche d'où je réside (18 km à vol d'oiseau) perturbent la vie locale, les habitants ne savent plus comment se débarrasser des pluies de cendres. Nous même, nous subirons un matin l'averse de sable noir qui s'insinue partout, qui crépite sur les voitures et qu'il faut balayer sur les terrasses pour éviter d'en emporter à l'intérieur. En revanche, un soir d’éruption, ce sera un spectacle magnifique, vu de la maison (et voir en Webcam). Mais enfin, ce fut les vacances, la joie de retrouver les lieux familiers même si certains estaminets indispensables à la vie italienne ont fermé leurs portes, probablement à la suite de l'épidémie. Il reste le parc adjacent, l'épicerie avec sa « mama », le grand café Urna et ses incomparables « granite a la pistacchio ». Nous trouverons même le temps d'aller deux fois sur les flancs du volcan, de faire le plein d'huile d'olive et de visiter un endroit que nous ne connaissions pas, Ispica et ses catacombes. Cependant, pas mis une seule fois les pieds à Catane sinon pour aller et revenir de l'aéroport. La plage néanmoins a su nous rafraîchir le soir jusqu'au crépuscule. Il faut dire qu'il a fait chaud cette année et les ventilateurs ont tourné en permanence la nuit. Par chance, nous sommes revenu juste avant la grande canicule et son record de chaleur à 48,8° à Syracuse.
Voilà, le dix-neuvième voyage en Sicile s'est terminé comme il avait commencé, dans la précipitation et les préoccupations du moment. Attendre la vingtième édition en espérant des temps plus sereins.
(18/08/2021)

 

Les années se suivent et ne se ressemblent pas. Heureusement : l'année de grande sécheresse a fait place a des pluies abondantes et régulières. Le jardin s'en retrouve ainsi revigoré. La pelouse, brûlée jusqu'en octobre dernier, repousse de manière drue et il faut tondre chaque semaine. Les haies dévastées se garnissent de rameaux nouveaux, cachant la tristesse des branches dénudées. Les pousses des figuiers, grillées par gel tardif, sont reparties. Au printemps, j'ai dû couper un vieux cyprès qui n'a pas résisté au manque d'eau et, comme il faisait office de clôture, j'ai été obligé de bétonner un poteau à la place et de continuer le grillage. J'ai placé devant l'endroit vide un gros olivier en pot. J'ai aussi installé à proximité un réservoir d'eau sous un toit et il est rempli au maximum.
Voici pour les travaux cette année, et, avec la bousculade du déconfinement (voir en notes d'écriture), j'ai loupé les arrivages de géraniums pour garnir les balconnières. La chance m'a sourit dans une jardinerie dans laquelle j'errai entre deux ateliers d'écriture : des plants défleuris de mes fleurs préférées, boudés par la clientèle, ont fait mon bonheur. Repiqués depuis dix jours, ils proposent déjà des boutons floraux.
Bref, c'est une année beaucoup moins stressante que la précédente, où la nature s'étale. Il faut bien sûr excepter les orages, particulièrement violents, qui, par chance, n'ont rien abîmé jusqu'à présent.
Cette année, les orchidées sauvages ont été abondantes au jardin. Une vingtaine de pieds d'orchis boucs a consenti à fleurir dans deux endroits assez ramassés. L'odeur un peu poivrée, qui donne le qualificatif exagéré de « bouc » à cette grande orchidée (l'une d'elles approche un mètre de haut) se déployait ainsi au soirs ensoleillés du crépuscule. Mais la surprise est venue de l'une des places – un rectangle d'un mètre carré – qui réunissait 12 pieds de 80 cm, et que j'avais pris soin d'épargner à la tonte : cinq ophrys abeilles dont les plus grands mesurent 50 cm, se sont développés, avec sur chaque tige une dizaine de fleurs magnifiques qui imitent à la perfection le ventre d'une abeille (d'où leur nom) : voir aussi en Webcam.
Ainsi, réunir sur un si petit espace deux espèces d'orchidées, même si ces variétés ne sont pas en voie d'extinction, est une merveille inattendue en ces temps difficiles.
(22/06/2021)

 

Il fallait s'y attendre, c'est la bousculade d'après confinement : à peine posés les jalons des réouvertures en tous genres, tout ce qui avait été remis, repoussé, annulé, reprogrammé, reporté, ressurgit de nouveau. Fêtes familiales, associatives, restaurants, salles de sport, pratique musicale, événements professionnels, culturels, toute cette vie mise en suspens, oubliée, se manifeste à nouveau. Pour preuve, le confinement qui nous faisait vivre une vie de charentaise avec télé à 18h aux plus belles heures du couvre-feu, se délite d'un coup : chacun vaque à ses occupations, un resto en terrasse pour madame, une réunion de club pour monsieur, la possibilité de voyager pour tous les deux, comme cette escapade à Bruxelles pour retrouver ma progéniture éloignée depuis octobre. Du coup, on en profite pour rattraper le temps perdu, on célèbre Noël, le Nouvel an et Pâques en même temps, mon fils s'esbaudit auprès de son neveu qu'il n'a pas vu depuis un an : bonheurs, sourires, on respire, même si on garde encore le masque. Bruxelles donc, nous a accueilli dans un avant-goût de terrasse puisqu'elles étaient ouvertes une semaine avant la France. Et de retour, tout se précipite : les trois ateliers d'écriture prévus, des réservations, des rencontres, des réunions, une fête prévue, une vie associative mise en suspend et qui va m'accaparer pendant une année de présidence. Bref, j'oublie aussi toutes les sollicitations auxquelles je ne peux répondre, d'autres tracasseries qui prennent du temps, mais enfin, la vie est là, on ne va pas se plaindre non ?
(03/06/2021)

 

Ateliers d'écriture... Ils ont leurs farouches défenseurs, leurs non-moins farouches détracteurs (l'écriture, ça ne s'apprend pas). Leurs usages sont plus ou moins répandus (universitaires et institutionnalisés en creative writing dans les pays anglo-saxons) ou relégués dans des voies de garage. En France notamment. ils ont constitué un des rares moyens de subsistance pour des écrivains, au risque pour eux d'être entièrement absorbés par cette mission de « travailleur social ». Car dans notre pays, l'atelier sert à masquer les trous dans la serpillière d'une société qui relègue aux marges, mais bon... Patrie des arts et de la culture, le pays se donne bonne conscience à moindre frais en comptant sur un tissu associatif dense ou sur quelques profs passionnés pour occuper sainement une partie de la population.
Laissons de côté les ateliers d'écriture élitistes avec des auteurs célèbres en tête d'affiche et dont les prix prohibitifs s'adressent à des bourgeois en mal de sensations scripturales et surtout de mondanités : ah, tutoyer un écrivain reconnu...
Les ateliers sont ainsi venus à moi par l'intermédiaire de François Bon, qui publia en 2000 Tous les mots sont adultes, une référence pour qui veut animer un atelier d'écriture. Chez le même éditeur, Central était paru la même année, et ces expériences pour alimenter ma destinée toute neuve d'écrivain débutant m'avaient attiré sans que je désire les tenter. Et puis je travaillais, j'avais beaucoup à faire entre la vie familiale, l'écriture et le boulot.
En revanche, lorsque j'ai pris quelques mois sabbatiques pour me consacrer à la reprise de mes études, l'idée d'embrasser uniquement la carrière d'auteur m'a traversé, ainsi que les ateliers d'écriture, comme moyen de subsistance. J'ai ainsi monté à partir de 2004, des projets complets au hasard de rencontres dans un lycée professionnel dans l'Aube, dans un asile du Jura, dans ma ville natale ou à l'université de Dijon. Et puis j'ai repris mon job et j''ai renoncé à essayer de vivre de ma plume. J'ai ainsi arrêté en 2007, hormis quelques interventions ponctuelles.
Neuf ans après, cependant, en compagnie d'Alain Delatour pour Instants handball, je suis intervenu à nouveau avec des classes de primaire à Dunkerque et j'ai retrouvé intact ce qui me plaisait tant, une sorte d'enthousiasme indicible, que je ne savais expliquer. En parallèle, ces années-là, j'éprouvais la même impression en participant au jury « Écrire le travail », organisé par l'Académie de Versailles. Dans ce cadre, l'occasion m'a été donnée d'intervenir dans un lycée à Argenteuil, puis j'ai eu envie de partager cette belle expérience avec une classe de Charleville, avec une professeure rencontrée par hasard dans cette même cité alors que je présentais un livre à la librairie Rimbaud.
Hasard encore de me retrouver dans les Ardennes dans un centre social à Carignan avec toujours l'ami Delatour pour notre nouveau projet Instants cuisine.
Hasard toujours, lorsqu'un ami, directeur d'une antenne associative dévolue à l'accueil de migrants mineurs, me propose d'intervenir dans ma ville : 20 séances décoiffantes avec en partenariat avec la très active association Initiales, qui lutte contre l’illettrisme. Un atelier à Bar-le-Duc était également programmé.
Hasard que ces rencontres, mais en même une certaine idée de forcer le destin vers quelque chose, une sorte de vitalité entrevue qui forme probablement le fondement de mon écriture.
Ainsi, Argenteuil, Charleville, Saint-Dizier ou Bar-le-Duc et Carignan : le constat était clair, j'avais vraiment renoué avec les ateliers...
Hélas, le coronavirus aura terminé brutalement ces belles expériences : pas de restitution ni de conclusion possible à Charleville et à Saint-Dizier pour ces ateliers qui touchaient à leur fin : les migrants devaient rencontrer le sous-préfet de ma ville, la médiathèque devait recevoir les lycéens Carolomacériens dans le cadre du Printemps des poètes ; à Bar-le-Duc, nous n'avons même pas eu le temps de démarrer et le centre social de Carignan a fermé : au total une dizaine de rendez-vous annulés, la vie culturelle, sociale, réduite à sa plus simple expression depuis plus d'un an.
Car, même avec la petite reprise en été 2020, il était déjà trop aléatoire d'animer de tels ateliers. Les déprogrammations successives et les reports se sont accumulés. Il y a seulement depuis quelques semaines que nous sommes en mesure d’œuvrer à nouveau : déjà cinq séances ont été réalisées pour un nouveau projet concernant des demandeurs d'asile à Chaumont, deux autres ateliers à Bar-le-Duc vont démarrer à la fin du mois.
Seule différence par rapport à l'avant-Coronavirus, la prise de température à l'arrivée, le port du masque en permanence, l'éloignement, le gel qui poisse les mains, le nombre limité de participants : mais il en faut plus pour nous décourager.
Toutes ces expériences d'ateliers sont maintenant regroupée dans une page spéciale, accessible également rapidement par la marge gauche.
(20/05/2021)

