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Étonnements 2022

 

Le vrai rangement a commencé cet automne, mais on y pensait depuis février. L’idée concernait les deux pièces à vivre dans la maison qui nous accueille depuis plus de trente ans. Ça paraissait simple, rafraichissement, coup de peinture, et le tour était joué. C’était sans compter avec la pesanteur du temps qui y avait déposé des strates de souvenirs et d’objets, la somme d’habitudes à remettre en cause, l’obligatoire analyse de ce qu’on garde et de ce qui est désormais inutile. Et puis, quitte à changer au bout de trente ans, autant refaire entièrement la cuisine, réagencer la salle à manger et le salon, bref changer le mobilier, la décoration, tout quoi.
De fait, chaque fois que nous regardions dans un coin, la nécessité d’une réfection nous apparaissait dans toute son ampleur. Les fenêtres d’abord, du simple vitrage qui datait des années cinquante et c’est ainsi toute une façade qu’on refait avant l’été, volets roulants, châssis en aluminium et en PVC. C’est la première étape. La seconde est de se décider sur l’aménagement, la couleur des murs, le choix de la cuisine, des artisans, la planification de tous ces travaux.
Enfin arrive la réalisation, et c’est là que le rangement intervient. D’abord, sortir tout des placards et des meubles avant les travaux, tout ce qui s’est accumulé depuis tant d’années, cahiers d’école, jouets des enfants (qui ont quitté la maison depuis belle lurette), vaisselle utilisée ou non, verrerie oubliée, bouteilles vides au fond d’une étagère, vieux appareils ménagers, service du mariage, affaires récupérées de maisons vidées au décès de proches, conserves, nourriture, ce qui sert chaque jour et ce qui est délaissé, centaines de choses qui atterrissent au fond de dizaines de cartons, avec, pour chacune d’elles, la question cruciale, qu’est-ce qui est gardé, jeté, remisé, déplacé, donné.
Ceux qui déménagent fréquemment, ou qui trient avec régularité, ne peuvent pas imaginer combien les ustensiles vieillissent en même temps que nous, du moindre stylo à la cruche héritée d’une grand-mère. Le seul fait de retrouver au fond d’un tiroir, un dessin, une note, une photo, un taille-crayon, laisse émerger des pensées qui s’enchaînent, se lient, s’accordent. Une vieille montre publicitaire Itinéris et ce sont des réminiscences de boulot, des dates qui apparaissent, des modes qui passent. On retrouve des pin’s, quelques centimes de francs, de vieux talons de chéquiers. L’ensemble forme, non pas une suite d’objets distincts, mais une pâte uniforme qui constitue l’épaisseur de notre vie : « Laissez parler les petites cuillères ! », clamait Georges Perec…
Mais enfin, le coup de « Ripolin » arrive (encore un mot daté…). Le peintre s’installe pour un mois à la maison. Suivra le déménagement de l’ancienne cuisine, l’agencement de la nouvelle, la plomberie, l’électricité, la commande des meubles, les virées dans les magasins, les officines de luminaires, de bricolages en tous genres.
L’opération à tiroir entrevue au départ s’intensifie. L’ancienne cuisine aménage la buanderie du rez-de-chaussée (les éléments et les appareils électroménagers sont encore au top malgré 45 ans d’âge). Nous camperons un mois et demi dans cet endroit devenu tout confort et qui servira désormais de cuisine d’été.
Rangements donc, cela s’amplifie : au même moment, la maison de ma mère est vendue, il faut la vider (voir la note précédente de cette même rubrique) et là encore, chaque chose entrevue provoque des souvenirs et impose des choix (peut-être que ranger, après-tout, c’est apprendre à disparaître). La même journée, avec un camion de location, je parcourrai 450 km avec un canapé et deux fauteuils en provenance de chez moi, accompagné d’un piano, d’un clic-clac et de ma vieille Mobylette récupérés chez ma mère.
Lorsque tout est terminé, cuisine rutilante, salon et salle-à-manger entièrement rénovés, il me faut encore déballer les cartons qui avaient entassé momentanément nos objets quotidiens, et encore trier, puis nettoyer, astiquer la plus petite assiette avant de la ranger dans un placard ou un buffet : dizaines et dizaines d’heures de travail en plus. Derniers gestes : accrocher de beaux tableaux de l'ami Delatour.
C’est reparti pour trente ans !
(19/12/2022)

 

Lorsque la maison de mon beau-père avait été délaissée brutalement par son dernier occupant (cela fera 10 ans en février prochain), j’avais écrit, dans cette même rubrique, la vie devenue silencieuse des objets (le 06/03/2013 et le 20/03/2013) et j’avais même immortalisé la fin de ce logement avec un petit film, tourné en juillet de la même année. Un an plus tard, le pavillon était vendu à un jeune couple avec deux enfants, ce qui lui redonnerait une vie moins silencieuse et une heureuse conclusion.
En ce moment, c’est une autre maison familiale qui, pareillement, va être vendue à un jeune couple. « Il va falloir changer de mémoire », comme le dit Michel Piccoli dans la chanson du film Les choses de la vie. Petite remarque : le célèbre acteur a quitté ce monde en 2020, un mois avant mon père.
Il faut donc vider à nouveau une maison de ses meubles et c’est une véritable épreuve. J’avais gardé de la précédente expérience un souvenir cruel, extrêmement violent. Par exemple, le vieux meuble de l’entrée, dans lequel mon beau-père, une année plus tôt, rangeait ses pantoufles et ses chaussures, avait été massacré pour l’emmener à la déchetterie. Des objets, jusque-là utiles, étaient devenus subitement sans usage, bons pour la casse. J’avais récupéré des choses, plus par sentiment que par nécessité. L’horloge, par exemple, que l’on voit dans le petit film, scande désormais le temps depuis le bureau où je compose Feuilles de route.
Dans la maison que nous allons vendre bientôt, il faut également se séparer du mobilier. Certains meubles ont déjà été réparti entre les proches. Personnellement, je ne garderai rien, mon propre logement est déjà plein comme un œuf. Ma mère, qui vit désormais à côté de chez moi dans le studio d’une résidence pour senior, a récupéré sa table et ses chaises de cuisine, une étagère et deux commodes. J’ai insisté pour qu’elle prenne sa table de chevet, c’est le seul élément qu’elle peut emporter de sa chambre à coucher, cadeau de mariage qui les aura suivis pendant 65 ans.
Demain donc, à l’heure où j’écris ces lignes, le mobilier restant sera donné à l’association Emmaüs. Demain, il ne restera plus rien que les papiers peints, les traces des cadres. Plus rien que le souvenir de fantômes de meubles, le buffet où se trouvait le service du dimanche, le petit grincement que faisaient les portes de l’armoire dans la chambre, le fauteuil sur lequel mon père a bercé son arrière-petit-fils, quelques mois avant de partir.
Ces derniers temps, je suis revenu ici plusieurs fois au hasard de voyages ou de détours.
Un jour, je me suis aperçu que le lustre à quatre branches de la salle à manger s’était décroché sans raison et était tombé sur la table. Je l’ai pris comme un signe venu de l’au-delà par celui qui aura terminé sa vie ici : Voyez, je veille sur vous.
Nous sommes le lendemain lorsque je reprends mon écriture. Quand je suis arrivé dans la maison ce matin, il faisait 3 degrés dehors, à peine plus à l’intérieur. Le chauffage est coupé, la maison est vide depuis 15 mois. Les jeunes d’Emmaüs sont venus, un conducteur, qui faisait office de chef, avait les cheveux verts, un jeune africain rigolait tout le temps, heureux de s’occuper. Au total, ils étaient six dans 2 petits camions. Il leur a fallu à peine une heure pour vider l’étage, le rez-de-chaussée, le sous-sol et le garage. Lorsqu’ils sont repartis, je suis resté seul avec ma sœur pour donner un dernier coup de balai à la poussière de nos souvenirs.
J’ai pris quelques photos, un peu avec les meubles à l’arrivée, juste avant qu’on les enlève, mais beaucoup sans, lorsque la maison fut vide : c’est en Webcam. Et comme pour la dernière fois, j’ai fait aussi un petit film pour ne pas oublier tout-à-fait la maison dans laquelle mes parents ont été des gens heureux pendant 40 ans.
(25/11/2022)

