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Étonnements 2020
J'ai découvert René Fallet en 1978. J'avais 20 ans, je venais
de débarquer à Paris. Est-ce pour cette proximité que j'ai acheté Paris au mois
d'août ? Probablement, mais l'été était terminé, j'étais arrivé dans la
capitale dans les frimas de fin d'année, après avoir passé cinq mois à Toulouse. La
première semaine, j'avais partagé une chambre dans l'Est parisien avec un type qui
trafiquait sec. C'était un défilé d'acheteurs en permanence, le tout dans une puanteur
d'herbes de Provence. J'ai pris mes cliques et mes claques et je me suis retrouvé en
Seine-Saint-Denis (où j'avais mon job) dans une maisonnette de jardin avec une
cuisinière au fuel d'une faible autonomie qu'il me fallait remplir chaque soir pour me
réveiller glacé au matin. C'est dans cette ambiance que j'ai lu la fameuse amourette
d'Henri Plantin et de Pat Seagrave (Voir en Notes de lecture). J'ai l'habitude de dire que
ce livre m'a sauvé la vie. C'est probablement exagéré, disons que cette histoire
d'amour romantique, banale même dans l'absolu, a été suffisamment forte pour me doter
d'un moral d'acier par la suite et envisager l'avenir avec plus de sérénité. Du coup,
j'ai continué ma découverte des ouvrages de René Fallet et notamment Banlieue Sud
Est (voir aussi en Notes de lecture), qu'il avait écrit à 19 ans, donc à un
poil près l'âge que j'avais à l'époque avec les mêmes velléités d'écriture. Mais
serais-je capable d'écrire comme dans ce livre : « Au ciel de fin janvier
montait comme étouffées les fumées du quartier avec leurs pauvres gestes de feuilles
mortes » ? Je ne sais pas si j'y suis arrivé, mais enfin j'aurai essayé...
Est-ce aussi pour cette raison que je me suis rendu là où se situe l'action de ce roman
à Villeneuve-Saint-Georges ? En tout cas, je me souviens y être allé avec ma
première voiture, une Simca 1000, acquise pendant mon service militaire. J'étais alors
revenu en Seine-Saint-Denis après l'année soldatesque, non plus dans la maisonnette de
jardin, mais dans une chambrette qui ne valait guère mieux, au rez-de-chaussée d'un
pavillon, à côté d'un garage et d'un vieux chien qui puait, installé à demeure sur
mon paillasson. J'avais décidé ce périple en banlieue Sud probablement un week-end de
relâche.
Souvenir d'avoir erré dans des rues désertes, il faisait froid, j'étais en manteau je
crois. Je devais avoir une allure de paysan endimanché. Le Villeneuve-Saint-Georges de
l'époque du livre, paru juste après la guerre en 1947, n'avait plus rien à voir avec
celui que j'arpentais 32 ans plus tard, et aujourd'hui, quarante ans après mon périple,
René Fallet aurait éprouvé le même dépaysement de martien que moi.
Souvenir d'avoir tenté de retrouver la librairie qu'il évoque, d'avoir imaginé croiser
ses amours de jeunesse ou ses copains de bistrot. Et puis c'est à peu près tout.
René Fallet était encore de ce monde à l'époque, de même que Georges Brassens, mes
joyeux tontons de cur. J'ignorais que les deux allaient partir bientôt, Georges
quelques mois plus tard et René un jour d'été 1983. Depuis, les pèlerinages que j'ai
consacré à Fallet m'ont mené à Jaligny. Le banlieusard était devenu écrivain
provincial, Bourbonnais même, mais, comme tous les poètes, il demeure de toutes
manières à jamais universel.
(28/12/2020)
La disparition de Michel Ragon, à 95 ans, est passée presque
inaperçue le 14 février dernier. Les premiers soubresauts du Coronavirus occupaient
déjà l'espace. Le journal Le Monde a cependant précisé son importance :
« Les critiques dart qui ne se sentent pas aujourdhui un peu orphelins
sont des ignorants, ou des crapules ».
Ainsi, Michel Ragon et l'art sous toutes ses formes qui a traversé son existence, qui l'a
transcendé, au point d'ailleurs de soutenir une thèse de doctorat, intitulée La
Pratique architecturale et ses idéologies, en 1975 à la Sorbonne. Il n'en tirait
aucune gloire (j'en connais un autre...), simplement fier d'avoir pu entreprendre des
études que la vie avait empêchées.
Le site qui lui est consacré
rend hommage à cette vie exemplaire et très diversifiée.
Mais Michel Ragon pour moi, c'est l'auteur de la monumentale Histoire de la
littérature prolétarienne de langue française (note de lecture du 27/03/2017), une belle anthologie qui m'accompagne
depuis très longtemps et qui a été à l'origine de toutes les recherches que j'ai
effectuées sur la littérature du travail. C'est aussi le premier à avoir mis des mots,
bien avant Bourdieu et ses Règles de l'art, sur la difficulté d'écrire lorsqu'on
n'est pas du sérail des Lettres, de parler de « littérature fatiguée » pour
évoquer ces ouvriers qui se collaient à leurs romans après leur journée de travail.
Littérature prolétarienne, donc, cette expression s'imposait à l'époque, marquée par
sa rencontre dès 1945 avec Henry Poulaille. J'y ai préféré le terme de littérature du
travail, plus vaste, mais les préoccupations sont restées les mêmes : comment
parler de nos journées laborieuses ? Quels mots, quelles émotions nous traversent
dans la normalité exigée de 35 heures par semaine ?
J'y rajoute cependant un constat navrant qui persiste, et s'amplifie même peut-être de
nos jours : ceux qui travaillent, ne sont toujours pas ceux qui écrivent. Ceux qui
publient sur le travail, le font par procuration et brandissent haut et fort en premier
leur statut d'écrivain, d'artiste, leurs légitimités journalistiques ou normaliennes,
bref tout ce qui justifie d'écrire à la place de... de prendre la place de... Les vrais
travailleurs, ceux qui aimeraient raconter leur quotidien, ont ainsi de moins en moins
d'espace : la « littérature fatiguée » qu'évoquait Michel Ragon à
propos de ces authentiques auteurs et travailleurs, s'accompagne d'une fatigue de la
littérature, structurelle, passive et paresseuse.
(14/12/2020)
Lors du décès de Giscard, les actualités nous ont gratifiés
de reportages destinés à retracer sa vie politique, notamment celle située au déclin
les Trente Glorieuses lorsqu'il présida aux destinées de la France. Dans les images
d'archives, au moment du premier choc pétrolier, on a aperçu pendant une ou deux
secondes une station service et la manuvre que les pompistes devaient faire pour
ajuster en permanence le prix de l'essence sans cesse en augmentation à la pompe.
J'ai ainsi revu instantanément l'exact déroulé des gestes, les bruits et les sensations
pour accomplir cette tâche : ouvrir la vitre de la pompe, tourner les molettes pour
ajuster le prix , refermer la vitre. Tout cela dans l'odeur caractéristiques des
hydrocarbures.
Souvenirs... A l'époque où Giscard est devenu Président, j'ai été en effet embauché
comme pompiste en août 1974. J'avais tout juste seize ans. Cela je l'ai déjà raconté
dans une note d'étonnement le 18/01/2012 :
« Le gérant de la station mavait testé : va balayer devant les pompes.
Jy allais. Va servir les clients. Jy allais. Retourne nettoyer. Jy
retournais. Quest-ce que tu fous, il y a des clients. Jy courais. Sa femme
mavait dit : Laisse tomber, cest un gueulard mais il nest pas méchant.
Jai sans doute commencé par deux ou trois jours à ce tarif. Jarrivais à
lheure chaque matin sur ma Mobylette, jenfilais la cotte prêtée pour
loccasion. Japprenais. Je me souviens quil avait monté sa propre
voiture sur le pont pour changer le pot déchappement (la station service faisait
atelier), une italienne, je crois, Alfa Roméo ou Lancia. Pendant quil tapait à
grand coup de marteau, je servais les touristes qui débarquaient en nombre :
cétait le week-end du chassé croisé. Est-ce à ce moment là quil
mavait dit : Bon, on te laisse la station, on part en vacances. A seize ans et zéro
jour, pour deux ou trois semaines, javais obtenu de tenir tout seul une station
service, comptabilité et approvisionnement en carburant inclus. Une confiance dont je
suis encore fier. Javais deux chiens pour garder la station avec moi, des dobermans,
une mère et son petit, quune voisine venait nourrir. Ils mavaient adopté de
suite. Hormis le temps passé à dormir à lombre de latelier ou sur le tarmac
de la station, leur grand jeu consistait à tourner autour des clients, renifler leurs
mollets ou hisser par surprise leurs pattes sur mes épaules au risque de me faire tomber.
Pas trop le temps de mennuyer, servir lessence, vérifier les niveaux
dhuile ou deau, apprendre les astuces : le réservoir dans le capot arrière
des Simca 1000, sous la plaque minéralogique des Peugeot 404 ou sous le feu arrière des
403. La fois aussi où javais servi une Jaguar et ses deux réservoirs, un dans
chaque aile. Cétait une époque à pourboires, même si le premier choc pétrolier
avait fait grimper les prix. En guise de bonus, un type du coin mavait même filé
des quetsches tout juste cueillies. Il y avait une chaine stéréo coincée sur une
étagère dans la station, et des après-midis dété entières passées à écouter
en boucle Sunny
afternoon des Kinks. »
Que rajouter d'autre ?
Qu'en face de la station qui n'existe plus (c'est un dépôt d'ambulance maintenant), il y
a le cimetière. Il suffit de traverser la nationale pour trouver à quelques pas
derrière le mur la tombe de mon père, décédé en mai dernier, et celle de Marc, l'ami
guitariste, parti en septembre. Pour ce dernier à l'époque où j'étais pompiste, nous
étions au lycée ensemble, l'année suivante il laisserait pour quelques mois ses
guitares électriques dans une maisonnette aménagée en salle de répétition et que nous
partagerions avec mes cousins.
Que rajouter d'autre ?
Que lorsqu'on regarde le fameux
tableau d'Edward Hopper, Gas station, une des rares peintures sur les stations
services, on voit un type (l'employé) à moitié caché par les pompes à essence,
tournant le dos à la route tandis que la nuit tombe. Beaucoup de ceux qui examinent cette
peinture trouvent l'attitude du pompiste étrange. Moi pas : le gars relève les
index des pompes. Je l'ai suffisamment fait à la fermeture de chaque soir daoût
1974 dans des conditions similaires pour connaître le poids de la fatigue de la journée,
que ce tableau d'ailleurs restitue admirablement. Relever les index pourquoi ? A
l'époque, c'était le seul moyen de calculer la consommation des cuves d'essence pour
programmer leur réapprovisionnement. Il ne fallait surtout pas se tromper dans les
calculs : le conducteur du camion citerne que j'avais sollicité pour ne pas tomber
en panne de carburant m'avait demandé si j'étais bien sûr de moi et des deux ou trois
mille litres commandés : en cas d'erreur, si les cuves étaient encore trop pleines,
il ne pouvait stopper l'approvisionnement et le surplus déborderait dans toute la
station. Ouf, j'avais bien calculé mais j'avais eu les jetons pendant tout le temps de la
manuvre.
(07/12/2020)
J'avais évoqué dans cette même rubrique, le 13 mai dernier,
la fin du premier confinement. Nous voici aujourd'hui, dans une sortie progressive du
second confinement. Évidemment, les deux n'ont rien à voir, hormis, et c'est le plus
important, d'avoir été instauré pour maîtriser au maximum la tension des
contaminations et ses effets sur les hospitalisations. Le premier confinement du printemps
aura été ainsi brutal, arrêt complet de toute activité pendant deux mois. Le second en
automne a été plus léger, et si beaucoup de commerces sont restés fermés, l'activité
économique a continué, écoles, collèges et lycées sont restés ouverts. La
libération sera aussi plus progressive et non pas comme au printemps où tout ce qui
était interdit est devenu à nouveau permis (ou presque) du jour au lendemain. Voilà
pour les impressions qui nous sont, je crois, générales.
En revanche, il est toujours bon de se référer aux chiffres, aux statistiques qui ont
alimenté notre quotidien. J'écrivais à la fin du premier confinement que 137 décès
étaient à déplorer dans mon petit département de Haute-Marne. Les statistiques
fournies étaient ainsi régulières et j'ai retrouvé sur le journal de l'époque ces
chiffres : 27000 décès au niveau national, 137 donc dans mon département, dont 70 en
hôpital et 67 en Ephad, c'était évidemment très anxiogène.