 

Valence donc, je ne connaissais pas. Plusieurs fois j'y suis passé, parce que c'est la route qui mène dans le Sud, je connais ainsi Avignon, Grenoble, Saint-Étienne et Lyon bien-sûr. Mais dans cette période où il faut un motif valable pour s'éloigner à plus de 10 km de chez soi, cette escapade prend le goût d'une aventure et c'en est vraiment une : je vais assister là-bas à une journée de tournage pour l'adaptation cinématographique de mon roman Ils désertent. C'est aussi l'occasion pour nous de profiter de trois jours de vacances. Donc pour mon séjour en période de Coronavirus, j'ai réservé un studio en plein centre historique. Malheureusement, tout étant fermé à notre arrivée le lundi, la balade touristique de fin d'après-midi tourne à la quête d'une épicerie pour acheter le frugal repas du soir. La promenade nous réserve cependant une bonne surprise : alors que nous entrons dans une église encore ouverte pour la visiter, un superbe concert de violon et d'orgue nous attend : étonnant dans cette période de restriction culturelle... Le dernier auquel nous avons assisté date de septembre et c'était le seul depuis un an. En réalité, cette aubade s'inscrit dans l'action pour défendre la culture engagée par le violoncelliste Gauthier Herrmann et qui a choisi de courir de Paris à Aix-en-Provence, soit 900 km en 13 jours ! Le soir où nous arrivons, l'étape est à Valence et l'église accueille le repos du violoncelliste, tandis que sa compagne violoniste nous gratifie d'un petit concert (avant 19h!) devant une vingtaine de spectateurs invités ou débarqués par hasard comme nous.
Le lendemain, nous randonnons autour du château de Crussol à cinq kilomètres d'où nous résidons, le temps est doux et nous nous réjouissons de la journée de tournage prévue le mercredi. Hélas, le temps ne restera pas si clément et la plupart des scènes extérieures seront filmées sous un vent glacial et des pluies intermittentes. La suite d'une telle incursion dans le monde du cinéma est retracée en Notes d'écriture.
(07/05/2021)

 

De fils en aiguilles (d'horloge), cette soudaine passion pour les mouvements du temps (voir les deux épisodes précédents) m'a fait également ressortir du fond du garage une pendule en marbre, pareillement récupérée lors du déménagement de la maison familiale occupée pendant un siècle par plusieurs générations.
Je n'avais pas pris autant de précautions qu'avec la pendule à colonnes évoquée la semaine dernière, et celle-ci était remisée n'importe comment, posée de guingois, accompagnée des deux chandeliers qui composaient avec le réveil ce qu'on appelait à l'époque une parure de salon, destinée à orner le dessus d'un buffet ou d'une cheminée. L'ensemble, malgré l'absence de précaution, semblait à peu près intact. Il a juste fallu resserrer quelques écrous, revisser les bougeoirs, recoller sur l'un d'eux un petit piétement de laiton et nettoyer le tout.
De prime abord, la parure de salon est complète avec ses deux éteignoirs à bougies et la pendule, ainsi encadrée par ses candélabres de même facture, a fière allure. Le marbre noir, orné de granit rosé, abondamment rehaussé de volutes en métal doré, apporte un côté solennel, mais nos goûts actuels ont tendance à trouver ces décorations plus appropriées dans les cimetières que du côté des vivants. Il faut néanmoins se représenter ces éléments dans les intérieurs sombres d'avant l'électricité (d'où la présence des chandeliers). Il faut imaginer Mme Bovary, du fond de son ennui, regardant en soupirant la pendule qui n'avance pas vite dans la lumière vacillante des bougies.
En parlant de pendule, aiguillonné par mes récents succès de mécanique horlogère, désireux de passer pour mon petit-fils comme un bricoleur hors-pair, j'ai commencé à examiner la pièce principale de cette parure, un gros cube de marbre, lourd de plusieurs kilos et traversé en son centre par le mouvement des heures. Sur la face avant, le cadran, avec ses chiffres romains et son verre biseauté, est particulièrement élégant. Il s'ouvre pour permettre l'accès aux 2 remontoirs, celui des aiguilles et celui de la sonnerie. Sur la face arrière, une porte circulaire en cuivre ajouré permet l'accès au mécanisme et à son démontage.
A l'intérieur, par chance, je retrouve au fond le balancier qui s'était décroché, mais le timbre qui assure la sonnerie est manquant. Il n'est pas impossible, probable même qu'il ait été retiré pour éviter le tintement des heures : peut-être la parure était-elle disposée dans une chambre en dernier lieu.
La mécanique des heures est une sorte de gros cylindre, pas très différent dans sa conception de la pendule à colonne dans l'entrée, sauf que le balancier qui impulse le mouvement mesure une douzaine de centimètres, de manière à demeurer invisible dans les entrailles de l'appareil. Appelé « mouvement de Paris », ce dispositif a été très répandu dans l'horlogerie pendant près de deux siècles de 1750 à l'aube de la seconde guerre mondiale. Un poinçon m'indique que celui-ci a été fabriqué par « G. Mégnin, médaille d'argent ». Georges Mégnin s'est installé dans le Doubs, haute région horlogère, en 1886. Il agrandit son usine de mouvements de pendules en 1892 avant de se retirer en 1901, au profit de ses enfants qui reprendront la société sous la dénomination « Les Fils de Georges Mégnin ».
Il est possible que cette pendule et ses bougeoirs aient été offerts en cadeau de mariage. Il y eut des unions familiales en cette fin de siècle, je possède même une photographie devant une église qui date de 1903. Ces objets sont des héritages encore, ou plutôt, pour ceux qui les récupèrent, ils marquent l'affection pour les générations précédentes, connues et aimées.
De nos jours, on qualifie hâtivement de Napoléon III le style de ces lourds ensembles de réveils et de chandeliers, comme par extension avec la pendule à colonne torsadées que je possède également. Mais cette dénomination est abusive dans cette fin de siècle qui voit l'avènement définitif de la république, comme si un style, au sens de mode, d'art, d'usage, d'étiquette, ne pouvait qu'être créé que par le bon goût des monarchies.
En revanche, si la remise en fonctionnement de la pendule à colonne, un peu plus ancienne, n'avait pas posé de problèmes, cette vieille dame est un peu plus capricieuse. Pour le moment, elle ne consent qu'à tourner pendant une douzaine d'heures au maximum. C'est suffisant pour être optimiste et pour exclure une trop grande usure du système, d'autant plus que le passage des heures alimente également la sonnerie (pour l'instant muette en l'absence de timbre). J'évite donc dans l'instant de tout démonter, je me suis juste contenté de lubrifier la face arrière pour faciliter la rotation des différentes roues dentées. Certains sites en effet, très complets, vous incitent même à réparer plus en avant ces mécaniques d'un autre siècle. Je me contente de relancer régulièrement le balancier et d'essayer différents réglages d'aplomb.
J'espère, lorsque mon petit-fils reviendra, pouvoir lui montrer fièrement cette nouvelle « ho-loge » et lui faire entendre sa sonnerie. En effet, je vais prochainement la doter d'un timbre, je crois qu'en lui redonnant une voix, elle sera plus enjouée à marquer ses heures de marbre et à continuer sa longue vie de pendule...
Dernière minute : comme si elle était consciente de l'enjeu de cette note qui la grave dans sa propre pierre, la vieille dame fait battre son cœur de laiton sans (presque) s'arrêter depuis plusieurs jours. Il s'agit maintenant de dérouler les ressorts remontés à fond depuis plus d'un demi-siècle et de remonter le vieux mécanisme avec précaution lorsqu'il sera complètement détendu.
(30/04/2021)