 

Annie Ernaux vient de recevoir le prix Nobel de littérature. Passons sur les inévitables grincements de dents - le petit monde des lettres aime les crises de nerfs – et revenons sur l’œuvre. L’académie suédoise aurait salué « le courage et l'acuité chirurgicale avec laquelle elle dévoile les racines profondes, les détours et les contraintes collectives de la mémoire intime ».
Je possède une dizaine de livres d’Annie Ernaux, je dois la citer dans une vingtaine de pages sur FdeR et je l’ai beaucoup étudié pour ma thèse sur les représentations du travail dans les récits, notamment avec La place, livre emblématique où elle dépeint le monde de ses parents, petits commerçants d’Yvetot. D’autres livres, comme « Regarde les lumières mon amour » prolongent l’analyse d’un quotidien (ici celui des supermarchés). Souvent qualifiée d’avoir une « écriture blanche », sans affects, Annie Ernaux revendique le fait plutôt que l’interprétation : « Tout l’enjeu consiste à trouver des mots qui feront exister les choses, « voir », en oubliant les mots, à être dans ce que je sens être une écriture du réel » (Annie Ernaux, L’écriture comme un couteau). Un film, réalisé avec son fils, « Les années Super 8 » (encore visible sur Arte), aide à comprendre son parcours et ses interrogations, comment lutter contre le déterminisme que les études, les rencontres et la vie sociale, familiale vous imposent ou comment évoquer le milieu populaire dont on est issu sans le renier, ni le caricaturer. Annie Ernaux, dans ses thématiques, a inspiré beaucoup d’écrivains, notamment Patrice Robin. Elle lui avait conseillé de raconter ses histoires personnelles, qui lui tiennent à cœur, et de dire « je » plutôt qu’utiliser un narrateur plus distant.
(12/10/2022)

 

PQN et PQR, presse quotidienne nationale d’un côté, régionale de l’autre. Presse, attaché de presse, service de presse, autant de sigles et de termes qui montrent notre goût pour les journaux, magazines, fanzines, revues à périodicité diverse, journalière, hebdomadaire, mensuelle. Persistance d’un monde lointain hérité du colportage, reliques issues de Gutenberg, odeur d’encre que notre modernité digitale ne parvient pas à réduire à néant.
Service de presse : il en est ainsi pour chaque roman publié. Exemplaires pléthoriques réservés à la gent journalistique, mais joie aussi de votre attaché de presse quand un « beau papier » est décroché dans un quotidien renommé.
Dernier travail n’échappe pas à la règle. Le prix de la Feuille d’or obtenu au Livre sur la place à Nancy, et qui est aussi le prix des médias, a dopé les articles de L’Est républicain, la PQR donc, présente aussi avec L’Union de la Marne et Le Journal de la Haute-Marne qui relaient ces informations, annoncent une rencontre organisée à la librairie de ma ville et en feront même un compte-rendu, privilège d’être un « auteur local ». Et puis c’est sans compter les nombreuses marques de sympathie, les interpellations que me font amis, famille, entourage et connaissances. L’avantage d’être un écrivain régional, c’est la matérialisation même de ce pourquoi on écrit (pour les autres), expression visible, immédiate dans mon département par exemple, où la PQR demeure encore le principal moyen d’information. C’est très réconfortant et cela vous place dans un rapport d’égal à égal avec qui vous apostrophe, voire inattendu, comme ce voisin qui me parle de mon livre qu’il vient de lire, alors que je suis en robe de chambre devant la camionnette de la boulangère. On est loin des échanges policés dans les fauteuils de la Grande librairie !
Vous l’avez compris, j’aime la PQR pour cette proximité d’échange et de partage.
Le hasard a fait que la PQN vient de se manifester en même temps avec 2 articles (2 « très bons papiers », dira mon attaché de presse) parus dans L’Humanité et Le Figaro ce jeudi 29 septembre, un grand écart qui montre que mon roman sur le travail peut intéresser plusieurs publics. Mais là, en revanche, peu de réactions « en live » à attendre, même si le nombre de lecteurs est décuplé par rapport à mon JHM départemental. Tous ces articles sont à retrouver dans la page dévolue à mon Dernier travail.
(30/09/2022)

 