Concernant la deuxième vague, les chiffres ont surtout servi à montrer que la tension
dans les hôpitaux était contrôlée. Aussi, le nombre des décès a été moins mis en
avant. De surcroît, la mise à jour quotidienne des chiffres en Ephad qui venait
s'ajouter aux morts des hôpitaux, a été ramenée à une actualisation bihebdomadaire,
mais seulement au plan national, les ARS ne communiquant pas tous les chiffres
régionaux : il a ainsi fallu attendre presque la fin du second confinement pour
apprendre que le total des décès s'élevait maintenant à 233 dans mon département,
dont 134 dans les hôpitaux depuis le début de la pandémie. La deuxième vague, si on
excepte la vingtaine de décès qui s'est poursuivi après la fin du premier confinement
jusqu'à mi-juin, aura donc provoqué 30 décès supplémentaires en maison de retraite ce
qui est mieux (encore de trop), mais un nombre quasi-équivalent à la première vague en
hôpital. A noter que le taux de mortalité dû au Coronavirus pour mon département
demeure presque deux fois plus élevé qu'au plan national. Le chiffre d'ailleurs des
52000 victimes de la pandémie au niveau national montre aussi que la deuxième vague a
été presque autant meurtrière. Le taux de mortalité en France étant relativement
constant autour de 9 pour 1000 habitants, toutes causes confondues y compris les
épidémies habituelles de grippe, l'impact du Coronavirus devrait faire augmenter ce
chiffre de 1 point environ cette année, aux alentours donc de 10 pour 1000 habitants.
On mesure ainsi toute la difficulté des politiques sanitaires de chaque pays, à la fois
soucieuses de préserver le moral de leurs habitants en ne leur assénant pas des
nouvelles décourageantes, mais aussi en arrivant à leur faire admettre lextrême
gravité de cette pandémie, n'en déplaise aux complotistes et adeptes de la simple
« grippette ».
(30/11/2020)
Notes des temps humiliés, au sens de confus, obscurs,
troublés, indéchiffrables, impénétrables, imprécis, incertains, chaotiques, autant
d'adjectifs qui se rapportent à ce que nous vivons actuellement. Similitude aussi :
nous sommes en temps de guerre, a dit notre président, dans une époque semblable à
celle que Maurice Genevoix, l'auteur de Ceux de 14, a connue pendant l'occupation
de la Seconde guerre mondiale et dans laquelle il avait écrit ces Notes des temps
humiliés, restées inédites jusque-là. L'écrivain avait 50 ans, j'en ai 10 de
plus, pareillement dans l'âge où le recul vécu jusque là nous accompagne. J'ai eu la
chance de vivre dans une époque en paix (relativement), les temps humiliés ne me parlent
pas. Et l'ennemi de la guerre annoncée est un minuscule virus ; il humilie tout le
monde sans distinction ni calcul. Faut-il dresser un procès ? Écrire un
réquisitoire ? Et contre qui ?
Reste en revanche la confusion actuelle, qui est la même que décrivent Marc Bloch dans L'étrange
défaite ou Maurice Genevoix dans ses « temps humiliés » : on ne
sait pas où on va, nos gouvernants non plus, ce n'est pas une question de responsabilité
mais de conjoncture. Pour autant, la même impréparation s'est révélée et la même
lourdeur pour faire face. Dans notre pandémie, peu de leçons ont été tirées depuis
mars. Le confinement, qui, tout de même, avait fonctionné, limitant la propagation du
virus entre les régions, a été levé sans précaution. Le deuxième confinement, plus
léger mais tout aussi tardif, révèle notre incapacité à sortir de cycles sociaux que
nous avons nous même créés : travail et distraction, participation et égotisme.
Dans les « temps humiliés », on avait résumé cette vision terre à terre
par « travail, famille, patrie ». De nos jours, le Blackfriday devient
une affaire d'état et Noël un but à atteindre. L'injonction de la consommation sous
forme de produits et de services est le seul modèle économique que connaît le monde
occidental. Mais après tout pourquoi pas ? C'est aussi le seul modèle que j'ai
connu et l'effort psychologique pour m'en séparer totalement me paraît hors de portée.
Tout juste parviendrais-je à certains compromis vitaux, polluer moins, par exemple, ou
revenir à une consommation plus directe.
Cette consommation plus embryonnaire était plus affirmée au moment des « temps
humiliés », où l'autosuffisance d'une population campagnarde était répandue et
où les mécanismes d'une survie plus rude prédominait, sans aide dédiée : pour preuve
les sept années solitaires d'errance de ma famille paternelle dans l'Europe entière,
avec souvent aucune visibilité pour savoir simplement quoi manger le jour et où dormir
le soir même.
Mais il y a tout de même entre les « temps humiliés » de Maurice Genevoix et
nos temps confus, la même désinformation, la même façon de nier l'évidence et
l'absence de tout contrôle. Il y a quelques semaines, nos journalistes ont annoncé que
la Grande Bretagne passait la barre des 50 000 décès, manière de soupçonner une plus
grande impréparation chez nos voisins anglo-saxons et d'affirmer notre supériorité.
Cette semaine, nous allons franchir ce cap, cela fera l'objet de quelques commentaires
encadrés entre la vente des sapins et la reprise des commerces. Nous ferons profil bas,
pour mieux oublier cette deuxième vague en train de diminuer. « Elle a été mieux
contrôlée », diront plus tard les spécialistes, en oubliant sciemment que
beaucoup de décès, c'est à dire ceux hors hôpitaux, ont été cette fois-ci éludés
(mon petit département a comptabilisé chaque jour les décès en EPHAD à la première
vague, soit 75 au total à la fin du premier confinement ; aucun chiffre n'a été
pour l'instant officiellement communiqué concernant la deuxième vague...)
Et puis il y aura le vaccin bientôt, la vie reprendra, comme elle l'a fait pour Maurice
Genevoix. Comme lui, j'oublierai dans un coin ce que j'ai écrit. Et quelqu'un peut-être
exhumera ces notes des temps confus, quatre-vingts ans plus tard, comme pour lui.
(23/11/2020)
Maurice Genevoix,
c'est 55 occurrences dans Feuilles de route et ma première page spéciale Maurice
Genevoix date du 16 août 2001, c'est dire mon attachement à cet écrivain qui faisait
partie du triumvirat de mes écrivains de cur avec René Fallet et Blaise Cendrars.
Si Cendrars partageait avec Genevoix la guerre de 14, Fallet, jeune trublion truculent, en
semblait bien éloigné. Ce qui les réunissait, c'était l'indifférence de l'époque à
leur égard lorsque je les ai découverts. Cendrars, trépassé en 1961, sa réputation de
menteur magnifique était tombée dans l'oubli ; Genevoix, disparu en 1980, trop
conventionnel en secrétaire de l'académie française, n'était pas assez moderne ;
René Fallet, évanoui en 1983, deux ans après son ami Brassens, siégeait en éternel
Poulidor des Lettres. Cendrars demeure passé de mode, de même que Fallet.
Genevoix, longtemps mis de côté, a été ravivé par le centenaire de la Grande Guerre
et surtout par l'implication d'un noyau familial et amical qui vient d'aboutir sa
panthéonisation. Cendrars n'a pas connu cette ferveur, sa fille Miriam, dépositaire de
son uvre est morte en 2018, âgée de 98 ans et Fallet, bien que constamment soutenu
par son épouse Agathe, reste trop souvent en dehors de l'actualité, même si une superbe
exposition permanente lui rend hommage.
Donc, Maurice Genevoix a rejoint le Panthéon le 11 novembre et j'éprouve comme un regret
de devoir partager mon admiration. Pourtant c'est tant mieux si on s'aperçoit de
l'importance de l'auteur, mais je crains que l'on reste à la surface des choses et qu'il
se résume à « Ceux de 14 », alors que l'essentiel de son uvre est
ailleurs. La célébrité, pire, linstitutionnalisation, a la fâcheuse manie de
résumer les écrivains dans de simples notices de dictionnaires. Passé
lévénement, on se souvient parfois à peine du panthéonisé, et il arrive que
l'anecdote supplante le parcours du récipiendaire : la fameuse injonction de Malraux
« Entre ici Jean Moulin ! » avec trémolos appropriés, a supplanté le
grand résistant.
Ainsi, passé quelques années, retiendra-t-on tout de même que Maurice Genevoix, coincé
dans son marbre national, fût aussi le chantre d'une époque où il faisait bon observer
le monde sans faire preuve de provincialisme? De ses bestiaires, à Rroû, son chat,
de « la forêt perdue » où uvre le braconnier Raboliot, à « La
Loire, Agnès et les Garçons » ?
De la même manière, on envisage de réunir Rimbaud et Verlaine dans le fameux lieu
parisien. L'aventure commune entre Rimbaud et Verlaine a seulement duré de mai 1871 à
février 1875, en rencontres épisodiques alors qu'Arthur avait entre 16 et 19 ans.
Pendant les dix-sept années qui lui resta à vivre, Verlaine ne fût jamais évoqué. On
sait qu'après l'Afrique, Arthur aspirait à finir ses jours à Charleville, il l'a écrit
maintes fois, et pas une fois il n'a fait part de son désir de renouer avec la poésie.
Mais il est vrai qu'on ne demande pas aux morts la permission de les embarquer au
Panthéon...
(16/11/2020)
" Le onze novembre 1930, douze ans jour pour jour après
l'armistice de la Première Guerre mondiale : la date anniversaire de Léopold a toujours
été facile à se rappeler depuis qu'il réside en France. Onze novembre 1930 : deux mois
auparavant, le parti national-socialiste des travailleurs allemands, dirigé par Adolf
Hitler, réalise près de vingt pour cent aux élections législatives allemandes. Le
parti se déclare modéré, soucieux de venir en aide à la population touchée
particulièrement par la crise financière de 1929 qui prive le pays des capitaux
américains investis après la guerre et destinés à la reconstruction. A la même
époque, on peut placer en regard de cette apparente bienveillance, la campagne
calomnieuse engagée contre Erich Maria Remarque, auteur de À l'Ouest, rien de nouveau :
en décembre, l'adaptation cinématographique du livre par le producteur américain Lewis
Milestone suscite de vives réactions en Allemagne en raison de son pacifisme affiché. De
violentes émeutes sont organisées par Joseph Goebbels, un des nouveaux députés élus.
On fait passer Erich Maria Remarque pour un juif dissimulé. Plus tard, le livre sera l'un
des tous premiers à alimenter les autodafés organisés par le parti Nazi à son arrivée
au pouvoir en 1933.
Mais ces histoires sont encore lointaines et sans doute inaccessibles pour Georges et Eva.
La priorité pour l'instant est l'enfant tout juste né, avec l'hiver qui arrive. Eva
espère que la nouvelle maison résistera mieux aux assauts du gel. Déjà les sommets
alentours sont saupoudrés de neige et les champs aux abords de Zenica commencent à
blanchir. Les sillons s'estompent, les fossés se remplissent d'une boue d'abord sale,
puis se recouvrent d'un givre brillant. Dans la maison qui se refroidit rapidement, elle
entoure le nouveau né avec la couverture chaude ornée de roses. Les fleurs brodées sont
grandes, chaque pétale est finement cousu, les points sont précis et réguliers. Eva
avait mis tout son cur et son savoir faire dans cet ouvrage. Elle ne peut
s'empêcher de revoir la petite fille pâle et chétive qu'elle avait mise au monde
l'année précédente, sa figure diaphane, la couleur ivoire de sa peau qui correspondait
si bien à l'aspect moiré des broderies. Une fleur en particulier, au sommet de la
couverture, semblait être l'exacte réplique de son visage, même taille et même
rondeur. La disposition des dentelles, les nuances des fils employés, un peu plus
affirmés ça et là pour simuler des ombres ou le plissé des corolles, avait dessiné
ici, une bouche, là l'ombre d'un il ou la forme d'une oreille. La petite n'était
restée dans son berceau que quelques jours avant de disparaître définitivement, mais
depuis, Eva ne pouvait s'empêcher de revoir le minuscule visage sur le drap qui en
semblait l'exacte réplique posé juste au-dessus de cette couverture. Et combien de fois
au début a-t-elle été surprise et émue de voir s'y substituer celui de Léopold, qu'on
ne tarde pas à appeler Léo.
Eva en fera la confidence à son fils : tu es celui qui a succédé à la petite morte,
qui s'est couché dans le même lit, a été entouré par la même couverture. La vision
demeure, suffisamment forte : elle restera à Léo pour la vie entière. " (Yougoslave,
p. 335, 336)
Ce texte est l'un des trop rares extraits que j'ai lus à mon père, en lui remettant
" son " livre. Je me souviens qu'il a hoché la tête en guise d'acquiescement
lorsque j'ai évoqué l'anecdote de " la petite morte ". C'était le vendredi 12
juin, vers 15h. Le dimanche suivant, à trois heures du matin, Léo est parti rejoindre sa
sur inconnue et ses parents.
