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Notes d'écriture 2006
Remonté, il fit deux mots croisés, découpa minutieusement une réclame des sels
Kruschen qu'il colla dans un cahier déjà rempli de grands-pères farceurs descendant des
rampes d'escalier. Ceci fait, il se lava les mains et se mit au balcon. L'après-midi
était belle. Cependant le pavé était gras, les gens rares et pressés encore. Lui
suivait chaque homme du regard avec attention et le lâchait une fois hors de vue pour
revenir à un nouveau passant. C'était d'abord des familles allant en promenade, deux
petits garçons en costume marin, la culotte au-dessus du genou, empêtrés dans leurs
vêtements raides, et une petites fille à gros nud rose, aux souliers noirs vernis.
Derrière eux une mère en robe de soie marron, bête monstrueuse entourée d'un boa, un
père plus distingué, une canne à la main. Un peu plus tard passèrent les jeunes gens
du quartier, cheveux laqués et cravate rouge, le veston très cintré avec une pochette
brodée et des souliers à bouts carrés. Ils allaient aux cinémas du centre et se
dépêchaient en riant très fort.
Après eux, la rue devint peu à peu déserte. Les spectacles étaient partout commencés.
Maintenant le quartier était livré aux boutiquiers et aux chats. Le ciel, quoique pur,
était sans éclat au-dessus des ficus qui bordaient la rue. En face de Mersault, le
marchand de tabac sortit une chaise devant sa porte et l'enfourcha en s'appuyant des deux
bras sur le dossier. Les trams tout-à-l'heure bondés étaient presque vides. Dans le
petit café Chez Pierrot, le garçon balayait de la sciure dans la salle
déserte. Meursault retourna sa chaise, la plaça comme le marchand de tabac et fuma deux
cigarettes coup sur coup. Il rentra dans sa chambre, cassa un morceau de chocolat et
revint le manger à la fenêtre. Peu à peu, le ciel s'assombrit et de suite se
découvrit. Mais le passage des nuages avait laissé sur la rue comme une promesse de
pluie qui la rendait plus sombre.
La Mort heureuse, Albert Camus * |
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Un peu plus tard, pour faire quelque chose, j'ai pris
un vieux journal et je l'ai lu. J'y ai découpé minutieusement une réclame des sels
Kruschen et je l'ai collée dans un vieux cahier où je mets les
choses qui m'amusent dans les journaux. Je me suis aussi lavé les mains et,
pour finir, je me suis mis au balcon.
Ma chambre donne sur la rue principale du faubourg.
L'après-midi était beau. Cependant le pavé était gras ; les
gens rares et pressés encore. Lui suivait chaque homme du regard avec attention
et le lâchait une fois hors de vue pour revenir à un nouveau passant. C'était
d'abord des familles allant en promenade, deux petits garçons en costume marin, la
culotte au-dessus du genou, un peu empêtrés dans leurs vêtements raides, et
une petites fille avec un gros nud rose et des souliers noirs
vernis. Derrière eux une mère énorme en robe de soie marron, bête
monstrueuse entourée d'un boa, et le père, un petit homme assez
frêle que je connais de vue. Il avait un canotier, un nud papillon et une
canne à la main. En le voyant avec sa femme, j'ai compris pourquoi dans le quartier
on disait de lui qu'il est distingué. Un peu plus tard passèrent les jeunes gens du
quartier, cheveux laqués et cravate rouge, le veston très cintré, avec une
pochette brodée et des souliers à bouts carrés. J'ai pensé qu'ils allaient
aux cinémas du centre. C'est pourquoi ils partaient si tôt et se dépêchaient vers
le tram en riant très fort.
Après eux, la rue peu à peu est devenue déserte. Les spectacles étaient
partout commencés, je crois. Il n'y avait plus dans la rue que des
boutiquiers et des chats. Le ciel quoique était pur et sans
éclat au-dessus des ficus qui bordent la rue. Sur le trottoir d'en face,
le marchand de tabac a sorti une chaise, l'a installée devant sa porte
et l'a enfourchée en s'appuyant des deux bras sur le dossier. Les trams
tout-à-l'heure bondés étaient presque vides. Dans le petit café Chez Pierrot,
à côté du marchand de tabac, le garçon balayait de la sciure dans la salle
déserte. C'était vraiment le dimanche.
J'ai retourné ma chaise, et je l'ai placée comme celle du
marchand de tabac parce que j'ai trouvé que c'était plus commode. J'ai
fumé deux cigarettes coup sur coup, je suis rentré dans sa
chambre pour prendre un morceau de chocolat et je suis revenu le manger
à la fenêtre. Peu à peu, le ciel s'est assombri et j'ai cru que nous
allions avoir un orage d'été. Il s'est découvert peu à peu cependant.
Mais le passage des nuages avait laissé sur la rue comme une promesse de pluie qui l'a
rendue plus sombre.
L'Etranger, Albert Camus * |
Voici une comparaison précieuse à étudier. Albert Camus a souvent
renié La Mort heureuse qui est resté non publié : logique, L'Etranger avait
pris sa place, avec toute l'importance et le succès que l'on sait. On peut ainsi
considérer, tant ces extraits sont proches, que La Mort heureuse a servi sinon
de brouillon du moins d'épreuve pour L'Etranger. J'ai balayé de même ce
premier texte et j'en ai marqué les différences, les ajouts (en italique), j'ai biffé
les expressions disparues, j'ai essayé de me mettre dans la peau de Camus, réécrivant.
En réalité, l'action du texte, qui est une scène de rue, une description très précise
presque à la Claude Simon (on pense aussi à Georges Perec...), diffère très peu et
c'est remarquable. La scène semble être gravée dans le cerveau de l'écrivain. Mais
c'est sans doute plus sûrement la réécriture pointilleuse du texte, du mot à mot qui
donne cette impression. Le changement le plus radical est le narrateur qui devient
"je" et qui rompt avec les canons caractéristiques du récit traditionnel avec
lesquels Camus avait commencé son histoire : récit à la troisième personne (il,
Mersault) et narration au passé simple. La rupture est parachevée grâce à l'emploi du
passé composé. Ce temps du passé, en effet ne réagit pas pareil que le passé simple :
autant une série de verbes conjugués au passé simple indique une réelle succession (il
fit deux mots croisés, découpa minutieusement une réclame des sels Kruschen qu'il colla
dans un cahier.../.... Ceci fait, il se lava les mains et se mit au balcon) autant
la même série au passé composé doit-elle être précisée par des marqueurs temporels
pour donner l'impression de suite chronologique (Un peu plus tard, pour faire
quelque chose, j'ai pris un vieux journal et je l'ai lu. J'y ai découpé
minutieusement une réclame des sels Kruschen et je l'ai collée dans un vieux
cahier.../.... Je me suis aussi lavé les mains et, pour finir,
je me suis mis au balcon.). Cependant, Camus n'abuse pas de ces locutions
complémentaires. L'impression d'actes non concertés, successifs mais ne semblant pas
avoir de liens causals les uns avec les autres est conservé, amplifié même puisque
c'est le narrateur lui même qui raconte, comme "étranger" à lui-même. On
voit bien le virage essentiel de ce nouveau texte avec la version de La Mort heureuse.
Je ne détaillerai pas davantage les ajouts et suppressions mais ça vaut le coup d'y
revenir très en détail, lentement, et de se faire sa propre opinion sur ces différences
de perception ressenties en tant que lecteur entre les deux extraits. On remarquera
néanmoins la disparition de l'embarrassant "Lui suivait chaque homme du
regard avec attention", ce "lui" marquant les limites de la
perception d'un récit classique à la troisième personne où le narrateur, agissant
comme témoin, est obligé de prêter des intentions au personnage... En utilisant une
narration avec "je", en effet, le champ de vision est vécu de l'intérieur, des
yeux même du narrateur confondu avec le personnage, principal de surcroît. Ceci dit, ça
ne change finalement pas grand chose puisque dans La mort heureuse, le parti pris
d'observer le narrateur donnait à voir les mêmes descriptions. Enfin, pour terminer,
ajoutons que pour renommer son personnage Meursault, Camus n'a pas eu d'autres moyens que
d'utiliser une technique de discours, en réalité, un discours rapporté où l'on déduit
son identité dès la troisième page (Il a consulté un dossier et m'a dit :
"Mme Meursault est entrée ici il y a trois ans.".). Cela semble
logique, le récit apporté par "je" s'apparente à un monologue intérieur et
il est rare que l'on se nomme soi-même dans les pensées censées vous traverser...
* Emprunt des textes et concepts linguistiques : Claire Despierres,
Université de Dijon
(20/12/2006)
Je sens un titillement certain du côté de la plume, une prostate de
l'ordinateur portable, une incontinence du traitement de texte. J'ouvre et je referme des
fichiers, je trace et j'efface quelques mots, je me soulage dans des rêves chimériques
et quand je ne dors pas, l'envie me taraude d'inventer des histoires, des intentions de
bouquins, des visions de récits incomparables, des mirages de romans à succès. La nuit
me laisse fièvreux, le jour me trouve pantois. Je cherche, je ne trouve pas. J'essaie de
rallier mes muses, je me lance, je recule aussitôt. Quand ce n'est pas la forme, c'est le
fond qui ne va pas : une histoire trop banale, trop vue, trop noire, trop fleur bleue.
Quant à la forme
Trop intello, trop stylisée. Ou pas assez, trop commune, trop de
mots. Je fatigue, je m'essouffle, je renonce. Je guette l'accalmie, j'appareille, je
m'emballe mais faux départ encore, je rentre au port. C'est pourtant simple : j'aimerais
une histoire qui me plaise, pas trop prétentieuse, originale, un emballement serein qui
me trouverait attablé chaque matin au calme des pages d'écriture. Je voudrais la musique
de suite, un rythme solide, pas trop puissant, léger. Je souhaiterais un ton plaisant,
puissance de l'humour, vérité de l'amour. Aimez-moi, mes lecteurs, aimez-moi ! Et
soyez nombreux en plus ! Je crie mes désirs sur la grève déserte dans le vent mauvais
de l'hiver : las ! J'éternue une dernière fois et je rentre dans ma maison. Je vois mon
bureau, mon ordinateur, mon lit. Je sens un titillement certain et je rêve à
nouveau
(13/12/2006)
En complément à la stylistique, ou plutôt à la linguistique de
l'énonciation, c'est l'idée de récit opposé à celle de discours qui me paraît
intéressante. En effet, ces disciplines tranchent les deux concepts d'une façon abrupte
ce qui en dit long sur la façon d'aborder la littérature et comment, d'ailleurs
paradoxalement, l'idée d'un "nouveau roman" a pu ainsi voir le jour. En
résumé et d'une façon simpliste, un récit sera marqué par les pronoms personnels
troisième personne,récit généralement édicté aux temps du passé. Un discours fait
l'objet d'un locuteur (première personne) qui s'adresse à quelqu'un (deuxième
personne), les temps utilisés sont variés, sauf le passé simple. Ces formes
traditionnelles se sont complétées par celles plus visibles de la ponctuation et de
l'agencement dans la page : c'est comme cela que Daniel Pennac à pu écrire quelques
pages savoureuses sur ces pavés de feuilles où les tirets annonciateurs du discours,
voire même d'une simple mais bienvenue réplique, apparaissaient comme des rivages
d'îles aux navigateurs perdus dans la mer des récits.
On peut ou non se préoccuper de cette différence entre récit et discours. On peut
encore passer outre avec brio et composer un récit qui mêle les deux académismes avec
un égal bonheur, citons Entresol de Vincent Meyer (Editions Maren Sell). Le
rôle du discours apparaîtra alors comme le vecteur de l'action du livre, lui impulsera
son rythme d'une redoutable efficacité. Le "nouveau roman" a rompu avec ces
académismes mais on présente rarement ainsi cette "rupture tranquille" (pour
paraphraser un terme politique actuel...). Pourtant, quand Claude Simon écrit La
Route des Flandres, le discours devient étroitement mêlé au récit. Les
répliques, ressassées, reprises, réagglomérées dans les pensées du narrateur
finissent par s'intégrer étroitement au récit et restent d'ailleurs dans cette logique
descriptive. Idem pour Nathalie Sarraute et ses Tropismes, où le jeu du discours
est évoqué par une troisième personne, comme si le locuteur était témoin de l'action,
donc du discours en train de se tramer. On peut en citer d'autres, Beckett et Mal vu
mal dit rejoint un monologue extraordinaire ou le narrateur élabore son propre
discours.
