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Notes de lecture 2017
À ce stade de la nuit, de Maylis de Kerangal, Éditions Verticales.
Maylis de Kerangal est un auteur important pour mon corpus de thèse. Jamais
étudiée encore pour ses liens avec la littérature du travail elle est pourtant une des
rares représentantes d'un regard optimiste sur le travail avec Naissance d'un pont (note de lecture du 05/10/2010), Réparer
les vivants (note de lecture du
01/04/2014) ou Un chemin de tables (note
de lecture du 10/06/2016). À ce stade de la nuit n'est cependant pas un
livre sur le travail, mais un opus assez court dans lequel une narratrice s'émeut
d'entendre à la radio en revenant tard d'une soirée qu'un bateau de migrants a coulé au
large de Lampedusa. Si l'idée est de montrer la différence qui existe entre un migrant
sans rien et une narratrice parisienne qui a tout, c'est réussi. On s'offusque devant le
caprice de celle qui décide sur un coup de tête intello d'aller (re)voir Le Guépard
dans une version restaurée (pardon, Il gattopardo car il est
intellectuellement inconcevable de ne pas y assister autrement qu'en VO). Pourquoi Le
Guépard ? Mais parce que c'est un film sicilien qui a des liens avec Lampédusa. Et
de là, l'auteure tire les vieilles ficèles des analogies et des contraires, ceux qui ont
tout, ceux qui n'ont rien, migrants et riches. Et de nous raconter les voyages de la
narratrice au Stromboli, dans le Transibérien (rapport ?). Le récit se termine sur ce
constat qui nous laisse pantois : Lampédusa concentrant en lui seul la honte et la
révolte, le chagrin, désignant désormais un état du monde, un tout autre récit.
(19/12/2017)
J'ai
réussi à rester en vie, de Joyce Carol Oates, éditions Philippe Rey et collection
Points.
Autant La Foi d'un écrivain (voir ci-dessous) ne m'avait pas convaincu, trop
artificiel, autant je garde un souvenir précis et presque ému de ce récit. J'ai réussi
à rester en vie est une sorte de journal de deuil. Ray, le mari de Joyce Carol Oates
meurt après quasi cinquante ans de vie commune. Pas de leçon, rien que du sentiment,
tristesse, solitude, souvenir et la vie qui continue petit à petit, heure après heure
dans l'étonnement d'être encore en vie. Pas de lamentations, c'est généreux, 530 pages
entre février et août 2008.
(05/12/2017)
Lettres
III, 1957-1965, Samuel Beckett, Gallimard.
Il s'agit du troisième recueil de la correspondance de Samuel Beckett éditée
chez Gallimard. J'ai déjà lu le deuxième recueil (note de
lecture du 17/05/2016). Me reste le premier qui marque les débuts d'écriture de
l'écrivain. Dans le troisième recueil, c'est un auteur accompli qui déploie une
abondance correspondance avec des amis, de la famille mais aussi des professionnels du
théâtre : Godot est en plein succès. C'est aussi l'époque de sa rencontre avec Barbara
Bray avec qui il entretiendra une relation suivie. On découvre ainsi un Beckett très
soucieux et attentif aux autres. Quelques instants intéressants : il raconte la fameuse
photo prise devant les éditions de Minuit avec tous les écrivains du Nouveau roman
réunis (tous les bons élèves, écrit-il). Il les cite tous et place un point
d'exclamation (!) devant Sarraute. On y apprend qu'il n'appréciait guère cette auteure.
En revanche, il a entretenu une correspondance fournie avec Robert Pinget.
(28/11/2017)
La
Foi d'un écrivain, de Joyce Carol Oates, éditions Philippe Rey.
J'attendais beaucoup de ce livre : j'ai déjà lu Blonde (note de lecture du 16/08/2016), Vallée de la mort (note de lecture du
10/05/2017), J'ai réussi à rester en vie et Journal 1973-1982 (notes à venir).
Cependant La Foi d'un écrivain, censé raconter le parcours d'écriture de cette
auteure, demeure convenu, comment dire, artificiel, on croirait entendre l'écrivain
donner quelques poncifs à ses étudiants de créative writing. Il est probable que le
décalage de perception entre USA et France soit à l'origine de ma (petite) déception de
lecture. Le côté didactique du discours sur " comment devient-on écrivain ?
", ainsi qu'il est stipulé en quatrième de couverture, ne m'intéresse pas en
effet. Mon chapitre préféré est " Courir et écrire ", on s'en doute. Mais on
reste un peu en dehors de ce mouvement, cela n'a rien de comparable avec le magnifique Autobiographie
de l'auteur en coureur de fond (note de
lecture du 07/09/2010) de Murakami où la leçon d'écriture est pleine et entière.
(05/11/2017)
Martin
cet été, de Bernard Chambaz, Julliard.
J'ai rencontré Bernard Chambaz à Nîmes à l'occasion d'un salon du livre. J'ai tout de
suite été conquis par sa gentillesse et sa simplicité, son allure sportive : j'ai eu
l'impression d'un homme heureux, accomplissant une vie rêvée, on l'envie bien sûr. J'ai
su très vite qu'il avait perdu un fils vingt-cinq ans auparavant : cet évènement
traverse beaucoup de ses livres (comme À tombeau ouvert, sur la vie d'Ayrton
Senna, note de lecture du 22/05/2017 ou Dernières Nouvelles du martin-pêcheur,
note à venir). Martin cet été est le premier récit qui raconte ce drame,
publié en 1994, juste deux ans après. Récit de l'urgence donc, mais je n'aime pas trop
ce vocable, je préfère récit nécessaire, tant il lui a paru vital, pour lui et pour
ses proches, de retracer cette douleur. Pas de complaisance cependant, pas de pathos,
Bernard Chambaz n'attendait rien en racontant l'irracontable, ne proposait rien non plus
au lecteur, pas de leçon de vie, encore moins divaguer sur la mort (" avec sa gueule
de raie " comme dit Paul Guimard dans Les Choses de la vie). Nous avons tous
plus ou moins un fils disparu en nous, ou nous connaissons des gens qui, ou nous traînons
nos douleurs muettes : pêle-mêle, je pense à cet ami, rencontré la semaine dernière
qui a vraiment perdu un fils : à 93 ans, sa douleur vieille de vingt quatre ans est
neuve, sans ride ; je pense à cette amie qui vient de perdre son fils, ; je pense à mon
jeune beau-frère, disparu à 14 ans en 1983, à la détresse de mes beaux-parents et
comment ça modifie nos vies. Le lecteur, donc, reçoit ce récit comme il convient :
droit au cur en gardant pour lui cette détresse partagée.