Aujourd'hui, nous sommes le 11 novembre, c'est son anniversaire, il aurait eu 90 ans. Je
me souviens de son étonnement lorsque ma mère avait passé ce cap, dix huit mois
auparavant. Stupéfaction et émerveillement d'avoir déjà vécu si longtemps. Il n'aura
pas tenu jusque là, mais ils auront connus le bonheur d'avoir " cent quatre-vingt
ans à eux deux et la chance de continuer le chemin ensemble ", comme je l'ai écrit
à la toute fin de mon livre.
(11/11/2020)
La décision est venue d'un coup : refaire la chambre de ma fille, après
avoir rangé dernièrement celle de mon fils.
Quand les enfants quittent la maison, il est vrai, nous laissons en l'état les pièces
qu'ils ont occupées, sans oser se débarrasser des cahiers de lycée, des bouquins
scolaires, de la décoration et des photos, qui accusent rapidement notre vieillissement.
Au fur et à mesure des années s'y ajoutent les affaires des chambres universitaires, des
appartements désertés ici et là. Ainsi, Sceaux, Dijon, Colmar, Givet, traces entassées
dans des cartons jamais ouverts. Leurs pièces, rarement occupées, sinon le temps d'un
week-end, deviennent aussi le lieu de nos entassements personnels : une étagère qui ne
sert plus, un carton de livres, une pile de DVD. Puis viennent les conjoints, bien
obligés de partager cette proximité. Puis, arrive le premier petit-fils, pour lequel on
ménage un coin dans lequel il pourra dormir en toute sécurité. A force, les divers
endroits de la maison s'en trouvent chamboulés. Un couple loge dans la chambre d'amis
puisque la leur est occupée par l'enfant ; un autre se plaint du lit devenu inadapté.
Bref, il faut réaménager tout cela.
Pour la chambre à refaire, je décide de renouer avec la pose du papier-peint. Cela fait
une éternité que je n'ai pas posé de tapisserie. Plus de dix ans, et j'ai un repère
pour le savoir : le dernier papier-peint a été posé par une entreprise suite à un
dégât des eaux dans mon bureau. C'était à l'automne 2010 et, accaparé par ma
nomination toute neuve pour le Goncourt pour Retour aux mots sauvages, je courais
en permanence d'un salon à une rencontre. Entre deux voyages, juste avant de repartir,
j'avais choisi le revêtement mural dans un livre d'échantillons posé sur le sol nu de
la pièce débarrassée du bureau et de mes ouvrages. Étrange échange de littérature...
L'idée d'un roman sur le papier-peint était née de cette anecdote : ce serait Ils
désertent, deux ans plus tard.
Le papier peint posé par moi-même remonte ainsi encore avant. Il me semble que la
dernière pièce que j'ai recouverte est la salle de musique utilisée par mon épouse (je
n'ai pas retrouvé de traces de ces bricolage dans F de R), mettons que ça date
d'au moins une douzaine d'années.
J'ai ainsi ressorti la table à tapisser du grenier, retrouvé facilement les outils, la
brosse à maroufler. J'affectionne particulièrement ces outils et les mots qui s'y
rapportent : on a déjà l'impression d'être presque un professionnel rien qu'en les
disposant. Mais la mode et les expressions évoluent : j'apprends ainsi qu'on dit
maintenant " intissé " à la place de papier-peint, qu'on peut se passer d'une
table tapisser en encollant directement les murs (euh, et on fait comment pour découper
un lé ? Accroupi sur le sol ? Lumbago assuré...) J'ai aussi retrouvé les gestes, le
bruit agréable de la brosse qui maroufle le papier fraîchement posé, et avant, la
peinture des boiseries, portes, fenêtres, plinthes, moulures...Sans oublier qu'un tel
travail ne peut s'accomplir qu'en chantant à tue-tête les tubes qui passent sur radio
Nostalgie. Quelque chose donc, à mille lieues d'un travail intellectuel, juste de la
jugeote en guise de réflexion.
Petite pensée pour mon père : c'est auprès de lui que j'ai appris à poser du papier
peint. J'avais 15 ans, nous venions d'emménager dans un logement neuf (" le nouvel
appartement était situé au rez-de-chaussée d'un petit bâtiment au standing un peu plus
élevé " Yougoslave, p. 528). Plus tard je l'aiderais dans la maison qu'il
avait fait construire en 1980. Puis, à son tour, il viendrait m'assister dans la maison
que nous occupons toujours. Souvenir d'avoir entrepris ensemble le hall, les couloirs, les
escaliers, les 16 portes à repeindre, puis déroulé le revêtement mural parfois sur 4
mètres de haut.
(04/11/2020)
Après Le Mans et le dernier salon du livre en période Covid cet automne
(voir en Note d'écriture), après Reims et le colloque franco-belge "trouver le
goût des mots", après une interview dans mon appartement de banlieue pour le Courrier
des Balkans (notes à venir), j'ai terminé cette série de moments denses et
ramassés sur quatre jours par l'enregistrement de la belle et nouvelle émission
littéraire "La salle des machines", animée par Mathias Enard.
Mais c'est avant tout retrouver la maison de la radio, le lent périple qui m'emmène sur
les berges excentrées de la Seine. Je connais le trajet par cur : à la sortie de
Bir Hakeim, se diriger vers la Seine, regarder à droite la Tour Eiffel, traverser en
direction du fleuve et prendre le pont qui l'enjambe, marcher jusqu'au centre de l'eau et
se retourner pour admirer encore la fameuse tour. Puis prendre à gauche et longer les
quais. L'espace s'évase, hautes tours à gauche de l'autre côté de la Seine, immeubles
cossus à droite.
Au bout de deux cents mètres, on aperçoit la maison ronde. Généralement, dans les
rendez-vous, on indique toujours la porte vers laquelle il faut se rendre et si l'on se
trompe, on est bon pour un tour complet de l'édifice. Mais là, c'est ailleurs qu'il faut
aller, au 19 rue du Général Mangin, juste à côté, dans un des bâtiments tout en
courbes qui tentent de garder les allures rondes de l'architecture. Mon attachée de
presse m'a proposé un taxi que j'ai vivement refusé, j'aime trop cette déambulation
dans ce quartier, cette ambiance un peu étrange, et lente, favorisée par la marche à
pied, ces ressassements de pensées qui précèdent le moment où on va se livrer sur les
ondes (si on a du temps, on peut aller jusqu'à la maison de Balzac). Et puis
l'endroit du rendez-vous, je le connais déjà : j'y étais allé mais je ne sais plus
pourquoi. En revanche l'édifice abrite radio Mouv, autrefois dans la maison ronde et
souvenir d'y avoir déambulé le dix ans auparavant le 11 novembre (Étonnements et Webcam du 27/11/2010).
Je suis ponctuel et l'assistante de Mathias Enard m'accueille masquée à l'entrée, moi
aussi. Inévitables ascenseurs et couloirs, puis on arrive devant le studio où une lampe
rouge interdit d'entrer : on enregistre. Après deux minutes à peine, la porte s'ouvre,
je reconnais Mathias Enard, regard doux et curieux et je dois avoir le même en face. Dans
le studio, on tombe les masques dans tous les sens du terme. L'émission au beau titre de
"la salle des machines", propose d'entrer dans l'univers de l'écrivain, ses
rouages, son " cambouis " disait Antoine Emaz. Après tout s'enchaîne, les
questions précises de Mathias, mes réponses hésitantes, la sensation que j'ai de
bafouiller, de mal m'exprimer, de laisser mon accent de l'Est combler mes manques, mes
flottements. Plusieurs fois, j'ai la sensation d'oublier le cheminement de ma pensée, je
me rattrape de justesse (ou pas) et j'espère que ces atermoiements ne sont pas trop
audibles. Diffusion prévue le dimanche 1er novembre, à 17h.
(15/10/2020)
Yun Sun, son prénom coréen, sa voix, toujours posée, très claire et d'intonation
égale. Notre première rencontre doit dater de 2000 ou 2001, lorsqu'il fallait encore,
pour aller chez Fayard, passer sous le porche de la rue des Saints-pères, traverser la
cour, prendre la porte de gauche, saluer la réceptionniste, monter les escaliers jusqu'au
troisième étage, alors elle était là, attentive. Olivier Bétourné me recevait, puis
je retournais vers Yun Sun. Tout le travail de mise au point des livres passait par elle,
corrections, photos de couverture : souvenir de la fois où elle m'avait proposé le
cliché d'un entrepôt pour Composants, et de l'excellent choix d'un champ en vue
aérienne pour Paysage et portrait en pied de poule. Ce livre est le dernier
qu'elle avait suivi pour cet éditeur. Elle était partie peu après, avait fait paraître
en même temps que mon PPPP son premier roman, Les candidats (note de lecture du 11/02/2004). C'est grâce
à elle que j'ai fait cette incartade chez Maren Sell pour 1937 Paris-Guernica,
paru en 2007 (j'avais élaboré un petit blog pour l'écriture de ce roman et Emmanuelle
Pagano y avait distillé quelques commentaires, il est toujours visible, laissé en
l'état depuis 2006).
Les rencontres ont été plus effilochées par la suite, même si, grâce à Yun Sun nous
nous étions retrouvés le 12 décembre 2003 à déjeuner avec F Bon, P. Vasset. Nous
devions nous retrouver tous les trois chaque 12 décembre, mais la règle n'a jamais été
appliquée. Il y a eu aussi cette soirée étonnante à Naples (étonnements du 17/08/2005), nous avions découvert que nous étions
au même endroit en vacances. C'est un souvenir familial extraordinaire que nous évoquons
encore. J'ai revu Yun Sun lors des soirées de Remue.net, celle de 2006 (étonnement du 21/06/2006), Ronald Klapka était
présent aussi, mais pas Philippe Rahmy. J'ai revu Yun Sun à la " Nuit remue "
de 2013 (note d'écriture du 19/06/2013),
Philippe Rahmy cette fois-ci était de la partie, mais pas Ronald Klapka, disparu
deux mois auparavant. Philippe
Rahmy à son tour s'envolerait pour les étoiles quatre ans plus tard le 1er octobre
2017.
Il y a deux jours, alors que je cherchais je ne sais quoi dans le tréfonds de mes Feuilles
de route, ou parce que je lis en ce moment les mémoires d'éditeur d'Olivier
Bétourné (La vie comme un livre), j'ai repensé à Yun Sun. J'ai recherché de
ses nouvelles sur le web, un livre récent peut-être et qui m'aurait échappé. J'ai
ainsi appris que Yun Sun Limet
était partie rejoindre Ronald et Philippe, le 17 juin 2019. Je ne l'avais jamais su, je
la savais malade, mais on espère toujours. Reste ses livres, écriture fine et
mélancolique, Amsterdam (note de
lecture du 08/03/2006), Joseph (note
de lecture du 29/08/2012).
Tristesse donc, mais en même temps je ne peux m'empêcher de penser, chers Ronald,
Philippe et Yun Sun, que, grâce à vous la nuit remue là-haut...
(07/10/2020)
La fin de sécheresse a sonné au milieu de la semaine dernière, mercredi soir
précisément, la pluie est arrivée après 97 jours sans humidité ou quasiment. Au cumul
d'un centimètre et demi seulement pendant plus de trois mois, ont succédé des
précipitations normales, six centimètres en quelques jours. Cela suffit pour que la
pelouse, jusque-là réduite à un tas de cendres grises commence à se teinter d'une
lueur verdâtre due aux mousses et même à quelques touffes timides de gazon.
Ne crions pas victoire cependant, le déficit en eau est toujours supérieur à 45% et il
est peu probable que la fin de l'année redonne un niveau suffisant aux cours d'eau et aux
réservoirs en pénurie depuis une dizaine d'années consécutives. Le canal de la Marne
à la Saône, que j'avais parcouru en
2018, a vu sa navigation arrêtée pour la deuxième année de suite (du jamais vu depuis
sa création en 120 ans), la Marne ne suffisant plus à maintenir son niveau.
Le manque d'eau a eu un effet bénéfique et inattendu cependant : le conseil
départemental a voté contre l'implantation d'une laverie destinée aux vêtements
utilisés dans l'industrie nucléaire, malgré l'autorisation accordée par la
préfecture. Il faut dire que l'établissement industriel a prévu la captation d'eau et
le rejet d'effluents dans la rivière, ce que l'étiage, désormais régulièrement
insuffisant, ne permet pas. Reste à savoir si l'inquiétude populaire bien légitime
(quid de la radioactivité résiduelle? des garanties contre toute pollution ?),
maintenant officiellement relayée par les élus, sera suffisante pour repousser ce projet
aberrant : restons vigilant...
En parallèle, les services de la météo annoncent que ma ville a battu deux records
cette année, celui du déficit en eau le plus important en France cet été (écart de -
72 %) et celui de la période sans eau la plus longue au printemps (44 jours), le
précédent record datant de 1953.
Ainsi, malgré le retour de la pluie, il est probable que les haies de ma maison -
notamment les lauriers, les noisetiers- auront du mal à repartir, ainsi que de nombreux
arbres, peupliers, hêtres, frênes... Le plus inquiétant cependant demeure la
récurrence de ses sécheresses, de ses impacts à venir sur la flore, la faune (les
oiseaux, si nombreux au début dans mon jardin se sont raréfiés) et la remise en cause
irréversible des écosystèmes.