C'est sans doute cet équilibre qui détermine ma façon d'aborder un livre. J'utilise des
subterfuges qui joueront comme des dissolvants sur la matière récit et/ou discours.
Absence de pronom, donc de parti pris pour Central, indéfinition d'un
"on" pour Composants, discours impersonnels le plus possible pour PPPP.
En ce moment, je sens que l'écriture me taraude à nouveau, qu'elle cherche à se
faufiler entre les récifs du récit et du discours, je ne sais pas encore ce que je veux,
j'en suis à "avant l'intention d'écrire", je sais seulement qu'il me plairait
que ce fut simple à mettre en uvre, aussi actif et direct que puisse l'être un
discours mais aussi réflexif et précis dans la langue que le récit.
(06/12/2006)
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- Jai souvent ressenti toute théorie universitaire des humanités (je préfère ce
mot à la froideur des "sciences humaines ") comme un maniement de concepts
en tous sens, une abstraction difficile à suivre, souvent guidée par un scientisme
hérité du dix-neuvième siècle ou du début du vingtième. Dans cet acharnement
scientifique à tout va, force est de constater quon en arrive toujours à
lexclamation pragmatique : je faisais cela sans le savoir ! En effet, à
théoriser ces justes humanités qui nous guident depuis des lustres (la linguistique, la
philosophie, la psychiatrie, la sociologie sous toutes ses formes, tous ces multiples
machins qui se terminent en " ie " ou en
" ique "), on aboutit à forcement des Monsieur Jourdain. Même
sil faut rester exaspéré devant la prétention dabsolu scientifique qui
préside à ces théories, et ainsi relativiser comme disait Einstein, il faut toujours
garder à lesprit cette conséquence non négligeable qui conditionne notre attitude
devant ces regards particuliers. Car en effet, certaines réflexions nous touchent plus
que dautres. Cest le cas pour moi de la découverte pourtant simple que
" la langue est linéaire ", comme la montré Saussure, dans son
Cours de Linguistique Générale, donc quelle produit du temps. Quelques réflexions
donc peuvent servir de guides et si l'on ajoute à une paire de Saussure, quelques
pensées de Benveniste et autres, on se construit d'utiles références. En effet, simple
comme bonjour est aussi un certain schéma de la linguistique de lénonciation et de
la stylistique et qui mattire de la même façon. Cela peut se résumer en quatre
points et cinq protagonistes : lécrivain invente un narrateur, lui-même crée
un (des) personnage(s) qui élabore(nt) une histoire (diégèse ?) pour un lecteur
fictif désiré par lécrivain (le narrataire) et tout cela aboutit au final devant
un vrai lecteur en chair et en os (et plus il y a de lecteurs, plus lécrivain est
content). Voici résumé la théorie exposée mais qui résume particulièrement bien et
simplement la création dun texte, récit, livre
etc, etc. Cette évidence est
séduisante. Dabord, les relations de cause à effet sont relativement binaires,
fonctionnent en principe dans le même sens et les cinq phases permettent dobserver
les interactions entre elles sans extrapoler outre mesure. Avant de regarder la
réversibilité de cet axiome, regardons justement ces zones frontières du point de vue
de lécrivain (puisque cest à peu prêt le seul regard que je puisse offrir
via expérience certes limitée mais quand même).
Partons donc de lécrivain, inventeur dun narrateur. A ce stade, le choix plus
où moins solide, volontaire dune tonalité ou dun angle dattaque a
déjà été avancé. Ce peut être un incipit définitif, quelques notes, cest
toujours la recherche dune langue particulière, et cest là
quintervient le narrateur comme vision plus ou moins personnifiée de cette langue,
la " voix " de lhistoire qui se met en place. On connaît tous
les dérives qui embrouillent la critique et les lecteurs : faut-il confondre
lhistoire racontée avec celle de lécrivain ? Ce qui pourrait paraître
particulièrement vrai pour lautobiographie. Bien sûr que non : le jeu de
lécrivain est quil nentre jamais dans le " je " et
Flaubert en dépit de ce quil raconte nest pas madame Bovary. Cest à
mon avis la phase primordiale : pas encore un texte, juste une intention
décriture dont il faudra se méfier comme de la peste, lenfer étant pavé de
bonnes intentions, cela sapplique aussi au purgatoire de la littérature.
Bon, le narrateur est créé, la voix est trouvée, mettons. Cette deuxième phase
consiste à mettre en place le troisième larron, encore plus imaginaire que notre
narrateur qui lui découle directement du sang de lécrivain. Le troisième larron
peut-être pluriel et polymorphe : le personnage est joyeux luron ou triste sire,
jolie héroïne ou marâtre de la Belle au Bois Dormant, souvent tous ensemble et parfois
dans un même corps. Plus il sera multiple, plus il y aura dinteraction et plus
lhistoire prendra " corps " justement.
Bien, nous voilà, écrivain, fort avancé dans cette histoire et cest là
quintervient notre quatrième protagoniste, le narrataire, ce fameux lecteur fictif.
Il a la particularité quon ne pense que rarement à lui lorsquon écrit, ce
qui est une grave erreur. En effet, ce petit relais est le pendant du narrateur quon
a imaginé, loreille en quelque sorte, capable de recevoir la petite voix quon
a mise en place. Mais il est surtout le dernier maillon avant celui que nous attendons
tous, placé sur un piédestal, le Lecteur au front béni, notre raison sinon de vivre, du
moins décrire
Et il écoute, ce lecteur, notre narrataire lui raconter
lhistoire telle quil lentend. Alors il convient de sen
soucier : imaginez un écrivain désireux de retracer une ambiance nostalgique,
calme, genre variations Golberg de Bach. Ecrivez un discours, un récit (peu importe) avec
des points dexclamations et le narrataire à qui sadressera aura
limpression quon lengueule ! ! ! ! ! Du coup votre
lecteur aura limpression dentendre Wagner à fond les manettes au lieu
dun interprète solitaire ! ! ! ! ! Lécrivain aura
loupé son passage ! ! ! ! !
Ce raccourci est plus sérieux quon ne pense : en effet, je me suis souvent
retrouvé en face dun éditeur interloqué (léditeur interloqué est un
éditeur qui fait son travail) et qui lui, refait le trajet en sens inverse : il est
lecteur et remonte jusquà votre narrataire pour vous dire à vous, écrivain, ce
que ce lecteur universel risque dentendre à travers un propos maladroit. Sil
est particulièrement perspicace et attentionné (attention, tous les éditeurs ne sont
pas comme cela et tous les écrivains ne sont pas prêt à entendre ces remarques et avis
circonstanciés mais pour moi, cest une qualité précieuse que je recherche et qui
me paraît indispensable) il vous indiquera ce quil faudrait changer. Il remonte
jusquà lhistoire, aux personnages, voire même jusquau narrateur que
vous avez inventé (et là, cest grave, vous avez beaucoup de choses à rectifier,
structure
etc. Etes-vous sûr que vous voulez continuer dans ce projet
textuel ?). Bref, léditeur est en principe le premier, en tout cas le plus
professionnel à reprendre la théorie de la linguistique de lénonciation à
rebrousse-poil.
- Moralité, je suis intimement persuadé que lécriture est en fait la résolution
des étapes évoquées ci dessus mais non pas linéaires et dans un seul sens comme on les
présente, mais plutôt dans une sorte doscillation permanente où lécrivain
se demande sans cesse si son narrateur, sa voix donc, sert lhistoire quil
bâtit et comment cet ensemble devient compréhensible pour notre narrataire
(remarque : il vaut mieux tuer les personnages inutiles dans luf car on
sy attache quand ils poussent, on est comme cela les écrivains, tous fleurs
bleues
). Enfin, notre Lecteur au front cerné de lauriers nous rendra grâce de nos
efforts. Que lon ne se méprenne pas à son sujet dailleurs : à nul
moment je nai écrit que je voulais quil me loue, simplement le but sera
atteint si ce lecteur embrasse lensemble des sentiments que je voudrais que le
narrataire ressente (joie, tristesse, ennui, toute émotion
). Cest à ce prix
que le lecteur ressentira un tout autre sentiment, le plaisir du texte et cest dans
cette optique que Roland Barthes me semble-t-il lavait compris.
(29/11/2006)
On peut utiliser Internet de différentes façons. Les écrivains qui s'y
sont mis assez tardivement via les blogs ont cette image d'un journal moderne,
impressions, actualités, étonnements dans l'ordre chronologique de l'apparition. De cet
angle d'attaque découle souvent des créativités surprenantes et vigoureuses, des
"Espèces d'espaces" et des "Penser/classer" que n'auraient pas renié
Georges Perec (qui sait ce que ce dernier aurait pu faire grâce à Internet d'ailleurs).
Ainsi le très beau site des Corps empêchés
d'Emmanuelle Pagano, par exemple.
Ceux parmi les plus anciens, avant l'apparition des "fabriques de blogs", ont
accompli la démarche inverse, le classement de la matière écrite devenait tributaire
des logiciels de production de pages web, obligeant à une architecture, certes
souple, mais réfléchie au préalable. Ainsi ont travaillé les précurseurs célèbres François Bon et Philippe
de Jonckheere dans le souci d'arriver à des structures les plus ouvertes possibles.
Si la logique d'accumulation demeure qui est l'essence même de la "linéarité du
langage" (Saussure, Cours de linguistique générale, la base...), ces sites
se sont souvent renforcé de blogs à l'intérieur même de leur structure et aussi (pas
seulement heureusement) de la matière qui alimente ces blogs, actualités personnelles,
journaux...etc. Le souci du renouvellement permanent, de la matière vivante du web comme
une peau sans cesse en recomposition, a prévalu dans ces modèles remarquables. Remue.net est ainsi exemplaire : le site n'a plus rien
avoir avec celui qui existait il y a quelques années sur tous ces aspects, techniques,
éditoriaux et aussi structurels dans un perpétuel renouvellement. C'est parfait, c'est
l'idéal pour rester en éveil face à la littérature.
Feuilles de Route, à côté, fait figure de dinosaure. Sa peau se renouvelle à
la lenteur d'écailles de sauriens. Le site n'a pas dû évoluer depuis plusieurs années
et le fonctionnement du moteur à trois temps qui a prévalu à sa création voici six ans
(le triumvirat des rubriques étonnements, notes d'écriture et de lecture) continue
cahin-caha à la vitesse d'une deux chevaux. Je suis en face de cette machine hors d'âge
avec la même sensation qu'un curé de campagne : tant que ça avance... Je pourrais
changer le moteur, on me parle parfois de spip, de trucs techniques et de logiciels sans
doute idéaux et qui apporteraient certainement des perspectives nouvelles à ma création
sur le Net. Et c'est vrai qu'il faudra que j'y vienne, mais je n'y vois pas l'intérêt
pour l'instant. Car en attendant, j'ai surtout très peu de temps à consacrer à ces
gouffres d'heures que l'informatique engloutit, hormis l'écriture et la publication de
mes petits articles poussifs chaque semaine.
