depuis septembre 2000

retour accueil


Actualités

Agenda

Etonnements

Notes d'écriture

Notes de lecture

Webcam

Bio

Biblio

La Réserve, 

Central

Composants

Paysage et portrait en pied-de-poule

1937 Paris - Guernica
    
CV roman

Bestiaire domestique

Retour aux mots sauvages

Ils désertent

Faux nègres

Journal de la Canicule

Vie prolongée d’Arthur
Rimbaud

Sans trace

Yougoslave

Dernier travail

Littérature 
du travail

Ateliers
d'écriture

pages spéciales


Archives

 

 

Étonnements 2018


Profité du temps clément hier pour aller marcher dans les parages du lac. La promenade que nous avons l’habitude de faire (entre 15 et 20 km), débute le long de la plage sur laquelle nous aimons venir en été. On prend ensuite la piste cyclable. Le début n’est pas très agréable, on longe sur un kilomètre environ la route, avec le bruit des voitures dans les oreilles. Mais bientôt, on oblique dans les bois. Le trajet devient alors silencieux, grandes futaies, alternance de faux plats et de petites descentes. Nous marchons toujours sur la piste cyclable, c’est plus dur et moins agréable que de sentir les feuilles craquer sous nos pas, mais cela permet un rythme plus rapide. Au débouché du bois, nous avons déjà accompli six kilomètres. Le ciel s’ouvre après les derniers arbres, les champs s’allongent. On entend quelques oiseaux, nous sommes à nouveau près du lac, le vent est déjà plus présent. Nous rejoignons la route qui dessert la plage et le camping de la presqu’île. À cette époque de l’année, elle est déserte, rien à voir avec la cohue qui marque les jours chauds aux beaux jours. Des coquilles brisées de palourdes d’eau douce jonchent le bas-côté, probablement apportées par des canards, des mouettes ou des corbeaux. Nous passons devant le camping, fermé depuis mi-novembre, seuls les résidents qui possèdent un bungalow peuvent y accéder, mais tous sont désertés. Pourtant, vu le confort de certaines habitations, il doit être agréable de passer ici les fêtes de fin d’année au calme. Après les dernières maisons nous avons le choix : obliquer à gauche et prendre la longue passerelle qui rejoint le port et la partie touristique du lac ou continuer jusqu’à l’église au bout de la presqu’île. Faux choix : en réalité, nous optons toujours pour les deux chemins : d’abord la passerelle toujours ventée et agréable à parcourir au milieu des flots (mais à cette époque le lac est quasiment vide) et au retour, passage vers l’église qui est le dernier vestige d’un des trois villages engloutis pour les besoins de ce réservoir censé protéger Paris des inondations. Le port est presque désert, juste quelques promeneurs et un seul bateau accroché à un ponton et que son propriétaire tarde à retirer. Nous croisons deux amateurs d’observations avec une longue vue. Bonjours souriants : le grand air et la quiétude des lieux dérident toujours les passants. On se sent complices, unis dans le partage d’une balade dominicale tranquille. Dernier regard vers un groupe d’arbres au centre d’un rond-point : le festival de la photographie animalière (financement participatif si vous voulez que ça continue !) qui avait lieu un mois auparavant, avait réservé à proximité un bâtiment proche pour les vendeurs de matériel photographique et, sur ces arbres, des moyens-ducs posaient pour des clichés d’essais au profit des amateurs. J’avais déjà remarqué lors d’une édition précédente cette incroyable coïncidence, pensant que ces hiboux y avaient leurs habitudes. À la réflexion, cette coïncidence est un peu surprenante : mais comment font les organisateurs pour faire rester ces animaux sur ces arbres, sans cesse mitraillé par des centaines de photographes ? Aujourd’hui, pas de chouettes sur les arbres, en revanche, alors que nous avons fait demi-tour et que nous reprenons la passerelle, nous entendons les craquettements sonores des grues cendrées, qui ressemblent parois à des portes qui grincent ou à des glapissements de renard. L’après-midi bascule déjà vers le crépuscule et ces grands oiseaux, partis se ravitailler dans les champs aux alentours, rentrent au bercail. D’ailleurs, parvenus à l’église, sur les îles qui parsèment ce qui reste du lac au plus bas, nous apercevons des colonies entières de grues, d’aigrettes, de canards et d’oies. Les deux amateurs croisés tout à l’heure ont déplié leur trépied et les observent à la lunette. Il est temps cependant de revenir, il reste sept kilomètres à faire et la nuit tombe rapidement à cette époque de l’année. Retour sombre donc sous les grands arbres de la forêt où j’espère (en vain) surprendre un sanglier ou un chevreuil dans un chemin. Souvenir un jour d’avoir couru une nuit (sans lampe !) dans un bois et d’avoir aperçu un blaireau aussi médusé que moi. Lorsque nous atteignons la voiture, le jour s’est déjà bien assombri, nous avons marché 18 kilomètres, nous regardons les derniers vols en V des grues retardataires au-dessus du lac, nous sommes heureux.
(17/12/2018)

 

Jean-Marc : je ne connaissais pas son prénom. A l’accueil de la médiathèque de ma ville, il me saluait d’un franc « Bonjour Thierry » (lui connaissait mon nom). Grand type, toujours en mouvement, visage sévère, un peu inquiétant, il ressemblait à un de ces vieux garçons hors d’âge, issus de vieilles familles de centre-ville éloignées du progrès.
A Langres, dans ma ville natale, il y en avait autrefois quelques-uns de semblables. Nous allions chez l’un avec mon cousin (nous étions tous dans la même classe) : reçu autour d’une table de chêne, intérieur vieillot et sombre, famille catho avec le père et sa pipe, la mère grise, le grand frère en école d’ingénieur et qui commençait tardivement sa crise d’ado, cheveux longs (c’était dans les années 70) et la révolte des Beatles en fond sonore avec quinze ans de retard. Le frère donc que nous allions visiter, je l’ai revu un jour, devenu père de famille, entré à l’ONF je crois, devenu « normal », c'est-à-dire moins austère. Un autre encore dont je me souviens, toujours à Langres, arpentant avec son père les antiques rues, tous deux coiffés de bérets, pareillement sans âge et décalés.
Donc Jean-Marc me faisait penser à eux, physiquement et dans l’allure, mais à la médiathèque où il travaillait, il était beaucoup plus vivant, affable et pressé, parlant vite, avec parfois des intonations aiguës qui précédaient un rire bref. Nous parlions évidement de littérature. C’était vraiment un fou de lecture, doté d’une culture impressionnante, toujours au courant de l’actualité. Chaque fois qu’un article me concernait dans une obscure revue, je découvrais qu’il l’avait déjà lu. Lorsque j’empruntais des livres, il les commentait brièvement, s’attardant sur l’auteur : Ah, Duras… Oh, Beckett… Parfois plus disert aussi : je me souviens d’une conversation sur Céline. C’est lui qui un jour s’était exclamé tout fort devant mes choix : « Ah, vous aimez ça, hein Thierry ! », me faisant passer devant les autres usagers de la bibliothèque pour un type libidineux, empruntant quelques revues pornographiques sous le manteau.
Je le rencontrais parfois ailleurs, sur un trottoir, toujours pressé, et une ou deux fois à la librairie, car, en plus des livres qu’il avait à disposition à la bibliothèque, il en achetait beaucoup et connaissait par cœur le catalogue de la Pléiade. Ainsi c’était quelqu’un qui ne semblait vivre que pour les livres.
Il y a environ deux mois, j’ai rencontré l’ancienne responsable de la médiathèque à une exposition dans ma ville, elle m’a annoncé qu’il était malade et, à sa tête, j’ai compris que ce devait être très grave. Jean-Marc, donc : j’ai appris son prénom dans la rubrique nécrologique du journal il y a deux jours. Et Feuilles de route sert aussi à cela : se souvenir et retrouver plus tard le prénom de quelqu’un qu’on n’avait jamais su mais dont le visage vous était familier depuis des deux dizaines d’années.
(10/12/2018)

 

 

C’était prévu depuis longtemps : visiter ce week-end l’exposition Le Caravage avec des amis. Amis très chers par ailleurs où Le Caravage tient lieu très régulièrement de trait d’union : le Louvre visité exprès pour deux tableaux il y a quelques années, sans compter depuis longtemps tous les lieux de Sicile hantés par le peintre et visités ensemble : cette année encore, L’enterrement de Sainte Lucie à Syracuse. Et ce samedi donc, le musée Jacquemart à deux pas des Champs-Élysées où se tient l’exposition Caravage à Rome, amis et ennemis et dix œuvres rassemblées dont le fameux Judith et Holopherne. C’est le jour des gilets jaunes, deuxième samedi de manif, les Champs-Élysées sont barricadés pour éviter les débordements du samedi précédent : pas d’étonnement de voir quelques groupes vraiment tranquilles de canaris tout en haut du boulevard Haussmann avant de pénétrer dans le musée pour la visite réservée en début d’après-midi. Et bizarrement, alors que nous sommes maintenant à l’intérieur du musée, tout se gâte : talkies des agents de sécurité, l’accès est fermé lorsqu’on commence la visite. Et d’un coup, précipités dans une ambiance étrange : dorures aristocratiques dans la pénombre des premiers salons alors que résonne le bruit des déflagrations des premières grenades lacrymogènes au-delà des fenêtres. On regarde : fumée, puis bientôt quelques gilets jaunes poursuivis par des CRS, appuyés par un dispositif impressionnant de véhicules de police. Du coup le spectacle devient double : d’un côté Judith tranchant la tête d’Holopherne, de l’autre la vague rumeur d’une manif qui tourne au vinaigre. Lorsque nous sortons deux heures plus tard, la rue est redevenue tranquille, quelques débris, poubelles renversées, bacs à fleurs, la devanture d’une banque caillassée, un abris bus démoli. Mais on se dirige dans le mauvais sens, la manif a atteint les grands magasins, gyrophares, fumée noire, le dédale des rues vers Saint-Lazare est constellé de barricades abandonnées, ici, un feu qui crépite, là une remorque renversée. Piétons et automobilistes cherchent à s’extirper de ce merdier (nous aussi, mais les stations de Métro ont été fermées). J’apostrophe un conducteur qui a failli nous rouler dessus : Blaireau ! Expression saluée par deux gilets jaunes rigolards qui regardent placidement quelques palettes brûler. On finit par s’engouffrer dans la station Europe : ravages et Caravage, fin de l’aventure.
Reste la sensation étrange de cet entre-deux monde : d’un côté, se sentir proche de cette colère, « blaireau » provincial, témoin de dizaines années d’abandon de services publics, hôpitaux qui ferment, déserts médicaux, économiques, culturels, déménagement du territoire au profit d’un Grand Paris et de vastes métropoles toujours plus voraces ; de l’autre, la volonté de ne pas s’enfermer, s’ouvrir à la peinture, aux livres, à la musique, à ce qu’on est capable de comprendre aussi bien, mieux peut-être que les vernis de naissance englués dans des savoirs tout faits. Comprendre que Le Caravage, fils d’un maçon, était bagarreur (au sens de celui qui ne se résigne pas ; pas de méprise, c’est le seul sentiment acceptable, aucune caution pour la violence) ainsi que Rimbaud, fils d’une fermière dans un endroit paumé : nos premiers gilets jaunes.
(03/12/2018)


Aux librairies de ma région évoquées la semaine dernière, ont succédé cette semaine des rencontres en bibliothèques. Lyon (la bibliothèque du Bachut dans le 8ème arrondissement) et Échirolles ont eu la bonne idée d'organiser des manifestations autour du thème du travail. Je suis ainsi intervenu mercredi dernier à Lyon et le lendemain à Échirolles, presque trois jours de voyage et cet étonnement de me sentir autant dépaysé alors que je rentre tout juste de Bolivie. La vie urbaine de Lyon tout d'abord, les travaux à La Part Dieu où je résidais (même à l'hôtel, le bruit des perceuses prenait la place de celui des engins de chantier). C'était étrange de me sentir autant touriste qu'en Amérique du Sud. Même impression le lendemain à Échirolles. Lorsque je sors du train les montagnes saupoudrées de neige qui entourent la ville me font penser à La Paz.
Mais le plus important reste bien entendu les deux rencontres. A Lyon, Michel Reynaud qui m'accueille a préparé un entretien qu'il mènera habilement devant un auditoire réduit mais attentif. Je prends beaucoup de plaisir à répondre à ses questions notamment sur la place de l'écriture dans ma vie, ce n'est finalement pas si souvent qu'on précise ce qui vous a amené ici et j'aime évoquer cette cuisine interne qui a déjà abouti à la dizaine de bouquins publiés.
A Échirolles, Pierre, que je connais bien par ailleurs, a préparé mon intervention avec la dynamique équipe de la médiathèque bien en amont. Elle est doublée d'une exposition très réussie sur le thème du travail au musée Géo Charles de la ville et c'est dans cet endroit qu'a lieu cette rencontre. Résultat : une douzaine de personnes connaît pour la plupart les écrits sur le travail que j'ai commis et les questions seront vives et nombreuses : un régal !
Merci à tous pour ces deux rendez-vous chaleureux.
(26/11/2018)

 

Ma région Grand Est a eu la bonne idée d'instaurer une quinzaine des librairies indépendantes. A ce titre, je suis intervenu dans deux librairies. A Charleville, c'était ce samedi, à la librairie Rimbaud (que je connaissais déjà). Et la semaine dernière c'était à Neufchâteau à la librairie Lambert (que je ne connaissais pas).
A Neufchâteau donc, Catherine et Sylvie, les deux libraires, m'ont reçu avec chaleur. Cette librairie a la particularité d'exister depuis 210 ans ! A mon avis, ce doit être une des librairies les plus anciennes de France. Fondée exactement en avril 1809, sous Napoléon 1er, c'est d'abord un imprimeur qui s'installe, le circuit des livres à l'époque ne connaissait pas les diffuseurs et autres circuits de distribution, l'imprimeur faisait office de professionnel de la chose écrite. Catherine, qui me raconte cette histoire, précise qu'il fallait à cette époque prouver que l'on était d'excellente moralité et évidemment en accord avec le gouvernement… La librairie a ainsi persisté de génération en génération jusque dans les années vingt où un certain Lambert la rachète et lui donne sa dénomination actuelle. La dernière génération de Lambert y officie jusque dans les années cinquante mais la librairie continue à vivre au même emplacement au centre de Neufchâteau grâce à ses repreneurs successifs. La modernité qui se manifeste souvent par les difficultés financières du secteur a failli provoquer la chute de cette institution, mais c'était sans compter sur les habitants de cette petite ville qui se sont émus de la possible disparition. Une association d'actionnaires, forte de deux cents membres, assure depuis quelque années la pérennité de la librairie.
J'évoque longuement cet épisode, car je suis intervenu au moment de cet anniversaire, ce qui m'a rempli de fierté. Songez qu'à l'époque de sa création, Victor Hugo était en culottes courtes ! Et qu'Arthur Rimbaud (dont j'étais venu présenter la " Vie prolongée ") viendrait au monde alors qu'elle aurait déjà atteint quarante-cinq ans d'existence. Belle rencontre : une vingtaine de lecteurs et un pot d'amitié, vraiment d'amitié.
Passerelle toute trouvée pour évoquer maintenant la librairie Rimbaud qui existe depuis longtemps mais assez récemment à son emplacement actuel, à deux pas de la place Ducale à Charleville-Mézières. L'officine était au départ installée dans la maison natale d'Arthur Rimbaud. Une boutique France-Loisirs l'a remplacée, mais au moins, on ne sort pas des livres. L'ambiance ce samedi 17 novembre était radicalement différente : c'était le jour de la manifestation des gilets jaunes et toute la semaine, on m'a demandé si je ne préférais pas changer la date prévue. Comme je suis plutôt joueur et attaché à ma liberté, je me suis entêté. Bien m'en a pris : j'ai d'abord accompli cent cinquante kilomètres par des petites routes que n'aurait pas reniées le poète pour parvenir à l'heure prévue et découvrir un centre-ville très vivant, de nombreux passants dans la librairie et des passionnés, à un tel point qu'il a fallu démonter un stock de livres dans la vitrine qui annonçait ma venue pour compléter l'étal des Vie prolongée d'Arthur Rimbaud que j'avais déjà dédicacés.
Ainsi, au-delà de l'exaspération que provoque l'actualité, de cette sorte de division entre deux France, l'une urbaine et l'autre provinciale (celle des "territoires" comme on dit avec un brin de condescendance), cela prouve que la culture livresque est encore importance ici-bas.
(19/11/2018)