(30/09/2020)
" Ah, toi ici ? En visite chez tes parents ? A peine changé le
copain des classes de collèges, de la 6ème à la 3ème, celui qui m'avait appris la
guitare, à qui j'avais emprunté ce disque des Stones (Aftermath), première fois
j'écoutais ce groupe. Sans doute que m'apprendre la musique à 14 ans lui avait donné
des idées : c'est le directeur de l'école de musique maintenant. A peine changé donc,
cheveux longs et bouclés comme on les portait, comme ces types sur la pochette
d'Aftermath. Cheveux devenus gris comme les miens et retrouver un 14 mai à 15h40, le
tutoiement, la familiarité de gosses comme si la veille était encore jour de collège et
me donnant des nouvelles du troisième larron avec qui nous faisions équipe
d'inséparables. "
C'est un extrait de Langres s'use,
un texte écrit exclusivement sur FdR dans une période qui était difficile pour
moi. Je sortais d'une pharmacie de ma ville natale, c'était un 14 mai, il y a de cela
quinze ans, j'ai même noté l'heure, 15h40, lorsque j'étais tombé sur ce copain des
classes de collèges.
Marc, son prénom, en revanche, n'était pas indiqué. Je peux le noter maintenant qu'il a
disparu. Je l'ai appris par le journal ce premier samedi de septembre, rubrique
nécrologique et aucun doute : sa fonction de directeur de l'école de musique était
rappelée dans l'avis, avec son âge, qui est le même que le mien, 62 ans.
Dans le même journal, il y avait aussi un article sur lui dans la page de ma ville
natale, on y retrace sa vie. C'était quelqu'un qui a compté dans la cité : vingt cinq
ans à enseigner la musique, à transmettre sa passion pour tous les styles, avec une
préférence pour le jazz.
Je me retrouve dans la première partie rédigée par le journaliste : " La musique,
Marc est tombé dedans depuis sa plus tendre enfance ". Notre enfance donc, et c'est
revoir le piano chez lui, la manière dont il en jouait, avant de déballer sa guitare et
moi la mienne. Je ne savais pas en jouer, il m'a enseigné les premiers rudiments,
quelques accords, et c'est lui qui m'avait fait écouter pour la première fois les
Rolling Stones avec Aftermath. Nous avions entre douze et quatorze ans et j'ai
ainsi été son tout premier élève. J'aime à penser que je suis à l'origine de sa
vocation.
L'article indique qu' " à 15 ans, il joue dans son tout premier groupe " et là
encore, j'étais présent, non pas pour jouer avec lui, je n'étais pas assez bon, mais
parce que nous avions emménagé une dépendance chez mon grand-père - " une
maison vide située une dizaine de mètres plus haut, pompeusement nommée " salle de
répétition " et qui résonnerait surtout de riffs de guitares électriques pour
imiter les Rolling Stones. (Yougoslave, p. 508). Mon cousin avait alors
formé un groupe avec un autre copain, Jean-Pierre, que le hasard emmènera comme moi
jusqu'à Saint-Dizier. Lui aussi s'est spécialisé dans la musique, il a longtemps
organisé des auditions avec les enfants des écoles (les miens donc) et nous nous
revoyons de temps en temps (la dernière fois, l'année précédente à un concert de
Ange). Pour en revenir à Marc, il avait déposé sa guitare électrique dans la salle de
répétition, mais il venait peu et avait fini par la reprendre.
Cela fait drôle de penser qu'il est maintenant dans le même cimetière que mon père,
deux mois et demi après lui. Un instant, l'idée d'aller à son enterrement m'a
traversé, j'y ai renoncé car je ne connais plus personne là-bas, mais j'aurais
peut-être aperçu Jean-Philippe, " le troisième larron avec qui nous faisions
équipe d'inséparables ".
Pour en revenir à Jean-Pierre, je l'ai aperçu hier alors que j'allais donner mon sang et
lui-aussi, c'est drôle, je venais de le citer dans cet article. Je lui ai appris la mort
de Marc, il n'en avait pas encore eu connaissance.
(18/09/2020)
Tout en haut à gauche, dans le bandeau vertical qui accompagne les pages
de Feuilles de route, il y a écrit " depuis septembre 2000 ".
Lorsqu'on clique dessus, on y apprend que le titre est emprunté à un recueil de poésie
de Cendrars, on y trouve ainsi la genèse de mon site, dont les premières notes datent du
13 septembre 2000. J'y explique aussi la manière dont fonctionnent mes réflexions :
lire, écrire, s'étonner.
Toute ma vie est ainsi bâtie depuis 20 ans sur ce modèle, j'en ai fait une ligne de
conduite, et ce site, qui au départ se voulait une " tentative d'exposition du
travail littéraire à la vue de tous ", montrait bien dans les débuts du Web, la
part d'inconnu : s'imaginer que le monde entier va aller voir ce que vous avez écrit...
Transgression de l'intime aussi, à la mesure de ce qu'écrivait Tolstoï en 1906, le jour
même du baptême de ma grand-mère : Toute vie est dévoilement ; la mort est
l'enlèvement du dernier voile (Yougoslave, p. 267). La transgression de l'intime
demeure limitée : pas de photos de mes proches (ou de loin, ou des objets) ; quant à mes
autoportraits, à ce que je raconte, savoir, comme dans tout roman, qu'il ne faut jamais
confondre l'auteur et le narrateur de ces rubriques.
Le monde entier que je convoquais, en réalité, s'est réduit à quelques aficionados
de mes notes, les plus réguliers sont recensés dans ma liste de diffusion (une
trentaine), d'autres y vont par intérêt amical, familial ; d'autres encore échouent sur
mes pages par hasard ou par intérêt (une étude universitaire sur le rire de Beckett est
une des plus consultées). Parfois on m'écrit et ça me fait toujours très plaisir (je
réponds toujours) un peu comme lorsque vous parlez tout haut et que quelqu'un le remarque
avec bienveillance. J'ai renoncé depuis longtemps aux statistiques de fréquentation de
mon site.
Car les évolutions d'Internet ont noyé Feuilles de route dans l'archéologie du
web, d'abord en 2003 avec l'arrivée du web 2.0 et des blogs où chacun pouvait laisser
des commentaires, puis plus tard avec l'avènement des réseaux sociaux et enfin
l'effacement de l'ordinateur. Donc, non, Feuilles de route n'est pas un blog,
mais un antique site Internet réalisé avec le logiciel Front Page 98 (le chiffre c'est
le millésime de son année de création). Mon Front Page ne fonctionne plus que sous
Windows XP et je garde précieusement un vieil ordinateur portable dévolu à mes mises à
jour. Je tiens à continuer le plus longtemps possible la maintenance de mes pages Web
avec ce logiciel, c'est aussi un défi à l'immédiateté du Net et à l'obsolescence de
toutes choses. Aucun relais, donc, avec les réseaux sociaux, je me suis toujours méfié
de Facebook ou Twitter, le site n'a ainsi quasiment jamais évolué, un rafraîchissement
en 2004 et c'est tout, mais au moins il est efficace fonctionne à peu près sur tous
supports et les principaux navigateurs et ne mets pas trois plombes pour charger des pages
exemptes de toutes publicité.
Donc Feuilles de route défie les règles de la publication actuelle du Web.
Chaque mise à jour est un empilement au dessus de la précédente alors que les blogs
créent un article spécifique à chaque texte. Il en résulte peut-être une difficulté
pour se repérer, mais en revanche une très grande souplesse de consultation. Les
rubriques habituelles sont archivées au début de chaque année. Bref, il me semble qu'au
bout de vingt ans, tout tient dans une seule main.
Pourtant la matière est là : le moteur de mon site compte à ce jour onze mille
fichiers, dont presque la moitié de photos, le tout dans un espace très réduit chez mon
hébergeur : c'est l'avantage des vieilles technologies peu gourmandes en octets. J'ai
effectué en vingt ans 694 mises à jour qui se voulaient hebdomadaires. En réalité,
cela fait à peu près une actualisation tous les 10 jours, c'est plutôt pas mal. J'ai
été à peu près constant en publiant bon an mal an entre trente et quarante mises à
jour, sauf sur un an et demi, entre octobre 2014 et mars 2016, où c'était moindre, je
m'étais d'ailleurs ouvert de cette lassitude vers le printemps 2015 (Étonnements du 22/05/2015). Mais depuis c'est
reparti. Au total, si on devait imprimer la totalité de mes notes, réparties dans tous
les fichiers, cela approcherait probablement 5000 pages, et le journal de Léautaud que
j'ai lu en entier en compte 6000.
Au départ donc, j'avais créé Feuilles de route pour faire coïncider mes
premières publications papiers avec cette sorte de journal hebdomadaire et numérique.
L'exemple de François Bon, que je côtoyais déjà dans le désert de web de l'époque y
était pour beaucoup. J'avais créé un site Internet pour l'association des écrivains de
Haute-Marne, je l'hébergeais (elle vole depuis longtemps de ses propres ailes) et j'ai eu l'idée de
créer quelque chose de plus personnel où la " cuisine ", le " cambouis
" de l'écriture (comme disait le regretté Antoine Emaz) y seraient visibles. Au
bout de vingt ans, c'est devenu un art de vivre, c'est devenu ma mémoire aussi (je ne
compte plus les fois où je vais consulter Feuilles de route pour me rappeler un
épisode familial, un voyage, etc...). En vingt ans, le site a traversé bien des
événements, World Trade Center, guerres du Golfe et autres, élection d'Obama, et chez
nous Chirac, puis Sarkozy, Hollande, Macron, sans compter tous les aléas personnels, les
inévitables chagrins à la perte d'un proche, les joies devant le chemin des enfants.
Tout cela bien entendu a influencé mon écriture et le petit moteur à trois temps (lire,
écrire, s'étonner) crachote toujours dans un mouvement plus vaste, que Marguerite Duras
nommait " la vie matérielle " ou que Beckett appelait " mirlitonnades
".
(13/09/2020)
Lorsque je suis rentré de Sicile, un comble : il faisait cinq à six
degrés de plus chez moi, dans mon Grand Est. Le thermomètre a affiché 38°4 le samedi
10 août et la canicule a dépassé les 30° régulièrement pendant quinze jours. Cela
fait trois années de suite que je constate le même phénomène. Mais cette année, comme
la précédente d'ailleurs, la sécheresse a réduit à néant les jardins. Les pluies
qui, paraît-il, traversent la France sous forme d'averses ou d'orages se sont soldées
par une seule précipitation qui a à peine mouillé la surface de la terre avec 4mn
seulement. Hormis cet épisode, il n'y a eu aucune pluie depuis le 21 juin. Ces douze
semaines sans pluie s'étaient déjà produites dans une période à peine plus courte ce
printemps, entre le 12 mars (premier jour du confinement) et le 28 avril : rien, pas une
goutte. Je tiens ces précisions du site infoclimat.fr, mais bien sur, il suffit de regarder dehors, de fouler
la pelouse réduite à l'état de cendres pour s'en apercevoir (voir en Webcam).
Ceci dit, les sites de statistiques sont bien utiles pour mesurer la réalité du
réchauffement climatique. Oui, le climat change à vitesse grand V. Une commune de mon
département a vu la source qui alimente les robinets de ses habitants se tarir : les
anciens n'avaient jamais connu cela. Cette année, dans ma ville, la moyenne des
température est de 2° plus haute que celle constatée sur les trente dernières années
et les maximales dépassent maintenant de 4° les valeurs habituelles. Les précipitations
sont actuellement moitié moindres que cette même moyenne trentenaire, on peut douter que
les 4 mois qui restent seront suffisants pour reconstituer les réserves. L'eau ainsi va
devenir une préoccupation majeure et récurrente. D'autant plus que les années
précédentes ont déjà révélé ce phénomène : 20% de déficit de précipitations en
2018 et 2019. Seule les années de canicule de 1976 et 2003 avaient fait moins, et encore,
la température moyenne de 2003 n'était en hausse que de 1° en moyenne sur l'année, et
celle de 1976 dans la norme.
Le climat change : un agriculteur des Vosges a tenté de planter du millet et du sorgho
africains pour constituer du fourrage pour ses vaches. En Champagne, les vendanges sont
terminées, elles avaient commencé au début de la troisième semaine d'août. Les
viticulteurs recherchent déjà des terrains en Picardie ou dans le Sud de l'Angleterre
pour replanter des vignes inadaptées à la chaleur. Ici les bananiers ornent les jardins
et beaucoup ne les couvrent même plus pour l'hiver : cette année il n'y a eu qu'une
journée de forte gelée à moins 5° et un seul jour de neige qui n'a pas tenu au sol. Le
climat devient presque méditerranéen. J'ai déjà effectué deux récoltes de figues
cette année j'en aurai peut-être une troisième en novembre. Côté bestioles, les
parasites ne sont plus détruits par les gelées, les chenilles processionnaires
envahissent les forêts, les moustiques tigres arrivent, les algues colonisent les cours
d'eau et empoisonnent les poissons. Les arbres périssent, j'ai dû faire abattre un de
mes peupliers (webcam du 22/05/2020), et d'autres viendront.