Ce tableau est volontairement brouillon et gribouillé : je ressemble ainsi dans ma
surdité à l'un de ces paysans matois qui feignent d'ignorer le progrès urbain... Car en
réalité j'arrive toujours à composer à peu près avec une créativité, du moins il me
semble, qui me paraît essentielle, celle de rechercher en permanence autre chose de ce
qui ne constituerait qu'un journal de bord, un blog, bref, la recherche d'une véritable
écriture spécifique à Internet. Ainsi le texte que je propose cette quinzaine, ce
récit d'une balade ardennaise sur les traces d'Arthur "Rimbaud,
dans l'affection et le bruit neufs", cinquante photos dispersée en deux
épisodes. Quand j'y réfléchis, c'est assez souvent que je trangresse le ronron du
moteur à trois temps par des textes de types Feuilleton qui peuvent prendre des formes
diverses, soit des pages spécifiques (comme celle de Rimbaud, comme Langres s'use, via mon antique générateur Front Page
de création de pages Web), soit des blogs créés pour l'occasion comme pour le texte à venir en mars prochain ou le récit d'un
atelier d'écriture par exemple. Mais pour en
revenir à ce "Rimbaud", il me paraît assez refléter une part de création,
d'atelier, de table de travail, toute une cuisine laissée à voir dans ces aspects les
plus édifiants que seul Internet permet de transcender via l'ajout de photographies, la
tentation du texte sous-jacent qui s'élabore. Ainsi, celui-ci prend-il toute sa
réflexivité dans l'illustration des paysages, coins de rue, squares qu'aura connu
Rimbaud, donc à travers sa propre prose, mais aussi dans la sensation et l'émotion qu'un
tel périple m'aura inspiré. Encore fallait-il faire cohabiter les deux écritures et
c'est ainsi que mon sous-texte, apparaît volontairement diminué, peu lisible et
éclairci en regard de celui du poète. Seul Internet permet ce type de parution, de
chantier du moins avec cette facilité.
Et tout ce qu'il me semble être important ne réside pas tant dans la difficulté
technique, la prouesse esthétique, (on aurait pu faire apparaître citations et
photographies de façon plus actives et seyantes à l'exemple du très beau site consacré à Rimbaud) mais dans la logique
d'accumulation qui réside après tout cela : 300 000 km en deux-chevaux ou en Ferrari
importe peu, l'important est d'avoir traversé l'espace.
(15/11/2006)
La guitare de BB King s'appelait Lucille, la mère de Jimi Hendrix aussi
mais moi, c'est ma fille qui se prénomme ainsi, avec un seul "l" cependant.
Anecdotes, anecdotes, mais force est de remarquer que, côté guitare, et depuis tout
petit, j'ai toutes les cartes en main cela pour composer une histoire, que dis-je, une
véritable légende, (si, si, voir en Etonnements). Et comme j'ai découvert que j'avais
de la famille côté paternel, émigrée des plaines slaves du Danube lors de la dernière
guerre vers Chicago ou au Texas, voire même en Alaska et au Canada (une tante), ces hauts
lieux de musiques country, mélanges cajun mâtinés de balalaïka et d'accents tziganes,
confirment bien mon goût du blues ont fini par légitimer mon désir d'acquérir
l'instrument tant rêvé, une "six cordes" électrique de marque PRS avec deux
micros humbucking à double bobinage, les mêmes que ceux des Gibson (marque fétiche de
BB King) ajouté de l'indispensable ampli Fender à lampes véritables pour obtenir un son
chaud et authentique.
Encore faut-il en jouer... Bref, après une période de jardin d'acclimatation, le
quadrupède a fini par dérouiller ses doigts sur les standards ses Stones en premier et
de Jimi Hendrix de l'autre. La parenté est évidente, l'homme descend du singe et du
blues, Keith Richard brutalement d'un cocotier il y a peu (les spectateurs du concert
annulé s'en souviennent), mais l'homme à la Gibson Lespaul avec Jimi et sa Fender
Stratocaster sont brothers. En réalité, leur musique est simple, pas besoin de
connaître douze gammes de solfège pour jouer. Tout au plus apprend-t-on que la gamme
pentatonique est celle du rock'n roll et encore ça ne nous aide pas beaucoup. Le blues
est une musique de feeling (good de préférence). Je connais parmi mes très proches deux
musiciens, de ceux capables de poser n'importe quelle partition devant eux et de vous
jouer une pièce de piano, un mouvement de violon ou le concerto d'Aranjuez avec autant de
simplicité et d'évidence que lorsque je lis une page de Claude Simon ou de Samuel
Beckett et la preuve m'en fut apportée lors du solo de Keith Richard de Sympathy for the
Devil où la partition fut jouée par l'un de ces interprètes sans anicroche (mais avec
force doubles croches), alors qu'il m'est incapable de reproduire le machin sans l'avoir
appris d'oreille. Donc, très justement, c'était propre mais, comment dire, exécuté
avec un tempérament de lecteur (d'auditeur ?) alors que ce qui m'intéresse, c'est de
rentrer dans ces tranches de rythmes avec des sensations d'écrivain (de musicien ?). Et
c'est bien tout l'enjeu de ce qui pourrait apparaître aux yeux de certains comme une
lubie de plus, un vieux rêve d'adolescent attardé qui se réalise : en fouillant les
accords et notes du blues, c'est exactement la même sensation d'écriture que je
retrouve, le même processus. La rythmique en fond comme la petite musique que fait un
texte qui démarre bien, des phrases hésitantes et des notes bleues car, comme dans toute
écriture ce sont les imperfections de grammaire et de style qui accrochent l'âme.
Et de même que je suis persuadé (je l'expérimente même en ce moment) qu'il n'est point
besoin d'apprendre la littérature pour écrire, la connaissance et la technique musicale
m'apparaît dans l'instant superflues, voire gênantes. Je dis bien dans l'instant car, à
l'instar de Jimi l'autodidacte, déjà consacré Roi de la guitare et qui voulait
continuer apprendre la musique auprès des musiciens de jazz, je conçois qu'on se trouve
bloqué à un instant ou à un autre et qu'il faille un petit coup de pouce, de même
celui que je m'inflige celui-ci à travers des études de lettres modernes.
Mais en attendant, c'est bien le blues dans sa spontanéité qui m'intéresse car il
correspond aux thèmes que je recherche dans l'écriture, la réalité, le manque de prise
qu'on a sur nos vies, l'ambiguïté du désespoir dans l'humour, la générosité. Tout
cela doit bien finir par se rejoindre, n'est-ce pas, brothers and sisters ?
(08/11/2006)
Où écrire ? Ce pourrait être la question initiale alors que je
mapprête à renouveler mes congés formation, donc à retrouver pour
lessentiel mon bureau style Louis XVI, merisier chaud et onctueux. Le boulot
intermittent (disons que pour simplifier que je suis pour linstant un intermittent
du spectacle du travail) et qui ma tenu les six mois précédents ne maura pas
permis décrire sur mon lieu de travail, trop dérangé, trop absorbé au point
quen revenant le soir, il me devenait quasi impossible de commencer une page dans
ledit bureau. Donc lendroit importe peu finalement, cest la disponibilité de
la tête qui constitue le principal lieu décriture. Et cest sans doute pour
cela que je mencombre à remplir ma tête de choses en apparences inutiles ou sans
grand rapport avec linspiration. Par exemple, le récent atelier décriture de
Dole tout juste terminé et qui ma pris du temps, des lieux, des trajets maura
finalement tellement agrandi ma tête que lespace disponible sen trouve
décuplé et à remplir sans doute ultérieurement. Et cest de la même façon que
jai été amené très récemment à annuler un autre atelier au dernier
moment : quelle perspective moffrait-il dans ce rapport temps employé à
celui-ci et ouverture desprit ? A savoir que louverture est pour moi
directement liée à ce que je peux apporter autre quune animation de style club de
loisirs, mais une question de survie comme il ma semblé apporter aux patients du
CHS : ce doit être, non pas mon côté boy scout mais plutôt moniteur de secourisme
qui transparaît. Donc en déclinant le superflu, jouvre encore plus lespace
de ma tête. Je continuerai à la remplir de choses inutiles paradoxalement dans
lattente confuse de ce que ça mapportera, à savoir cette dernière année de
licence, la découverte plaisante de loption du livre illustré période 1820-1870,
le navrant rigorisme universitaire sur Claude Simon au programme cette année, la
continuité de la linguistique, stylistique, latin, matières plus ou moins
superfétatoires. Mais bon, souvrir la tête, la remplir, la déverser sur le bureau
en merisier ou ailleurs, où écrire dans ce rapport indissociable avec la matière
brutale, anguleuse de la langue fourchue de la bouche, la vipère du temps qui serpente,
oui, où écrire et quoi ? Quelle obsession...
(01/11/2006)
Le dix huit septembre dernier, le compteur de mon site a sonné les six
ans d'existence de Feuilles de route. Cent vingt mille visites, six cent cinquante quatre
fichiers répartis dans trente méga de mémoire, c'est bien l'accumulation que je
cherchais et encore est-elle petite et réservée uniquement aux images et textes, sans
communes mesures avec les sites multimédia de François
Bon ou Philippe de Jonckheere, voire même des
blogs récents qui ont du dépasser en un an ce que j'ai entassé en six. Peu importe, il
reste des belles surprises, comme cette collègue de travail qui découvre Feuilles de
route en tapant "grues cendrées" dans un moteur de recherche (coucou
Jocelyne...), ou comme mon épouse qui arrive par hasard sur mon site en essayant de
retrouver la nouvelle adresse de son luthier...
Anniversaire, donc, le sixième. Je fête cela à la manière des supermarchés qui n'en
finissent pas de déployer leurs papiers envahissants dans ma boîte aux lettres et chaque
semaine leur fournit l'occasion d'un happy birthday en lettres multicolores : les dix ans
du rayon charcuterie, les vingt ans du parking, les soixante ans du PDG. L'année
dernière, j'étais plus en avance (note d'écriture du 14/09/2005) mais en retard d'un
jour puisque c'est bien le 13 septembre que l'idée saugrenue a pris corps. Voyons. A
l'instar des supermarchés, que pourrais-je offrir en promotion, en tête de gondole ? Une
réduction sur mes livres n'est pas possible ((aparté : n'osant
répondre non à la question qu'on me pose parfois (ah, tu écris des livres ? Je pourrais
en avoir un ? en payant bien sûr -quelque fois, cette dernière remarque n'arrive
même pas, tant mon interlocuteur est persuadé que notre connaissance commune l'un de
l'autre, parfois très superficielle d'ailleurs, dispense de toute relation d'argent entre
nous-), il m'est déjà arrivé d'en commander dans mes librairies préférées - pas les
chaînes du web, ni les FNAC - sans recourir à la possibilité de les avoir moins chers
chez l'éditeur, histoire de respecter la chaîne de distribution du livre))
, il me faut donc chercher d'autres pistes de promotion. Ma
considération et mes remerciements envers les cent vingt mille visites qui ont eut
lieu depuis six ans, même si elle est réelle et sincère me semble insuffisante d'un
point de vue Marketing. Voyons, j'ai pourtant exercé ce métier dont les rouages ne
devraient pas avoir de secret pour moi. L'information en avant première des parutions qui
entrent automatiquement dans les sujets abordés au fil de l'eau ne constituent pas une
bonne idée non plus. Les regards sur ma vie intime et trépidante qui transparaissent
parfois ont un goût d'autosuffisance et de voyeurisme trop prononcé. Non, il me faudrait
quelque chose d'original, de modeste, de fleur bleue, de banal : faites moi un signe ici, je vous répondrai avec plaisir.
(04/10/2006)
Elle a appelé exactement au même lieu, à Chaumont, un an après avoir
refusé la précédente version (voir note d'écriture du 28/09/2005). C'est le même lieu
qui m'a surpris : on y vient rarement, c'est un de ces petits bâtiments techniques que la
miniaturisation de l'électronique et les réorganisations de service ont vidé de leur
personnel. Il reste juste une poignée d'irréductibles et je crois me souvenir que
c'était déjà pour la même personne que j'étais venu l'année passée, je n'y étais
pas retourné depuis. J'avais écrit mon enthousiasme à l'époque, cette énergie que
provoque l'animation des réunions ou des rencontres que l'on provoque pour le boulot. Je
devais avoir aussi la perspective identique du congé de formation qui approche bientôt,
l'exaltation du temps disponible à venir qu'on imagine faussement plus libre, par contre
réellement dévolu aux études et à la littérature dans son entier. Cette année c'est
pareil, cela va se renouveler.