(25/09/2017)
Écrire à l'élastique de Nicolas Fargues & Iegor Gran, P.O.L.
D'emblée le titre m'a fait penser à Blaise Cendrars et ses Dix-neuf poèmes
élastiques. Hélas, je n'ai pas trouvé de référence dans ce recueil écrit à
quatre mains. L'idée est sympathique : deux auteurs, l'un reste à Paris et l'autre part
en résidence d'écrivain en Nouvelle Zélande (on fait pire comme endroit), l'un
solidement installé dans sa vie, l'autre encore bohème, deux amis écrivains donc,
décident de correspondre le temps de la résidence de l'autre. Attention, on est au
XXIème siècle et on s'envoie des mails, d'ailleurs c'est pratique, il suffit de faire
des copier-coller et le livre se construit tout seul. Tout de même, au temps où Gauguin
était au Marquises, une correspondance à la plume d'oie aurait eu plus de chien et de
poésie. Mais revenons à notre époque actuelle. Nicolas Fargue est celui qui part. Il
est malheureux, sa petite amie l'a quitté juste avant. Iegor Gran est celui qui reste, il
est heureux et ne change pas ses habitudes. De quoi vont-ils parler ? De la petite amie
bien-sûr. Manigances à Paris, on décide de la faire venir là-bas, mais comme entre
temps, elle a trouvé un remplaçant, elle partira là-bas accompagnée. Voilà
l'intrigue, et l'inauguration d'un nouveau genre, le théâtre de boulevard épistolaire.
Ce n'est pas désagréable à lire, ça remplit notre désir de cancaner un peu, c'est
exotique, ça fait voyager, on apprend que les néo-zélandais sont tous jeunes et férus
de sport ; on rentre vite au bercail aussi : c'est aussi très parisien et futile.
Allez, pour terminer un petit poème de Cendrars, vraiment élastique : Oser et faire du
bruit /Tout est couleur mouvement explosion lumière/ La vie fleurit aux fenêtres du
soleil /Qui se fond dans ma bouche /Je suis mûr /Et je tombe translucide dans la rue /Tu
parles, mon vieux /Je ne sais pas ouvrir les yeux ? /Bouche d'or /La poésie est en jeu.
(03/07/2017)
Moby dick dHerman Melville,
Garnier Flammarion.
Je navais jamais lu Moby dick, je lai lu au Vietnam en avril dernier,
enfin je ne lai pas encore terminé. Je lai lu parfois à lhôtel,
souvent dans des aéroports, sur un bateau aussi. Ce qui me fait écrire ce compte-rendu
de lecture est la mort récente de Batman, mon poisson rouge. Autant Moby Dick présente
une galerie de symboles plus ou moins cachés, sexuels, fantasmagoriques, révélant le
tréfonds de nos âmes, la puissance de nos peurs à la mesure de ce corps immense au fond
dabysses, autant mon poisson rouge avec sa belle couleur de gilet de secours a
évolué dans le monde parfait et rond de la transparence de son bocal. Pour autant, et je
le découvre à sa disparition, cest peut-être le même roman qui sest
construit entre Moby Dick et Batman. La vie
exceptionnellement longue de vingt années de ce petit poisson est à mettre en regard de
la longue quête avec lequel le Capitaine Achab traque sa baleine. Bien évidemment, je ne
peux aucunement rivaliser entre les maigres aventures de mon cyprinidé me tétant le
doigt à la surface de son bocal, avec la tragique épopée de lénorme cétacé
arrachant une jambe au capitaine. Mais tout de même, notre point commun au capitaine et
à moi est formé de lidentique mystère animal qui nous obsède : tous deux
nous cherchons à deviner lavenir, lui,
examinant la surface opaque des océans en espérant que se poursuive lhistoire de
Moby Dick, et moi, perplexe face au bocal de Batman comme devant une boule de cristal.
Pour en revenir à la fameuse histoire du capitaine Achab, elle est évidement
passionnante, pourtant plus étonnant est le style avec lequel Herman Melville écrit son
livre. On est dans un récit tonique, cest à la fois complètement anglo-saxon sans
ambages, sans histoires de castes, de classes sociales ou autres que les romans français
ont pris plaisir à distiller. Dans la version que jai, Camille de Toledo nous
gratifie dun entretien dans lequel il décortique sa passion pour ce livre
(« Moby Dick est lautre nom de la nuit »). Pour moi, enfant, la passion
était plutôt du côté de LÎle au Trésor
de Stevenson. En parlant dîle, je finirai peut-être Moby Dick cet été en Sicile.
(26/06/2017)
Voyage au bout de la révolution. De Pékin à Sochaux,
Claire Brière-Blanchet, Fayard.
