depuis septembre 2000
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Notes d'écriture 2017
C'est donc fait : l'année que j'avais exclusivement réservée à la rédaction de ma
thèse a porté ses fruits, j'ai soutenu celle-ci le 12/12 et obtenu mon doctorat. Merci
aux très nombreux messages d'encouragements, puis de félicitations (au moins une
trentaine !) qui m'ont beaucoup touché. Je profite que cette soutenance est encore
fraiche dans mon esprit pour en dire quelques mots, pas sûr qu'on se souvienne plus tard
de tous les détails de ce genre d'épreuve. Souvenir d'abord d'avoir été zen jusqu'au
dernier moment, presque indifférent, mais il faut dire que le document final de la thèse
était envoyé depuis le 24 octobre, qu'une exposition m'avait beaucoup accaparé entre
temps et aussi l'idée d'un nouveau livre. Les pré-rapports du jury étaient favorables,
l'autorisation de soutenance a suivi et, dès lors, le suspense est moindre. Mais tout de
même, reste l'épreuve et sa rigueur académique. J'ai commencé à claquer des genoux
une heure avant, je commençais à désespérer de mon insensibilité. Après, tout va
très vite, on s'installe dans ce mélange de solennité et de camaraderie avec famille,
amis et supporters. J'ai commencé par un discours liminaire de vingt minutes, bien sûr
préparé à l'avance, beaucoup plus lu qu'improvisé, c'est plus sûr. Puis chacun des
quatre membres du jury a relayé pendant le même temps leurs impressions sur mon travail
et posé quelques questions auxquelles j'ai dû répondre dans la foulée (pas facile
d'être pertinent sur le vif, j'ai regretté ma réponse à la toute première question,
incomplète et mal aisée, mais j'étais tendu). Raconté comme cela, l'exercice peut
paraître convenu, voire insipide (pas de support de projection, on n'est pas au cirque)
d'autant qu'il dure trois heures, mais de l'avis du public, aucun ennui. Il faut dire que
ma vie d'étudiant tardif a été passée au crible (je ne me souvenais plus d'avoir fait
200 km pour rencontrer au début de mes études un professeur suite à une mauvaise note
en dissertation sur Molière). Bref, je m'aperçois que j'ai laissé l'image d'un
étudiant docile et plutôt volontaire, mais aussi dispersé dans ses multiples activités
: le directeur de thèse a raconté avec beaucoup d'humour son ultime désappointement
lorsque je lui ai annoncé que je m'attaquais à un grand livre sur Arthur Rimbaud ! Tout
s'est ainsi bien terminé : appelez-moi docteur maintenant
J'ai cherché pour
illustrer cet évènement des images de docteurs et d'écrivains, mais je n'ai rien
trouvé de vraiment probant à part les fanfreluches des docteurs honoris causa qui en
récompensent certains. Autant placer d'authentiques
photos de ma soutenance. J'ai enfin
réalisé ce vieux rêve de jeunesse : les aléas de la vie m'ont fait travailler
aussitôt après mon bac et j'avais toujours regretté de ne pas avoir fait d'études
universitaires. Après avoir commencé à quarante-six ans un parcours universitaire
depuis la première année, en secret je ne concevais pas de le terminer ailleurs que tout
en haut de la dernière marche : vieux rêve quand tu nous tiens
(19/12/2017)
J'aurai peu
participé à la vie littéraire cette année. Mon agenda compte cinq sorties,
participations diverses, salons, rencontres, alors qu'en 2016, j'avais honoré trente-huit
rendez-vous. Bien sûr, la vie quasi monacale que je me suis imposée pour cause de
recherches universitaires est la cause de ce retrait. Mais les affaires ont repris,
parfois avec une tournure inattendue comme cette exposition montée de toutes pièces avec
mes petits bras (voir en Étonnements la semaine passée) mais qui a déjà connu un bon
succès (à l'échelle de ma petite ville s'entend) avec déjà près de 500 visiteurs. On
jouera même les prolongations. Le petit cercle d'amis qui m'entoure généralement s'est
ainsi accru de nouvelles connaissances. J'ai dû composer avec une cinquantaine de
personnes pour parfaire ce projet et ce débordement d'activité est venu à point nommé
pour relier le grand vide que la thèse opiniâtre et solitaire avait comblé. Ce petit
coup de fouet s'est doublé par un nouveau projet d'écriture et l'envie également de
renouer avec le petit monde des livres. Aussi, je regarde avec appétit quelques projets
qui se dessinent déjà, dont les dates tardent à se concrétiser et à compléter
l'agenda. En route vers de nouvelles aventures, mon vieux Milou !
(05/12/2017)
Nom de code
ST : ça veut dire comme d'habitude que j'ai commencé à écrire un nouveau livre sous
cette abréviation. ST comme "sans temps" mort, on pourrait dire puisque j'ai
démarré ce nouveau texte le 12 novembre, tandis que ma thèse en version définitive
date du 24 octobre. Je renoue avec plaisir avec l'écriture d'invention, sans l'obligation
d'argumenter chacune de mes phrases et de citer mes sources ! Ceci dit, j'ai tout de même
pris grand plaisir à l'exercice académique pendant la quasi année qu'a duré la
rédaction finale. Mais l'écriture d'un nouveau texte est un instant désarçonnant : il
est vrai que j'en avais l'idée depuis plusieurs mois, gardée bien au chaud en attendant
que le projet universitaire prenne fin : même avec l'habitude de mener plusieurs projets
de front, il aurait été difficile de lier les deux écritures de surcroît si
différentes dans leurs principes même. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai un peu
traîné sur le chemin de ma thèse : pas moins de cinq livres sont venus s'intercaler au
cours de mes recherches. depuis 2009. Il est bien sûr trop tôt pour dire si ST verra le
jour. Le texte que j'entrevois est dans une phase de balbutiements, la voix, les voies
sont encore à trouver.
(28/11/2017)
L'imagination
des romanciers est sans limite, dit-on. Mais la limite existe : il est inconcevable,
indicible, hors nature de considérer la disparition le 7 octobre dernier de Philippe
Rahmy et de son indéboulonnable chapeau. Je l'ai appris une semaine après, dans une
lettre de Remue.net à laquelle je suis abonné. Dans la période un peu austère des
finitions thésardes, je suis allé rarement voir les sites des amis, petit cercle dans
lequel Philippe et son regard poétique avait toute sa place : les hommages sont là, ici, là encore. Bien d'autres
suivront, n'en doutons pas. On imagine souvent la petite communauté numérique que nous
formons (j'ai la prétention d'en faire partie un peu avec mes chaotiques Feuilles de
route) comme une juxtaposition lointaine de pages isolées, chacun navigant à
l'écart des autres sur la grande mer du web. Il n'en est rien, une sorte d'amitié
impalpable nous réunit, quelques mails affectueux nous rappellent à notre silence, nous
faisons de même pour avoir des nouvelles, nous nous voyons au hasard d'une lecture en
librairie, d'une rencontre, d'une manifestation ou ailleurs : Philippe avait le don de
vous saluer avec une telle chaleur qu'on se sentait immédiatement proche de lui. Côté
écriture, ses livres étaient tous fantastiquement sensibles. Deux me touchent
particulièrement : Mouvement par la fin et Béton armé. J'avais lu ce
dernier (note de lecture du 04/12/2013)
dans la cabine en bois d'un voilier qui m'avait emmené à la Toussaint de la même année
aux îles éoliennes. Étrange sensation, roulis du bateau, odeur de vernis et prose
magnifique de Philippe : c'était l'idéal pour découvrir ce roman de voyage qui se passe
à Shangai. Quant à Mouvement par la fin (note de lecture du 11/05/2005), je me souviens d'un moment d'intense
émotion poétique. Sa maladie, oui, nous la connaissions. Et Philippe - frère de
cristal, ainsi que je le nommais - savait qu'elle l'aurait à l'usure. Mouvement par
la fin se termine ainsi : " Séparé de mes dernières paroles un rien demeure,
glisse ma main sur sa racine terrestre, adieu ".
(05/11/2017)
J'ai mis un point d'honneur à terminer ma thèse pour mi-septembre. Quand je dis
terminé, c'est avoir fini un premier jet réunissant le texte complet dans l'académisme
qui prévaut à ce genre d'écriture : le corps de thèse, l'introduction, la conclusion,
les résumés en français et en anglais un sommaire, une bibliographie, un double index
de noms d'auteurs et d'uvres. Restera à venir les remerciements et les inévitables
corrections, voire reprises de parties importantes : pour ce travail en partie collectif,
trois à quatre semaines seront encore nécessaires. Le machin accuse plus de 430 pages,
un million de caractères, 1500 notes de bas de page. C'est une distance classique pour
une thèse. À titre de comparaison, ça équivaut à un roman de mille pages. Il m'aura
fallu un an de rédaction, c'est l'impression que je retiens. En réalité, c'est à peu
près à la même époque l'année précédente que je me suis décidé à enfin laisser
entrer mon écriture ronde dans le moule carré qui sied à un tel travail. En effet, les
recherches entreprises depuis longtemps avait été émaillées de diverses tentatives de
mise en forme : je retrouve des fichiers envoyés en 2012, en 2014, parfois conséquents,
200 à 300 pages fournies avec l'idée que ces réflexions constituaient des versions
quasi-définitives. En réalité, je n'avais pas vraiment compris (admis) que toute idée
émise devait être solidement étayée. L'année passée, je me suis enfin décidé à
programmer une écriture régulière, argumentée. L'exercice est difficile et
probablement plus encore pour un romancier habitué à une uvre d'imagination dont
justement l'attrait consiste à ne rien prouver. Et puis, autre élément important, une
thèse est un travail à plusieurs voix, contrairement à l'écriture d'un roman. Je m'y
suis vraiment mis en janvier, après avoir arrêté mon travail, et les rendez-vous
mensuels programmés avec mon directeur de thèse (merci grandement de sa disponibilité)
ont aidé à baliser la rédaction. Je ne sais pas si j'aurais pu aller plus vite : huit
ans d'inscription en doctorat, on peut dire que j'ai traîné en route. À ma décharge,
j'ai travaillé à temps plein, avec par ailleurs les plus belles (riches et remplies)
années de ma vie professionnelles, j'ai aussi publié six romans, mais je n'ai jamais
oublié de collecter tout ce qui me paraissait important pour ma thèse. La bibliographie
que j'ai utilisée compte plus de 400 livres, récits concernés mais aussi essais
littéraires, articles critiques, ouvrages de sociologie, de philosophie, de psychanalyse.