 

La semaine dernière, j'ai raconté l'engouement de mon jeune petit-fils pour l'horloge rimbaldienne qui rythme les heures de mon bureau : belle traversée intergénérationnelle. Mais, c'est aussi lui qui m'a montré la pendule posée dans l'entrée : « Sonne aussi l'autre ho-loge ? ». A force de la voir installée dans ce coin depuis huit ans, date à laquelle nous avons vidé la maison de mon beau-père, nous ne faisons plus attention à elle, mais il a très bien repéré le petit cadran rond et ses aiguilles ainsi que le balancier doré sous la cloche transparente qui protège le mécanisme.
Évidemment, j'ai immédiatement entrepris d'étudier l'objet. Et pour cela, de soulever avec précaution le fragile dôme de verre déjà fendu à deux endroits. Et de l'examiner au grand jour : son apparence est celle d'un petit temple à quatre colonnes torsadées. Le mouvement, en laiton doré, est accroché sous le fronton et le balancier descend jusqu'à frôler le soubassement qui supporte les quatre petits piliers. L'ensemble, en bois sombre rehaussé de volutes également cuivrées, mesure quarante centimètres. Elle stagne ainsi sur un socle identiquement décoré qui supporte la cloche de verre destinée à couvrir le petit sanctuaire des heures.
Nous ne l'avons jamais connue en fonctionnement. Lors du déménagement de la maison familiale, je l'avais récupérée dans le grenier, et depuis placée là dans l'entrée où elle dénote un peu avec son style vieillot.
Mais aujourd'hui, mis au défi par mon petit-fils, nous regardons ensemble l'antique pendule, qui ne manque pas de charme avec son aspect de modeste temple à la mode orientaliste.
Les clés pour manœuvrer l'appareil n'ont pas été égarées et je n'ai pas résisté à la tentation de remonter les ressorts avec précaution. Le balancier, détendu au maximum, frottait sur le soubassement, mais à force de réparer diverses mécaniques similaires, j'ai trouvé la petite molette qui permet de diminuer ou d'agrandir la longueur du balancier et par là-même de régler le battement de l'horloge et son exactitude. Première surprise : les premières tentatives pour démarrer le dispositif sont encourageantes, le système ne semble pas bloqué, n'a probablement pas subi de chocs et, grâce au dôme de verre, la poussière n'a pas encrassé les roues dentées et les pignons. Le balancier consent même à effectuer quelques mouvements avant de s'arrêter, comme essoufflé par sa grande inactivité. Mais après avoir réglé l'aplomb de l'horloge à l'aide de quelques cales, le balancier semble ne plus vouloir s'arrêter, comme grisé par son tic-tac retrouvé. Et, au bout de quelques minutes, au passage d'une heure, le carillon, qui n'avait pas retenti depuis un demi siècle au minimum, fait entendre un tintement cristallin et juvénile.
Selon les sources familiales, la pendule appartenait à une arrière grand-mère. Sa fille, née en 1908, et qui vivait sous le même toit avec son mari, en avait hérité à sa mort, avait peut-être continué à l'utiliser, avant de s'éteindre à son tour un jour de janvier 1980, un mois après le décès de son époux. La maison avait été laissée en l'état, puis reprise deux ans plus tard par sa fille, ma belle-mère donc. C'est ainsi qu'au moins trois générations s'étaient succédé dans ces lieux de manière ininterrompue. Les objets s'étaient entassés au fil des lignées, cadeaux de mariage, de baptême. A cette époque, on dépensait peu dans les milieux populaires, habitués à se serrer la ceinture. Cette pendule avait sans doute été acquise à l'occasion d'un événement familial, de même que la comtoise qui trône dans mon bureau.
Il n'est d'ailleurs pas certain que l'arrière grand-mère en eut été la première propriétaire, peut-être l'avait-elle, elle aussi, reçue en héritage. Mais la chance avait permis que ces objets fussent ainsi rarement déplacés, d'une chambre ou d'un salon vers une remise ou un grenier selon les rares aménagements de la maison. C'est donc dans un grenier que la pendule avait sagement attendu un demi-siècle avant que je vienne la récupérer.
On peut cependant imaginer l'instant et la manière dont les premiers acquéreurs ont reçu la petite horloge. Le nom de l'horloger, ou plutôt du commerçant qui l'avait vendu, figure sur le cadran comme cela se pratiquait beaucoup à l'époque. Il s'agit de M. Graillot, situé à Wassy. Wassy, distant de ma ville de seulement quinze kilomètres, était alors la sous-préfecture. C'était une bourgade importante à l'apogée de son histoire, riche de 4000 habitants. Le seul renseignement que propose Internet sur ce commerçant, c'est qu'une petite porte, vestige de remparts moyenâgeux, fut détruite en 1844, afin que l'horloger puisse bâtir sa maison. Il était ainsi en activité au même moment que le dépositaire de mon horloge, René Herment, installé à Mertrud. Et les deux hommes à la profession similaire devaient forcément se connaître et se fréquenter, les deux bourgades étant distante d'à peine dix kilomètres.
Autre renseignement qui figure cette fois sur le mouvement mécanique : un poinçon indique « Linet aîné, Paris ». Les frères Linet, en effet, exercèrent leur art dans la capitale au milieu des XIXème siècle. Les dates ainsi correspondent, ce qui me laisse à penser que cette pendule, vieille de 150 ans, appartenait probablement à la génération précédente de cette arrière grand-mère, née dans les années 1870. Sans doute avait-été acquise à l'occasion du mariage de ses parents. Le bois sombre, les rehausses dorées et les colonnes torsadées sont caractéristiques du style Second empire. L'industrialisation naissante permettait la diffusion rapide et bon marché de ces premiers bibelots manufacturés, et bientôt tous les intérieurs adoptèrent la mode Napoléon III. En haut du cadran, modelé sur l'entourage en laiton, figure une tête de femme, jeune, raie au milieu et diadème. Il n'est pas impossible qu'elle représente la reine Victoria, qui régnait au Royaume-Uni depuis 1837 et qui jouissait à l'époque d'un grand prestige, y compris en France (elle accueillit d'ailleurs l'empereur en exil après sa défaite en 1871). L'impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, était alors beaucoup moins populaire. Bien entendu, ces quelques interprétations historiques sont hasardeuses.
Mais le plus extraordinaire demeure la facilité avec laquelle cette pendule reprend vie. J'ai juste effectué quelques réglages supplémentaires : pressée de retrouver de son allant après un long silence, le mécanisme cavalait trop vite et s'octroyait rapidement un quart d'heure d'avance, histoire de rattraper le temps. Elle a freiné ses ardeurs depuis et il est d'usage qu'elle réponde au même instant de sa voix cristalline au timbre sonore et profond de l'horloge. A l'unisson, les deux carillons célèbrent maintenant un temps retrouvé, où Marcel Proust était encore dans les langes, où la fameuse obsolescence programmée n'était pas près de sortir d'un cerveau stupide, de même que l'imbécile slogan publicitaire : Tout doit disparaître. Ce gai tintamarre, ce boucan vivifiant (trente-six coup à elle deux à midi et à minuit) est en effet un véritable pied de nez à notre époque actuelle. Tout cela bien-sûr, je m’empresserai de le raconter à mon petit-fils, lorsqu'il sera en âge de comprendre mes radoteries. Je lui dirai comment, grâce à lui, une pendule, vieille d'un siècle et demi, a recommencé à babiller.
(21/04/2021)

 