L’élégance du hérisson : ou plutôt sa bonhomie, son côté chancelant comme une vieille dame, sa faconde tranquille lorsqu’il traverse ma cour, ses épines au ras des gravillons, son empressement à rejoindre une étendue d’herbe, un coin de gazon, son museau pointu cherchant qui l’importune, ainsi penché sur lui, puis sa retraite, son indifférence, roulé en boule…
Trouver un hérisson est toujours une joie. En avoir dans son jardin est une source de satisfaction. L’animal vous débarrasse des insectes et autres espèces nuisibles qui attaquent plantes et racines. D’un naturel discret, voire timide, c’est assurément un grand bonheur de découvrir au hasard un de ces petits spécimens.
Cet été, c’est un ami qui m’a montré l’animal réfugié sous ma voiture. Il était déjà tard, la nuit était belle et installée. Au repas, sur la terrasse, nous avions justement évoqué le petit être qui participe à la poésie de nos espaces et j’avais déploré devant lui leur absence : plusieurs années que je n’en avais pas aperçu. Je les pensais disparus, ayant trouvé d’autres logements plus adéquats que le fouillis végétal qui me sert de jardin. Le hasard, ou plutôt la coïncidence de cette conversation, cette simultanéité nous en avait fait découvrir un nouveau le soir même…
La dernière fois que j’avais trouvé des hérissons, c’était en 2012, j’avais remarqué toute une famille pillant la gamelle de croquettes d’un pauvre chat que j’avais recueilli (voir note d’Étonnements du 02/01/2013). Dix ans après, je m’aperçois que mon terrain, qui n’a guère changé, n’a pas perdu son attrait d’hébergement, malgré les sécheresses récurrentes. A la réflexion, les cachettes sont nombreuses sous les buissons, je n’ai ni chat, ni chien, peu de passage de matous errants susceptibles d’effrayer mes petits hôtes, ils peuvent vaquer tranquillement à la nuit tombée, car c’est uniquement dans l’obscurité qu’on les rencontre. Celui que j’avais aperçu sous la voiture en juillet, je l’ai retrouvé plusieurs fois depuis, petite boule égarée dans l’herbe rase sous la lune, ou, comme hier, traversant l’allée à petits pas. Cette fois, je l’ai un peu plus ennuyé et je me suis permis de le photographier, alors qu’il tentait de se soustraire à mes regards.
Je retrouve ainsi intact ce que j’avais tenté de mettre dans mon recueil de nouvelles Bestiaire domestique (Fayard, 2009), cette sorte d’étonnement devant la vie sauvage, si proche de nous, sur nos lieux familiers et que nous essayons en vain de maîtriser. J’y vois aussi des petits signes du destin, peut-être quelques clins d’œil de chers disparus, des petites joies toujours, qui viennent saluer le temps et nous rappeler notre vacuité, la suffisance de nos gestes, la prétention de nos actions, l’orgueil de notre espèce humaine en regard de cette vie sauvage, ténue et opiniâtre, qui nous échappera toujours et qui, placidement, observe la vaine agitation des hommes. Dans le très beau documentaire La panthère des neige (note de lecture du 18/01/2022), Vincent Munier le dit en substance à Sylvain Tesson : « Tu crois que nous observons les animaux, mais en réalité, ce sont eux qui nous regardent ».
(15/09/2022)

 

Vacances européennes cette année : d’abord cet évènement familial fin juillet à Bruxelles, magique, émouvant, la joie de la préparation en amont, l’organisation sans faille, le beau temps convoqué, le bonheur qui suit, et puis, si vite, le retour en France pour repartir le surlendemain, direction Italie et juste le temps de récupérer au passage nos chers amis. L’Italie donc, pour 3 semaines, et commencer par Assise et l’Ombrie avant de descendre au pays des Trulli, au coeur des Pouilles. Le nôtre, avec ses 7 dômes de pierre était isolé au milieu des oliviers : excellent choix, agrémenté par la personnalité de son propriétaire, l’infatigable Vito et ses multiples activités. Après l’habitude de la Sicile, désertée pour cette année seulement, nous avions cette nouvelle région à découvrir et les jours ont passé bien vite mais le dépaysement fût total. Pour autant, les bonnes habitudes ont été conservées, farniente, lecture, pâtes en tous genre et même la traditionnelle course à pied du matin, parfois même transformée en petit triathlon, avec piscine hors sol et vélo d'adolescent aux pneux dégonflés (c'est plus dur dans les côtes !). Les deux jours d’escale en Toscane en remontant ont assuré la transition et nous voici maintenant de retour, 5000 km tout de même, 500 photos et l’énergie qui clôt encore cette période faste entre Belgique et Italie.
L’énergie, on en aura besoin : déménagement professionnel, vente d’une maison familiale, travaux à la maison, tout cela avant 3 mois, sans compter la rentrée littéraire et ses sollicitations.
(01/09/2022)

 

J’ai écrit le 6 mai dernier dans cette même rubrique « Cette année, je me suis retrouvé en plein après-midi rue aux choux avec un gros coup de fatigue ». C’était à Bruxelles bien entendu. Il faisait beau, chaud même, je n’avais pas suffisamment bu d’eau, les jours précédents non plus sur la riviera d’Ostende, et on avait beaucoup randonné, pas loin de 100 km. Bref, tout ce qui favorise une crise semblable à celles de Brassens, qui, comme on sait, était un pro du calcul et pas seulement mental. Je ne suis pas du genre à m’étendre sur ma santé, mais j’ai tout-de-même dû fréquenter ce jour-là une clinique belge, la même que celle où j’avais visité mon fils il y a quelques années. C’était le vendredi 22 avril de cette année, on m’a laissé repartir en pleine nuit et j’ai enquiquiné mes hôtes.
Un peu plus tôt, rue aux choux donc, j’attendais mes hôtes, bien obligés de venir me récupérer, je ne pouvais plus faire un pas. Je ne m’inquiétais pas outre mesure, juste vaguement surpris de la coïncidence qui me faisait les attendre, là même où Arthur Rimbaud avait fait éditer la seule œuvre de sa vie en 1873, Une saison en enfer par le truchement de l’Alliance typographique. Ma saison en enfer, ce jour-là, se limita à quelques heures de purgatoire.
Mais je viens de réaliser une autre coïncidence, qui me fait reprendre la plume dans cette rubrique bien nommée Étonnements. Ce jour-là, en effet, à proximité immédiate de temps et d’espace, dans des conditions autrement plus graves, le chanteur Arno, dont je méconnaissais jusque-là l’existence (veuillez pardonner mon inculture) vivait ses derniers moments. Il partirait pour le grand voyage le lendemain, alors que, tout à fait rétabli, je prendrais la route au même moment. Et dire que, pendant une semaine, d’Ostende au quartier Dansaert à Bruxelles, je n’ai cessé de fouler ses terres, d’emprunter ses chemins, de respirer le même air que lui au même moment de ses derniers soupirs. J’étais – je ne me le pardonne pas - dans l’ignorance de sa vie même qui se terminait. Cela me rappelle René Fallet auquel je me suis intéressé que lorsqu’il vivait ses derniers mois.
Depuis sa disparition, j’ai appris qui était Arno.
Depuis, les mêmes hôtes, soucieux de mon éducation, m’ont gratifié d’une playlist extraordinaire, de 150 titres exclusivement belges, dont Arno, bien-sûr.
Désormais, la rue aux choux ne sera plus réservée exclusivement au souvenir d’Arthur, un autre poète erre maintenant dans le quartier.
(22/07/2022)

 