Probablement m'a-t-il fallu tout ce temps pour en digérer les lectures.
C'est peut-être le moment d'évoquer le thème de ma thèse et pourquoi je l'ai choisi : Les
représentations du travail dans les récits français depuis la fin des Trente glorieuses.
J'ai mis du temps à en apprendre le titre, il me parait parlant, mais assené brutalement
à un néophyte, ça s'apparente à la fameuse scène
entre Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri dans On connaît la chanson. En fait, le
choix a été très banal : je venais d'écrire Central, on m'a catalogué comme
écrivain du travail et j'ai tenté d'en savoir plus sur mes contemporains qui choisissent
le même sujet. Ça fait donc presque vingt ans que je réfléchis à la question. Plus
tard, tandis que je rejoignais en parallèle le club des seniors au boulot, j'ai entrepris
des études de lettres, histoire de compléter mes lectures et de repriser le tissu de ma
culture générale qui avait l'aspect d'un châle troué de mille oublis. Après la
licence (ah, ces trois années où on réapprend à tenir un stylo, où on renoue avec le
latin !), j'ai continué en master et naturellement lorsqu'il a fallu rédiger des
mémoires de recherche, mon dévolu s'est déjà porté sur ce thème pendant les deux
années. La thèse semblait une suite logique, mais c'était sans compter la difficulté
de tout lier et surtout il y a un pas énorme à franchir pour arriver à ce summum
des études. Enfin, c'est fait, vaste soulagement, mélange de sentiment diffus, qui vont
de l'idée de me sentir légitime (pour qui ? pourquoi ?), à la fierté d'avoir réussi
un parcours tout seul, de la même manière que j'avais décidé unilatéralement à vingt
ans de me contenter d'un simple bac, de devenir autonome, d'entrer dans la vie active et
en même temps de devenir écrivain.
(25/09/2017)
En marge des
travaux de ma thèse sur la littérature du travail, quelques extraits relatifs à
lusine, vue en monstre presque humain :
« Lusine, la grande usine univers, celle qui respire pour vous »
Leslie Kaplan, LExcès-lusine
« Cétait une masse lourde, un tas écrasé de constructions, doù se
dressait la silhouette dune cheminée dusine ; de rares lueurs sortaient des
fenêtres encrassées, cinq ou six lanternes tristes étaient pendues dehors, à des
charpentes dont les bois noircis alignaient vaguement des profils de tréteaux
gigantesques ; et, de cette apparition fantastique, noyée de nuit et de fumée, une seule
voix montait, la respiration grosse et longue dun échappement de vapeur, quon
ne voyait point. [
]. Il sexpliquait jusquà léchappement de la
pompe, cette respiration grosse et longue, soufflant sans relâche, qui était comme
lhaleine engorgée du monstre. »
Émile Zola, Germinal.
« À la pause de dix heures trente, quelquun lui pose la question un
gars comme nous, qui a déjà travaillé sous le dôme du bâtiment réacteur et
sétonne. Il donne à la question la seule réponse possible, sans rien céder sur
lessentiel, cette couleur, ces flashs de lumière que lon retrouve produit par
des particules cosmiques dans lhumeur vitreuse des astronautes, cest
leffet Tcherenkov. Bleu. La vraie couleur du nucléaire. Qui nest donc ni le
jaune des sources radioactives, ni le rouge étudié par les instances internationales
pour remplacer ce jaune. »
Élisabeth Filhol, La Centrale
« À lautre bout, cest un genre datelier à part, quelques
bécanes classiques, un tour, une fraise, de quoi bricoler, meules, perceuse, le désordre
de bouts de ferrailles, stocks de visserie, pièces à faire sur leurs palettes, le coin
le plus vivant du labo, puisque deux gars y grattent en permanence. »
François Bon, Sortie dusine.
« Cest malheureux à dire, mais une usine cest beau la nuit. Les éclairages
blancs et orangés, le métal des tuyauteries qui capte les moindres étincelles de
lumière, et ces cumulus qui paraissent majestueux lorsquils séchappent des
cheminées. »
Jean-Pierre Levaray, Putain dusine.
(03/07/2017)
Lâge
du poisson rouge qui vient de nous quitter a longtemps été un sujet de conversation
familial. Nous nous sommes perdu en conjectures diverses, et, au fur et à mesure que le
temps passait, et donc que saccroissait son âge vénérable, la discussion sur
lâge du poisson rouge est devenue légendaire. En réalité, Feuilles de route et lécriture en général
peuvent nous aider à résoudre lénigme (doù linscription du débat
dans cette rubrique). Tout dabord jai longtemps été indifférent à son
prénom et évidemment à sa date de naissance, les machins oranges tournant dans un bocal
rond étant généralement éphémères et de peu dintérêt. Avoir un poisson,
cest comme on dit (bêtement) « pour faire plaisir aux enfants ».
Il me semble que les deux premiers avaient été donnés au milieu des années
quatre-vingt-dix par une amie de ma fille qui voulait des hamsters à la place. La plupart
mouraient rapidement : vagues souvenirs den avoir eu un aux nageoires comme de
longs voiles, peut-être un autre de couleur noir, un dernier quil me semble avoir
remplacé avant que les enfants ne
saperçoivent de sa mort. À
lacquisition de celui-ci, les enfants lont prénommé Batman. Cest
déjà une première piste pour lénigme de son âge, les films et dessins animés
du retour de la célèbre chauve-souris datent en effet davant lan 2000.
Longtemps les poissons ont été deux dans le bocal « pour ne pas quils
sennuient ». À la découverte du congénère de Batman occis dans le bocal,
nous lavons enterré en grandes pompes dans le jardin et cette anecdote, mêlée à
dautre ma donné le prétexte de rédiger une courte nouvelle.. La nouvelle,
reprise dans Bestiaire domestique, paru en 2009,
est la plus ancienne de ce recueil, cest même probablement elle qui est à
linitiative décrire sur les animaux qui nous accompagnent au quotidien ou qui
nous surprennent à loccasion. Jai récemment retrouvé une première version
(sans doute originelle) de cette nouvelle cachée dans une disquette de trois pouces un
quart (cest dire
). Elle date de décembre 2001 : je peux donc affirmer de
source sûre que Batman avait déjà au minimum seize ans lorsquil est mort. Ma
fille (les enfants ont plus de mémoire que les adultes pour ces petits évènements) est
persuadée que nous avons acquis Batman au printemps 1998, en même temps que notre
dernier chat : ne tergiversons pas et inscrivons dans la mémoire familiale que
Batman sera ainsi mort dans sa vingtième année
Pourquoi raconter ces menus détails insignifiants en Notes décriture ? Parce
que, justement, toute la symbolique de lécriture est présente dans cette maigre
anecdote. Elle y mêle le réel qui est toujours le point de départ de toute fiction. Si
je sais très bien démêler le vrai du faux de cette nouvelle, le lecteur na cure
de cette véracité, ce qui lui importe, cest la manière dont jai raconté
lenterrement du poisson, la symbolique avec une courgette que javais
retrouvée accrochée le même jour à ma grille, don dun voisin dont la femme
venait de mourir quelques semaines plus tôt. Tous ces éléments étaient déjà
présents dans la première version de 2001. Bien sûr, quand je relis le texte publié
dans Bestiaire domestique entre les pages 119 et
126, certains éléments ont changés, mais ce qui reste, étonnamment, ce sont certains
petits éclats de réel dont je ne veux pour rien au monde me séparer. Je me souviens
que, lorsque jai remis le manuscrit de ce recueil à mon éditrice, javais la
sensation davoir écrit un livre sur le bonheur. Oui, cest véritablement
cela, du même ordre de la béatitude lorsque javais découvert, il y a plus de
trente ans, lors dune année restée chère à mon cur, la lecture des
bestiaires de Maurice Genevoix (je raconte aussi cette aventure dans la nouvelle Oiseau-livre, pages 59 à 63). Jai gardé
dans un coin de ma tête le projet décrire encore un recueil de nouvelles
animalières, jai déjà plusieurs anecdotes à raconter, et nul doute que la vie de
Batman (super-héros du bocal, comme la surnommé ma fille) y sera présente.