Je ne présente plus l'horloge rimbaldienne qui a accompagné le texte Sur Ivan Oroc pendant le premier confinement. Rimbaldienne car elle a été fabriquée pendant la courte vie du poète, probablement entre 1860 et 1890. L'horloger s'appelait René Herment et habitait Mertrud.
Évidemment, la tentation était grande de la faire figurer dans Vie prolongée d'Arthur Rimbaud, paru en 2016, et je ne m'en suis pas privé : «  Un meuble de bois peint d’une seule pièce laissait voir à travers la vitre de son ventre le mouvement lent d’un balancier en bois doré, orné dans la partie supérieure d’un thermomètre à mercure, et, dans la partie inférieure, d’un baromètre à cheveu qui, suivant le temps, faisait sortir soit un homme muni d’un parapluie, soit une femme portant une ombrelle à son bras. La pendule, tout en haut, possédait une aiguille de fer pour les jours, tandis que celles en laiton indiquaient l’heure et les minutes sur des chiffres romains. Le cadran, commandé par l’artisan, indiquait son nom, René Herment, et le bourg où il avait ouvert sa boutique. C’était la première fois qu’il proposait pour ses clients les marques de sa profession, associées à son identité. Une fierté. Le mécanisme était rustique et l’horloge était massive, ornée de dorures bon marché, mais il lui semblait qu’elle avait été le reflet de toute sa vie, depuis qu’il s’était installé ici en 1858 après son alliance avec une fille de la région. Personne alors ne misait sur lui, qui avait inscrit à la rubrique profession en bas de l’acte de mariage « commerçant ambulant ». (VPAR, p. 67,68)
La description de la comtoise est fidèle : elle rythme les heures à un mètre du bureau d'où j'écris. Les renseignements sur l'horloger aussi sont véridiques, la mention « commerçant ambulant » a été reprise de son acte de mariage en 1858, et la suite qu'on imagine après son union, l'installation comme horloger dans ce village qui compte maintenant 170 habitants, où tout a fermé, école, services publics, où les commerces sont réduits à une unique camionnette qui passe en klaxonnant (retour au commerçant ambulant). A l'époque de l'horloger, le village comptait 600 âmes. Une photo de Wikipédia présente la grand-rue et la place du centre. Il y a un café du commerce, un banc au soleil avec deux vieux et une quinzaine de badauds sur les trottoirs. La date sur le timbre à 5 cts indique 1915. L'horloger avait probablement cessé son activité ou avait peut-être trouvé par chance un successeur.
Il est important pour moi que cette comtoise, symbole de l'exactitude, soit ainsi gravée avec précision dans un livre : juste hommage à une époque où le temps passait différemment, dans une subtilité de rouages et de savoir-faire fabriqués sur place et non dans une indifférence de composants électroniques assemblés à l'autre bout du monde. De la même manière, l'acheteur ne cédait pas à l'opulence de la société de consommation. Acquérir ce symbole du temps était un acte réfléchi, surtout quand il s'agissait d'une comtoise de 2m35 de haut à placer dans la pièce à vivre. C'était souvent un cadeau de mariage, et le timbre, gros comme une casserole, résonnait dans toute la maison pour organiser la vie nouvelle du jeune couple et de la famille qui s'ensuivrait. Ce modèle spécifique sonne deux fois, la deuxième à une minute et demie d'intervalle, histoire de rappeler aux étourdis qu'ils vont être en retard.
Je ne sais pas quelle destin a suivi cette horloge, combien de temps son balancier a scandé les années, ni véritablement à qui elle avait appartenu. C'est un meuble de famille comme on dit : elle était dans la maison de mes beaux-parents et je l'ai vu longtemps inerte. Mon beau-père l'a fait réparer un jour et  elle a marqué les heures à nouveau, d'une manière à la fois claire et puissante, de telle sorte qu'elles se sont petit à petit comme enfoncées dans les murs, qu'elles sont devenues une sorte de pâte intemporelle à laquelle nous ne prêtions pas garde. La disparition de mon beau-frère, de ma belle-mère, la maladie de mon beau-père se sont inscrits dans la vie courante, nos peines étaient lentement dissipées par la présence muette d'abord de l'horloge, puis par le lent tic-tac du balancier, lorsqu'elle fût à nouveau en fonctionnement. Lorsque mon beau-père s'est éteint à son tour, j'ai réalisé que l'horloge ne sonnerait plus pour personne. J'ai continué à la remonter dans la maison vide et j'en ai fait un petit film. A la vente de la demeure, je l'ai récupérée et installée dans mon bureau. A nouveau, elle a sonné pour quelqu'un et c'est mon écriture qu'elle rythme désormais.
Il y a un an, au moment du confinement initial, alors que nos repères temporels étaient pour la première fois depuis longtemps remis en question, j'ai découvert combien sa constance musicale habituelle avait le don de m'apaiser. Et surtout, elle a fait le bonheur de mon petit fils qui l'a entendu sonner pendant huit semaines à l'époque, entre dix mois et un an. Il marchait peu, parlait à peine, mais me désignait d'un doigt impératif l'horloge dont le mouvement et le bruit le fascinait.
Cette année, il a débarqué pour une semaine en raison du second confinement printanier. En prévision, j'ai rectifié le retard qu'elle prenait régulièrement, parfois une vingtaine de minutes comme si elle était fatiguée de s'activer depuis 150 ans : elle est maintenant d'une précision redoutable. Quant à mon petit-fils, il n'a pas oublié la comtoise. Mais il parle désormais : « Vite l'ho-loge ! » dit-il lorsqu'il entend la première sonnerie. Il faut alors se dépêcher de descendre les escaliers et guetter le second carillon. Il regarde tour à tour le cadran, le balancier, écoute les tintements que nous scandons en les comptant. Il a gardé ce regard grave et perplexe : c'est celui que nous arborons tous, même devenus des adultes, devant toute magie poétique.
Et moi, mon visage contre le sien, à deux générations d'intervalle, je repense à René Herment, à Rimbaud, à tous les aïeux inconnus ou aimés qui ont vécu avec de telles mécaniques du temps.
(14/04/2021)

 

« […] Que les mots sont vastes, qu'ils sont douteux ; que l'herbe-aux-gueux s'appelle aussi la clématite » : Pierre Michon a écrit cela (Vie d'Antoine Peluchet) et c'est étrange pour moi de le lire alors que je recommence pour la énième fois les Vies minuscules, et que mes mains gardent deux jours après leur raideur d'avoir tiré sur les lianes enchevêtrées des clématites dans une séance de jardinage printanier.
Clématite versus herbe-aux-gueux : clématite mot est bien trop beau, bien trop aristocrate pour la plante ligneuse, fourbe, envahissante qui se faufile partout où la main de l'homme abandonne l'entretien et l'ordonnancement des jardins. L'herbe-aux-gueux semble ainsi un terme plus approprié : cette espèce végétale sauvage est habituée aux remblais, aux terrains vagues, c'est une plante de vagabond, de bohémien. On la nomma ainsi car il paraît que les mendiants frottaient leurs ulcères avec ses feuilles aux propriétés urticantes, enflammant ainsi les chairs et les plaies, les rendant plus misérables encore, et plus aptes à recevoir la charité. Je la connaissais plutôt sous l'expression de « bois fumé », car les tiges coupées en tronçons pouvaient être fumées comme des cigarettes, mais là encore, la mauvaise réputation des gamins qui s'adonnaient en cachette à ces bêtises ne plaide pas en sa faveur : définitivement, c'est une plante de garnements.
Pour preuve, une maison abandonnée non loin de chez moi est entièrement recouverte de ces clématites des haies. Les abords que j'ai connus aménagés en jardin de curé sont devenus une friche inextricable. Elle appartenait à une vieille dame. A sa mort, elle a été squattée, incendiée, livrée aux rustres et aux indélicats. Et lorsqu'il ne resta plus rien à briser, l'herbe-aux-gueux prit le relais et recouvrit la moindre parcelle de mur, d'arbres, de buissons.
Celles qui sévissent chez moi se situent principalement en bas du talus qui borde la rue en direction du centre-ville. Là aussi, c'est le domaine des indélicats : bouteilles, canettes, paquets de gâteaux, papiers de bonbons, parfois des couches culottes de bébé, le tout jetés par des passants pressés. J'en ramasse une poubelle pleine à chaque nettoyage. Il y a longtemps, j'avais même déniché un soutien-gorge enfoncé au plus profond d'un thuya. En principe, c'est à la ville d'entretenir ces abords, mais cela fait déjà plusieurs années que je réclame sans succès le nettoyage. Et comme ils savent que j'accomplis régulièrement cette tâche à leur place par civisme exacerbé... Cette année donc, en plus des habituels déchets, j'ai récolté quelques masques, coronavirus oblige. Tout cela pour dire que l'herbe-aux-gueux se plaît dans ce biotype urbain favorable. Au début, on ne fait pas attention, la plante pousse quelques tiges, arbore à la belle saison quelques fleurs discrètes, plutôt jolies, mais, si on n'intervient pas, elle prend ses aises, les tiges forcissent, prennent l'aspect de branches, se ramifient, enchevêtrent les buissons aux alentours, envahissent les haies, grimpent sur les arbres, élancent parfois des lianes sur plusieurs mètres de haut. Il faut agir, c'est à dire débroussailler, tout en sachant qu'il faudra recommencer régulièrement : la clématite est increvable, vous détruisez un pied, elle repousse plus loin par marcottage sauvage.
Cette année, donc, j'ai agi : mes lauriers avaient assez souffert de la sécheresse de l'été dernier, encore fallait-il que les jeunes pousses de l'année ne périssent pas étouffées. J'ai retiré probablement une bonne centaine de mètres de lianes, effectués trois voyages à la déchetterie avec mon increvable Kangoo.
Et en rentrant, exténué, fatigué, bras douloureux, alors que je reprenais une nouvelle fois la lecture des Vies minuscules, j'ai découvert que Pierre Michon remuait le couteau dans la plaie en évoquant l'herbe-aux-gueux... La littérature procède-t-elle aussi par marcottage ?
(30/03/2021)

 