"La Paz : quatre saisons passées là-bas à quatre mille mètres d'altitude, avec la cime enneigée de l'Illimani qui domine la ville verticale et ses maisons de brique entassées sur les pentes, déversées au fond des ravins comme des poignées de Lego jetées sans ordre ", déclare un des personnages de mon livre qui paraîtra en janvier prochain.
La Paz, capitale de la Bolivie et quinze jours passés là-bas, avec même une escapade au Chili : de quoi tout oublier en rentrant, tant le dépaysement à dix mille kilomètres de l'hexagone est total. Rentré donc il y a tout juste une semaine à l'heure où j'écris ces lignes. La réalité française nous a vite rattrapé cependant. Pas eu le temps de penser au décalage horaire (terme que je préfère au snobinard " jetlag "), à peine le temps de courir d'une tâche à l'autre, vie matérielle, bagages à défaire, lessives (quinze jours de pistes poussiéreuses, de désert et d'hébergement sommaire), trier les trois mille photos et vidéos, sans compter la correction complète des deuxièmes épreuves de ST et le choix de la couverture (voir en Notes d'écriture), l'organisation des rencontres en librairies ou en médiathèques prévues en Novembre, bref, je me retrouve sept jours plus tard, après avoir eu même le temps d'aller courir, histoire de tester la forme après deux semaines à errer entre quatre et cinq mille mètres d'altitude.
La Bolivie est sans doute le pays qui m'a le plus comblé au point de vue nature et paysage, à croire que le bon Dieu a réuni là-bas toutes ses plus belles inventions terrestres. Ceci dit, ça se mérite : il faut s'adapter à l'altitude, cuire sous le feu du soleil qui n'a jamais été si proche, se couvrir face au vent qui surgit l'improviste, alterner bonnet et gants ou casquette et lunettes de glacier, suer sur des pentes en T-shirt à l'altitude du Mont-Blanc, redescendre dans des pierriers au milieu des cactus, débarquer dans un gite et grelotter à cause de la pluie, dormir sur un sommier de sel, se doucher sans eau courante : c'est finalement une adaptation facile tant notre confort d'européen est surfait.
Donc, une fois les contingences évacuées, il ne reste qu'à regarder, sentir, écouter, goûter, toucher, nos cinq sens sollicités en permanence. Voir : lamas domestiques ou vigognes sauvages, flamands roses et lièvres. Voir les paysages dans lesquels ils s'insèrent à en avoir le souffle coupé. Sentir le vent, écouter le silence de l'altitude, saveurs étranges, sensations douces, tout se mélange à chaque seconde.
Notre périple nous embarque trois jours au Nord du Chili dans la région d'Atacama : dur retour (pour moi) à la civilisation. San Pedro est un repère de gringos, jeunes routards qui jouent les aventuriers ou vieux touristes comme nous. Les visites programmées sont un véritable business qui parquent les visiteurs par milliers le long de sentiers balisés. A croire que notre facétieux guide a prévu exprès cette escapade dans ce pays aisé (les Chiliens sont trois fois plus riches que les boliviens) pour nous faire regretter son pays. D'ailleurs la région d'Atacama a appartenu à la Bolivie avant qu'une guerre à la fin du XIXème siècle n'octroie ces terres à l'administration de Santiago (et le seul accès à la mer que revendique encore les boliviens et qui a défrayé l'actualité il y a peu).
Nous terminerons donc notre périple dans la douceur et la tranquillité commencée. Nous serons zen pour les dix-huit heures d'avion et les deux escales nécessaires au retour. Je le demeure d'ailleurs et j'espère que nos gesticulations d'occidentaux vont me tenir à l'écart encore un peu de temps.
En webcam et en carnet de voyage, voici un peu de cette sérénité.
(12/11/2018)

 

 

Attendre lautomne, ou plutôt attendre la pluie, les jours maussades, les températures fraîches, remettre pull et pantalon : aucune hâte cependant, rien que l’étonnement devant cet interminable été. Étonnement d’être passé du manteau dhiver à la chemisette sans transition, faudra-t-il de même troquer short et T-shirt de manière aussi soudaine au profit des parkas et des écharpes ? Mon journal de courses qui me sert aussi de répertoire de la météo indique un « putain de vent froid » le 21 mars mais une insolation dix jours plus tard à lentrainement dun semi. Sans compter toutes les compétitions faites dans des chaleurs insolentes : un 10 km dans ma ville en mai sous une touffeur orageuse, les 20 km de Bruxelles à la fin du même mois sans le moindre nuage, le marathon du Der dans des conditions caniculaires en juin jusquau Sedan Charleville en octobre où à mi-parcours le soleil sest réveillé.   Depuis, je nai pas le souvenir davoir quitté le beau temps, à peine quelques jours épars de pluie dans ma région, rien qui marque les esprits, il suffit de voir les champs crevassés, les routes lézardées et les ruisseaux à sec pour se rendre compte de cette sècheresse et du dérèglement climatique, conséquence probable du réchauffement mais pour linstant aux conséquences moins dramatiques que dans lAude. Il a même fait plus chaud ici que pendant mes vacances en Sicile, un comble.
Reste ainsi l
impression dun interminable été. Premier bain dans le lac le 9 avril, le dernier en date du 6 octobre mais je pourrais y retourner tant les températures de 25° à la mi-journée sont incroyables. Je fais du vélo en tenue d’été et six mois que je me trimballe en sandales et bermuda dans ma ville comme un retraité californien. Attendre lautomne donc, le préparer, mettre une croix sur la récolte des champignons, pas le moindre cèpe dans les forêts où les feuilles mortes crissent sous les pieds, chassant les glands dans les pattes. Préparer lautomne, cueillir les dernières figues au jardin, démonter la toile de la tonnelle, continuer à arroser les plantes comme au plus fort de l’été. Dans deux jours, ce sont les vacances de la Toussaint, pas besoin de chauffage à la maison, je continue à étendre les lessives dehors, des voisins récoltent encore des tomates, je nai toujours pas débronzé et le ciel est immuablement bleu. Francis Cabrel chantait « octobre prendra sa revanche » mais il faudra probablement attendre novembre.
(19/10/2018)

 


99 ème édition cette année et deuxième pour moi (j'y ai déjà participé en 2015) pour la belle course à pied qui relie Sedan à Charleville dans les Ardennes et qui est l'une des plus anciennes courses sur route. Elle existe depuis 1906 et à part les aléas de l'histoire qui ont traversé ce département (guerres mondiales, occupation) qui ont empêché ce genre d'évènements, il s'est toujours trouvé un cercle de passionnés pour continuer l'aventure. L'aventure est déjà la course elle-même : rejoindre les deux villes distantes de 24 kilomètres est un défi sportif. Aventures par exemple pour la première édition de 1906 où le premier de la course s'est fait rattraper par le reste du peloton à cause d'un passage à niveau fermé. Aventures enfin de nos jours de voir trois mille coureurs prendre le départ avenue Philippeaux à Sedan et rejoindre la place Ducale à Charleville, une heure dix, deux heures ou trois heures après. Personnellement, j'ai mis cette année moins de 2h33, soit une minute de plus qu'il y a trois ans et il y avait encore trois cents participants derrière moi. Les premiers sont hors d'atteinte, kenyans, rwandais, angolais et autres masaïs volant au-dessus du bitume à vingt km/h.
J'ai retrouvé l'ambiance sympathique qui sied à cette manifestation : habitants des villages traversés, massés devant la route, vous encourageant, vous proposant ici un carré de chocolat, là une quiche à même un plat à tarte. Musique, artistes locaux, harmonies, et même un orchestre complet de cornemuses. A quoi pense-t-on pendant plus de deux heures de course ? A la même chose que pendant le marathon du Lac du Der effectué en plus de cinq heures en juin dernier, c'est-à-dire à pas grand-chose (le stress en moins cependant, la course est presque deux fois moins longue). On essaie de se concentrer sur son souffle, de le varier, de ne pas le perdre dans des longs faux-plats ; on guette la sensation des muscles, la manière dont les tendons réagissent, la souplesse des foulées (très relative pour moi). Comme d'habitude, j'ai couru avec mes éternelles chaussures à doigts de pied apparents, Fivefingers sans amorti, d'un poids si léger qui oblige à ne pas talonner outre mesure. Ceci dit j'y suis tellement habitué qu'il est difficile pour moi d'enfiler d'autres paires de baskets traditionnelles, si lourdes, j'ai l'impression d'un pied prisonnier.
Et puis, hormis le souffle et la foulée à penser, on regarde les autres coureurs autour de soi, jeunes femmes agiles, grands gaillards dont un seul pas est le double du mien. On se fait doubler par des vieux, des gros, des maigres, des jeunes, on en double de pareils. On suit un coureur qui a le même rythme que vous. Il vous lache ou on finit par le dépasser. Finalement, on est toujours tout seul, ou peut-être recherche-t-on cette solitude au milieu des autres, concentré sur son effort à soi. Rencontré néanmoins Catherine qui m'a rattrapé, nous avons discuté un peu : cette course est juste un entrainement pour elle, à une semaine du marathon de Reims qu'elle va tenter de nouveau. Elle terminera quinze minutes avant moi. Perdu de vue aussi mon gendre mettra une demi-heure de moins que moi. Pas rencontré en revanche Gilda, dommage, mais avec cette foule au départ et à l'arrivée, ce n'était pas évident. L'arrivée donc, visée, espérée : j'ai commencé à y penser dès le départ. Avec l'habitude des entrainements, on ne peut s'empêcher d'estimer le temps qu'on va faire (j'espérais d'ailleurs le temps que j'ai fait). Avec la bousculade du départ, j'avais l'impression d'avoir pris un peu de retard et j'ai tenté de rester aux alentours des 10km/h jusqu'au 15ème kilomètre. Après, la fatigue se fait tout de même sentir un peu et il faut prendre sur soi pour résister à quelques pas surtout dans les dernières côtes de Charleville, j'ai toutefois réussi à garder un rythme de course suffisant tout le long des vingt-quatre kilomètres. Justement, au dernier moment, en débouchant sur la place Ducale, ça grimpe un peu, il y a des pavés et un sol inégal, mais j'ai décidé de rattraper un de mes anciens collègues de travail qui m'avait reconnu et dépassé un kilomètre avant : plaisir enfantin de le coiffer sur la ligne d'arrivée en sprintant.
Voilà, la 99ème édition est terminée, mais nul doute que la centième l'année prochaine sera magnifique. Merci infiniment à Alain et Odile qui nous ont accueilli et gratifié d'une "troisième mi-temps" avec leurs amis si sympathiques.
Une dernière information : je tenais particulièrement à courir ce Sedan-Charleville cette année car j'ai écrit une nouvelle qui met la course en scène dans sa première édition de 1906. Elle paraîtra dans le numéro de Noël de la très belle revue des Amis de l'Ardenne.
(12/10/2018)



Il y a 15 jours, dans cette même rubrique, j'ai évoqué Henri Plantin, le héros d'un de mes livres préférés Paris au mois d'août de René Fallet. Prix Interallié en 1964, une adaptation du roman au cinéma a eu lieu deux ans plus tard, film de Pierre Granier-Deferre, excusez du peu, et avec dans le rôle principal Charles Aznavour. Henri Plantin donc, disparaît une nouvelle fois en la personne du seul acteur qui l'ait incarné. On suppose avec brio puisque le film n'a jamais été rediffusé et n'est toujours pas accessible en DVD (il suffit d'aller dans quelques forums de discussion pour s'apercevoir combien ce manque est criant). Avec la mort de Pierre Granier-Deferre en 2007, celle de René Fallet en 1983 et maintenant celle de Charles Aznavour ce lundi, il est à craindre que Paris au mois d'août tombe dans l'hiver éternel de l'oubli. D'ailleurs, les hommages qui se succèdent depuis la mort du petit Charles mettent en valeur sa qualité d'acteur, on cite Un taxi pour Tobrouk avec Lino Ventura mais jamais celui-ci. On cite Emmenez-moi pour le chansonnier mais rarement Paris au mois d'août, chanson écrite pour le film (et peut-être Formidable : j'ai toujours eu un doute à ce sujet pour savoir si cette chanson qui mêle un anglais à la Henri Plantin, en principe chantée en 1964, n'avait pas inspiré René Fallet pour l'écriture de son roman). Reste donc de vivant dans ce roman et ce film Suzanne Hampshire, qui fut Pat Seagrave, la touriste anglaise dont s'éprend Henri Plantin (Suzanne que Pierre Granier Deferre épousa deux ans après le film, les histoires d'amour sont contagieuses). Reste aussi Agathe Fallet la veuve de René, dépositaire de sa mémoire et toujours active à le célébrer. Allez Suzanne et Agathe, ne nous laissez pas tomber, la mémoire de Paris au mois d'août vous appartient maintenant !
(05/10/2018)

 