Pour faire suite au roman de Morgan Sportès, Maos, chroniqué la semaine dernière, je continue cette
documentation politique vers la Gauche Prolétarienne, la « GP » comme on
disait alors, avec cette fois-ci lessai de Claire Brière-Blanchet qui raconte ses
jeunes années dans le mouvement maoïste. Souvenirs en effet passés de mode, on est au
seuil des seventies. La mode est au « contre » : contre les bourgeois,
les patrons, le conformisme, les flics, elle prolonge Mai 68, elle sétablit dans
les usines, elle veut la révolution culturelle comme en Chine. Lexpérience de
Claire Brière et de son mari Pierre Blanchet est emblématique : éducation
religieuse et bourgeoise, milieu aisé et intellectuel, en rupture de ban, ils sont de
tous les combats, vont à Pékin, sétablissent chez les « Peuges » ou
dans des usines du Doubs, et, dans cette frénésie daction, passent le peu de temps
qui leur reste en réunions pour se regonfler, plein despoirs
Et de folie,
puisquils ne saperçoivent même pas que le peuple quils sont censés
placer au-dessus de toute préoccupation, ne suit en rien leurs désirs de révolution.
Cette histoire ira très loin pour eux, leur petite fille trouvera une mort certes
accidentelle, due à cette vie bringuebalante. De même Pierre Blanchet, devenu grand
reporter, trouvera plus tard une fin tragique. Avec ces souvenirs écrits sans concession,
Claire Brière-Blanchet dresse le portrait dun gâchis, dune époque avec ses
stupidités (Bruay-en-Artois). On retrouve de nombreux noms, devenus de célèbres patrons
de presse, écrivains, philosophes, certains médaillés (et pas du travail, voir en
Étonnements cette semaine) : personne nest resté dans les usines, ni près du
peuple qui vote maintenant FN et qui demeure toujours autant invisible.
(19/06/2017)
Maos de Morgan Sportès, Grasset.
Je viens davoir ma période maoïste ! En réalité, deux livres sur
le sujet mont un instant distrait de la thèse, bien que ces lectures aient un
rapport avec certains récits de mon corpus détude concernant les
« établissements » de maoïstes dans les usines autour de 1968. Désireux
den savoir plus, jai ainsi lu un essai (qui sera chroniqué la semaine
prochaine) et ce roman : Maos de Morgan
Sportès. De Morgan Sportès, javais lu Tout,
tout de suite (Note de lecture du
23/11/2011) sur un enlèvement crapuleux qui avait défrayé la chronique il y a
quelques années. Maos est comme ce précédent
roman, à la fois une fiction mélangée à des faits réels. La fiction : un ancien
maoïste rangé maintenant (mais ils le sont tous), embourgeoisé (idem), est rattrapé par son passé : il
doit exécuter un ancien gros bras, responsable de la mort dun camarade pendant une
manifestation quelques années auparavant. Les faits réels : lhistoire se
passe au début des années soixante-dix, lambiance est bien restituée, gauche
prolétarienne, Sartre et compagnie. Lhistoire se perd un peu vers la fin dans la
saga dun complot universel ou le pouvoir est au courant de tout et laisse faire, où
les félons ne sont pas ceux que lon croit, etc. Reste le principal : tout le
monde trahit tout, nimporte quoi, nimporte qui, ses idéaux, ses proches et
surtout le peuple. Et ça cest pas de la fiction, ça sest réellement passé
ainsi, nest-ce pas Ô repentis de maintenant qui arborez pour certains la légion
dhonneur et autres décorations de pacotille
(12/06/2017)
Quest-ce
que la littérature ? de Jean-Paul Sartre, Folio.
Pris un peu au dépourvu, pour cette mise à jour que je voulais rapide, jai choisi
un des livres consulté dans laprès-midi pour ma thèse, parmi la dizaine en vrac
sur mon bureau. Sur le dessus, il y avait ce fameux livre de Jean-Paul Sartre
Quest-ce que la littérature ? Un malin, ce Sartre : il a réponse à
tout. Je cherchais une citation avec le mot bourgeois, évidemment jai trouvé une
de ces expressions à lemporte-pièce : « le bourgeois de droit
divin » (p. 119). Jai lu récemment quelques livres sur laventure
maoïste des années 60-70, et là encore, Sartre passe pour un malin, très dans
lair du temps, dailleurs, grand pourfendeur de bourgeois, moralisateur, esprit
brillant et rapide, il accumule les aphorismes. Dans Quest-ce que la
littérature ?, il propose un panorama historique de la condition
décrivain : siècle des lumières, dix-neuvième, surréalisme, rien
néchappe à son il tanguant. Il a des avis sur tout et surtout des avis comme
disait Coluche. Mais il y a à gratter dans cette logorrhée. Allez, un dernier Sartre
pour la route : « Pour le présent donc, lécrivain recourt à un public de
spécialiste ; pour le passé il conclut à un pacte mystique avec les grands morts ; pour
le futur il use du mythe de la gloire. Il na rien négligé pour sarracher
symboliquement à sa classe. Il est en lair, étranger à son siècle, dépaysé,
maudit. Toutes ces comédies nont quun but : lintégrer à une société
symbolique qui soit comme une image de laristocratie dancien régime. »
(p. 133).
(29/05/2017)
À
tombeau ouvert, de Bernard Chambaz, Seuil.
Comme souvent avec Bernard Chambaz,
laccident qui a coûté la vie à Ayrton Senna en 1994, lui rappelle un autre drame,
la disparition de son fils Martin, deux ans auparavant, dun accident de voiture
également. Mais aucun pathos, rien de plombant, il sagit juste de retracer la vie
exceptionnelle du pilote brésilien, de dresser des ponts et des coïncidences avec
dautres évènements, de raconter ce qui se joue dans le sport automobile, et in
extenso dans la vie, dans nos vies. Raconté dune façon précise, ce livre
nest ni une biographie, ni une écriture de soi comme on dit, à peine un roman,
juste un récit dans la noblesse quon peut y mettre : raconter, et dans cette
narration il ny a quune histoire, celle du destin des hommes.