(26/06/2017)
Très
récemment, dans mes pérégrinations thésardes, alors que je faisais remarquer à une
professeure mon enthousiasme pour lédition Quarto des uvres de Nicolas Bouvier quelle était
en train de lire, elle ma appris quil figurait au programme 2018 de
lagrégation de lettres. Excellent choix
Son exemplaire était très neuf,
tandis que le mien (et cest ma fierté) est écorné de partout, gondolé
dhumidité (pardon deau de mer, ça fait plus aventure), bref, il a vécu, et
cest évidemment indispensable pour rendre hommage à ce fin voyageur-écrivain. Je
lavais lu à lété 2008 (voir Étonnements
et Notes de lecture du 22/08/2008), ça va
faire neuf ans, mince alors ! Ceci dit, elle ma signalé ce très court texte
(de juin 1989), perdu dans les 1400 pages du gros volume « Réflexions sur
lespace et lécriture », que jai relu avec grand plaisir et dont
je recopie quelques extraits :
« Cest le voyage, le « vivre
ailleurs », la précarité dune vie longtemps itinérante qui mont
conduit à murmurer des histoires, tout comme une bouilloire posée sur la braise se met
à chantonner. « Tout comme » étant un euphémisme : il ma fallu
apprendre à découper et coudre le cuir du langage et méchiner gaiement à
létabli comme lapprenti cordonnier qui fait sa première paire
descarpins pour une favorite ou des bottes pour le grand chambellan.
Sans cet apprentissage de létat nomade, je naurais peut-être rien écrit. Si
je lai fait, cétait pour sauver de loubli ce nuage laineux que
javais vu hâler son ombre sur le flanc dune montagne, le chant ébouriffé
dun coq, un rai de soleil sur un samovar, une strophe égrenée par un derviche à
lombre dun camion en panne ou ce panache de fumée au-dessus dun volcan
javanais. De retour en Europe ou lors des longs bivouacs hivernaux qui parfois ponctuent
un voyage, ces images se bousculaient dans ma tête, forte de leur fraîcheur native et
demandaient impérieusement la parole.
Vocabulaire : gamin bouffeur de livres à la chandelle clandestine puis étudiant,
javais eu mes éblouissements : London, Rimbaud, Melville, Michaux, mais le
véritable goût des mots mest venu lorsquil a fallu les choisir, drus, lourds
dans la main, polis comme des galets pour enluminer mes modestes icônes avec lor,
le rouge le bleu qui convenaient et pour tenter de faire du spectacle de la route un de
ces thesaurus pauperum à majuscules ornées déglantines et de licornes.
Incantation de lespace, décantation du texte. Pendant des années jai suivi
ce mouvement pendulaire qui passe du « voir » au « donner à
voir », ma parole naissant, non de lexotisme, qui nest que preuve de
malentendu, mais due géographie concrète patiemment investie et subie. [
]
Lécriture, lorsquelle approche du « vrai texte » auquel elle
devrait accéder, ressemble intimement au voyage parce que, comme lui, elle est une
disparition. Certes pas affirmation de la personne mais sa dilution consentie au profit
dune totalité quil faut sinon exprimer (on ne peut pas), au moins rejoindre.
Toute opération menée à son terme implique un effacement quasi sacrificiel de
lopérateur. Dans les contes chinois « le peintre de nuées » qui a
porté la dernière touche à son dernier chef duvre roule ses pinceaux, les
fixe à sa ceinture, entre dun bon pas dans son paysage et on aura plus jamais de
ses nouvelles. Les manipulateurs de marionnettes « burnraku » qui sont sur la
scène avec leurs poupées portent cagoule lorsquils sont novices ; les maitres
travaillent à visage découvert : ils sont à tel point devenu le personnage
quils animent quon ne les voit littéralement plus. Cette disparition est un
exercice dhumilité et descamotage assez ardu et parfois périlleux, mais
auquel il nest pas interdit de se livrer avec humour. Le but ultime étant de
devenir plus léger que cendre. Cest une ambition fort immodeste à laquelle très
peu sont parvenus. Pour ces rares élus - je pense à certains textes de Nerval ou de
Vladimir Holan dune immatérialité séraphique il ny a plus de
problème de style, plus de casse-tête décoles ou de modes, plus besoin
dessayer ses phrases dans un « gueuloir ». Il ny a plus même ce
souci si souvent évoqué dengagement, ou pour user dune terminologie qui
ma toujours paru obscène, « dinsertion dans le social ». Car
lair entre partout et plus il est léger plus il est explosif. »
(19/06/2017)
Jai
envoyé hier pour correction un nouvel avancement de ma thèse. Le précédent envoi
datait dun mois pile. La partie nouvelle compte 70 pages remplies de cent
soixante-mille caractères, soit léquivalent dun roman de 150 pages de format
classique. Bref, cest comme si javais concocté en quatre semaines un polar,
un petit récit ou un recueil de douze nouvelles. Je me souviens, il y a longtemps, plus
de vingt ans, je métais lancé un pareil défi : être capable décrire
en deux mois un roman. Il faut dire que javais enfin fini par terminer mon tout
premier récit, Martin Martin, commencé à
lâge de vingt ans. Il mavait fallu un peu plus de dix ans pour
lécrire, encore quelques années pour laisser linspiration me titiller à
nouveau et cest pourquoi je métais lancé ce défi, deux mois pour écrire
quelque chose qui ressemble à un roman, il fallait rompre la pénible lenteur. Après je
pourrais constater de visu que lécriture dans sa forme achevée en petit tas de
feuilles est une possibilité viable, donc rapide, quelque chose que je nosais alors
envisager que de très loin. Javais tenu lengagement avec une histoire de
méchants démasqués par un enquêteur débutant et naïf : Aventures au Cap-Vert était né, ça avait
vraiment été une aventure dans tous les sens du terme. Bien-sûr, ce livre et le
précédent sont restés dans le tiroir, ça avait vocation à lêtre,
cétaient des romans dapprentissage, comment on ouvre un chapitre, comment on
le clôt, quest-ce qui se passe si on change le temps du récit, la manière de
parler du narrateur. Cétait de la tambouille décriture, on essaie des plats,
on rajoute du sel, on fait parfois brûler. Il fallait que tout cela séquilibre. Je
ne sais pas si cest toujours comme cela. Probablement encore, mais on a aménagé la
cuisine, cest plus confortable, plus sûr aussi. On a du métier, on connaît
maintenant le maniement du four, les justes proportions, mais on travaille à
lil toujours, et sans recette. Donc, lécriture de la thèse peut
également aller vite, de la même manière. Enfin, sauf que chaque citation est prouvée,
discutée, annotée en bas de page (déjà plus de 800 de ces notes !), cest la
caractéristique de lécriture universitaire. Jai longtemps cru que je
narriverais jamais à glisser mon cou dans ce carcan, mais cest fait, et je
crois même que jy prend goût parfois. À suivre
(12/06/2017)
« Comme dans ces vers admirables :
Ô Saisons ! Ô châteaux !
Quelle âme est sans défaut ?
Personne nest interrogé ; personne ninterroge : le poète est
absent. Et linterrogation ne comporte pas de réponse ou plutôt elle est sa propre
réponse. Est-ce donc une fausse interrogation ? Mais il serait absurde de croire que
Rimbaud a « voulu dire » : tout le monde a ses défauts. Comme disait
Breton de Saint-Pol Roux : Sil avait voulu le dire, il laurait
dit. » Et il na pas non plus voulu dire autre chose. Il fait une
interrogation absolue ; il a conféré au beau mot dâme une existence
interrogative. Voilà linterrogation devenue chose comme langoisse du Tintoret
était devenue ciel jaune. Ce nest plus une signification, cest une
substance ; elle est vue du dehors et Rimbaud nous invite à la voir du Dehors avec
lui ; son étrangeté vient de ce que nous plaçons, pour la considérer, de
lautrecôté de la condition humaine : du côté de Dieu. »
Jean-Paul Sartre Quest-ce que la littérature ?p . 23-24.
(29/05/2017)
Jai
mangé avec mon corpus, enfin, ma bibliographie : dun côté, javais mon
corpus théorique, rubrique « ouvrages en rapport avec le travail », de
lautre, mon corpus romanesque, rubrique « corpus principal : récits et
romans étudiés ». Tous deux ont mangé une salade exotique avec tomates et ananas,
un dessert et café. Cétait mercredi dernier, jétais à Paris pour un jury
académique sur lécriture du travail, deux ans que jy participe, et jai
à chaque fois grand plaisir de retrouver la chaleureuse équipe. Dautant plus que
dans lambiance monacale qui est la mienne, je ne sors pas beaucoup en ce moment.
Bref, à la fin de réunion, nous nous sommes retrouvés à trois pour déjeuner, Aurore,
Laurent et moi : excellent moment passé en terrasse à échanger sur nos projets,
lactualité, la politique. Tout quoi, jusquà ce que je réalise que
javais avec moi deux éléments de corpus, parmi les plus représentatifs de mes
recherches. Un peu comme si javais apporté leurs livres que je consulte souvent, et
quils se soient matérialisés soudain devant moi, avec bras, jambes, visages et
rires. Pour moi qui travaille sur « la représentation du travail dans la fiction
française », ce moment a été sacrément romanesque.
(22/05/2017)
Dans ma
thèse, la discussion au sujet de la fiction tient une place forcément importante :
la question de lauthenticité, de limprégnation du réel taraude la
littérature du travail depuis longtemps. Lénigme de la fiction compte ainsi
beaucoup dapports théoriques. Tous les écrits de Gérard Genette abordent peu ou
prou cette affaire et ceux Roland Barthes aussi. Les grands théoriciens du structuralisme
sont relayés par les écrivains eux-mêmes, Kundera, Duras pour ne citer queux.