Tout commence dans la Bresse, vingt-huitième rendez-vous de racquiens (inutile de chercher dans le dictionnaire ou les homonymies sur Internet, c'est un terme créé et usité que par une vingtaine de personnes) : il y a des perroquets, des chats partout, sauna, jacuzzi, piscine, un confort pacifique et serein de week-end qui semble incongru deux jours plus tard, lorsqu'après avoir ramené mon fils à Bruxelles, me voilà à trente kilomètres au sud de la capitale belge, sur le champ de bataille guerrier de Waterloo. L'idée m'est venue après avoir lu en Sicile (je sais je voyage beaucoup) Les Misérables de Victor Hugo et notamment la deuxième partie qui concerne Cosette et qui débute par le récit de la bataille de Waterloo (voir aussi en Notes de lecture). J'avais été émerveillé par la manière vive dont l'écrivain raconte cette fameuse bataille, en restituant tout sa puissance historique. Victor Hugo avait visité le site de Waterloo en 1861, au moment de la rédaction des Misérables, moins de cinquante années avait passé depuis ce fameux 18 juin 1815, les stigmates étaient encore présents, traces de boulets de canons, arbres mutilés. En fait, l'engouement pour Waterloo a commencé dès la fin de la bataille. D'abord pour une raison de propagande : il fallait glorifier le retour aux vieilles monarchies de la coalition qui avait écarté le péril révolutionnaire dont Napoléon, avant d'être empereur, avait été partisan. Ensuite, la bataille est d'importance, il faut imaginer trois cents mille soldats aux prises sur quelques étendues de champs et de vallons. La terre portera plus de soixante-mille cadavres. En 1820, on bâtit une colline artificielle surmontée d'un lion de bronze de trente tonnes. Plus modestement, des anciens combattants recueillent des armes, des uniformes, des objets laissés sur place, montent des musées. Le mémorial actuel a été entièrement revu en 2012 (on a d'ailleurs retrouvé en creusant le squelette d'un soldat preuve de l'immense nécropole qui subsiste encore). Des reconstitutions de la bataille ont lieu régulièrement (celle de 2015 gigantesque fêtait le bicentenaire). Bien sûr, on retrouve partiellement quelques éléments des anciens musées mais il faut louer la magnifique pédagogie et l'emploi judicieux des écrans. Par exemple, la ferme de Hougomont, qui a été le théâtre de combats héroïques de part et d'autre présente une reconstitution à base de bas-reliefs animés d'une manière spectaculaire : lorsque les trois énormes stèles semblent se refermer comme des tombes à la fin de la projection, l'émotion est à la mesure de ce qu'à dû être cette fameuse bataille de Waterloo.
(28/09/2018)

 

Paris au mois de septembre : le titre m'est venu parce que je partais pour la capitale mardi dernier et que je n'y avais pas mis les pieds depuis juillet. Pas de Paris au mois d'août donc, à mon grand regret : ce roman de René Fallet paru en 1964 est pour moi essentiel. Du coup, l'idée m'est venue d'aller faire un tour à la Samaritaine rencontrer le héros du livre, Henri Plantin, vendeur au rayon pêche de ce grand magasin. Hélas, quelques clics sur le web m'apprennent que la fameuse Samar, fermée depuis des lustres, est toujours en chantier. Et mon petit doigt me dit qu'à la réouverture, il n'y aura pas de rayon pêche. D'ailleurs existe-t-il des rayons pêche encore à Paris de nos jours ? Peut-être dans l'un des magasins du Vieux Campeur, trouve-t-on le nécessaire pour rejoindre le bord de l'eau, cuissardes en caoutchouc, canotier chatoyant, imperméable de qualité ? Mais cela est beaucoup plus destiné à habiller le citadin en mal d'espace champêtre et de rivière, un peu comme on imagine Flaubert préparant son voyage en Égypte avec Maxime Du Camp. Non, les vrais rayons pêche sont tous chez moi, ne les cherchez pas ici. Ils s'établissent dans des villages perdus, le long de ruisseaux infimes, à peine portent-ils l'inscription sur une porte de grange " articles de pêche ". Bref, tout ça fait amateur, décalé.
Décalé, oui c'est sûr : Paname aujourd'hui n'a plus rien à voir avec la capitale que décrivait René Fallet, il y a cinquante-quatre ans (déjà !). Et puis septembre n'est plus août ; la vie trépidante a repris, métros bondés, circulation folle, sirènes, klaxons. Bref, le décalé, c'est moi : bronzé comme au premier jour de soleil, pas agité pour deux sous, me suis souvenu pourtant combien les courants d'airs peuvent être nocifs : mes enfants sont venus se ressourcer à la maison le week-end dernier, déjà terrassés par les clims mal réglées des transports, la vie trépidante, et pourtant, ils venaient à peine de reprendre après la coupure estivale. Au fait, j'allais à Paris rencontrer un doctorant anglais, recommandé par une universitaire londonienne qui m'avait invité il y a quelques années. Il étudie la littérature du travail et effectue des comparaisons entre le monde français et anglosaxon. Discussion passionnante donc autour d'une pizza italienne, histoire de parfaire l'Europe.
Je suis reparti le soir et j'ai retrouvé au couchant ma ville où décidément il fait vraiment plus chaud en ce moment. Province au mois de septembre, c'est pas mal non plus : je suis allé le lendemain à la plage du lac en vélo, j'y suis retourné aujourd'hui, je me suis baigné, le soleil tapait comme au premier jour (et le premier bain de l'année dans le lac, c'était il y a cinq mois et demi, aux premiers jours d'avril). Avec les pieds dans l'eau, les alevins contre mes orteils, en compagnie d'une écrevisse échouée, c'est là que je me suis senti vraiment comme Henri Plantin, un vendeur au rayon pêche qui aurait troqué tout son attirail pour un banal maillot de bain.
(21/09/2018)

 

C'était un de mes premiers collègues. J'avais commencé à travailler à la Poste à tout juste vingt ans et, quelques mois plus tard, on m'avait envoyé en Seine-Saint-Denis. Tous ceux qui débarquaient dans ces bureaux de poste étaient comme moi des provinciaux. Tous les deux, nous venions du même département. Travailler la semaine suffisait bien, on se languissait de nos attaches, famille, amis… Aussi, le vendredi soir, dès que le bureau fermait, dans l'impétuosité de notre jeunesse, nous partions aussitôt vers nos terres natales. Je n'avais pas de voiture, il m'emmenait dans la sienne. Il possédait une Renault 8 sport, d'un jaune éclatant avec quatre phares ronds sur la calandre. Le but, disait-il, c'est d'accrocher le 120 et de ne jamais redescendre. Pas d'autoroute à cette époque, on prenait la Route nationale 19, yeux rivés sur le compteur, dépassements téméraires dans l'insouciance d'une époque qui n'est plus possible aujourd'hui. Jeunes et fous, nous avons eu cette chance, et celle d'avoir beaucoup d'humour aussi : un jour où il avait replié dans un accrochage le capot de la R8 en son milieu, nous avions eu l'idée d'accrocher à l'avant un poussin en plastique du même jaune que la carrosserie, histoire de copier à notre manière l'emblème d'une Rolls Royce. Il avait les cheveux longs et blonds, notre chef trouvait cela négligé pour recevoir les clients aux guichets : qu'à cela ne tienne, il avait arboré dès le lendemain, deux superbes couettes à la Sheila. Un type donc qui ne passait pas inaperçu, stature de bucheron, grosse voix, accent de ma région, mais doté d'une patience et d'un calme à toute épreuve.
Et puis, le hasard nous a séparé. Il a obtenu sa mutation dans un département voisin à moins de quarante kilomètres d'où il était né. Je suis parti à l'armée, je suis revenu aussi dans notre province. Nous nous sommes perdus de vue, chacun avait sa vie à construire. La dernière fois que j'ai eu de ses nouvelles, c'était dans une rubrique nécrologique : on annonçait son décès. M'ont fait un choc son nom, son prénom, sa photo, les mêmes yeux rieurs, la même posture si semblable malgré vingt années de plus. Et puis le contenu de l'article n'a laissé aucun doute. Sa profession, la vie qu'il avait aussitôt bâtie, mariage, trois enfants, son implication dans la vie locale, club de sport (canoë-kayak, rien d'étonnant pour cet original), aide humanitaire, c'était bien celui que j'avais connu, sensible et bienveillant. L'article dit aussi qu'il luttait depuis des mois contre la maladie. J'ai découpé le journal et j'ai placé la coupure dans le sous-main de mon bureau, avec les autres articles que je garde, hélas souvent des rubriques similaires, j'ai par exemple les avis de décès de mon grand-père, d'un ami, mais aussi d'autres plus gais, reportages qui impliquent des proches, célébration de mariage… J'avais omis cependant de noter la date. Aussi, à l'occasion d'un autre article enfilé de temps en temps dans le sous-main, je me demandais parfois depuis combien de temps il avait disparu.
Il y a quelques jours, une autre rubrique nécrologique a attiré mon attention : c'était le même nom de famille, un autre prénom cependant. J'ai compris qu'il s'agissait de son père, puisque l'article indiquait également " une pensée affectueuse pour son fils Patrice décédé le 15 avril 2002 ". Maintenant j'ai la date. Cela fait donc seize ans qu'il est parti. Nous étions tous deux au début de la quarantaine, nos enfants en pleine scolarité, en colonie de vacances, cherchant des œufs de Pâques dans le jardin (j'ai relu la rubrique Étonnements de 2002 de F de R). Et puis tout s'est arrêté pour lui. Je mesure aujourd'hui tout ce qu'il a loupé, la joie de voir sa progéniture grandir, s'installer dans la vie ; j'ai deviné aussi dans l'article que certains de ses enfants sont maintenant parents à leur tour. Pour lui s'est envolé le bonheur tout court, en fait, un grand vide à la place tandis que je continue mes jours heureux.
(14/09/2018)

 

Bien-sûr, pas besoin de remarquer l'arrogance de Trumpette pour s'apercevoir de la condescendance des blancs au regard des autres couleurs de peau. Plusieurs faits cependant ces dernières semaines me font réagir en France, ou plutôt d'abord à Saint-Martin où on se rappelle le cyclone Irma survenu il y a tout juste un an (on ignore superbement Maria qui a ravagé les bananeraies de Guadeloupe). J'ai encore le souvenir de ces colons d'un nouvel âge, venus s'établir là-bas, leurs belles maisons détruites et pressés de revenir en métropole où des amis pouvaient les accueillir à leur retour. Et beaucoup se lamentant sur la faiblesse des secours, les difficultés de rapatriement…etc. Aucune pondération, aucune commisération envers les plus modestes (devinez leur couleur de peau) qui, non seulement avaient tout perdus, mais n'avaient bien souvent pas d'autre moyens que de rester sur l'île dévastée. Bref, au bout d'un an, rien n'a changé, on interviewe les mêmes " békés " blancs qui continuent de déplorer la lenteur des indemnisations et des travaux de reconstructions. On présente tout de même une famille optimiste qui vient de faire le pari de venir s'installer ici : famille blanche, aisée, heureuse de jouer aux aventuriers, " de venir les aider " ; la scène est filmée dans un restaurant chic de bord de plage où une employée, visiblement débordée, astique les fourneaux à l'arrière-plan (devinez sa couleur de peau). Autre reportage : cette fois, ça se passe aux Canaries, nouvel Eldorado touristique. On nous présente un couple de français ayant quitté Paris pour venir s'établir dans un vaste domaine : coût de l'installation, un million d'euros, déclare madame, comme s'il s'agissait d'une excellente affaire. Ils sont très bobos et probablement traitent d'égal à égal leurs employés locaux, lesquels en revanche sentent bien la différence de revenus. Je n'ai rien contre cette occupation touristique (parenthèse : on peut faire du tourisme autrement et loger chez les " vrais " habitants), après tout, c'est l'esprit d'entreprise prôné par notre gouvernement. Seulement, j'ai l'impression qu'on y vénère une certaine condescendance des blancs. Au fait, vous avez vu la nouvelle photo du gouvernement ? Avec le départ de la ministre des sports guadeloupéenne Laura Flessel, elle demeure uniformément blanche. Et qu'on ne vienne pas en plus nous parler des éternels migrants érythréens ou soudanais, il y a encore tellement de projets de réforme à mener. On déborde d'activités chez les blancs, c'est enthousiasmant tout cela…
(07/09/2018)


Au moment de mettre à jour F de R de manière hebdomadaire (je suis assez régulier en ce moment), je m'aperçois que je n'ai rien à raconter en rubrique Étonnements. Enfin quoi : rien n'aurait été de nature à m'étonner cette semaine ? Il me faut faire un effort pour reconstituer le fil des jours passés, non pas qu'ils aient été plus monotones qu'à l'ordinaire, j'ai eu plutôt l'impression d'une activité molle, diffuse. Pêle-mêle, mon carnet de course m'annonce quelques entrainements (obligatoires : je viens de m'inscrire à la course Sedan-Charleville, 24 km début octobre), sinon au chapitre sportif, je me suis essayé au paddle lors de la plus belle après-midi ensoleillée. Le temps, il est vrai, a eu des hauts et des bas, ne nous plaignons pas, au minimum une température de 22° émaillée de quelques pluies, au max 29° et un soleil puissant, sinon, bricolage, lessives, entretien de la maison… Ah si : j'ai eu des invités ce dimanche : des colombiens sympathiques, des vrais, de Bogota, à qui j'avais mitonné un repas local, filet de perches de nos cours d'eau et vins de Haute-Marne. À écrire ses choses insignifiantes, ça me rappelle l'excellent Jean Robinet qui gratifia pendant plus de 50 ans le journal L'Est Républicain d'une chronique hebdomadaire sous le pseudonyme de Jean Fermier. Mais qu'il s'agisse de Jean Fermier ou de son comparse Alexandre Vialatte pour La Montagne, ne pas oublier sous leur apparent dilettantisme qu'ils sont des écrivains et que leur art travaille en permanence, parfois au grand jour comme un fleuve impétueux, le plus souvent en souterrain dans l'infiltration patiente des gouttes d'eau au cœur de grottes obscures. Et c'est ainsi qu'Allah est grand ! comme le disait Vialatte à chaque fin de ses chroniques. Car dans le " rien " de cette semaine, j'ai tout de même envoyé vendredi dernier la version (définitive ?) de ST à ma maison d'édition et je me suis déjà glissé avec ardeur dans les prémices de Y, infiniment plus complexe (mais aussi enthousiasmant) à élaborer. Bref, " rien " et c'est déjà beaucoup.
(31/08/2018)