Pendant ce temps, l'activité des hommes continue comme si de rien était : la préfecture
a donné le feu vert (contre l'avis de 20 communes) pour l'implantation d'une laverie
nucléaire destinée aux tissus et aux habits utilisés dans les centrales. Elle doit
être alimentée par le cours de la Marne qui n'a jamais été aussi bas en ce moment...
(03/09/2020)
A la faveur d'un événement familial, le week-end dernier m'a emmené
dans la région de Saintes et de Royan. C'est drôle, mais ce voyage me paraissait plus
exotique que celui qui m'a embarqué en Sicile, pourtant la distance était trop fois
moins longue, les péages 30% plus chers en revanche, ce qui en dit long sur le racket de
nos concessions françaises par rapport à l'Italie ; à noter aussi que la Belgique
parcourue la semaine précédente ne m'avait rien coûté et leurs autoroutes sont
éclairées...
Cependant, une fois sur place, j'ai été immédiatement jaloux des magnifiques gazons que
la proximité de l'océan a gardé verts. La cendre qui me tient lieu d'herbe chez moi
dans mon grand Est est assurément moins agréable à fouler (à titre de comparaison, les
statistiques m'apprennent qu'il est tombé moins de 6mm d'eau en deux mois dans ma ville
et dix à quinze fois plus là-bas... Je ferai probablement un article prochainement sur
le dérèglement climatique et les différences qui s'accentuent entre climats continental
et océanique).
L'événement familial en question était un mariage, il est heureux qu'il ait pu être
maintenu, avec moult recommandations et tests pour éviter de constituer un cluster. Le
beau temps a favorisé le plein air et diminué les risques, pas d'embrassades pour ce qui
me concerne, masque assorti à mon costume, on peut continuer à vivre avec un peu de
précautions sans que la fête soit gâchée. Rions donc !
Royan nous a accueilli le lendemain avant la cérémonie. Je ne connaissais pas cette
ville. Je me suis garé facilement au centre, à deux pas de l'immense plage alors à
marée basse (voir en Webcam). Ce fût un délice d'arpenter le sable, les vagues qui
venaient lentement nous caresser les pieds. Le restant du séjour fût à cette image,
paisible et frais, dans l'ambiance familiale de retrouvailles heureuses.
Seul bémol au retour, deux heures de bouchons le dimanche soir, le temps de drainer les aficionados
de l'Ouest vers la région parisienne. Puis j'ai retrouvé avec plaisir et soulagement la
diagonale du vide pour rejoindre ma région si peu prisée. Plus j'avance en âge et plus
je m'aperçois que les déserts de mes campagnes en déclin me conviennent. " Désert
" est à prendre aussi dans son sens géographique, selon l'encyclopédie : "
régions du globe caractérisées par un bilan hydrique déficitaire ".
(27/08/2020)
Bruxelles au mois d'août : à la faveur d'un déménagement familial,
j'ai accompli une escapade un week-end dans la capitale belge. Trajet sans histoire et
rapide surtout depuis qu'une nouvelle route coupe les Ardennes via une superbe "
quatre voies ". L'absence d'embouteillages due à la désertion des vacances a
augmenté le plaisir, même si la chaleur était encore caniculaire. Bruxelles ainsi
ressemblait à une ville provinciale, rues désertes, promeneurs masqués. Le quartier où
je me suis rendu est très agréable, maisons typiques, fenêtres avec bow-windows. Je
n'ai pas arpenté la ville, l'emménagement de l'appartement a occupé mes heures, sauf le
temps de chercher une boulangerie tôt le dimanche matin, mais c'était suffisant pour
ressentir la même ambiance que dans le film Paris au mois d'août, tiré du
livre du même nom de René Fallet et enfin proposé en DVD ! (on en reparlera). Je me
sentais dans la peau de Charles Aznavour qui partageait la vedette du film avec Suzanne
Hampshire, même nonchalance tranquille, les heures d'été nous font du bien. Retour
toujours aussi paisible, agrémenté sur la route de Philippeville d'une portion énorme
de frites croustillantes, bref une belle échappée avant de retrouver bientôt la
frénésie de la rentrée.
(19/08/2020)
Dix-huitième voyage en Sicile. Bien-sûr, tout est connu d'avance, la maison rose, les
terrasses aux carreaux de terre cuite, les arbres, l'odeur des agrumes, les oiseaux qui
pépient, les geckos qui sortent la nuit sur les murs encore chauds. Les repas de pâtes,
les salades de tomates, la pastèque de cinq kilos, les commissions à la petite
épicerie, avec la mama à la caisse (avec un masque cette année) et son fils Stefano qui
nous souhaite toujours la bienvenue avec un bout de pain et une tranche de charcuterie. Le
réveil et la course à pied avant que la température ne devienne infernale. Le ristretto
si agréable au café de la place, le retour avec les brioches et le pain. Les matins
studieux avec le livre du moment à écrire, la thèse reprise plusieurs fois et enfin
terminée. La plage l'après-midi avec sa rivière froide qui se jette dans la mer et qui
emprunte chaque année un itinéraire différent. Les randonnées sur l'Etna dans les
paysages de lave noire, l'envie chaque été d'assister à une éruption. Plus guère de
visites cependant, la villa Casale, Syracuse, les temples grecs, Palerme, les églises
baroques et les tableaux du Caravage ont tous déjà été vus. On y retourne parfois,
mais pas cette année.
Cette année, pour la dix-huitième édition, le voyage sera resté incertain presque
jusqu'au départ. Faute au Coronavirus bien sûr, qu'il s'agisse de savoir si partir en
Italie sera possible, ou plus avant, au cur même de l'épidémie, lorsque la
maladie nous avait atteint, combien alors j'ai rêvé de cet horizon qui m'aparaissait
tellement impossible, coincé entre la peur et la fièvre.
Mais ça s'est fait, et tout ce que j'avais ardemment désiré, tout ce que j'avais prié,
les visions souhaitées dans l'hébétude alitée - pouvoir me promener dans l'eau
froide de la rivière avec mon petit-fils -, tout s'est réalisé. J'ai goûté avidement
ce bonheur, avec plus d'intensité que les années précédentes, même si ceux qui nous
accompagnaient sont repartis bien vite, même si le gel à l'entrée des magasins, les
masques portés comme en France, hélas respectés à moitié, avec ceux qui le laisse
pendre en bas du menton et ceux qui s'en fichent éperdument.
Cette année aussi, pas d'écriture, pas de nouveau projet, j'attends la sortie de Yougoslave,
qui a débuté ici même il y a deux ans, s'est poursuivi ici pareillement l'année
précédente. Cette année encore, la joie de grimper de nuit sur les routes sineuses pour
voir une éruption de l'Etna, cette année, toujours la farniente et le repos avant
l'automne qui sera occupé.
(12/08/2020)
" Banal canal ", c'est le titre d'une chanson que j'avais
écrite, euh
en 1978, il y a quarante deux ans. Elle figure toujours sur une
cassette de 12 titres enregistrés à cette époque. Je sais où se trouve un exemplaire
dans les entrailles de la maison, mais les pistes magnétiques sont à peine audibles,
c'est une autre histoire
Une autre histoire mais qui n'a jamais perdu son actualité : le canal et sa banalité
sont présents depuis toujours dans ma géographie : " Banal canal " qui tranche
mon département du Nord au Sud, canal " de la Marne à la Saône ", dont j'ai
emprunté les berges sur toute cette distance pour rendre visite à mes parents il y a deux ans de cela, 260 km aller et
retour en vélo.
C'est la photographie de couverture de l'essai de Benoît Coquart, Ceux qui restent (en
Notes d'écriture cette semaine) qui m'a fait écrire cette rubrique. Elle montre quatre
adolescents en train de se baigner dans ce qui est probablement un canal, et je dirais
même le canal " de la Marne à la Saône ", tant il me semble reconnaître la
singulière couleur verdâtre de l'eau, et le chemin de halage au fond qui grimpe à
l'assaut d'une écluse. Et comme l'auteur est d'origine haut-marnaise, j'en fais le pari.
Les quatre adolescents s'amusent, muscles neufs sous le soleil, l'un est sur la berge,
l'autre juché sur un bateau gonflable et les deux autres dans l'eau verte donc. Il y a
probablement des filles qui les attendent sur la berge, voisines de villages,
connaissances d'alentours venues en bicyclette ou en amazone sur des scooters. Lorsque je
fais du vélo le long des chemins de halage, je rencontre parfois de ces groupes de
jeunes. Les garçons cherchent à épater la gent féminine en plongeant depuis les
écluses, on entend des rires, des gloussements, des cris faussement indignés lorsqu'on
les éclabousse.
La dernière fois que j'ai croisé un de ces attroupements, c'était la semaine dernière.
J'avais profité d'une belle journée d'été pour une virée sur mes chemins favoris. Le
groupe qui se tenait devant une maison d'éclusier était nombreux, une dizaine, les
cycles et les engins à moteurs débordaient sur le chemin, d'autres arrivaient encore à
vélo et torse nus. On était loin, à l'écart de la ville, dans un de ces endroits
perdus entre deux bourgs où subsistent rarement de quoi réunir cette jeunesse, parfois
à peine une épicerie et un camion qui passe pour le pain. Alors pourquoi pas le canal au
soleil et sa fraîcheur. Lorsque je suis arrivé, j'ai ralenti pour zigzaguer entre eux.
On m'a salué " Bonjour ! " et j'ai répondu avec le même entrain. Pour eux,
dire bonjour est manière de me signifier qu'il m'accueillent dans un endroit considéré
comme leur appartenant, une façon de me souhaiter la bienvenue comme à un promeneur ou
à un étranger qui passerait devant leur maison. Il faut être d'ici, être né dans ces
" campagnes en déclin " comme le dit Benoît Coquard, pour déchiffrer la
teneur d'un simple bonjour. Et sa demande en retour : que vous répondiez de la même
sorte, franchement et sans ambages, pour signifier que vous êtes des leurs, un autochtone
pareillement : on se comprend.
Lorsque j'ai écrit ma chanson " banal canal ", probablement que les assonances
de l'adjectif et du nom m'avaient séduit, j'avais leur âge aussi, et sûrement les
mêmes doutes, la même attente pour l'avenir. Le hasard a voulu que quelques mois plus
tard après cette chanson, je réussisse un concours administratif. Je suis parti
apprendre le métier des Postes à huit cents kilomètres de chez moi, loin du lieu de ma
naissance qui n'était pas encore nommé une " campagne en déclin ", mais qui
l'était déjà.
Je garde le souvenir encore frais d'avoir dépassé le petit groupe la semaine dernière,
de les avoir entendu et senti longtemps derrière moi, rires, quelques éclats de voix,
leurs mouvements. Ma vie, oui, c'est de regarder maintenant souvent derrière moi, dans
l'étonnement du chemin parcouru. A l'époque de la chanson, je ne savais pas que je
partirais, ni même que je retrouverais ma région natale après quelques années (je
serais, non pas Ceux qui restent de Benoît Coquard, mais " ceux qui
reviennent "), à 120 km plus au Nord, mais là aussi dans la même " campagne
en déclin " pour y bâtir une existence " banale ". Un jour dans un salon
du livre du seizième arrondissement de Paris, alors que je décrivais à une lectrice
bourgeoise la faible intrigue d'un de mes livres (Composants, 2002) et de son
anti-héros qui mène, avais-je dit, une vie banale, la femme huppée me répondit :
" Une vie banale ? Vous voulez dire une vie simple ? " Non, madame, après
toutes ces années, je persiste et signe, une vie banale parce que ça rime avec canal.
(11/07/2020)
" Pour mon père " : je tenais à cette mention imprimée dans
mon nouveau roman, que Gérard Genette qualifie de " dédicace d'uvre "
dans son essai Seuils sur les à-côtés d'un livre. " Pour mon père "
donc, et combien il m'a paru essentiel et naturel que cela soit ainsi gravé dans Yougoslave.
L'adjectif géographique qui compose le titre est déjà un écho à ce qu'il fût.
J'ai longtemps hésité à entreprendre l'écriture de la saga paternelle. Jusqu'au milieu
des années 2010, j'avais l'impression que commencer ce récit risquait de hâter la
disparition de mon père. Peur irraisonnée, bien sûr, et je m'en étais ouvert à
l'époque à mon éditrice qui comprenait cette angoisse et affirmait que je n'étais pas
le seul écrivain à l'éprouver.