Je n’arrive plus à répertorier tout ce que j’ai fait depuis un mois. J’ai l’impression d’avoir passé d’une activité à une autre, le livre à paraître, les rendez-vous libraires à Lyon, Paris, Bordeaux, (pas pu honorer Nantes et Marseille), les dernières actions de mon mandat associatif, le passage de relais, les ateliers d’écriture, les travaux à la maison, ceux à prévoir pour l’automne, un mariage en Alsace, un évènement du même acabit à préparer en Belgique, un ami qui débarque de Suède, une fête familiale dans un verger. Oui, tout cela m’a fait enchaîner heures, journées et semaines avec la hantise d’oublier quelque chose dans toute cette organisation domestique, familiale, professionnelle ou associative.
Car je suis censé avoir du temps pour tout cela (hahaha).
Car le statut d’écrivain, bien-sûr, est accessoire, annexe, additionnel, superflu : après tout, c’est une passion n’est-ce pas, un peu comme le macramé, pensent les gens qui pensent que j’ai du temps. Ma mère par exemple s’extasiait autrefois devant le comte Jean d’Ormesson : « Ça, c’est un écrivain ! », ignorant la profession de son fils qui la visite désormais quotidiennement, remplit les piluliers et s’acquitte de sa vie matérielle.
Ouf ! Par chance, tout s’est déroulé au mieux dans les 60 rendez-vous notés le mois dernier sur l’agenda électronique et la tonne de gribouillage qui macule mon organiseur (c’est celui que j’avais à mon boulot, bien pratique et repris depuis un an)
Le bilan avant vacances est ainsi positif : tout ce qui était prévu a été réalisé dans tous les domaines. Les difficultés, les problèmes qui s’étaient accumulés depuis un an se résolvent ou sont en passe de le faire. Je sors à peine la tête du guidon, j‘en profite pour faire cette mise à jour de Feuilles de route, avec un seul regret, n’avoir pas pris suffisamment le temps d’aller courir (une fois le mois dernier), ni de faire du vélo (30 km ce matin même).
Faire un bilan avant vacances permet de se projeter après. Depuis longtemps, comme les profs, mon agenda galope de septembre à septembre, cette matérialisation de l’année est mieux adaptée à la vie « courante » (au sens propre…). Donc, dès fin août le bouquin qui paraît et d’inévitables rendez-vous vont se rajouter à un calendrier déjà rempli de dates : aucun week-end de libre en septembre, une maison à vendre à la même époque (et à débarrasser de la cave au grenier), les travaux chez moi à faire et à coordonner jusqu’en novembre, la nouvelle présidence associative que j’ai accepté (« Mais je t’assure, ça ne me prendra que peu de temps », ai-je dit…), les sollicitations d’ateliers d’écriture que j’accepterai, ceux que je tenterai de refuser : tout cela devrait m’occuper jusqu’à la Toussaint, voire au-delà.
Après, c’est Noël, la semaine du blanc en janvier : ce sera reparti…
(15/07/2022)

 

1 – Vous avez été un des premiers avec Houellebecq à faire du monde de l’entreprise et du travail un champ d’investigation littéraire. Aujourd’hui des écrivains comme Vincent Message ou Nicolas Mathieu le font aussi, en quoi ce monde a-t-il changé ? Comment sa violence évolue-t-elle ?
Entre le moment où j’ai commencé à étudier le travail comme sujet littéraire - c’est-à-dire au début des années 2000 - et aujourd’hui, tout a changé.
Le travail a accru sa mondialisation à travers Internet. La moindre crise a des répercutions majeures sur notre vie matérielle. On le voit avec la pandémie, avec la guerre en Ukraine. Pour autant, l’économie de marché, le libéralisme demeurent immuables, ainsi que les méthodes et la manière de gérer les entreprises. Au bout de la chaîne, le travailleur est de plus en plus isolé, soumis à l’individualisation de sa performance, qu’elle soit salariée, et donc subie, où faussement libre à travers de plus en plus de professions indépendantes.
Et si violence, il y a, c’est bien sous cette forme symbolique d’un piège de plus en plus tendu entre l’individu, ses aspirations et le collectif de l’entreprise. Des conflits d’ordre éthique apparaissent : pollution de la planète, recherche d’hégémonie des grands groupes, etc.
En ce qui concerne la littérature et la manière d’évoquer le labeur, on remarque, en revanche, peu de changements notables : la plupart de ceux qui prennent le sujet du travail à bras le corps n’ont qu’un rapport lointain avec lui : journalistes, écrivains « de métier ». Très peu relatent leur propre expérience professionnelle. Cela donne des ouvrages qui manquent parfois d’authenticité.
Du coup, cette littérature présente le travail d’une manière dépressive, sans faire la part des choses. Pourtant, si je pose la question autour de moi, beaucoup se plaisent au boulot, comme la jeune Eve du roman.

2 – La phrase d’Elio Vittorini, écrivain engagé, anarchiste et résistant, « le calme plat de la non espérance » imprègne le cœur même du roman. En quoi vous semble-t-elle ici sensible et pertinente ?
La citation d’Elio Vittorini est issue d’un récit, Conversation en Sicile, écrit à la fin des années Trente, pendant la montée du fascime italien : croire le genre humain perdu, ne pas avoir l’envie fiévreuse de faire quelque chose en réaction, écrit-il à la suite. Bien entendu, c’est excessif, mais cette phrase illustre bien nos vies modernes et laborieuses.
Le travail, très souvent, est accepté dans sa globalité. Les habitudes qu’on y prend tissent une sorte d’immobilité, y compris dans les métiers les plus bousculés. Il en résulte au quotidien un « calme plat », sans affect, ou avec des émotions que le labeur sait maitriser. Cependant, la « non-espérance » qui s’y relie n’est pas synonyme de désespérance, c’est juste un état, qui fait qu’après votre journée de travail, le monde n’a pas bougé et demeure dans une neutralité qui se répète chaque jour, de telle sorte qu’au bout du compte, on constate qu’on a produit ce qu’on attendait de nous en tant que travailleur, mais aucun désir particulier ne s’y est joint.
Dans un tel contexte, on peut comprendre que les suicides au travail – puisque c’est aussi le thème central de mon roman – soient vécus comme l’ultime solution de l’effacement impersonnel que provoque un travail anonymisé.

3 – Votre livre montre aussi la perversion du langage sur lequel repose le monde de l’entreprise, pouvez-vous en parler ?
Il faut admettre que le langage nous concerne tous. Lorsque nous nous faisons l’écho d’expressions d’entreprise, maintenant passées dans le langage courant, par exemple « être gagnant/gagnant » ou « sortir de sa zone de confort », nous véhiculons l’idéologie qui y est associée.
« Être gagnant/gagnant » est utilisé pour des négociations de travail. Cette locution tend à gommer les rapports de force, à placer sur un pied d’égalité un petit employé et son grand patron, mais l’un est plus gagnant que l’autre.
La phrase « sortir de sa zone de confort » formule la réussite qu’on peut attendre en adoptant un autre point de vue, une autre façon d’agir. En cela, elle exprime la hardiesse, le dynamisme : c’est plutôt positif. Cependant, en cas d’échec, la responsabilité est rejetée sur l’individu seul qui n’a pas su « sortir de sa zone de confort », alors que les manques du collectif de travail sont passés sous silence : absence de formation, d’investissements suffisants, etc.
D’une manière générale, lorsqu’une expression issue du monde économique devient à la mode, méfiance !
(extrait du booklet rentrée littéraire Fayard)
(13/06/2022)

 