(22/05/2017)
Fait
et fiction, de Françoise Lavocat, Seuil.
Le grand mérite de cet ouvrage est dêtre récent : mars 2016. Ce
nest pas là, heureusement, son seul mérite. Mais, dans ce domaine où les
théories de la fiction abondent et se sont développées ces dernières années (on
pourrait faire un parallèle dailleurs avec la multiplication actuelle des théories
du complot qui en sont des artefacts culturels pour parler comme Françoise
Lavocat), il est bon de pouvoir faire un point le plus avancé possible. Le grand mérite
également est de reprendre une approche diachronique de lensemble des théories de
la fiction, ce rapprochement a paradoxalement très peu été effectué (de même
quune approche synchronique entre elles, par ailleurs). Bref, il y a des trous dans
la raquette pour utiliser un langage fleuri et fictionnel
Que ce soit lépoque
du structuralisme, laquelle a été marquante (est encore), ou plus anciennes, un point
commun réunissait lensemble des études : lincapacité quasi totale à
sortir du domaine écrit ou du moins à faire des ponts avec dautres formes
dart. La formidable révolution numérique a fait déborder la fiction comme le lait
sur le feu : nous voilà comme devant une poule qui a trouvé un couteau :
comment appliquer nos vieilles théories qui navaient pas prévu cette
évolution ? En attendant, on se contente den mesurer les conséquences et
daffirmer que tout devient fiction On se
réfugie derrière de vieilles maximes qui nous rassurent, du genre « la réalité
dépasse la fiction ». Ce nest pas foncièrement faux, mais cest un peu
court comme raisonnement. Une grande partie du malentendu tient à ce que chacun évoque
une argumentation qui tient beaucoup à la culture apprise. La fiction est mondiale, mais
na pas le même sens au Japon, au Royaume-Uni ou en France. En France, bien que
Françoise Lavocat affirme que nous sortons de la fiction « inséparable du
roman », celle-ci demeure extrêmement prépondérante. Notre cheval de bataille est
de distinguer réalité et imaginaire. Françoise Lavocat (qui affirme son goût pour la
fiction) propose plutôt de réfléchir autrement, de se poser la question de notre goût
pour linvention, de notre immense désir de croire à tout, surtout à
limpossible.
(15/05/2017)
Vallée
de la mort, de Joyce Carole Oates, éditions Philippe Rey.
Il faudra s'habituer cette année à ce que je relate des livres de Joyce Carole Oates,
car c'est un des auteurs que je découvre avec avidité, de même que Bernard Chambaz. En
ce qui concerneVallée de la mort, recueil de nouvelles, signalons que ce genre a
peu cours chez nous. En revanche, chez les anglo-saxons et les américains, les revues qui
les diffusent sont nombreuses et c'est un genre prisé. C'est dommage pour la France, car
la nouvelle exprime véritablement la quintessence de la fiction : démarrage en trombe,
il faut accrocher de suite le lecteur, créer une ambiance, la faire vivre et trouver une
chute, sinon originale, suffisamment expressive pour que l'histoire semble se poursuivre
sans nous. C'est vraiment de l'art littéraire. Raymond Carver s'en est fait une
spécialité, mais Joyce Carole Oates n'a rien à lui envier. Vallée de la mort propose
une suite de ces textes brefs qui nous dérangent, comme Chercher une maison, où
un homme qui ambitionne de reconquérir sa femme doit chercher en même temps une maison
pour y vivre avec elle. Intrigues en apparence simples mais que la complication des âmes
et de nos vies rend palpitante.
(10/05/2017)
La tentation du pire, lextrême droite en France de 1880
à nos jours,
de Pierre-Louis Basse et Caroline Kalmy,
avec les regards de Dany-Robert Dufour, Benjamin Stora, Jérôme Leroy et Adrien Gombeau,
éditions Hugo Image.
Cétait
la veille de Noël, derniers achats en vue du Réveillon, dans une librairie de
Mont-de-Marsan, jai vu ce livre, je me le suis offert égoïstement (non merci, pas
de papier cadeau). Ce qui ma attiré dans le titre cest 1880, car cest
exactement à ce moment précis quil me semblait que justement,
lextrême-droite avait commencé. Plus précisément 1885, pleine affaire du Tonkin
avec Jules Ferry, quelque chose qui me paraissait emblématique des relations
colonialistes de lépoque et que je creuse un peu dans le nouveau livre à venir,
bref
Ceci dit, lextrême-droite démarre vraiment sur le sol français avec
laffaire Dreyfus, antisémitisme, méfiance de la démocratie, manipulation des
foules
Tout cela est magistralement retracé dans cet ouvrage qui fait la part belle
aux documents dépoque. Bien sûr, lhistoire va senchaîner via les
drames quon connaît et qui mèneront à Pétain, englueront lhistoire.
Hélas, ce nest pas que dhistoire quil sagit et cest là
tout lenjeu de ce livre, de montrer comment les faits (qui sont têtus, comme le
répète souvent Pierre-Louis Basse) découlent de celle-ci, comment lactualité a
un lien évident avec nos vieux démons, une guerre dAlgérie ravalée à grand
peine et des racines qui prennent jusque dans le terreau de lancien régime.
Cest détaillé, opiniâtre, partisan et on en redemande. Heureux davoir pu
lire les contributions des co-auteurs cités, je noublie pas la reproduction de
larticle ô combien nécessaire dAnnie Ernaux à propos des dérapages
dextrême-droite rédigés par Richard Millet. Quant à Pierre-Louis Basse, je me
souviens avoir été interviewé par lui et avoir constaté un lecteur précis, véritable
passionné de littérature. Oui, on peut aimer les écrits de Céline, Drieu ou
Brasillach, et détester les idées quils ont véhiculées. Faire la part des
choses, savoir comment fonctionne le mouvement des idées nauséabondes est devenu
salutaire dans notre époque où les « roms » deviennent les juifs à abattre,
où il est si facile de hurler avec les loups quand tout semble aller mal, la crise est
toujours la faute des autres
Bravo pour ce livre indispensable !