Ma ville natale a des faubourgs faciles à reconnaître : éperon rocheux cernés de remparts, tout ce qui est en bas des murs est forcément faubourg.
Bien qu'au Sud, passé la porte des moulins, la faible déclivité laisse croire au prolongement de la cité. C'est dans cette partie, appelée « quartiers neufs » que j'ai habité à partir de 13 ans. Peu d'amis sur place, souvenir d'un petit appartement, d'une camarade d'école qui deviendra infirmière, de son frère qui avait une superbe chaîne stéréo de marque Quartz.
Au Nord, la ville plonge rapidement, mais s'arrête peu après le cimetière et un transporteur frigorifique chez lequel mon père a travaillé. Ici, faubourg Nord, mes visites se bornent à mes chers disparus (de plus en plus).
J'ai moins fréquenté le faubourg escarpé de l'Ouest : souvenir d'un petit jardin d'autrefois, accompagné de ma sœur et du fils des voisins. Après quelques sentiers pentus, un bassin d'eau au milieu des groseilliers sentait le nénuphar et les têtards. Souvenir aussi d'avoir raccompagné dans ce faubourg Ouest une collégienne à l'heure des premières libertés.
A l'Est, le faubourg est en revanche connu depuis toujours : mon grand-père, puis mon oncle y ont exercé leur activité d'horticulteurs. On y trouvait quelques maisons, des granges, des remises, des garages, l'ensemble cerné de de vergers, de champs, de terrains, de couches, d'allées, de puits, tout ce qui constituait leur univers de jardiniers. Si on lève les yeux, on voit les remparts au delà des marronniers qui bordent la route. Si on laisse aller le regard dans la pente, le lac de la Liez semble tout proche, mais il faut six kilomètres pour y arriver. C'est mon faubourg préféré, celui de l'enfance, l'unique, la seule. Faubourg familial et qui émaille mes livres, comme dans Yougoslave, le dernier, ou dans mes publications web (Langres s'use).
Donc, mon grand-père, ma grand-mère, mon oncle, ma tante et mes cousins. Les jeudis ou mercredis, les jours de vacances passées là-bas. Plus tard, Marc, futur directeur de l'école de musique, y est venu pour répéter sa guitare.
Dans Feuilles de route ou ailleurs, j'ai parfois évoqué mes grands-parents, un peu mon oncle, jamais ma tante Léa. Mimétisme d'après-guerre pourtant facile à retenir : ma mère épousa Léo, mon yougoslave de père ; son frère, un peu plus tard, rencontra Léa, ma tante italienne. Toujours active, aidant au jardin, cuisinant, nettoyant. Quelques souvenirs de mes visites : elle dans la cuisine, voix haut perchée, toujours étonnée de ma propension a vouloir y rester pour lire, plutôt que de profiter du dehors avec ses fils. Et moi, je revois le placard où se trouvaient les livres et les illustrés, le journal de tintin, de Spirou. Il me reste aussi un souvenir cher à mon cœur : L'île au trésor et la fameuse réplique que le jeune Jim décoche à son adversaire : « - Un pas de plus, maître Hands, et je vous fais sauter la cervelle !... », le passage de cette poursuite dans les haubans a été lu et relu cent fois. Après, je rejoignais mes cousins pour jouer, ma tante aperçue alors au jardin, au sous-sol, dehors, dedans, continuellement affairée.
Et puis la vie sépare, on grandit chacun dans son coin, familles, enfants. Léa, escortée plus tard d'un compagnon photographe, était revue parfois chez un de mes cousins à l'occasion d'un anniversaire, sa voix toujours aiguë. Mon oncle est parti en 2012. Il a rejoint mon grand-père, ma grand-mère (et la petite Pauline, sa sœur, que personne n'a connue, tombée dans un puits du jardin avant les années 30), tous maintenant dans le caveau familial, donc au cimetière du faubourg Nord.
Mon père y est arrivé voilà neuf mois, juste à proximité. Et comme s'il fallait reconstituer le voisinage du faubourg Est, ma tante Léa avait déjà prévu l'endroit du repos éternel en face de son mari, une belle pierre rose que je n'ai jamais manqué d'admirer à chaque visite.
Tout cela pour dire que Léa a fini par y venir aussi, le 25 février dernier, à 85 ans (pensées pour mes cousins).
Cela ajoute à la peine que l'on consacre aux disparus bien sûr, mais sans doute que tous maintenant se racontent leurs histoires de faubourg, ainsi réunis dans ce même coin de cimetière. Et mon père, entre deux conversations d'outre-tombe, lui qui est installé au bord de la pente, regarde - histoire de tuer le temps - , aligné sur le parking en bas, les camions du transporteur frigorifique qu'il a conduits.
Et moi je pense à cet endroit et à tous ces faubourgs de ma ville. L'infirmière du faubourg Sud s'est tuée lors d'un voyage humanitaire en tombant d'un 4X4 au début des années 80. Le fils des voisins qui nous accompagnait au petit jardin du faubourg Ouest est mort du sida au plus fort de l'épidémie. Et la collégienne que je raccompagnais aussi là-bas s'est noyée en Corse il y a huit ans. Marc, le prof de musique, qui jouait de la guitare au faubourg Est, est le dernier arrivé : il a rejoint en septembre le cimetière du faubourg Nord, on voit sa tombe depuis celle de mon père.
Ainsi, la camarde est bonne camarade, généreuse envers ceux que j'ai connus.
Pour ce qui est faubourg Est, je l'ai revu deux fois récemment. La première fois, c'était en juillet dernier, en accompagnant mon neveu qui achète des légumes chez le producteur bio qui a repris la suite de mon oncle. L'occasion pour ma mère (et moi) de revoir la vieille serre et les lieux familiers. J'y suis revenu la deuxième fois en octobre dernier, avec ma cousine Anita, avec laquelle, grâce à l'écriture, j'ai repris contact au bout de trente-huit ans.
Voici donc les dernières nouvelles du faubourg : qu'on se rassure, il y en aura d'autres...
(23/03/2021)

 

Il y a un an pile, je relatais dans cette même rubrique le 16 mars 2020, le grand inconnu que représentait la veille du premier confinement, cette expérience mondiale inouïe pour lutter contre le coronavirus inconnu dont on prévoyait le pire.
Un an après, le pire a-t-il eu lieu ? Oui, si on considère les deux millions sept cent mille morts au niveau planétaire, dont 91000 recensés en France. Bien-sûr, on trouvera toujours des septiques pour contester ces chiffres (en-dessous de la réalité pour bien des pays qui recensent peu), mais, en ce qui concerne notre pays, l'INSEE (que chacun peut consulter plutôt que de glaner de fausses informations relayées sur les réseaux sociaux) constate une augmentation de 75000 décès par rapport aux années précédentes pendant la même période.
Dans mon petit département, qui compte 170 000 âmes, il y a tout juste un an, le journal local annonçait les 3 premiers décès du à la pandémie. Aujourd'hui, on en dénombre à ce jour 450 en hôpital ou en Ehpad, ce qui représente un taux deux fois plus haut qu'au niveau national (ma région à une moyenne d'âge élevée). Autant dire que bien des habitants ont perdu des proches, amis, famille, connaissances. Pour ma part, quatre ont ainsi disparu (une tante maternelle à laquelle je tenais beaucoup il y a 15 jours) sans qu'on puisse le plus souvent leur rendre un dernier hommage, leurs enterrements s'apparentant à une sorte de course masquée et réduite.
Les autres bilans ne sont pas plus encourageants : l'économie et la culture sont à l'arrêt, certains secteurs depuis un an, et pas moyen de se distraire au restaurant ou au café, chacun reste chez lui à partir de 18h : cela dure déjà depuis trois mois. Il y aura juste eu une parenthèse de (même pas enchantée puisque les masques, les protections et les gestes barrières étaient requis) entre mai et octobre 2020, cinq mois suffisants pour participer à deux mariages, renouer avec des fêtes familiales, les vacances en Sicile, participer à la rentrée littéraire, avant de replonger à nouveau dans les restrictions. Aujourd'hui, mon agenda est toujours vide dans l'immédiat (si j'ai inscrit une manifestation pour le... 1er avril!), annulations, reports, annulations à nouveau, rien n'est prévisible.
Mais à la fin, on s'habitue, on trouve des biais, une galette des rois associative partagée via Zoom, Des contacts téléphoniques plus fréquents qu'auparavant. Et puis enfin, il y a l'espoir de la vaccination, qui ne dispense aucunement d'ailleurs de porter toujours correctement nos masques, y compris avec nos proches.
(16/03/2021)

 