L'idée m'a pris lors d'une insomnie. Ou plutôt j'avais dans l'idée d'aller un jour rendre visite à mes parents en vélo au lieu d'utiliser la rapide voiture. Et puis la forme actuelle, le marathon en juin, les trajets réguliers de cinquante ou soixante kilomètres à bicyclette, les promenades le long du canal qui s'enfonce au cœur de mon département en direction de ma ville natale m'ont d'un coup semblé une évidence : il fallait partir, et vite, simplement suivre le chemin de halage jusqu'au Sud du département et profiter encore de ce beau temps inestimable qui nous suit depuis trois mois sans discontinuer. Décision prise le dimanche dans la nuit, appel de mes parents le lundi et le mardi à 9 heures, j'enfourchais le vélo. Peu de préparatifs : j'ai rempli le petit sac de trail qui m'accompagne dans mes courses à pied, j'ai rajouté une deuxième gourde au cadre de mon vélo.
Je possède un vélo de course (comme on dit) depuis dix-huit mois, léger (moins de neuf kilos) mais pas fragile, cadre en aluminium, fourche carbone, double plateau passe-partout équipé Shimano 105 pour les spécialistes. Bref, j'ai eu à cœur de m'habituer aux pédales automatiques et de revêtir la tenue de matador qui va bien, histoire d'imiter l'allure que possédait René Fallet sur son vélo, voire de réaliser modestement quelques parcours à une moyenne parfois de plus de 25 km/h. Ceci dit, l'idée de cette balade n'était pas d'aller le plus vite possible et de balayer le trajet estimé à cent vingt kilomètres en moins de cinq heures. D'ailleurs, les premiers repérages m'avaient fait hésiter sur le choix du vélo : le revêtement de goudron du chemin de halage est parfois dégradé et le corps encaisse rudement la finesse des pneus, la position penchée et la selle dure. J'avais aussi en ma possession un vélo de type VTC, très confortable avec suspension, hélas, deux fois plus lourds et capable au mieux d'approcher les 18 km/h de moyenne avec vent dans le dos. J'ai fait le choix du vélo de course, si le chemin de halage devenait trop impraticable pour mes fins boyaux, j'aurais toujours la possibilité de bifurquer sur les petites routes.
Je ne vais pas raconter mon périple, j'ai pris des photos et j'ai créé une page spéciale, un carnet de voyage, comme j'ai pris l'habitude de le faire pour des destinations plus exotiques, Vietnam ou Yemen, îles éoliennes ou îles du Cap Vert. Il n'y a pas de modestes destinations, et comme disait Nicolas Bouvier : " On croit qu'on va faire un voyage, mais c'est le voyage qui vous fait ou vous défait ". Je me suis défait du mouvement le long du canal, je me suis dépris du monde. Et c'est ce qui n'apparaît pas dans les clichés que j'ai pris et dans leur commentaire (d'où la place légitime de cette rubrique d'Étonnement que j'ajouterai à la fin de ce carnet de voyage).
Pêle-mêle, voici un inventaire : le poids du ciel sur la tête ; l'impression de l'espace autour de vous ; la caresse du vent sur la peau ; les rides du canal en silence ; les lents et majestueux hérons qui décollent à votre approche ; les canards qui ne bougent pas d'une plume alors que votre vélo les frôle ; les deux ragondins qui jouaient à se poursuivre ; les éclairs bleus des libellules fugitives ; les poissons aperçus, tanches, gardons, goujons ; les vaches partagées entre vous observer ou regarder passer un rare train qui s'avance sur la voie ferrée voisine ; et même un troupeau de mouton en travers du chemin de halage. Et les rencontres humaines, précieuses et rares dans le vaste désert de mon département inhabité : plaisanciers de passage, pêcheurs du coin, adolescents intrépides plongeant entre deux écluses, marcheurs, cyclistes, éclusiers, agriculteurs. Bonjours jetés à la volée, toujours répondus, sourires, gestes de la main. Des images demeurent qui ne figurent pas dans les photos du carnet de voyage : ce couple sur un bateau à moteur minuscule, à peine une barque, l'épouse ravie qui pilotait et me faisait des signes ; revue le lendemain à mon retour, l'embarcation n'avait pas avancé de plus de vingt kilomètres ; ce cycliste qui avait crevé et que j'ai accompagné pendant quelques centaines de mètres en discutant tandis qu'il poussait son vélo ; l'éclusière Mauricette sa voix de fumeuse et ses yeux qui pétillent. Jean-Paul Kauffmann, en relatant son expédition presque identique dans le très beau Remonter la Marne, parle d'un " monde de l'insu " : comprendre l'inattendu à saisir, l'occasion de la rencontre à ne pas louper. Je partage également son point de vue lorsqu'il dit : " La grâce a surabondé dans ces rencontres. Quelque chose m'a été donné, ne justifiant aucun mérite, n'exigeant aucune contrepartie.
(24/08/2018)

 

Partir et revenir de Sicile sont des rituels initiatiques : nous pourrions simplifier le voyage et utiliser l'avion pour nous y rendre, mais ce serait rompre le charme des quatre jours de voyage et des quatre mille kilomètres nécessaires à l'aller et au retour. J'ai besoin de sentir la route défiler sous la voiture, repérer les étapes, Pontarlier, Lausanne, le Simplon, Milan, Bologne, Florence, Rome, Naples et la grande glissade au fond de la botte, San Giovanni, le ferry et enfin, la Sicile. Retour à l'inverse. Cette année, Frosinone au sud de Rome a accueilli la première étape après 1200 km (à la place du camping fermé du Solfatara à Naples), et Orte, la ville perchée entre Lazio et Ombrie nous attendait au retour (se souvenir du délice d'avoir aperçu de superbes étoiles filantes en cette nuit du 13 août). Cette année, l'étrangeté a été de réconforter les nôtres restés sous la chaleur de l'Est ou à Bruxelles, sept à huit degrés de plus que dans l'île italienne, réputée pourtant pour sa chaleur estivale.
Donc, retour à la maison : les arbres perdent leurs feuilles comme en novembre les pelouses sont grillées, même la mousse n'a pas résisté, seuls les agrumes et quelques cactus que je m'évertue à faire pousser sous mon climat continental sont heureux. Maintenant se profile une quinzaine de jours à attendre avant que la bousculade de la rentrée fasse semblant de nous occuper. Je ne travaille plus depuis deux ans, aussi la rentrée pourrait paraître un leurre. En réalité, les années où je tenais profession, revenir au turbin ne me faisait ni chaud ni froid, ou plutôt, j'avais décidé un beau jour que je ne voulais plus jouer la comédie du travailleur, je m'étais décrété intermittent du boulot, puisque je faisais de l'écriture une question permanente (ou de vie et de mort ce qui revient au même). Bref, je me considérais en perpétuelles vacances : ça n'a pas changé, d'ailleurs le terme de retraité (honni soit cette fine appellation) dans mon sicilien rudimentaire peut se dire " vacanza ".
Retour à la maison, donc, et quelques nouvelles pour ceux qui suivent l'histoire du pigeon recueilli dix jours avant de partir (voir ma précédente note d'étonnement) : il s'est envolé ! Le mérite ne me revient pas mais à l'amie et à son fils qui s'en sont occupés pendant notre absence, au point que ce jeune volatile a pu grossir, se remettre complètement et s'apprivoiser tranquillement. Son logement étant proche d'une nuée d'autres colombidés, ils ont eu la surprise de voir un congénère lui tenir compagnie sur le balcon qui l'accueillait, et eu la présence d'esprit de le déposer un soir à l'heure du rassemblement habituel des volatiles, eu le bonheur de le voir clopiner vers ses frères et sœurs et peu après, dûment accueilli par la troupe, il s'est envolé.
(17/08/2018)



Cela faisait deux jours que le pigeon était coincé dans le chéneau du toit, juste au-dessus du balcon. Nous n'y avions pas fait attention, on voyait une aile remuer de temps à autre mais tous les oiseaux agissent ainsi, ceux qui nettoient la mousse des tuiles, ou ceux qui picorent parmi les feuilles que les arbres égarent. Plusieurs espèces se partagent ce petit coin boisé, chacune y a ses habitudes : un couple de tourterelles se juche sur une branche favorite, les pies jacassent au-dessus, les merles passent en rase-mottes devant des passereaux effrontés. Mais là, au bout de deux jours tout de même, le pigeon ne semblait pas avoir bougé d'un poil. Après avoir placé un escabeau, j'ai réussi à atteindre le bout de l'aile et en tirant, l'oiseau s'est décoincé et s'est affalé dans les buissons avant de se retrouver sur le sol. Il semblait assez mal en point, une aile abimée, ses pattes tordues, le ventre à vif. Je ne sais pas comment il s'est coincé de cette façon au bord du toit (avait-il été au préalable attaqué par un chat ?), mais en cette période de canicule, il est resté deux jours (au moins) sans manger, sans boire au creux de la gouttière de zinc chauffée à blanc. Très affaibli, je n'ai eu aucune difficulté à le saisir et à le déposer dans un carton. Une soucoupe d'eau, une autre remplie de graines et d'un peu de margarine, un mélange que je réserve aux oiseaux en hiver. Le premier jour, il a picoré à peine. Le lendemain, nous avons eu l'idée de lui donner un bain, à la fois pour le rafraichir et pour le nettoyer. A notre grande surprise il a adoré le contact avec l'eau. Il a eu moins peur aussi pour cette deuxième journée, au point de guetter la soucoupe de graines et de grignoter même lorsque nous sommes à proximité.
Cela fait maintenant une semaine que ce pensionnaire se repose dans son vaste carton et il semble avoir relativement peu de séquelles : il bat des ailes, les replie, ses pattes sont toutes les deux mobiles. Seulement il n'a pas encore décidé de reprendre son envol. Il le pourrait : nous le laissons sur le balcon, ou dans un endroit plus frais à l'extérieur lorsque le soleil donne trop. En fait, je crois qu'il n'a pas envie de partir : il peut manger et boire, il a un bain chaque jour et une cure de soleil pour le sécher après, puis sieste, repas, tout cela sans effort : à mon avis, il est en vacances. Nul doute que si je refais de nouvelles histoires d'animaux comme celles qui composaient Bestiaire domestique (2009), ce pigeon y aura une place de choix.
(20/07/2018)

 

J'ai déjà évoqué plusieurs fois le verger familial qui sert régulièrement de lieu de festivités. Le prétexte est souvent un anniversaire : il y a deux ans, nous y avons célébré nos trente ans de mariage. Nos enfants y ont aussi fêté leurs dix-huit ans. En 1998, le jour de la coupe du monde de foot, c'était mes quarante ans et une télé fût branchée sur un groupe électrogène. Le terrain arboré de trois mille mètres carrés, un peu à l'écart d'un village se prête admirablement à ces débordements. Héritage d'un grand-père, à la mort de celui-ci, il y a presque trente ans, ses enfants ont décidés de l'entretenir. Un cousin a eu l'idée d'une première fête et depuis, chacun à plaisir de se retrouver sur place un week-end d'été.
Cette année, donc, trois anniversaires servent de prétexte à la réunion familiale. Le mot " famille ", nous apprend le Petit Robert, est issu du latin familia qui désignait autrefois le groupe d'esclaves ou l'ensemble des serviteurs rattachés à une maison. Étonnant donc, mais ici chacun vient de son plein gré, curieux des dernières nouvelles à échanger, la réussite au bac du petit dernier, les petits enfants nouveaux, tout ce qui nous fait vieillir chaque année un peu plus.
Cette année aussi, nous avons hébergé à cette occasion seize personnes à la maison. C'était un moment fort que nous attendions, une joie de recevoir tant de monde venu des quatre coins de la France ou de pays proches. Organisation sympathique, chacun met la main à la pâte, chacun tente de trouver sa place dans la cuisine au petit déjeuner. Les repas du soir ou du midi sont à géométrie variable, estimés à la louche, : neuf ou douze personnes ? un ou deux bébés ? La cuisine est faite vite et bien, pas de plats compliqués, l'important est de ne pas rompre les discussions engagées de part et d'autre. Nous sommes plutôt une famille de bavards finalement. Le lundi, à l'heure où j'écris ces lignes, les tables ont perdus leurs rallonges, les lessives sont étendues, la maison retrouve un aspect plus calme. Seuls les merles continuent leurs incessants allers et retours entre les buissons et la pelouse déjà grillée par le soleil.
(10/07/2018)

 

Je n'ai jamais été un grand fan de foot. Aux sports collectifs, j'ai souvent préféré les aventures individuelles, si on peut considérer ainsi le relatif isolement que procure une course à pied au milieu de quarante mille participants comme la compétition des 20 km de Bruxelles relatée il y a peu dans cette même rubrique. Et puis l'aventure d'Instant Handball avec l'ami Alain Delatour m'a fait approcher et préférer le hand, plutôt que la balle au pied. Malgré tout, comme pour le Tour de France, je m'intéresse mollement à l'événement sportif récurrent.
Mondial de foot oblige, les soirs de compétition, je me plante souvent bêtement devant la télé (pas tout de même au point d'avoir un abonnement à une chaîne sportive, ni d'acquérir religieusement chaque jour L'Équipe). C'est comme un feuilleton policier américain : facile à suivre, intrigue minimale, rebondissements. Il s'agit pour les joueurs de trouver un ballon dans l'herbe, de la même manière qu'un policier cherche un poil de cul sur la moquette d'une scène de crime. L'un comme l'autre, il faut confondre le suspect, faire trébucher un joueur et laisser éclater la vérité du score ou de l'enquête.
Pas de malentendu cependant au sujet de mon ironie : j'aime réellement ça, je me prends au jeu. J'ai même affiché un calendrier des rencontres sur mon frigo, déniché vendredi dernier dans un exemplaire gratuit du métro, et que je remplis scrupuleusement depuis. Je ne suis pas de ceux qui qui opposent l'intellectuel ou le sportif ou qui vilipendent le foot comme de nouveaux jeux du cirque. Les exemples d'écrivains qui se sont entichés de ce sport sont nombreux : Albert Camus parmi les premiers. Antoine Blondin, plus versé sur le vélo et le tour de France, ne détestait pas le ballon de rouge et le ballon de cuir. René Fallet, dans Le Triporteur imagine le personnage d'Antoine Peyralout, supporter du R.C. Pommard, qui part à Paris sur un triporteur pour regarder la finale de la coupe de France.
Et puis chacun a ses souvenirs de 1998. Pour ma part, j'ai regardé la finale France-Brésil dans un verger familial, au cours d'une fête bucolique qui n'était pas au départ programmée pour cette occasion. Bref, n'en déplaise à Jorge Luis Borges, qui écrivit " Le football est populaire parce que la stupidité est populaire ", je me range avec bonheur dans le camp des idiots.
(03/07/2018)

 

Dans ma ville, j'habite au carrefour entre la littérature et la philosophie : en face de chez moi, la rue Anatole France coupe la rue Jean-Jacques Rousseau. Ce n'est pas sans danger : le Nobel de littérature, millésime 1921, doit la priorité aux " bons sauvages " rousseauistes qui souvent arrivent très vite. Depuis vingt-sept ans que j'y habite, je me suis habitué aux frictions entre ces deux arts et autres tôles froissées de la connaissance.
Mais ce n'est pas pour cette raison que j'aborde mes rues familières et le " carrefour " que j'évoque est plus mercantile : au sortir de ma maison, en contournant ma haie de thuyas par la gauche, on débouche sur un pont qui enjambe successivement la voie ferrée et le canal : c'est l'avenue Victor Hugo qui continue toujours la littérature et qui aboutit à une vaste place circulaire au centre de laquelle trône une église. A l'entrée de cette place, sans changer de trottoir, on arrive à un petit complexe commercial avec au rez-de-chaussée une boulangerie, un coiffeur, une supérette et même vaste espace d'exposition que j'ai pas mal utilisé à la fin de l'année (voir Étonnements du 28/11/2017). Avec cette profusion de rues portant des noms de littérateurs, il n'est pas étonnant d'y trouver aussi une médiathèque qui couvre tout l'étage. Bref, depuis vingt-sept ans, il me faut cinq minutes à pied pour venir étancher ici ma soif de livres ou y acquérir quelques nourritures terrestres.
Seulement, ma petite histoire provinciale rejoint l'histoire nationale économique, puisque ma supérette Carrefour Contact fait partie de celles qui ferment et qui ont défrayé la chronique surtout quand on a mis en parallèle les indemnités de départ de 4 millions d'euros que l'ancien PDG du groupe voulait obtenir. A la fin du mois, mon magasin qui avait toujours existé à travers les aléas du hard discount sous les étiquettes successives ED, DIA et maintenant Carrefour Contact ferme sans espoir de reprise.
Certes il existe bien un Leclerc Express un kilomètre plus loin. Oui, mais voilà : mon petit magasin jouxtait une maison de retraite et quelques immeubles occupés pour la plupart par des personnes âgées, souvent sans moyen de locomotion, installées là justement pour la proximité de ces commerces. A force, on finissait par reconnaître les mêmes personnes modestes, beaucoup munies de cannes, certains même avec des déambulateurs, capables d'effectuer deux cents ou trois cents mètres seulement, mais cette promenade quotidienne les rattachait à l'extérieur et à la vie qui continuait. J'en parle déjà au passé : que vont-ils devenir, ces octogénaires et plus, dont le plaisir était de sortir, de discuter avec les commerçants tous appelés par leurs prénoms. On répondra par la solidarité intergénérationnelle : allons faire les commissions pour eux… et rendons-les encore plus dépendants, donc plus inutiles.
L'ancien PDG du groupe Carrefour a pris sa retraite et a renoncé sous la pression médiatique à ses indemnités : c'est un tout petit geste, il a tout de même touché en 2017 une rémunération de 13 millions d'euros, soit l'équivalent de mille pensions annuelles des modestes et dignes personnes âgées dont il réduit encore plus l'infime confort de vie dans ma ville et dans bien d'autres.
(26/06/2018)