Himantoglossum hircinum, plus connu sous le nom d’Orchis bouc, est l’une des orchidées terrestres de notre pays. Fréquente dans ma région, elle pousse sur les talus calcaires, les friches, aux abords des forêts entrecoupées de clairières, dans les prairies. Ce n’est pas une plante d’ombre. Elle aime se déployer au soleil dans une floraison spectaculaire. Patrick Quercy, correspondant au Journal de la Haute-Marne, que j’ai connu il y a longtemps à l’association des écrivains de mon département, vient de consacrer un article à cette belle et grande plante. Il faut dire que nous avons été tout deux à la bonne école en fréquentant Albert Kritter (disparu en 2003 à 92 ans – note d’écriture du 12/03/2003), grand spécialiste de la flore et auteur de très beaux livres, comme La Haute-Marne fleurie ou Fleurs sauvages et vagabondages.
Pour en revenir à l’Orchis bouc, depuis plus de vingt ans, des spécimens ont colonisé ma pelouse, en plein centre-ville, ainsi que celle de mon voisin. Si j’en crois une note d’Étonnements du 29/05/2002, l’invasion avait commencé plutôt discrètement. L’année précédente, j’avais compté une vingtaine de pieds (note d’Étonnements du 22/06/2021), mais cette année, les trois endroits habituels se sont étendus, et d’autres pieds sont apparus plus loin. Au total, c’est cent plantes que j’ai laissé fleurir. En effet, visibles dès l’automne « par une rosette de feuilles oblongues » (comme le dit joliment Patrick Quercy), ces orchidées passent l’hiver, leurs pousses charnues solidement amarrées au milieu du gazon. Je repère avant la première tonte le renflement caractéristique de la future hampe florale et j’effectue un adroit gymkhana avec la tondeuse pour préserver les pieds les plus avancés. Mon voisin n’a pas cette patience, ni souvent les employés occupés à entretenir les bords des routes et des canaux. C’est dommage, d’abord parce que cette espèce est protégée, même si elle est classée en état de préoccupation mineure ; c’est dommage ensuite, car la floraison est vraiment magnifique (voir en Webcam) et majestueuse : la plus grande orchidée de mon jardin mesure 95 cm.
L’Orchis bouc ne mérite pas la mauvaise réputation qu’on lui attribue quant à son odeur (d’où son nom). Dès la fin de l’après-midi, elle exhale un parfum qui n’a rien de nauséabond, c’est juste une odeur poivrée, assez agréable d’ailleurs, que la brise accompagne jusqu’à la chaise longue où j’ai l’habitude de bouquiner.
Il y a une trentaine d’années, j’avais participé à un recensement des orchidées de mon département. Chaque volontaire devait compter les espèces et leurs nombres sur les parcelles qui leur étaient attribuées. Ma passion pour ces plantes date de cette époque, mais j’étais loin de me douter que certaines espèces sauvages de friches et de talus finiraient par coloniser les jardins en pleine ville.
(23/05/2022)

 

Pierre Bourdieu : le sociologue m’était sorti de l’esprit lorsque je suis tombé dans un kiosque de gare sur un numéro hors-série de la revue Sciences humaines : « vingt ans après sa disparition, quelle influence ? (voir aussi en Notes de lecture).
J’ai déjà maintes fois évoqué ses travaux (dans 27 pages de FdR, si j’en crois mon moteur de recherche). Par exemple, son opus Les règles de l’art a été évoqué dans deux notes de lecture, la première le 22/11/2000, mon site existait depuis deux mois, et la seconde le 30/06/2004. Quant à La misère du monde, ma note de lecture date du 01/01/2006, un an avant que les élections ne s’affolent avec Sarkozy, avec une analyse politique déjà prédictive à l’époque : « le monde a changé dans ses fonctionnements mondiaux les plus profonds, les plus inévitables, les moins maîtrisables… Quels partis, dans leurs fonctionnements cacochymes, sont capables de les prendre en compte ? ». A noter aussi que j’ai consacré avec hardiesse une dizaine de pages de ma thèse en 2017 à La misère du monde pour essayer de démonter en quoi c’est un récit emblématique de la question du travail.
Tout cela pour signaler l’importance de Bourdieu pour moi.
Au fil des années, je me suis aperçu des réticences que suscitait ses analyses sociologiques : la vivacité de celles-ci, leur intransigeance, la célébrité de Bourdieu a provoqué des jalousies dans le petit monde universitaire, mais, à la réflexion, c’est surtout parce que le trublion avait lancé un pavé dans la mare, avec Les héritiers notamment, en développant la notion de « capital culturel », autant sinon plus transmissible que le capital économique. Cet héritage est validé par des diplômes et des examens dont bénéficient justement en priorité et en premier les professionnels de l’éducation nationale, par leurs connaissances des règles. C’est ce qu’à démontré Bourdieu.
Pendant ce temps, les ignorants des mécaniques éducatives - dont je fais partie - tentent aussi bien que mal (plutôt mal en fait) de se dépatouiller des arcanes élitistes pour leurs propres enfants. Pour tranquilliser ce bas peuple, on fait passer l’idée que l’éducation est égalitaire et homogène, vieille lubie depuis Jules Ferry.
Si une auteure, au fait de ces subtilités, ne m’avait révélé le pot aux roses juste à temps, l’un de mes enfants aurait probablement obtenu plus difficilement (ou pas) son agrégation, faute d’avoir été inscrite en dehors d’une khâgne parisienne. Ouf ! mais aujourd’hui encore, je m’en veux de ma naïveté. Processus presque similaire pour le deuxième de mes enfants, dont la filière d’études était mal considérée par l’académie : son métier est stable et captivant, en dépit de tous les pronostics.
J’ai rencontré beaucoup d’écrivains, également professionnels de l’éducation nationale, et leur idées égalitaires, voire communistes pour certains, m’ont toujours éberluées : prôner l’accès à l’éducation pour tous… mais viser un peu plus haut pour leurs propres enfants car on connaît les règles, n’est-ce pas… Et de les aider pour la méthodologie, la correction de thèses… etc. Il y a quelques années, j’ai même assisté à l’immense désappointement d’un papa universitaire à l’annonce que sa fille avait échoué à l’ENS, filière sélective par excellence. Dernièrement, un maître de conférences, fonctionnaire, m’a avoué avoir mis tous ses jeunes enfants dans le privé pour une meilleure éducation… On croit rêver… J’éprouve toujours une sorte de honte quand je discute avec des gens de mon entourage, lorsqu’ils me racontent les couleuvres que l’éducation nationale leur fait avaler pour l’avenir de leurs enfants, qui reproduiront leur faible milieu social.
Voilà : tout cela c’est dans Les héritiers de Bourdieu, ça date de 1964 : presque soixante ans après, l’analyse demeure intacte, voire s’est amplifiée : le « capital culturel » est de mieux en mieux gardé grâce à la complexité accrue du système éducatif.
Aux sources de la pensée de Bourdieu était sa colère : cela figure dans le très beau hors-série et c’est ce que je retiens de ce jeune étudiant provincial, d’un milieu modeste, qui a du se battre à Louis le Grand et Ulm, dans un monde qui n’était pas le sien.
A sa colère, répond la mienne, intacte. Elle se manifeste d’une manière sourde lorsqu’un fin lettré reprend une faute de mon langage ou une approximation de ma pensée : je n’ai pas bénéficié d’un « capital culturel » à la base, bac avec redoublement, mention passable… Même dit sur le ton de la plaisanterie, c’est toujours une blessure pour moi.
Ainsi, à sa colère, répond la mienne, intacte. A la différence près que je n’ai pas intégré un monde autre : je n’intellectualise pas mon récent titre de docteur en littérature française, ni mon statut d’écrivain, je réfute l’idée d’être un transfuge de classe, la mienne est restée la même, avec, comme preuves, des ateliers d’écriture pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec l’éloquence. Si la sociologie est un sport de combat, comme disait Bourdieu, ma littérature ressemble à de la plongée sous-marine, pour débusquer la langue des profondeurs sociales.
(16/05/2022)