Mais la question de la fiction dépasse largement la question du roman en particulier (et
de lécrit en général). Depuis quelques années, linterrogation à son sujet
a repris (si tant est quelle se soit arrêtée un jour). A loccasion dun
important essai consacré à cette étude, paru il y a tout juste un an, (Fait et fiction, de Françoise Lavocat) et que je
relate cette semaine en note de lecture, jai eu envie dapporter quelques
compléments, en premier lieu pour moi-même et dans la perspective dun
développement ultérieur.
De quoi parle-t-on ? Dun constat terriblement actuel : que les fictions
prennent le pas sur la réalité, au point den brouiller les frontières. Ce
nest pas nouveau : le storytelling
existe depuis une vingtaine dannées, façon de raconter une belle histoire pour
faire passer un message politique commercial, culturel... Docu-fictions aux commentaires
lénifiants, interprétations de faits historiques, facebookeries invérifiables :
voici, dun côté lappui de faits réels, transgressés dune manière
partisane, sans lavouer bien entendu. De lautre, sous couvert de véritables
fictions, on semploie à pervertir des vérités historiques (les feuilletons
américains si nombreux de laprès 11 septembre, par exemple). Phénomène devenu
mondial, tous les pays rendent fictionnelle une compréhension du monde quon arrange
à sa sauce : on voit bien que la littérature, les livres, sont noyés au milieu,
simples moyens, outils primitifs en passe peut-être de devenir marginaux, mais à
lorigine tout de même de la fiction.
Remarquez que, dans lantiquité, on sest longtemps passé de la notion de
fiction ou de réalité (lIlliade), les dieux fournissant une vérité suffisante
pour ordonner le monde dalors. Pour couper court à lhistoire, ajoutons que la
frénésie de fiction atteint un âge dor au XIXème siècle avec le roman
français. La littérature ayant peu évolué depuis dans ses us et coutumes et dans notre
pays, nous sommes toujours redevable au roman comme « genre » absolument
hégémonique, à lexclusion de tout autre, comme par exemple les nouvelles qui ont
si peu de place ici. Voici létat de notre fiction littéraire, absorbée par le
roman aussi surement quune goutte deau par un sopalin. Reste la
non-fiction : essais, manuels pratiques, guides de voyage
surtout identifiés
comme non-fiction chez les anglo-saxons, dailleurs friands de
« faction », mélange de fait et de fiction : voir les études
dAntony Beevor à ce sujet. En France, on ne se pose pas ce type de question de la
même manière : bien sûr il y a le roman
et puis tout le reste. Le roman est
physiquement identifiable : lorsque la couverture est jaune-pipi avec un titre rouge,
on peut y aller les yeux fermés : cen est. Par extension, si ça fait environ
20x10 écrit tout petit à lintérieur : cen est. Bien-sûr, cest
caricatural, et cest justement pour cela que le débat fiction/réalité existe. Les
enjeux sont importants : ne pas se laisser berner par une fiction gagnante contre les
faits (qui nie les chambres à gaz, par exemple) et, à linverse, ne pas se laisser
abuser par une histoire vraie qui nexisterait que dans la tête de son auteur, et
dont les effets sont tout aussi néfastes. La question nouvelle qui taraude le débat
est : à qui profite le crime ? À tous : Trump, Poutine, plus cest gros plus ça passe, mais aussi aux
multinationales, aux petits patrons, aux employés, aux bons, aux méchants, à nous tous
qui avons quelque chose à cacher : la fiction sest aussi parfois synonyme de
mensonge, même par omission et dailleurs on ne peut pas tout mettre dans un nombre
limité de pages. Tout est fiction, ma povdame : cest le leitmotiv
actuel. Dans le domaine français de la littérature, le roman étant hégémonique, il y
a un intérêt à ce que plus de livres quil nen faut puissent se fondre dans
cette majorité économiquement viable (le marché du livre, quoi quon en dise, se
porte bien). Parfois, par saine réaction, certains, conscients de la désinformation,
tentent de lutter pour torpiller de lintérieur la manne fictionnelle :
cest le cas de la contre-fiction,
expliquée par le collectif anti-capitaliste Multitudes. Mais larroseur arrosé
reste un moyen limité. En France, les réactions demeurent diverses : Françoise
Lavocat se fait lavocat du diable : elle aime diablement les fictions et entend
au moins rétablir une frontière entre Fait et
fiction (voir en note de lecture). Des écrivains comme François Bon ou Luc Lang (Délits de fiction)
argumentent en déplaçant le problème fiction/non-fiction comme un rapport de langage
(« écrire est intransitif » : François Bon
rappelle la phrase de Maurice Blanchot). Quant à moi, quand on me demande ce que
jécris, je ne prends pas de risque, je me rallie à la majorité : je suis
romancier, et ça nest pas de la fiction.
(15/05/2017)
Peu de choses
à dire en notes décriture, même si je viens de découvrir que VPAR est en
lice pour trois prix littéraires : le prix Louis Guilloux (je le savais depuis un mois), mais aussi le prix François Billetdoux et Françoise Sagan. Attendons sereinement
Peu de choses à dire
où plutôt lécriture en ce moment se résume à la rédaction de la thèse,
léquivalent tout de même de 80 pages de roman écrites en quatre semaines, si on
excepte les deux passées au Vietnam. Troisième partie entamée, me voici bien installé
au milieu de mon corpus, cinquante livres qui représentent le travail contemporain.
Personnages au travail, personnages de fiction, narrateurs-témoins, voilà ce que je
rédige en ce moment. Cest loccasion de reprendre un certain nombre de
réflexions qui compte sur la place du personnage dans la littérature.
Danièle Sallenave : « Le personnage vit, sans doute : mais nous savons fort bien de
quelle vie. Cest la vie dune illusion. Ni plus ni moins ».
Nathalie Sarraute : « Et selon toute apparence, non seulement le romancier ne croit
plus guère à ses personnages, mais le lecteur, de son côté, narrive plus à y
croire. Aussi voit-on le personnage de roman, privé de ce double soutien, la foi en lui
du romancier et du lecteur, qui le faisait tenir debout, solidement daplomb, portant
sur ses larges épaules tout le poids de lhistoire, vaciller et se
défaire. ».
Kundera : « Le roman nexamine pas la réalité mais lexistence [
]
Car rendre un personnage vivant signifie : aller au bout de sa problématique
existentielle. Ce qui signifie : aller jusquau bout de quelques situations, de
quelques motifs, voire de quelques mots dont il est pétri. Rien de plus. ».
Dominique Viart : « Notre époque tend plutôt à élaborer des figures
figures du présent, du passé, figures de lhomme et du monde fussent-elles
troubles, incertaines et défigurées. Ce travail de figuration quelle [la
littérature] oppose à ce quétait autrefois la représentation, lui confère son
identité majeure . ».
Annie Ernaux : « Dans le mot roman, je mettrais littérature. La littérature
est, à ce moment-là, représentée pour moi par le seul roman et celui-ci suppose une
transfiguration de la réalité. [Pour La Place]
Il nétait plus question de roman qui aurait déréalisé lexistence réelle
de mon père. [
] Tout lenjeu consiste
à trouver des mots et des phrases les plus justes qui feront exister les choses,
voir, en oubliant les mots, à être dans ce que je sens être une écriture
du réel. ».
(10/05/2017)
Rimbaud contre Le Pen :
"[...] Regards tournés vers l'égérie, celle " comme tout le monde "
à tête de lavandière, de poissonnière, le prêche commençant par " Mes chers
amis " et réussissant le tour de force de placer les mots-clefs d'une politique :
Abidjan, Algérie, Africains, barbares, bled, chômage, clandestins, communautarisme,
corruption, courage, crime, crise, démocratie, édiles, élus, étrangers,
fonctionnaires, fondamentalisme, halal, immigration, injustice, insécurité, invasion,
laïcité, magistrats, murs, musulmans, patrie, peur, procureurs, province,
souveraineté. Chiqué, répond le post-adolescent génial. Pour son Bateau ivre,
voici les mots-clefs : Peaux-Rouges, clapotements, tohu-bohus, Léviathan, cataractant,
lunules, hippocampes, ultramarins, Béhémots, Maelstroms
Faux nègres et flots
nacreux jetés au visage de la poissonnière et de ses chers amis. Les mots ne
vieillissent jamais et portent au cur leur pouvoir de souffleter, calotter et
moucher la morve des couards".
Faux nègres, Fayard, 2014, p. 292.
(02/05/2017)
Thèse,
encore et toujours : en ce moment ça forme lessentiel de lécriture,
donc des notes décriture, et ce nest pas prêt de sarrêter, du moins
pas avant fin octobre, date encore à choisir mais qui se précise. Jai rencontré
mon directeur de thèse vendredi dernier (au retour, voir « Café Bellevue »
en note détonnements). Je lui avais fourni la rédaction dune deuxième
partie à vérifier. Au final, limpression de peu de choses à revoir, ou peut-être
que je mhabitue enfin à cette manière de travailler ensemble : à moi, la
naïveté du premier jet (naïveté est un terme un peu fort : savoir que la prose
académique est précise, mesurée, argumentée), à lui, la connaissance des pièges
universitaires, travers à éviter, toute une compréhension des arcanes institutionnels.