Il y a deux ans, alors que mon père abordait ses dernières années d'octogénaire, j'ai
changé d'avis radicalement. J'ai réalisé que le pouvoir de vie ou de mort que
j'octroyais à la littérature était disproportionné par rapport aux vicissitudes de
l'âge qui nous entraînent plus sûrement du côté de la terre. Et surtout, j'ai
réalisé que je n'avais finalement que très peu parlé à mon père.
J'ai donc entrepris ce roman qui retrace plus de deux siècles d'histoire familiale. Les
échanges réguliers que j'ai eus avec lui ont été fructueux. En parallèle de ce qu'il
m'indiquait, je cherchais les recoupements historiques, je tentais de me repérer dans
l'inextricable passé des Balkans. C'était des moments très forts que je consignais dans
un carnet. Lorsque je le relis aujourd'hui, je vois des indications comme "
conversation le 21/02/2019 " suivi de trois pages de notes, ou encore " visite
à mon père " (date non indiquée, mais c'était en mars de l'année passée) avec
cette fois-ci onze pages de notes : je le revois encore à la fin de cette journée,
disant à ma mère qui revenait de commissions : nous avons bien travaillé ! (note d'écriture du 25/03/2019). Il y a eu
d'autres rendez-vous en avril, mai, juin, juillet, septembre.
J'ai terminé le premier jet fin novembre et j'ai finalisé le manuscrit en janvier et
février de cette année. Pendant tous ces mois, y compris les derniers qui prennent en
compte la fabrication physique du livre, le choix de la couverture, l'insertion d'une
carte, nous n'avons cessé d'en discuter. J'avais peur que la crise du coronavirus ne
remette aux calendes grecques la parution du roman, mais, à ma grande joie, le travail de
correction, les premières, deuxièmes et troisièmes épreuves ont continué à un rythme
normal et j'ai pu lui annoncer, quelques jours après la fin du confinement (presque trois
mois sans le voir) que j'allais pouvoir aller le chercher, tout frais émoulu de chez
l'imprimeur.
J'y suis allé le mercredi 10 juin et j'ai pu accomplir les formalités du service de
presse (voir en Notes d'écriture). Le vendredi 12 juin, muni d'un exemplaire dédié à
mon père et dédicacé à mes parents, je suis allé leur rendre visite. Malheureusement,
mon père avait fait une chute la veille et restait alité. Il a pu cependant découvrir
son livre sans toutefois arriver à le lire. En revanche, avec ma mère et ma sur à
son chevet, je lui ai lu de larges extraits qui concernaient sa vie, par exemple, le
moment où il a rencontré ma mère. Ça a été des instants très doux, hélas, les
derniers : mon père est entré à l'hôpital une heure plus tard et il est mort dans la
nuit du samedi au dimanche.
Il a ainsi quitté la vie comme le héros de roman qu'il était devenu ; il a accompli les
même gestes qu'Ivan Oroc dans le dernier
chapitre rédigé un mois auparavant : Léo " ouvre une page au hasard et se glisse
dedans : il est temps qu'il rejoigne enfin son statut de personnage ".
Bien sûr, comment ne pas ressentir avec violence et au-delà du chagrin le pressentiment
qui m'a accompagné pendant de nombreuses années et qui me faisait refuser d'entreprendre
ce livre. Mais, à la réflexion, je préfère donner comme pouvoir à la littérature,
celui d'avoir prolongé un peu sa vie dans l'attente du livre promis.
(30/06/2020)
Me voici entré dans l'univers d'entre deux romans, période un peu vide
après l'écriture rythmée de Y pendant seize mois à raison de vingt pages par
semaine. Haruki Murakami, dont il sera beaucoup question dans cette mise à jour, précise
dans Profession romancier que " C'est mon humeur du moment qui me dicte la
longueur que prendra le texte ". Un peu plus loin, il ajoute " Et si le temps
est venu pour moi d'écrire des nouvelles, je me concentre sur cette tâche sans me
disperser ailleurs. " Je ne sais pas si le temps est venu pour moi d'écrire des
textes courts. Je n'ai publié qu'un recueil de nouvelles en 2009, Bestiaire
domestique. Je garde de ce moment là, une sensation de bonheur d'écrire, pas
l'impression d'une obligation, ni de la nécessaire concentration d'aller au bout comme le
laisse entendre Murakami. Ces retrouvailles avec ces écritures éparses et courtes, sans
une contrainte forte, avaient suivi CV roman, paru en 2007, et dont la gestation
avait été assez difficile, précédée d'une grande période de remise en question.
Sans avoir pour autant l'impression d'avoir accompli un périple pénible avec l'écriture
de Y (au contraire, sensation d'une grande nécessité), il se trouve que
j'aimerais bien donner une suite à ce Bestiaire domestique. J'ai pas mal
d'histoires d'animaux qui se sont accumulées depuis et j'ai toujours le même sentiment
que ces anecdotes en disent plus long sur notre condition d'humain et notre relative
insignifiance au sein du monde animal (encore plus en cette période de pandémie).
Dernière historiette en date, ma rencontre avec un lucane cerf volant de huit
centimètres de long qui s'était échoué sur mon balcon samedi matin. Il gisait au pied
des tomates, retourné sur le dos et il agitait frénétiquement ses pattes pour se
retourner. Hélas, sa taille et son poids ne lui permettaient pas la manoeuvre. Je l'ai
délicatement retourné avec un balai et il est resté un peu sonné, faisant le mort,
avant de se réfugier à l'abri entre le mur et le bac des tomates. La dernière fois que
j'avais vu un insecte aussi gros, c'était l'été dernier, en Sicile : sous la lampe
allumée, un grand capricorne étalait ses antennes de 8 cm de long. Avant il y avait eu
en Guadeloupe, un ravet, un de ces grands cafards qui occupent les maisons et sortent dans
le noir installé : une nuit aux Saintes, j'en avais senti un tomber sur moi alors que
j'étais couché. Il faisait une chaleur étouffante et je le sentais avancer
tranquillement dans l'obscurité sur ma peau. Je pouvais deviner à l'écartement de ses
pattes qu'il s'agissait d'un gros spécimen : j'ai allumé la lampe et je l'ai chassé
d'un revers de main : il mesurait bien 5 cm.
Pour en revenir aux lucanes, j'ai regardé sur le Web la nature de ces splendides
hannetons géants. Celui que j'avais trouvé était un mâle, muni de deux énormes
protubérances sur son crâne, ce qui fait aussi le nommer Cerf Volant, parce que la
bestiole vole parait-il (la nuit surtout). C'est un insecte xylophage qui vit dans les
troncs d'arbres morts. La larve reste plusieurs années avant de se métamorphoser en
magnifique coléoptère (le plus grand d'Europe). Il n'est aucunement nuisible et à
tendance à se faire rare, par conséquent il fait partie des espèces protégées.
Je suis retourné sur mon balcon pour récupérer l'égaré et le placer au pied des
souches du peuplier décimé la semaine dernière (voir dans cette même rubrique), en
espérant que ce biotype lui sera plus favorable que l'aridité de mon balcon. Fait
étonnant : moi qui ne suis pas spécialement courageux, j'avais une furieuse envie de le
prendre dans ma main pour l'emmener dans son nouvel habitat. Je l'ai un peu excité pour
qu'il s'écarte du mur, le lucane s'est aussitôt dressé en position de défense, comme
s'il allait m'attaquer avec ses cornes. J'ai approché ma main et il a grimpé dessus,
comme s'il devinait que j'allais m'occuper de lui et qu'il n'avait rien à craindre. Nous
sommes restés longtemps à nous comprendre, ainsi immobiles l'un et l'autre, moi
l'examinant, et, à mon tour, regardé par le lucane.
(04/06/2020)
" Ivan Oroc remarqua un arbre mort. Il pensa bêtement que le virus avait eu raison
de lui. (" C'est le moment que choisit l'arbre pour mourir tout à fait. Le haut
peuplier est déjà dénudé de son faîte, perclus de moignons d'un bois lisse et blanc.
Il faut l'abattre. " - Bestiaire domestique, Fayard, 2009, p. 108). Ivan
Oroc choisit ce prétexte pour aller sonner à la porte. Après tout, il pouvait proposer
ses services pour cette tâche de jardinage si on lui prêtait des outils. ".
Cela figure dans l'avant dernier chapitre (le 53) de Sur Ivan Oroc, le roman de confinement que j'ai
scrupuleusement élaboré chaque jour du grand retrait. Cette scène contient elle-même
un extrait de Bestiaire domestique, lui-même faisant référence à une anecdote
réellement vécue en décembre 2004, (relatée notamment en Étonnements et en Webcam
à la date du 22/12/2004). Écrire, finalement, est peut-être simplement cette mise en
abyme, cet enchevêtrement de poupées russes qui mêlent fictions et réalités, vies et
inventions.
La réalité, en fait, c'est que le grand peuplier est vraiment mort : il a commencé à
dépérir l'été dernier après plusieurs mois de sécheresse (d'ailleurs il faudra
s'attendre à d'autres dépérissements pour la troisième année d'aridité qui
s'annonce). J'espérais qu'il renouvellerait son feuillage ce printemps, mais hélas,
alors que, confiné, j'avais tout le loisir de regarder pousser ses feuilles nouvelles, il
est resté glabre. Il fallait l'abattre sans tarder : les branches, vidées de sève,
deviennent cassantes à la moindre saute de vent et l'arbre de douze mètres de haut est
situé en bordure d'une route passagère. C'est quelqu'un que je connais depuis l'enfance
qui s'en est occupé : devenu élagueur professionnel, c'était la personne idéale pour
cette tâche (voir en Webcam). En une paire d'heures, il n'est resté du peuplier que
quelques billots de belles tailles, le reste (une tonne de branches) a été embarqué à
la déchetterie, le peuplier est un piètre bois de chauffage.
Le précédent abattage des arbres qui suit l'alignement de mon terrain date de seize ans,
décembre 2004 (voir ci-dessus) et c'est moi qui m'en étais chargé tout seul : piètre
bûcheron : il était tombé sur la balançoire
Avant il y avait eu la tempête de 1999, un temps d'avant Feuilles de route, et
je ne crois pas avoir relaté déjà cet épisode. Un grand peuplier de vingt mètres
n'avait pas résisté à l'ouragan et était tombé en travers du carrefour, bloquant la
circulation. Nous n'étions pas là en ces moments de Noël, seule ma belle-sur
était restée chez nous, habituée pourtant aux cyclones de sa Guadeloupe natale, elle
avait eu peur devant la violence des vents. Lorsqu'on est revenu, la grande partie de
l'arbre avait été emportée par les pompiers (il fallait rétablir la circulation). Ne
restait que l'immense corolle des racines qui avaient soulevé la moitié du terrain et
une partie du tronc écroulé dans la haie. Un nouveau peuplier l'a remplacé l'année
suivante, il mesure au bout de vingt ans dix mètres de haut son tronc a un diamètre de
trente centimètres. On peut comparer ses mesures avec celui nouvellement tronçonné dont
la souche est deux fois plus large, cinquante ou soixante ans d'âge, probablement.
J'espère maintenant ne pas alimenter trop souvent cette rubrique avec mes histoires de
peupliers, ou juste avec l'entretien classique de leurs étêtages, qu'il faudrait
refaire, la dernière fois date de dix ans.
(28/05/2020)
C'est le journal local qui me l'a rappelé : cela fait dix ans que Jean
Robinet a disparu. Figure régionale et littéraire, j'avais eu la chance et le bonheur de
le connaître et j'avais consacré à ce grand homme le 20 mai 2010, sept jours après son
décès, toute une mise à jour (note
d'étonnements, note d'écriture, note de lecture et rubrique Webcam). A la fois agriculteur et écrivain, il
avait l'habitude de dire " je suis un paysan qui écrit et non un écrivain qui
laboure ". Comme beaucoup de ceux qui exercent deux activités en les plaçant sur le
même pied d'égalité, le monde des Lettres lui a tenu rigueur de ne pas classer la
littérature au premier rang et il n'aura jamais eu la place qu'il méritait, malgré son
immense talent.
En revanche, sa campagne (cette France périphérique dit-on maintenant avec une
condescendance sociologique) s'est reconnue dans cet écrivain qui était capable
d'exprimer au mieux ses sentiments. Il a tenu une chronique hebdomadaire dans les
éditions de l'Est Républicain et le Journal de la Haute-Marne durant plus d'un
demi-siècle. Ainsi, c'était le premier article que je lisais chaque dimanche. On ne
souligne pas assez l'importance de la presse locale, qui demeure ici très présente et
propose un ensemble d'informations concrètes et vérifiées à usage des habitants du
coin, alternative qui n'a jamais été aussi nécessaire à l'époque des réseaux sociaux
et des fausses rumeurs.
Bref, je suis curieux de savoir quel regard Jean Robinet aurait donné sur la situation
actuelle.