(02/05/2017,
note initialement parue le 08/01/2014)
Amérique des écrivains en liberté, Jean-Luc
Bertini, Alexandre Thiltges, Albin Michel
Javais déjà lu un livre de ce type, road trip en prétexte à la rencontre
décrivains américains qui fascinent les auteurs : LAmérique des écrivains de Guillaume Binet
et Pauline Guénat, bizarrement pas recensé dans mes FdR, pourtant c'est un
livre qui m'avait marqué. Celui ci porte un titre proche et les ressemblances ne
sarrêtent pas là : on retrouve le format, lépaisseur, les
photographies, limplication des auteurs (là aussi ils sont deux. Dans lautre,
cétait une famille avec enfants). On y croise parfois les mêmes romanciers
rencontrés au cours du périple (Laura Kasischke), et léditeur de ces deux
volumes est identique. Et jai pris aussi un identique plaisir à le lire, avec les
mêmes impressions au bout (cest peut-être ce que lon cherche). A savoir que
les écrivains américains sont moins poseurs, plus abordables, peut-être parce que plus
dispersés dans cet immense pays. Ils vous reçoivent en short, au bistrot, chez eux, vous
invitent à casser la croûte, évoquent facilement la famille, lécriture. Là-bas,
tout semble tellement différent. Dabord, la majorité des écrivains a suivi des
cours de créative writing pour écrire,
inimaginable en France, où on pense encore que lécriture est un don du ciel.
Chacun a décidé à un moment de devenir écrivain, et a souvent cumulé des petits
boulots pour arriver à survivre (ça, en revanche, cest identique en France, mais
motus, on en a honte, là-bas c'est une fierté d'avoir été laveur de carreaux ou
pompiste). Le système éditorial aussi est différent, il y a plus dagents, ça a
l'air plus franc, plus direct, mais je ne peux pas juger, pour moi aussi, c'est franc et
direct avec Fayard. A lire ce livre, je mimagine presque américain, jhabite
en province, ce qui doit être, pour un parisien pur, aussi étrange que le Montana pour
un Newyorkais. Moi aussi, on peut me surprendre en short en train de tailler ma pelouse
(on a plus de chance de me croiser sur mon vélo ou avec mes étranges chaussures de
course à pied à mon avis). Moi aussi je ne rechigne pas à parler popote et écriture
dans tous les sens du terme. Alors, qui viendra voir laméricain que je suis pour
disserter Claude Simon tandis que je préparerai des endives au jambon pour les
visiteurs ? Qui aurait lidée dun road trip pareil : France des
écrivains en liberté ? Pourquoi pas moi après tout (mais pas maintenant) :
jai déjà des noms, des parcours, et je ferai la route à vélo, tiens !
(03/04/2017)
Histoire de la littérature prolétarienne de langue
française, de Michel, Ragon, Le Livre de poche.
Cest drôle, je navais jamais relaté ce livre dans mes notes de
lecture. Pourtant, il maccompagne depuis au moins vingt ans. Découvert à la
médiathèque de ma ville, javais fini par lacheter, à force de
lemprunter tous les six mois. Cest dire si je my réfère souvent.
Cest même le tout premier ouvrage qui ma servi à défricher la bibliographie
de la littérature du travail. Les auteurs dont parle Michel Ragon, sont souvent peu
connus, écrivains du peuple, parfois encartés, mais lensemble de ce livre est une
mine dor pour qui cherche à connaître un pan entier de la littérature :
grande leçon dhistoire, des chansons de compagnonnage aux romans, en passant par la
littérature de colportage. Lire cela est une cure de jouvence, on sait où se trouve
lauthenticité de lécriture, chez Navel, Poulaille, Robinet, Guillaumin. On a
souvent décrit la littérature de ces écrivains modestes comme une « littérature
fatiguée » pour qui cumulait un travail et lécriture : ce livre prouve
que non.
Et puis vraiment, Michel Ragon, 92 printemps, vaut le détour.
(27/03/2017)
La Langue littéraire, une histoire de la prose en
France de Gustave Flaubert à Claude Simon
(sous la direction de Gilles Philippe et Julien Piat), Fayard.
Il nest pas difficile dimaginer que je me sers de ce livre pour rédiger ma
thèse. Ceci dit, rien quen prononçant son long titre, tous les amoureux de la
littérature vont y trouver leur compte : pensez donc, un siècle de langue
littéraire passée au crible. Cest évidemment passionnant. Javais déjà
évoqué quelques bribes en notes décriture le 22 février dernier où comment
Proust, Sartre et Barthes se rejoignaient autour du concept dune langue étrangère
lorsquon écrit. On peut y ajouter les qualificatifs de « langue
morte », de « langue de mandarins » lorsquon parle
lutilisation de notre langue pour la littérature, tant elle est spécifique.