La rédaction dune thèse est très différente dune écriture romanesque, on
sen doute, mais les relations entre le premier lecteur (celui qui vous conseille) et
lauteur, sont comparables aux prestations entre un écrivain et son éditeur. En
ligne de mire, on cherche les réactions de ceux qui vont vous lire. Si le lectorat du
roman demeure incertain, celui de la thèse est connu : dabord les membres du
jury, nombre restreint, unis par des préoccupations semblables, une connaissance commune
du sujet. Cela peut paraître plus facile que pour un roman, on connaît le lectorat, on
va pouvoir échanger avec lui de vive voix, en profondeur, en argumentant sur les choix
rhétoriques, sur la pertinence de la problématique. A la réflexion, c'est
casse-gueule : vous êtes lapprenti, votre lectorat a suffisamment
dexpérience pour jauger la pertinence de votre discours, examiner les pistes qui
soffraient à vous, lever des manques, des approximations. Léditeur de
roman a une tâche moins précise, plus floue : dabord regarder lattrait,
la nouveauté de ce que vous proposez, la langue, votre style, la cohérence avec les
livres précédents ; tenter dévaluer et danticiper les réactions
dun lecteur inconnu ; et surtout, parce lédition nest pas une
entreprise philanthropique, appréhender le
potentiel commercial de votre projet de roman. Autre différence importante : dans
lédition, le professionnel (lécrivain) cest vous ; pour un
doctorat, vous demeurez une sorte damateur destiné à être adoubé par ses pairs.
En ce qui me concerne, le jeu est un peu différent : 99% des thèses sont un
tremplin pour une carrière professionnelle, ce qui nest pas mon cas, ma thèse est
juste un plaisir de recherche (le mot plaisir, dans ce cas, étroitement mêlé à
contrainte, rigueur, parfois de lémoi, de la contrariété, de linquiétude).
Le plaisir, cependant, se cache aussi dans linattendu : plaisir des
découvertes, et jen apprends beaucoup sur ma façon daborder la fiction en
étant régi par les règles strictes de la rédaction universitaire. Nul doute que ces
manières de réfléchir, dorganiser, me seront utiles par la suite, hormis la
connaissance brute du sujet de la thèse qui fait de vous un spécialiste. Donc, deuxième
partie remise, corrections maintenant à revoir et sacheminer de suite vers la
troisième partie. Nous avons défini les prochains rendez-vous, trois déjà avant les
vacances. Le reste du travail est important : à vue de nez, cest la charge
dun roman de 500 pages à rédiger en 5 mois, ça monte en tension
Pas
dautres choix quun boulot suivi avec le printemps et lété qui seront
souvent admirés par la fenêtre du bureau.
(03/04/2017)
Je nai
jamais été rigoureux. Ou du moins, je ne me suis jamais considéré comme tel. Dans mon
travail, jai souvent passé pour quelquun de pas très administratif, pas
toujours ordonné. Dans la vie, parfois nous avons été (sommes encore ?)
considérés comme des originaux pas toujours fiables auxquels il faut rappeler la
ponctualité (ce qui est ridicule, je suis toujours à lheure). Hier encore, à
propos dune erreur minime de placement dans un concert, une connaissance ma
dit cette phrase qui ma énervé : cela te servira de leçon pour la prochaine
fois. Je nai pas besoin de leçon, et la rigueur nest jamais quune
perception dans le regard dun autre (qui souvent manque lui-même de rigueur
).
Quand je regarde les faits, peu de choses à me reprocher : côté administratif, je
noublie jamais une échéance, impôts et factures à temps, côté vie, tout est
réglé comme du papier à musique, entretien de la maison, du jardin, des véhicules y
compris ceux de mes enfants, ce qui fait tout de même 4 voitures, entrainements sportifs
réguliers, 12 livres en 16 ans, études reprises jusquà cette fameuse
thèse : sans rigueur, comment aurais-je pu organiser tout cela ? Alors
doù vient cette perception à laquelle je souscris ? Au quotidien,
probablement. Livré à moi-même, je tarde à me mettre au boulot, jai toujours une
bonne raison pour reculer léchéance. Et depuis janvier, il est vrai que je suis
dans cette ambiance monacale. La thèse bien sûr maccapare, avec cette échéance
dautomne, je ne peux plus reculer. À savoir mobsèdent les heures qui
ségrènent au long des jours, dans cette tension qui vous laisse croire quon
naura jamais le temps de tout faire, tout relater, rechercher, déterminer et
rédiger. Il faut se représenter ce que cest quun travail de thésard :
un amoncellement de livres (à ce moment précis, je compte dans mon bureau deux caisses
qui contiennent 93 livres et 43 ouvrages sont répandus dans des sacs, sur le sol, sur la
table ces derniers sont remués pour certains plusieurs dizaines de fois chaque
jour). Il faut imaginer le temps quont pris les recherches, résumées dans les 25
pages de ma bibliographie, au total près de 400 références, livres, articles,
ressources web quil a fallu éplucher, classer se souvenir, annoter. Il y a ce
calepin somptueusement intitulé « Feuilles de route » (sic !) et qui me
sert de carnet de thèse, à noter des remarques, des choses à ne pas oublier, des
recherches à faire ultérieurement, tout ce qui se trame en parallèle de la rédaction.
La rédaction : pour exemple, rédigé une partie en un mois que je dois présenter
à mon directeur de thèse, équivalent de 70 pages de roman, mais en plus argumenté,
prouvé, cité : jai déjà 360 notes de bas de page, jen suis à peine
au tiers de la rédaction. Et tellement différente que pour un roman, peu de
créativité, seffacer derrière chaque affirmation, la prouver scrupuleusement,
faire attention à loralité qui est un tic persistant pour moi, rien de vraiment
naturel. Alors la rigueur, jen manque. Par exemple, pourquoi revenir à
linstant de 2 heures de vélo (temps magnifique), alors que jaurais pu mettre
à profit le même temps pour remettre en ordre ma bibliographie, avancer sur ma
troisième partie (remarquez que je suis à mon bureau puisque jécris cette note,
il me suffit de changer de fichier
). Jours de rigueur commencés en hiver, donc, et
dans le sens où, à part quelques échappatoires sportives, ménagères ou autres
(jai même joué au régisseur pour un concert ce week-end), je ne profite pas
vraiment du printemps, rosiers taillés à la va-vite, longues heures dans les bouquins et
toujours cette sensation étrange de mollesse. Au final, peut-être que la rigueur
réclame ces diversions. Jai toujours eu limpression dapprocher mes
préoccupations décritures en stries concentriques, ne pas y aller de front,
analyser, regarder lextérieur. Peut-être que cest le fondement de toute
recherche, universitaire ou autre, tout prendre en compte, laisser divaguer son esprit et
son corps, cest probablement faire preuve dencore plus de rigueur.
(27/03/2017)
Mon Journal de la canicule est paru en poche :
cest lactualité du moment. Rien à
faire de mon côté : jai juste eu à donner mon aval pour la couverture, qui
demeure curieusement très proche de lédition originale. Le livre était paru en
octobre 2015, la parution en poche suit un an et demi plus tard, cest la règle. Et
cest une règle qui me convient : grande joie de voir le quatrième de mes
livres en format poche, après Retour au mots
sauvages, Ils désertent, Faux nègres. Pour la petite histoire javais oublié
que ce titre, paru juste après la rentrée littéraire et au demeurant fort discret,
devait paraître en poche. Javais cru quil sagissait dune erreur,
en loccurrence de Vie prolongée dArthur
Rimbaud, également déjà prévu, mais pas dans limmédiat. Aussi, grande joie
à voir ce livre sajouter à la recension de mes uvres, fameux format poche
qui vous laisse croire un instant au milieu des autres parutions bon marchés et
populaires, quon est une sorte dauteur déjà un peu mort, comme Beckett,
déjà un peu people comme Beigbeder, déjà mélangé à de vieux Balzac, Baudelaire,
Bobin, Bon, Butor pour rester dans la série alphabétique. Jai reçu à mon
domicile une dizaine dexemplaires dauteurs, et je me suis empressé den
fourrer un dans le sac à dos qui ma accompagné à Bruxelles le lendemain (voir en Étonnements). Là, dans une chambre
inhabituelle, jai relu mon propre livre, avec la découverte quil sied à un
tel ouvrage, de surcroît assez maigre et peu onéreux (120 grammes à la balance de
ménage et 6,90 euros chez votre libraire). Cest pas mal ! Plutôt bien écrit
par ce type au nom imprononçable Thierry B quelque chose. Cest lhistoire
dun mec qui écrit un journal pour se disculper dune aventure mal engagée
pour lui : ayant pénétré (par hasard ?) au domicile de ses voisins disparus
depuis deux à trois mois, il décide de raconter son enquête et la litanie des jours de
lété caniculaire de 2003 (doù le titre). Voilà pour lintrigue.
Évidemment, je connais plutôt pas mal le bouquin, mais je relis souvent les mêmes
passages : le long chapitre qui commence à la page 58, les pages 128, 129 et toute
la fin à partir de la page 186. Cest drôle, ça me fait toujours cela de me relire
en poche, comme si un autre auteur que moi avait écrit le livre. Pour Faux nègres cest pareil, peut-être un peu
moins pour Retour au mots sauvages ou Ils désertent, enfin je ne sais pas trop,
jai à chaque fois limpression de navoir écrit ce livre que pour le
retrouver quelques années plus tard dans le petit format et pouvoir le relire.
Joublie alors qui est lauteur, je ne suis quun lecteur. Peut-être que
cette question (forcément intime) na été que peu abordée par la critique
universitaire : est-on lecteur de soi-même ? de quelle manière ?