La seule différence entre ces époques et le lieu similaire est que la version nouvelle
du texte a convaincu : "Un soupir de contentement à la fin de ma lecture",
dit-elle quand je l'a rappelle. Je me suis toujours demandé ce qu'éprouvait un éditeur
à la lecture d'un manuscrit qu'il attend. Soupir de soulagement, peut-être s'apercevoir
que ce que l'on espérait aboutit enfin. Tant mieux. Le texte en question est celui du blog d'essai bien sûr, celui qui me tient depuis
avril (le texte pas le blog) et que je viens de clôturer (le blog, pas le texte) la
veille même de son appel. Etonnant, non ? Je me souviens de ce repas au printemps avec
les deux éditrices, notre enthousiasme devant de nouvelles idées sans même réaliser
que celles que nous avions eues me conduisaient à bâtir un récit entièrement nouveau.
Ce fut fait et rapidement, heureusement. J'ai eu la chance de trouver de suite le ton
juste, enfin j'espère. Les corrections qu'elle m'annonce quand je la rappelle sont
finalement assez légères. Je me suis installé dans la voiture en bas du parking pour ce
coup de téléphone. Je déballe mon agenda pour prendre des notes et m'aperçois que le
critérium Waterman qui me suis depuis des années n'est plus dedans. Je remonte dans le
bâtiment et le retrouve glissé sous une table de la salle de réunion. Bon signe du
destin pour un superstitieux comme moi. Je retourne à la voiture et compose son numéro
sur le portable. J'ignorais qu'elle énumérerait de suite la liste des principaux
aménagements à apporter au texte. ça dure une demi heure et j'annote les deux pages
libres du week-end de mon agenda de travail. Il fait chaud, je baisse la vitre, la remonte
sans cesse à cause du bruit de la circulation. Je suis attentif : j'aime ses corrections
précises et l'élan qu'elle sait donner, la compréhension juste et dosée qu'il faut
apporter. Parfait, plus qu'à s'y mettre. Nous convenons d'un rendez-vous à Paris.
Puis en sortant de Chaumont, je fais un détour sur les traces de mon enfance et de
mes grands-parents paternels. Cette courte virée était prévue, ce sera sans doute
quelques mots à venir, peut-être d'autres pages à écrire, des photos aussi. Dans la
voiture, tout se bouscule, la date à respecter, aux alentours du premier novembre, pas
plus tard si l'on veut respecter les délais de l'édition. Et puis le souvenir encore
frais du central de Chaumont, quasi abandonné comme à Saint-Dizier.
Et je reviens au texte qui m'aura occupé cinq mois dans cette version nouvelle, c'est peu
mais il faut compter les atermoiements du premier récit, celui qui n'avait pas convaincu
ici même, il y a un an. Et je reviens au central, les deux photos prises, l'autre texte
qui était en cours d'ailleurs, je le cite dans ma note du 28/09/2005. Envie dans parler
en Webcam, rapidement, d'un trait, citer les passages du texte
d'ailleurs toujours en instance, en chantier. Et revenir à celui terminé qui l'a doublé
en quelque sorte. Et rouler encore sur les petites routes désertes, chemins de mon
enfance en pensant à tout cela, au boulot, à ses drames (voir en étonnements cette
semaine). Bousculades, les textes, le boulot, celui qui travaille, celui qui écrit, celui
qui se souvient. Enfances, présents, avenirs, bousculades.
Le lendemain, à six heures je m'attable à ce même ordinateur pour commencer les
premières rectifications du texte achevé avant de retourner au boulot.
(27/09/2006)
Petit point sur l'écriture en ces moments de rentrée. Les projets en
cours s'affinent. L'objectif prioritaire de terminer le texte commencé le 26 avril à
Saint-Dizier a été atteint le 15 août en Sicile, à raison de deux ou trois heures
d'écriture par jour de vacances. Trois mois et demi pour un texte de la grandeur de PPPP.
Cette rapidité s'explique par un premier texte déjà constitué, réfléchi plusieurs
années auparavant. Il n'empêche que la réécriture est totale : c'est bien un livre
radicalement différent, une autre histoire qui s'est constituée. Je mets aussi fin à ce
blog là
qui tentait de suivre au jour le jour la genèse de ce premier jet. Cette expérience ne
m'aura pas convaincue, je l'avais limitée le temps d'un été, mais même dans cette
brièveté, j'aurais aimé suivre vraiment en parallèle l'écriture, donner à voir ce
que je ressentais. Je n'ai pas eu le temps de m'appesantir sur mes réactions, cela aura
été vraiment de l'écriture dans toute sa brutalité, sans réflexion presque. C'est un
peu décevant, j'aurais aimé prendre plus le temps, m'attacher à la langue et que ma
langue m'attache plus. Reste les corrections qui tardent mais vont venir : la parution est
prévue pour février, je mettrai un dossier en ligne, dévoilerai le mystère vers la fin
de l'année, révèlerai peut-être d'ailleurs la première version. On verra.
Bizarre tout de même, cette époque bousculée, trois notes d'écriture en trois mois, il
est évident que le temps me manque. Le boulot nourricier m'a accaparé comme jamais, des
collègues, des présences sans cesse autour de moi toute la journée, pendant midi aussi,
pas un instant pour rêver, me laisser aller dans l'autre monde. Je réalise combien cette
épreuve a été difficile, à compter les jours qui me sépare de novembre, bientôt
novembre et date à laquelle je réitère un congé de formation de six mois pour terminer
la licence en cours, plus si affinité comme on dit avec l'écriture. Car dans la
précédente et similaire période, beaucoup de projets sont venus compléter le temps
libre, qui d'ailleurs ne l'était plus du tout au final : ateliers à Langres, visite à
Clermont (et bonjour affectueux à Vincent et Françoise, s'ils me lisent !), atelier à
Dole qui va se terminer et combien ce dernier aura été important
pour moi, au point que j'ai eu vraiment à cur qu'il continue. Dans un mois et demi
maintenant, d'autres projets viendront s'ajouter aux dernières corrections en cours pour
le texte de février : un atelier dans ma ville et combien le parcours initiatique de cinq
heures aller et retour pour aller à Dole va me manquer, même au delà de la fatigue et
du temps qui file avec la voiture et l'autoroute. Je suis un grand voyageur, comme mon
père fut chauffeur routier. Mais enfin, d'autres visions, d'autres enthousiasmes sans
doute sont à découvrir. Et reprendre encore et toujours le fameux CV roman, ajouter
d'autres versions à cette arlésienne de livre, ne pas décevoir mes groupies (selon le
terme utilisé par Anne-Marie !). Me dirigerais-je enfin vers une parution programmée ?
Histoire de corser le tout, mon patient éditeur change aussi de maison, le contrat va
t-il suivre ? Rester ? Où vais-je ? Ah là là, que de moments passionnants encore
en perspective...
(20/09/2006)
Bon. Je ne voulais pas écrire. Pas le temps (ni le temps - voir en
étonnements). Je voulais filer à l'anglaise, partir en vacances, ne rien raconter avant
mon départ. Mais on ne part jamais sans rien dire, ne serait-ce qu'accrocher un mot à
l'attention du boulanger "pas de pain jusqu'à nouvel ordre" ou quelque chose de
ce genre. Donc je pars et je le dis : rendez-vous vers les derniers jours d'août. C'est
la première année où je sens que j'ai été vraiment dépassé par le temps, d'où
cette envie de partir vite, vers un nouveau rythme et d'anciens retards à combler.
D'abord l'écriture, le blog d'essai a continué et s'achemine vers une vingtaine
d'articles, il retrace le projet en cours et le but premier de ces vacances sera d'avancer
vers l'échéance du premier octobre, date fixée pour la remise du manuscrit. Et c'est
sans compter qu'il reste à peaufiner l'autre projet entamé depuis deux ans et la
discussion avec l'éditeur laisse à imaginer que cet élaboration patiente n'est pas
terminée. Ce sera une des grandes découvertes d'écriture de ces derniers mois
(années...) : à savoir qu'il existe des livres à écrire au long court, des cargos
voguants dans des mers remuantes, des coursives infinies à parcourir. D'autres récits
sont plus faciles. Celui qui va le doubler est un voilier de course, plus simple à
manuvrer. Et tout cela cohabite dans nos têtes sans trop de problèmes.
Comme cohabitent toutes les aventures connexes de nos vies. Pas le temps là non plus de
tout raconter. Je voulais filer à l'anglaise, j'étais il y a dix jours à Liverpool.
Trouverais-je un jour un peu de temps pour montrer quelques photos (ah, si, voir en Blog
à l'essai, seulement deux). Je voudrais aussi monter une page d'autoportrait. Le dernier
en date est cet après-midi : mon pied par la portière de la voiture, j'ai toujours eu
une conduite décontractée. On verra pour cette page à la rentrée peut-être.
Connexes à l'écriture aussi, c'est l'atelier de Dole qui continue : déjà la treizième
séance. Et le parcours en fac qui s'achève pour cette année. Il me reste deux épreuves
à passer en septembre avec cette étrange et sans doute stupide fierté d'être un vieil
étudiant, et de me conforter au conformisme confortable des forts en concours
universitaires. Pourquoi ? Pas trop le temps d'y réfléchir, là non plus, on verra cela
plus tard. Plus tard, Plus tard. La rentrée. Qu'est-ce qui changera vraiment ?
(26/07/2006)
Un blog dessai pour lété : déjà 12 articles, essayez
de le suivre, suivez vos commentaires. Le premier, j'en suis fier, c'est Emmanuelle Pagano (le Tiroir à Cheveux, POL,
note de lecture du 28/09/2005).
(21/06/2006)
-
-
- Finalement, l'été approche même si le temps reste frais. L'année précédente,
j'avais proposé un feuilleton Langres s'use, histoire de
marquer ce changement de rythme, soirées plus longues, la vie dehors, des voyages,
changements d'horizon. Cette année, la mesure de l'été sera autre : c'est un blog qui
va compléter les notes de cette rubrique sans forcement les remplacer. Il concerne un
travail d'écriture en cours : je vais donc revenir plus franchement à une
"tentative d'exposition", ce qui demeure la préoccupation principale de ce
site. Ce sera une sorte de double de ces notes d'écriture. En effet, le blog dans sa
facilité de publication me permettra de publier quelques réflexions d'une façon plus
libre, plus réactive mais avec aussi tous les aléas que cela comporte, en particulier
l'irrégularité (irrégulier, il l'est déjà puisqu'il est ouvert depuis une quinzaine
de jours). C'est une sorte d'essai, il s'appelle d'ailleurs comme cela, de même qu'il
nous arrive parfois de nommer ainsi un fichier, une transaction informatique hasardeuse.
Essai, expérience, expérimentation, ébauche, esquisse. Des annotations, commentaires,
notules vont l'alimenter en parallèle de la rédaction du texte prévu qui continuera de
s'accumuler la plupart du temps dans les débuts de journée que j'affectionne, ces
aurores que j'espère lumineuses, éveillées de chants d'oiseaux et qui me jettent à la
table de travail dès potron-minet.
L'entreprise est déjà balisée par le temps, c'est là sa contrainte. Le projet a
débuté en avril, le 26 précisément (je tiens beaucoup à cette date) et prendra fin à
l'automne. C'est une course contre la montre : il faut écrire un livre pendant ce laps de
temps. Ce bouquin raconte une autre course contre la montre, où plutôt deux qui se sont
réellement produites, chose incroyable, dans le même laps de temps, la même période de
l'année. Je me retrouve ainsi placé sur le même pied pied d'égalité que mes
protagonistes : vais-je terminer à temps ? Comment réagit-on quand on tente de
réécrire une seule histoire et deux actions dans un espace temporel parallèle ?
Mes explications sont volontairement confuses : je crois que c'est la distance qu'il me
faut pour donner à voir, pour tenter d'exposer mon travail littéraire.
Suivez-moi là ...