Je n'ai jamais eu la main verte, du moins c'est ce que je crois. Petit-fils d'horticulteur, j'ai pourtant aidé mon grand-père maternel, semé des radis, bouturé des géraniums. Ma grand-mère paternelle m'a appris à faucher. Je sais aussi avec des oncles poser une clôture en piquet d'acacia, tendre du fil de fer. Tout seul, je tond ma pelouse, je taille mes thuyas, mes lauriers, mes buissons, mes rosiers, je coupe du bois. Je sais réparer mes outils, taille-haie, tondeuse, tronçonneuse, débroussailleuse. Alors d'où me vient l'idée que je n'ai pas la main verte ? 'ai toujours eu l'idée que je ne réussissais que ce qui est apte à pousser sans moi, sans entretien. D'où ma désaffection pour le potager, trop prenant. Je me contente d'herbes aromatiques sur mon balcon et de quelques tomates-cerises grappillées sur le pied même lorsqu'elles sont mûres.
Pareil pour les plantes d'intérieur : celles qui ont résisté sont les plus rustiques : arrosage épars, soins distants. C'est sans doute pour cette raison que je me suis tourné vers les orchidées, où plutôt, la passion que j'éprouve envers la diversité étonnante de cette famille botanique s'est accommodée de leur faible exigence en entretien. Car la beauté époustouflante des orchidées s'accommode très bien de l'abandon ou presque des gestes prodigues qu'on serait tenté de leur donner pour rendre hommage à leur aristocratie. Combien de fois me suis-je aperçu que je ne leur avais pas apporté d'eau depuis trois semaines, voire un mois ? Combien de fois, ai-je oublié de rentrer les cymbidiums au premières gelées ? Certaines ont péri, d'autres ne m'en ont jamais tenu rigueur et continuent sans moi leur vies végétatives.
Mais sans doute que j'exagère un peu. Lorsque j'ai commencé à m'intéresser aux orchidées vers le milieu des années 80, j'ai acquis quelques livres (voir en Notes de lecture cette semaine), je me suis renseigné sur leur culture et quelques réflexes m'ont permis de préserver les premières : les grouper au dessus de billes d'argile pour garder l'humidité des arrosages, vaporiser souvent les feuilles et les racines aériennes de ces épiphytes qui vivent souvent sans terre. Les plantes qui refleurissaient l'année suivante m'apportaient une satisfaction suffisante pour croire que je m'occupais d'elles. Car le véritable enjeu est bien de les faire refleurir. Acheter une plante fleurie dans une jardinerie est aisé, on peut s'extasier à l'infini sur la beauté des pétales, mais le satisfecit est plus grand encore d'arriver à la voir s'accroître et refleurir ensuite.
De fait, certaines variétés aisées, comme les phalaenopsis ont su me réconcilier avec ma supposée main verte, mais je continuais à les délaisser plus qu'il ne fallait. Il y a quelques années, j'ai décidé d'être plus régulier : vaporisation une fois par jour, arrosage une fois par semaine, rempotage une fois l'an. Je pense que ce déclic m'est venu en voyant mes amis Françoise et Vincent à Thiers il y a trois ans s'occuper de superbes potées de phalaenopsis, que Françoise bassinait une fois par semaine. Mes plantes m'ont ainsi été reconnaissantes de ce regain d'intérêt et, depuis, arborent une santé régulière et les fleurs qui vont avec chaque année.
(09/03/2021)

 

Que faire en vacances en février ? Aller au resto ? Que nenni, au cinéma encore moins. Reste la possibilité de changer d'air, de pouvoir se promener dans des lieux inconnus avant 18h en portant un masque et de revenir sagement s'enfermer pendant douze heures en attendant le soir et la nuit.
C'est ce que nous avons fait à Cabourg.
Donc, rouler la journée pour arriver avant l'heure fatidique et idem au retour, puis investir un petit appartement de villégiature, heureusement bien situé à 300 m de la plage. Partir sur la promenade, longer la mer et les vagues en direction du Grand Hôtel cher à Marcel Proust.
Marcel Proust justement : le voilà qui s'invite sous forme de panneaux pour nous rappeler les gestes barrières et l'obligation du port du masque. Et parce que je présente l'écrivain à mon petit-fils de 22 mois qui retient tout ce qu'on lui dit, le voici juvénilement nommé avec l'accent charmant que prennent les enfants qui découvrent la parole et le bavardage. Rapidement, il est désigné à chaque panonceau (« Mââârcel Prouste ! » - la dernière syllabe en suraigu), cité en même temps que d'autres mobiliers urbains sur le trajet (« la poubelle c'est sâle »). Il devient ainsi une sorte de personnage, comme ceux qui s'invitent dans ses premiers livres, lionceaux, chatons, escargots, coccinelles, papillons, répétés à l'envi. L'auteur de d’À l'ombre des jeunes filles en fleurs est même préféré à la banale injonction « aller à la mer » qui se transforme en « aller voir Mââârcel Prouste ». Il prend même l'aspect du père Fouettard lors de rares remontrances : « Papi pas content » est suivi d'un « Mââârcel Prouste pas content » avec le bon sourire de celui qui savoure sa plaisanterie. Doux « enfantillages », pour reprendre le titre du récit de Pierre Bergounioux proposé cette semaine en Notes de lecture.
Cabourg, de cette manière, nous aura bien délassé sur le fond triste de la pandémie, des rues commerçantes bondées à 17 heures parce qu'on ne peut rentrer qu'à quelques uns dans les magasins pour acheter le repas du soir à emporter. Le port du masque cependant était bien respecté : faut-il y voir un effet du pouvoir de la littérature classique ? Étions-nous tous à la recherche du temps perdu d'avant ?
(01/03/2020)

 

« L'épervier, il faut le dire » : cette chanson des années 60 d'Hugues Aufray m'est venue à l'esprit lorsque j'ai identifié le volatile qui avait élu domicile le temps d'un repas. Dans la chanson, l'oiseau « est petit mais bien voleur ».
Dans la réalité, celui qui était perché sur une branche de l'arbre de Judée à deux mètres de mon balcon, avait la taille d'un gros pigeon. Il n'avait rien volé non plus, juste fait preuve d'opportunisme en jetant son dévolu sur un moineau attiré par la mangeoire que je garnis les jours de gel et de neige. Lorsque nous l'avons remarqué, il avait déjà commencé son repas et enserrait le petit passereau entre ses serres. Rien de cruel cependant : la cruauté est un sentiment humain. En ce qui concerne l'oiseau de proie, il s'agissait juste de sa vie naturelle, attraper des cibles ailées, des opportunités à plumes qui constituent son mode habituel de subsistance.
Le spectacle de son repas a ainsi duré vingt bonnes minutes. La manière dont son bec solide et courbe déplumait l'oiseau, lacérait les chairs avant de les engloutir provoquait une sorte de fascination. La scène était amplifiée par le paysage de neige, sur lequel la couleur rouge se détachait, augmentée par la résolution avec laquelle l'épervier engloutissait chaque bouchée, vous fixant parfois de son œil orange. Mais, j'insiste : aucune barbarie, juste la vie animale à portée de regard, quelque chose qui échappe à tout entendement humain, une effraction dans la vie sauvage à laquelle on a la chance d'assister.
J'ai eu le temps de photographier l'épervier sous toutes les coutures. C'était un mâle adulte. Au départ, j'ai utilisé mon apareil à travers le rideau, en catimini pour ne pas le déranger. Mais nous nous sommes enhardis mutuellement, et j'ai fini par essayer divers objectifs et zooms (voir en Webcam), légèrement caché derrière la vitre de la véranda. Quant à lui, perché tranquillement sur sa branche, il demeurait aux aguets, levant parfois la tête pour écouter les cris d'alarmes des autres oiseaux. Il s'est aussi inquiété, mais sans plus, lorsque, sous lui, les enfants des voisins, de retour de l'école, ont échangé quelques boules de neige. Son repas terminé, il s'est longuement nettoyé, frottant son bec contre les branches enneigées, lissant ses plumes, se retournant sur lui-même. Il s'est envolé peu après, grandes ailes rayées et silencieuses, survolant les jardins blanchis, regagnant sans doute son nid dans le silence du crépuscule, au cœur d'une des forêts voisines qui bordent la ville.
(16/02/2021)

 