Jattendrai le prochain poche pour redécouvrir « mon » Rimbaud
(20/03/2017)
Le week-end précédent a été bien occupé. Le
samedi, les amis de Rimbaud mont offert la joie de participer à une de leur
réunion pour exposer ma Vie prolongée
dArthur Rimbaud. Et le dimanche,
jai participé au salon du roman historique à Levallois-Perret. Rien
dextraordinaire, jai lhabitude de ce genre de manifestation où on
attend le chaland devant son étal. Cela ne me gène pas, je suis plutôt du genre bavard.
Pas du tout intéressé pour placer mes livres, je préfère parler de tout et de rien.
Certains collègues nhésitent pas, tendent leur livre dune main impérative
à qui passe devant eux. Dautres sont abonnés au succès, jai ainsi côtoyé
une fois un écrivain qui félicitait chaque lecteur pour le choix dun de ses livres
en affirmant avec modestie et sérieux à chaque fois : Vous avez raison, celui-là
est vraiment mon chef duvre
Bref, pas trop mon truc dalpaguer le
potentiel client. Pourtant, pour une fois jai joué mon rôle, jai apporté
des précisions à VPAR ou à Faux
nègres, jai parfois convaincu et
certains sont repartis avec un livre. La surprise est venue toute seule, ou plutôt deux
surprises. Une dame tout dabord, en décidant dacheter mon livre sur Rimbaud,
a déclaré : Dautant plus que je mappelle
« Baudelaire »
Certes, ça ne sécrivait pas pareil, il y avait
une lettre en plus, mais tout de même, je me suis fait un malin plaisir dajouter à
la dédicace, en plus de son prénom, le fameux nom célèbre. Elle ma aussi
affirmé quelle avait bien un lien de parenté, lointain mais réel, avec le
célèbre poète. Une heure plus tard, alors que jétais encore en pleine rêverie,
un monsieur cette fois, saisit VPAR. Je discute un peu, je fais larticle, il me tend
le livre pour que je lui dédicace tout en affirmant : Vous savez, je mappelle
« Rimbaud ». Certes, là encore, la calligraphie était différente, mais tout
de même, rencontrer Rimbaud et Baudelaire dans la même journée et leur dédicacer un
livre, ce nest pas banal. Seul regret : javais aussi sur mon étal le
livre que jai consacré à Picasso en 2007 (1937, Paris Guernica), mais hélas, personne ne sest présenté en
revendiquant sappeler Cézanne ou Matisse. On en veut toujours plus
(06/03/2017)
Proust
commence, vers 1910. Dans Contre Sainte-Beuve, il
note : « Les beaux livres sont
écrits dans une sorte de langue étrangère ». Puis Sartre anone la formule dans Les mots en 1964 : « On parle dans sa
propre langue, on écrit en langue étrangère ». Enfin Barthes renchérit six ans
plus tard en 1970 : « Lécriture est une langue étrangère par rapport
à notre propre langue, et cela même est nécessaire pour quil y ait
écriture ». On pourrait trouver dautres exemples. Cela suffit à me ravir,
moi qui cultive le complexe de ne savoir parler aucune langue étrangère. Langlais,
que je sais à peu près comprendre et lire, mais que je suis incapable décrire et
encore moins de parler sans faire répéter trente fois mon interlocuteur, est mon grand
regret. Ah ! Jaurais tant aimé être bilingue comme Beckett ! Soit. Mais
revenons à cette langue des romans quon prétend étrangère. Je me souviens dans
un débat scolaire qui réunissait plusieurs auteurs, une lycéenne mavait
apostrophé : « Ouah, msieur, vous écrivez trop chelou. Faut un dico
pour piger chaque mot. On comprend
rien ». Javais répondu quécrire, cest comme parler une langue
étrangère, on ne comprend pas tout, mais le sens général est là. Et surtout ça nous
déporte, on voit dautres couleurs, dautres sensations (enfin moi, ça me le
fait). Et à force de lire, comme de parler une autre langue, on précise les
descriptions, les paysages, les dialogues. On était myope et la lecture vous fait comme
des verres correcteurs. Et puis, je ne sais pas écrire autrement. Je viens dun pays
forgé par Queneau, Vian, Fallet, Cendrars, Genevoix, Simon, Duras
Je peux aligner
des centaines de références, elles ont toutes en point commun davoir été
nourries également par cette fameuse langue étrangère forgée au début du XXème
siècle, héritage dAnatole vieille France. La langue évolue et cest tant
mieux. Mais elle le fait à son rythme, rivière en crue ou canalisée, on voudrait la
dompter mais cest impossible. On veut la brusquer, pire, on linstitutionnalise
par des stupidités (effacer grec et latin, nénufars, etc.). Reste donc ce sentiment de
la langue étrangère, vieille lune qui cohabite avec dautres regrets, comme par
exemple le fait que le français ne serait pas une langue littéraire (Diderot lance le
pavé dans la mare le premier). Que dautres seraient plus douées, langlais
(encore lui
). On reproche à notre langue son inexpressivité. Bref, à force de
taper sur elle, dans ce sport typiquement national, on a fini par la considérer comme une
langue morte : « ça doit mourir. Il faut sy résigner », clame
Céline, « la langue des romans habituels est morte, syntaxe morte, tout
mort ». Ce nest pas gai. Est-ce
pour cela quon imagine une autonomisation de la langue littéraire ? Bourdieu
évoque la naissance dune bohème artiste incapable de lassimiler et prônant
lart pour lart. La langue littéraire est une langue de bobos. Cest parfois
souvent vrai et cest énervant. Lorsque jécris, je ne me pose pas ces
questions, sinon je navancerais jamais. Je trace mes phrases, jénumère mes
adjectifs. Quelquefois une phrase bancale convient mieux. A dautres moments, on
aimerait creuser la langue comme pour y enterrer quelque chose. On a des tics. Des
réflexes salvateurs aussi : toujours se méfier dune phrase qui vous plait. La
langue, ma langue en tous cas, est vivante, elle remue en moi. Elle est étrangère, en ce
sens quelle me dépayse.
(27/02/2017)
Proust
filmé ! Cest ce quaffirme un chercheur canadien qui a visionné le film
du mariage dun de ses amis en 1904. La découverte est extraordinaire, dautant plus que le film est dune
excellente qualité. Proust sy reconnait aisément. Mais autant il est
également extraordinaire de retrouver un cliché de Rimbaud, autant ce plaisir se
décuple en voyant le personnage sanimer. Proust est rapide, double le cortège sans
manière dans les escaliers, allure de sportif. Il a trente-trois ans et ne sest pas
encore enfermé dans sa chambre pour écrire la Recherche. Il emmagasine sans doute bien
des visions quil restituera plus tard : ainsi cette scène de mariage,
peut-être inspirée par cette journée : « Et mes regards sarrêtant à ses cheveux blonds,
à ses yeux bleus, à lattache de son cou et omettant les traits qui eussent pu me
rappeler dautres visages, je mécriais devant ce croquis volontairement
incomplet : « Quelle est belle ! Quelle noblesse ! Comme cest bien une fière
Guermantes, la descendante de Geneviève de Brabant, que jai devant moi ! » Et
lattention avec laquelle jéclairais son visage lisolait tellement,
quaujourdhui si je repense à cette cérémonie, il mest impossible de
revoir une seule des personnes qui y assistaient sauf elle et le suisse qui répondit
affirmativement quand je lui demandai si cette dame était bien Mme de Guermantes. Mais
elle, je la revois, surtout au moment du défilé dans la sacristie quéclairait le
soleil intermittent et chaud dun jour de vent et dorage, et dans laquelle Mme
de Guermantes se trouvait au milieu de tous ces gens de Combray dont elle ne savait même
pas les noms, mais dont linfériorité proclamait trop sa suprématie pour
quelle ne ressentît pas pour eux une sincère bienveillance et auxquels du reste
elle espérait imposer davantage encore à force de bonne grâce et de simplicité. »
(20/02/2017)
Aléas, non pas au sens des hasards et des imprévus de
la vie, mais au sens de laléatoire, du choix hypothétique, hasardeux. Aléa,
cest aussi une fonction du tableur Excel et, tant que jen suis à ranger les
livres (voir en Étonnements), je dépoussière aussi mon ordinateur. Cest ainsi que
jai retrouvé quatre fichiers nommés ALEA, qui sont en réalité des petits
programmes constitués avec cette fonction du tableur. Le principe est simple, jai
constitué des listes de noms, une structure de phrase précise et, à chaque ouverture,
le tableur vient puiser de manière aléatoire dans les listes pour former un petit
haïku.
L'ordinateur vous propose ainsi :
Crépuscule qui resplendit
L'escargot aperçoit tranquillement.
ou encore :
Paysage d'automne
Même l'enfant gagne le ciel.
ou bien :
L'homme signale l'élégant
Comme la jeunesse pour le chien.
ou également :
Matin qui brille
Japerçois un esprit.