(06/06/06)
-
- Je reprends à nouveau le thème que javais abordé la semaine dernière sur
labsence de suivi de ces Notes décriture. En réalité, jai eu
limpression davoir peuplé ces derniers mois de suffisamment de travaux en
rapport avec la littérature pour ne pas culpabiliser sur un quelconque relâchement. Oui,
je ne livrais pas assez matière à réflexion sur ma propre cuisine, puisque cest
le but de ce site depuis lorigine (exposition du travail littéraire à la vue de
tous) mais en même temps, javais bonne conscience : ateliers, livre en cours
dans son élaboration régulière. Je me demande cependant si ce manque de régularité de
ces notes nest pas un prétexte à entériner la fin de la crise littéraire (donc
existentielle, puisque je fais de la littérature une question de vie ou de mort) et qui
ma taraudé pendant deux ans. Le fait de ne pas trop en parler au fil des jours est
révélateur comme si la patiente élaboration séchevelait, se perdait dans ces
méandres dhésitations. Et si je métais trompé sur le livre que jai
patiemment élaboré ? Et sil nétait quun livre " de
passage " entre deux romans comme le fut en son temps Trottoirs et
potagers ? Jai finalement peur davoir consacré autant de temps et
vingt versions à ce livre pour rien. CV roman, puisque cest de lui
quil sagit, me semble essentiel dans son thème, mais est-ce que je ne fais
pas mien le problème social de lemploi commun à tout le monde, au point de le
confondre avec ma propre préoccupation, et ce, à travers le filtre de la
littérature ? Ou peut-être que le rôle des écrivains est de sentir confusément
lévolution de ces problèmes sociaux ? Le sujet de CV roman
lemploi, la difficulté des choix professionnels que lon doit faire percute
évidemment avec ma propre expérience et ma reprise du travail montre ces évolutions
constantes dont la vitesse est largement supérieure à celle de lécriture
dun bouquin. Cette appréhension globale pourrait se résumer ainsi : CV
roman me semble " daté ". Et une question sous-tend cette
impression : est-ce quil ne va perdre de sa vigueur au fil des mois ? Ne sera
til pas obsolète au moment de sa parution, si édition il y a ?
Jai fait un roman sur un thème qui appelait un essai. Lessai aurait été
plus facile car péremptoire et reflet dun moment donné. Un roman se doit de
traverser une étendue temporelle plus importante il me semble. Pourtant le choix est
catégorique : cest bien le genre du roman qui est la base de la compréhension
du monde, jamais les essais. Jen suis persuadé et cest bien pour cette raison
que je tente de lappliquer aux sujets qui me taraudent habituellement, comme le
travail. Quant au résultat, des doutes me traversent dautant plus que je trouve
encore inabouti à la relecture de la vingtième version de CV roman, que je trouve
touffu au moment de lenvoyer à léditeur : on se demande où je
veux aller où du moins cest la crainte que jai. Mais il ne faut pas que je
réfléchisse davantage, il faut que je men sépare auprès dun tiers pour
quelque temps : il me semble que cest là un des rôles les plus important des
éditeurs, être tiers de confiance en quelque sorte.
Je me pose toutes ces questions sans doute parce que le nouveau livre que
jai entrepris, avec un thème plus facile et dynamique, tend à discréditer le
précédent roman tout juste terminé. Et le précédent mapparaît donc tel que je
lai dit plus haut, dans son éventualité de nêtre quun livre
" de passage " entre deux romans. Un livre chasse lautre ou
bien, pour parodier la SNCF, " Attention avant de traverser un récit peut en
cacher un autre ".
(17/05/2006)
- L'actualité des notes d'écriture ne suit pas son chemin. Initialement créées pour
donner un aperçu de la table de travail de l'écrivain en perpétuel mouvement, elle
semble donner lieu à un immobilisme : neuf notes depuis le début de l'année et encore
faut-il compter dedans celles attribuées à d'autres, quelques réflexions sur
l'écriture de René Fallet et les lettres du voyant recopiées de Rimbaud. Pour autant
l'immobilité est toute relative. L'atelier de Dole, notamment,
occasionne une des facettes les plus intéressantes que j'ai eu à creuser dans ce statut
d'écrivain et me donne un travail assez conséquent, prenant et régulier. Cette
impression d'immobilité est peut-être due parce que les travaux d'écriture se sont
polarisés sur un seul texte depuis dix huit mois. Le sujet, pensé, repensé, rebattu,
grossi, devenu familier, se heurte à son épaisseur, à la difficulté d'appréhender
totalement cet OVNI littéraire. Pourtant, force est de constater que j'ai accompli ce
qu'il me semblait important de faire en novembre, dés que j'ai pu avoir un peu plus de
temps libre en raison d'un congé formation, à savoir, reprendre, étoffer et terminer un
deuxième jet de ce roman des CV. C'est fait depuis le 19 avril, avec ce soulagement que
cette version me semble plus complète que la précédente, plus baroque aussi mais c'est
le sujet qui le veut. Je pensais donc pouvoir reprendre plus tranquillement le chemin de
mon travail puisque mon congé formation touche à sa fin.
Il me reste pour autant à peaufiner cette version, disons à en retirer les échardes et
à raboter quelques planches avant de remettre cet engin à l'éditeur. A peine terminé,
finalement cest se rendre compte avec surprise du peu de poids, du peu
dimportance donné à ce travail, comme si il fallait s'en débarrasser au plus
vite, le donner dans létat dinachèvement presque, encore chaud, entrailles
palpitantes et quon en parle plus : dix huit mois de ma vie décriture
Jai cette impression, à la fois car je ressens une lassitude, une indigestion due
au manuscrit remâché, mais surtout aussi parce quun autre livre se profile déjà,
non pas dans un horizon lointain, mais là, devant ma porte, frappant dimpatience.
En effet, j'aurais pu croire que cette vie d'écriture pouvait continuer dans le classique
cheminement des corrections du livre en cours mais c'était sans compter un de ces coups
du sort que vous révèle le hasard : un livre, non pas un nouveau, mais un qui refait
surface, qui repart à neuf. Et bien entendu, on oublie tout le reste, on se jette sur les
feuilles à écrire avec l'appétit habituel. Le temps qui m'est imparti pour le refondre
est court, une poignée de mois mais cette frénésie me semble comme une respiration au
grand air après la brasse coulée du livre précédent. Ne croyez pas que je dénigre le
cadavre encore tout chaud du manuscrit précédent et même pas encore remis : j'ai trop
travaillé dessus, trop donné pour le délaisser, il qui poursuivra son chemin
pareillement, en parallèle, c'est un cargo tranquille, je l'ai déjà dit, solide,
imposant et important. Je vais le relire et le remettre, non pas comme une version
définitive, il y aura encore beaucoup à refaire sans doute mais j'ai besoin du regard de
l'éditeur avant de le reprendre.
Tout cela sera à suivre, donc en notes d'écriture bien entendu si toutefois le temps, le
foutu temps laisse une part à Feuilles de Route, ce qui me semble bien aléatoire
J'ai écrit en effet que je pensais reprendre plus tranquillement le chemin de mon
travail, la reprise a maintenant eu lieu et cet espoir débonnaire est déjà hors jeu
(voir en Etonnements
).
(10/05/2006)
Comment écrivons-nous par rapport au narrateur ? Quelle position
géographique adoptons-nous ? Quelle proximité ? J'ai toujours l'impression que le
narrateur des livres que j'ai écrit se trouve légèrement devant moi, précisément à
trois mètres et, silencieux, je le regarde vivre son histoire, raconter les évènements
qui lui arrivent. Ou plutôt les non-évenements, tant me semblent important chacun de ses
gestes futiles, chaque chemin escarpé qu'il emprunte. Cette sensation est
particulièrement vraie dans Central, je suivais mon narrateur qui arpentait le
central téléphonique de la cave au grenier. Sauf que ce narrateur avait vécu à travers
moi, on dit "faits autobiographiques" ou récit construit avec. Mais j'ai la
sensation incroyable que je ne peux être confondu avec ce narrateur. C'est une sensation
physique : je suis derrière lui.
Je ne suis pas devant, ce serait comme si l'histoire pouvait se dérouler en une sorte de
divination rapide des évènements qui vont survenir au narrateur, celui-ci arrivant une
seconde après moi. Peut-être que Proust a écrit comme cela.
Je ne suis pas sur le côté, il me semble que cela m'obligerait à avoir une sympathie
particulière pour le narrateur, comme si je l'accompagnais, déjà complice et défenseur
de ces faits et gestes, trop proche, comme utiliser le tu pour parler de soi. Apollinaire
a pu écrire comme cela.
Non, la position la plus probable, la plus naturelle, celle qui me vient en premier à
l'esprit est d'être situé derrière, peut-être parce que c'est le meilleur angle pour
voir pénétrer le narrateur dans le décor, le regarder s'enchâsser dans la vie,
percuter l'espace et le temps comme un mannequin d'un crash test automobile. Je pense
parfois que les personnages sont un peu comme des empreintes de fossiles, ils n'existent
pas réellement même à l'intérieur des livres, ils sont comme solidifiés dans l'air
ambiant, juste une trace modelée dans la roche, le décor environnant. Regarder la nuque
du narrateur posté ainsi devant moi, c'est aussi savoir que quoi qu'il arrive, je ne
pourrais rien changer au cours des évènements, ce sera toujours trop tard.
On pourrait imaginer d'autres angles de vue. Je me souviens de Claude Simon qui
explicitait sa démarche : écrire, c'est se tourner de tout côté, imaginer toutes les
positions possibles de descriptions.
Ainsi se tenir suspendu au-dessus du narrateur, comme un témoin distant, vu d'avion.
Peut-être que L'Etranger de Camus a été écrit comme ceci.
Ecrire en dessous, ou à raz de terre : cela peut correspondre au Procès Verbal
de Le Clézio, ou à Voyage au bout de la nuit de Céline, peut-être tout Kafka.
Je ne crois pas qu'il soit possible d'écrire en endossant avec exactitude la robe du
narrateur, Même les plus nombrilistes doivent avoir un décalage de quelques
centimètres, globes oculaires distendus des orbites, respiration échappée du
diaphragme, cur qui ne bat pas au même rythme. On peut aussi modeler la distance et
regarder vivre son narrateur de très loin jusqu'à ce qu'il ne devienne plus qu'un point
tout petit. Peut-être que décrire un paysage, c'est s'arrêter un instant au bord du
chemin et laisser le narrateur s'éloigner avant de le rejoindre un peu plus tard. Ces
zooms successifs, ces plans différents participent au mouvement incessant de l'écriture,
sortes de mécaniques dynamiques, des fabriques d'énergie certainement aussi et qui
aident à continuer.
(22/03/2006)
Petit point sur lécriture et lécriture, du moins dans sa phase créative,
cest toujours CV roman. Non pas que Feuilles de Route ou les ateliers
qui moccupent en ce moment ne participent pas à cette créativité, bien au
contraire, impression que toute cette énergie participe à lélan des mots (il
ny a quà voir la logorrhée de Dôle, journal de bord).
Et même ce travail que je mimpose dans les études de lettres reprises, la
contrainte scolaire qui mobsède, relève dune raison commune, secrète, à
peine consciente. Mais simplement, lidée classique du petit tas de feuilles
quon aimerait bien voir poindre un jour sous forme de livre et qui justifie
lappellation décrivain jusquà nouvel ordre porte un nom : CV roman.
Javais fait un point " à la première étoile de la nuit ", il
y a deux mois exactement dans cette même rubrique. Jy allais de comparaisons
marines, CV roman, cargo voguant, " renflé, charpenté ".
Où en suis-je ? Dabord les allusions aquatiques et les adjectifs sont toujours
de mise (et jusquà Dôle, journal de bord, ce qui prouve bien la même familiarité
globale de lécriture du moment). Nen doutons pas, CV roman
avance : le premier jet est épaissi des 4/5° du texte projeté. Cest le plus
gros tas de feuilles que jai produit jusque là, le voyage dépassera largement le
tropique des 300 pages. Les vents sont suffisants et je devrais aborder les rivages de
léditeur dans le délai que jai laissé entendre à ladmirable amiral
de la belle maison Fayard, soit avant la fin du premier semestre, même si les zones de
calme plat ne manquent pas et sont perturbants, sans doute dus à lusure que
provoque cette étrange circumnavigation. Etrange oui de constater comment cette écriture
au long court est différente des autres livres que jai écrit, me semble t-il.