 

D’abord le périple commence sur la riviera belge, entre De Hann et Wenduine. Rien à envier à d’autres destinations méditerranéennes, le soleil nous a gratifié d’une douceur remarquable. Dunes, mer, villages cossus, accueil sympathique, gaufres croquantes à souhait (wafel en flamand). Ici, tout incite au vélo ou à la randonnée à pied : c’est ce mode de locomotion que nous avons retenu et pas loin de 100 km auront été parcouru dans cette petite semaine. L’air de la mer du Nord nous sera parvenu également à Bruges, toute proche, touristique à souhait, et même plus loin dans les terres, à Gand, où la profusion de bicyclettes est impressionnante. Ville étudiante et animée, les abords des facs sont cernés par des milliers de vélos (mais comment font-ils pour retrouver le leur ?). Il n’est pas rare de se faire enguirlander par un cycliste lorsqu’on traverse une rue. Des péniches impressionnantes, de cent mètres de long, circulent sur des canaux. Des ponts, fendus en leur milieu, se soulèvent et bloquent la circulation. Les vélos en profitent pour se masser devant de rares voitures attendant que retombe les tabliers pour démarrer d’un coup de mollet rageur.
Nous quittons le côté flamand pour rejoindre la belle capitale universelle. J’ai beaucoup d’affection pour Bruxelles. Je m’y sens toujours bien, toujours libre. La ville est humaine, simple, permissive, elle n’a pas l’arrogance parisienne. Cette année, je me suis retrouvé en plein après-midi rue aux choux avec un gros coup de fatigue, heureusement éphémère. La rue aux choux est celle dans laquelle se rendit Rimbaud, un jour d’octobre 1873, pour rencontrer le gérant de l’Alliance typographique afin d’éditer Une saison en enfer. En ce qui me concerne, c’est au paradis que j’aurai vécu cette semaine belge.
(06/05/2022)

 

Le printemps me déborde toujours. Je suis toujours surpris par la précocité de la nature, les jours qui rallongent, la lente torpeur qui s’éloigne. Déjà, dans la maison, les plantes s’en rendent compte et les orchidées fleurissent après l’hiver, égayant la maison pendant au moins trois mois (voir en Webcam).
Mais dehors, le spectacle se déroule également. En janvier les boutons des jonquilles et les perce-neiges m’ont surpris. L’hiver a été clément, sans neige, sans gel à pierre fendre. Mes géraniums placés sous l’auvent ont survécu et les orchidées (de jardin cette fois-ci) étaient déjà présentes avant les fêtes ainsi que les bien nommées roses de Noël. L’année passée a été pluvieuse, on en avait besoin et la pelouse s’est revigorée. Les primevères qui avaient disparues brûlées jusque par la sècheresse de 2020 sont réapparues. Bien sûr, il y a eu des dégâts, arbres morts, haies défoliées. Aussi l’année humide a été l’occasion de laisser les plantes se régénérer : volontairement, je n’ai pas taillé les haies en 2021, je n’ai même pas retiré les vieux lauriers cinquantenaires calcinés au cœur. La plupart repartent du pied et il me faudra nettoyer les branches sèches, certaines de la circonférence d’un bras.
En début d’année, j’ai repris quelques travaux de jardinage, j’ai continué de dégager les clématites des haies, opération entreprise en automne, cette plante ligneuse est une véritable horreur qui envahit rapidement les alentours : pas moins de cinq aller et retour de camionnette jusqu’à la déchetterie pour éradiquer les lianes qui atteignent parfois dix mètres de long. Enfin, l’irremplaçable Nicolas a pu tailler la haie et jouer à l’écureuil pour descendre des branches hautes que les tempêtes avaient fragilisées. D’autres travaux sont prévus : les trois énormes thuyas qui me font peur à chaque coup de vent vont être retirés : il faudra probablement plusieurs camions pour évacuer ces arbres qui atteignent dix mètres de haut. Après, on y verra plus clair pour nettoyer la centaine de mètres qui sépare mon terrain de la rue passagère et refaire le grillage. Bref, encore du boulot dans le règne végétal, où je me sens comme un serf avec ma salopette, mes gants et mes outils, plutôt que comme un châtelain en pleine ville.
(11/04/2022)


Mardi dernier, le ciel est d’abord devenu ocre, comme lorsqu’un orage chargé de grêle s’annonce au loin. A l’intérieur des maisons, la luminosité a brutalement changé : toutes les nuances de jaune se sont renforcées. Sur le canapé un coussin est devenu couleur poussin, la toile cirée multicolore a viré à l’orange, les murs se sont parés de cuivre. Plus tard, il y a eu la pluie, peu abondante, rapide, mais qui a maculé de cernes de bronze toutes les surfaces à l’extérieur. Les véhicules sont devenus marrons, les essuie-glaces râclaient une boue sombre, les promeneurs époussetaient les tâches de leurs manteaux. On a appris que des nuages d’altitude avaient emporté du sable depuis le Sahara jusqu’ici. Un pareil phénomène météorologique s’était déjà produit le 7 février 2021, une photo prise avec mon portable témoigne du dépôt de sable sur la table bleue à l’extérieur (c’était 2 jours plus tard, la flaque d’eau chargée de sable rouge avait gelé avec un joli effet). En revanche, je ne me souviens pas d’une telle épaisseur sur les voitures.
Cette fois-ci, cette curiosité s’est poursuivie le mercredi. Le jeudi soir, mon regard a été attiré à l’extérieur par une luminosité rouge extraordinaire : le coucher du soleil s’est paré de couleurs magnifiques, juste le temps de prendre quelques photos (en Webcam). J’ai de suite fait le lien avec ce sable du Sahara encore en suspension dans l’air. Les actualités ont vérifié mon intuition et d’identiques couchers de soleil somptueux ont été admirés un peu partout.
Sahara… Magie du rêve, déserts exotiques, tout ce qui nous inspire… Qu’une once de cette poussière puisse être acheminée jusque sur nos maisons et nous voilà ébahi par cette poésie en suspension. Que celle-ci nous fasse oublier un instant les autres dangers également en suspension et imprévisibles de la guerre en cours…
« Le désert, le désert du Sahara ! », cette exclamation joyeuse est tempérée par la phrase suivante : « Au commencement de la traversée du désert nous étions plus de cinquante personnes, hommes, femmes et enfants. ». Ces phrases ont été écrites par un des migrants mineurs que j’ai accompagné en atelier d’écriture cet hiver, et pour lui, comme pour la plupart des réfugiés de Côte d’Ivoire ou du Mali, la traversée de l’immense désert, via l’Algérie et la Lybie, est synonyme d’une mort évitée de justesse, mais combien de compagnons de voyages laissés derrière eux.
Désolé de refroidir ainsi le chaud soleil d’Afrique mais toute cette « poésie en suspension », comme je me plais à dire, cette nature indépendante des hommes, se relie obligatoirement à nous, par notre présence envahissante et, hélas, souvent belliqueuse. Sahara, espace libre à franchir, et plus encore, nos sauvageries d’hommes à affranchir.
Le dernier mot doit revenir à Madame Sahara, une cartomancienne, établie depuis longtemps en Sicile et dont les vieilles affiches collées sur les poteaux, sur les pans de murs oubliés, sont devenus un jeu pour nous depuis longtemps : c’est à qui trouvera une nouvelle annonce vantant les mérites de « Madame Sahara ». Mais là, j’ai juste envie de lui poser une question : Alors, Madame Sahara, quel est l’avenir immédiat de notre humanité ?
(20/03/2022)