 

La musique et moi : vaste sujet… Si la pratique musicale a toujours été présente autour de moi, elle a choisi de toucher par la grâce mon entourage, plutôt que mes médiocres essais. Enfant, mon grand-père m'a offert une guitare (que j'ai toujours), j'imaginais plutôt une balalaïka, vu ses origines. Mon père m'a appris les premiers accords et un copain de classe a continué mes rudiments : ayant abordé avec moi le plus difficile des élèves, il est devenu directeur d'une école de musique. Je croyais alors que la musique pouvait se passer de solfège, goûts slaves et vieil héritage familial, mais cela restreint le répertoire à des ritournelles pour feux de camp ou des chants folkloriques devant des roulottes. J'ai toutefois continué, je me suis rendu à Paris pour acheter une nouvelle guitare avec ma première paie de boulot de vacances (que j'ai encore) et j'ai même composé dix chansons enregistrées sur une cassette audio (que j'ai aussi). Lorsque j'ai rencontré mon épouse, j'ai voulu la séduire par quelques romances du même acabit, fort de quelques années à écouter Renaud, François Béranger ou Joan Pau Verdier. Sa réponse, emprunte de modestie, n'était qu'instrumentale, mais déjà virtuose, passant avec aisance de Villa Lobos à la guitare à Vivaldi au violon. J'ai mesuré l'inanité de mes connaissances. Si j'étais incollable ou presque en Deep Purple, Génésis, Yes et Stones, voire même en variété française style Stone et Charden, ma culture classique se résumait à l'orchestre de Paul Mauriat qui reprenait des chansons populaires avec des nappes suaves de violon ou les nocturnes de Chopin jouées par Sanson François, que ma mère affectionnait particulièrement. L'amour donc m'a ouvert les portes de la félicité musicale et, comme il paraissait facile de jouer du violon, j'ai sauté le pas. A la fin des années quatre-vingt, j'avais reçu de mon grand-père son violon de Mirecourt, un modeste Thibouville-Lamy, c'est avec cet instrument que j'ai reçu quelques cours. Pas longtemps, environ une année il me semble, je n'ai pas le souvenir d'avoir été très loin, j'ai vite déchanté, je n'étais pas très doué et mon seul exploit a été de jouer le canon de Pachelbel à un mariage.
Cela faisait donc plus de vingt ans que j'avais cessé toute pratique, ce qui n'est pas le cas de mon épouse qui a continué de multiplier les œuvres en solo, en duo (récemment Haendel avec orgue - un Cavaillé-Coll autrefois inauguré par Saint-Saens, excusez du peu…), en trio, en quatuor, en quintet, en sextuor, en nonuor, en ensemble philharmonique, à un tel point que je n'arrive jamais à retenir avec quels musiciens se passent ses répétitions quasi quotidiennes. Écarté du violon, je participe néanmoins, je prends des photos, je filme, je fais le régisseur, la pub, les programmes. A la longue, j'ai fait la connaissance de solistes exceptionnels et de musiciens professionnels, souvent hébergés à la maison. Ainsi, Hélène et Pauline, de la compagnie des Monts du Reuil sont venues dans ma ville pour adapter le conte Barbe Bleue à un public scolaire. Sur un coup de tête, je me suis joint à la troupe avec mon épouse et une autre amie pour étoffer l'orchestre composé en définitif de trois violons, d'un clavecin, d'un violoncelle et d'une contrebasse, sans savoir bien sûr ce qui m'attendait, hormis que je disposais de deux mois pour reprendre un instrument totalement abandonné depuis une vingtaine d'années et répéter un programme d'une durée globale de trente minutes. J'ai donc découvert les partitions à jouer. Je n'ai jamais été doué pour le solfège et la lecture de notes et j'ai la fâcheuse tendance à jouer " à l'oreille ", mais je me suis astreint à l'exercice et les réflexes sont revenus. En revanche, les répétitions et la générale (il s'agit d'un mini opéra chanté) ont vite eu raison de mes possibilités effectives. Pas question de reprendre l'air en cas d'erreur, il faut rattraper les autres. On a donc adapté les morceaux, repris entièrement les partitions qu'il a fallu apprendre de nouveau quinze jours avant. A la cacophonie sonore du gymnase utilisé pour les premières répétitions a succédé l'excellente acoustique du théâtre à l'italienne dans lequel le spectacle devait avoir lieu. Après les ultimes corrections d'ensemble le jour venu, le spectacle a été joué deux fois. La suite ? Je travaille d'autres partitions, je ne vais pas m'arrêter encore vingt années supplémentaires…
(08/06/2018)

 

Je cours régulièrement depuis dix ans, ou plutôt je note tous mes entrainements et compétitions sur un fichier Excel depuis exactement neuf ans et un mois. Ce fichier compte ainsi plus de 1300 lignes, autant de parcours où j'ai enfilé les chaussures pour aller me défouler au sens propre. J'ai aussi participé à 30 épreuves de course à pied ou de trails. Rien de bien glorieux cependant : je suis un coureur lent, uniquement animé par le plaisir et j'ai horreur de l'esprit de compétition.
Bizarrement, je n'avais jamais tenté de marathon, même si j'avais déjà couru une distance équivalente (43 km sur un trail avec 1000 m de dénivelé en 2014, raconté dans cette même rubrique le 9/07/2014). C'est chose faite depuis ce week-end. J'avais jeté mon dévolu sur le Marathon du lac du Der, endroit proche de chez moi et que j'affectionne particulièrement. La décision de participer a été tardive, seulement trois mois avant, ce qui est un peu juste pour adopter un plan d'entrainement approprié. En réalité, je voulais accompagner mon gendre, grand sportif, qui n'avait jamais couru ce genre d'épreuve mais qui en mourrait d'envie depuis quelques mois. Tope-là ! Nous voilà décidés… Une autre motivation est mon arrivée récente dans la catégorie des vétérans 3 (on dit Master 3, c'est plus soft) et donc le passage à la sixième dizaine de mon âge cette année. Et puis à l'heure où j'ai accumulé dix ans d'entrainements réguliers, il me semblait que c'était le moment ou jamais d'entreprendre un effort si soutenu. Entrainements donc, histoire de privilégier l'endurance que requiert une course de 42,195 km, soit une montée progressive en volume pour atteindre plus de 200 km le dernier mois, des sorties longues hebdomadaires dont une de 30 km, plus les 20 km de Bruxelles quinze jours auparavant (voir article ci-dessous) pour se tester.
Le jour venu, nous nous sentons physiquement prêts (4 kg en moins en ce qui me concerne), mais nerveux : on annonce une chaleur orageuse, 29° dès 11 heures du matin. Une légère bruine nous rassure à moitié au départ à 8 heures : il fait déjà 22° dans ma ville. Autre bonheur en effet, le parcours part à côté de chez moi et nous rejoignons le lac par la piste cyclable du canal (que je connais par cœur, c'est ma randonnée favorite en vélo). A la moitié du chemin, on rejoint les rives : les 20 km et la distance du semi-marathon sont atteints après deux côtes pas très longues mais d'une forte raideur ! Au débouché du plan d'eau, on aperçoit, tout petit et perdu dans la brume d'évaporation, Giffaumont, le village de l'arrivée de l'autre côté (le lac du Der est le plus grand lac artificiel d'Europe…) : il reste alors vingt kilomètres à accomplir sur le macadam de la digue. C'est à ce moment-là que le soleil choisit de crever les nuages et de nous inonder : aucune ombre à prévoir, juste la chaleur du goudron chauffé à blanc et la réverbération du lac. Dès lors, les choses se compliquent sérieusement : les deux favoris de l'épreuve (dont un kenyan !) abandonnent vers le trentième kilomètre. Je persévère à un rythme deux fois plus lent. J'ai déjà ralenti et le meneur d'allure des finishers en 4h30 que j'ai suivi jusqu'au dix-septième kilomètre n'est plus en vue depuis longtemps. J'écume tous les ravitaillements, je m'asperge d'eau, je prends le temps de quelques étirements mais les conditions dantesques me font alterner marche et course, le souffle court et brûlant. Pas question cependant d'abandonner, j'imagine mon gendre, probablement déjà arrivé depuis longtemps (il terminera en fait une heure et quart avant moi). Je retrouverai un peu de panache, histoire de passer dignement la ligne d'arrivée en courant après cinq heures et vingt-neuf minutes exactement. Une particularité : j'ai effectué ce marathon avec des chaussures Fivefingers que j'utilise depuis quatre ans et demi : aucun amorti - les "pros" crient à l'hérésie ! - mais poids plume en revanche. Résultat : aucune crampe, aucune douleur articulaire ou musculaire au saut du lit le lendemain !
(12/06/2018)

 

La course à pied, encore et toujours : dimanche dernier, j'ai couru pour la deuxième fois les 20 km de Bruxelles. La dernière fois, c'était en 2014 (voir Étonnements du 04/06/2014) : déjà quatre ans ! Cette année 2014 aura d'ailleurs été la meilleure pour moi : rapidité (toute relative en ce qui me concerne) avec un record personnel sur 10 km, volume d'entrainements avec plus de 1500 km pour les douze mois, soit 30 km par semaine. Les années suivantes ont été plus relâchées : après m'être tourné volontiers vers des trails moins rapides mais plus exigeants, j'ai néanmoins continué à courir, sollicité régulièrement par deux amies, hélas perdues de vue, remplacées par un ami qui me proposait des " courses sympas " à accomplir. J'aurai ainsi assuré le service minimum que requiert cette activité sportive pendant l'ambiance monacale de ma thèse l'année précédente. Cette nouvelle année est différente, plusieurs projets (on en reparlera) m'incitent à être plus régulier, dont ce 20 km de Bruxelles.
Comme quatre ans auparavant (tiens, c'est le même écart qu'entre deux jeux olympiques), il faisait très chaud, ambiance orageuse limite de la canicule, et les quarante-deux mille coureurs inscrits ajoutaient à la torridité (ça se dit ?). Gros avantage cependant, le nouvel appartement de mon fils chez qui nous étions hébergés est à dix minutes à pied du départ. C'était également lui qui nous avait reçu en 2014, il venait de s'installer quelques mois auparavant dans la capitale belge. Bref, après avoir récupéré les dossards la veille en extrême limite, nous avons rejoint tranquillement le départ le jour idoine. Le départ de plus de quarante-mille coureurs se fait en six vagues espacées de cinq minutes. Le premier ministre belge donne le départ et nous voilà égayés à la queue leu leu, trente coureurs à droite, autant à gauche, des milliers devant, autant derrière, égrenés le long des rues de la capitale, ajoutant nos souffles à l'ambiance déjà moite.
Le parcours est inchangé. Une petite descente laisse croire aux plus malins qu'ils sont en forme et qu'ils vont très vite, mais nous empruntons ensuite une avenue montante, réservée à la circulation automobile et qui alterne également des passages souterrains, avec descentes sous le sol, puis remontées. Ensuite, un parc et sa (relative) fraicheur nous accueille pour quelques circonvolutions jusqu'à la moitié du parcours. Je ne vais pas très vite, en tout cas, beaucoup moins qu'il y a quatre ans, mais je sais que la fin du parcours réserve une côte de plus de deux kilomètres à partir du dix-septième, c'est-à-dire, là où la fatigue commence à se faire sentir chez ceux qui sont partis trop rapidement. Aussi, je ne suis pas surpris et j'attaque gaillardement la montée où je dépasse beaucoup de ceux qui m'avaient rattrapé, et qui parfois marchent exténués sur le bas-côté. A cinq cent mètres de l'arrivée, le parcours redevient plat et c'est la ruée : je piétinerai avec mille autres coureurs pendant deux minutes pour arriver à franchir la ligne ! Résultat : pile poil au milieu, je termine 19983ème, autant devant, autant derrière. A la précédente édition, je terminais 4000 places plus en avant, mais j'avais 4 ans de moins ! J'étais arrivé juste avant le roi Philippe qui avait couru cette année-là, il n'a pas réédité son exploit cette année. Le jeune sportif qui m'accompagnait (mon gendre) est déjà là depuis plus d'une demi-heure : il se classe dans les cinq pour cent les plus rapides ! Nous irons ensemble boire une bière réparatrice, non sans se promettre d'y revenir.
(01/06/2018)

 