Dabord la méthode est bien étayée, la structure efficace, il ny a
quà suivre les plans (les cartes de navigations). Je nai jamais écrit sur
une vision préalable, je me suis toujours laissé porté par les aléas et les flots.
Mais là, le projet était bien différent et les hésitations de 2006, les
tergiversations sur la route à prendre ne me laissaient guère de choix, il fallait qu'il
construise sa propre cohérence, où plutôt que je construise celle-ci et quelle
séclaire au fur et à mesure que je la teste. Jai testé : CV roman
est charpenté et solide. Pas quelque chose de très fin mais il flotte. Je suis surpris
dans les quelques moments de relecture (je naime pas me relire quand le premier jet
nest pas terminé) du drôle de ton que prend ce livre. Autant PPPP par
exemple me semblait assez lyrique, autant le bois me semble ici rugueux, les effets sont
non pas grossiers mais bruts, des planches à peine ébarbées. Je nai pas envie de
peaufiner cette teneur décriture. Pas de contrainte, cest parfois brutal,
mais cohérent, le livre sassemble bien et le style donc, dans sa beauté, ses
intuitions, mindiffère. Je nai pas dillusion, ni dintention pour
ce livre : je voudrais juste quil débarque avec sa grosse cavalerie entre les
mains des lecteurs, non pas quelque chose de grossier ou de rustre, encore moins de simple
(ce mot je lai en horreur depuis le jour où je métais égaré dans un salon
du XVI° à Paris et où une caricature de bonne lectrice tout juste échappée du couvent
des oiseaux me la placé pour remplacer ma tentative de lui expliquer ce
quétait Composants, le récit, dune vie banale, avais-je dit.
Simple, avait-elle rectifié, on dit simple
). Non, le machin en cours qui se balance
encore à quai sera un peu rude, farouche : voilà, cest dit, à prendre ou à
laisser.
Par contre, oui, jaimerai quil soit publié : dabord pour me
retirer cette obsession et parce que je crois quil vaut la peine. Jai
dépassé tous les genres, il a crevé le roman, cest pourquoi il peut se permettre
sans étiquette (au sens dusages de la cour et des vies simples
) dêtre
un peu brut de fonderie. Et puis si cela ne se faisait pas, jaurais
limpression davoir une baleine dans mon jardin (comme lexcellent livre
de Bernard Mathieu Un cachalot sur les bras ) un truc dont je ne saurais pas me
débarrasser, disons plutôt une grosse épave rouillée de chalutier au milieu de la
pelouse pour reprendre les comparaisons de constructions navales. Et avouez que ce serait
étrange dans mon coin de lEst à quatre cents kilomètres de la première mer.
(15/03/2006)
Quoi de plus naturel que d'inserer dans ces notes d'écriture les lettres du Voyant
d'Arthur Rimbaud ?
Je est un autre... Tout y est dit y compris la question de son silence qui s'y inscrit
déjà et qui continue d'en étonner beaucoup (on se demande pourquoi). D'ailleurs, il n'y
a jamais eu de silence pour lui puisqu'il n'y avait pas eu de chant poétique, à
peine un bruit d'eau : "des rinçures" dirait-il bien plus tard. "Le
premier chien dans la rue vous dira cela" (dernière lettre du 09/11/1891, veille de
sa mort).
Article complémentaire : Note de lecture Rimbaud de Claude Jeancolas.
Première lettre du Voyant (à Georges Izambard, 13 mai 1871)
Charleville, 13 mai 1871.
Cher Monsieur !
Vous revoilà professeur. On se doit à la Société, m'avez-vous dit ; vous faites
partie des corps enseignants : vous roulez dans la bonne ornière. - Moi aussi, je suis le
principe : je me fais cyniquement entretenir ; je déterre d'anciens imbéciles de
collège : tout ce que je puis inventer de bête, de sale, de mauvais, en action et en
parole, je le leur livre : on me paie en bocks et en filles. Stat mater dolorosa, dum
pendet filius. - Je me dois à la Société, c'est juste, - et j'ai raison. - Vous aussi,
vous avez raison, pour aujourd'hui. Au fond, vous ne voyez en votre principe que poésie
subjective : votre obstination à regagner le râtelier universitaire, - pardon ! - le
prouve ! Mais vous finirez toujours comme un satisfait qui n'a rien fait, n'ayant voulu
rien faire. Sans compter que votre poésie subjective sera toujours horriblement fadasse.
Un jour, j'espère, - bien d'autres espèrent la même chose, - je verrai dans votre
principe la poésie objective, je la verrai plus sincèrement que vous ne le feriez ! - Je
serai un travailleur : c'est l'idée qui me retient, quand les colères folles me poussent
vers la bataille de Paris - où tant de travailleurs meurent pourtant encore tandis que je
vous écris ! Travailler maintenant, jamais, jamais ; je suis en grève.Maintenant, je
m'encrapule le plus possible. Pourquoi ? Je veux être poète, et je travaille à me
rendre Voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer.
Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances
sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. Ce
n'est pas du tout ma faute. C'est faux de dire : Je pense : on devrait dire : On me pense.
- Pardon du jeu de mots. - Je est un autre. Tant pis pour le bois
qui se trouve violon, et nargue aux inconscients, qui ergotent sur ce qu'ils
ignorent tout à fait !
Vous n'êtes pas Enseignant pour moi. Je vous donne ceci : est-ce de la satire,
comme vous diriez ? Est-ce de la poésie ? C'est de la fantaisie, toujours. - Mais, je
vous en supplie, ne soulignez ni du crayon, ni - trop - de la pensée :
Le Coeur supplicié
Mon triste coeur bave à la poupe....
Mon coeur est plein de caporal !
Ils y lancent des jets de soupe,
Mon triste coeur bave à la poupe...
Sous les quolibets de la troupe
Qui pousse un rire général,
Mon triste coeur bave à la poupe
Mon coeur est plein de caporal !
Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs insultes l'ont dépravé ;
A la vesprée, ils font des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques ;
Ô flots abracadabrantesques,
Prenez mon coeur, qu'il soit sauvé !
Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs insultes l'ont dépravé !
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô coeur volé ?
Ce seront des refrains bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques :
J'aurai des sursauts stomachiques
Si mon coeur triste est ravalé !
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô coeur volé ?
Ca ne veut pas rien dire. - Répondez-moi :
M. Deverrière, pour A. R.
Deuxième lettre du Voyant (à A. P. Demeny)
Bonjour de coeur,
Ar. Rimbaud.
Charleville, 15 mai 1871
J'ai résolu de vous donner une heure de littérature nouvelle. je commence de
suite par un psaume d'actualité :
(CHANT DE GUERRE PARISIEN)
-Voici de la prose sur l'avenir de la poésie-
Toute poésie antique aboutit à la poésie grecque, Vie harmonieuse. - De la
Grèce au mouvement romantique, moyen âge, - il y a des lettres, des versificateurs.
D'Ennius à Theroldus, de Theroldus à Casimir Delavigne, tout est prose rimée, un jeu,
avachissement et gloire d'innombrables générations idiotes : Racine est le pur, le fort,
le grand. - On eût soufflé sur ses rimes, brouillé ses hémistiches, que le Divin Sot
serait aujourd'hui aussi ignoré que le premier venu auteur d'Origines. - Après Racine,
le jeu moisit. Il a duré deux mille ans !
Ni plaisanterie, ni paradoxe. La raison m'inspire plus de certitudes sur le sujet
que n'aurait jamais eu de colères un Jeune-France. Du reste, libre aux nouveaux
d'exécrer les ancêtres : on est chez soi et l'on a le temps.
On n'a jamais bien jugé le romantisme. Qui l'aurait jugé ? Les Critiques ! ! Les
Romantiques, qui prouvent si bien que la chanson est si peu souvent l'uvre,
c'est-à-dire la pensée chantée et comprise du chanteur?
Car JE est un autre. Si le cuivre s'éveille clairon, il n'y a rien de sa
faute. Cela m'est évident. J'assiste à l'éclosion de ma pensée : je la regarde,
je l'écoute : je lance un coup d'archet : la symphonie fait son remuement dans les
profondeurs, ou vient d'un bond sur la scène.
Si les vieux imbéciles n'avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse,
nous n'aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ont
accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s'en clamant les auteurs !
En Grèce, ai-je dit, vers et lyres, rythment l'Action. Après, musique et rimes
sont jeux, délassements. L'étude de ce passé charme les curieux : plusieurs
s'éjouissent à renouveler ces antiquités : -c'est pour eux. L'intelligence universelle
a toujours jeté ses idées naturellement ; les hommes ramassaient une partie de ces
fruits du cerveau ; on agissait par, on en écrivait des livres : telle allait la marche,
l'homme ne se travaillant pas, n'étant pas encore éveillé, ou pas encore dans la
plénitude du grand songe. Des fonctionnaires, des écrivains. Auteur, créateur, poète,
cet homme n'a jamais existé !
La première étude de l'homme qui veut être poète est sa propre connaissance,
entière. Il cherche son âme, il l'inspecte, il la tente, l'apprend. Dès qu'il la sait,
il la doit cultiver : cela semble simple : en tout cerveau s'accomplit un développement
naturel ; tant d'égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d'autres qui
s'attribuent leur progrès intellectuel ! - Mais il s'agit de faire l'âme monstrueuse :
à l'instar des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s'implantant et se cultivant des
verrues sur le visage.
Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant.
Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous
les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il
épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable torture
où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous
le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant ! - Car il
arrive à l'inconnu ! - Puisqu'il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu'aucun ! Il
arrive à l'inconnu ; et quand, affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses
visions, il les a vues ! Qu'il crêve dans son bondissement par les choses inouïes et
innommables : viendront d'autres horribles travailleurs; ils commenceront par les horizons
où l'autre s'est affaissé!
- La suite à six minutes. -
Ici j'intercale un second psaume hors du texte : veuillez tendre une oreille
complaisante, et tout le monde sera charmé. - J'ai l'archet en main, je commence :
(MES PETITES AMOUREUSES)
Voilà. Et remarquez bien que, si je ne craignais de vous faire débourser plus
de 60 c. de port, -moi pauvre effaré qui, depuis sept mois, n'ai pas tenu un seul rond de
bronze ! - je vous livrerais encore mes Amants de Paris, cent hexamètres, Monsieur, et ma
Mort de Paris, deux cents hexamètres !
- Je reprends :
Donc le poète est vraiment voleur de feu.
Il est chargé de l'humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper,
écouter ses inventions. Si ce qu'il rapporte de là-bas a forme, il donne forme ; si
c'est informe, il donne de l'informe. Trouver une langue ;
- Du reste, toute parole étant idée, le temps d'un langage universel viendra ! Il
faut être académicien, plus mort qu'un fossile, pour parfaire un dictionnaire, de
quelque langue que ce soit. Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de
l'alphabet, qui pourraient vite ruer dans la folie ! -
Cette langue sera de l'âme pour l'âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs,
de la pensée accrochant la pensée et tirant. Le poète définirait la quantité
d'inconnu s'éveillant en son temps, dans l'âme universelle : il donnerait plus que la
formule de sa pensée, que l'annotation de sa marche au Progrès ! Énormité devenant
norme absorbée par tous, il serait vraiment un multiplicateur de progrès !
Cet avenir sera matérialiste, vous le voyez. -Toujours pleins du Nombre et de
l'Harmonie, les poèmes seront faits pour rester. -Au fond, ce serait encore un peu la
Poésie grecque.