 

Dans mon roman Yougoslave (Fayard, 2020), on trouve cité 1 fois Kiev, 3 fois la ville d’Odessa et plusieurs occurrences se rapportent à l’Ukraine. « L’occurrence » en linguistique est l’apparition d’un mot dans un texte. Le terme a également pour synonyme : cas, conjoncture, situation, accident, aventure, événement, hasard, mais aussi crime, délit. Les occurrences dans mon récit, qui s’échelonne sur plus de deux siècles, ont toutes un rapport avec la guerre et avec les Russes.
« La Russie, autre puissance qui appartenait au camp des vainqueurs de Waterloo, avait eu depuis longtemps des visées sur des territoires proches. Il y a un siècle, le Tsar Pierre le Grand avait fait boire ses chevaux dans le Danube pour la première fois depuis son compatriote de Kiev le prince Sviatoslav sept cents ans auparavant. Son désir d’une ouverture vers la mer Noire où se jetait le grand fleuve avait motivé son expédition. » (p. 112)
« Déjà à Odessa, sur la mer Noire, le mot russe « pogrom » avait fait son apparition. Des centaines de magasins et d’établissements avaient été pillés et saccagés. » (p. 189)
« L’histoire cependant, dont le but, selon Tolstoï, est « de décrire les mouvements de l’humanité et des peuples », continuait à fabriquer ses drames : le mois précédent la naissance de Georges, un nouveau pogrom eût lieu à Kichinev, toujours à proximité d’Odessa, et plusieurs centaines de juifs en furent les victimes. » (p. 246)
« Dès le début de 1944, les défaites allemandes s’accumulent. L’armée invincible du Reich cède ces conquêtes une par une dans un rapport de force qui devient favorable à la coalition alliée. Harcelés dès le mois de janvier à la bataille de Monte Cassino en Italie, les Allemands perdront en quatre mois soixante mille soldats. A la même époque, l’Armée rouge reprend l’Ukraine et atteint la frontière polonaise. En mars, elle occupe une partie de la Roumanie, tandis qu’en avril Bucarest subit les attaques aériennes anglo-américaines. Au printemps, les soviétiques reprennent également Odessa. » (p. 405)
« Dans la maison, les réfugiés étaient pour la plupart des expulsés, des gens qui erraient comme Eva et ses enfants, chacun coincé dans une histoire tragique et singulière. Ce n’est pas pour autant qu’on se serrait les coudes. Chacun se méfiait de l’autre, d’un possible déserteur ou d’un repris de justice en cavale. On pouvait y parler allemand, hongrois, serbe, ukrainien, ruthène, slovaque, slovène, tchèque, mais les paroles étaient rares, chuchotées entre familles ou petits groupes. Les soldats russes qui les avaient conduits ici, n’étaient guère plus reluisants avec leurs uniformes rapiécés. Ils se montraient autoritaires, n’hésitaient pas à les intimider. Un jour, l’un d’eux, un blond avec des yeux très clairs, fit le tour des réfugiés, demandant de l’argent ou des bijoux. Lorsqu’on refusait, il élevait la voix, lançait des insultes. » (p. 444-445)
(08/03/2022)

 

25 juillet 1983 : René Fallet disparaît à 55 ans et demi, vingt et un mois après son ami Georges Brassens. Comme beaucoup, je me retrouve orphelin de mes tontons de cœur, ainsi que j’ai pris l’habitude de les nommer.
Eté 1983 : je connais tonton René depuis 5 ans, disons que je l’ai rencontré, littérairement parlant, avec Paris au mois d’août, à l’âge de vingt ans (voir en Notes de lecture du 23/07/2003). J’étais alors en région parisienne, à Villepinte, qui gardait encore une allure presque provinciale en cette fin 1978 - début 1979 (je n’y suis resté que quelques mois avant que le service militaire ne me rattrape). J’habitais dans une bicoque, chauffage au fuel et odeur de vieux chien. J’étais seul, sans voiture (la première, une Simca 1000, ce serait un an plus tard) et Paris au mois d’août est arrivé comme une grâce. Tout René Fallet a suivi, ses Carnets de jeunesse, ses livres, dont le premier, Banlieue Sud-Est avec Villeneuve-Saint-Georges, qui en constitue le lieu, et vers lequel je partirai en pèlerinage à mon retour du service militaire, cette fois-ci nommé à la poste à Sevran, installé maintenant dans un rez-de-jardin avec un vieux chien qui sentait le fuel.
Eté 1983 : exit la région parisienne, je suis revenu dans mon grand Est depuis 2 ans. L’amour, quelques mois après mon retour, m’a cueilli comme une marguerite : beaucoup, passionnément, à la folie. Avec un jeune beau-frère de 14 ans, je fabrique, à cette époque, un bureau et une table de salon en vue de l’anniversaire de ma dulcinée. C’est le bonheur, la joie et probablement que la mort de René Fallet sera, au mieux, passée inaperçue, ou aura, au pire, constituée une petite ombre au tableau.
1983 : la véritable ombre, la noirceur, le chagrin viendront au dernier mois de l‘année. Le jeune beau-frère de 14 ans décède brutalement. Il en reste une cicatrice au cœur, à jamais douloureuse.
Années suivantes : le bonheur, la joie ont heureusement la dent dure et s’accrochent. Amour et enfants qui suivent : la vie quoi. Je relis les livres du copain de Brassens régulièrement, je reste à l’affût de ce qui se publie à son sujet. Pour mon premier roman, j’espère en vain le prix René Fallet. Je célèbre sur FdR les vingt ans de sa disparition. Le temps passe : l’année prochaine ça fera 40 ans !
Années futures : rien ne changera, ni les guerres, ni les aléas ne viendront effacer la faconde de tonton René : comme lui, nous crierons aux étoiles : Merci d’être Vénus.
(01/03/2022)

 