Vieille chanson de Joe Dassin " à vélo dans Paris on dépasse les autos " : je ne sais pas si j'y ai pensé hier, trop occupé à la circulation. J'avais en effet opté pour ce moyen de transport devant assister à une réunion en pleine grève de la SNCF. J'ai chargé un vieux vélo dans la voiture, destiné à rester dans mon appartement du sud parisien, j'ai affronté les bouchons la veille au soir, et le matin, tout fringant, je suis parti en direction de Paris. Ce n'est pas vraiment compliqué, il suffit de se diriger droit vers le Nord. Pour plus d'agrément, j'avais choisi d'utiliser la coulée verte réservée aux piétons, joggers et cyclistes et qui passe à 300 m de chez moi. Première constatation : il y a des côtes, le sud de Paris n'est qu'une succession de collines. Deuxième constatation : la coulée verte s'arrête fréquemment à chaque carrefour. Troisième constatation : Malgré les passages piétons très bien aménagés, aucun automobiliste n'est enclin à vous laisser traverser. Cela change de mes pistes cyclables habituelles, le long d'un canal paisible où on est interrompu par un carrefour qu'après plusieurs kilomètres. La moyenne horaire en pâtit : sensiblement la même allure qu'en course à pied, je suis du genre à m'arrêter aux feux rouges et je constate que je suis le seul à le faire en vélo. En effet, arrivé au bout de la coulée verte, vers Chatillon, c'est le vaste désert (très peuplé cependant), il faut se faufiler dans la foule pressée en tenant le vélo d'une main dans un couloir qui même au métro, avant de remonter vers une vaste place en travaux, ou d'interminables passages de chantier finissent par vous mener aux portes de la capitale. A cet instant j'ai parcouru 7 km depuis mon domicile (l'équivalent La Bobotte-Saint-Dizier, ça ne vous dit rien ?). A partir de là, se diriger est toujours aussi simple : je dois aller vers la place d'Italie, donc je longe les boulevards par la droite. D'une façon générale, il est très facile de se diriger dans Paris, on sait toujours à peu près où on se trouve dans la vaste capitale circulaire. Après la place d'Italie, petit tour vers Saint-Germain. La circulation est plus dense et s'il y a bien des parcours marqués d'une sobre icône de vélo, ceux-ci empruntent les voies de bus et on est sans cesse détourné par des véhicules arrêtés au hasard pour débarquer ici les touristes devant un hôtel ou là des cartons devant une boutique. Klaxon contre silence, voile de pollution contre ciel bleu, c'est la vie d'une grande ville, indifférente, sans gêne, bousculée où chacun trouve à s'immiscer, piétons, automobilistes, cyclistes adeptes de la patinette, marcheurs distraits par leurs portables, touristes qui s'arrêtent ou bifurquent devant vous, bref, une vie si différente de mes grandes lignes droites ensoleillées et de mes plages désertiques où la moindre rencontre est toujours saluée tant il paraît étrange de rencontrer âme qui vive. Il me faut douze kilomètres (l'équivalent Éclaron-Saint-Dizier, ça ne vous dit rien non plus ?) pour revenir chez moi depuis les quais de la Seine toujours au hasard, porte d'Orléans, puis Bagneux, Fontenay-aux-Roses. Dans cette ville, j'ai une pensée pour Paul Léautaud qui accomplissait souvent à pied le trajet de la capitale à sa banlieue jusqu'à un âge très avancé. La bicyclette grince dans les côtes, moi aussi, rien à voir avec le vélo de course qui m'emmène à trente à l'heure dans ma région. Celui-ci accuse ses trente ans d'âge, j'ai démonté avant-hier l'attache qui servait à accrocher l'un des deux sièges avec lesquels j'emmenais ma progéniture chez leur nourrice, il y a si longtemps. Ladite progéniture m'a d'ailleurs appelé à peine rentré de mon périple pour me commander des étagères supplémentaires pour ses nombreux livres. Comme quoi, tout s'enchaîne (de vélo), on vous sert la vie sur un (double) plateau, rien ne sert de dérailler, il faut partir à point.
(25/05/2018)

 

André Dhôtel avait rédigé en 1984 Histoire d'un fonctionnaire, pas vraiment un roman du travail qui aurait pu figurer dans ma thèse, plutôt tout son contraire d'ailleurs : l'auteur avait choisi l'enseignement pour les vacances et Florent, le héros de son roman, fait tout pour se fondre dans la contemplation et la méditation, bref, tout ce qui est à l'opposé d'une véritable charge de labeur. Avec son galurin et sa mise démodée, le professeur Dhôtel, en retraite au moment où parait ce roman (il a 84 ans), avait cependant dû ressembler à son personnage. Un prof donc, comme l'avait été Julien Gracq, mais à la mise semblable à Paul Léautaud, tandis que Julien Gracq, toujours élégant poussait la précision parait-il à terminer le dernier mot de ses cours en même temps que la cloche, Dhôtel aimait les cancres et affirmait que " la paresse, c'est la vie la plus haute qui soit ". De la même manière, sa conception de l'écriture était en harmonie : " Ecrivant le matin (pas tous les matins, bien sûr, je ne suis pas fonctionnaire, mais enfin régulièrement) j'ai choisi en définitive mon lit comme lieu de travail. Cela ne fait pas trop sérieux. Et puis si par hasard je tombe en panne…eh bien ! Je suis en bonne posture pour ne rien faire ". De la même manière que René Fallet, il se classait lui-même parmi les écrivains mineurs : " Un écrivain important a des obligations. Il faut qu'il reste à un niveau supérieur, alors que moi j'aime écrire un peu n'importe quoi, n'importe comment. Alors il vaut mieux être dans un rang secondaire où tout le monde vous fiche la paix ". Eternel distrait, il parait qu'il arriva en retard à son propre mariage : il attendait qu'on vienne le chercher dans sa garçonnière… Lors de ses obsèques, des témoins racontent qu'une quinzaine commerciale avait lieu au même moment et la sortie du convoi funéraire fût saluée par les propos de l'animateur au microphone : " Et que la fête continue ! ". Dans ces conditions, on conçoit que cet homme qui attirait sur lui nombre de situations cocasses exigeait de sa part le minimum d'efforts à faire.
On connaît André Dhôtel surtout par la parution de son roman qui remporta le prix Femina en 1955 Le pays où on n'arrive jamais. Paradoxalement, ce livre était un malentendu pour lui, on le comparait avec Le Grand Meaulnes qu'il n'aimait pas et ce récit d'adolescents et d'apprentissage semblait pour lui effacer le reste de son inspiration, beaucoup plus mure et aboutie. Philosophe de formation, tendance Diogène, mais catholique et pratiquant, entrainé par sa femme Suzanne, André Dhôtel n'a cessé de cultiver les paradoxes en apparence. Homme de revues, ami de Paulhan, il aimait Rimbaud parce qu'il le comprenait en tant qu'ardennais : il était né à quelques kilomètres de Roche et avait fréquenté la famille du poète. En fait, c'était surtout un auteur libre qui a traversé la vie à la manière d'un Jacques Tati des Lettres. Cette note a été rédigée grâce au livre de Christiane Dupouy André Dhôtel, histoire d'un fonctionnaire, biographie, publié en 2008 aux éditions Aden (également ville du Yemen a jamais marquée par Rimbaud)
(11/05/2018)

 

Je suis un bon dormeur. Peu d'insomnie, le délice d'être dans les bras de Morphée, le plaisir de rêver, même si je suis plutôt du genre raisonnable, pas plus de sept heures de sommeil. Me lever à huit heures, même en vacances c'est déjà une trop grande grasse matinée, heureusement c'est très rare. Bref, je suis plutôt en forme au réveil, pas question de trainer les pieds pendant des heures. De la même manière, je me souviens toujours avec vivacité des rêves que je fais, parfois absurdes, mais toujours logiques, ceux que je préfère sont ceux dans lesquels je cours (je cours en effet beaucoup dans mes rêves et dans la vie). Il y a peu, j'ai eu un flash en pleine journée, je me suis souvenu que j'avais rêvé la nuit précédente de Frédéric Rimbaud, d'Isabelle et de Paterne Berrichon, la savoir le frère, la sœur et le beauf de notre génial poète. En fait, j'étais au cimetière de Charleville, là où Arthur, sa mère et sa petite sœur morte à dix-sept ans sont enterrés. J'étais heureux de m'apercevoir qu'on avait réuni toute la famille. Des caveaux neufs accueillaient Frédéric, son frère aîné de deux ans, et même Isabelle, la petite sœur qui le veilla jusqu'à sa mort, ainsi que Paterne Berrichon, son époux, avec lequel elle honora sa mémoire. Je crois me souvenir qu'Alain Tourneux, le conservateur du musée Rimbaud pendant plus de trente ans, était là. C'est tout, peu de choses, l'impression que tout était rentré dans l'ordre au cours de mon rêve.
Dans la réalité, ce n'est pas la même chose. Une sorte de malédiction pèse sur la famille Rimbaud. Lorsque j'ai fait mes recherches pour Vie Prolongée d'Arthur Rimbaud, alors que tout est tracé presque jour par jour depuis sa mort, plusieurs incertitudes demeurent. Par exemple, on ne sait pas où est enterré son frère Frédéric, et la brouille familiale qui a éclaté du vivant d'Arthur (qui le traite d'imbécile sans savoir, alors qu'il vit au fin fond de l'Afrique) n'a pas arrangé les choses. On sait qu'il est mort en 1911 des complications d'une fracture de la jambe (étonnant comme ce destin le rapproche de son frère). Quant à Isabelle Rimbaud, morte à Paris en 1917, elle avait fait promettre à Paterne Berrichon d'être enterrée à Charleville auprès de son cher Arthur. La guerre et l'occupation des Ardennes par les troupes allemandes n'ont pas permis d'exaucer de suite ce vœux. Or, Paterne Berrichon, qui meurt à son tour en 1922, avait également émis le souhait d'être enterré auprès d'Isabelle. Que sont-ils devenus ? Mes recherches n'ont rien trouvé : aucune mention d'un cimetière qui les ait accueillis définitivement. Alain Tourneux, que j'ai eu la chance de rencontrer, estime pour sa part qu'ils ont été enterrés à Charleville, probablement dans le caveau où la dernière occupante arrivée avait été la mère du poète en 1906. Aucune mention cependant atteste leur présence ici. Une explication possible est que leur présence à tous les deux pourrait être controversée dans le lieu où repose le génial poète si elle était révélée au grand jour. En effet, on estime (à tort, j'insiste) que le couple Isabelle-Paterne a beaucoup terni l'image du poète, on les accuse de falsifications et de tous les méfaits possibles. Une maison d'édition porte même le nom des Ennemis de Paterne Berrichon. Pourquoi tant de haine un siècle après ?
Bref, tant que cette histoire ne sera pas élucidée et rétablie dans le bon sens, il a fort à parier que j'en ferai d'autres rêves.
(27/04/2018)

 

J'ai évoqué la semaine dernière ma joie devant une photo de l'écrivain André Dhôtel, chevauchant fièrement une moto, avec son épouse Suzanne à l'arrière. Bien que la marque soit à peine visible sur le réservoir, j'ai tout de suite reconnu une Terrot de 125 cm3, à double-siège, la même que posséda mon père, probablement dans ces mêmes années cinquante où les modèles de motocyclettes populaires n'étaient pas légion. Mon père l'a conservée jusqu'au milieu des années soixante-dix, les dernières années dans un box du garage de la résidence que nous avons occupée dans les quartiers neufs de ma ville natale. Je crois me souvenir qu'elle a été volée. A cette époque-là, je n'y avais pas attaché beaucoup d'importance, j'avais jeté mon dévolu sur une Honda plus moderne (que je possède toujours, hélas en panne…), mais j'aimais l'examiner sous toutes les coutures son phare impressionnant, son austère couleur noire, son apparence robuste et ses deux sièges larges, celui de l'arrière surélevé à l'aplomb de la roue et muni d'une poignée qui donnait fière allure au passager.
Il n'y a qu'à voir le visage altier de Suzanne Dhôtel pour s'en rendre compte. De nos jours, une telle image paraît désuète, totalement obsolète, mais à peine dix ans après les ravages de la Seconde Guerre mondiale, c'était un temps où les routes étaient rarement goudronnées, où l'aventure résidait dans le simple fait d'arriver à démarrer d'un coup de kick le moteur, de laisser s'installer un teuf-teuf régulier avant de louvoyer sur des routes de campagnes entre des nids de poules à tranquille allure. Notre écrivain juché sur son destrier est muni de bottes de pécheur et d'un chapeau assorti. Son épouse a un fichu sur la tête, un cabas devant elle et une petite valise de carton bouilli est accrochée dans son dos. Derrière eux, une route de poussière et des murs de ferme. La légende indique : L'équipée sauvage d'André et Suzanne Dhôtel au Mont-de-Jeux. La photographie appartient à François Dhôtel, leur fils. L'écrivain, à la même époque que son (seul) succès littéraire Le pays où l'on arrive jamais, couronné par le prix Fémina en 1955, avait acquis une modeste demeure de vacances à Mont-de-jeux. La maison, qui ressemble au baraquement d'une gare perdue, est dans la lignée de la maison de Beckett, acquise avec les droits de Godot : un retour sur investissement, un refuge où se perdent les écrivains. J'aime à imaginer André Dhôtel rejoignant son havre de paix sur sa moto Terrot. Aucune posture d'auteur, pas de doigt sur la tempe en pose inspirée, l'expression " le nez dans le guidon " est de circonstance : on écrit dans la profondeur des choses. Equipée sauvage donc, éloignée en apparence de celle de Kérouac et des poètes de la Beat génération : l'équipée se résume une valise, Suzanne et son cabas à l'arrière, allure de pépère et mémère ; la sauvagerie est celle des fleurs sur les bas-côtés, des pissenlits, de l'odeur de groseilles dans les jardins et celle des têtards dans les mares. " Littérature : déclaration de sauvagerie ", disait Dhôtel dans un essai La littérature et le hasard, on en reparlera, il y a tant à dire.
(20/04/2018)
Dhotel2-1.jpg (94382 octets)

 

" Je suis un mimile " : l'expression m'est venue ce dimanche printanier alors que je briquais l'une des voitures familiales. L'eau, le seau, l'éponge, la peau de chamois, le soleil, la cour de la maison dans laquelle je réalisais l'opération : oui, j'étais un " mimile ", expression considérée comme peu flatteuse, attribuée aux autochtones d'un département voisin encore plus rural (est-ce possible ?), une sorte de beauf, un type juste bon à astiquer sa bagnole entre l'apéro du matin et la bière de l'après-midi. Oui, mais voilà : " j'ai fait les études ", comme disait ma grand-mère. Et j'ai lu les Mythologies de Roland Barthes, la DS des années cinquante, le culte de l'automobile. Je sais que " chaque objet du monde peut passer d'une existence fermée, muette, à un état oral, ouvert à l'appropriation de la société ". Le mythe pour Barthes est un outil de l'idéologie, il réalise les croyances, dont la doxa est le système et la réalisation dévolue aux mimiles.
Bon, je ne pense pas à tout cela en briquant la voiture : nez en l'air, sourire béat, je coopère à un ordre du monde qui est le mien, hérité justement du temps de Barthes. Né dans un milieu populaire, la voiture a été pour moi un signe de réussite sociale, comme elle l'a été pour mon père, passé de la moto Terrot à deux sièges sur laquelle il enlevait ma mère (découvert récemment avec émotion que l'écrivain André Dhôtel avait la même), à la 4 CV avec laquelle nous partions en vacances chez ma tante à Argelès-sur-Mer, puis à la Renault 8 major d'un très beau bleu ciel, avant de continuer avec une Renault 12 TS bleu nuit, sièges enveloppants et carburateur double corps, prêtée pour aller passer mon bac à Chaumont (elle ne m'avait pas portée chance je l'avais loupé). J'ai continué la lignée avec la Renault 4 de ma frangine, puis une Simca 1000 bien à moi qui a fini sa carrière dans un carambolage en plein Paris rue Saint-Denis un trente et un décembre, deux Renault Cinq, une super Cinq, avant de laver quelques dizaines de voitures plus tard, cette Renault Captur couleur blanc nacré (salissant au demeurant) au coton-tige en ce dimanche.
Sourire béat, grande joie donc : accomplir ce rituel régulièrement, c'est à la fois ne pas se prendre au sérieux et l'être beaucoup. C'est travailler à la culotte des choses, laisser les discours aux autres (il paraît que Macron allait parler ce jour-là, en fait non c'est jeudi prochain), vouloir, pourquoi pas, un monde propre et sain, sans la moindre tâche.
Je sais que mes idées sont rétrogrades : la voiture en monde propre et sain, plus personne ne peut y souscrire. Toutefois, dans ma campagne où les transports en commun sont réduits à peau de chagrin, pas moyen d'y couper. Le matin même, j'avais entendu en me rasant (une autre de mes lubies de décalé), un type qui expliquait que la voiture serait de plus en plus partagée, grâce aux sacro-saintes applications de nos smartphones dont nous ne pouvons plus nous passer. Billevesées toutefois que ces nouvelles mythologies et le principe de Barthes s'applique aussi : outils numériques de l'idéologie, croyances associées, doxa qui s'ensuit et utilisation dévolue aux mimiles d'un nouveau genre, rebaptisés " jeunes urbains " ou " technophiles ".
En attendant, je continue de laver ma voiture.
(13/04/2018)