L'art éternel aurait ses fonctions, comme les poètes sont citoyens. La poésie ne
rythmera plus l'action ; elle sera en avant. Ces poètes seront ! Quand sera brisé
l'infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l'homme -jusqu'ici
abominable, - lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi ! La femme
trouvera de l'inconnu ! Ses mondes d'idées différeront-ils des nôtres ? - Elle trouvera
des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous
les comprendrons.
En attendant, demandons aux poètes du nouveau, - idées et formes. Tous les
habiles croiraient bientôt avoir satisfait à cette demande : -ce n'est pas cela !
Les premiers romantiques ont été voyants sans trop bien s'en rendre compte: la
culture de leurs âmes s'est commencée aux accidents: locomotives abandonnées, mais
brûlantes, que prennent quelque temps les rails. -Lamartine est quelquefois voyant, mais
étranglé par la forme vieille. - Hugo, trop cabochard, a bien du VU dans les derniers
volumes : Les Misérables sont un vrai poème. J'ai Les Châtiments sous main : Stella
donne à peu près la mesure de la vue de Hugo. Trop de Belmontet et de Lamennais, de
Jehovahs et de colonnes, vieilles énormités crevées.
Musset est quatorze fois exécrable pour nous, générations douloureuses et prises
de visions, - que sa paresse d'ange a insultées ! Ô ! les contes et les proverbes
fadasses ! ô les Nuits ! ô Rolla ! ô Namouna ! ô la Coupe! tout est français,
c'est-à-dire haïssable au suprême degré; français, pas parisien ! Encore une
uvre de cet odieux génie qui a inspiré Rabelais, Voltaire, Jean La Fontaine,
commenté par M. Taine ! Printanier, l'esprit de Musset ! Charmant, son amour ! En voilà,
de la peinture à l'émail, de la poésie solide ! On savourera longtemps la poésie
française, mais en France. Tout garçon épicier est en mesure de débobiner une
apostrophe Rollaque; tout séminariste emporte les cinq cents rimes dans le secret d'un
carnet. A quinze ans, ces élans de passion mettent les jeunes en rut ; à seize ans, ils
se contentent déjà de les réciter avec cur; à dix-huit ans, à dix-sept même,
tout collégien qui a le moyen fait le Rolla, écrit un Rolla ! Quelques-uns en meurent
peut-être encore. Musset n'a rien su faire. Il y avait des visions derrière la gaze des
rideaux : il a fermé les yeux. Français, panadis, traîné de l'estaminet au pupitre du
collège, le beau mort est mort, et, désormais, ne nous donnons même plus la peine de le
réveiller par nos abominations !
Les seconds romantiques sont très voyants : Théophile Gautier, Leconte de Lisle,
Théodore de Banville. Mais inspecter l'invisible et entendre l'inouï étant autre chose
que reprendre l'esprit des choses mortes, Baudelaire est le premier voyant, roi des
poètes, un vrai Dieu. Encore a-t-il vécu dans un milieu trop artiste ; et la forme si
vantée en lui est mesquine. Les inventions d'inconnu réclament des formes nouvelles.
Rompus aux formes vieilles : parmi les innocents, A. Renaud, - a fait son Rolla, -
L. Grandet, - a fait son Rolla ; - les gaulois et les Musset, G. Lafenestre, Coran, C. L.
Popelin, Soulary, L. Salles. Les écoliers, Marc, Aicard, Theuriet ; les morts et les
imbéciles, Autran, Barbier, L. Pichat, Lemoyne, les Deschamps, les Des Essarts ; les
journalistes, L. Cladel, Robert Luzarches, X. de Ricard ; les fantaisistes, C. Mendès ;
les bohèmes ; les femmes ; les talents, Léon Dierx et Sully-Prudhomme, Coppée; -la
nouvelle école, dite parnassienne, a deux voyants, Albert Mérat et Paul Verlaine, un
vrai poète. Voilà. Ainsi je travaille à me rendre voyant. Et finissons par un chant
pieux.
(ACCROUPISSEMENTS)
Vous seriez exécrable de ne pas répondre : vite, car dans huit jours je serai
à Paris, peut-être.
Au revoir.
A. RIMBAUD.
(28/02/2006)
Visite impromptue dans les terres de lAllier, chères à René Fallet et cest
loccasion où jamais dinterroger sa prose abondante en Carnets de jeunesse,
entretiens et témoignages. Et sil a tenu à faire inscrire " écrivain
bourbonnais " sur sa tombe, cette réduction nest pas celle dun
terroir, elle est un simple rapprochement de la langue avec la terre, elle transcende la
littérature dans ce quel a de plus noble et de plus prosaïque, les mots. Rien
détonnant à un mélange des genres : voici lécrivain bourbonnais,
donc, tour à tour hâbleur, frondeur ou tendre et passionné dans quelques notes
décriture
" La littérature se pratique tantôt avec les mains, tantôt avec les pieds. On
dit aussi : embrasser la littérature ou faire des pieds et des
mains
"
" Un romancier na pas à connaître le pourquoi des êtres. Il suffit
quil sache décrire le comment. Je ne veux rien savoir de la cause de lennui,
mais je sais très bien décrire lattitude dun type qui sennuie :
il est devant une fenêtre et il tambourine sur la vitre avec ses doigts. "
" Je tiens à ces livres sur le vélo et la pèche. Jaurais été très
ennuyé de ne pas trouver déditeur pour les publier. Car je vis tout
littérairement : même le vélo et la pèche. Les boules aussi. Mais cest
techniquement assez ardu. On peut être lyrique sur lascension dun col à
vélo ou sur la prise dune truite. Mais cest plus difficile de lêtre
sur un carreau à la pétanque. "
" La littérature est devenue pour moi un métier. Et je ne trouve pas cela
honteux. Je suis même fier davoir acquis un métier
/
Comme un artisan
qui a de lexpérience, jaime bien travailler à linstinct et, à partir
dune petite idée de trois lignes, pouvoir dire : " tu vas en faire
deux cent cinquante pages. " Mais lacquisition du métier ne donne pas
pour autant des certitudes définitives. Cest Ernest Hemingway qui disait :
" à chaque fois je remets mon titre en jeu. " Là est langoisse
de cette profession : est-ce que je vais pouvoir écrire un nouveau
livre ? "
" Il est sûr que les meilleurs livres dun écrivain sont toujours ceux
quil rêve, jamais ceux quil écrit. Cest un aspect de mon métier qui
me chagrine : le passage de lhistoire imaginée à lhistoire écrite a un
côté assez dérisoire. Comment un petit bureau, une chaise, un cahier une main et un
stylo pourraient-ils vraiment matérialiser un rêve ? "
" Un livre est un enfant quon lâche dans la nature. Ce nest
quaprès quon voit sil boite ou sil a fière allure. Mais après,
cest toujours trop tard pour y changer quelque chose. Les mères de famille
préfèrent toujours " leur petit dernier "
jusquà
larrivée du suivant ! Les écrivains, cest une banalité, sont toujours
plus attirés par leur dernier livre qui vient de paraître ou par celui quil sont
en train décrire. "
" En fait peu importe la manière, ce qui compte pour moi cest ce qui est
dit dans un livre et le plaisir que ça me procure. Jai horreur des écrivains
neutres, des petits vieux bien propres de lécriture même quand ils sont
jeunes. "
" Je nai jamais mis de frontière entre la vie et la littérature.
Jai toujours pensé quil me fallait vivre le plus littérairement
possible. "
-
- à consulter, la page Fallet.
(08/02/2006)
-
-
- Clermont-Ferrand, côté cour : lespace est rectangulaire, comporte deux
allées et un terre-plein planté de quelques buissons faméliques. La cour longe deux
bâtiments et semble relier par inadvertance lIUP Métiers du livre et lIUP
Métiers du tourisme. Cette proximité assure un mélange heureux : professeurs et
étudiants croisent leurs préoccupations et leurs matières et souvrent par
conséquent des perspectives : comment lit-on avec un regard de visiteur ou de
touriste ? Pourquoi ne pas penser que ce sont aussi les écrivains qui fabriquent
lattraction dun endroit ? Il y a intérêt de part et dautre :
sortir des régionalismes décriture (y compris pour Paris que je réduis
volontairement dans son orgueil démesuré à vouloir résumer la production livresque du
pays entier dans larrondissement du 6ème) et évacuer les solutions toutes
fabriquées de parcs et autres attractions touristiques parfaitement insipides et
identiques. Mais cette réflexion strictement personnelle navait rien à voir avec
ma venue en cet endroit universitaire. Invité par Françoise, javais prévu de me
commettre à parler de Littérature du travail. La préparation de ce sujet peu abordé
jusquà présent ma permis de situer Central à lintérieur de
cette vision, mais aussi de le relier à ma préoccupation actuelle décriture (voir
le canevas de cette conférence : Tentative de restitution de
la littérature du travail de 1980 à nos jours, en France). A peine la vision de la
cour, fuite du temps, cours encouru, temps court qui séchappe, quelques questions,
quelques échanges et cest déjà fini : jaurais aimé que cela dure plus
longtemps.
Laprès-midi, interview à Radio Campus. Reçu très professionnellement par Marie
Berne, gentiment cerné par les questions dAnne-Laure et Mathilde : heure
agréable qui précédait la séance décriture du soir dans laquelle je retrouvais
Anne Laure et Mathilde, les autres participants habituels de latelier mais aussi
Françoise et Elisabeth qui, pour loccasion, avaient rejoint avec un plaisir
évident les bancs des étudiants (voir canevas de cette intervention : petite fabrique de temps, rubrique Ateliers décriture). A
retenir de ces deux heures, la lecture des poèmes de Beckett, la nuit neuve au-delà des
rideaux usés couleur or, le silence pendant lécriture, petits moments magiques et
comment on froisse ensemble ce temps suspendu pour entrer en chaque texte et recevoir les
mots comme des cadeaux. Un peu plus loin, des chats devaient errer dans la cour entre les
deux IUP, des étoiles allumaient le Puy de Dôme, encore le dernier reflux le galet
mort le demi-tour puis les pas vers les vieilles lumières.
(01/02/2006)
" Dole, journal de bord " :
latelier décriture du CHS du Jura nest pas encore commencé mais les
deux visites préalables mont déjà donné loccasion dune réflexion
abondante et ce titre mest venu spontanément. Oui, cest bien un journal de
bord. Jai envie de garder trace de ce qui va me tenir (me tient déjà)
jusquen octobre sur un drôle de navire. Ces notes prises, au jour le jour, au fur
et à mesure, sans concertation ni vision densemble, se voudront (se veulent déjà)
un reflet de linstant, un billet dhumeur, un étonnement pour qui ne connaît
pas la structure dun hôpital psychiatrique, pour qui veut se perdre avec moi dans
les coursives de ce navire de pierre centenaire et gigantesque. Cest cette position
marine de passager particulier que je veux retracer au fil de leau. Cest
léloignement du téléspectateur que je recherche, aux visions et idées toutes
faites, puisquon ne connaît de ces établissements que quelques images
télévisuelles, reportages qui insistent toujours sur les mêmes réflexes sociaux qui
nous animent, lexclusion, la différence, la nécessaire solidarité en vertu de la
déformation démocratique à travers le prisme des médias. Drôle de navire de pierre
que ces hôpitaux là, étonnants matelots et passagers particuliers
Témoignage ?
Oui, pas seulement : cest décriture quil sagit puisque je sais,
je devine quà lissue des dix mois que je vais passer ici, que mon langage
nen sortira pas indemne mais, comment dire, griffé par cette expérience. Il ne
peut en être autrement. Dans les faits, cest un atelier décriture que je
vais animer, à raison de 2h, 2 fois par mois jusquà préparer la manifestation de
Lire en fête 2006. On imagine aisément que les séances proposées, vécues, auront une
autre répercussion que les expériences déjà pratiquées dans le milieu lycéen : la
logique de lenseignement, la nécessaire formation, laccumulation de
connaissances nont pas cours ici. Le langage, dans cette distance éducative, dans
cet apprentissage individuel et social, sera ramené, on peut le supposer, à son point de
départ, à la simple communication entre une personne et une autre, ou un groupe. Et
cest justement parce que la simple communication est complexe, quelle peut
aboutir à lincompréhension, à linadaptation sociale, au nécessaire
embarquement à bord dun navire psychiatrique. Voici létat desprit, les
interrogations qui me semblent préexister avant même davoir commencé. Voici le
semblant de certitude, la richesse de ce que je pressens découvrir, qui me motive et me
fera accomplir tous les quinze jours 440 km aller et retour. Ces notes donc, au fur et à
mesure, à laisser, comment dire dans leur authenticité, sans aucun maquillage, dans
"létat de lapparition", comme disait Marguerite Duras.