Dix ans déjà : je garde de Jean quelques images douces et sereines, sa maison dans son
village, sa poigne de fer, les rencontres que nous lui faisions, sa gentillesse, son
érudition et son intelligence toujours vive à 97 printemps.
Dix ans, donc, je venais de m'inscrire en thèse et il me restait sept ans à travailler
chez les télécomiques, mon beau-père était encore de ce monde. Yvon Lallemand, autre
écrivain, auteur de la très belle épitaphe pour son ami Jean " Terre, protège le
bien, il t'a tant aimée " (voir Webcam du
21/05/2011) est parti neuf mois plus tard. Depuis la mort de Jean, j'ai publié six livres
et le septième s'annonce, j'aurais " tant aimé " pour ma part les lui faire
parvenir.
(21/05/2020)
Ainsi les premières journées, pour faire suite aux " dernières " évoquées
dans cette même rubrique lors de la précédente mise à jour. En la relisant, je suis
stupéfait : inconsciemment (je ne dois pas être le seul), j'ai borné l'épidémie
pendant les deux mois qu'aura duré notre quarantaine. Or, je m'aperçois que je signalais
déjà l'infection qui commençait à se répandre. J'ai simplement oublié qu'il y avait
un " avant " et que toute la marche martiale du confinement (" nous sommes
en guerre ") n'était pas venue sans raison.
Lors de la reprise, tout content d'avoir retrouvé une partie des libertés, j'ai ainsi
oublié tout ce qui s'est joué " pendant " : il fut facile de demander à ce
que le quidam " s'autorise à sortir " (à rester plutôt) ; il fut facile de
détourner l'attention sur les mauvais citoyens qui bravent les interdits ; il fut facile
d'applaudir les soignants à vingt heures, d'être aimable avec les éboueurs, les
caissières, puisque rapidement nous les ignorerons de nouveau.
Bref, dès le surlendemain des municipales, là où j'avais vu un assesseur se mouiller le
doigt avec sa salive pour tourner les pages du registre en saisissant chaque carte
d'électeur qu'on lui tendait, le mardi 17 mars donc, nous fûmes astreints à la
barrière des gestes, à tousser dans son coude pour ensuite généreusement le partager
avec d'autres dans des simagrées destinées à éviter de se toucher les mains.
Dans ma dernière rubrique, la veille du confinement, j'avais évoqué les premiers
touchés, relations ou voisins, les patients renvoyés chez eux, lâchés dans la nature
avec leur proches, parce qu'on minimisait encore l'épidémie : c'était début mars.
Quinze jours plus tard, la préfecture de mon département révéla 3 décès ;
aujourd'hui il y en a 137, deux fois plus que la moyenne nationale ; à titre de
comparaison, le Lot, département similaire en nombre d'habitants recense 27 décès, cinq
fois moins : bienfait réel du confinement.
Ainsi, des connaissances ont disparu, les doigts des deux mains ne me suffisent plus
depuis longtemps pour recenser les proches (et moi-même) qui ont été touchés, qui s'en
sont heureusement remis pour la plupart. Très peu ont été testés : jusqu'à fin mars,
il fallait accomplir au minimum 30 km pour être détecté dans le labo le plus proche et
justifier d'une qualité de professionnel de santé. Ainsi les statistiques des cas
avérés sont largement minimisées et la réalité est plus pesante, notamment dans ma
ville où j'ai vraiment l'impression d'avoir parfois vécu l'horreur avec une succession
de mauvaises nouvelles.
Mais assez joué le rabat-joie : finalement le confinement s'est passé d'une manière
excellente avec une extension familiale venue se réfugier ici, et que nous avons réussi
à préserver du virus environnant : air de vacances avant l'heure surtout aux beaux jours
dans le jardin. Et maintenant, voici les premières journées de " l'après ":
désormais le monde respire, on peut bouger. Le monde imite aussi Georges Perec, qui
écrivait " j'avance masqué ". Le monde finalement n'a pas changé, toujours
aussi prompt à oublier, à se dire que finalement cette période où on a pu se mettre au
vert, n'était pas si pénible. Pour un peu on recommencerait, sans le virus bien sûr.
(13/05/2020)
Dernières journées : il faut bien les appeler ainsi dans " l'avant
" normal qui précède l'inconnu. L'avant normal donc, le jeudi à Carignan avec l'ami Delatour et le premier
contact avec le groupe sympathique " les potes au feu ". Ensuite, le vendredi à
Charleville Mézières avec la classe de seconde du lycée Chanzy et les derniers
préparatifs avant la lecture organisée le 20 mars. Puis les deux jours à Paris (lundi
et mardi), l'appartement retrouvé, les transports en commun, la rencontre prévue au
Select avant midi, puis la séance si plaisante du photographe
ensuite, enfin la gare de l'Est et la joie d'un dernier rendez-vous avant de repartir. A peine l'inquiétude, bien sûr on
fait attention : mes gants de cuir pour agripper l'inox du Métro. Le lendemain
(mercredi), encore un " avant " normal, exaltant même : voilà la dernière
séance de l'atelier Relais 52, la répétition
de la restitution prévue dans les salons d'honneur de la sous-préfecture et eux, les
jeunes migrants, si appliqués et enthousiastes. Le jour suivant (jeudi) est plus immobile
: il s'agit de préparer la matinée de formation aux ateliers d'écriture que j'animerai
le lendemain. Le soir Macron annonce les premières mesures. On se souvient alors,
l'inquiétude rangée au fond des heures bien remplies, mais qui n'a fait que s'accroître
: quelques cas préoccupants dans ma ville. Le vendredi donc, la formation et les
consignes suivies, pas de poignées de mains, d'embrassades, mais une salle trop petite
pour la dizaine de participants. Belle séance cependant. Au repas, on parle des mesures
prises. Bien sûr, les premières annulations
déjà s'empilent : lycées fermés, la restitution à la sous-préfecture, le concours
" dis-moi dix mots ".
Alors la dégringolade commence, l'énergie accumulée les jours précédents se
transforme en colère, en fatalité, en raison, en inconnu, avec l'inquiétude qui ne fait
que grandir : on sait maintenant que personne ou presque n'est testé, que l'ARS a
plusieurs jours de retard sur les statistiques, que la situation évolue très, très vite
: on découvre pour de vrai des connaissances, des voisins touchés, un jeune sportif en
détresse respiratoire. On comprend que la situation dépasse tout le monde : 50 masques
seulement par médecin, le 15 dans l'impossibilité de comptabiliser, les patients
renvoyés chez eux, lâchés dans la nature avec leur proches. Tout ça se passe chez moi.
Reste ainsi cette dernière soirée. Au dernier moment, on a invité des amis à dîner
samedi soir. Pendant le repas, le gouvernement nous apprend le stade 3, la fermeture des
commerces et des bars. La fin de la soirée prend ainsi des allures d'ultime rencontre,
sensation d'une mobilisation générale, tristesse comme si on partait à la guerre.
(16/03/2020)
J'ai ramassé la mangeoire qu'un coup de vent avait fait tomber du balcon. Quelques coups
de marteau pour assembler les planchettes et la voilà juchée à nouveau sur le rebord,
à l'endroit habituel. Dans les arbres voisins, les oiseaux me regardent et attendent.
Cela fait deux ou trois ans que j'ai pris l'habitude de leur proposer des graines chaque
matin (cinq kilos cette année). Eux aussi ont pris l'habitude chaque matin de me regarder
faire, perchés sur les branches de l'arbre de Judée ou du bouquet de hêtres. Ils sont
de plus en plus nombreux à attendre cette pitance facile. Pour autant, lorsque le temps
est doux ou pluvieux, ils la délaissent pour accomplir leur métier d'oiseau, picorer la
terre, l'écorce, la mousse et débusquer insectes, vers et parasites. En revanche
lorsqu'il gèle très fort ou que la neige recouvre le sol (aucun des deux ne s'est
produit cette année), la mangeoire est apréciée. On m'avait dit : tu verras, tu
seras toujours obligé de les nourrir ; sous entendu : ils vont devenir dépendants de
toi, ne plus savoir s'alimenter par eux-même. Réaction un peu rapide et fausse, qui
prête à la vie sauvage nos sentiments humains. Il suffit de voir aller et venir "
mes " oiseaux sur tous les toits du voisinage pour se rendre compte que leur zone de
subsistance ne m'est pas réservée. Pour autant, chaque matin, ils répondent présents.
Il y a d'abord ce couple de tourterelles, reine et roi incontestables de mon jardin,
perchés tour à tour sur les fils électriques, les branches hautes et les toits. Depuis
quelques jours, une pie vient parfois sur leur territoire. Les tourterelles restent à
proximité, un peu inquiètes, mais pas aussi vindicatives que lorsqu'un corbeau bruyant
s'avise d'occuper l'espace, chassé dans l'instant même. Je suis heureux du retour des
pies, qui sont aussi de bonnes gardiennes, n'hésitant pas à s'attaquer aux chats du
voisinage un peu trop curieux (à propos d'animaux terrestres, un lapin de garenne a
traversé la rue ce dimanche matin alors que j'achetais mon pain à la camionnette de la
boulangère). Et puis, tourterelles et pies vivent en bonne harmonie avec les autres
oiseaux qui se rassemblent un peu plus bas, dans les haies, les buissons ou au cur
des lauriers, du cyprès ou du lilas. Ce sont des merles qui ne tarderont pas à monter
d'un étage pour faire entendre leurs trilles d'été sur les faîtières, des mésanges
charbonnières ou nonnettes, des bleues ou des noires, toujours vives et gaies, des
moineaux sans gêne qui se disputent par demi-douzaine la mangeoire. D'autres passereaux
sont plus épisodiques, on aperçoit par hasard le vol d'un pinson, le jabot d'un
rouge-gorge, un chardonneret au visage de clown, une sitelle qui grimpe sur un tronc comme
un lézard, l'éclat olivâtre d'un verdier, quelques étourneaux qui ne restent jamais,
parfois une grive. J'ai même cru reconnaître un bruant jaune, l'automne dernier.
Mais il y a quelques jours, c'est un pic épeiche qui est venu nous rendre visite : par
chance j'avais mon appareil photo à proximité.
(02/03/2020)
J'ai loupé la mise à jour du 02/02/2020, ce qui aurait été une véritable date
palindromique. Pour rappel, un palindrome est un mot qui se lit indifféremment dans un
sens ou dans un autre, comme les prénoms, Bob ou Anna, les noms Kayak ou sexes,
l'expression " mon nom ", les facéties de Georges Perec : " ce repère
Perec ", disait-il. Allez, j'invente moi-aussi un palindrome : " Léo n'a été
nu ici un été à Noël".
Bref, je me rattrape un peu ce jour avec le 20/02/2020. Il faut dire que depuis l'année
2012, le jeu est plus délicat. Je n'avais pas loupé cette dernière date facile du
12/12/12 (voir en étonnements et en Webcam), j'avais même précisé que ce 12/12/12
à 12h12, je me trouvais dans un train qui m'emmenait dans une rencontre Annecy, dernière
petite notoriété due à ma nomination au Goncourt trois mois plus tôt. L'année
précédente, Anne Savelli n'avait
pas non plus loupé la date du 11/11/11, puisque c'est celle qu'elle avait choisie pour la
mise en ligne chez Publie.net de notre livre commun Autour de Franck, poussant la perfection à ce que l'heure
précise soit 11h11. Mais depuis, force est de constater que je n'avais rien remarqué de
notable, sauf une brève allusion en rubrique Actualités
du 13/02/2013, même si la date " combinatoire et réversible " que je
soulignais est tout de même imparfaite et bancale comme celle d'aujourd'hui. Je me suis
doublement rattrapé ce jour, d'abord avec cette rubrique, puis en acceptant un
rendez-vous malicieusement prévu le 3/3 à 3h et qui devrait durer 33 minutes
(20/02/2020)
Pour parvenir jusqu'au nouvel endroit, il faut traverser la ville,
dépasser le rond point, laisser à droite le supermarché, enjamber l'auto-pont avec la
station d'épuration dessous et au loin les pistes d'atterrissage. En bas du pont, la vue
s'évase sur des prés et des terres cultivables, avant de rejoindre plus loin un autre
rond-point et que la ville reprenne, ou plutôt ses périphéries, faubourgs et villages
mitoyens. Au milieu de la ligne droite, il faut tourner à gauche, s'engager sur le chemin
en coupant la voie d'en face. Il faut être prudent : dans cette zone où l'habitat est
moins dense, les voitures accélèrent toujours, leurs propriétaires sont distraits,
mènent des vies pressées, rejoignent une grande surface ou leur domicile.