Étonnamment, le grand avantage de cette langue littéraire est sa volonté
dautonomie que les auteurs constatent dans le courant du XIX° siècle. Car si la
langue littéraire demeure paradoxalement à lécart du langage populaire, elle
singularise la création, oblige à la créativité. Cest dailleurs cette
autonomisation qui expliquerait, selon Bourdieu la tentation de « lart pour
lart » apparue à la fin du XIXe siècle chez la bohème artiste, à la fois
incapable de sassimiler à la bourgeoisie triomphante et renonçant à toute prise
sur le réel et à toute ambition de communiquer. Ce mouvement global
dautonomisation, commencé avec le début de linstruction publique, se confond
avec lavènement du roman comme genre prépondérant. La littérature évolue ainsi
dans une grammaire classique, perpétuée par lenseignement. Les auteurs précisent
qu« il faudra attendre les années 1980 pour quil ne paraissent plus aberrant
détudier en classe des textes immédiatement contemporains », ce qui ne nous étonnera pas. Si latout
essentiel de la langue littéraire (dans lacception dusage de la langue des
récits, des romans, de la fiction) réside toujours dans son autonomie et sa liberté, et
par sa capacité à se définir constamment par rapport au français dusage, on
comprend également mieux pourquoi notre petit monde des lettres demeure toujours perclus
de vieilles habitudes. On referme ce livre passionnant en soupirant : rien à
vraiment changé depuis 150 ans
(20/03/2017)
Les murs, lusine, Robert Piccamiglio,
éditions Alphée.
Paru en 2010, le livre Les murs,
lusine revendique la mention de roman sur la couverture. A la réflexion, ce
sont plutôt des chroniques, comme celles quil avait déjà écrites auparavant (Chroniques
des années dusine). Lauteur nous fait part de son expérience au sein de
lusine, décrit la manière dont elle enferme, mange la vie, empêche une vie
totalement libre. Pourtant cest à une telle libération quaspire le
narrateur. Marié mais infidèle, il escalade parfois les murs de lusine dans son
service de nuit pour aller retrouver sa belle. Robert Piccamiglio est lun des rares
a avoir à la fois travaillé en usine et a avoir constitué une uvre littéraire
conséquente. Il se déclare volontiers comme individualiste et pas forcément attiré par
les mouvements collectifs ou syndicaux comme par exemple Jean-Pierre Levaray. Les murs, lusine sont donc une ode à la liberté, même lorsquun
un mouvement de grève survient, lengagement du narrateur se perçoit plus comme une
manière supplémentaire déchapper à
la routine. Au départ, cest le titre qui ma attiré : comment ne pas
penser avec Les murs, lusine au livre emblématique écrit en 1982 par Leslie
Kaplan, Lexcès-lusine : Robert Piccamiglio y aura forcément
pensé.
(06/03/2017)
LÉtranger, dAlbert Camus, Folio.
Note de lecture du
29/08/2001 : « On retrouve et on relit la vieille édition folio. Le souvenir
de cette lecture est lié à un prof de français en 4ème (on garde l'image dun
gars solitaire et tourmenté). Cétait la fin de lannée, plus rien à faire,
il nous avait lu LÉtranger en cours à
voix haute. On sen souvient comme dun des premiers chocs de lecture, sa voix
monocorde, cette sorte dennui qui transpirait sous les mots : létranger,
cétait ce prof qui ressemblait tellement au narrateur de Camus. A la relecture on a
retrouvé les images brulantes de lété et la langue magnifique qui les suscite,
comme par exemple lhallucinant enterrement sous le soleil algérois. »
Peu à ajouter à cette note de 16 ans dâge, Feuilles
de route existait depuis un an tout juste. Je nai pas retrouvé ma vieille
édition folio, elle doit être dans un des trente cartons qui abritent le contenu de la
bibliothèque en instance dêtre réinstallée. Bien sûr lincipit
(Aujourdhui maman est morte) est devenue un classique de lycée et jai cet
étonnement de voir sur le web combien est guidée la réflexion au point den perdre
toute singularité (voir ici et là, au hasard). Bien sûr Meursault est devenu nom commun. Aussi, la
découverte du livre, jimagine, natteint plus de la même façon. On en parle
tellement avant, tant dinformations, on dépieute, on se repait dextraits, on
dévoile : cest dommage. Qui connaît maintenant le choc davoir un prof
qui commence, dune voix monocorde : Aujourdhui maman est morte.
Cétait tôt, jétais encore au collège, Camus, on nen avait pas encore
entendu parler. Maintenant on lapprend au lycée, on récitera pour le bac les vieux
lieux communs, attendus. Je ne sais pas ce quest devenu le prof de français triste
et tourmenté qui nous a scotché à nos places pendant deux heures. Cétait la fin
de lannée, restait qui voulait. Combien étions-nous ? Certains avaient dû
partir. Je garde la sensation de lété derrière les carreaux, jai le
souvenir du prof, sa figure ronde et placide, les mots qui sen échappaient, mon
regard qui errait au plafond, sur les murs, sur la table, surpris moi-même de ne pas
mêtre levé comme dautres, dêtre parti pour profiter de la belle
journée. Demeuré assis, cloué : Meursault était parmi nous, encombré,
encombrant, comme ladolescence qui se pointait, évènement sur laquelle nous
naurions aucune prise. Létranger était déjà chacun dentre nous.
(27/02/2017)
Fragments du dedans, François Bon, Grasset
Un des rares écrits de François que je navais pas encore lu, ces Fragments du dedans sont un abécédaire. Un livre
de commande, dit lauteur, de même que javais relaté dans la même
collection, celui de Pierre Jourde (note de
lecture du 07/11/2016).
«Su très vite que le premier serait abandon :
écrire dans une logique dabandon. Su assez vite quils se disposeraient de
façon à permettre une lecture linéaire du livre. Quelquefois ça narrange pas :
jaurais voulu mot avant mort (du coup, cest comme ça que je commence pour
mot). Et jai triché en plaçant larticle autobiographie à W »
raconte encore François. On sait bien que W est synonyme de Perec, tous nos fantômes. Et
tiens justement, il y manque ce mot.
(20/02/2017)
Rimbaud à Aden, textes de Jean-Jacques Lefrère et Pierre Leroy,
photographies de Jean-Hugues Berrou, portfolio Fayard.