(25/01/2006)
-
- La première fois, cétait il y a deux ans, peut-être trois. Le hasard nous avait
réunis dans un restaurant à Paris. Enfin, le hasard... qui avait pris la forme
dune invitation lancée à chacun. Nous étions quatre à fréquenter le même
éditeur, nous avions pris plaisir à nous retrouver, à parler de nos projets, de nos
vies, dun peu de tout. Javais limpression de sentir nos livres en ombres
bienveillantes derrière nous, ceux que nous connaissions les uns des autres, les
édités, plus ou moins proches dans le temps, jamais très lointains. Javais
limpression que nous en parlions comme dune progéniture, étonnés de se
découvrir des lieux communs, des cheminements semblables comme des parents qui discutent
à la sortie de lécole et qui ne se lassent jamais de ces sujets de conversation.
Un beau déjeuner : nous étions ressortis heureux de ce moment en nous promettant de
fixer ce rendez-vous chaque année.
Lannée daprès, nous étions ainsi trois à nous revoir, lun
dentre nous avait (a toujours) un agenda très chargé et nous devinions que
lexception passée ne se représenterait pas de sitôt. Le repas fut encore des plus
agréables. Il y avait toujours un livre en suspens, à venir, ou récemment édité par
lun dentre nous et nous en discutions avec passion. Je nétais pourtant
pas trop dans mon assiette à cette époque. Jaime cette répartie : de
mémoire, elle est dans Paris au mois daoût de René Fallet : le héros
(ou plutôt anti-héros) Henri Plantin est amoureux dune touriste anglaise Patricia.
" Il na pas lair dans son assiette " disent ses amis,
remarquant sa distance. Et son confident Godaille de répondre : " je
dirais même que cest une assiette anglaise
". Je garde pourtant un
souvenir très précis du restaurant et le hasard a voulu dailleurs que jy
retourne très peu de temps après et à la même table.
Cette année, nous renouvelons cette occasion très prochainement et au même restaurant.
Manquera toujours le quatrième, cest bien dommage ! Jattends avec
impatience ces retrouvailles. Dabord pour prendre une revanche sur lhumeur
précédente : oui, merci, en ce moment, ça va très bien
Une revanche, c'est
bien celà : peut-être avoir limpression de repartir du même endroit, comme si on
pouvait changer le cours du temps ou quelque chose de similaire. Je savoure par avance ce
petit instant annuel où, à la traditionnelle question " bon et toi, que
deviens-tu ? ", jaurais limpression davoir énormément
de choses à raconter, toutes aussi passionnantes les unes que les autres : les
ateliers, le livre en route, les cours de fac, le temps libre du moment, la joie, tout
quoi
Et peut être que je ne dirai pas grand chose, éludant la question par une
réponse évasive ne laissant aucun doute sur le bonheur actuel. De plus, mes deux
interlocuteurs ont la chance de sortir un livre en cette période : ce sera doux de les
écouter. De même quil sera heureux de repartir après à travers les rues de
Paname, daller visiter une expo, le soir, prendre le Métro pour sinviter chez
sa propre fille, étudiante depuis peu, puis repartir le lendemain, lordinateur
posé sur les genoux dans le train et lécriture, lécriture,
lécriture
Au départ, je voulais faire une note décriture un peu aigrelette :
javais découvert que mes deux amis étaient chacun publiés en poche et jen
avais conçu immédiatement une jalousie enfantine, une sorte de caprice : et
pourquoi ne suis-je pas présent dans les rééditions en petits formats
économiques ? (remarquez, vu les chiffres de mes ventes
). Puis, en écrivant
ces lignes, je ne veux retenir que lattente, le " ravissement ",
comme dirait Duras, de cette excellente journée qui sannonce. Pas de jalousie, pas
la moindre anxiété, juste partager leur joie de leurs publications qui sannoncent.
Et pourtant, je nai jamais été aussi éloigné du monde éditorial proprement
dit : non pas que rien ne se profile à lhorizon, mais plutôt que ce que
jécris en ce moment me semble tellement loin, tellement en dehors,
limpression davoir largué les amarres et dêtre tout aux délices
instantanés de la navigation, il mindiffère de savoir si japercevrai la
terre de léditeur un jour, mon rafiot nest peut-être même pas éditable. Et
cette situation, chose nouvelle pour moi, nest pas source dangoisse, mais,
osons le dire, de sérénité : jai pris la mer, jécris
(18/01/2006)
Il y a le machin rarement nommé ou alors à contre cur, une réticence
pourquoi ? Pourtant le truc est à prendre à bras le corps cette année, sans
équivoque et le désigner : un livre, CV roman.
Un livre, mon livre, ce sera ton année, CV roman, lannée de léveil.
Et ceci sans aucune ambition, juste pour lanalogie avec le titre de Charles Juliet.
Je me fous de savoir si tu peux tenvoler, convenir, concéder, correspondre, être
éditable. Te prendre à bras le corps, mon roman, est impossible : tu nes pas
un livre, pas un récit, pas un ouvrage de feuilles aériennes que lon ouvre et qui
ségrène comme des ailes de papillon. Tu es trop grand, trop encombrant, tu es un
morceau de plomb, tu vogues épais comme un paquebot.
Blaise Cendrars se rendait au Brésil à bord dun navire marchand. Tu es ce cargo
renflé, charpenté. Jai cloué des planches, tu es solide. Non, tu nes pas
rapide : depuis que jai pris la mer, jai le temps, je pourrais te faire
avancer à toute vapeur, un sillage de mots derrière toi, une fumée de phrases sortant
de la cheminée mais tu es lourd, chargé de toutes mes peurs, rempli de tous mes livres,
embarqué de toute une vie matérielle. Jaime à te contempler, assis en tailleur
sur le triangle du pont avant, te regardant plonger dans la cuve doutremer, clignant
des yeux sous un soleil de plomb ou guettant limprobable Croix du Sud à travers un
crachin de nuit. Je técoute craquer de toutes tes plaques de tôles : ainsi je
suis heureux, immobile, ce devrait suffire ? Mais ce sont des sensations
éphémères, il te faut avancer et tu le fais bien lentement, jamais tout seul. Il faut
sescrimer, descendre dans la salle des machines, mettre les mains dans le cambouis.
Jai toujours su réparer des moteurs, à seize ans jai travaillé dans une
station service, jaimais lodeur de lessence, tu ne me prends pas au
dépourvu. Ton nom de cargo voguant, CV roman, est accroché à la proue,
juste au-dessus de lancre déjà corrodée. Jaimerais en sous-titre un port
dattache qui me ferait rêver : Baltimore, Calao, Aden, Providence
Déjà, je sens venir le jour où tombera ton nom, CV roman, à force de
craquements, de cahots hésitants, de changement de cap, de rouille de sel, rejoignant le
large remous du sillage, y perdant sa substance, détaché, rejoignant les profondeurs du
grand bleu. Je nai quun seul souhait : quil emporte avec le titre,
le genre : il mimporte peu si je réussis à tenir le cap, à écrire un texte
au long court sans le souci de sa variété, de son espèce, sans lidée même de
réussir cette traversée. Les livres ont un sortilège : finir en carré de feuilles
dans des géométries de collections, sous les barreaux des rayons de littérature
française avec roman ou récit ou recueil écrit sur leurs couvertures. Jespère
tachever, mon bouquin, et quel sera ton port mest indifférent.
Quil soit le plus proche, une baie abritée, un dédale compliqué, un mouillage en
Terre de Haut ou le cliquetis de la chaîne qui dépose lancre au fond de la baie
dAlong et ce sera un soulagement.
Le sort des livres est de se diluer au dehors, une fois à quai et de laisser juste aux
lèvres de leur auteur un goût de sel connu deux seul. Pardonnez-moi à
lavance cette distance, lecteurs, amis, famille : de temps en temps un regard
délavé, une absence, on me parlera mais je serai loin, retourné dans mes nuits de
veille au bastingage du pont avant.
Mais ce nest pas le propos, il faut te nommer : CV roman. Te terminer.
Jai écrit aujourd'hui à léditeur qui attend, je sais quil patientera
encore, il nous reste du chemin, mon écriture et moi : assez rêvassé, retour à la
cabine, salle des cartes et sextant. Il est temps de faire un point à la première
étoile de la nuit.
(11/01/2006)
Bon, pour faire comme tout le monde, traditionnellement donc, ou plutôt parce que la
magie des chiffres et du hasard change dannée afin de suivre une inclinaison bien
oulipienne, lépoque est au bilan et diverses perspectives pour lannée à
venir. Saut acrobatique dun cheval à lautre sur la piste du cirque du monde
ou pieds empesantis dans la neige et cou dans une écharpe de laine dans lattentisme
actualitaire, chacun, dubitatif ou entreprenant, selon son humeur, va se tourner vers
2006. Et chacun va essayer de deviner lavenir à travers la paire de jumelles des
zéros du milieu.
2005, pour moi, fut tranché en deux, un premier semestre de doutes, remises en question,
écriture, questions existentielles, mais, qui leut cru (surtout pas moi à cette
époque), un deuxième semestre tout aussi basculé à linverse, avec un
extraordinaire retour du moral, de la forme, de loptimisme, de lécriture et,
osons le dire, du bonheur
Ainsi, quand on relit les premières notes de
lannée précédente, maintenant en archives, histoire de tourner une page,
lindividualité et les questions personnelles qui me taraudaient, laissaient peu de
place à autrui. Individualité peut-être encore visible dans le texte Langres suse, sorte de feuilleton printemps/été
de Feuilles de Route, qui, comme le catalogue de la Redoute, annonçait des jours
meilleurs, convalescence en tenue plus légère, idées noires laissées derrière, et
finalement, lécriture, lécriture, lécriture, quelle soit
difficile ou bousculée aura été autant présente que les années précédentes, une
habitude, une incrustation, un tatouage. Pour autant lindividu, petit nombril au
début de l'année, a étendu son horizon finalement. Lannée nouvelle ne sera
pas narcissique : elle sera politique ou ne sera pas, ceci pour plagier la tournure
de phrase dAndré Breton.
Politique ?
Oui, il ne faut pas être grand devin pour cela : en 2005, nous avons redécouvert la
politique sous toutes ses manifestations, souvent brutales : clivage de lEurope,
banlieues, plans sociaux, réflexes sécuritaires à outrance
Restons mesurés.
Oui encore, car les présidentielles seront en 2007 et cest bien cette année que
les différentes tendances vont affirmer leurs résolutions et peaufiner leurs ambitions.
Ce nest pas Pierre Bourdieu qui maurait contredit, ayant publié La misère
du monde (voir en Notes de lecture) dans une période similaire
Restons
vigilants.
Oui enfin, car, en dernier lieu, cest bien nous qui la faisons, cette
politique : retour à lindividu
certes, mais préoccupé des autres
Restons généreux.
Et finalement, le livre en cours pour moi est tout à fait dans cette optique : ni un
genre littéraire, ni une profession de foi, ni un cri, ni une réflexion, ni dire tout
haut ce que les autres pensent tout bas (on en connaît qui reprennent ce qui fut un temps
le slogan dun parti xénophobe
), bref, juste " décrire "
dans le sens dintroduire une condition : des-écrire, soit désapprendre ou
écrire des
Ainsi " raconter " et ajouter un préfixe au conte,
un ra-ccroc, une petite ancre pour saccrocher et ne retenir que le réel.
(04/01/2006)
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