Le chemin est goudronné mais étroit. Si un véhicule survient (généralement une
camionnette anonyme ou un fourgon blanc), il faut grimper sur l'herbe pour le laisser
passer. Au passage, on te dévisagera, on se demandera ce que tu viens faire par ici. La
route tourne ensuite à angle droit, sans raison, au milieu des champs. Sur ta gauche, un
peu plus loin, tu aperçois quelques maisons basses et modestes. Il faut continuer à
éviter les trous de la route, zigzaguer face aux flaques et passer devant les grillages
qui délimitent les premières maisons et leurs hangars de parpaings aux toits en
fibrociment. Il faut s'arrêter à la dernière adresse, placer les roues dans les
ornières du bas-côté, faire attention à la boue en descendant de voiture. La grille
est fermée mais on peut manuvrer facilement la tige de fer qui fait office de
fermoir. On te verra peut-être entrer dans la cour, mais on ne dira rien, on se doutera
que tu viens à la salle. Il faut ensuite prendre le portillon de droite qui mène à un
champ, ou plutôt à un reste de potager qui n'aurait pas été entretenu depuis longtemps
(ne pas salir tes chaussures en traversant l'herbe). Tu passes maintenant à côté d'une
épave d'auto de couleur framboise avec des mains appliquées dessus à la peinture
blanche comme le faisaient les premiers hommes sur les parois des cavernes pour célébrer
une magie obscure et des dieux inconnus. Maintenant tu peux rejoindre l'étendue de
graviers qui longe le bâtiment. La salle est à l'étage, sous le toit. On y accède
après avoir contourné la remise et emprunté l'escalier aux marches de fer qui grimpe
raide.
Mais la porte est fermée à clé, il te faudra attendre les participants et l'éducateur
qui emmène le trousseau. En patientant, si le temps est clair et si tu arrives en avance,
profite de l'endroit. Regarde : c'est beau, il n'y a rien qui accroche le regard. Au loin,
seules quelques vieilles fermes rendues aux broussailles, des vestiges de voitures ou
d'engins agricoles, des meubles déglingués, comme si la ville avait recraché sur ses
bords ce qui est devenu usé, inutile, passé de mode, toutes nos traces humaines en
quelque sorte. Il est possible, probable même, qu'un avion de chasse décolle au-dessus
de ta tête avec un bruit d'enfer : la base aérienne est tout près, ça ajoute à
l'ambiance, ça accroche un trait d'union entre la terre qui s'agglutine en mottes
épaisses dans les champs et le ciel aggloméré de nuages denses en hiver.
Un mercredi de forte gelée, il faisait bon attendre sous le soleil, assis sur une table
en carrelage échouée au milieu du rien. Le givre traçait des étoiles sur les carreaux
de faïence, l'herbe était blanche et luisait.
Lorsqu'ils arrivent, on se place au milieu des graviers, on les regarde s'approcher,
ouvrir la grille, entrer dans la cour, passer le portillon du vieux potager, jeter un bref
regard à la carcasse de voiture, te rejoindre. On se salue, puis on grimpe l'escalier de
fer. La salle est grande, meublée de tables et de chaises récentes, il y a un tableau
Velleda sur un mur. On allume les radiateurs, on dispose les tables sur le pourtour, les
chaises au milieu : on va pouvoir commencer. On s'assoit en cercle. Je regarde leurs mains
posées sur leurs genoux, je pense à celles peintes en blanc sur l'épave framboise juste
en bas de la salle. Quelle magie allons-nous inventer aujourd'hui ?
(05/02/2020)
Longtemps que je n'étais pas venu à Paris. La dernière fois, il me
semble c'était pour l'AG de l'AirNu,
le 26 septembre dernier. De même, si l'appartement que je possède en banlieue est très
régulièrement occupé, moi-même je n'y étais pas retourné je crois depuis novembre.
Grand plaisir ainsi à retourner là-bas. Lorsque je suis dans la petite cuisine, je ne
peux m'empêcher de penser à Paul Léautaud : la maison qu'il a occupée est un peu à
gauche ma fenêtre, à moins un kilomètre à vol d'oiseau. Evidemment les bâtiments
m'empêchent de l'apercevoir mais la colline qui grimpe les contreforts de Fontenay me
donne l'impression de la toucher presque. Et à chaque fois, grande envie d'aller lui
rendre visite.
Cette fois-ci je me décide et j'embarque l'appareil photo (voir en Webcam). Je retrouve
facilement la petite rue Guérard, en pente, au milieu de laquelle il faut obliquer à
gauche en direction d'une résidence cossue. Juste à l'entrée du chemin, une stèle
posée par la municipalité rappelle que l'écrivain a vécu ici au N° 24. De fait, il
suffit de tourner la tête à droite pour voir une de ces maisons du XIXème siècle,
petite mais assez harmonieuse, qui tente de boucher un peu la vue à l'opulente résidence
derrière elle. Je connais déjà la maison, j'y suis déjà venu. Cette fois, je suis
surpris de l'aspect pimpant de la demeure dont la façade à visiblement été repeinte
assez récemment. Un véhicule est garé devant, elle est donc occupée. Comme les autres
fois, je contourne la maison pour apercevoir à gauche tout un bric-à-brac de jouets
d'enfants délaissés sur la pelouse. Lorsqu'on contourne la maison dans l'autre sens,
au-delà de la haie d'arbres, on peut apercevoir la façade arrière Rien ne semble avoir
bougé depuis ma précédente visite. Comme la porte d'entrée est entrouverte, je me
décide à pénétrer, histoire de demander au propriétaire de regarder plus
précisément. Mais de suite je me heure à une entrée minuscule, encombrée de
poussettes ou sont accrochées six boites aux lettres. Etant donné la modestie de la
demeure (Paul Léautaud y vivait seul), je me demande comment on a fait pour aménager six
appartements dans un espace aussi réduit. J'en profite pour photographier l'antique rampe
d'escalier qui mène à l'étage et à d'autres logements, en imaginant la main du fameux
Léautaud appuyée dessus avec les marches de bois qui grinçaient sous lui tandis qu'il
appelait probablement l'un des nombreux chats ou chiens qui partageaient sa maison.
En réalité, à part la présence de la plaque, peu de choses rappellent Léautaud à
Fontenay. La médiathèque n'avait aucun de ses livres au moment où j'y suis passé (mais
un des miens !). Il y a tout de même une rue à son nom mais l'établissement scolaire
juste en bas de chez lui se nomme collège des Ormeaux : de quoi demeurer fermé comme une
huître à la réputation un peu sulfureuse du fameux diariste.
(28/01/2020)
François : dans la petite église, quelqu'un dit qu'il n'a jamais quitté
son village, sauf pour ses trois ans de service militaire (Algérie oblige). Quelqu'un
ajoute qu'il a été trente cinq ans conseiller municipal, chargé du comité des fêtes,
porte drapeau aux cérémonies du monument aux morts. Quelqu'un précise encore qu'il a
travaillé jusqu'à sa retraite dans la même usine située à une dizaine de kilomètres
de là. Quelqu'un indique qu'il a été bon mari, bon père, excellent grand-père. Un
autre affirme qu'il aimait aller à la pêche, aux champignons. On lit un mot poignant
écrit par sa fille aînée, alors qu'elle cherchait en vain le sommeil dans la nuit qui
suivit sa mort. Une belle-fille, qui s'est mariée récemment, lit aussi un billet, puis
un des anciens combattants également. Il y a une chorale, des chants. L'église est
minuscule, les portes sont ouvertes et la foule serrée reçoit dans son dos le vent frais
de l'hiver. On invite les participants à bénir le corps. La file bouge lentement, chacun
est encore engourdi par le froid. On sort par les côtés de l'église. François passe
par la porte principale avec la haie des drapeaux, son cercueil porté par ses petits
enfants.
On se retrouve, famille, amis, connaissances. Sur la place qui jouxte aussi la mairie, on
a dressé un barnum pour un verre et un gâteau avant de se séparer à nouveau. On y
échange des nouvelles. Il y a des rires aussi, c'est une famille joyeuse.
La dernière fois que nous nous sommes retrouvés c'était pour le mariage tardif du fils
aîné de François, quelques mois auparavant. Et la belle-fille qui a dit un mot à
l'église, avait aussi enterré sa mère deux jours avant son mariage. C'était néanmoins
très gai et j'en avais fait une note
d'étonnement le 03/09/2019. J'avais revu avec plaisir François à cette occasion :
j'avais discuté avec lui sur le parvis de la mairie, là où nous sommes maintenant.
Je ne sais pas si je peux rajouter grand chose à ce billet : savoir que, comme beaucoup,
j'ai des souvenirs de cueillettes de champignons ou d'asperges des bois avec François,
d'activités bucoliques, de barbecues, de grillades. Ce sont des choses indicibles, comme
l'affection que je porte à cette partie de famille. Quelqu'un a dit qu'il n'avait jamais
quitté son village, François. Tous ses cinq enfants, par le plus grand des bonheurs,
vivent aussi dans cette immédiate proximité et à l'heure où l'aménagement du
territoire (ou plutôt son absence) est édictée depuis la capitale, c'est une vraie
chance, c'est ce qu'aurait dit François..
(22/01/2020)
Carlos Ghosn et Pierre Lefaucheux : l'un possède trois nationalités,
l'autre fût compagnon de la libération. L'un, paraît-il, a gardé en réserve plusieurs
modèle de la Renault Vel Satis qu'il affectionne, l'autre conduisait une Renault
Frégate. L'un est au Liban après une fuite rocambolesque, l'autre est mort dans ma ville
d'un accident de la route dans sa Frégate après plusieurs tonneaux un jour de verglas.
Les deux ont comme point commun d'avoir été PDG de Renault.
Je pensais à Carlos Ghosn et à l'indécence d'une fuite que seul les puissants peuvent
organiser, lorsque je suis passé devant la stèle qui marque l'emplacement de l'accident
de son prédécesseur (stèle si peu voyante qu'il faut vraiment connaître l'histoire
pour s'en rappeler). Pas loin du monument, les gilets jaunes venaient en effet d'installer
un baraquement où, à peine à l'écart du rond point qu'ils occupaient un an auparavant,
ils tentent de retrouver la camaraderie qui les avait unis, faute d'actions concrètes.
J'imagine que peut-être l'un d'entre eux a été voir ce qu'il y avait d'inscrit sur la
stèle voisine, est resté en chasuble jaune bien campé sur ses jambes devant la mention
du PDG mort dont le corps désarticulé avait été retrouvé là.
Et pourquoi j'évoque cette anecdote ? Probablement parce que l'actualité, les
évènements, les faits divers se succèdent à un rythme effréné et finissent toujours
par s'effacer. Lefaucheux fauché ici en 1955 : qui s'en souvient chez Renault ? Et Ghosn
? Combien mettra-t-il de temps avant qu'il ne tombe à son tour dans l'oubli ? J'espère
en revanche que l'indécente retraite de 800 000 euros qu'il compte réclamer en justice,
soit 50 fois celle d'un ouvrier de l'automobile tombera en revanche dans les oubliettes :
quel travail organisé par un aréopage de directeurs peut justifier cela ? Sale temps en
effet pour les PDG, notamment ceux qui fuient devant les responsabilités : au bout de dix
ans le PDG d'Orange, à l'époque encore France Telecom, Didier Lombard ainsi que deux
autres adjoints ont fini par être condamnés récemment à de la prison ferme. Ouf, on
n'y croyait plus.
Le gilet jaune, à présent, est rentré dans sa cabane : il fait froid, camarades,
trinquons, dit-il en levant son verre au destin et à l'espoir.
(13/01/2020)
Bilan des courses 2019, courses à pied bien sûr et pas celles en
supermarchés ou magasins : 815 km de footing, 400 de vélo et 330 de marche, au total
1475 km. C'est bien moins que l'année passée, presque deux fois moins, et la distance
Paris-Moscou que je me vantais avoir effectuée avec mes petits muscles (note d'étonnements du 07/01/2019), s'est
réduite à un Paris-Rome. Mais l'entraînement dévolu au premier marathon (et
probablement le seul que je ferai) que j'avais couru l'année précédente, n'a pas été
renouvelé. Ceci dit, j'ai tout de même couru une moyenne de plus de 15 km par semaine.
La seule compétition à laquelle je me suis inscrit a été la 100ème édition de
Sedan-Charleville, 24 km parcourus à un train de sénateur mais toute de même accomplis.
Ajouter à cela une légère blessure à la cheville et un retour prudent aux petites
foulées, des balades à Cabourg et en Équateur à 5000 m. La déception aura été le
peu d'assiduité en vélo et moi qui espérait rallier Sarajevo en 2020, c'est râpé par
manque d'entraînement. L'innovation aura été tout de même l'acquisition d'un tapis de
course pour Noël qui m'a déjà permis d'accomplir 70km et de garder souffle et jambes
pour des sorties sur le terrain. Lorsque la passion qui me faisait sortir par tous les
temps s'émousse, le tapis de course est un excellent refuge lorsqu'il pleut ou qu'il
gèle dehors : plus d'excuses ! Résolutions pour 2020 : 20 Km de Bruxelles
à
suivre
(06/01/2019)
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