En rangeant ma bibliothèque, jai bien sûr retrouvé le très beau portfolio qui
accompagne Rimbaud à Aden. Cest un cadeau de ma maison dédition
(Fayard aussi), histoire de fêter en 2012 le beau succès dIls désertent avec Rimbaud déjà en filigrane. Ce « tiré à
part », constitué de seulement 100 exemplaires accompagnait la parution du livre en
2001, premier dune trilogie comportant par la suite, en 2002, puis en 2004, Rimbaud au Harar et Rimbaud
ailleurs (voir note de lecture du 06/03/2013). Le portfolio est constitué de 11
photographies reproduites sur vélin pur chiffon par les ateliers Fortier frères. Cinq
clichés, datés de 1880, sont issus de la collection de Pierre Leroy, notamment celle où
est censé se trouver Arthur devant la maison dHassan Ali. On y aperçoit également
lHôtel de lUnivers, autre lieu à colonnades sous lesquelles le poète a
été également photographié. Six autre clichés contemporains sont de Jean-Hugues
Berrou, auquel je dois aussi l'illustration de couverture dIls désertent. Sous le même angle, on retrouve la maison
dHassan Ali, et quelques vues touristiques du « Rambow Hotel ». La page
de présentation est signée par les trois auteurs. Aperçu, non sans émotion, le paraphe
de Jean-Jacques Lefrère, qui a eu la mauvaise idée de trépasser au moment où je
souhaitais le rencontrer pour Vie prolongée dArthur Rimbaud.
(13/02/2017)
La
petite bibliothèque du coureur, de Bernard
Chambaz, éditions Flammarion.
Évidemment, il faut être soi-même
coureur pour écrire un livre qui sonne vrai sur la course à pied. De la même manière
quil convient de savoir de quoi on parle pour évoquer un métier. Comme pour la
littérature du travail, le réel ne peut être indissocié de limaginaire. Et
cest probablement ce qui me plait dans la course : bien obligé davancer,
sentir ségrener les secondes, minutes, heures, pieds sur terre, et en même temps
laisser voguer son esprit, tête dans les nuages. Toute lactivité décriture
se ramène ainsi au sol et au ciel. Bernard Chambaz, marathonien, propose à travers ce
livre un panorama de textes sur « courir pour le plaisir ». Excellente
idée ! Et Barthes nest pas loin lorsquil évoque en parallèle
« le lecteur heureux cest-à-dire le seul lecteur qui soit ». Ce
recueil est ainsi fait, déguster les textes, goûter les phrases, foncer au pas de course
de lantiquité à nos jours. Homère, Virgile, mais aussi Stendhal, Claude Simon. Bien sûr Murakami y figure, mais aussi Echenoz, une
belle fable d'Hélène Delavault. Et Jacques Gamblin, létonnant acteur du très
beau film « De toutes nos forces » sur un père qui court un triathlon avec
son fils handicapé. Peut-être manque-t-il juste Joyce Carol Oates dont Bernard Chambaz
explique dans sa grande introduction, quelle « consacre entre deux romans un
bref essai au jogging ». Ce serait formidable sil existait une version audio
de ce livre à écouter tout en courant bien sûr.
(06/02/2017)
Le
Roi de la forêt, de Jean-François
Laroche, éditions Le Pythagore.
Tout dabord un mot sur les
éditions Le Pythagore de Chaumont créées par Francis Zahn, et que jai beaucoup de
plaisir à retrouver en diverses occasions, lorsquil sagit dernièrement
daccueillir léquipe de tournage de France 3 (voir note décriture du
10/01/2017) ou de fêter la sortie poche de Faux
nègres. Avec Francis et Jean-François
Laroche, on reste ancré dans notre petit département : lauteur travaille à
Langres et connaît parfaitement ma ville natale. Aucun chauvinisme pour autant de ma
part, je suis assurément un imbécile heureux comme dans la chanson de
Brassens, sans toutefois rester empalé sur mon clocher. Le Roi de la forêt,
cest dabord cette inscription retrouvée à côté dune scène de
meurtre, et qui va servir de point de départ à cette intrigue. Le roi de la forêt
existe, assurément et linspecteur Victor Esperey va se lancer sur ses traces pour
élucider le mystère. Cest donc un roman policier classique, joliment écrit qui
déroule son enquête sans temps mort ni trompette, pas deffets de manche
outrancier, des caractères forts ou faibles, assurés ou hésitants, comme dans la vie,
ou plutôt comme dans la forêt. A lire donc, que lon soit vieux chêne ou jeune
baliveau.
(30/01/2017)
Et faire taire les murmures du roc, de
Philippe Didier, aux Editions Border Line.
Lhistoire est attachante au départ. Un
couple découvre que son premier enfant est atteint dune forme dautisme. Entre
colère et résignation, chacun va se construire un nouvel équilibre avec lenfant
au milieu. Pas de pathos, une relation qui se construit à petites touches discrètes,
servies par une plume qui sattache aux détails du quotidien. Lenfant grandit
et se découvre plutôt sportif et doué pour la course. Cest le début dune
relation privilégiée avec son père, qui fonde de grands espoirs sur son fils malgré
son handicap. Cependant les échecs sont fréquents avec ce fils imprévisible qui
interrompt par exemple sa course alors quil est en tête pour aller caresser un
chiot sur le bord de la piste. Lhistoire sachemine ainsi dans une douceur
résignée, jusquà lâge adulte : cest devenu un bel homme.
Lentourage est ainsi mis à mal : est-il capable daimer ? De
construire ? Des évènements font basculer le fragile équilibre : lamie
de la famille est amoureuse du jeune homme, une fête de famille tourne mal, le père est
malade. Cest lenchainement néfaste. Cette deuxième partie est sombre et
dure, mais le livre reste attachant. Petit reproche : lhistoire du livre se
suffit à elle-même, il est superflu de la compliquer à travers une légende ardennaise.