Tout à commencé avec un article dans le journal local m'apprenant la récente mise en ligne de photographies aériennes concernant ma ville dans le site institutionnel Médiathèque Architecture Patrimoine. Le pilote et photographe en question est le célèbre Roger Henrard (1900-1975). Après la Seconde guerre mondiale, il mit ses talents d'espion pour le renseignement français au service d'une cause pacifique et civile en photographiant la France vue d'en-haut : au total plus de 22000 clichés concernant tous les coins du pays sont ainsi archivés ! Ceux-ci, pris à basse altitude sont d'une précision extraordinaire et permettent d'agrandir les détails. C'est ainsi qu'il a en réalisé une vingtaine en survolant ma ville, probablement entre 1950 et 1960.
Sur l'un d'entre eux, pris en oblique avec une profondeur de champ étonnante, mon quartier y figure en retrait au-delà de la cheminée d'une brasserie, aujourd'hui disparue. En suivant du regard la passerelle qui enjambe le canal, la route qui longe la voie ferrée, on débouche dans ma rue. Sur le trajet, je reconnais des façades, maisons modestes ou plus cossues. C'est un quartier de jardins, habité par des familles populaires. La ville, depuis la révolution industrielle, est spécialisée dans la métallurgie. L'exploitation du fer, la fonte, les aciéries fournissent une main d’œuvre, souvent qualifiée, mais peu payée par les maîtres de forge. L'habitude est alors de cultiver un petit lopin de terre, de garnir les clapiers de lapins et d'installer un poulailler. On exploite aussi des vignes et on trouve encore aujourd'hui des plants rescapés qui donnent des grappes aux grains bleus et minuscules, savoureux cependant.
Je repère facilement la maison familiale que mes beaux-parents reprendront. Elle se trouve à cent mètres de chez moi. Elle a abrité trois générations, et a été construite avant la Première guerre mondiale. Sur le cliché, elle n'est pas encore doublée (elle ne le sera qu'en 1980) et nous nous sommes souvent demandés comment trois familles, enfants, parents et grands-parents, faisaient pour habiter une maison si petite. La plupart des habitations du quartier sont bâties sur un sous-sol à demi enterré, ce qui surélève le rez-de-chaussée. L'explication tient à un cours d'eau proche, qui débordait parfois sur les terrains voisins, grèves sablonneuses sans aucune élévation pour arrêter les inondations.
J'ai bien repéré également les demeures qui me sont voisines, celles en vis à vis, celles de côté, et, surprise : aucun toit à la place d'où j'habite.
C'est ma maison avant la maison.
L'explication est simple et c'est une demi surprise. Le propriétaire à qui je l'ai achetée (cela fera trente ans cette année) l'a fait construire au milieu des années cinquante. Le propriétaire, à l'époque logeait en face, dans une maison que j'aperçois de la fenètre de mon bureau. Elle appartenait à la famille de son épouse. A l'époque, c'était un jeune ingénieur embauché dans une usine d'émaillage et de traitements de métaux. Le procédé était américain, peut-être arrivé quelques années auparavant grâce au plan Marshall. Il a ainsi acheté à partir de 1950 des parcelles pour y faire construire sa maison (l'ensemble constituait alors un terrain étroit d'une longueur de cent mètres). Il a aussi élaboré des montages financiers à base de cessions de dommages de guerre : les bombardements de la libération étaient encore frais. Les vendeurs ou les héritiers avec qui il a fait affaire, sont ouvriers d'usine, chaudronnier, boulanger, coiffeur, cultivateur, chiffonnier, veuves sans profession, acquéreurs de jardinets de faubourgs, d'emplacements peu onéreux à la lisière de la ville.
Début 1954, le jeune ingénieur, devenu entre temps directeur de l'usine, prévoit d'ériger une maison sur son nouveau terrain : c'est un pavillon classique, très moderne, avec un toit à quatre pans qui abrite une façade de 13 mètres, un garage, un étage, un vaste balcon donnant sur deux côtés. On sent dans l'aménagement des détails une influence venue à l'évidence d'outre-atlantique.
La maison étant terminée un an plus tard, le cliché qui m’intéresse date ainsi d'avant 1955. Mais guère avant, car l'arrière plan de la photographie, décidément d'une excellente qualité, dévoile la ville nouvelle, alors en élaboration. L'activité industrielle est en plein essor, la reconstruction bat son plein, il faut accueillir les nouveaux arrivants et les militaires de la base aérienne, en grande expansion également. On distingue déjà une dizaine de bâtiments de trois ou quatre étages, certains sont toujours habités. Les premiers logements sont sortis de terre en 1953 : il est ainsi aisé de situer plus précisément la photographie d'autant plus qu'on discerne parfaitement l'emplacement défini et déjà arasé du lycée qui sera édifié à deux cents mètres de chez moi l'année suivante.
Je suis ainsi en été 1954, il fait très beau, les arbres ont des feuilles fournies. Je suis assis à côté du pilote-photographe, Roger Henrard, dans le cockpit de son bimoteur Lockeed 12 Electra junior, avec lequel, dix ans plus tôt, il donnait des renseignements aux alliés. Il me désigne là où j'habiterai 37 ans plus tard. Enfin, c'est façon de parler, car il me reste quatre ans pile avant ma naissance...
(09/02/2021)

 

Il y a tout juste dix ans, j'ai participé à la manifestation littéraire des enjeux contemporains, organisée chaque année par la Maison des écrivains et de la littérature (Webcam du 02/02/2011). Elle avait lieu au Petit Palais. Je ne me souviens plus des circonstances de mon invitation. Retour aux mots sauvages était paru à la rentrée précédente de septembre. Le livre avait été remarqué, j'avais été nominé au Goncourt. C'est probablement Dominique Viart, cheville ouvrière et programmatrice de ces rencontres, qui avait dû me solliciter. Il me suivait dans le sillage de François Bon depuis mon premier livre Central. Cette année, le thème était « littérature en vérité ». J'avais été interviewé en même temps que Jean Rolin, que je découvrais pour la première fois ; son humour, sa fausse désinvolture m'avait mis à l'aise et en joie. Il me semble que c'est Jean Kaempfer qui avait animé la rencontre. J'étais en bonne compagnie, Charles Juliet que j'avais vu quelques mois auparavant à Manosque, Pierre Bergounioux (je crois me souvenir que Jean-Paul Michel était dans la salle, mais c'était peut-être à une autre occasion). Il y avait aussi le sourire et l'entrain de Ronald Klapka, qui disparaîtrait brutalement deux ans plus tard. Nous avions dîné le soir dans une pizzeria. Je crois encore me souvenir que Sylvie Gouttebaron, était présente, et que je connaîtrais mieux plus tard avec le concours « écrire le travail ».
Voilà, cela fait dix ans et je m'en souviens si peu, ou plutôt, j'ai l'impression que cela fait une éternité. La pandémie dissout nos repères. Tout ce à quoi j'ai participé et qui me revient en même temps (Manosque il y a dix ans ou encore l'année passée, ou « Ecrire le travail » via l'atelier d'Argenteuil en 2019 pour ne citer que deux réminiscences) me paraît enfoui dans une vie rêvée, sans ordre ni chronologie et qui ne s'est pas vraiment produite. Pourtant la page « agenda » atteste de tout cela et de bien plus encore, de même, bien sûr, que de nombreux articles de F de R.
En cette année inanimée ou presque pour la culture dans ce qu'elle a de plus vivant pour tous les acteurs (comme on dit), rencontres, événements, projets, tout ce qui donne l'impression d'exister au-delà des pages de nos livres, la treizième édition des enjeux contemporains est maintenue. Initialement prévue du 2 au 5 décembre 2020, reportée inch allah du 4 au 6 mars 2021, son thème colle à l'actualité : « survivre » (d'ailleurs il faudrait inventer et utiliser le verbe « sousvivre » pour exprimer notre existence actuelle). Qu'elle soit virtuelle, ou j'espère présentielle, cette manifestation est un réconfort. Et jamais son titre « enjeux contemporains » n'a exprimé autant d'attentes.
(02/02/2021)

 

Triste époque : pour une fois qu'il y avait une belle neige pour les fêtes, les stations de sport d'hiver ont dû réduire leur activité. L'an passé, si je me souviens bien, la neige n'est pas tombée du tout. Il faut remonter à l'année d'avant, à peu près au même moment pour la dernière séance du flocon blanc (Webcam du 28/01/2019). Cette fois, nous la guettions avec impatience, les régions aux alentours en avaient déjà reçu une dizaine de centimètres et nous pouvions espérer en bénéficier. Hélas, la neige a fait son apparition vers 18h un samedi soir, donc à l'heure de l'obscurité et du couvre-feu. J'ai couru d'une fenêtre à l'autre pour photographier la petite couche de presque 3 cm qui recouvrait les balustrades, la voiture, pelouse, arbres et toits. Et c'était tout ce que je pouvais faire. Le lendemain matin, la pluie sévissait déjà et transformait la neige en bouillasse grise et gorgée d'eau. Nous n'avons même pas eu le courage de nous promener jusqu'au parc dans cette ambiance humide.
J'espérais aujourd'hui agrandir cette rubrique et la renommer « neige de nuit et de jour ». En effet, la météo avait annoncé hier un réveil sous le blanc. Pas grand chose était prévu, mais suffisamment pour que je me maintienne dans l'illusion d'en déblayer quelques centimètres pour faciliter l'ouverture du portail, d'en nettoyer les vitres du véhicule garé dans la cour, le seul muni de pneus hiver. Mais hélas, le matin gris a dilué ses toits habituels et mouillés, le bruit de la circulation dans les flaques annonce la reprise du lundi.
Me voici ainsi, à mon bureau, remplissant la mise à jour hebdomadaire, sur cette neige uniquement nocturne et qui date déjà d'une dizaine. Les flocons épais, apparus comme par magie pour me contredire au moment où j'écris ces lignes, tournent déjà à la pluie. La circulation des départs matinaux au boulot s'estompe, un oiseau dans un buisson voisin s'agite et me rappelle à l'ordre : il est temps de remplir sa mangeoire.
(25/01/2020)

 