Ce dernier est particulièrement évocateur. Il
est, comme les autres, composé uniquement par une machine. Mes petits moteurs
décriture datent de 1998. A cette époque je me souviens que jétais très
impressionné par les travaux de Jean-Pierre
Balpe et la fabrique automatique de textes. Javais même, au début des années
2000, fabriqué un générateur de comptes-rendus de réunion conçu de la même manière
que pour mes haïkus. Jargon dentreprise, formules passe-partout, ça se tenait et
je me souviens que jen impressionnais plus dun à bâtir ainsi en un clic de
souris mes comptes-rendus
(13/02/2017)
Week-end à Nîmes pour le festival de la biographie
(voir aussi en Webcam). Tout est sur place :
on sort de sa chambre dhôtel pour aller sasseoir à sa table au
rez-de-chaussée, derrière sa pile de livres, discuter avec ses coéquipiers, les
passants, dédicacer quelques exemplaires. Ici, je fais figure diconoclaste. Ma
biographie de Rimbaud nen est pas une, les visiteurs sattardent à lire les
quatrièmes de mes romans, dont les titres et les couvertures interpellent. Pas de titres
du genre Shakespeare, lespion des âmes, comme ma passionnante voisine
Henriette Chardak, pas de couvertures avec portrait accrocheur style Jack London en
situation. La preuve, je ne me souviens pas avoir signé un seul VPAR pendant deux
jours, grand plaisir cependant à évoquer RMS ou ID. Et puis grand plaisir
à retrouver Michel Bernard (Deux remords de Claude Monet, La table ronde) et faire
la connaissance de Françoise Cloarec (LIndolente, Stock) qui a écrit sur
Marthe Bonnard, lépouse du peintre. Il y a aussi Bernard Chambaz, que je souhaitais
depuis longtemps rencontrer. Grande joie davoir échangé avec lui, venu pour
évoquer Aryton Senna (A tombeau ouvert, Stock). Nos conversations auront aussi
porté sur une autre passion sportive (voir La petite bibliothèque du coureur, en Notes de lecture). Beau week-end, donc, avec
en plus deux footing de 12 km le matin à la fraiche, pluvieux le premier jour,
ensoleillé le deuxième. Je ne connais pas de plus grande satisfaction à découvrir de
cette manière une ville que je ne connais pas. Á Nîmes, je suis passé en petites
foulées devant tous les monuments, la maison carrée, la tour Magne en haut dun
parc très agréable, redescente jusquau stade de foot, retour via les arènes dont
la circonférence fait cinq cents mètres avalés à fond, histoire de clôturer
lentrainement. Après dix jours de températures négatives dans mon grand Est,
cette douceur était bienvenue.
(06/02/2017)
Jamais je
n'aurais pensé prendre autant de plaisir à rédiger une bibliographie. Bien sûr ce
travail s'apparente à celui de moine copiste que j'évoquais dans cette même rubrique
quinze jours auparavant. Normes éprouvées, rédaction au millimètre, suite de noms
d'auteurs, d'ouvrages, lieux, maisons d'édition, dates de publication, les lignes
s'entassent, déjà plus de vingt-quatre pages d'ouvrages repérés, lus, annotés,
cités. Rien de fastidieux justement, je me replonge dans l'histoire de ma thèse. Je
connais souvent les ouvrages que je cite depuis plus de dix ans, et grand plaisir à
retrouver ce compagnonnage, à réunir des articles de presse, des revues critiques
disséminés un peu partout, sur des étagères, au fond des bibliothèques de la maison,
mais aussi cachés dans les fichiers numériques constitués au fil des années,
regroupés dans des dossiers, éclatés dans les différents ordinateurs de la maison ou
sur des clés USB. C'est un travail que j'aurais dû probablement entreprendre depuis
longtemps, mais j'étais plus dans la rédaction " en dur " de ma thèse, ce qui
est probablement une erreur. A organiser cette biographie, la fameuse problématique du
doctorant s'éclaire, la thèse que l'on veut défendre se précise, au sens
d'affirmation, opinion, démonstration, position. C'est à la fois bien et préférable
dans cette dernière ligne droite de quelques mois qui va précéder la soutenance, mais
c'est aussi effrayant, tant il me semble que tout ce que j'ai rédigé jusqu'à présent
doit être remanié. J'ai peur que le temps me manque. Je me console en me disant que
c'est probablement un effet naturel que doivent connaître tous les doctorants. En même
temps que j'élaborais cette biographie, j'ai ouvert un carnet de thèse, manuel, dans
lequel je griffonne au crayon les idées qui me viennent et que je n'ai pas envie
d'oublier sur le moment, ce petit historique des jours de travail est important. En plus
ce carnet est beau, j'ai utilisé celui qu'une libraire m'a très aimablement offert : il
s'appelle " Feuilles de route ", c'est dire
30/01/2017)
En rangeant mes tiroirs de travail, jai retrouvé
le ticket de caisse dune librairie de Châlons. Le 2 mars 2010, javais acheté
La Centrale dElisabeth Filhol. Et de suite me vient à lesprit les
porosités que la littérature a distillé au fil des jours de labeur. Parfois, dans les
heures de bureau, il me venait une irrépressible envie dacheter un livre. Il
fallait que je sorte dans limmédiat jusquà la librairie la plus proche. Par
moment, je navais pas de besoin précis, il me fallait juste un livre, un petit
carré de feuilles et si, par malheur, je repartais bredouille, nayant su choisir,
ou affligé par de maigres étals (une fois, jai demandé Cesare Pavese, on ma
demandé comment ça sécrivait, et au bout de lentes recherches, on ma
répondu quon ne faisait pas les auteurs peu connus
) je trainais mon ennui au
retour, incapable de me mettre au travail, de rédiger un compte-rendu ou de prévoir une
réunion. Perméabilité ainsi dattitude entre travail et lecture. Dautres
fois, cétait de belles surprises. Je me souviens de ces nouvelles de Beckett lues
dans un Mac Do à lheure de la pause-déjeuner, moi en costume de boulot, la prose
de lirlandais si magnifique et qui se heurtait aux murs artificiels de la
restauration rapide. Je me souviens du Journal de Jean-Patrick Manchette, acheté
à Beauvais en sortant dun rendez-vous de travail. Jai gardé en photographies
les livres qui maccompagnaient lorsque je partais plusieurs jours (exemple : La
Route de Mac Carthy, bien nommée, dans cette page
spéciale VRP).
Porosité de la littérature, côté écriture aussi : jai parfois rédigé
quelques paragraphes dun livre en cours dans le décor de mon bureau, affiches de
propagande au mur, dossiers sur la table, au milieu, les lignes incongrues dun futur
livre sur lordinateur. Ça durait peu, à peine une paire dheures volées au
salaire, javais la réputation de travailler vite, ça compensait. Et puis jai
toujours bossé par objectifs, je sais ce que jai à faire et dans quels délais,
ça ma servi au boulot et pour lédition. Là encore souvenirs croisés :
les lieux de travail qui alimentent lécriture, comme dans Central, plus
curieusement Bestiaire domestique avec les pigeons si proches de mon bureau sous
les toits. Jai toujours mêlé littérature et vie professionnelle, vie tout court
dailleurs. Jai fait mienne depuis longtemps la phrase de René Fallet :
« Je nai jamais mis de frontière entre la vie et la littérature. Jai
toujours pensé quil me fallait vivre le plus littérairement possible». On
ma collé parfois létiquette décrivain du travail (ce qui ne me gêne
absolument pas) et, aujourdhui, alors que le travail salarié sarrête et va
se confondre en un seul bloc avec la littérature, nul doute que cette phrase va
maider à continuer.
(23/01/2017)
En fait cet article devait sappeler
« rédaction académique », et, en prononçant le titre, demblée le
lapsus de « réaction » sest imposé. Non pas réaction au sens de
réactionnaire comme une marche arrière, mais quelque chose de plutôt tiré vers
lavant, le mouvement, le panache de vapeur dans le ciel de lavion à
réaction, quelque chose de survenu, de rapide, dirréfléchi, tout le contraire de
ce que lon pourrait envisager via le vocable de « rédaction »,
lécriture sensée, pesée, appuyée par le sentiment dacadémisme,
dinstitution, la vénérable pesanteur des Lettres, lacadémie,
luniversité. Cest une remarque que lon me fait, tandis que je suis
friand de conseils bienvenus pour la thèse que je prépare. Cest important,
bizarrement gratifiant dêtre là, davoir roulé 200 km pour ce rendez-vous.
On ne dévoile pas assez les coulisses des aventures doctorales, ceux qui sy collent
évacuent leur thèse terminée avec un soupir de soulagement, cest éprouvant, ça
dure, ça clôt le chapitre des études françaises, on est au sommet, enfin ça implique,
ça use, ça modifie : souvenir de ce couple qui a retardé leur premier enfant le
temps que madame termine sa thèse. Ça caricature aussi : voir ce fameux extrait du film On
connaît la chanson. Enfin cest utile, lavenir en dépend pour
beaucoup afin datteindre le top de luniversité, parfois flirter avec les
meilleurs spécialistes internationaux de la recherche. Mais chercher quoi ? Je
recommence, vous ne comprenez pas : la thèse universitaire, le doctorat
institutionnel, le graal académique est lentrée dans la Connaissance,
LIntelligence, la Compétence, la Science sans conscience qui nest que ruine
de lâme. Cest cela que lon cherche, il faut de la méthode et
cest pour cela ces 200 km, cet allant, la bienfaisante excitation dêtre
bousculé, remis en cause : réaction plutôt que rédaction, donc
Mais cest après ma rédaction quil en a, celui qui me reçoit : la
mienne manque dacadémisme, jécris avec oralité, je parle tout haut, je
converse, je conférence, japostrophe, je bavarde, jharangue. Je le
sais : ces Feuilles de route sont le reflet depuis tellement longtemps de mes
paroles jetées au vent. Jai du mal à faire autrement. En même temps, ce
quil me dit me travaille : il ny a pas que cette langue académique qui
me fait défaut, et la difficulté traverse en osmose mes tirades littéraires. Mes
constructions narratives sont de la même trempe, énoncées à voix haute, ânonnées,
récitées, psalmodiées, déclamées comme le « gueuloir » de Flaubert. Mes
personnages sont bavards, ils pensent tout haut à travers mes lignes, ils sont moi, un
Don Quichotte toujours partant pour embrocher des mots au hasard. Et cest sans doute
le vrai défi de cette thèse, remettre en cause cette écriture, lui donner profil bas,
voix souple de récitant, phrases nettes de tâcheron, plus précises, les mots plus
simples, moins dimprévus, de possibles, dadjectifs, changer, modifier
lordre de ma représentation romanesque, voir ailleurs. Rédaction
académique : jaurais pu laisser croire à des enjeux poussiéreux, à de
vieilles manifestations séculaires, ce nest pas ça. Lacadémie, ça remue,
ça me remue dautant plus que je ny ai pas dintérêt, cest une
thèse pour le plaisir et celui que jy prends maintenant vient de cette
liberté de chercher, ne pas forcément trouver mais avoir accompli un chemin, avoir
accroché une lampe en haut dun arbre, redescendre de lescabeau et
mapercevoir quelle est déjà éteinte, mais que dautres à leur tour
vont monter sur lescabeau, rallumer la lumière. Il me faudra réserver cette
logorrhée pour ici et ces débordements pour plus tard : voici venu le temps du
moine copiste.