 

C'était au milieu des années quatre-vingt-dix, ma fille avait entrepris d'apprendre le piano (et le violon). A cet effet, nous avions acheté un piano d'Europe de l'Est, dont la sonorité équilibrée dépassait largement les notes aigrelettes des habituelles marques japonaises qui inondent le marché. Il est toujours installé dans la même pièce depuis plus de vingt ans, état impeccable, accordage toujours au top (non je ne le vends pas). Il sert moins mais la dernière fois est toute récente : Toccata de Bach ce week-end. J'aime à penser que les notes ont traversé la ville jusqu'à cette chambre où l'homme, qui a l'époque nous avait aidé à l'installer, vivait ses derniers instants. Il est parti dans la nuit de mercredi à jeudi. Le crabe ne lui a laissé aucune chance. Cela fait drôle car c'était une force de la nature.
Lorsqu'il était venu à la maison pour le piano, il devait lui rester une dizaine d'années à travailler. Il était encore gardien de la paix et je sais combien il tenait à cette appellation, en héritage sympathique des hirondelles des films de Marcel Carné. La police à l'époque demeurait proche des quartiers (Sarkozy n'avait pas encore sévi), il lui suffisait de descendre sa carrure de sa mobylette, de parler calmement, avec respect, et les différents s'apaisaient. A sa retraite, il est devenu correspondant du journal local, pour assouvir sa passion de la photographie. Ses articles étaient toujours impeccablement rédigés. Il aimait particulièrement la rubrique culture, on ne manquait jamais de se saluer au hasard des concerts et des manifestations ; sa voix égale, posée, sa barbe de vieux sage et sa curiosité étaient attachants.
Pour en revenir au piano, je ne pouvais le rencontrer sans penser immanquablement à cette anecdote. Acheter un piano c'est bien, mais le vendeur, tout seul, ne pouvait le monter à l'étage, là où nous avions prévu de l'installer. Nous avions ainsi convié nos connaissances à un apéritif intéressé. Nous devions être une demi-douzaine à nous gratter la tête devant le lourd instrument déposé dans l'entrée. L'escalier, en effet, même s'il est assez large ne permet pas de procéder facilement. Une première volée de marche aboutit à un petit palier avant de repartir dans l'autre sens. Nous avons dû nous résoudre de basculer le piano droit sur la tranche pour aborder l'étape du demi-étage, puis il a fallu retourner l'instrument, au grand dam du vendeur qui avait au préalable calé toute la mécanique. Mais cette manœuvre ne peut se faire qu'avec un nombre limité de porteurs. Notre ami s'est ainsi retrouvé tout seul à l'avant, l'encombrement du piano empêchant les autres de parvenir jusqu'à lui. Qu'à cela ne tienne, il a gravi posément une à une les marches en soulevant le meuble de près de 150 kg, non sans faire attention au vernis flambant neuf, tandis que nous l'aidions du mieux que nous pouvions à l'arrière.
La musique est donc une affaire de gros bras. L'anecdote est restée. Il ne serait pas étonnant que notre homme, en se présentant devant Saint-Pierre, lui ai demandé avec son habituel humour pince sans rire : " On m'a appelé chez vous, vous n'auriez pas un piano à déménager par hasard ? "
(06/04/2018)

 

Cette semaine, je me suis partagé entre Paris, retour dans ma ville, puis Thiers, Clermont-Ferrand et retour à nouveau à mon bureau où j'écris ces quelques lignes. Une part à Paris, un tiers à Thiers et quelques heures à Clermont auront été les manifestations évidentes du métier d'écriture. Je tiens à cette notion de métier, même si François Bon et bien d'autres n'en revendiquent pas l'appellation. Métier cependant que l'écriture, au sens étymologique de " faire profession ", " déclarer publiquement que… ". Je ressens ce besoin d'exprimer avec conviction cette réalité de l'écriture. Elle contrebalance le sentiment d'imposture que j'ai eu à mes débuts : entrer dans le monde des lettres lorsque l'on vient d'un milieu populaire, provincial, avec des études moyennes (voir aussi la " note d'écriture " cette semaine sur " Écrire pourquoi ").
Et maintenant que j'ai arrêté mon travail nourricier, je revendique encore plus l'autre métier, toujours affirmé comme tel depuis que j'ai commencé à publier (donc à me " déclarer publiquement "). La tentation est en effet grande parmi proches et moins proches de me traiter en retraité de mon ancienne vraie profession et d'envoyer aux oubliettes mon travail d'écriture depuis quarante ans, de publication depuis presque vingt ans et l'accomplissement d'études de lettres jusqu'au doctorat de décembre dernier. En exemple Jean d'Ormesson : l'exercice d'admiration obligatoire depuis sa disparition ne saurait remettre en cause son métier d'écriture : il ne venait à personne l'idée de le traiter de retraité (du journalisme) sur les plateaux de télévision, le métier d'écrire était pour lui un fait admis, mais c'est surtout parce qu'il personnifiait une persistance du monde doré duquel il était issu. Notre passé collectif français a donné la parole écrite aux classes dirigeantes qui possédaient à la fois les biens matériels mais aussi artistiques : ne pas croire que ce monde a changé, peut-être même est-il encore plus réactionnaire aujourd'hui : Bourdieu, reviens!
Bref, pour en revenir à ma semaine de déplacements, à Paris, j'ai rencontré une auteure avec qui j'échange régulièrement, elle aussi, empêtrée dans la survie du métier d'écrire auquel elle se consacre entièrement mais cette année les projets enthousiasmants s'empilent pour elle, tant mieux ; j'ai rencontré mon éditrice et le livre en cours s'achemine tranquillement vers une publication ; je suis allé assister à une thèse à la Sorbonne qui me concernait " Le motif improbable, les récits d'enquête chez Thierry Beinstingel, Emmanuel Carrère et Jean Rolin ". De quoi donc me prouver (à moi-même seulement, pas d'illusion) une existence littéraire. Existence aussi proposée aux étudiants de la fac de Clermont-Ferrand à travers le thème de l'iconographie rimbaldienne, grâce à mes amis thiérois Françoise et Vincent, connus il y a longtemps dans ma ville natale. A la suite d'un petit atelier d'écriture proposé sur la fameuse photo supposée de Rimbaud assis à l'hôtel de l'univers à Aden, alors que certains participants hésitaient à lire leurs textes, j'ai évoqué le thème du sentiment d'imposture qui nous traverse tous, mais aussi de la nécessaire prise de parole, de la salutaire prise de pouvoir : savoir que, dans le domaine de l'imaginaire, de la créativité artistique, aucune permission n'est jamais accordée ; des siècles de soumission nous empêche de " prendre posture ", mais il le faut.
(30/03/2018)

 

Dernière neige (probablement) de la saison ce dimanche 18 mars, histoire de répondre aux premiers flocons que j'avais relatés dans les mêmes rubriques Étonnements et Webcam le 1er décembre 2017. Entre les deux dates, rien, à peine la sensation d'un peu de sucre glace disséminé parfois dans la pelouse, mais aucune commune mesure avec la neige qui avait perturbé plusieurs régions en février et provoqué l'habituelle pagaille en région parisienne. Ici, les pneus contact sont restés au garage. L'hiver pour autant n'a pas été forcément clément. Dernièrement, dix jours de grosses gelées jusqu'à moins dix dans ma maison de centre-ville, mais c'est surtout la pluie qui a été usante.
La neige de ce dimanche a été abondante : les 8 cm qui n'étaient pas autant prévus ont alourdi les branches des arbustes déjà en fleurs, forsythias, cognassiers. Les narcisses, si fières de déployer leurs fleurs une semaine auparavant n'ont pas résisté au poids du manteau blanc. Les primevères qui préparaient la décoration multicolore de la pelouse de Pâques sont encore enfouies sous l'uniforme immaculé. Mais peu de choses au final. Les orchidées (si, si, j'en ai dans mon jardin) vont ressortir leurs belles feuilles émeraude à la fonte demain ou après-demain. Après, tout va s'accélérer. Gageons que dans quinze jours, ce sera oublié lorsque j'aurai le nez au soleil en profitant d'une balade en vélo.
(19/03/2018)

" Je suis un éphémère et point trop mécontent citoyen d'une métropole crue moderne parce que tout goût connu a été éludé dans les ameublements et l'extérieur des maisons aussi bien que dans le plan de la ville. Ici vous ne signaleriez les traces d'aucun monument de superstition. La morale et la langue sont réduites à leur plus simple expression, enfin ! Ces millions de gens qui n'ont pas besoin de se connaître amènent si pareillement l'éducation, le métier et la vieillesse, que ce cours de vie doit être plusieurs fois moins long que ce qu'une statistique folle trouve pour les peuples du continent. Aussi comme, de ma fenêtre, je vois des spectres nouveaux roulant à travers l'épaisse et éternelle fumée de charbon, ? notre ombre des bois, notre nuit d'été ! ? des Erynnies nouvelles, devant mon cottage qui est ma patrie et tout mon cœur puisque tout ici ressemble à ceci, ? la Mort sans pleurs, notre active fille et servante, un Amour désespéré, et un joli Crime piaulant dans la boue de la rue. "
Peu de motifs d'étonnements en ce moment, hormis le hasard qui m'a emmené à cumuler Paris et Bruxelles un même week-end. J'ai ainsi joué à Rimbaud, amoureux des deux cités, et c'est le moment de se souvenir de " Ville ", recopié ci-dessus. Cent quarante cinq ans séparent cette sensation que décrit le poète avec celles que j'éprouve à chaque fois en visitant ces deux capitales. Peu de changement avec ce qu'il ressent, mais beaucoup de différences aussi entre les deux villes : Paris, plus grande, plus bourgeoise, plus arrogante ; Bruxelles, plus simple, plus directe, moins maniérée. Je préfère Bruxelles évidemment, qui correspond plus aisément à ma façon d'envisager la vie. Paris cependant est paradoxalement plus facile : la centralisation littéraire a beaucoup d'inconvénients mais aussi ses mérites, on y concentre tous les livres et j'y retrouve toutes mes relations. Lorsque j'y vais en semaine, j'en profite très souvent pour cumuler des rendez-vous. Je souscris donc à ce que dit Rimbaud : Je suis un éphémère et point trop mécontent citoyen. Il me semble comprendre aussi l'étonnement tout provincial (champardennais pour nous deux) que ces villes provoquent. Architecture, ameublement : tout semble sans cesse renouvelé pour le visiteur occasionnel. Du passé faisons table rase et qu'il ne subsiste aucun monument de superstition. La morale et la langue sont pareillement réduites, qui se construisent toute deux avec l'histoire et l'acumulation. J'ai souvent ressenti cette sensation de nouveauté, les possibilités d'avenir que Paris ou Bruxelles semblent proposer en permanence. A chaque coin de rue, nos sentiments sont ainsi renouvelés, l'amour se repeint de neuf et, parce que nous avons l'impression de vivre plus intensément, la mort s'approche sans heurt à chaque minute un peu plus.
(12/03/2018)

 

Décidément l'actualité des relations au travail est fournie depuis le début de l'année, malheureusement inquiétante. Après être intervenu sur ce thème dans des classes de lycée, je suis depuis quelques temps le spectateur involontaire de contextes difficiles.
Cette troisième rubrique met en scène une réunion. Premier élément, il s'agit d'une réunion présentée comme " un point " fait avec un salarié, non officielle, donc, pas de convocation écrite, ni d'ordre du jour. Le dit salarié était confronté à trois responsables de son entreprise, voici pour le rapport de force. Cette réunion non-officielle avait pour but d'inciter le salarié à accepter une rupture conventionnelle, en d'autres termes à accepter de démissionner. Le seul inconvénient, c'est que le salarié sur la sellette n'a rien demandé. Qu'à cela ne tienne, on lui " vend " cette solution souple, on promet de le faire bénéficier d'aménagements pendant son préavis pour chercher du boulot ailleurs, et tiens même, dans leur grande bonté, les responsables acceptent de déchirer le protocole de rupture si, entre temps, de nouvelles activités lui sont trouvées au sein de l'entreprise, activités qu'ils vont s'atteler dare-dare à dénicher. Sauf que cela fait déjà plusieurs mois que le salarié est sous-employé et que rien n'a été efficacement entrepris pour lui. Et comme il est plutôt bien considéré (plusieurs fois pendant l'entretien, on loue son implication, sa manière de ne jamais rien contester), c'est une vraie chance pour lui d'apposer sa signature en bas d'un document flou, dans lequel il s'avère que la marge de négociation, qui pourtant existe, se bornera au cadre minimum en vigueur, sans par ailleurs prendre en compte son ancienneté. Dans ces conditions, pour la première fois de sa vie, l'employé modèle refuse. Les responsables sont déçus, de fait, une procédure de licenciement reste le seul moyen de rompre le contrat. On conçoit que ça les embête, les responsables, le risque n'est pas neutre pour l'entreprise : le recours à des instances juridiques, justice, conseil des prudhommes, inspection du travail est possible pour le salarié, tandis qu'un accord partagé empêche quasiment toute contestation. Mais le salarié persiste : la loi appelle licenciement toute rupture unilatérale par l'employeur, donc, qu'on le licencie, puisque c'est la seule solution. Qu'à cela ne tienne, on propose tout de même à l'employé de signer un renoncement ultérieur à toutes poursuites notamment pour licenciement abusif. Un comble, car c'est l'entreprise qui qualifie elle-même ce licenciement comme abusif ! Hormis sa légalité plus que douteuse, cette procédure n'est qu'une manœuvre pour obtenir la signature du salarié, donc son consentement à une rupture déguisée par commun accord.
Cette nouvelle affaire, pour laquelle j'ai apporté mon aide, révèle la perversion du système actuel de la rupture conventionnelle, qui présente plusieurs avantages pour " masquer " un licenciement le plus souvent économique. Dans le cas de l'entreprise en question, il n'a pas de remise en cause de la stratégie qui conduit à la baisse d'activité, et le refuge de la rupture conventionnelle constitue en soi une règle d'ajustement du personnel. Dans une telle confusion, faute d'analyse, une telle entreprise est probablement condamnée à disparaître à plus ou moins court terme.
Pour revenir au domaine RH, le plus choquant n'est même pas à la limite l'utilisation abusive de la rupture de commun accord ; le plus choquant n'est pas non plus cette réunion qui m'a été rapportée, somme toute banale, qui se produit au quotidien dans toutes les entreprises. Le plus choquant est la violence justement de cette banalité. Le plus inquiétant surtout est l'attitude des trois responsables, chacun demeurant persuadé d'être d'une humanité incroyable, ouvert au dialogue, transparent ; tous trois se relayant pour s'autocongratuler devant leur immense bonté d'âme en s'asseyant sur les plus élémentaires règles de gestion collective et de courtoisie individuelle. Leur incapacité est flagrante dans ce domaine et le rôle de la fonction Ressources Humaines est complètement effacé ; il se borne à bricoler la rupture du contrat au lieu d'être prédominant dans cette affaire. Malgré les intimidations, l'employé a tenu bon et a obtenu une séparation dans les règles. Sa réaction finale : " je n'aurais jamais cru être heureux un jour de me faire licencier ". En effet, il était temps de partir…
(28/02/2018)