J'ai toujours eu un faible pour la fonction ALEA des tableurs : un faible littéraire s'entend, puisque la faculté même de cette fonction destinée à choisir de manière aléatoire un nombre, permet d'associer par la magie des lignes numérotées une correspondance en regard, un mot, une phrase ou tout autre « signifiants », comme disent les linguistes. De là, toutes les combinaisons sont possibles pour agencer noms, verbes ou adjectifs. L'ordinateur, via le tableur, choisit à votre place, sans état d'âme, grâce au programme que vous avez conçu et dont vous restez maître. Pas d'inhibition devant une expression qui ne veut rien dire, la machine ne connaît pas l'angoisse de la page blanche et vous délivre des combinaisons de mots, parfois farfelues, mais toujours poétiques. J'utilise cette possibilité depuis 1998, autant dire depuis que j'écris. Lorsque j'ouvre un de ces programmes, restés en l'état mais toujours capables de fonctionner, je demeure surpris par l'inventivité que ce cerveau mécanique me propose : ainsi, de suite : « Crépuscule qui resplendit, le chat rassure l'eau » ou encore « Lac qui pleure, le monde aime le ciel ». J'y reviens donc régulièrement et j'avais déjà évoqué cette fameuse fonction ALEA dans une note d'écriture du 13/02/2017.
Cette année, pour le bénéfice d'une association, j'ai réactivé cette vieille fonction qui existe sur tous les tableurs, même les plus modernes. En effet, celle dans laquelle j’œuvre, a l'habitude de proposer pour sa première assemblée de l'année la traditionnelle galette des rois. Hélas, depuis mars, confinements, restaurants et salles closes nous obligent à nous tenir au courant de nos activités à distance. Malgré tout, nous avons appris à nous auto-discipliner, à trouver un rythme de croisière et même une certaine convivialité par télé-réunion, téléphone, tablettes ou ordinateurs interposés. Mais que faire pour la galette des rois ? J'ai eu l'idée de demander à chaque membre de bien vouloir apporter devant son écran une part de galette et une boisson idoine, histoire de respecter la tradition. Mais comment dans ce cas choisir un roi et une reine ? Vous avez deviné : j'ai utilisé un tableur et la fonction ALEA en y inscrivant les participants. Résultat : la machine a choisi pour reine... la présidente de l'association. Je suis sûr que beaucoup penseront que le jeu était truqué, mais ce n'était pas le cas. Reste le moment de franche rigolade à distance, chacun répandant les miettes de sa galette sur son clavier et le levant haut son verre devant sa caméra. Non, le virus n'aura pas le dernier mot...
(18/01/2021)

 

2020, on s'en doutait depuis les dernières semaines, serait l'année plus chaude jamais enregistrée. Dans ma ville, la moyenne des relevés quotidiens des températures les plus élevées a été de 18,1°C. Par comparaison, l'année de la canicule de 2003 se situe seulement au septième rang, avec 1° de moins et celle de 1976, qui avait la première marqué les esprits, encore 1° de moins, 16,1°C et le 16° rang. Plus inquiétant, les six dernières années les plus chaudes appartiennent à la dernière décennie et les trois dernières, 2018, 2019 et maintenant 2020, détiennent le haut du palmarès. Nous sommes déjà à 2,5°C de plus que la moyenne, et la maîtrise de 2°C qu'on espérait ne jamais atteindre dans les accords sur le climat est déjà dépassée. Dans ces conditions, les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient dans tous les coins du globe, inondations, tempêtes, incendies. Il nous faudra vivre avec, car il est désormais utopique de croire à une inversion climatique, ce qui n'est pas une raison pour ne rien faire non plus.
Pour en revenir à mon département, en ce qui concerne 2020, la tendance s'est confirmée pour tous les mois de l'année, avec notamment le mois d'avril qui s'est démarqué avec + 6°C par rapport à la moyenne. A noter que ma ville a battu un record national d'absence de précipitation : 45 jours sans une goutte d'eau et cela correspond pile poil avec la période du premier confinement, de mi-mars à début mai. Les statistiques que j'évoque, sont issues de la station météo locale qui les compile depuis 1941. L'ensoleillement, qui dépasse 2000 heures pour la troisième année consécutive, est désormais comparable à des villes comme Bordeaux ou Toulouse. La sécheresse, entamée avec un printemps aride, s'est poursuivie pendant cent jours, de la troisième semaine de juin à la troisième de septembre, avec seulement 10 mm de précipitations pendant cette période (même pas la valeur d'un arrosage). Dans ces conditions, malgré le retour des pluies d'automne, le déficit approche les vingt pour cent, c'est mieux que ce que j'escomptais (note d'étonnement du 30/09/2020), mais c'est surtout l'état des jardins qui montre les dégâts occasionnés par ces sécheresses devenues récurrentes (on note sur les statistiques un écroulement soudain des précipitations de 30%, ininterrompu depuis 19 ans...). L'état des pelouses, grillées maintenant 4 mois sur 12 (webcam du 3/09/2020), est un moindre mal car l'humidité de surface suffit à faire reverdir le sol. En revanche, les arbres dépérissent (webcam du 28/05/2020). En quelques années, j'ai ainsi perdu deux peupliers, un cyprès et divers buissons, et, en 2021, je ne sais pas si je vais arriver à sauver plusieurs arbres ainsi qu'une dizaine de lauriers cinquantenaires, dont les troncs principaux n'arrivent plus à puiser suffisamment d'eau. Le printemps et la reprise de végétation m'apportera son verdict mais les branches décharnées sont déjà de triste augure.
(11/01/2001)


C'est traditionnel comme la dinde ou la bûche, et récurrent comme la semaine du blanc qui suit les fêtes, voici donc le bilan des courses à pied pour l'année écoulée. Dans ma note d'étonnements du 06/01/2020, j'avais déjà noté une diminution de mes performances, l'équivalent Paris-Moscou de 2018 réduit à Paris-Rome en 2019. Cette année, c'est à peine un Paris-Marseille que j'aurais accompli, 715 km au total, répartis en 177 km de vélo, 152 km de marche et 386 km de running, comme dit Cécile Coulon (voir en Notes de lecture).
Fini donc les Paris-Moscou, Paris-Rome en distance annuelle, me voici cantonné dans l'hexagone pour la totalité de mes résultats. Bien sûr le Coronavirus est passé par là, les confinements et les couvre-feux. Atteint par la bestiole en mars, j'ai interrompu toute activité sportive pendant deux mois. Le souffle court, j'étais à peine capable de promener mon petit-fils dans sa poussette pendant une demi-heure. Un peu de vélo au printemps, quelques courses lentes n'excédant pas 8 km m'ont redonné une forme suffisante pour apprécier à nouveau en Sicile les courses matinales et quotidiennes. A la rentrée, j'avais repris un rythme correct et mes trajets habituels de dix kilomètres le long du canal. J'ai profité des salons du livre à Manoque et Besançon pour aller courir, mais le nouveau confinement de fin octobre m'a découragé. J'ai néanmoins profité de l'autorisation de promenade d'une heure pour découvrir toutes les rues de ma ville dans la limite du kilomètre. Et ceux qui affirment que cette limite n'était pas suffisante pour faire du sport n'avaient qu'à nous suivre dans nos marches rapides supérieures à six kilomètres dans ce temps limité.
Mais surtout, la grande découverte du moment, celle qui m'a redonné véritablement envie de courir, c'est l'utilisation de mon tapis de course, en usage exclusif d'ailleurs depuis 3 mois. J'y ai ainsi accompli plus de 180 km, soit presque moitié de mes distances de footing. Il est là, juste sous mes yeux dans la véranda attenante à mon bureau. Je peux y aller quand je le souhaite, bien au chaud et à l'abri. Je le possède depuis un an, mais un défaut de fonctionnement nous a empêché de nous en servir sereinement : il accélérait subitement, et devoir suivre une poussée brutale à seize kilomètres-heure se révélait plutôt dangereux... Réparé depuis septembre, je m'en sers régulièrement à raison de plus de vingt kilomètres par semaine en cette fin d'année. Je n'ai même pas éprouvé le besoin de sortir, mauvais temps oblige. Ne pas s'imaginer pour autant que ce sport en salle est moins contraignant. Dehors, nous accélérons et ralentissons au gré de notre humeur et bien souvent sans s'en rendre compte, mais lorsque le tapis vous projette à 10 ou 13 km/h, pas moyen de transiger, il faut suivre le rythme. Cette contrainte est néanmoins salutaire : si j'en juge par l'augmentation de mes moyennes, j'ai probablement augmenté mon allure qui était en baisse régulière depuis quelques années (privilège de l'âge). J'ai maintenant hâte d'aller vérifier cela sur mes parcours de courses habituels. Et puis, grâce à une tablette posée sur l'engin devant mes yeux, je cours virtuellement le long des plages d'Hawaï, au bord d'un lac à Singapour ou dans une forêt en Suède et, à l'époque de nos horizons confinés ou du couvre-feu à 18h, ça n'a pas de prix...
(05/01/2021)