(16/01/2017)
« Nous
sommes en 2017, précisément le 10 janvier 2017, à Louvemont, en Haute-Marne, France,
Europe, Monde, Système Solaire et Univers. Il ne sest rien passé depuis vingt ans.
Ou si peu
».
Donc, nous sommes maintenant « le 10
janvier 2017 », comme dans mon livre. A lépoque de sa parution, je me
souviens avoir dit en forme de boutade aux acheteurs (120 francs ! leuro
viendrait peu après) que je mengageais à les rembourser si ce que javais
prédit ne se réalisait pas. Mais comment mesurer ? Il reste toujours des vaches
(heureusement) mais lEurope que jimaginais toute puissante, fédérale et avec
trente-six nations, a perdu sa crédibilité et sa capacité dagir. Bien sûr, le
monde sest durci, World Trade Center, attentats, guerres, terrorisme : à la
réflexion, rien qui ne change vraiment chez les humains belliqueux depuis des
millénaires. En revanche, il ne fallait pas être grand devin pour imaginer quà
léchelon local « Il ne sest rien passé depuis vingt ans. Ou si
peu
». Le président du Conseil général (devenu départemental) était
déjà en place, il y est toujours. Lui aussi a créé sa réserve bucolique, comme le
jeune fonctionnaire Simon de mon livre, avec un projet nommé Animal explora, lancé
depuis presque vingt ans aussi et qui peine à voir le jour. Depuis cette époque, on nous
rabâche aussi que le site denfouissement des déchets nucléaires de Bure
nest quune expérimentation. Oui, rien na changé. Notre département
qui fabriquait autrefois les plaques dégout de la capitale, servira de poubelle,
cest le destin dici, zone en marge dépeuplée dhabitants, pas
dintérêt politique. Les indigènes qui restent sont modestes et prennent de
lâge, des Faux nègres que Marine Le Pen récupère à Brachay. Nous vivons
dans une réserve comme je lavais prévu dans mon livre. Dailleurs ma
proximité avec Vincent, père de Simon, un personnage qui me ressemblait et dont le
« le 10 janvier 2017 » était le premier jour de sa retraite, na jamais
été aussi forte : jarrête mon activité salariée dans une semaine. Huit
jours décart pour une anticipation qui date de vingt ans, cest plutôt bien
prévu
Autres prédictions proches, jhabite toujours au même endroit, à
quinze kilomètres du village de Louvemont, je mets d'ailleurs un point d'honneur à le photographier ce 10 janvier.
Jécrivais aussi « Par la fenêtre, la lune est ronde [
] il doit
geler ». La pleine lune est dans deux jours et il gèle toutes les nuits
Je
peux continuer comme cela sur beaucoup de coïncidences : par exemple, mon fils est
établi à Bruxelles, et Simon sy rendait souvent pour son projet de ferme
touristique. Bref, je décide unilatéralement que ce que javais prédit se réalise
sur beaucoup daspects étonnants, par
conséquent, je ne me sens pas redevable à rembourser mes chers premiers lecteurs (qui
sont par ailleurs toujours mes amis le resteront-ils après cette déclaration
fracassante ?).
Ce que je navais pas prévu également, cest la venue de la télévision pour
un reportage à propos de mon premier livre. Javais proposé lidée au
journaliste présent lors de mon récent passage à Midi en France, et, dès la fin
de lannée, nous avons imaginé avec lantenne champenoise de France 3 un court
sujet, dans lequel nous pourrions comparer la situation actuelle dun éleveur
haut-marnais, avec celle que javais décrite dans La Réserve. Je suis très
heureux davoir pensé à Rachel et à son mari Emmanuel, agriculteur à Millières.
Javais rencontré plusieurs fois Rachel à Nogent, bibliothécaire passionnée, qui
travaille de concert avec Philippe, connu dès La Réserve grâce aux écrivains de
Haute-Marne, et dont limplication de plus de trente ans à la médiathèque de
Nogent est une référence. Je suis dautant plus heureux parce que leur situation
professionnelle nest pas fameuse : un changement de direction a balayé leur
bel enthousiasme, car cest cela aussi linconvénient de nos faibles
départements, plus fragiles que les autres. Les remarquables réalisations reposent sur
une ou deux personnes et on peut annuler par une décision irréfléchie le fruit
dune vie de labeur : qui se soucie du patrimoine littéraire disparu ?
Ainsi, le jour de tournage avec léquipe de France 3 a été loccasion de
réunir ceux qui comptent pour moi. Nous avons commencé chez Françis Zahn, libraire et
éditeur au Pythagore à Chaumont, nous avons continué chez Rachel et Emmanuel, ambiance
chaleureuse pour le jour le plus froid de lannée, le thermomètre est descendu à
moins onze dans leur ferme. Les vaches sont sereines, elles vont seules au robot de traite
ou sous le rouleau qui les brosse (voir en Webcam)
Comme dans La Réserve où Bernard, lagriculteur appelle ses vaches par leur
prénom, Emmanuel et son associé les respectent de la même façon. Nous irons à
létable, dans les prés gelés avec Epée, la douce vache salers, joyeuse sous le
soleil. Nous déjeunerons tous ensemble avec léquipe de tournage, Rachel a prévu
un repas de communion, et cest vraiment la fête. Le tournage durera la
journée : une parenthèse enchantée en guise de conclusion et que je navais
pas prévue dans La réserve. Diffusion du reportage de FR3 La Réserve vendredi 13 janvier 2017, à 10h30
et 19h15 sur France 3 Champagne-Ardenne.
(10/01/2017)
Lannée qui vient, pour la première fois depuis
trois ans, ne verra pas sagrandir la liste de mes parutions. Après Faux nègres
en 2014, Journal de la canicule en 2015 et Vie prolongée dArthur Rimbaud
en 2016, pas de nouveauté pour 2017, hormis la parution en mars prochain de Journal de
la canicule en poche (grand plaisir à voir la liste des poches se compléter, ce sera
le quatrième). Mon parcours dun livre annuel marque une pause, ma réputation
locale dAmélie Nothomb en souffrira. Mais je ne resterai pas inactif côté
lettres : jai déjà des rencontres programmées dans la suite du S.A.V. de VPAR.
Dailleurs, en parlant de rendez-vous, mon agenda 2016 affirme que, cette année,
jai donné suite à trente-huit rencontres, interviews, rendez-vous divers et
variés aux quatre coins de la France et même à Londres.
2017, cependant, reste dévolue à un seul objectif
. roulement de tambour
ma
thèse ! Je mets tout en uvre pour concrétiser cette fameuse étude sur la
littérature du travail qui me passionne depuis longtemps. Javoue que, depuis que je
lai entreprise, jai trainé pour cause de publications (cinq livres et deux
nominations au prix Goncourt, ça occupe), mais la motivation reste intacte.
Javance, pas assez vite à mon goût, mais la réflexion de type universitaire que
jentreprends ne souffre pas dincertitudes. Au final, un peu de rigueur ne fait
pas de mal aux êtres imaginatifs que sont les écrivains. Jaimerais prévoir sa
conclusion, sa soutenance donc, au début de lautomne.
Lannée 2017 sera aussi à marquer dune pierre blanche : cest ma
dernière année de travail salarié, je devrais même dire, cest mon dernier mois,
et ce point, que javais romancé et prévu vingt ans auparavant dans mon premier
livre La réserve, Haute-Marne 2017, se réalise avec une différence minime de
huit jours seulement (on en reparlera très bientôt). Je quitte donc avec un peu
davance mon job nourricier, que jeffectuais dailleurs à temps partiel
depuis plus dun an. Cette liberté nouvelle nest pas rien : jai
tout de même consacré trente-neuf ans sans aucune interruption à mon travail
« dans les télécommunications » comme il est indiqué sur les quatrièmes de
couvertures de mes premiers romans. Jai eu la chance de rester en bonne santé, je
ne me souviens pas mêtre arrêté, les dernières années ont glissé avec une
facilité et un vrai bonheur au travail. Ce
nouveau temps libre sera évidemment consacré en premier à la rédaction de ma thèse.
Il est drôle de penser que ma réflexion sur la manière dont les écrivains racontent le
travail se concrétise au moment où jarrête le mien.
(02/01/2017)
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