 

La semaine dernière, en toute logique, j'ai effectué un retour à Retour aux mots sauvages en rubrique Notes d'écriture suite à quelques interventions dans le milieu de l'Éducation nationale au sujet de mon roman susnommé. Cette semaine, c'est un retour à ce retour que je place en rubrique Étonnements, tant le hasard, l'étonnement donc, rejoint ce que j'y avais écrit. Passons outre la 3ème édition du concours Écrire le travail organisé par l'Académie de Versailles et pour lequel j'ai le grand plaisir à rencontrer les professeurs intéressés mercredi dernier (on est dans la lignée il est vrai de Retour aux mots sauvages et autres) pour se concentrer sur une nouvelle qu'un proche m'a annoncé : sa boîte commence à évoquer de le licencier, ce qui se traduit par " si vous pouviez chercher un autre travail et accepter une rupture conventionnelle, ce serait bien pour tout le monde ". Cette manière de pousser à la démission n'est pas sans rappeler le film Corporate, évoqué la semaine précédente en note d'écriture et qui a été d'ailleurs l'élément déclencheur de trois interventions en lycée pour moi. Dans ce film, un employé poussé à la démission se suicide…
L'histoire bien-sûr n'est pas si tragique, mais ce proche m'a évoqué tout de même son désarroi pendant le week-end (pourquoi faut-il que les mauvaises nouvelles soient toujours annoncées le vendredi ?), puis sa colère, enfin sa décision de réagir : phases très bien décrites dans le film… Pour l'instant, l'affaire est récente et en cours, mais le sentiment et le danger de tomber dans une nasse sont réels : d'un côté, l'employeur continue à demander un travail prenant, ce qui empêche le salarié sur la sellette de chercher du travail ailleurs. Le salarié évidemment travaille de plus en plus pour sauver son emploi et s'attirer un retour en grâce. L'employeur souffle le chaud et le froid : la semaine suivante (toujours un vendredi), il annonce au salarié qu'il a " peut-être " une nouvelle mission pour lui, sans rien préciser davantage... Ceux qui, comme moi, ont vu l'excellent reportage à la télévision la semaine dernière intitulé La Mécanique burn-out d'Elsa Fayner apprécieront le danger.
Cette situation infernale ne se passe pourtant pas dans une entreprise de négriers. Les managers sont plutôt sympas, tous ceux qui travaillent dans cette boîte sont jeunes, génération X Y ou Z, pétrie d'humanisme et de développement durable et qui se moque bien des règles dictées par leurs ainés. C'est justement le problème. Dans ces entreprises, parfois de plusieurs milliers de salariés, où l'esprit start-up règne en maître, le manque d'organisation, l'absence de process clairement définis (ça fait ringard) leur permet de jouer aux apprentis-sorciers dans le domaine RH et de baser toute relation d'individu à individu (évidemment pas de syndicat). En fait, rien n'est nouveau, je viens seulement de décrire ce qui se passe dans la plupart des entreprises néo-libérales en Europe. Raison de plus : encore une fois, c'est l'occasion pour moi de redire combien je suis inquiet pour la suite en France. Il me semble que les réformes entreprises à train d'enfer chez nous vont pousser à l'avenir de plus en plus à de telles situations. La dernière en date concernant la SNCF remet en cause le peu de politique d'aménagement du territoire qui subsistait encore. Ce véritable thatchérisme nouvelle manière montre bien que nous ne tenons aucun compte des erreurs du passé et des situations catastrophiques que de telles politiques ont laissées.
Voilà : ce retour à retour à Retour aux mots sauvages méritait bien cette note non pas d'étonnement mais d'énervement.
(19/02/2018)

 

Longtemps que je n'avais examiné les statistiques de Feuilles de route : la dernière fois remonte à trois ans (rubrique Notes d'écriture du 24/01/2015). Cela a peu changé : 6000 visites par mois, 72000 par an, contre les 80000 constatés alors. Ce plancher modeste doit être un effet de seuil minimum dévolu aux robots, aux égarés qui transitent par erreur dans ces pages qui n'intéressent que moi. Lorsqu'on creuse un peu plus, on s'aperçoit que ceux qui lisent réellement les 3 ou 4 pages que je m'évertue à mettre à jour plus ou moins régulièrement représentent environ 2% des visiteurs, soit moins de 200 " vrais " visiteurs par mois. Ceux-là comprennent les inscrits à la liste de diffusion, soit environ une cinquantaine. C'est ainsi : Internet dont l'exposition permanente semblait s'ouvrir à tous au moment des temps pionniers, n'est qu'un leurre, juste une façon de plus de soliloquer dans le grand vide du monde. Les réseaux sociaux ont donné un instant l'illusion d'une parole reprise, mais les troubles que provoquent leur addiction, notre trouille d'être délaissé sur la toile virtuelle, n'est jamais qu'une preuve supplémentaire de notre solitude, renforcée qui plus est par la formidable machine économique des réseaux sociaux dont les gains financiers faramineux échappent à la plupart d'entre nous. C'est en grande partie l'explication de mon refus des facebookeries et autres officines, liée au plaisir de me sentir plutôt libre côté outils numériques, juste quelques mails à répondre et un agenda couplé sur plusieurs machines.
Un fait nouveau m'a incité aussi à me pencher sur mes Feuilles de route : je ne peux plus alimenter ma liste de diffusion comme je le faisais à chaque mise à jour. Le nouvel ordinateur (moins d'un an) est en panne de messagerie, du moins celle qui contient ma liste de diffusion. Provoquée par un complément de programme que j'ai voulu installer, pas moyen de revenir en arrière, ce qui démontre - s'il le fallait encore - que l'informatique devient de plus en plus complexe, programmes mal finis, applications aléatoires, la technologie dont nous nous gaussons tous les jours est devenue une approximation d'amateurs. J'insiste auprès des technophiles trentenaires qui ne cessent de répéter que les séniors (je suis dedans) se mettent désormais à l'informatique : lorsque les vieux ont créé la bureautique communicante à laquelle j'ai participé il y a trente ans, une certaine qualité était au rendez-vous. Pas question pour le responsable SAV que j'étais de laisser un village sans téléphone, ni Internet pendant plus de 2 jours : actuellement l'un deux - dont j'avais autrefois la charge - est en panne depuis plus d'un mois.
Je sais, ça fait vieux con, tout ça et c'est hors-sujet par rapport à ce que j'évoquais (quoique). Donc mon site poursuit cahin-caha à parler dans le vide en réseau asocial sans que je puisse envoyer de petits messages aux " Chers amis de Feuilles de route " abonnés à ma liste de diffusion. Est-ce si important ? Oui pour moi, je tiens à ses petits signes. Il faudra tout de même que je songe à faire réparer mon ordi.
(13/02/2018)


Le hasard a voulu que je retourne en pèlerinage sur les terres de René Fallet quasiment dix ans après ma dernière visite en 2008 (voir en rubrique webcam du 24/01/2008). A cette époque, l'auteur de Paris au mois d'août était encore célébré dans un petit local au-dessus de la Poste où de vieux copains de bar perpétuaient son souvenir en jouant les guides occasionnels (voir en page spéciale René Fallet, écrivain bourbonnais). Le pèlerinage n'est pas un vain mot, mais pas d'idolâtrie pour autant, disons une promenade, de la même manière qu'à vingt ans j'étais allé à Villeneuve-Saint-Georges sur ses lieux d'enfance et de son premier roman Banlieue Sud-Est. Donc, je reviens régulièrement me promener ici. J'aime cet endroit, je m'y sens chez moi, comme dans chaque trou de province qui ne se prend pas au sérieux. Le pèlerinage comprend : une virée jusqu'à sa maison au murs ventrus, que, paraît-il, son beau-père maçon lui construisit ; un petit tour au cimetière de Thionne pour voir aussi si l'esprit de son grand ami Voltaire Dauchy y est toujours ; enfin, un tour dans Jaligny, histoire d'enjamber la Besbre, de se souvenir en passant du café de " chez l'Aimée ", ou d'y revoir celui du Beaujolais. Tout cela est aussi en Webcam. La grande nouveauté est cependant l'exposition permanente Les Pieds dans l'eau, très réussie et qui mérite à elle seule une nouvelle page spéciale.
(05/02/2018)

 

Comme chaque année, voici le bilan de mes courses à pied. Je note mes courses depuis précisément le 9 mai 2009, date de ma première participation à la course populaire de ma ville. Je m'étais inscrit modestement sur un parcours de 3,5 km et j'aurais été à l'époque incapable d'affronter la distance de 10 km qui constitue l'essentiel de l'épreuve sportive. Depuis, j'ai scrupuleusement noté sur un fichier Excel chaque entrainement et chaque compétition auxquels j'ai participé. Mon fichier compte à ce jour plus de 1300 lignes, chacune correspondant à des chaussures enfilées avec un short ou un survêtement, un débardeur ou un vêtement de pluie, et hop, hop, hop. Cette année, si je ne mollis pas, je devrais atteindre les 10000 km pour cette dixième année de sport. Pour cela, il faudra tout de même que j'en fasse plus que l'année passée où j'ai couru seulement 664 km, à peu près la même distance que pendant ma toute première année d'entrainement régulier et deux fois moins que ce que j'avais coutume de faire. Il faut dire que le changement d'habitude radical que je me suis imposé, le boulot quitté (ça fait tout juste un an le 17 janvier) et la thèse en indépendance totale à la maison, ont perturbé mes repères habituels. J'ai compensé tout de même l'activité par des sorties sur mon vélo tout neuf (873 km en 2017), 308 km de randonnées, dont 170 dans les montagnes du Nord-Vietnam, pas de quoi vraiment m'encrouter. Mais pour la course, heureusement qu'un copain beaucoup plus jeune et en phase de progression a su me solliciter régulièrement pour l'accompagner dans quelques compétitions. Merci à lui : j'ai ainsi participé en 2017 à 6 courses : un 8 km et deux 10 km sur route, donc rapides, mais aussi trois trails plus longs dans des chemins boisés avec 300 à 450 m de dénivelé positif, dont le plus long dépassait la longueur d'un semi-marathon avec 22,4 km, parcouru de nuit à la lampe frontale sur des sentiers glissants en plus ! La toute dernière course qui dépassait 16 km m'a permis d'étrenner la catégorie Master 3 que je viens de rejoindre. Autant, dans la catégorie précédente (appelée Vétéran 2 jusqu'à l'année passée) les effectifs restaient encore nombreux, pouvant aller jusqu'à 15-20% des participants, autant, les " anciens ", à partir de Master 3, piétinent aux alentours de 5-7%. J'ai d'ailleurs eu la surprise de rencontrer un " ancien " collègue de travail du même âge, ayant également comme moi quitté notre boite, plus performant toutefois puisqu'il est monté sur le podium pour la deuxième place dans notre nouvelle catégorie. Il faut préciser que c'est lui qui m'a initié à la course à pied lors de notre formation à notre métier des Télécoms, c'était pendant un stage de neuf mois à Lille en 1985 (merde, ça fait 33 ans !), mais lui courait déjà des marathons en trois heures…
Pour 2018, donc, je vais tenter de maintenir des entrainements réguliers, voir essayer de retrouver un peu de vitesse, car si l'âge semble m'épargner les douleurs musculaires et les blessures (touchons du bois), la vitesse, de même que la souplesse, commencent à s'éclipser.
Finir chaque course en forme, c'est-à-dire aussi bien à l'arrivée qu'au départ, demeure toujours mon objectif principal, je me fiche pas mal des performances, de toute façon j'ai l'habitude de terminer dans le dernier tiers, l'important reste le plaisir que je prends à passer la ligne d'arrivée.
(22/01/2018)

 


Après avoir été assidu à la Guadeloupe avec cinq voyages en huit ans, j'ai laissé passer quinze ans avant d'y revenir pour les fêtes de fin d'année. Mon dernier voyage date de 2003, on y trouve des traces dans Feuilles de route dans les rubriques Étonnements et Notes d'écriture en avril et mai de cette année-là. Quinze ans ! Feuilles de route avait à peine 3 ans, et mon site fêtera sa majorité en septembre prochain. Pendant les années qui ont suivi, les voyages se sont tournés vers d'autres destinations, régulières comme la Sicile en été, épisodiques et parfois lointaines, Brésil, Pérou, parfois plus proches dans des endroits désormais difficiles, Yémen ou Syrie. Retrouver l'île des Antilles après tant de temps, c'est à la fois renouer avec une histoire familiale toujours demeurée proche, donc peu de surprises, et, en même temps, c'est s'apercevoir des changements, en beaucoup mieux d'ailleurs : signalisation touristique améliorée, offres et infrastructures étendues, l'île bénéficie de la désaffection d'autres destinations et de la proximité du continent américain. Dans la file d'attente avant de reprendre l'avion, les canadiens étaient particulièrement nombreux. J'ai donc retrouvé avec beaucoup de plaisir Grande terre, notamment le triangle entre Sainte-Anne, Saint-François et Le Moule, qui pour moi sont l'essence même de la Guadeloupe, malgré ce que disent les guides qui généralement préfèrent Basse-Terre. Ceci dit, les 1800 km effectués avec la voiture de location en quinze jours montrent notre parcours complet : Soufrière, chutes du Carbet, chutes Moreau (fermées depuis le cyclone Maria) plage de Trois-Rivières, de Deshaies, plongées dans la réserve Cousteau, kayak à Sainte-Rose, voici pour Basse-Terre. Rajouter une journée dans l'île de Marie Galante, une autre à Petite Terre, voici pour le programme. Restes les festivités de fin d'année : un " chanté Nwel " avec les nombreux cousins créoles de ma belle-sœur, descendre sur la plage du bourg de Sainte-Anne pour un bain de Minuit à l'heure précise où l'année s'achève. Vacances complètes donc, j'ai même renoué avec la plongée avec bouteille, dix-huit ans que je n'avais pas tâté des profondeurs de cette manière et très grande joie : je me suis aperçu que les réflexes étaient toujours là, mon niveau de plongeur demeure correct, plus de 50 minutes pour ce qui constitue ma soixantième plongée. Reste de ce voyage photos et films (en Webcam et Carnet de voyage spécial), avec en plus une caméra sportive capable de très beaux clichés sous-marins.
(15/01/2018)