Date palindromique avais-je écrit il y a tout juste deux ans, le 20/02/2020 :
"J'ai loupé la mise à jour du 02/02/2020, ce qui aurait été une véritable date palindromique. Pour rappel, un palindrome est un mot qui se lit indifféremment dans un sens ou dans un autre, comme les prénoms, Bob ou Anna, les noms Kayak ou sexes, l'expression " mon nom ", les facéties de Georges Perec : " ce repère Perec ", disait-il. Allez, j'invente moi-aussi un palindrome : " Léo n'a été nu ici un été à Noël".
Bref, je me rattrape un peu ce jour avec le 20/02/2020. Il faut dire que depuis l'année 2012, le jeu est plus délicat. Je n'avais pas loupé cette dernière date facile du 12/12/12 (voir en étonnements et en Webcam), j'avais même précisé que ce 12/12/12 à 12h12, je me trouvais dans un train qui m'emmenait dans une rencontre Annecy, dernière petite notoriété due à ma nomination au Goncourt trois mois plus tôt. L'année précédente, Anne Savelli n'avait pas non plus loupé la date du 11/11/11, puisque c'est celle qu'elle avait choisie pour la mise en ligne chez Publie.net de notre livre commun Autour de Franck, poussant la perfection à ce que l'heure précise soit 11h11. Mais depuis, force est de constater que je n'avais rien remarqué de notable, sauf une brève allusion en rubrique Actualités du 13/02/2013, même si la date " combinatoire et réversible " que je soulignais est tout de même imparfaite et bancale comme celle d'aujourd'hui. Je me suis doublement rattrapé ce jour, d'abord avec cette rubrique, puis en acceptant un rendez-vous malicieusement prévu le 3/3 à 3h et qui devrait durer 33 minutes…"
Le rendez-vous en question était avec le photographe. Cette année, il aura eu lieu plus tôt le 21 janvier. Il me faut donc rajouter à cette note la magnifique date palindrome de ce jour : 22022022, que je n’aurai pas loupée cette fois-ci. Il ne valait mieux pas, la prochaine n’aura lieu (en date française) que le 03022030 : je serai hélas, devenu septuagénaire…
(22/02/2022)

 

Janvier et début d’année : c’est l’époque des « bonnes » résolutions, où du moins, c’est manière de remettre en ordre tout ce que le temps use au fil des mois. L’année se déroule souvent ainsi, les frimas nous préservent dans une léthargie molle, puis les jours rallongent et le printemps nous occupe, ensuite l’été et la chaleur nous abasourdissent, enfin l’automne nous cueille déjà fatigués avant la folie de fin d’année. Il faut ajouter à cela les imprévus, les évènements inattendus, subits et subis, visites inopinées, voyages de dernière minute, tout ce qui remplit un quotidien déjà plein comme un œuf.
J’ai la fâcheuse manie de croire que mon temps est extensible à l’infini et que j’arriverai toujours à tout faire. La plupart du temps c’est vrai : je travaille vite, je suis plutôt du genre organisé, même si ce n’est pas l’image que je donne. Cette sorte d’énergie inépuisable m’a fait cumuler jusqu’à présent les activités associatives, la vie familiale, la course à pied, l’entretien de la maison, autrefois mon boulot dans l’entreprise (mince, ça fait déjà 4 ans que j’ai arrêté), la thèse de doctorat passée en 2017, tout cela remplacé depuis par les ateliers et les interventions littéraires, sans oublier bien sûr l’essentiel, écrire des livres, tout de même quinze en vingt ans.
Cette année pourtant, j’ai peut-être eu, comme on dit, les yeux plus gros que le ventre. J’ai consenti à animer quatre ateliers d’écriture, à donner des conférences et des interventions, sans compter les journées diverses et variées qui se sont rajoutées au fil des mois, et que le curieux expérimentateur que je suis refuse rarement. Mais en plus des activités usuelles, j’ai accepté la présidence d’un club service dynamique, et il faut suivre, donner un cap, prévoir des actions… Et puis des évènements déconcertants n’ont cessé d’émailler l’année, déjà rendue difficile par la pandémie, bref, grosse bousculade, et j’ai terminé l’année avec onze personnes chez moi pour Noël dans un état de fatigue assez prononcé.
Il est donc temps de remettre un peu d’ordre dans tout cela. J’ai ainsi annoncé que j’allais « lever le pied », côté ateliers, même s’il en restera encore un peu, à Bar-le-Duc notamment où je m’étais déjà engagé. Et puis ma présidence du club service se terminera en juillet, avec toutefois bien des actions prévues et à réaliser au printemps. J’ai aussi accepté une autre présidence du même acabit, plus étendue, mais aussi plus distante (damned, mais quelle idée !) Et puis, j’ai encore bien des choses à faire dans la suite des événements déconcertants qui se sont déroulés depuis mai dernier. Voilà pour la continuité de ce qui s’était engagé et que je ne peux pas stopper tout de go.
Les bonnes résolutions tiennent donc dans cette volonté de « lever le pied », en faire moins pour les autres, ainsi les idées égoïstes de reprendre la course à pied, F de R, et surtout l’écriture, équilibre indispensable pour moi : ça y est, tout est à nouveau en marche (voir en Notes d’écriture). Un signe ? J’ai réparé la pendule que mon petit-fils avait abîmée à l’automne, elle est comme neuve ou presque et les trois horloges scandent à nouveau l’immuable temps retrouvé.
(18/01/2022)

 

Bilan des courses à pied : cela fait maintenant 12 ans que je sacrifie à noter tous mes aléas sportifs dans un fichier Excel. Force est de constater que la dernière belle année (2018 et un marathon pour mes 60 ans) est bien derrière moi : c’était l’époque où mes jambes parcouraient par an 2000 km à pied ou à vélo. La pandémie est passée par là (l’âge aussi…). J’ai acquis depuis 2ans un tapis de course, dont l’utilisation n’est pas moins sportive, au contraire, car il faut s’astreindre au rythme imposé par la machine. En 2021, j’aurai ainsi « couru » plus sur tapis que sur de vrais chemins (214 km contre 160km). Il en résulte une frilosité à sortir dehors alors que la pluie et le froid jusqu’alors ne m’ont nullement effrayé. Mais le plaisir de courir dehors est toujours sans commune mesure pour peu que je sois décidé. Cette année, nous n’aurons pas sacrifié aux joggings matinaux en Sicile (pour un total de 30km) et la Guadeloupe en novembre nous aura défoulé au sens propre dans des trajets souvent escarpés pour 80km. En revanche, une seule sortie en vélo de 50 km cette année. Au total c’est moins de 600 km que mes petites jambes auront supporté. Si je suis toujours capable d’accomplir dix bornes à un train de sénateur, pas sûr que je serais encore capable de me lancer sur un Charleville Sedan ou les 20km de Bruxelles. C’est peu mais la difficile année, bien trop remplie, aura eu raison de mon courage. C’est ainsi plus un bilan de la « vie courante » que des courses à pied effectué ici. Allez gageons que je vais tenter de garder un semblant de rythme pédestre pour 2022…
(08/01/2022)