Du coup, le titre qui part de cette légende est complexe et mal adapté à
lhistoire.
(23/01/2017)
POLICE, dHugo Boris, Grasset.
Trois policiers sont sollicités pour raccompagner un étranger jusquà lavion
qui va le ramener dans son pays. Il apparaît évident que cette reconduite à la
frontière est synonyme darrêt de mort pour ce migrant. A partir de cette anecdote,
Hugo Boris construit un récit efficace où les doutes des trois agents vont augmenter,
les dépasser, et mêler leurs histoires personnelles souvent imbriquées. Finement
construit, sans faire la part belle au pathos, ce récit montre le métier difficile de
policier, pour lequel lauteur sest beaucoup renseigné. Le quotidien est
dépeint sans parti pris, avec la difficulté permanente de lurgence, de devoir
faire la part des choses, de prendre des décisions rapides sans savoir si ce sont les
bonnes. Lécueil de ce livre aurait pu être de tomber dans les poncifs du roman
policier, avec des clichés affirmés. Mais cest évité avec brio. « A
cet instant elle prend ce que la vie lui donne » écrit Hugo Boris à propos de son
personnage principal. Cela résume ce roman de limmédiat, de lincertitude où
tout semble si peu sûr dans lordinaire des jours, sauf lécriture de
lauteur qui avance sans flagornerie et avec empathie.
(16/01/2017)
La
réserve, Haute-Marne 2017, de moi-même,
éditions Dominique Guéniot : futur et extrapolation.
Mon roman nest plus disponible. Il ne me
reste quun exemplaire ! Quelques années après mavoir publié, Dominique
Guéniot avait cédé son affaire. Elle a tenu quelques années, pourtant gérée avec
passion, avant de cesser définitivement. Faut-il voir encore un effet de nos trop petits
départements ? Les maigres débouchés dune clientèle restreinte nont
pas permis de continuer. Ainsi Langres, ma ville natale na plus déditeur, ni
de libraire, par ailleurs. Pour la ville dont Diderot est originaire, cest vraiment
très triste. Il reste toutefois une imprimerie Guéniot et Gérard Paillot, lami
qui mavait dessiné la couverture, y travaille toujours. Jai donc relu mon
tout premier livre pour les besoins du tournage. Il parait quon renie souvent ces
premiers écrits. Pas moi, jen suis fier et plutôt indulgent à la lecture. Je
retrouve lesprit que je voulais lui donner, une histoire distrayante, un hommage à
René Fallet. Jaimerais, en cette année 2017, quil puisse être à nouveau
disponible. Jen ai parlé avec Francis Zahn qui avait réédité les livres
merveilleux de Jean Robinet. Ce serait formidable darriver à une nouvelle
publication. En même temps, comme me dit Francis, il reste un chapitre à écrire,
lépilogue de lépilogue, un dernier chapitre, une vision prospective
Tout est à imaginer. Jaimerais aussi que ce texte soit monté en pièce de
théâtre. Je laisse ces projets murir : aujourdhui mimporte de goûter
linstant présent :
« Nous sommes en 2017, précisément le 10 janvier 2017, à Louvemont, en
Haute-Marne, France, Europe, Monde, Système Solaire et Univers. Il ne sest rien
passé depuis vingt ans. Ou si peu
».
(10/01/2017)
Féminine, dEmilie Guillaumin, Fayard.
Est-ce un livre sur le travail ? Probablement, si on considère « la
carrière militaire » comme lapogée dun service de la nation. Est-ce un
roman ? Assurément si on se laisse porter par lhistoire de cette jeune femme
qui sengage corps et âme, si on est sensible aux descriptions des lieux et des
ambiances, bref, à tout ce qui fait quon ne lâche pas un livre. Et celui-ci, on
na pas envie de le lâcher, on accompagne partout ces militaires qui croient à un
destin qui les dépasse. Au fil des pages, il se crée un équilibre fort, même lorsque
les convictions de la nouvelle recrue sémoussent, une sorte de nostalgie nous
prend. Alors, on se prend à y croire encore un peu : Non, nabandonne
pas !
Un comble pour qui est, comme moi, de la génération des antimilitaristes, des objecteurs
de conscience. Jai fait mon service militaire à la fin des années soixante-dix,
cétait après lépoque du Tchad, de laffaire Claustre. Je me souviens
quil y avait un magazine qui relatait cette histoire au poste de garde. A force, on
la connaissait par cur. Larmée, cest aussi cela, des heures
dennui, même si jai eu la chance davoir une occupation prenante :
jétais à la fois barman, gérant du bureau de tabac, vendeur de bibelots, de
parfums (ah, le flacon dEau noire de Claude François que jai cassé dans la
remise quon ne pouvait aérer
). Au moment de partir, le commandant ma
demandé ce que larmée mavait apporté. Jai dit :
« Rien ». Dans le civil, je vendais des timbres à la Poste ; ici,
cétait des bières et du café. Ce nest quaprès quon se
souvient : la chambrée avec des Chtis que je ne comprenais pas, une virée à 170 km/h à six dans une guimbarde, la fois où
quelquun avait volé le poste de télé, le réveillon de Noël et le lendemain mes
lunettes retrouvées figées dans une flaque de vomi, des tonnes de souvenirs maigres,
rien à voir avec la grandeur du pays.
Et cest probablement une des grandes
qualités de Féminine, réussir à faire sentir les aspirations nobles de qui
veut servir le pays, et, en même temps, donner à voir la réalité prosaïque du
quotidien. Autre réussite, et non des moindres, Emilie Guillaumin nous présente un
témoignage authentique, sans artifice, avec le tour de force cependant de le maquiller en
une fiction étonnante, un roman en treillis dans un équilibre parfait. Après lecture,
il reste longtemps en mémoire, cest dire combien il a trouvé sa place.
(02/01/2017)
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